Paru dans : Revue de l’Agenais, 140, n° 3, 2013, 297-328.
Sept siècles durant, Casteljaloux fut une ville bazadaise située aux confins des diocèses de Bazas et d’Agen, séparés par le cours de l’Avance. Affluent de la Garonne, l’Avance est une rivière paresseuse jusqu’à hauteur de Casteljaloux, avant de couler, en aval, dans une vallée large et profonde. Un château fut établi, probablement dans la seconde moitié du XIe siècle, à l’endroit où la rivière est traversée par un chemin qui, venant de Bazas, se dirige vers Nérac. C’est celui de la route de Bordeaux à Toulouse, celle de l’intérieur, empruntée en 1096 par le pape Urbain II. Autour du château se développa un habitat qui devint un bourg fortifié : Casteljaloux était né.
Possession des Albret, peut-être dès ses origines, Casteljaloux devint, au XIIIe siècle et au début du XIVe, leur résidence préférée. Un lien affectif les rattachait à cette ville et à sa seigneurie. Amanieu VII (1294-1326) considérait Casteljaloux comme le “capdulh” de sa famille. Il invoqua sa coutume lorsqu’il fit son testament. C’est à Casteljaloux que les Albret reposaient dans le couvent des frères de saint François. La seigneurie qui s’étendait sur les deux rives de l’Avance occupait, dès le milieu du XIIIe siècle, le centre des possessions de la famille, entre Meilhan et Aillas à l’est, Nérac au sud, Cazeneuve et Castelnau de Cernès à l’ouest. Casteljaloux devint plus tard l’une des quatre sénéchaussées du duché d’Albret, créé en 1550 par Charles IX en faveur de Henri II, roi de Navarre, à titre personnel, puis transformé en duché-pairie, en 1556, pour sa fille Jeanne et qui le resta jusqu’à la Révolution.
Or, aujourd’hui encore, l’histoire des origines de Casteljaloux est loin d’être connue. On le doit essentiellement à la disparition des archives de la période médiévale. Revenues de Pau à Nérac à la suite de la cession, en 1651, par Louis XIV du duché d’Albret à Frédéric Maurice de La Tour d’Auvergne, duc de Bouillon, les archives de la seigneurie disparurent lors de la Révolution en même temps que celles du duché1. Casteljaloux a aussi perdu son château, ses murailles, ses églises et ses couvents du Moyen Âge.
Deux questions se posent à l’historien : celle de la date, controversée, à laquelle les Albret sont devenus seigneurs de Casteljaloux et celle de la morphogenèse du bourg castral du XIe au XIIIe siècle. S’il ne fait aucun doute que la ville de Casteljaloux est née et s’est développée autour d’un château, est-il possible de reconstituer les étapes de son développement ? Avant d’évoquer les divers éléments du dossier, il nous paraît nécessaire de faire d’abord connaissance avec une ville dont la topographie n’est pas forcément familière à nos lecteurs. Pour cela nous avons fait appel aux plus anciens plans connus de Casteljaloux : le Plan de la ville de Casteljaloux et de ses environs situés dans le duché d’Albret et le Plan de la ville de Casteljaloux de 17642.
Les données du plan
La vallée de l’Avance
Le premier plan nous fait découvrir la ville et ses faubourgs ainsi que la vallée de l’Avance. La rivière coule du sud vers le nord, mais, en amont de la ville qu’elle borde au sud, elle part à angle droit en direction de l’est jusqu’à hauteur du château où elle reprend la direction du nord, décrivant une sorte de Z étiré.
C’est dans le second angle ainsi formé que le château et la ville se sont “logés” afin d’utiliser au mieux les éléments défensifs que pouvaient offrir, au sud et à l’est, le cours de la rivière et, probablement au nord-ouest, un autre bras. En fait, l’Avance et les marais qui la bordent dessinent un espace triangulaire dont Casteljaloux occupe la zone centrale. En amont, au sud, la rivière coule au milieu de prairies et d’importants marécages. Le marais correspond aux lettres Z et & du plan et aux n° 1 à 5 sur la rive droite, et 6 à 9 sur la rive gauche : les lots de rive droite, détenus par des particuliers, se présentent sous forme de longues parcelles portées, tantôt en marais, tantôt en pré. L’auteur du plan a ajouté : “Le marais se continue 1700 toises (3400 m) de longueur sur 300 et 360 (600 et 720 m) de largeur. Ce terrain est sans culture, il ne produit que des broussailles et quelques auniers (aulnes ou vergnes). La rivière ce divisent (sic) en tant de rameaux diffèrent que ce canton est inabordable, ce qui a empéchés d’en lever le plan jusqu’à son estrémité [en direction du sud].”
À la différence de la partie méridionale de la basse vallée entièrement en marais, la partie septentrionale abrite le château et la ville de Casteljaloux. Il ne faudrait pas en déduire que le marais ne l’ait pas plus largement occupée aux origines de la ville. Les murailles qui l’enserrent sont en effet bordées : au sud, par le marais sur lequel est d’ailleurs implanté le château ; à l’est par la rivière ; au nord, par un bas-fond humide.
Le tracé de l’enceinte épouse ainsi les faibles accidents du relief et la ville apparaît comme une presqu’île se rattachant, à l’ouest, à la terrasse. C’est là qu’arrive la route de Bordeaux à Toulouse qui traverse la ville en droite ligne, de l’ouest vers l’est, jusqu’au pont jeté sur l’Avance.
Le marais de rive gauche qui sépare, au sud, la ville de l’Avance a été occupé et aménagé aux origines de la ville. On distingue, vers l’est, à l’intérieur du méandre qui oriente une nouvelle fois le cours de la rivière, les “masures d’un ancien château” (A). Ce château occupe la partie septentrionale d’une ancienne île de forme ovale, de 160 m est-ouest sur 80 m du nord au sud, couvrant une superficie de 1,3 ha environ. Si l’Avance la borde encore au sud et à l’est et par un ancien bras au sud-ouest, du côté nord, la muraille de la ville, qui fait un rentrant à cet endroit, épouse manifestement le cours de cet ancien bras qui rejoignait le cours principal à hauteur du pont. Il reste du château qui occupe le tiers est de l’île deux bâtiments de plan barlong ainsi que deux éléments de la courtine : un mur rectiligne au sud, une tour circulaire à l’angle nord-est, d’où partent les amorces des murs est et nord. Le reste de l’île en jardin ou en prairie correspond à l’ancienne basse cour du château.
En aval, le cours de l’Avance, la muraille nord de la ville et la limite orientale de la terrasse de rive gauche délimitent une zone basse, triangulaire. Cette zone est traversée, du sud au nord, par un ancien bras de la rivière. Vers l’est, entre ce bras et l’Avance, le marais l’emporte, entourant une partie plus élevée sur laquelle se trouvait l’emplacement d’une ancienne église : Saint-Michel (E).
À la différence de la partie amont à partir du pont, le cours de l’Avance a été équipé de plusieurs usines :
- le moulin de M. le duc de Bouillon (alors seigneur de Casteljaloux), accolé au pont (B) ;
- le foulon aux R. P. Cordeliers (C), auquel on accède depuis la rive droite ;
- tout proche, le “moulin aux mêmes religieux” (D).
Le foulon et le moulin, établis sur deux bras de l’Avance séparés par une petite île, sont reliés par une chaussée qui, faisant aussi office de barrage, a donné naissance en amont à une “gourgue” assurant une réserve d’eau, régulière et suffisante pour la bonne marche des deux usines.
- Au centre d’un large méandre, bordée à l’ouest par un bas-fond marécageux, une ancienne île sur laquelle a été édifiée l’église Saint-Michel (E).
- Deux foulons et un ancien moulin appartenant à M. de Gascq sont établis, comme précédemment, sur deux bras de la rivière enserrant une île (F, G).
La zone délimitée par le mur nord de la ville, le cours de l’Avance et le rebord ouest de la terrasse est encore occupée en partie par des terres marécageuses.
La Ville et ses faubourgs
Nous aborderons la description des faubourgs ouest, après nous être penchés sur le second plan qui nous fait découvrir les moindres détails de la ville close.
Celle-ci est délimitée par une enceinte en forme d’amande, orientée selon un axe ouest-est qui, sauf à l’ouest, épouse la limite des terres émergeant au-dessus du marais : elle devait atteindre au moins 1000 m de long. La ville mesure 350 m environ de la porte Saint-Raphaël à l’ouest au pont sur l’Avance et 290 m du sud au nord dans sa plus grande largeur et sa superficie est de 8 ha.
