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L’ascension d’un lignage gascon : les Albret

Paru dans : L’Aquitaine ducale, Histoire Médiévale Hors série 7, 2004, 20-29.

Diagram of the ceramic chaîne opératoire.
Suite au mariage d’Arnaud-Amanieu d’Albret avec Marguerite de Bourbon, sœur de la reine de France, l’écu de la famille d’Albret, à l’origine “de gueules plein”, a été écartelé aux armes de France.

De toutes les familles nobles d’Aquitaine, c’est sans nul doute celle des Albret qui a connu le plus illustre destin. Modestes seigneurs gascons, les Albret parviennent au milieu du XIIIe siècle à se hisser au premier rang de la noblesse du duché. Au cours du siècle suivant, ils deviennent un enjeu majeur dans le conflit qui oppose le roi-duc au roi de France jusqu’à leur ralliement à Charles V, entre 1364 et 1368. Le mariage d’Arnaud-Amanieu (1360-1401) avec la sœur de la reine de France, l’écartèlement de leurs armes de celles de France (1389), la nomination de Charles Ier (1400-1415) comme connétable et sa mort à Azincourt, de prestigieuses alliances témoignent de la place que les Albret occupent désormais au sein de la noblesse du royaume. Le mariage de Jean d’Albret avec Catherine de Foix, héritière du royaume de Navarre, et son couronnement, le 10 janvier 1494, constituent l’avant-dernière étape de cette ascension ; l’accession sur le trône de France, en 1589, d’Henri de Bourbon, fils de Jeanne, reine de Navarre, princesse souveraine de Béarn et duchesse d’Albret, son aboutissement. C’est l’ascension du lignage du milieu du XIe siècle à celui du XIVe siècle que nous avons souhaité évoquer.

Les temps des origines

On a quelque peine aujourd’hui à imaginer une telle destinée lorsqu’on songe aux immensités de bruyères, d’ajoncs et de marais qui furent le berceau des Albret.

Lebret, Lebred, tel fut, semble-t-il, le nom de la famille, connue aujourd’hui sous sa forme “française” : Albret. Ses armes “de gueules plein” plaident en faveur de son ancienneté. Mais avant le milieu du XIIIe siècle on ne peut qu’esquisser son histoire et celle de ses domaines. Si le premier acte connu à ce jour faisant mention d’un Albret date vraisemblablement du milieu du XIe siècle, ce n’est que vers 1240 que commence le trésor des chartes de la famille. C’est alors que s’achève le temps des origines pendant lequel les Albret n’apparaissent que de manière épisodique : trente-quatre mentions recensées à ce jour, que complètent heureusement deux témoignages archéologiques : le site de Labrit (cf. ci-après) et la peinture de Lugaut qui datent tous deux des environs de 1225.

On ne dispose donc que d’une poignée d’informations : une nomenclature de onze personnages prénommés Amanieu ou Bernard Aiz, dont nous ne sommes pas certain qu’ils furent tous “sires” d’Albret, pas de filiation assurée avant la fin du XIIe siècle, des alliances avec les familles d’Angoulême, d’Armagnac et de Tartas. Sur le plan religieux, les Albret se sont comportés comme leurs contemporains : ils ont participé au XIIe siècle aux grandes heures des abbayes du Bordelais, dont celle de La Sauve, et fait des dons aux abbayes et aux ordres hospitaliers, comme l’illustre la donation de l’église et de la dîme de Lugaut. Mais il faut attendre le second tiers du XIIe siècle pour voir apparaître dans l’entourage ducal Amanieu V, cousin par alliance d’Henri III, le premier des sires d’Albret à avoir joué un rôle politique. La chute de La Rochelle, en 1224, en déplaçant de manière définitive le centre de gravité du duché, dont la capitale devient alors Bordeaux, confère aux terres gasconnes une importance vitale pour le roi-duc. La fondation par Henri III des bourgs castraux de Labouheyre et Bouricos jalonnant la route de la Grande Lande de Bordeaux à Bayonne illustre bien le changement qui se produit alors dans la géographie politique du duché. C’est à cette époque que les Albret ont, de leur côté, fait édifier le château de Labrit dont il reste encore d’imposants vestiges.

