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Atlas historique des villes de France. Bazas

Atlas historique des villes de France. Bazas,
cartographié par A. Dugat avec la collaboration de G. Verninas et M.-C. Bories,
sous la direction de C. Higounet, J. B. Marquette, P. Wolff, 1982.

Sur un plan du XIXe siècle, la ville de Bazas apparaît comme un ensemble parfaitement délimité de forme triangulaire dont les contours épousent ceux d’un éperon orienté vers l’est, délimité par la confluence de deux ruisseaux : celui de Matalin, venant du nord-ouest et celui du Beuve, un affluent de rive gauche de la Garonne, venant du sud-ouest.

Le site

Cet éperon, dégagé dans les faluns de Bazas, un grès calcarifère assez dur, culmine à 90 mètres ; il présente, cependant, deux éléments distincts : l’extrémité orientale qui a la forme d’un trapèze de 325 mètres de long pour une largeur variant de 125 mètres à l’est à 175 mètres à l’ouest, légèrement incliné de l’ouest (89 m) vers l’est (82 m), est limitée sur trois côtés par un abrupt de 20 mètres environ. À partir des portails de la cathédrale, point culminant de l’éperon, le trapèze s’élargit et si, vers le sud, l’abrupt demeure aussi prononcé, en revanche, au nord et à l’ouest, le site de la ville se raccorde sans solution de continuité avec le reste du plateau. L’emplacement occupé par la place centrale qui se trouve à la jonction de ces deux parties présente la particularité d’être en creux par rapport aux zones périphériques : ainsi, les portails de la cathédrale dominent-ils de 5 mètres environ la partie la plus basse de cette place.

Il n’est pas nécessaire d’insister sur les avantages que ce site présente, surtout dans sa partie orientale, en vue d’aménagements défensifs. Si l’alimentation en eau de la ville n’a pu être assurée que par des puits rares et profonds, en revanche, les sources sont abondantes à la côte 70/75 mètres. La plus importante de toutes, qui a donné son nom à l’une des rues de la ville, est celle de la Font d’Espan, située à environ 250 mètres des anciens murs occidentaux.

Origine de la ville

Jusqu’à ces dernières années, une fort ancienne tradition faisait de Bazas une cité du Haut-Empire, héritière probablement d’un oppidum aquitain. Or, à la suite des travaux entrepris par L. Maurin, il convient, semble-t-il, de rajeunir singulièrement ces origines. Selon cet auteur, lors de la conquête de la Gaule par César, en 56 a.C., le peuple des Vasatesformait alors avec celui des Boiatesdu pays de Buch une confédération certainement vieille de plusieurs siècles – Basaboiates de Pline. La mention des Vasarii et de leur ville de Cossio par Ptolémée, au début du IIe siècle, témoignerait, selon L. Maurin, non pas de l’existence d’une cité des Vasates ou Vasati indépendante mais, tout au plus, de l’affirmation de l’individualité des Vasates à l’intérieur de la confédération. En effet, le site actuel de la ville, dont il n’y a, en revanche, aucune raison de penser qu’il ne fut aussi celui de Cossio, n’a livré pour le Haut-Empire, à la différence des autres cités de l’Aquitaine, ni inscription, ni vestiges, ni fragments de sculptures, mais seulement des tessons et des monnaies. Il ne pouvait donc s’agir alors que d’une médiocre bourgade. Dans ces conditions, Cossio ne serait qu’une création urbaine du IVe siècle, contemporaine du père d’Ausone qui en était originaire. Son essor correspondrait à la disparition de la cité des Boiates du pays de Buch qui ne survivait alors que par la tradition. Par ailleurs, au IVe siècle, la grande voie de Bordeaux à Toulouse, entretenue jusqu’aux temps de l’Empire gaulois est, peu à peu, remplacée par une voie intérieure passant par Bazas et Eauze qui ne fut pas seulement un itinéraire de pèlerins. Il est donc probable que le développement de Cossio au IVe siècle fut lié à celui de ce nouvel axe routier, peut-être aussi aux protections de certaines familles dont celle d’Ausone. Ammien Marcellin n’hésitait pas, en tout cas, à placer la cité au second rang de celles d’Aquitaine, immédiatement après Auch.

Si nous avons commencé par évoquer l’état actuel de la question des origines de la ville et non les données archéologiques et topographiques, c’est en raison de la médiocrité des unes et des dangers qu’il y aurait à se servir uniquement des autres pour tenter de reconstituer la Cossio Vasatum d’Ausone.

On ne saurait, ainsi, émettre la moindre hypothèse sérieuse sur l’extension de la bourgade du Haut-Empire, puisque les seuls vestiges qui s’y rattachent sont des monnaies aujourd’hui perdues. N’est-il pas, d’ailleurs, paradoxal que les rares découvertes antiques que l’on puisse localiser avec certitude aient été faites à la périphérie de la ville de la fin du Moyen Âge ? Vouloir, à partir de telles données, reconstituer l’occupation du sol aux Ier et IIsiècles, serait, ainsi, parfaitement hasardeux.

La cité antique

Il est, en revanche, certain qu’au début du Ve siècle, Bazas possédait une muraille ; les témoignages de Paulin de Pella et de Grégoire de Tours sont, à cet égard, formels ; mais les plus anciens vestiges encore conservés au siècle dernier étaient, sans conteste, postérieurs. En tout cas, lorsque, en 412, au lendemain du pillage de Bordeaux par les Goths, ceux-ci, renforcés par un groupe d’Alains vinrent investir Bazas, la cité était protégée par une muraille qui lui permit de résister. Quelques années auparavant, c’est aussi grâce à elle que les habitants avaient repoussé les assauts des Vandales de Genséric.