En plus des portes de Saint-Raphaël, à l’ouest, de Beyries, au nord, de Notre-Dame, à l’est et de l’Avancette au sud, J.-F. Samazeuilh signale celle des Cordeliers ou de l’Esquive qui ne figure que sur le plan d’ensemble. Elle permettait aux frères de se rendre facilement à leur foulon et à leur moulin. J.-F. Samazeuilh mentionne aussi3 : la tour de Saint-Raphaël, à l’angle sud-ouest de la ville, qu’il avait vue très bien conservée dans sa jeunesse, rasée par la suite, parfaitement bien indiquée sur le plan d’ensemble ; la tour surmontant la porte Saint-Raphaël ; celle de Magnebœuf, à l’angle nord-ouest de l’enceinte, là où fut établi par la suite le couvent des religieuses de Saint-Benoît ; celle surmontant la porte de Veyries ou Beyries, accostée probablement de petites tours, à laquelle était adossée la maison forte de Rimbez ; une petite tour protégeant la porte des Cordeliers. Une rue principale, la Grande Rue (8), orientée du nord-ouest au sud-est, traverse la ville, de la porte principale et de l’église paroissiale Saint-Raphaël à l’église collégiale Notre-Dame et au pont sur l’Avance (16). Il s’agit du chemin de Bordeaux (S) à Nérac et Toulouse (T). Ce qui frappe, d’emblée, c’est la dissymétrie du plan de part et d’autre de la Grande Rue. La rue Magnebœuf (11) qui part de la Grande Rue, face à Saint-Raphaël, dessine du nord-ouest au sud-est une large courbe à quelque distance de la muraille. L’espace qu’elle délimite avec la Grande Rue – un demi-cercle correspondant aux deux tiers de la superficie close – est partagé par la rue du Milieu (10). Au sud de la Grande Rue, un modeste chemin sépare l’îlot bâti de la muraille. Une rue transversale recoupe les quatre voies longitudinales à mi-distance des portes ouest et est : c’est la rue de Beyries qui va, de la porte du même nom, au nord, à une ancienne porte fermée au sud “que le marais a rendue impraticable” (K). Des venelles sinueuses fragmentent trois des îlots qu’elle définit avec les rues longitudinales. Dans sa partie méridionale, cette rue longe des bâtiments – dont on envisage alors la destruction – qui la séparent du Palais ou maison de ville (P, 2) et de la halle (1).
Les édifices remarquables sont la collégiale Notre-Dame4, les Cordeliers, proches de Notre-Dame (5), la maison des Dames de la Foi (M) à quelque distance, rue Magnebœuf, le couvent des religieuses de Saint-Benoît, à l’angle nord-ouest (6), l’église Saint-Raphaël5, l’Hôpital, Grande Rue (7) et le moulin sur l’Avance, contigu au pont (15).
Au nord de l’enceinte, de la porte de Beyries à celle de la Grande Rue, la muraille n’est plus baignée par le marais. Un réseau de chemins s’ouvre en éventail vers l’ouest, desservant des jardins et quelques maisons. Au débouché de la porte de Beyries se trouve un vaste espace complanté d’arbres, appelé La Plateforme (14) ou la promenade la ville (H). Au débouché de la Grande Rue, à l’ouest, de part et d’autre du chemin de Bordeaux (S), un faubourg est apparu : face au couvent des Capucins bâti à la limite du marais, certains bâtiments édifiés en bordure du chemin de Bordeaux sont contigus ; plus vers l’ouest, ce sont des maisons isolées qui, dans un environnement de jardins, ont donné naissance à un quartier, dit faubourg de la Madeleine, dont le nom rappelle ceux de faubourgs de Bordeaux – au XIIe siècle – ou de Bergerac et atteste de son ancienneté relative.
Le contraste est total avec le débouché de la Grande Rue au-delà du pont, à l’est de la ville. C’est un carrefour d’où partent les chemins de Tonneins (X), de Damazan (V) et de Nérac et Toulouse (T).
Les données du problème
Pour J.-F. Samazeuilh, les Albret n’auraient été présents à Casteljaloux que dans la seconde moitié du XIIe siècle et encore partageaient-ils alors, d’après lui, la seigneurie avec l’évêque et le chapitre de Bazas. Mais le premier historien de Casteljaloux avance une curieuse hypothèse sur la date de leur arrivée et les circonstances dans lesquelles prit fin la coseigneurie6. Il estime aussi que, contrairement à ce que suggère un contrat de paréage entre les Albret et l’abbé de La Sauve, Casteljaloux fut seulement un bourg castral7. À l’occasion de nos recherches sur la famille d’Albret nous avions fait part de nos réserves à son égard. Nous avons en effet considéré comme tout à fait plausibles, d’une part, la présence des Albret comme seuls seigneurs de Casteljaloux au moins dès le premier tiers du XIIe siècle, de l’autre, la réussite du paréage entre les Albret et l’abbaye de La Sauve en vue du développement de la ville8.
Nous avons souhaité rouvrir le débat en abordant par de nouvelles approches les sources anciennement connues et en en apportant de nouvelles.
Les éléments du dossier sont au nombre de cinq, il s’agit :
- d’un contrat de paréage, qui aurait été conclu en 1131, entre un sire d’Albret prénommé Bernard Ez et un abbé de La Sauve, en vue de la fondation d’un nouveau bourg sous les murs d’une première ville ;
- de documents relatifs au conflit qui opposa, de 1111 à 1145, les évêques et le chapitre de Bazas aux évêques d’Agen, à propos des limites de leurs diocèses ;
- de la concession, à la fin du XIIe siècle, aux habitants de Casteljaloux, d’une charte de coutumes qui portait les sceaux de Gaillard de La Motte, évêque de Bazas, du chapitre de Bazas, d’Amanieu d’Albret et de Peyronin de Lamote ;
- de la donation faite par Bertrand, évêque de Bazas (1101-1126), à l’abbaye de Tourtoirac en Périgord, de “l’église de Saint-Raphaël, qui se trouve à l’intérieur des murs de Casteljaloux et (de) ses cimetières qui se trouvent dans et hors les murs, ainsi que Bertrand, évêque de Bazas, et ses clercs les remirent à notre monastère” ;
- des informations que nous apportent les documents du XIIIe et du XIVe siècle et même parfois ceux de l’époque moderne.
Le contrat de paréage entre Bernard Ez d’Albret et l’abbé de La Sauve et sa date
“À Casteljaloux [ad Castellum Gelosi]
Qu’il soit connu de tous présents et à venir que moi, Bernard Ez de Lebret, avec mon épouse et mes enfants, j’ai donné à l’église de Marie sainte mère de Dieu de La Sauve Majeure, pour le salut de nos âmes, hors les murs de Casteljaloux [Castellum Gelosi], une terre de mon propre alleu en vue d’y faire une ville (villa) et de construire dans cette ville une église. De cette ville je retiens la moitié du cens et la moitié de la justice, qui sera la même que celle de l’autre ville, mais elle ne sera rendue qu’en présence d’un moine ou de son sergent. À tous ceux auxquels celui-ci remettrait un délit, qu’il lui soit remis ; quant aux autres choses nous les partagerons par moitié.
Moi-même ni personne d’autre de ma descendance ne ferons aucun mal aux habitants, et de ceux qui y habiteront je ne percevrai rien d’autre que la moitié du cens et de la justice, ainsi qu’il vient d’être dit. J’ai en outre concédé au moine ou aux moines qui y résideront le droit de pêcher dans tous mes étangs, chaque fois qu’ils le voudront. Je leur ai donné le moulin et la huitième partie des poissons qui me reviennent à raison de la redevance que je perçois sur le marché ; chaque jour, une denerade de vin ou un denier pour en acheter et chaque semaine un pain de mon four et de ma terre pour qu’ils construisent une maison à l’intérieur des murs.”
La date “Aux kalendes de mai 1131” a été rajoutée9.
L’abbé Cirot de La Ville qui fut probablement le premier historien à en parler précise que “l’acte n’est pas daté, mais que par ceux qui le suivent (dans le cartulaire) et les personnages dont il est question on peut, dit-il, regarder comme certain qu’il est de 1093 à 109410”.
Les deux actes auxquels fait allusion l’abbé Cirot pour dater le document des années 1093-1094 sont deux donations faites sous l’abbatiat de Géraud, premier abbé de La Sauve (1079-1095), portant, l’une sur une part de l’église de Marciac, l’autre sur le tiers de la dîme de l’église Saint-Barthélemy de Labarde11. On conviendra que la proximité dans le cartulaire de ces actes avec l’acte de paréage n’est qu’un faible argument pour dater celui-ci de la fin du XIe siècle. D’ailleurs, les deux actes qui le précèdent dans le cartulaire concernant la sauveté de Lagardère, située dans la commune de Ruffiac, sont datés de 1117-1118 et du 25 août 1130 et peuvent, aussi bien, être invoqués pour conforter la date du 1er mai 1131. Une traduction du contrat a été partiellement reprise par J.-F. Samazeuilh qui en a eu probablement connaissance par l’intermédiaire de l’abbé Cirot de la Ville ; il a interpolé dans le texte “du vivant de l’abbé Gérald”, mention qui ne figure dans aucune des notices des cartulaires12. Nous avions, pour notre part, retenu, non sans réserves, la date du 1er mai 1131, rajoutée sur le grand et le petit cartulaire, probablement au XVIIe siècle13[13]. Dans l’édition du cartulaire, Arlette Higounet a aussi retenu la date du 1er mai 1131.