La géographie de leur patrimoine (cf. carte) a profondément évolué depuis le XIe siècle. Le fait le plus remarquable est son glissement vers la vallée de la Garonne et sa bordure méridionale. Deux domaines se trouvent dans les Landes : Labrit et Sore. Les autres en Bordelais (Castelnau-de-Cernès) où les Albret ne sont encore que coseigneurs, et surtout en Bazadais, à Cazeneuve sur les bords du Ciron, encore tenu des vicomtes de Gabardan, probablement à Meilhan-sur-Garonne et peut-être en partie à Aillas, enfin à Casteljaloux où les Albret sont présents dès le premier tiers du XIIe siècle et dont ils ont fait le “capdulh” de leur famille. C’est à la même époque qu’ils deviennent les protecteurs de biens donnés à Nérac à l’abbaye de Condom qui reste néanmoins détentrice de la justice et des péages. Lorsqu’en 1242, Henri III, à l’occasion de sa seconde descente dans le duché, convoque son ost, Amanieu VI est celui de ses vassaux qui doit lui apporter le contingent le plus important, loin devant le comte d’Armagnac, les vicomtes de Tartas et de Fronsac. De vassaux de second plan, les Albret accèdent alors au tout premier.

D’origine modeste, la famille d’Albret parvint à se hisser aux premiers rangs de la noblesse du duché, forte d’un patrimoine qu’elle sut tout à la fois préserver, en dépit d’une nombreuse descendance, et accroître, en saisissant toutes les opportunités que lui offrirent la fidélité au roi-duc ou le ralliement au roi de France.

La donation aux Hospitaliers de l’église et de la dîme de Lugaut par Amanieu V d’Albret


Cette peinture du mur nord du chœur de l’église de Lugat (commune de Retjons, Landes) fait partie d’un ensemble daté de la première moitié du XIIIe siècle et associant des cycles religieux et d’autres à caractère moral, historique ou profane. La scène de la donation se déroule en deux épisodes superposés qui se lisent de gauche à droite. Celui du haut est surmonté d’une inscription commémorative : H(i)c (A)maneus de Lebrit q(u)i dat ha(n)c eccle(si)a(m) cum decimis D(e)o et hosp(i)tali Ih(e)rus(a)lem in p(er)petuu(m) : isti hospitalares accipiu(n)t donu(m) ben(e). (Voici Amanieu d’Albret qui donne cette église avec les dîmes à Dieu et à l’Hôpital de Jérusalem à perpétuité : ces hospitaliers acceptent le don, volontiers). Sur le registre supérieur, trois cavaliers – le premier est le sire d’Albret – sont accueillis par trois religieux à pied. Sur celui du bas, Amanieu, suivi de cinq compagnons désarmés, s’incline devant le commandeur pour lui tendre à deux mains l’acte de donation. Assis sur un trône sans dossier, le commandeur s’apprête à le recevoir. Un autre religieux tend un livre, probablement les Évangiles.

D’après Jean-Pierre Suau et Michelle Gaborit, Peintures murales des églises de la Grande-Lande, éd. Confluences, 1998, 37-65. Clichés Harnois avec l’aimable autorisation des Amis de Lugaut.

Préserver le patrimoine

Les Albret furent profondément attachés à leur patrimoine. Pérennité, intégrité, accroissement, c’est en ces termes qu’il convient de caractériser leur politique en la matière. Un tel programme n’a rien d’original, mais ce qui frappe chez les Albret c’est le fait qu’il constitue pour eux une priorité. Sa mise en œuvre ne fut pas toujours facile. Comment maintenir l’intégrité d’un patrimoine, face à des coutumes imposant le partage égalitaire des biens et en présence d’un grand nombre d’héritiers potentiels. Amanieu VII trouva une solution, son fils n’eut qu’à parfaire son œuvre.