Est-il possible de restituer les contours de cette muraille et la topographie de la cité ? C. Jullian s’y était essayé et ses conclusions paraissent, aujourd’hui encore, tout à fait acceptables. Lorsqu’on examine le plan de la ville au début du XIXe siècle on remarque deux ensembles parfaitement distincts : le secteur occidental, constitué d’îlots d’assez vastes dimensions et de formes variées, rayonnant autour de la place, le secteur oriental correspondant à la pointe de l’éperon. La limite entre les deux affecte la forme d’un arc de très large rayon qui part, au sud, du palais épiscopal, longe ensuite la rue de la Brèche, puis traverse la place à cette hauteur et se prolonge en direction du nord, en suivant la limite des parcelles qui donnent d’un côté rue des Bancs-Vieux et, de l’autre, rue Bragoux. Cette limite est parfaitement visible sur le plan, car la partie postérieure de ces parcelles était encore au XIXe siècle, utilisée comme jardin. Elle correspond, d’ailleurs, à un changement de direction du rempart septentrional. L’aire, ainsi circonscrite dans laquelle C. Jullian a cru reconnaître celle occupée par la cité du Bas-Empire, recouvre 3 ha environ, surface qui correspond bien à une petite ville du IVe ou Ve siècle.

Une grand-rue – rue Taillade – traverse dans son grand axe et sur toute sa longueur ce quartier oriental. Avec deux rues parallèles – celle des Bancs-Vieux, au nord, et celle des Clercs, au sud, elle délimite deux grands îlots rectangulaires, eux-mêmes morcelés en ensembles de moindres dimensions par des ruelles transversales. La cohérence de ce plan, son adaptation à la topographie sont encore tout à fait sensibles aujourd’hui. C. Jullian voyait dans la rue Taillade un tronçon de la nouvelle route de Toulouse à Bordeaux, hypothèse d’autant plus vraisemblable qu’il semble de plus en plus que l’essor de la cité soit dû, pour une bonne part, à la mise en place de cet axe routier.

À cette première donnée fournie par le plan de la ville actuelle s’ajoute la description faite au début du XIIe siècle par le chanoine Garcias d’un groupe épiscopal constitué de trois édifices presque contigus et équidistants, dédiés, du nord au sud à saint Pierre, saint Etienne et saint Jean Baptiste. Ce même auteur précise qu’ils étaient situés dans les murs, au sud de la ville. Il est donc vraisemblable qu’ils occupaient l’emplacement de la cathédrale actuelle ou ses abords méridionaux. La construction de cet édifice ne fut, en effet, entreprise que dans le second tiers du XIIIe siècle et nous ignorons quels étaient les dimensions et l’emplacement de la cathédrale du XIe siècle dont il reste seulement le clocher. Il est, bien sûr, impossible de savoir à quelle époque remontaient les constructions décrites par le chanoine Garcias. En revanche, le groupe épiscopal existait déjà au VIe siècle au témoignage de Grégoire de Tours qui rapporte qu’en 582 les églises et les domusecclesiasticae furent incendiées.

Des découvertes archéologiques dont certaines remontent au XVIIe siècle, mais récemment confirmées, permettent, d’autre part, de préciser le paysage des environs de la cité aux VI-VIIe siècles. Une nécropole relativement vaste s’étendait entre les églises Saint-Martin et Notre-Dame, d’une part, et le quartier de la Targue situé plus à l’ouest, hors les murs de l’enceinte médiévale. Ce quartier de la Targue aurait, d’ailleurs, possédé jusqu’aux guerres de Religion une chapelle dédiée à saint Martial, d’où le nom de “Segrat de Sent-Marsau” qu’on lui a donné parfois. Quoi qu’il en soit, on a découvert, à proximité de l’église Notre-Dame – dont l’édifice actuel ne date que du début du XIIIe siècle – ainsi qu’à la Targue, des sarcophages en marbre de type aquitain (VI-VIIe s). Quant à l’église Saint-Martin et à ses abords, ils ont livré des sarcophages en pierre à décor de stries et de croix, contenant un mobilier qui permet de les dater aussi du VIe ou du VIIe siècle. Le fait que l’un des sarcophages de Saint-Martin reposait sur une partie maçonnée, laisse supposer que l’édifice avait déjà connu une reconstruction. On peut, donc, faire remonter au VIe siècle l’édification d’une première chapelle. Selon une tradition, rapportée au XVIIe siècle, un second cimetière avec une chapelle dédiée à saint Vital aurait existé à l’extrémité orientale de l’éperon, en dehors de la porte Taillade, à l’endroit où les Capucins s’établirent en 1613. On ne sait rien d’autre de la cité du VIe et du début du VIIe siècle, mis à part quelques noms d’évêques ayant participé à des conciles ou ceux des monétaires : on ignore en particulier à quel endroit se trouvait le monastère de moniales dont parle Grégoire de Tours (582). Peut-être était-ce sur l’emplacement du futur prieuré Saint-Vivien restauré au XIe siècle, situé sur le versant de rive droite du Beuve, face à la cathédrale.

La ville médiévale (XI-XIIIe siècles)

Avec les dernières années du VIIe siècle commence une période qui va durer trois cents ans, au cours desquels l’histoire de la cité plonge dans la plus complète obscurité. Plus que celles du Ve siècle limitées dans le temps et peu meurtrières, ce sont, en effet, les invasions dont le cycle débute vers 587 qui constituent par leur répétition la véritable coupure dans l’histoire de la cité, au cours de son premier millénaire. Ces invasions venues du sud : Vascons (VIIe-VIIIe siècle) et Arabes (VIIIe siècle) ou du nord : Austrasiens (VIIIe siècle) puis Normands (IXe siècle) réduisent certainement la cité à presque rien. En tout cas, à la fin du Xe siècle, la reprise des listes épiscopales témoigne indirectement de sa renaissance. Mais il faut attendre un siècle deplus pour en recueillir des manifestations tangibles : la reconstruction de la cathédrale entreprise, selon la Chronique, en 1070 et vraisemblablement achevée lors du passage d’Urbain II (1096), qui put consacrer le nouvel autel – il en reste la base du clocher ; le relèvement du prieuré de Saint-Vivien-hors-les-murs confié par l’évêque Raimond le Jeune aux moines de Saint-Florent de Saumur, en 1081.