Nous avons cru pouvoir élucider le problème de la datation grâce à trois documents conservés dans les archives de La Sauve14. Le premier (AD33 H 249, n° 20) est un parchemin de 34 x 24 cm, complètement délavé, sur lequel on distingue deux textes dont l’écriture pourrait être du XIIe siècle pour l’un et vraisemblablement du XVIIe siècle pour l’autre, qui surcharge en partie le précédent. Au dos, on peut lire X IIc XII et l’analyse suivante : “Donation faite par Bernard Aiz, seigneur de Castelgeloux à l’abbaye de La Sauve d’une place en dehors de ladite ville pour y bâtir une église et un village, duquel la justice, qui devoit être exercée par les officiers de Castelgelous seroit à moitié entre ledit seigneur et ladite abbaye…”
Cette analyse est reprise dans l’inventaire de la série H, mais de telle manière qu’on pourrait croire qu’elle concerne le texte illisible écrit au recto. Or, le dossier de Casteljaloux comprend aussi deux autres documents sur parchemin en grande partie illisibles eux aussi, dégradés par l’humidité qui a dissout l’encre. Sur l’un (n° 21,7 x 14 cm), dont seule la partie droite est encore déchiffrable, nous avons reconnu dans son intégralité le texte figurant sur le cartulaire, apparemment sans date ; sur l’autre (non coté, 7,5 x 15,5 cm), encore plus altéré par l’humidité, qui présente à la partie inférieure une courroie de parchemin nouée, nous avons identifié un texte dont nous ne pouvons être certain qu’il est en tous points identique au précédent. La clause concernant la donation d’une denerade de vin ou d’un denier pour en acheter, qui figure in fine, est d’une autre main. Nous ignorons s’il y avait annonce du signe de validation. Bien qu’apparemment validé, ce document n’est, lui non plus, daté. D’après l’écriture on peut seulement dater les deux documents de la fin du XIe ou du début du XIIe siècle. Quant à la pratique des courroies nouées, elle eut cours, selon Arlette Higounet-Nadal, essentiellement sous les abbatiats de Gérard de Corbie (entre 1079 et 1095) et de Geoffroi de Laon (entre 1117 et 1118)15. Il y a donc eu entre Bernard Ez d’Albret et l’abbé de La Sauve des négociations qui ont abouti à la conclusion d’un contrat. Or celui-ci a été, soit ignoré, soit considéré comme une sorte de fabrique. Parmi les auteurs qui ne semblent pas en avoir eu connaissance figure le père Anselme, les Bénédictins et Achille Luchaire, auteur d’une excellente étude sur les origines de la famille d’Albret16. Pour sa part J.-F. Samazeuilh nie l’existence de l’auteur du contrat de paréage, dont il met en doute l’authenticité : “Nous ne connaissons d’ailleurs que deux Bernard Ezii d’Albret et le plus ancien de ces deux princes vivait vers la fin du XIIe siècle, le second vers le milieu du XIVe siècle et non vers la fin du XIe”17. Or, l’auteur du paréage peut trouver sa place parmi les premiers représentants de la famille de Lebret. En effet, trois des cinq représentants des Albret portant le patronyme de Lebret, que nous avons identifiés entre la fin du XIe siècle et 1140, se prénomment Bernard Ez. Le rappel des premières mentions des représentants de la famille d’Albret permet de mieux les situer :
- Amanieu Ier : vers 1050, conclut un accord avec l’abbé Seguin de Condom (Doc. 1)18.
- Bernard Ez Ier : en 1079, il est présent lors de l’acte fondateur de l’abbaye de La Sauve (Doc. 1bis)19 puis, entre 1079 et 1097, il est témoin d’une donation à l’abbaye de La Sauve (Doc. 2).
- Amanieu II : fin du XIe siècle, présent à la première croisade (Doc. 3) ; 1111, il fait un don à la cathédrale et au chapitre de Bazas (Doc. 4).
- Bernard Ez II : 1111, il est mentionné avec son frère, Amanieu II (Doc. 4).
- Amanieu III, fils du précédent : entre 1121 et 1126, il est présent à la confirmation de la charte de fondation de l’abbaye de La Sauve (Doc. 5) ; époux de Péregrine, il est témoin de deux donations à l’abbaye de La Sauve (Doc. 6).
- Bernard Ez III, avec son épouse et ses enfants, il est l’auteur présumé du paréage (Doc. 8).
Penchons-nous plus particulièrement sur les trois personnages appelés Bernard Ez.
Bernard Ez Ier apparaît à deux reprises dans le Grand cartulaire de La Sauve : à l’occasion de l’acte fondateur de l’abbaye en 1079, puis lors de la donation faite par Amanieu de La Mote et son fils Guillaume de la moitié de l’alleu d’Agulac (Guillac). Ce don fut fait à l’abbaye de La Sauve, en présence de l’abbé Géraud et de plusieurs nodatores dont Bernard Aidz de Lebret. Grâce à la mention de l’abbé Géraud on peut dater ce document des années 1079-1095, plus vraisemblablement des dernières années de cet abbatiat.
En 1111, la Chronique de Bazas rapporte qu’Amanieu de Lebret et Bernard Edz de Lebret, son frère, firent don au divin Jean Baptiste, patron de la cathédrale et au chapitre de Bazas de la dîme de Goualade (Doc. 4). Nous les avons nommés Amanieu II et Bernard Ez II. Celui-ci pourrait bien être le même que Bernard Ez, père d’Amanieu III de Lebret qui, sous l’abbatiat de Geoffroy (1121-1126), participa à la confirmation de la charte de fondation de la sauveté de La Sauve (Doc. 5). On connaît aussi son épouse, Péregrine (Doc. 6).
Rien ne s’oppose donc à ce que l’on attribue l’acte de paréage de Casteljaloux à l’un de ces deux personnages prénommés Bernard Ez.
Mais rien ne s’oppose non plus à ce que l’on conserve la date de 1131 et qu’on l’attribue alors à celui que nous avons appelé Bernard Ez III20. C’est à cette dernière proposition que nous nous étions arrêté, lorsque nous nous sommes penché sur les premiers temps de l’histoire des Albret. Néanmoins, un doute peut naître à la lumière d’un autre acte, daté, celui-ci, du pontificat d’Innocent II (1130-1143) et de l’épiscopat de Raimond Bernard d’Agen (1128-1149). Afin de doter son fils entré au monastère de Condom, l’épouse d’Arsieu de Mathar lui fait don d’une terre dite de Nérac et, pour l’utilité de l’église à laquelle elle a voué son fils, elle établit comme défenseur de cette terre Amanieu d’Albret et sa descendance afin que les moines ne soient pas troublés dans la possession de cette terre (Doc. 7). L’acte de paréage conclu par Bernard Ez pourrait dater du début du pontificat d’Innocent II (1131) et celui de la donation de Nérac où apparaît Amanieu, de la fin (avant 1143) : le protecteur de la terre de Nérac serait alors celui que nous avons appelé Amanieu IV. De toute façon, l’acte de paréage ne saurait être de beaucoup postérieur à 1131, car il faut attendre 1270 pour rencontrer un nouveau sire d’Albret prénommé Bernard Ez, que nous avons appelé Bernard Ez IV (1270-1280).
Cependant, un autre document, provenant, celui-ci, de l’abbaye de La Sauve, pourrait remettre sérieusement en question cette hypothèse. Il s’agit de la confirmation de la donation faite à La Sauve par Raimond Guilhem de Mazerolles, devenu moine du temps de l’abbé Gérard, du tiers de la dîme de Saint-Barthélemy de Labarde ainsi que d’autres revenus. Son neveu, Robert de Loubens, confirme cette donation puis, par la suite, Thibaud de Meilhan, neveu de Robert, la confirme à son tour à Casteljaloux (Castrum zelopitum)21. Cette confirmation fut faite dans les mains de Geoffroy, qui fut prieur de La Sauve entre 1095-1097 et 1101-1107, dont la présence à Casteljaloux s’éclairerait à la lumière du contrat de paréage qui aurait été dans ces conditions conclu à la fin du XIe siècle. On serait ainsi tenté d’écarter la date de 1131 et d’attribuer le contrat de paréage non à Bernard Ez III, mais à Bernard Ez Ier, option renforcée à la lumière de l’original du contrat conservé dans les archives de La Sauve.
Partant de ces seules données prosopographiques, et même si on ne saurait être catégorique dans l’identification de l’auteur du paréage, il est néanmoins incontestable que les Albret furent présents à Casteljaloux avant 1140.