Une habile politique contre le morcellement du patrimoine

Ce fut la référence à la coutume de Casteljaloux pemettant à un testateur de disposer de ses biens en faveur de qui il voulait. La proclamation du droit d’aînesse, l’exclusion des filles dotées, les décès prématurés, ne résolvaient pas néanmoins le problème de l’avenir des cadets survivants au décès de leur père.

Des trois fils qui restèrent à Amanieu VII, l’aîné Bernard Aiz V, lui succéda. Le second, Guitard, reçut la vicomté de Tartas et les seigneuries en dépendant. Quant au plus jeune, Bérard, totalement déshérité par son père pour être resté dans le camp anglo-gascon lors de la guerre de Saint-Sardos (1323-1324), mais désigné par sa mère comme son héritier, il s’empara de Vayres et Marcamps ainsi que de la seigneurie de Gironde qu’il tenait de son épouse, puis de celle de Vertheuil laissée à Guitard. C’est dans ces conditions que fut constitué le patrimoine des Albret de Vayres. La situation se présentait apparemment de manière plus delicate au décès de Bernard Aiz V (1359), car quatre de ses fils étaient encore vivants. L’aîné, Arnaud-Amanieu, devint sire d’Albret. Le cadet, Guitard, hérita des biens de son oncle, vicomte de Tartas, mort sans enfant. Le troisième, Bérard, devenu par son mariage fondateur d’une nouvelle branche et coseigneur de Sainte-Bazeille et Landerron, reçut Gensac, Castelmoron et Montcuq, des terres provenant de la succession de Mathe, dame de Bergerac, sa tante. Géraud, le dernier, obtint une part des terres du Sud des Landes provenant de cet héritage ou de dons du roi-duc. Guitard et Géraud moururent jeunes et sans descendance et leurs biens retournèrent à la branche aînée. En fait, un concours de circonstance et l’héritage de Mathe d’Albret avaient permis aux Albret de la branche aînée de preserver leur patrimoine.

Il n’en fut pas de même pour ceux de la branche de Vayres. Si Bérard Ier parvint à ajouter à son patrimoine les seigneuries de Rions, Puynormand et Cudzac, constraint par la coutume de Bordelais il fallut partager ses biens entre trois fils : à Bérard II, l’aîné, Vayres, Gironde, Blasimon, Rions et Puynormand ; à Amanieu, le cadet, devenu par son mariage seigneur de Langoiran, de Podensac et de Saint-Magne, les seigneuries de Vertheuil et Sémignan en Médoc ; à Arnaud, le dernier, les seigneuries de Cubzac et Marcamps. Bérard II étant décédé sans descendance et Arnaud n’ayant laisse qu’un bâtard, c’est Bérard III, fils d’Amanieu, qui hérita des biens de ses oncles, mais il mourut sans héritier direct et les biens de la branche de Vayres furent l’objet de procès entre Arnaud-Amanieu, sire d’Albret, et les filles d’Amanieu de Langoiran.

Malgré de multiples difficultés d’ordre juridique ou familial, les Albret parvinrent donc, jusqu’au milieu du XIVe siècle, à léguer à leur fils aîné un patrimoine au moins égal en importance à celui qu’il avaient eux-mêmes reçu. Que leur réussite eût été presque totale comme ce fut le cas pour la branche aînée ou plus modeste comme pour celle de Vayres, elle ne fut pas seulement le résultat de l’habile politique des chefs de famille et des secours que leur apporta le destin en fauchant une partie de leur descendance. L’apparition de branches latérales ne porta pas atteinte au noyau initial du patrimoine des sires d’Albret et de celui de leurs cousins de Vayres, car les cadets furent toujours dotés à partir de biens récemment acquis. On pourrait ajouter à ces branches celle de Guiche, représentée par un bâtard d’Amanieu VII, auquel son demi-frère, Bernard Aiz V, fit don de la seigneurie de Guiche, naguère achetée par Guitard, vicomte de Tartas et revenue à la branche aînée.