En cette fin du XIe siècle, la ville n’était probablement pas sortie de l’enceinte du Bas-Empire ; deux cent cinquante ans plus tard, elle avait atteint les limites qui restèrent pratiquement les siennes jusqu’à la veille de la Révolution, tandis que son étendue passait de 3 à 6 hectares. On peut estimer, en effet, que le tracé des murailles tel qu’il apparaît sur le dessin du Hollandais de Weert, en 1612, et tel que le reproduit le plan du XIXe siècle remonte probablement, au plus tard, au milieu du XIIIe siècle. C’est à cette époque qu’il convient donc de se placer pour mesurer l’ampleur de l’essor qu’a connu la vieille cité. Au nord et au sud, la ligne des nouveaux remparts se confond naturellement avec les courbes de niveaux et prolonge les murailles de l’ancien castrum. Mais, en raison de l’élargissement de l’éperon vers l’ouest, les deux murailles divergent, délimitant ainsi un espace de forme triangulaire. La coupure avec le plateau est, en revanche, entièrement artificielle ; de ce fait, la muraille est ici parfaitement rectiligne et précédée d’un fossé. Ce qui frappe, à l’intérieur du périmètre ainsi circonscrit, c’est la présence d’une place dont les contours triangulaires ont, en quelque sorte, servi de moule à l’aménagement des secteurs bâtis périphériques. Or, cette place – attestée en 1308 – est exceptionnellement vaste (137 m x 80 m), couvrant une surface de 5 500 m2, soit 16 % environ de la surface totale du bourg médiéval et donc 8 % de la surface totale de la ville close. À son sommet, elle se raccorde au parvis de la cathédrale inclus dans la première enceinte ; de ses côtés et de ses angles divergent quatre rues principales aboutissant chacune à une porte (Bragoux, Paillas, Fon-d’Espan et Saint-Martin), ainsi que deux rues secondaires (Mirambet et Bibens) qui déterminent avec les murs extérieurs des îlots de forme trapézoïdale ou triangulaire. Mais ce schéma est quelque peu bouleversé dans la partie méridionale, en raison de la présence de l’église Notre-Dame-du-Mercadil qui occupe l’angle sud-ouest de la place et, à une centaine de mètres, en bordure de la rue Saint-Martin, de celle de l’église du même nom. Entre ces deux églises, et dans l’axe de la rue principale, s’est organisé un réseau de rues et de ruelles qui reproduit à une échelle réduite celui que nous avons rencontré dans la cité antique.

Le Bourg et la place

En raison de la rareté des sources écrites, c’est évidemment avec prudence qu’il convient d’analyser le plan de ce bourg en vue de reconstituer les grandes étapes de son développement au cours du Moyen Âge. Nous avons vu que le plan de la cité antique avait été probablement établi en fonction de la route de Bordeaux à Toulouse. De la même manière, celui du nouveau bourg a été, pour une large part, déterminé par des axes routiers : il s’agit, tout d’abord, du prolongement du précédent en direction de l’ouest (rue Paillas qui prolonge la rue Taillade) ; en second lieu, de l’amorce de la route des Petites Landes (rue Saint-Martin) ; enfin, du débouché de la route reliant Bazas à La Réole (rue Bragoux). Ce sont ces trois chemins qui ont constitué le réseau principal des rues du nouveau bourg. Ainsi, avant que ne soit aménagé, au XVIIIe siècle, le cours longeant les anciens remparts occidentaux, la route de Bordeaux à Bayonne traversait la ville par la rue Paillas et la rue Saint-Martin. De la même façon, c’est de la place et uniquement de cet endroit que partaient les routes de La Réole et de Toulouse puisqu’il n’existait aucun chemin contournant les remparts. En revanche, la rue Fon-d’Espan, comme l’indique son nom, n’a, semble-t-il, joué qu’un rôle secondaire, du moins jusqu’à la fin du Moyen Âge.

C’est à partir du carrefour né de la convergence en avant du parvis de la cathédrale et probablement hors les murs de la première enceinte des routes de Bordeaux, Bayonne et La Réole et de celle de Toulouse que s’est développée la Place. Mais son étendue exceptionnelle ne saurait s’expliquer uniquement par une croisée de chemins. Comme en témoigne le nom de la nouvelle église implantée dans l’un des angles, Notre-Dame-du-Mercadil, il ne fait aucun doute qu’un marché hebdomadaire et probablement aussi des foires se tenaient à proximité ; de nos jours encore, chaque samedi, la place s’anime de la cathédrale à Notre-Dame. On ne saurait dissimuler, cependant, que des villes d’une autre importance que Bazas ont possédé des places de marché infiniment plus modestes. Alors, pour rendre compte de cette anomalie, ne conviendrait-il pas d’invoquer d’autres facteurs tels que la topographie ou les conditions dans lesquelles le nouveau bourg s’est développé.

Comme le révèlent les points cotés portés aux différents angles de la place, la partie septentrionale (81 m) se présente en contrebas par rapport au parvis de la cathédrale, à l’ancien Présidial et au chevet de Notre-Dame (86 m). Bien que nous n’ayons pu reconstituer le réseau des anciens égouts, c’est à hauteur de la rue Bragoux que s’est toujours faite la collecte des eaux de la cuvette centrale : cette zone présentait donc des conditions peu propices à la construction. On notera, aussi, que la place n’est pas parfaitement triangulaire : vers l’est, elle se prolonge par un ombilic qui s’achève aux portails de la cathédrale. On se trouve donc ici davantage en présence d’une zone de raccordement entre l’ancienne cité et le nouveau bourg que d’une véritable place. D’autre part, les plus anciennes maisons bordant la place ne datent que du début du XVIe siècle : on ne saurait donc en conclure, même si cela est dans la plupart des cas vraisemblable, que les alignements actuels remontent tous au XIIe ou au XIIIe siècle. Ainsi, est-il tout à fait possible que des îlots bâtis aient occupé, soit la partie occidentale de la place, au débouché de la rue Paillas, soit l’ombilic. Dans une telle hypothèse, le tracé de la place actuelle ne serait que le résultat d’une longue série de retouches.

Quant à l’excroissance méridionale que constitue le quartier Saint-Martin, elle doit son origine à la présence de l’église qui doit remonter au VIe siècle, mais aussi aux avantages du site qui rappellent ceux de l’éperon (93 m à Saint-Martin et 82 m à 50 mètres de là, sur la route de Bayonne).