Il est temps de revenir sur le contrat lui-même. Rappelons-en, tout d’abord, le contenu. La disposition essentielle est la donation faite par Bernard Ez de Lebret à La Sauve d’une terre tirée de son propre alleu, située hors les murs de Casteljaloux (extra muros Castelli Gelosi) en vue d’y établir une ville (ad faciendam villam) et d’y élever une église (et ad fabricandam in eadem villa ecclesiam). Il est bien précisé que la justice de cette ville ne sera pas différente de celle de l’autre ville. Bernard Ez fait aussi don aux moines d’une terre dans les murs de la ville murée (intra-muros) pour qu’ils puissent y construire une maison. On ne peut imaginer document plus précis. La nouvelle église devait donc être élevée dans les faubourgs de la première ville de Casteljaloux.
J.-F. Samazeuilh estimait que ce contrat serait resté à l’état de projet et avançait plusieurs arguments22 :
- l’impossibilité “de retrouver sur place le moindre vestige de l’église que Bernard Ez aurait permis aux religieux de La Sauve de bâtir à Casteljaloux ou plutôt dans l’un des faubourgs de cette ville” ;
- l’absence de mention de ce paréage “dans aucun des nombreux documents que possède la ville de Casteljaloux” ;
- à l’occasion du procès qui opposa Alain d’Albret (1474-1522) et les consuls au sujet de la justice, l’absence de mention des droits de justice que l’abbaye de La Sauve posséderait en vertu du paréage ;
- le fait qu’il n’existe dans les possessions de La Sauve aucune trace du moulin qui lui aurait été donné dans le contrat. J.-F. Samazeuilh cite à ce propos un différend rapporté par la Chronique de Bazas qui se serait produit, en 1146, entre Guillaume de Cazalis et le chapitre de Bazas au sujet des revenus des moulins de Casteljaloux23. Il s’agit de sa part d’une mauvaise lecture : en effet, l’incident a été réglé en 1246 et non 1146 et Guillaume était en réalité précepteur de Cazalis, une commanderie hospitalière fondée par les Albret sur les terres de la seigneurie de Cazeneuve, en Bazadais. Le doyen de Saint-Seurin, désigné comme arbitre, partagea les revenus par moitié. On ne saurait voir dans cette affaire, comme J.-F. Samazeuilh l’a affirmé, la preuve de la présence des chanoines de Bazas à Casteljaloux en tant que seigneurs. D’ailleurs, en 1241, Amanieu VI avait confirmé aux Hospitaliers la concession des dîmes de ce moulin faite naguère par ses ancêtres24. Peut-être cette confirmation fut-elle à l’origine du différend.
Les remarques de J.-F. Samazeuilh sont en apparence fondées. Il est vrai qu’aucun document ultérieur ne mentionne le paréage ni l’application de certaines de ses dispositions concernant la justice ou le moulin. À l’occasion de nos recherches sur les Albret nous avions conclu, tout en soulignant les zones d’ombre, qui subsistaient encore, que le contrat de paréage avait été suivi d’effet et qu’il y avait bien eu deux “villes” accolées. Nous nous étions, pour cela, appuyé sur l’examen du plus ancien plan connu de Casteljaloux du milieu du XVIIIe siècle en identifiant le prieuré de La Sauve avec celui de Saint-Raphaël.
Nous allons y revenir, mais d’autres documents seraient susceptibles de conforter indirectement cette conclusion, à commencer par celui que nous avons déjà évoqué attestant la présence à Casteljaloux, entre 1097 et 1107, de Geoffroy, prieur de La Sauve25. Vient ensuite, en 1164, la confirmation faite par Hélie, évêque d’Agen, à la demande de Pierre, abbé de la Sauve, de la possession de l’église Sainte-Marie de Couthures avec dîmes et oblations. Ne serait-ce pas en raison de la présence à Casteljaloux d’un prieuré dépendant de l’abbaye que l’abbé de La Sauve aurait manifesté un intérêt particulier pour cette église toute proche, située dans une clairière à 8 km au sud de Casteljaloux26. D’autre part, si l’évêque d’Agen précise que cette église se trouve sur les limites de son évêché “non loin de Castedgaloux”, ce pourrait être en considération de la présence, à proximité de cette ville d’un prieuré de La Sauve.
Même s’ils soulèvent plusieurs interrogations, on ne saurait enfin passer sous silence les arguments avancés par le chanoine Durengues en faveur de la mise en œuvre du contrat. Pour lui, l’église édifiée par les moines de La Sauve “était sans aucun doute possible celle de Saint-Sauveur. Le prieuré qui y était attaché était depuis longtemps sécularisé en 1789 et ne formait plus qu’un bénéfice simple. La dotation consistait dans les paroisses du Tren, de Bouchet, de Saint-Raphaël, de Saint-Gervais et de Belloc. En 1528, les ayants droit de feu Alain d’Albret et le prieur de Saint-Raphaël firent un accord au sujet de ces dîmes. Ce prieur avait aussi des dîmes sur les moulins des paroisses de Saint-Gervais et de Belloc et quelques fiefs. Il jouissait enfin dans la paroisse de Saint-Gervais d’une pièce de terre labourable de 3 journaux 9 lattes 6 escats estimée 440 livres en 179027.” Il est infiniment regrettable que le chanoine Durengues n’ait pas indiqué où se trouvait l’église Saint-Sauveur et son prieuré et dans quel document elle était mentionnée. Les paroisses censées avoir fait partie de la dotation relevèrent plus tard, de Notre-Dame pour les unes (Le Tren, Bouchet), de Saint-Raphaël pour les autres (St-Gervais, Belloc). Mais de quoi s’agissait-il au juste, des paroisses ou de leurs dîmes ou des deux ? Nous nous demandons finalement si le chanoine Durengues n’a pas écrit Saint-Sauveur alors qu’il pensait à Saint-Raphaël.
Or la donation de l’église Saint-Raphaël par l’évêque de Bazas vient compliquer encore un débat dont la complexité initiale avait déjà de quoi dérouter.
La donation de l’église Saint-Raphaël
Une pièce que nous venons de découvrir ouvre de nouvelles perspectives. Il s’agit de la bulle de confirmation, faite par le pape Calixte II, des possessions de l’abbaye de Tourtoirac dans le diocèse de Périgueux. Cette abbaye avait été fondée en 1025 sous le vocable de saint Hilaire par Gui, vicomte de Limoges qui l’avait soumise à l’abbaye d’Uzerche. Le premier abbé de Tourtoirac, Étienne, venait d’ailleurs d’Uzerche et avait été institué par Richard, abbé de cette abbaye. Du second, Guillaume, nous savons seulement qu’il fut présent à la fondation du monastère de Ligugé. C’est Gui, troisième abbé, témoin de la fondation de Dalon en 1114, qui obtint, en 1120, du pape Calixte II (2 février 1119-13 décembre 1124) une bulle de protection et de confirmation de ses possessions28.
L’un des articles concerne Casteljaloux : L’abbaye possède “l’église de Saint-Raphaël qui se trouve à l’intérieur des murs de Casteljaloux et ses cimetières qui se trouvent dans et hors les murs ainsi que Bertrand, évêque de Bazas et ses clercs les remirent à notre monastère”. Il s’agit d’un
extrait de l’acte de donation ou d’une notice de cartulaire29. Le donateur, Bertrand de Baslade, fut évêque de Bazas de 1104 au 8 ou 17 septembre 1126. Il est appelé Bertrand de Goualade dans la Chronique de Bazas. Son épiscopat a été marqué par un certain nombre d’événements qui éclairent la donation faite à l’abbaye de Tourtoirac. Bertrand s’est en effet montré très généreux à l’égard des abbayes bénédictines, quelle que soit leur congrégation, il a ainsi uni d’autres prieurés ou églises à des menses abbatiales : en 1121, il érige en paroisse la chapelle de la Madeleine que les moines de La Réole possédaient dans le castrum de Sainte-Bazeille et, en 1126, il leur fait don du prieuré de Saint-Cybard de Meilhan. Il fait aussi plusieurs dons à l’abbaye de La Sauve et en confirme d’autres : en 1108, il lui fait don de l’église de Saint-Martin-de-Sescas (cart. n° 1159), en 1112, de celle de Saint-Étienne de Ruch (cart. n° 1160), en 1114, de celle de Saint-Jean-de-Blaignac (cart. n° 266), en 1115 ; enfin, il confirme la donation faite à l’abbaye de plusieurs églises du nord du diocèse (cart. n° 657).
Mais c’est aussi sous son épiscopat qu’éclate le conflit qui oppose, de 1111 à 1145, les évêques de Bazas à ceux d’Agen à propos de la limite de leurs diocèses. Comme nous le verrons, c’était en fait les églises de Casteljaloux, Notre-Dame et Saint-Raphaël et leurs annexes qui en étaient l’enjeu. L’évêque de Bazas contesta la sentence arbitrale du légat du pape en faveur des Agenais. Finalement, en 1121, le pape Calixte II restitua au diocèse de Bazas l’église de Casteljaloux adjugée à celui d’Agen30.