Généalogie de la famille d’Albret.

Succession et mariages

L’accomplissement du destin auquel fut appellée cette famille n’a été rendu possible que par la succession continue en ligne directe de “sires” d’Albret durant quatre siècles. Si, jusqu’au milieu du XIIIe siècle, on ignore de quelle manière celle-ci s’est effectuée, il n’en est plus de même à partir de 1240, date à laquelle nous avons fixé l’avènement d’Amanieu VI. Son fils aîné, Bernard Aiz IV, qui lui succède en 1270, décède dix ans plus tard, ne laissant que deux filles mineures fiancées à Bernard d’Armagnac. Leur décès prématuré – celui de la seconde après son mariage –, l’audace ou l’habilité de leur oncle, le futur Amanieu VII qui parvient à recouvrer la totalité des biens de la famille, lance une nouvelle fois les Albret sur les chemins de l’Histoire. Jusqu’à Jeanne, devenue duchesse d’Albret en 1550, c’est de père en fils ou petit-fils que les sires d’Albret se succèdent pendant dix générations.

Seigneurs gascons par leur origine, ils le sont restés jusqu’en 1360 par leurs alliances, concluant des mariages avec les familles de Bergerac et Pons, celles d’Armagnac, de Tartas, de Bordeaux et de Grailly pour les plus connues. Autre trait qu’il convient de souligner, leur remarquable vitalité : six enfants attestés en moyenne par génération, sans compter les bâtards beaucoup plus nombreux, et la longévité de certains de leurs représentants : Amanieu VII décède entre 64 et 70 ans, Bernard Aiz V et Arnaud-Amanieu à 70. Très attachés aux frères mineurs qu’ils comblèrent de leur générosité, ils firent du couvent de Casteljaloux leur Saint-Denis.

L’accroissement du patrimoine

Les Albret se sont ainsi attachés à accroître leur patrimoine. Ils le firent par le jeu des alliances et celui des héritages ou bien dans le cadre de leurs relations avec le roi-duc. Grâce à leur assez bonne assise financière et au rang qu’ils occupaient au sein de la noblesse du duché, ils eurent une attitude tout à fait souple en matière d’alliances. Si on examine les quatorze mariages qu’ils ont conclus en trois-quarts de siècle, on s’aperçoit qu’ils ont dans un premier temps recherché les “grands mariages” qui leur apportaient l’alliance avec une famille comtale, vicomtale ou de même rang que la leur : Angoulême, Tartas, Bordeaux, Lusignan, Armagnac, en même temps que de substantielles dots.

Celle de Mathe d’Armagnac, épouse de Bernard Aiz V, s’élevait à 20 000 livres tournois (l. t.) et 1 000 l. de rente. En fait, le règlement des dots posait souvent des problèmes et s’étalait parfois sur des décennies. Mieux valait-il dans ces conditions des mariages moins glorieux mais plus avantageux. Ainsi les Albret n’ont pas dédaigné les unions avec des filles de la petite noblesse, héritières de seigneuries tombées en quenouille et parfois criblées de dettes : Gironde, Caumont, Escossan. C’est avec Amanieu VII que commence une véritable chasse aux bonnes affaires matrimoniales, une entreprise dans laquelle il a excellé. Ainsi, en épousant Rose de Bourg, il recueille une partie des biens des Bourg : Vayres sur les bords de la Dordogne et Vertheuil en Médoc (1288) ; Amanieu, second fils de Bérard Ier de Vayres, épouse Mabille d’Escossan (1345) et hérite des seigneuries de Langoiran, Podensac et Saint-Magne, en Bordelais ; Bérard, fils cadet de Bernard Aiz V, en épousant Hélène de Caumont, fonde la branche de Sainte-Bazeille et Landerron, en Bazadais (1357). Mais la manière dont Amanieu VII mit la main sur la seigneurie de Gironde est exemplaire : rachat des hypothèques pesant sur la seigneurie, mariages successifs de ses deux fils, Bernard Aiz ‒ le futur sire d’Albret ‒ avec Isabelle de Gironde (1311) puis, après le décès prématuré d’Isabelle, celui de Bérard Ier, le fondateur de la branche de Vayres avec sa sœur, Guiraude (1319).