Le développement du bourg médiéval s’est produit entre le XIe et le début du XIVe siècle, mais il est pratiquement impossible d’en jalonner les étapes. En 1136, à l’occasion du conflit qui opposait alors les évêques d’Agen à ceux de Bazas, l’église Saint-Martin, la cathédrale et une partie de la ville auraient été incendiées ; en revanche, le chanoine qui rapporte ces événements, ne fait aucune allusion à l’église Notre-Dame qui aurait dû pourtant se situer au cœur des combats. Certes, l’édifice actuel est plus récent d’un siècle environ, mais il fut vraisemblablement précédé par une chapelle. Doit-on en conclure qu’au début du XIIe siècle ce secteur n’était encore que très faiblement habité ? L’ignorance dans laquelle nous sommes de la date de fondation de la paroisse ainsi que de ses limites ne permet d’émettre aucune hypothèse sur les étapes de la formation du bourg. Un fait est seulement certain : lorsque, dans les années 1230, fut édifiée l’église Notre-Dame, il était prospère.

C’est de son rôle d’étape que le bourg a tiré pour une bonne part son essor. La place-carrefour a vu ainsi passer les voyageurs de Saint-Jacques qui utilisaient la voie de Vézelay et qui, venant de La Réole et Langon, prenaient ensuite la route des Petites Landes. Mais, mis à part une vague tradition sur la présence au cimetière de la Targue de sarcophages ayant contenu les restes des compagnons de Roland, il ne reste aucun témoignage monumental du passage des pèlerins, à moins que l’hôpital attesté depuis le début du XVIe siècle en bordure de la route de La Réole n’ait toujours occupé cet emplacement. Mais les pèlerins ne furent pas les seuls à utiliser la voie, qui partant de Bazas, permettait d’atteindre soit Mont-de-Marsan et Bayonne, soit Aire et le Béarn. Dans un duché réduit depuis 1224 à sa partie méridionale, Bazas occupait désormais une position centrale sur un axe vital. On ne saurait non plus oublier que, si la voie du Bas-Empire reliant Bordeaux à Toulouse avait vu son tracé modifié, c’est de Bazas que partait toujours le chemin conduisant à Auch et de là aux portes du Languedoc.

Pour le reste, le nouveau bourg de Bazas fut sans conteste un centre de marchés et de foires – celle de Saint-Martin fut instituée en 1340 – dont l’importance s’explique par la situation de la ville au contact des Landes, pays d’élevage, et du Pays mêlé, région de polyculture. La place ne devrait-elle pas en partie ses dimensions exceptionnelles au fait qu’elle était le siège des foires aux bestiaux, exilées plus tard hors les murs ? C’est donc une population de bourgeois, marchands et artisans qui peuplait le Bourg-neuf : entre le pouvoir en déclin de l’évêque et celui montant du roi-duc – Bazas est avec Bordeaux, Dax et Bayonne, siège de la cour de Gascogne – ils surent, après l’échec d’une commune, se faire octroyer une jurade et participèrent ainsi à l’administration de la ville.

La cité

Qu’était devenu entre-temps l’antique castrum ? Pour les Bazadais de la fin du XIIIe siècle, ce n’était plus que le bourg de Jactaillade ; mais il avait conservé son individualité puisqu’il restait séparé du Bourg-neuf par une muraille percée d’une porte à l’extrémité de la rue Taillade. Au fur et à mesure que se développait le Bourg-neuf, il était, semble-t-il, devenu de plus en plus le quartier des clercs. À la vieille cathédrale édifiée dans les dernières décennies du XIe siècle, avait succédé un nouvel édifice dont la construction, commencée en 1233 par les portails occidentaux, ne s’acheva qu’au début du XIVe siècle, par le chœur et le déambulatoire – grâce à la générosité de Clément V. À l’angle sud-ouest de la cathédrale s’élevait le château, résidence d’un évêque dont le diocèse était certes modeste, mais qui était aussi seigneur temporel de la ville – pouvoir qu’il avait d’abord exercé seul puis partagé avec ses chanoines (1140) et avec le roi-duc (1283). C’est d’ailleurs à l’occasion de ce paréage que l’évêque se fit reconnaître l’entière juridiction sur le quartier de Jactaillade, situé de part et d’autre de la rue des Clercs entre la rue Taillade et le rempart méridional, avec faculté de le ceindre d’une muraille. Nous ignorons si cette disposition fut suivie d’effet, mais c’est en tout cas dans ce quartier que s’édifièrent, désormais, les demeures des chanoines dont celle du grand archidiacre qui jouxtait le chevet de la cathédrale.

Les faubourgs

Avec ses 1 500 m de remparts, enfermant l’antique castrum et le bourg médiéval, Bazas était ainsi, au début du XIVe siècle, une des villes moyennes du duché et l’on peut estimer à 3 000 le nombre de ses habitants. Il semble, cependant, que l’essor du XIIIe siècle qu’illustrent les chantiers de la cathédrale et de Notre-Dame, se soit poursuivi jusqu’aux premières années du XIVe siècle, comme en témoigne l’existence de faubourgs à une époque déjà avancée de ce siècle : si l’on en croit la Chronique,il y avait encore en 1369, trois faubourgs, ceux de Fondespan, de Paillas et de Bragoux. À quelle époque remontaient-ils et quelle était au juste leur étendue ?