L’abbé de Tourtoirac précise que la donation a été faite par l’évêque Bertrand et ses clercs, entendons par là le chapitre. D’après la Chronique, Bertrand s’était engagé par serment, tant pour lui que pour ses successeurs, à ne jamais permettre qu’une union soit faite sans que le chapitre n’ait été appelé31. Autre information susceptible d’éclairer la donation de Saint-Raphaël à Tourtoirac, celle faite par Amanieu et Bernard Ez d’Albret à Saint-Jean-Baptiste et aux chanoines de Bazas des revenus des dîmes de Goualade, ce qui témoigne des bonnes relations qui existent alors entre les Albret et l’épiscopat Bazadais32.
La donation de l’église Saint-Raphaël présente un triple intérêt dans notre cheminement sur les origines de Casteljaloux. Elle atteste : de l’ancienneté de cette église et de sa paroisse ; de son appartenance à l’évêque et au chapitre de Bazas ; de l’implication des évêques de Bazas dans la genèse de Casteljaloux ; de l’existence, en 1120, d’une enceinte à l’intérieur de laquelle se trouvaient l’église Saint-Raphaël et son cimetière et, dans sa dépendance, celle d’un cimetière extra-muros, une information d’un intérêt exceptionnel pour essayer de restituer la morphogénèse de la ville. Mais depuis quand les évêques de Bazas étaient-ils patrons de Saint-Raphaël ? Pour quelle raison l’évêque Bertrand a-t-il fait ce don à l’abbaye de Tourtoirac ? Quel lien avait-il avec elle ? Autant de questions auxquelles nous ne pouvons répondre.
Par contre, l’existence de l’église Saint-Raphaël et sa situation par rapport à l’enceinte au début du XIIe siècle nous inclinent fortement à penser que le contrat de paréage entre les Albret et La Sauve n’eut aucune suite ou qu’il avorta rapidement, peut-être, en raison de son implantation hors les murs.
Le conflit entre les évêques de Bazas et d’Agen (1111-1142)
Ce conflit qui opposa, de 1111 à 1142, les évêques d’Agen à ceux de Bazas, à propos des limites de leurs diocèses, présente une particularité troublante : à aucun moment, ni les Albret, ni les moines de La Sauve, ni ceux de Tourtoirac n’apparaissent. Pour J.-F. Samazeuilh c’était bien la preuve que les Albret n’étaient pas alors seigneurs ou, du moins, les seuls seigneurs de Casteljaloux et que les moines de La Sauve n’étaient pas présents à Casteljaloux33. Mais les moines de Tourtoirac y étaient et, eux non plus, n’apparaissent pas au cours du conflit.
Ce conflit qui nous est rapporté uniquement par des sources bazadaises, la Chronique de Bazas34 et le Baptista Salvatoris[35]35, a connu quatre épisodes, dont deux furent marqués par des violences36.
- 1111-1121. Bertrand, évêque de Bazas (1108-1126) et Adalbert évêque d’Agen (1117/8-1128) ont un “différend” à propos des “frontières de leurs évêchés”. Girard de Blay, évêque d’Angoulême, légat du Saint-Siège, après avoir entendu “des seigneurs du voisinage, Étienne de Caumont et Raimond de Bouglon”, établit les limites entre les deux diocèses en faveur de l’évêque d’Agen. L’évêque de Bazas ayant fait appel au Saint-Siège, Calixte II (1119-1124) lui restitue, en 1121, “l’église de Casteljaloux”, adjugée précédemment à Agen par l’évêque d’Angoulême. Le différend semble bien ne porter que sur Casteljaloux37.
- 1136-1140. Ce second épisode fut marqué par une expédition militaire de l’évêque d’Agen contre la ville de Bazas, rapportée dans le Baptista Salvatoris et la Chronique de Bazas. L’évêque d’Agen est alors Raimond Bernard, successeur d’Adalbert, dont l’épiscopat dura vingt ans, de 1128 au 7 mars 1149, et qui fut impliqué dans la suite du conflit. Bien que son nom ne soit pas cité, l’évêque de Bazas est, depuis 1126, Geoffroy, qui fut, selon la Chronique, excommunié en 1134 comme schismatique38. Il est à peu près certain que l’évêque d’Agen profita de cette situation pour tenter de régler en sa faveur le problème des limites diocésaines. Il lança une expédition sur Bazas au cours de laquelle “la ville fut mise à feu”. C’est au milieu de cet embrasement que l’on découvrit dans l’église Saint-Martin, probablement à cette époque hors les murs, le corps miraculeusement conservé de saint Alain qui avait résisté aux épreuves du temps et du feu. Le corps fut alors transporté en grande pompe dans la cathédrale. Le clergé bazadais vit dans ce “signe” et ceux qui suivirent la preuve de la justesse de ses revendications. C’est donc convaincu de son bon droit que le nouvel évêque de Bazas, Fort Guérin, accompagné de l’auteur du Baptista salvatoris, se rendit à Rome auprès d’Innocent II pour plaider sa cause. Depuis 1121 les motifs du différend entre l’évêque de Bazas et son “turbulent” confrère d’Agen auraient évolué. L’auteur du Baptista ne déclare-t-il pas que l’évêque d’Agen “s’était efforcé de nous enlever une part non négligeable de notre diocèse”. Bien que l’on doive toujours accueillir avec réserve de telles formules, peut-être Casteljaloux n’était-il plus le seul motif du litige, mais nous ignorons si, à l’issue de l’incursion de ses alliés à Bazas, l’évêque d’Agen avait pu imposer son autorité sur plusieurs paroisses en bordure de l’Avance. Nous sommes aussi dans l’ignorance du contenu du jugement que le pape prononça en faveur des Bazadais.
- 1142. Deux ans plus tard, le conflit connut un second épisode violent, suivi d’une nouvelle plainte à Rome. “Sans Aner de Caumont et Bertrand de Cantiran qui embrassaient le parti de l’évêque d’Agen défendent par les armes, dans la place de Casteljaloux, les frontières de l’évêché d’Agen, amènent captifs les chanoines de Bazas et dévastent tout par leurs rapines, leurs incendies et leurs meurtres”. Sans doute ne convient-il pas de prendre à la lettre les accusations de la Chronique, mais cet épisode éclaire d’un jour nouveau la nature du conflit. Comme en 1111, Casteljaloux se trouve au cœur du débat. La ville semble avoir été prise et occupée par des seigneurs du voisinage, probablement les mêmes que les auteurs de l’expédition contre la ville de Bazas et attaquée par les chanoines de Bazas qui furent faits prisonniers. L’évêque Fort Guérin en appela à Innocent II qui confia à l’évêque de Chartres le soin “d’apaiser la discorde”.
- Apparemment sans succès, car, en 1144, le nouvel évêque de Bazas, Raymond, intervint auprès du pape Lucius II (12 mars 1144-15 février 1145) afin, nous dit la Chronique, qu’il voulût bien confirmer ses revenus et possessions. Comme l’avait fait son prédécesseur en 1136, Raymond se rendit à Rome et obtint d’Eugène III (18 février 1145-8 juillet 1153) des lettres par lesquelles le souverain pontife confiait à Geoffroy du Loroux, nouvel archevêque de Bordeaux, le règlement du conflit. Nous ignorons en fait quel était l’objet exact du litige et quels furent les résultats de l’arbitrage.
Le cours sinueux de l’Avance, l’existence de plusieurs bras constituaient le cadre idéal pour un conflit frontalier, d’autant, nous l’avons vu, que Casteljaloux, le château et le bourg étaient établis sur des îles. C’est donc avec prudence qu’il convient d’accueillir les termes utilisés par les sources bazadaises pour exposer les motifs du litige : “différend sur les frontières de leurs évêchés”, “limites du diocèse d’Agen”, en 1111-1121 ; “différends séculiers et ecclésiastiques” “part qui n’était pas méprisable de notre diocèse”, selon les termes de l’auteur du Baptista Salvatoris, en 1136, alors que la Chronique reste muette sur ce point. En 1142 et 1144, il est seulement question de défense des “limites de l’évêché d’Agen”, en 1144 de “possessions et revenus” de l’évêque de Bazas. Ne nous laissons pas prendre par la phraséologie de la Chronique et celle du chanoine, auteur du Baptista Salvatoris : le vrai et probablement le seul motif du litige c’est, comme en 1111-1121, de savoir si les deux églises de Casteljaloux et probablement leurs annexes comme Saint-Michel ou Belloc, appartiennent au diocèse de Bazas ou à celui d’Agen. Si l’église de Saint-Raphaël dépendait dès le début du conflit de l’abbaye de Tourtoirac, nous ignorons de l’évêque ou du chapitre de qui dépendait l’église Notre Dame. D’après la Chronique, en 1281, lors de la conclusion du paréage entre l’évêque et le chapitre de Bazas, d’une part, le roi-duc Édouard Ier de l’autre, l’évêque remit au chapitre les églises de Sainte-Marie de Casteljaloux et du Bouchet, naguère unies à la mense épiscopale. Mais nous ignorons à quelle époque l’évêque avait procédé à cette union, apparemment au détriment du chapitre. En tout cas on imagine mal que le conflit ait pu porter sur des paroisses telles que celles de Poussignac, Argenton ou Bouglon, situées en aval de Casteljaloux sur les coteaux dominant la vallée de l’Avance.