Deux successions d’une exceptionnelle importance s’ouvrirent en 1312 et 1314, celles de Tartas et de Bergerac. Dans les deux cas, le sire d’Albret avait des intérêts à défendre, mais il n’attendit pas qu’elles fussent officiellement déclarées pour afficher ses prétentions et prendre des gages. Ainsi, trois jours après le décès du dernier vicomte de Tartas, Arnaud Raimond, qui n’avait pas eu d’enfant de son second mariage avec Mathe d’Albret, fille d’ Amanieu VII, celui-ci prit, le 6 avril 1312, possession de ses biens : Tartas, Gamarde, Clermont, Mimbaste, Tercis, Lesperon, Rion. Bien qu’il tînt de son aïeule des droits à la succession, qui s’ajoutaient à ceux de sa fille, il ne parvint pas à écarter la vicomtesse de Fronsac et accepta l’arbitrage du sénéchal d’Aquitaine qui finalement lui laissa la vicomté (juin 1316). En 1320, il fit en tant que vicomte de Tartas hommage à Philippe V des terres de Mixe et Ostabaret dans le royaume de Navarre. Le règlement de la succession de Bergerac, autrement importante par son enjeu, ne dura pas moins de vingt-six ans (1314-1340) et s’acheva dans le cadre d’un accord politique entre Bernard Aiz V et Édouard III.

Le château de Langoiran, l’une des possessions des Albret de Vayres. DRAC Aquitaine, © Michel Dubau, 1994
© Inventaire général d’Aquitaine – ADAGP.

Mariages et héritages ne furent pas les seuls moyens utilisés par les Albret pour arrondir leur patrimoine. Si les représentants de la branche aînée se contentèrent de l’améliorer par quelques modestes acquisitions, ceux des nouvelles branches, sans doute désireux de s’affirmer, pratiquèrent une véritable politique d’achats. Ce fut le cas de Bérard Ier de Vayres ou de son frère Guitard qui acquiert en 1332-1333, la seigneurie de Guiche. Bérard Ier s’est lancé pour sa part dans des opérations vraiment complexes. Il parvint ainsi, avec la connivence du sénéchal anglais, à capter en 1327 la seigneurie de Rions-sur-Garonne (dont le seigneur, son cousin, était aveugle), à acquérir celle de Sémignan en Médoc enjouant sur une remise de dette (1344), puis celles de Bussac et Tiran aux portes de Bordeaux. Son fils, Arnaud, seigneur de Cubzac, mit la main en 1354 sur La Libarde en Bourgeais à l’occasion d’une vente a remere (soit avec possibilité de rachat pour le vendeur), puis sur Agassac en Médoc (1357). Si l’on met à part le cas d’Amanieu, seigneur de Langoiran, qui dut, à deux reprises se séparer de biens au profit de son frère Arnaud, les Albret ont réussi à acquérir à l’intérieur ou à proximité de leurs seigneuries des biens fonciers en grand nombre.