La muraille occidentale fut probablement édifiée avant le milieu du XIIIe siècle ; aussi, peut-on estimer que les faubourgs commencèrent à se développer au cours du dernier tiers de ce siècle : les Cordeliers s’établirent, en effet, en bordure du chemin de Langon, avant 1283. Mais, le plus sûr des témoignages dont on puisse disposer sur l’extension des faubourgs n’en demeure pas moins le tracé des enceintes dont ils furent souvent dotés à partir du début du XIVe siècle. Qu’en est-il dans le cas de Bazas ? Du côté de l’ouest, à Fondespan et Paillas, si l’existence d’un faubourg muré ne peut être établie pour l’instant avec certitude, une telle hypothèse ne saurait être écartée : en effet, sur le dessin de J. de Weert on distingue tout autour du couvent des Cordeliers une muraille flanquée d’une tour ; d’autre part, diverses mentions font état au XVIIIe siècle d’un ancien mur de ville à proximité de ce même couvent, ainsi que de fossés de la ville au couchant de son enclos ; en 1760, enfin, la ville possédait encore sur l’emplacement de la partie occidentale des allées Esmangeard, un vacant alors bouleversé par d’anciennes carrières. Certes, rien ne prouve que les fortifications des Cordeliers n’étaient pas uniquement destinées à la défense du couvent et il n’est pas du tout certain qu’elles remontaient au XIVe siècle. Mais, lorsqu’on examine le tracé de la voirie du XIXe siècle dans le quartier de Fondespan et de Paillas on ne peut qu’être frappé par l’existence d’une sorte de circuit clos qui pourrait fort bien avoir épousé le tracé d’une enceinte : partant de la Porte Paillas, elle aurait longé la route de Bordeaux jusqu’aux Cordeliers qui auraient ainsi constitué une sorte de bastion avancé : de là, tournant à angle droit et longeant la chaussée de la gendarmerie elle serait descendue jusqu’à Fondespan, pour rejoindre la muraille occidentale à hauteur de Saint-Martin ou légèrement plus au nord. Même en admettant qu’il ne se soit agi que d’une enceinte sommaire, l’hypothèse peut-elle être retenue, si l’on songe que la surface ainsi enclose atteint près de 3 ha ? Probablement oui, si l’on suppose qu’au début du XIVe siècle une grande partie de cette surface était encore en culture, situation qui à cette époque n’a rien d’exceptionnel comme en témoignent les exemples voisins de La Réole et Marmande.

Il est, en revanche, à peu près certain que le faubourg de Bragoux ou de Saint-Antoine fut doté d’une muraille : probablement parce qu’il était moins étendu et peut-être plus densément peuplé. On distingue, en effet, sur le dessin de J. de Weert, une muraille qui relie le quartier de l’Hôpital au creux du vallon, à l’enceinte de la ville. Le chanoine Dupuy, contemporain de J. de Weett, évoque, de son côté, le faubourg de Bragoux dont il précise qu’il était entouré d’un rempart flanqué de tours et dont seule une partie subsistait à son époque, l’autre ayant été récemment détruite, sans doute au cours des guerres de Religion. Il y a donc tout lieu de penser que ces fortifications remontaient à l’époque médiévale et, plus probablement, à la première moitié du XIVe siècle.

D’une crise à l’autre (1324-1590)

De même que la plupart des villes d’Aquitaine, Bazas connut, à partir du second quart du XIVe siècle, une période de stagnation et même de régression qui se prolongea certainement jusqu’au milieu du siècle suivant. Le changement se produisit au lendemain de la guerre de Saint-Sardos (1324-1325), lorsque la ville prise par les troupes françaises demeura dans les mains du roi de France, et de ce fait, occupa désormais, une situation de ville frontière. Cela lui valut d’être prise et reprise par les Anglais (janvier 1347), les Français (1370), et de changer ensuite plusieurs fois de mains jusqu’à la conquête par les Français en 1442. Tout au long du XIVe et du XVe siècles l’enceinte fut renforcée et les tours, portes et poternes furent restaurées et reconstruites. Mais les restes de murailles encore visibles au milieu du XIXe siècle étaient déjà trop modestes pour qu’on puisse apprécier l’importance des constructions médiévales. Un seul vestige intéressant subsiste : la poterne de la Brèche. Depuis la fin du Moyen Âge le nombre des portes n’a plus varié : Saint-Martin, Fondespan et Paillas au sud, Taillade à l’est, Bragoux au nord, qui correspondent aux principaux axes de circulation. Notons, au passage, que la “porte” du Gisquet ou du Guichet ne fut probablement, jusqu’au début de l’époque moderne, qu’une poterne. Quant aux tours, rondes pour la plupart, qui flanquaient la muraille et dont six subsistaient encore à la fin du XVIIIe siècle, elles étaient surtout nombreuses entre les Portes Saint-Martin et Bragoux, à l’endroit où la muraille ne s’appuyait plus au rocher. Sur toute la face ouest, ces murs étaient d’ailleurs précédés d’un large fossé et les portes protégées de barbacanes.

La succession des sièges, mais aussi les pestes des XIVe et XVe siècles ont, en général, été fatals aux faubourgs des villes. Qu’en fut-il de ceux de Bazas ? Inégalement fortifiés, semble-t-il, ils connurent des destinées différentes. Si celui de Bragoux paraît avoir subsisté jusqu’aux guerres de Religion, en revanche, ceux de Paillas et de Fondespan ne résistèrent pas aux épreuves du temps.

Le siècle qui sépare la fin de la Reconquête française du début des guerres de Religion aurait dû être pour Bazas une époque de reconstruction. Mais, les témoignages et les vestiges matériels en sont fort modestes, du moins ceux qui nous restent, car les archives de cette époque ont disparu et la ville eut, par la suite, beaucoup à souffrir du passage des Réformés. En tout cas, les impressions que l’on recueille sont contradictoires : d’un côté on assiste à la construction de maisons comme celle dite d’Andrault sur la Grand-place, à l’achèvement des étages supérieurs de la façade de la cathédrale ou encore à la construction d’un marché (1485), peut-être sur l’emplacement actuel des halles, en avant de la mairie. La création de nouvelles foires et d’un marché hebdomadaire, en 1491, fait écho à cette décision et l’établissement d’un Présidial, en 1553, faisant de Bazas une ville d’officiers, ne pouvait qu’avoir de bénéfiques influences sur son avenir monumental.