Alors que la présence des Albret à Casteljaloux avant 1131 ne fait, selon nous, aucun doute, on ne peut que s’étonner du silence de la Chronique à leur endroit, au cours des trente-quatre années du conflit. En 1142, c’est une véritable bataille qui fut livrée sous les murs de la ville, manifestement occupée depuis au moins deux ans. Comment ont-ils pu accepter une telle situation sans intervenir, à moins, bien sûr, que l’auteur de la Chronique et celui du Baptista aient préféré occulter sinon leur engagement, du moins leur complicité passive aux côtés des partisans de Raymond Bernard d’Agen. Cette hypothèse est la plus plausible, comme l’illustrent des événements légèrement postérieurs.
Les relations entre les Albret et les évêques et le chapitre de Bazas
Les Albret ne furent donc pas à l’origine du conflit entre les évêques de Bazas et d’Agen. C’est ce que suggère aussi la donation faite en 1111 au chapitre de Bazas par Amanieu et Bernard Ez, son frère, des dîmes de la paroisse de Goualade, l’année même ou éclata le différend39. Si le projet de contrat de paréage entre les Albret et l’abbé de La Sauve date de 1131, il aurait été élaboré à l’issue du premier épisode, réglé en faveur de l’évêque de Bazas, faisant de Casteljaloux une ville du diocèse de Bazas. En fait ce premier épisode est différent des trois autres. Cela est dû pour une bonne part, semble-t-il, au comportement du nouvel évêque d’Agen, Raimond Bernard qui siège de 1128 au 7 mars 1149. N’acceptant pas le verdict pontifical, il use de tous les moyens pour affirmer ses revendications. Il n’est pas impossible que les Albret aient alors changé d’attitude, peut-être à la suite de la succession de Bernard Ez III et de son remplacement par Amanieu IV, probablement peu de temps après 1131.
Il est vraisemblable que la tournure prise par les événements en 1136, lors du deuxième épisode, fut, pour une bonne part, à l’origine de la décision prise en 1140 par l’évêque Fort Guérin d’associer les chanoines à l’exercice de son pouvoir temporel sur Bazas et son détroit. Ces chanoines devinrent alors une sorte de bras armé de l’évêque puisqu’ils n’hésitèrent pas, avec leurs sergents, d’essayer de s’emparer de Casteljaloux pour en chasser les partisans de l’évêque d’Agen. Mais tout cela constitue-t-il un argument suffisant pour en faire avec leur évêque des seigneurs temporels de Casteljaloux ? Certainement pas.
Les événements qui se déroulèrent en 1156 apportent la preuve du contraire : cette fois, ce n’est plus l’évêque d’Agen, mais le sire d’Albret qui s’oppose à l’évêque et au chapitre de Bazas. La Chronique de Bazas rapporte à cette année un différend assez grave entre Amanieu IV d’Albret et l’évêque de Bazas, Guillaume Arnaud de Tontoulon : le sire d’Albret aurait donné des “paroisses situées sur les limites du diocèse de Bazas” aux clercs du Mas-d’Agenais. L’évêque de Bazas ayant porté plainte auprès du souverain pontife, celui-ci chargea les évêques de Bigorre et d’Oloron de s’informer de cette affaire et de restituer à l’évêque de Bazas ce qui lui avait été enlevé. Là-dessus, le sire d’Albret revendiqua le contrôle des portes de la cité de Bazas et les chanoines s’y étant naturellement opposés, il en résulta un grave conflit. Des deux côtés on réunit alors “une troupe innombrable”, ainsi que le rapporte l’évêque Guillaume. À l’issue du combat qui suivit, les chanoines remportèrent la victoire. Alors, Amanieu, cédant aux instances de nombreux nobles, demanda la paix et jura de ne plus commettre rien de semblable à l’avenir. La guerre, nous dit la Chronique, dura de 1157 à 115940.
Comment le sire d’Albret, seigneur de Casteljaloux, aurait-il pu faire don de plusieurs paroisses aux chanoines du Mas ? En quoi pouvait consister une telle donation ? Il ne saurait s’agir d’une modification des limites du diocèse, inconcevable, peut-être du don du patronage d’églises. La réponse se trouve en partie dans l’accord conclu en 1198, à l’initiative de l’évêque de Bazas, Gaillard de La Motte, entre le chapitre de Bazas et celui du Mas à propos de la propriété de l’église Sainte-Marie de Casteljaloux. Il y eut désormais entre les deux chapitres confederatio hospitalitatis et sufragiorum, c’est-à-dire communauté d’accueil et de soutien réciproques41.
Dans la seconde moitié du XIIIe siècle les relations entre les Albret et l’épiscopat bazadais devinrent excellentes : en 1251, le sire d’Albret fit don des dîmes de Casteljaloux et de Damazan (Lavazan sans doute) pour l’entretien de deux chapelains à la cathédrale de Bazas42 ; en 1262, dans son premier testament, Amanieu VI lègue 500 s. morl.43 à l’évêque de Bazas, autant à celui d’Agen et 500 s. “a la obra de la gleiza de Sent Johan de Bazadz” ; en 1270, dans le dernier, il laisse 500 s. morl., à l’évêque de Bazas, autant au chapitre et 500 s. “a la obra de S. Johan de Vazadz” ; en 1281, enfin, Mathe de Bordeaux, son épouse, fait de l’évêque de Bazas son exécuteur testamentaire44.
Le fait que les Albret n’apparaissent pas dans les événements rapportés par la Chronique entre 1111 et 1142 ne saurait donc, à notre avis, constituer une preuve de leur l’absence à Casteljaloux avant la fin du XIIe siècle.
La charte des coutumes de Casteljaloux
Ce document nous est connu par la confirmation qu’en fit, en 1401 Charles Ier d’Albret, lorsqu’il prit possession de la baronnie. Il était revêtu des sceaux de Gaillard de La Motte, évêque de Bazas, du chapitre de Bazas, d’Amanieu d’Albret et de Peyronin de Lamothe45. La concession aurait donc eu lieu entre 1186 et 1214, dates de l’épiscopat de Gaillard de La Motte. Peyronin de Lamothe n’est pas autrement connu. Le sire d’Albret était alors, selon notre chronologie, Amanieu V (†1240). J.-F. Samazeuilh qui n’avance pas de date pour l’arrivée des Albret à Casteljaloux conclut hâtivement qu’il y avait à cette époque quatre coseigneurs, deux laïcs et deux ecclésiastiques. Or l’apposition des sceaux de l’évêque et du chapitre de Bazas sur la charte de concession ne signifie pas pour autant qu’ils étaient seigneurs temporels de Casteljaloux. Ce qui fragilise encore cette hypothèse c’est le fait que nulle part dans la Chronique il n’est fait explicitement mention d’une seigneurie ou coseigneurie entre l’évêque de Bazas et les Albret à Casteljaloux, ni des circonstances dans lesquelles elle aurait pris fin. Quand on songe aux incidents qui se sont produits au XIIe siècle, on imagine mal que le départ de Casteljaloux des évêques et du chapitre n’ait laissé aucune trace dans une chronique qui leur était dédiée.
Les Albret et Casteljaloux (fin XIIIe-début XIVe siècle)
Dernier élément du dossier susceptible de nous éclairer, cette fois, dans notre enquête sur la naissance et la formation de la ville, la prise en considération des institutions et des édifices remarquables qu’elle abritait : le château, les églises et chapelles, le couvent des Cordeliers.
Le château, établi dans une île de l’Avance, a complètement disparu46. Bernard Ez IV (1270-1280) reconnut, le 24 mars 1274, tenir du roi-duc “la ville ou château (villam seu castrum) de Casteljaloux avec tous ses droits et dépendances, territoires et détroit, en deçà de la rivière appelée Avance, en deçà des ruisseaux de Lavalhs”47. Le château commandait une enceinte dont seul nous est connu le dernier tracé au XVIIIe siècle.
Jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, il y eut à Casteljaloux deux paroisses dont les églises se trouvaient à l’intérieur de l’enceinte, Sainte-Marie devenue Notre-Dame et Saint-Raphaël. L’église Sainte-Marie est attestée en 1121, lors du premier épisode du conflit entre les évêques de Bazas et d’Agen, celle de Saint-Raphaël en 1120. Ces deux églises ont bénéficié de legs testamentaires des sires d’Albret, de leurs épouses ou de leurs enfants, du milieu du XIIIe au milieu du XIVe siècle48[48].