La succession de Bergerac

À l’origine de cette affaire, le mariage, le 2 mai 1314, de Mathe d’Albret, veuve du vicomte de Tartas, avec Elie Rudel, seigneur de Bergerac ; ensuite une série de manipulations juridiques qui permirent à Mathe de s’approprier les seigneuries de Gensac, Miremont et Castelmoron en Bazadais (1324) ; dix ans plus tard, Mathe réussissait à se faire reconnaître la possession de Montignac, Montcuq et en partie de Bergerac. Après le décès d’Elie Rudel, mort sans descendance en 1334, Mathe se heurta aux autres héritiers de son époux : épisode marqué par la prise de Bergerac par le comte de Périgord et un procès en Parlement. Finalement, sur les conseils de son jeune frère, Bérard Ier de Vayres, Mathe conclut un accord avec Édouard III (début 1338) : elle conservait les seigneuries de Gensac, Miremont, Castelmoron et Montcuq, dont elle cédait la garde au roi-duc durant la guerre et renonçait en sa faveur à ses droits sur Bergerac, contrôlé par le roi de France et sur Montignac. Mais elle recevait en échange la seigneurie de Montendre, des droits à Blaye, la seigneurie de Condat près de Libourne, celle de Labouheyre, le pays de Brassenx, la prévôté de Born et Mimizan, dans les Landes. Mathe décéda au mois de septembre 1338, laissant tous ses biens à son frère Bernard Aiz V. Cette femme, dont on aurait aimé connaître la personnalité, fit la fortune des Albret grâce à sa stérilité et ses veuvages : jouet de son père ou ambitieuse et cupide, on ne sait. L’héritage de Bergerac contribua sans aucun doute au ralliement de Bernard Aiz V à Édouard III.

Vassaux du roi-duc

C’est sur un arrière-plan politique particulièrement mouvementé que s’est faite l’ascension de la famille. Lorsqu’en 1240 Amanieu VI succéda à son père, le duché d’Aquitaine avait en un demi-siècle connu de profondes modifications qui avaient conféré à ses domaines une importance nouvelle. L’attitude des Albret à l’égard du roi-duc alterna au cours du siècle. Au service d’Henri III dans les années 40, Amanieu VI participa néanmoins au soulèvement des Gascons contre Simon de Montfort en 1251-52, mais se soumit rapidement en 1253. Si les relations entre le roi de France et le roi-duc s’étaient normalisées en 1259, à la fin du siècle, la reprise du conflit entre le suzerain et son vassal permit au sire d’Albret de tirer parti de la situation. Amanieu VII fut, dans un premier temps, un fidèle d’Édouard Ier qu’il servit à plusieurs reprises en Écosse avant de devenir le chef de la “résistance” gasconne ,lors de la guerre de Gascogne (1294-1303). Mais au cours des années suivantes ses relations avec les officiers du nouveau duc, Édouard II, devinrent franchement mauvaises, le sire d’Albret en appelant au roi de France. Malgré un règlement des plus avantageux obtenu en 1313, à Poissy – grâce au soutien de Philippe le Bel, Amanieu VII obtint d’Édouard II 20000 livres tournois – le sire d’Albret ne renonça pas pour autant à jouer au perturbateur, s’opposant à la famille de Piis, aux de l’Isle et aux Caumont, puis au sénéchal d’Édouard II, et renouvela ses appels au roi de France. Le déclenchement de la guerre de Saint-Sardos en 1323 lui permit de se sortir d’une situation difficile, en ralliant opportunément le parti de Charles IV. Par sa fortune foncière, les alliances de sa famille, le sire d’Albret, le plus puissant seigneur du plateau landais, pouvait rendre difficiles sinon impossibles les liaisons entre Bordeaux et Bayonne. C’est alors que se produisit un événement inattendu, la fidélité au roi-duc de son second fils Bérard, qui lui permit de sauvegarder le patrimoine bordelais de la famille. Au décès d’ Amanieu VII s’ouvre une nouvelle période de l’histoire de la famille maintenant divisée en trois branches : la branche aînée, représentée par Bernard Aiz V, celle de Tartas par Guitard, celle de Vayres par Bérard Ier. Si Guitard disparaît sans descendance en 1338, au décès de Bérard en 1346, son patrimoine est partagé, on l’a vu, entre ses trois fils, Bérard II, Amanieu et Arnaud.