Mais, en 1480, les jurats obtiennent la réduction de leur nombre de douze à quatre, en raison de la diminution de la population : la chose n’a en soi rien d’étonnant au lendemain d’un siècle de guerres et il est fort probable qu’il ne devait alors rester que bien peu de chose des faubourgs médiévaux, sauf peut-être à Bragoux où un cimetière est consacré près de l’hospice Saint-Antoine (1516). Mais l’établissement d’un nouveau cimetière près d’une cité durement éprouvée est un triste symbole. Sans doute répond-il à une nécessité : l’insuffisance des cimetières de la ville lorsque se produisent des épidémies de peste comme celles de 1504, 1508, 1530, 1548.

Or, quelques années plus tard, la ville allait connaître les guerres de Religion : cité épiscopale, elle en souffrit cruellement, en particulier dans ses monuments religieux. Prise une première fois par les Réformés durant la nuit de Noël 1561, reprise par les catholiques au début de l’année suivante, repassée aux mains des protestants la veille de l’Ascension de 1562, la ville revint ensuite aux catholiques jusqu’en 1576. Si, jusque-là, les intrusions des protestants s’étaient soldées par des pillages, les sept années d’occupation de la ville par les Réformés (1576-1583) furent accompagnées de la destruction systématique des édifices religieux. Il ne restera ainsi de la cathédrale que le clocher, le chœur et la façade occidentale que les protestants respectèrent moyennant 10 000 écus. Quant à Notre-Dame, elle fut réduite à des pans de murailles.

La restauration (XVIIe siècle-1760)

C’est cette ville, encore mal remise des guerres de Religion que montre la vue cavalière de J. de Weert (1612). Ce qui frappe tout d’abord, c’est l’absence de faubourgs, à l’exception de quelques maisons regroupées autour de l’hôpital Saint-Antoine, en bordure de la route de La Réole. Ces maisons, avec deux autres que l’on aperçoit en face du couvent des Cordeliers, à droite de la vue, sont les seules qui restent hors les murs. On note en particulier l’absence de toute construction au débouché de la Porte Paillas, en direction de l’Eyre Vieille.

Une telle situation ne saurait surprendre au lendemain de près de quarante années de luttes acharnées autour de la ville. Les traces en sont encore parfaitement visibles. La cathédrale, l’église Notre-Dame, les Cordeliers n’ont encore retrouvé ni leurs murs ni leur toiture. Mais, si ces édifices sont reconnaissables, la plupart des autres soulèvent des problèmes d’identification : ainsi, les grands murs et la tour carrée que l’on distingue à droite du clocher de la cathédrale correspondent-ils à Notre-Dame, hypothèse la plus vraisemblable, mais difficilement conciliable avec les lois de la perspective. Dans ce cas, l’édifice découvert, dont deux petites croix ornent les pignons, serait probablement Saint-Martin. Que sont, enfin, ces édifices aux toits aigus, surtout nombreux dans l’ancien castrum : faut-il y voir des maisons de chanoines ou des demeures de l’aristocratie ?

Le début du XVIe siècle inaugure une période de reconstruction qui va durer, semble-t-il, jusqu’au milieu du XVIIIe siècle ; mais, jusqu’à cette époque, sauf exception, la ville ne sortit guère de ses murailles médiévales.

Celles-ci, une fois la Fronde passée, ne lui sont plus d’aucune utilité ; or, non seulement elles vont être conservées, mais parfois même restaurées. Il y a à cela une raison pratique : sur plus des deux tiers de leur périmètre, les remparts épousent les contours de l’éperon. Ils jouent ainsi un rôle de mur de soutènement, quand ils ne constituent pas la partie postérieure des bâtiments : aussi, se contente-t-on de les araser au niveau des cours ou de les percer d’ouvertures (1735). Si, en 1739, on décide de démolir deux ouvrages qui masquent les portes Fondespan et Paillas, en revanche, en 1689-1701, le chanoine Lespinasse procède à ses frais à la restauration de la Porte du Gisquet et, en 1766, les jurats font reconstruire la porte Taillade. De même, en 1741, ils font réparer les murs entre Paillas et Fondespan et, quelques années plus tard (1749), rejettent une proposition du supérieur du séminaire qui suggérait de faire démolir deux tours situées entre ces deux portes afin d’en récupérer la pierre : leur destruction aurait entraîné la chute du mur. Sans doute faut-il voir dans cette attitude la manifestation d’un esprit de conservatisme, un désir de mieux surveiller l’entrée des vins forains dans la ville, mais aussi la preuve que, jusqu’à cette époque, le besoin ne s’était pas encore fait sentir d’ouvrir les murs médiévaux.

En revanche, la période qui va des années 1630 aux années 1760 fut, surtout, celle au cours de laquelle furent construits ou repris la plupart des immeubles qui constituent encore aujourd’hui l’essentiel du patrimoine immobilier de la ville. À l’occasion de cette restauration, on assiste au remodelage de la géographie des groupes sociaux et par conséquent à celui du paysage monumental. Si la cité reste le quartier des clercs et des résidences aristocratiques, si celui de Saint-Martin devient, s’il ne l’était déjà, celui des petites gens – la modestie des parcelles bâties en témoigne – une nouvelle répartition se produisit autour de la place entre commerçants, propriétaires fonciers et hommes de loi à la suite de la création du Présidial (1553).

Il ne fait aucun doute que nombre de maisons qui entourent la place actuelle furent construites par des familles appartenant à la noblesse de robe et au barreau. C’est d’ailleurs sur la place que fut établi le Présidial. Mais, jusqu’en 1729, il se trouvait en arrière de la Halle. Plutôt que de le restaurer, il fut alors décidé de construire un nouveau palais donnant directement sur la place : c’est celui que l’on aperçoit encore aujourd’hui. La Grande Halle qui abritait foires et marchés rappelait la vocation ancienne du bourg médiéval : elle complétait le quartier commerçant que constituaient les trois rues passantes de la ville : Paillas, Fondespan et Bragoux.

Dès 1605, à une époque où la rénovation monumentale de la place avait à peine commencé, l’auteur des Honneurs funèbres de Mgr de Pontac n’hésitait pas à la qualifier “d’une des plus belles et plus spacieuses qui se puissent”. L’achèvement au cours du siècle de son encadrement de maisons à pignon et cornières – les plus anciennes remontent au début du XVIe siècle – lui donna son cachet définitif. Tout au long de l’époque moderne, elle resta donc le “chœur” de la ville, lieu de toutes les manifestations publiques : foires, marchés, fêtes (feux de Saint-Jean) et même jusqu’au milieu du XVIIe siècle, arènes où l’on courait le taureau. Pourquoi s’étonner, dès lors, de la réticence des Bazadais à s’établir hors les murs ?