En 1262, puis en 1270, Amanieu VI (1240-1270) lègue ainsi 1 000 sous morlans “a la obra Senta Maria de Castedgelos”, et 200 s. “a la obra (œuvre) Sent Raphael de Castedgelos” ; en 1281, Mathe de Bordeaux, son épouse, 100 s. bordelais à l’église Sainte-Marie de Casteljaloux pour la fabrique, autant à l’église Saint-Raphaël et 40 s. ospitali Sancti Raphaelis pro opere domus (pour l’œuvre de la maison)49 ; la même année, Anne, fille bâtarde d’Amanieu VI, lègue 20 s. morl. “a la hobra de la gleiza de Nostra done Sancta Maria mai de Diu de Castedgelos” et 15 s. morl. à “la hobre de la gleiza de Sent Raphael de Castedgelos” ; Isabelle, leur fille, épouse du comte d’Armagnac, 50 s. morl. à Notre-Dame et à Saint-Raphaël de Casteljaloux ; en 1286, Asarida, fille d’Amanieu VI, épouse de Centulle d’Astarac, 4 l. bord “a la obra de Sancta Maria de Castedgelos”, 40 s. à la “taula” de cette église, 20 s. au “caperan” (chapelain), 10 s. au “segrestan” (sacristain) et 20 s. “à l’obra de Sent Raphael”.
En 1308, Amanieu VII lègue 10 l. d’arnaudins à l’œuvre de Saint-Raphaël et une somme inconnue, 20 l. sans doute, à celle de Notre-Dame de Casteljaloux ; en 1324, 10 l. bord. à chacune des deux églises. Rose de Bourg, son épouse, laisse, en 1198, 50 s. à l’église de Notre-Dame et 25 s. à celle de Saint-Raphaël et, en 1326, 10 l. bord. à l’église Notre-Dame et autant à celle de Saint-Raphaël. On notera que, si parfois les deux églises reçoivent la même somme, il arrive que celle de Notre-Dame soit plus richement dotée. Cette différence que l’on peut mettre en relation avec l’importance relative de chacune des deux paroisses est plus nettement marquée au XVIe siècle.
Dans le compte de procuration du diocèse de Bazas de 1369-1370, figurent dans l’archiprêtré de Loutrange, les desservants (cappelani) de Saint-Raphaël et de Sainte-Marie de Casteljaloux, taxés chacun pour une procuration. On les retrouve dans une pancarte du XVe siècle. À la bienheureuse Marie de Casteljaloux sont associées, cette fois, les églises de Beauziac, du Bouchet et de Taris50.
Le prieur de Saint-Raphaël figure aussi aux côtés du chapitre de Casteljaloux dans les comptes des décimes levés en 1528 et 1529 sur le clergé du diocèse de Bazas pour la rançon de François Ier et de ses fils : le recteur de Saint-Raphaël pour 7 livres 10 s. tournois comme celui d’Heulies, mais aussi le prieur de Saint-Raphaël pour 24 livres t., les chapelains (chanoines) de Casteljaloux avec le recteur de Saint (ici un blanc pour Notre-Dame) pour 180 l. t. Dans la levée des décimes de 1533, 1535 (les montants pour ces deux années se succèdent) et 1537, nous trouvons le prieur de Saint-Raphaël : 11 1. et 16 1. 10 s. t. ; le recteur de Saint-Raphaël de Casteljaloux : 3 l. 15 s. t. et 5 l. 12 s. 6 d. (113 s. 6 d. t. en 1537) ; le chapitre de Casteljaloux avec la rectorie de la Bienheureuse Marie : 70 l. 10 s. t. et 105 l. 15 s. t.51.
Ainsi, au XVIe siècle, Casteljaloux possédait un chapitre et un recteur à Notre-Dame, un prieur et un recteur à Saint-Raphaël. La paroisse de Saint-Raphaël n’offrait que des revenus modestes. Ainsi, en 1533, le recteur est taxé à 3 l. 15 s. t., comme celui de l’une des petites paroisses rurales de l’archiprêtré de Cocumont, alors que le chapitre et le recteur de Notre-Dame le sont pour 70 l. Il est clair que la paroisse Saint-Raphaël était des plus modestes et qu’elle ne devait recouvrir qu’une partie réduite de la ville murée.
Nous avons maintes fois entrepris des recherches pour en savoir plus sur l’église de Saint-Raphaël. Le titre de l’église n’est pas unique dans le diocèse de Bazas – il en existe une autre dédiée à l’archange, celle de Berthès voisine d’Auros –, mais il compte sans aucun doute parmi les plus rares et nous n’avons trouvé aucune église Saint-Raphaël dans le vaste Entre-deux-Mers bordelais et bazadais. Au XIVesiècle le prieuré de Casteljaloux dépendait toujours de l’abbaye bénédictine de Tourtoirac. Il figure pour une valeur de 40 livres dans une pancarte des diocèses de Périgueux et de Sarlat, vidimus de 1556 d’un document datant de 1340. Le prieur, nommé par l’abbé, y résidait avec un compagnon qu’il payait 100 s. (5 livres)52. S’il est toujours question d’un prieuré de Saint-Raphaël dans la première moitié du XVIe siècle, il n’est jamais fait mention de son rattachement à l’abbaye de Tourtoirac, mais on peut estimer que, jusqu’en 1568 au moins, le prieuré resta dans la mense de l’abbaye.
Les églises annexes de Saint-Raphaël : Saint-Michel, Saint-Gervais, Notre-Dame de Belloc
De l’existence d’anciens faubourgs, à défaut de preuves formelles nous possédons de bons indices. Le premier réside dans l’existence de deux anciennes églises “rurales”, celles de Saint-Michel et de Saint-Gervais. La première, dont les ruines étaient, nous l’avons vu, encore visibles au XVIIIe siècle est mentionnée, en 1281, dans le testament d’Anne, fille bâtarde d’Amanieu VI, qui lègue à “la hobre de la gleiza de Sent Miquel, 10 s. morl.”, comme elle le fait pour celle de Saint-Gervais. En 1286, Asarida fille, légitime celle-ci, d’Amanieu VI, laisse “a la obra de Sent Miquel 5 s. bord.53”. Selon J.-F Samazeuilh “il ne restait il y a peu de temps de cette église qu’un monticule de sable sur la rive gauche de l’Avance, en amont du moulin de Lannes et en aval de celui des Frères. Aujourd’hui, ce monticule a même disparu”. En 1481, les consuls de Casteljaloux la firent recouvrir, car ils souhaitaient en faire un hôpital. Elle est encore attestée en 1525, date à laquelle elle reçoit une absolution et, en 1530, lorsqu’elle accueille la sépulture d’un pestiféré. Nous nous demandons si ce cimetière n’était pas un des cimetières extérieurs à la ville dont il est fait mention en 1120. C’est ce que suggère, en tout cas, le titre de Saint-Michel. Or, c’est à proximité allons-nous voir, que fut, dans un premier temps, établi le couvent des frères de saint François54.
La paroisse Notre-Dame de Belloc
Il existait, enfin, au nord de la ville, à 1,5 km de l’église Notre-Dame, sur la route de Cocumont (D 252), une église Notre-Dame de Belloc, implantée probablement aux environs du lieu-dit de ce nom. À la fin du XVIIe siècle, le curé de Saint-Raphaël parle de sa paroisse de Notre-Dame de Belloc dont les paroissiens sont encore ensevelis dans le cimetière du lieu, mais l’édifice avait alors disparu55. En 1792, on mit en vente “un ancien cimetière – un tiers de journal –, paroisse de Belloc, où l’on enterrait il n’y a pas dix ans –, duquel l’acquéreur devait extraire les ossements”56.
À la fin du XIIIe siècle et au début du siècle suivant, Notre-Dame de Belloc fut un lieu de pèlerinage marial, sans comparaison certes avec ceux d’Uzeste, de Mimizan, de Rocamadour et du Puy, mais les Albret y étaient particulièrement attachés et placent cette église en tête des sanctuaires mariaux, objet de leur sollicitude. Elle nous est connue, entre autres, par une série de donations faites de 1262 à 1341 par Amanieu VI, son épouse, Mathe de Bordeaux, son fils Amanieu VII, et son épouse Rose de Bourg et par leur fils, Bernard Ez V : en 1262 et 1270, Amanieu VI lègue ainsi 200 s. morlans “a la obra Senta Maria de Bedlog” et “a la obra de Bedlog” ; en 1281, Anne, sa fille bâtarde, 20 s. morl. à “la hobre de la gleiza de Sancta Maria de Bedlog” ; la même année, Mathe de Bordeaux, son épouse, 100 s. bord. ecclesiæ Sancte Marie de Bello Loco en 1286, Asarida, leur fille, épouse de Centulle d’Astarac, 20 s. bord. “a la obra de Santa Maria de Bedlog” ; en 1308, Arnanieu VII, 10 livres d’arnaudins et 25 sous arnaudins de rente “a la obra de la gleisa de Belloc en Bazades”, pour faire brûler une lampe devant l’autel de Notre-Dame57. Cette somme devait être prise sur celle que le testateur percevait au lieu de Binhaus. Cette donation ouvre celles que le sire d’Albret fait à N.-D. de Mimizan (20 s. de rente), de Soulac en Médoc (10 l. d’arnaudins), à N.-D. d’Uzeste (20 l. d’arn.) et une chapellenie, à N.-D. du Puy (20 s. t. de rente), et à N.-D. de Rocamadour (10 s. t. de rente). Comme on le voit, les Albret n’hésitaient pas à placer N.-D. de Belloc en tête de ces sanctuaires, certains prestigieux. En 1308, Amanieu VII laisse encore “a la obre de la gleisa de Betloc en Vasades”, 10 livres d’arnaudins et 25 s. arn. de rente. En 1326, Rose de Bourg, son épouse, 50 s. bord. à “l’obre de Noste Done de Bellog” Bernard Ez V, leur fils, 50 s. bordelais ; à “la luminari de Noste Done de Belloc” (1341).