La décennie qui commence au mois de mars 1328 avec l’avènement de Philippe VI et qui va jusqu’à la confiscation du duché d’Aquitaine en 1337 est une veillée d’armes. Édouard III s’attache alors à faire revenir tous les Albret dans son camp, tandis que Bérard Ier, pour prix de son soutien, recevait la garde de la seigneurie de Puynormand (1334), sans compter des gratifications. Guitard fut le premier à se rallier moyennant une belle rente de 300 livres st. (1335). Son décès prématuré (1338), le règlement de la succession de Bergerac puis, la même année, le décès de Mathe qui fit de son frère, Bernard Aiz V, son légataire, la politique pro-française du comte de Foix poussèrent le sire d’Albret à conclure un accord avec Édouard III en 1338, puis à rallier définitivement le parti anglo-gascon. Dès lors, avec son frère Bérard, puis avec ses neveux, il va servir Édouard III. Les Albret le firent loyalement, participant aux campagnes du Prince Noir, recevant en échange dons et rentes. Bernard Aiz V en reçut une de 1000 l. st. sur le port de Londres.

Les terres d’Albret lors de la signature du traité de Calais (1360).

À cela s’ajoutèrent des cessions de seigneuries. Nous avons évoqué celles que Mathe avait reçues ; Bernard Aiz V obtint en 1341 les baillies de Pontonx, Auribat, Gosse et Seignanx dans le sud des landes, puis celles de Marensin et Laharie. Bérard Ier, devenu définitivement seigneur de Puynormand et Villefranche en 1341, obtenait pour sa part les seigneuries de Blasimon et de Sauveterre et le Cubzaguais.

Ainsi, usant de tous les moyens, les Albret ont réussi à accroître leur patrimoine en exploitant systématiquement les situations qui se présentaient à eux, parfois avec maladresse, rarement sans profit. On retrouve ce sens des opportunités dans leurs relations avec le roi-duc, du cynisme d’Amanieu VII à l’attentisme calculé et à la duplicité de Bernard Aiz V, en passant par la politique d’apitoiement de Bérard Ier. Mais alors que la branche aînée forte de sa puissance financière prospérait dans ses entreprises, l’argent fut pour les Albret de Vayres un souci permanent, comme il l’était d’ailleurs pour la plupart des représentants de la noblesse.

Alors comment rendre compte de ce destin exceptionnel ? Il faut, à notre avis, en rechercher les origines dans la place qu’occupent les Albret dans le duché au milieu du XIIIe siècle, un duché qui devient le champ clos où s’affrontent le roi de France et celui d’Angleterre. De l’un et de l’autre, au gré des fluctuations politiques et militaires, ils reçoivent des faveurs qui accroissent leur puissance et leur donnent l’occasion d’en exiger ou d’en attendre d’autres. Seul un renversement brutal de la conjoncture politique ou une catastrophe familiale pouvait compromettre l’avenir. La poursuite du conflit franco-anglais et la vitalité du lignage furent les meilleurs garants de la poursuite de son ascension.


Bibliographie

J. B. Marquette, “Les Albret (XIe siècle-1360)”, Les Cahiers du Bazadais, 30, 31, 34, 38, 41, 45-46, 1975-1979.

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EAN html : 9782356135094
ISBN html : 978-2-35613-509-4
ISBN pdf : 978-2-35613-511-7
Volume : 4
ISSN : 2827-1912
Posté le 15/11/2025
9 p.
Code CLIL : 3385
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Comment citer

Laborie, Y., Marquette, J. B., “L’ascension d’un lignage gascon : les Albret”, in : Boutoulle, F., Tanneur, A., Vincent Guionneau, S., coord., Jean Bernard Marquette : historien de la Haute Lande, vol. 1, Pessac, Ausonius éditions, collection B@sic 4, 2025, 55-64, [URL] https://una-editions.fr/lascension-dun-lignage-gascon-les-albret
Illustration de couverture • d'après “Atlas de Trudaine pour la ‘Généralité de Bordeaux n° 6. Grande route de Bordeaux à Bayonne. Les douze premières cartes du plan de cette route. Cy 15 cartes’.
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