C’est en effet aux évêques et non aux habitants que l’on en doit l’initiative. Le XVIIe et le XVIIIe siècles virent ainsi se succéder fondations et restaurations de couvents et d’établissements d’enseignement pour lesquels les emplacements firent vite défaut à l’intérieur de la vieille cité. Les édifices du culte furent tout d’abord restaurés – la cathédrale de 1583 à 1635 – ainsi que le palais épiscopal, mais assez modestement, semble-t-il. Incendié en 1667, il fut reconstruit par Mgr de Gourgues et complété par de belles terrasses donnant sur les remparts au midi. Un jardin fut aussi aménagé sur l’emplacement de l’hôtel du grand archidiacre, à l’est du chevet de la cathédrale et un nouvel hôtel édifié dans son prolongement. Mais le caractère ecclésiastique du quartier de la rue des Clercs et de la rue Taillade fut encore accru par l’installation de deux établissements d’enseignement : en 1632, celui des Ursulines, à l’extrémité de la rue des Clercs ; en 1681, celui des Barnabites, qui prennent alors en main, rue des Bancs-Vieux, le séminaire et un collège installé au moins depuis 1602.

En fait, dès 1613, la pénurie de terrains s’était fait sentir : cette année-là, Mgr Jaubert de Barrault ayant appelé les Pères Capucins ne put leur offrir que l’emplacement de l’ancien cimetière Saint-Vital à l’extrémité de l’éperon, hors la Porte Taillade. On ne s’étonnera donc pas si, lorsqu’en 1693 Mgr de Gourgues voulut séparer le séminaire du collège, il fut obligé de l’établir sur un vaste terrain situé sur la route de Bordeaux, face aux Cordeliers. C’est probablement pour les mêmes raisons qu’il fit reconstruire l’hôpital sur son ancien emplacement au faubourg Saint-Antoine.

Or, non seulement, la construction de ces enclos n’entraîna pas le développement d’un nouvel habitat, mais semble même y avoir fait obstacle. Sur un plan de 1760, champs et vignes entourent encore la ville de Bragoux à Saint-Martin. Au-delà du mur occidental, encore précédé de larges fossés, on ne distingue que quelques maisons isolées : une auberge sur la route de Bordeaux, quelques échoppes le long du chemin de l’Eyre Vieille, quelques autres à la périphérie de ce champ de foire qui correspond en gros à l’emplacement des allées Saint-Sauveur.

Nouvel essor de la ville à partir du milieu du XVIIIe siècle

Si, jusqu’aux environs de 1760, le besoin ne se fit pas sentir de disposer de terrains pour y édifier de nouveaux immeubles, la situation se modifia alors de manière sensible : dès 1768, la jurade projetait de concéder des terrains pris sur les cimetières ou aux sorties des principales portes et, en 1779, la population augmentait au point que l’on trouvait difficilement à se loger. 

La jurade décida donc, en 1763, de transférer hors les murs les cimetières urbains de la cathédrale, de Notre-Dame et de Saint-Martin, mais ce ne fut peut-être pas uniquement pour des raisons d’hygiène. Dès 1771, on avait commencé à construire sur l’emplacement de l’ancien cimetière Notre-Dame et même contre les murs de l’église puis, à partir de 1779, ce fut sur celui des anciens fossés occidentaux et même aux allées Esmangeard récemment aménagées.

C’est aussi à la même époque que l’on assiste, grâce aux efforts conjugués de la jurade et des subdélégués, à l’aménagement des abords de la ville : création des allées Tourny (1745-1752), en contrebas des remparts nord, de la Porte Bragoux à la Porte Taillade ; des allées Saint-Sauveur – du nom du dernier évêque – sur l’emplacement de l’Eyre Vieille ; des allées Esmangeard sur un vacant de la ville (1766), qui devinrent le nouveau foirail ; réfection du Pont des Arches (1745) sur la route de Bayonne et de la chapelle de l’Hôpital (1766) ; construction de fontaines ; enfin, aménagement d’un boulevard en avant des remparts pour relier la route de Bordeaux à celle de Bayonne (après 1773) et ouverture du chemin de Pichebin (1780).

Mais il ne faudrait pas exagérer ce développement finalement médiocre de Bazas dans le dernier tiers du XVIIIe siècle. On ne saurait, d’ailleurs, s’en étonner, car les fonctions exercées par la ville n’ont guère changé depuis le Moyen Âge. Aucun grand commerce, aucune industrie notable – que sont quelques tanneries et moulins ? – aucune production agricole à caractère spéculatif ne sont venus animer cette cité de clercs, d’officiers et de propriétaires fonciers qui ne s’éveille qu’au passage des diligences, aux jours de fêtes religieuses, de foires et de marchés.

La révolution paradoxalement n’entraîna pas de bouleversement dans le paysage urbain et fort peu, semble-t-il, dans les structures de la population. Certes, les couvents furent fermés ainsi que le séminaire, l’évêché disparut et les édifices du culte furent momentanément désaffectés. Mais, finalement, les seules églises qui disparurent furent celles des Cordeliers et de Saint-Martin. Les Capucins et Notre-Dame devinrent propriétés privées, tandis que les autres monuments de la ville reçurent une nouvelle affectation parfois, d’ailleurs, fort proche de celle qu’ils avaient au XVIIIe siècle : l’évêché devint hôtel de la sous-préfecture, et le Présidial, palais de justice. L’ancien séminaire, après diverses destinations – école secondaire ecclésiastique, collège communal puis, petit séminaire – redevint, en 1828, collège diocésain ; les Frères des Écoles chrétiennes succédaient, en 1807, aux Ursulines, lesquelles s’installaient, en 1819, dans les anciens locaux du collège des Barnabites. Le Bazas monumental de 1830 ressemble donc à celui de l’Ancien régime.

La ville aussi : certes, les anciennes portes ont définitivement disparu, sauf celle du Gisquet ; un cours établi en avant des anciens fossés occidentaux permet maintenant aux voyageurs se rendant de Bordeaux à Bayonne d’éviter la traversée de la ville (RN, n° 10), il en est de même pour ceux qui veulent gagner La Réole. Mais, pour prendre la direction de Toulouse, il faut toujours utiliser la vieille rue Taillade. Les allées de Tourny sont encore une promenade que l’on a prolongée, en 1817, par les allées Tournon, au pied des remparts méridionaux. Quelques constructions nouvelles sont apparues le long des “cours” et en bordure du chemin de l’Eyre Vieille, en direction du foirail.

La ville du début du XIXe siècle ne diffère donc guère – qu’il s’agisse de son étendue ou de sa population (2 500 habitants environ) – de ce qu’elle était cinq siècles auparavant. Si, comme d’autres, elle n’a connu au cours de l’époque moderne qu’une stagnation dont elle n’a commencé de sortir qu’au dernier tiers du XVIIIe siècle, elle a largement bénéficié du XIe au XIIIe siècle de l’essor démographique et économique de l’ensemble du duché aquitain. Elle constitue ainsi un bon exemple de ville mixte associant à un castrum antique devenu siège d’un évêché, un bourg marchand médiéval.

Sources et bibliographie

1. Sourcesmanuscrites

Arch. dép. Gironde, série C 354, 357, 747, 949, 1262, 1918B, 2661, 3089 ; série T : 159 T2, 157 TIA, 161 T2. Arch. Communales : E supplément 1657, 1658 (registres de délibérations de la Jurade).

2. Plans et vues

Le plus ancien plan cadastral de la commune actuellement conservé est celui de 1831. Un plan plus ancien levé en 1817-1819, reproduit en 1825 par C. Jullian, a disparu. Nous avons aussi utilisé des plans de la seconde moitié du XVIIIe siècle conservés aux Arch. dép. de la Gironde : C 4501 (1780 : Porte Bragoux) ; C 1785 (alignement de la rue Bragoux) ; C 4240 ; C 949 (faubourgs occidentaux vers 1760). La seule vue ancienne de Bazas est celle du voyageur hollandais de Weert (1612).

3. Sources imprimées

Baptista Salvatoris, éd. Dom Aurélien, L’apôtre saint Martial et les fondateurs apostoliques des églises des Gaules…, Toulouse 1880. – Chronicon Vasatense, éd. E. Piganeau, dans Arch. hist. de la Gironde,t. XV, en particulier la préface de G. Dupuy, p. 5-6. – Gouron (M.), Les chartes de franchises de Guienne et Gascogne, Paris, 1935, n° 399-428. – Vieiliard. Troiekouroff (May), LesmonumentsreligieuxdelaGauled’aprèslesœuvresdeGrégoire de Tours, Paris, 1976, p. 50-51.

4. Ouvrages

D’Anglade (J.-R.), Aperçu sur l’histoire de Bazas depuis les origines jusqu’à laRévolution, Bordeaux, 1913. – Des Moulins (Ch.) et Drouyn (L.), Quelques faits à ajouter à la description monumentale de la ville de Bazas, Caen, 1846 (extrait du Bulletin monumental, t. XII, 1846, p. 637-697). – Drouyn (L.), La Guienne militaire, Bordeaux-Paris, 1865, t. I, p. 204-209. – Féret (E), Essai sur l’arrondissement de Bazas, ses monuments et ses notabilités, Bordeaux, 1893, p. 3-13. – Gardelles (J.), Les portails occidentaux de la cathédrale de Bazas, dans Bulletin monumental, t. 133-rv, 1975, p. 285-310. – Jullian (C.), Notes gallo-romaines, CVI : l’enceinte gallo-romaine de Bazas, dans Revue des Études anciennes, t. XXVII, n° 2, avril-juin 1925, p. 119-120. – Les enceintes de Bazas, dans Compte-rendu des travaux de la commission des monuments historiques du département de la Gironde, pendant l’année 1845-1846, p. 44-48. – Lummeaux (B.), L’administration municipale de Bazas au XVIIIesiècle (D. E.S. Droit, Bordeaux I) – Voir aussi Cahiers du Bazadais, n° 29, 1e trim. 1975, p. 1-15 ; n° 32, 1e trim. 1976, p. 15-24 ; n° 37, 2e trim. 1977, p. 17-26. – Marquette (J. B.), Richesses archéologiques du Bazadais, Bazas, dans Les Cahiers du Bazadais, n° 11, déc. 1966, p. 2-12 ; n° 13, déc. 1971, p. 1-19 ; n° 14 mai 1968, p. 1-10. – Maurin (L.), Les Basoboiates, dans les Cahiers du Bazadais, n° 20-21, 1971, p. 1-15. – O’Reilly (abbé P.J.), Essai sur l’histoire de la ville et de l’arrondissement de Bazas, Bazas, 1840. – Vallery-Radot (J.), Bazas, dans Congrès archéologique de France, 1939, Paris, 1941, p. 274-300.

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EAN html : 9782356135094
ISBN html : 978-2-35613-509-4
ISBN pdf : 978-2-35613-511-7
Volume : 4
ISSN : 2827-1912
Posté le 15/11/2025
13 p.
Code CLIL : 3385
licence CC by SA
Licence ouverte Etalab

Comment citer

Marquette, J. B., “Atlas historique des villes de France. Bazas”, in : Boutoulle, F., Tanneur, A., Vincent Guionneau, S., coord., Jean Bernard Marquette : historien de la Haute Lande, vol. 1, Pessac, Ausonius éditions, collection B@sic 4, 2025, 199-212, [URL] https://una-editions.fr/atlas-historique-des-villes-de-france-bazas
Illustration de couverture • d'après “Atlas de Trudaine pour la ‘Généralité de Bordeaux n° 6. Grande route de Bordeaux à Bayonne. Les douze premières cartes du plan de cette route. Cy 15 cartes’.
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