Or certains de ces legs sont accompagnés d’autres, faits ceux-là à une communauté du même nom. Ainsi, en 1270, dans son second testament, Amanieu VI fait une série de legs à l’œuvre de Sainte-Marie et Saint-Raphaël, puis il laisse à “la obra de Bedlog” 200 s. morl., à celle de St-Gervais 200 s. morl., enfin “a la obra de la maison de Bonlog del orde de Cistels, 500 s. de Bordel” (E 30). Dans son premier testament de 1298, Rose de Bourg, après les dons faits aux deux églises de Casteljaloux, laisse “a les sors de Nostre Done de Bedloc 25 s. morl. per lors necessitatz”.
Dans son second testament de 1324 elle lègue encore 4 l. “al convent de las monias (moniales) de Belloc”, mais rien à l’église. Nous avions, lors de nos premières recherches sur Casteljaloux, relevé ces diverses mentions, mais nous n’avions pu localiser le lieu de Belloc58. Qu’il y ait eu aux côtés de cette église, un couvent abritant une petite communauté, la chose ne fait aucun doute, mais ce qui nous intrigue c’est la référence à l’ordre de Citeaux. Y aurait-il eu, à proximité de la ville – ce qui paraît étonnant – une communauté suivant la règle cistercienne, jusqu’à ce jour inconnue ?
Le couvent des frères mineurs
En 1281, dans son testament, Mathe, épouse d’Amanieu VI, fait don aux frères mineurs, en plus de 200 livres bord., du cens qu’elle perçoit sur une terre appelée locus vetus fratrum minorum, située retro Sanctum Michaelum : “Aux anciens frères mineurs, en arrière de Saint-Michel”. À cette date, la maison des frères avait donc été déplacée sur l’emplacement qui fut le sien jusqu’à la Révolution, à proximité de l’église Notre-Dame, dans l’ancienne rue Magnebœuf, aujourd’hui rue de l’Hôpital. Ainsi, le couvent se trouvait-il, à l’origine, au nord de la ville, en bordure de l’Avance. Or, dans son premier testament de 1262, Amanieu VI avait demandé d’être enseveli “en la gleisa, en lo log des frairs menors de Castedgelos”, auxquels il lègue une rente de 500 s. morlans par an pour lui et de 50 s. pour son épouse. Le terme de “log” pour désigner le “coumben” des frères mineurs laisse supposer qu’à cette époque le nouvel édifice n’était pas encore achevé. Aussi, “en melhurar et en bastir la gleiza, el log” “afin d’aider à la construction et l’aménagement de l’église et du lieu” Amanieu VI laissa-t-il aux frères cent marcs d’argent, une somme tout à fait importante59. Huit ans plus tard, l’église et le couvent étaient toujours en chantier, car si dans son testament de 1270 Amanieu VI fait, cette fois, choix de sa sépulture “a la gliza dels frairs menors”, il donne encore aux frères 5 000 s. morl. “per far la gleiza e la maison”. Par contre, dans son testament de 1281, Mathe demande à être ensevelie dans l’église des frères mineurs à côté de son époux. L’église était donc alors achevée. La même année, Anne, fille bâtarde d’Amanieu VI, souhaite, elle aussi, être ensevelie dans cette église et laisse 1 000 s. morl. aux frères. En 1286, Asarida, fille d’Amanieu VI veut être inhumée dans la “gleiza” des frères mineurs, au côté de son père et de son frère, Bernadeidz (Bernard Ez IV) décédé en 1280. En 1298, Rose de Bourg, épouse d’Amanieu VII, élit sa sépulture dans la maison des frères mineurs de Casteljaloux en Agenes (sic), auxquels elle lègue 5 000 s. morl. En 1326, elle souhaite être inhumée “en la cor de la gleysse dels frais menors de Castedgelos deuant lo grant autar” comme son époux60.
Il ne fait aucun doute que l’implantation initiale des franciscains s’est faite à une époque où la ville était en expansion. Il est présumé que l’extension de l’habitat devait être la plus importante en direction de l’ouest sur la route de Bazas. C’est dans ce secteur qu’était établi le quartier de Saint-Gervais dont l’église bénéficie elle aussi de dons de la part des Albret : en 1270, Amanieu VI lègue 100 s. morl. “a la obra de Sent Gerbazy” ; en 1281, Mathe, son épouse, 20 s. bord. à l’église de Saint-Gervais la même année, Anne fille d’Amanieu VI, 10 s. morl. “a la hobre de la gleiza de Sent Gerbazi”. En 1286, Asarida, fille d’Amanieu VI, se montre plus généreuse et laisse 5 s. bord. à “l’obra” de chacune des “gleisas acostumals que son entorn de Castetdgelos”61.
L’Hôpital de Saint-Romain, dépendance de la commanderie d’Argentens, n’est pas oublié. Amanieu VI laisse, en 1262, 200 s. morl. “a l’hospital Sent Roman” ; en 1281, Mathe, son épouse 20 s. ecclesie Sancti Romani ; Anne, fille bâtarde d’Amanieu VI, 10 s. morl. à “l’espital de Sent Roman” ; en 1294, Isabelle, fille de Bernard Ez IV, épouse du comte d’Armagnac 200 s. morl. à l’hôpital de “Sancta Romane”62.
La nécessité se fit sentir de construire ou aménager un hôpital urbain. Rose de Bourg laisse ainsi, en 1326, 20 l. bord. “a far e obrar l’espital de Sent Jagme de Castedgelos en que los paubres sien aubergadz et recebudz”. Il s’agit probablement de l’hôpital qui se trouvait au XVIIIe siècle dans la partie orientale de la Grande Rue63.
Bien que nous n’ayons, pour l’instant aucun document antérieur au XVIe siècle qui en fasse mention, nous ne pouvons passer sous silence l’existence d’une chapellenie de Saint-Nicolas dont dépendaient une chapelle ainsi que des rentes et des dîmes. La chapelle, située intra-muros, passée dans les mains de la ville, devint maison commune puis Hôtel de ville64. Il est difficile de se prononcer sur la date de cette fondation, mais le titre de saint Nicolas nous amène aux environs de l’an 1000. Selon J.-F. Samazeuilh, “l’église, bien que remontant par son style à l’époque de la concession faite à la Grande Sauve, n’avait aucun rapport avec cette charte”65. Cela semblerait signifier que l’église était romane et pourrait être, si tel était le cas, celle d’un prieuré.
Conclusion
À la lumière de cet ensemble d’informations fragmentaires, à partir desquelles il n’est pas toujours aisé de tirer des conclusions définitives, quelles réponses peut-on apporter aux deux questions qui ont fait l’objet de notre enquête : à quelle époque les Albret sont-ils devenus seigneurs de Casteljaloux et le furent-ils seuls ? De quelle façon la ville s’est-elle développée du XIe siècle au début des temps modernes ?
S’agissant des Albret notre conclusion reste la même que celle que nous avions naguère avancée : les Albret sont présents à Casteljaloux dès la fin du XIe siècle, sinon plus tôt, et ils en sont les seuls seigneurs. La meilleure preuve n’est-elle pas finalement le fait que dans le contrat de paréage ils se disent alleutiers. Les évêques et le chapitre de Bazas ne possédaient à Casteljaloux que les églises de la ville, Notre-Dame et Saint-Raphaël donnée avant 1120 à l’abbaye de Tourtoirac et celles de ses environs immédiats. À aucun moment ils ne furent seigneurs temporels comme ils l’étaient et le restèrent à Bazas. Le différend qu’ils eurent avec les évêques d’Agen comme avec ceux de Dax portait uniquement sur les limites de leurs diocèses.
La morphogenèse de la ville, en revanche, n’apparaît pas avec certitude.
Essayons, à la lumière des deux plans et des indices que nous apportent les sources écrites, de proposer un schéma de formation et d’évolution. Vers 1120, Casteljaloux est un bourg castral constitué d’un château établi sur une île de l’Avance et d’un bourg subordonné, appelé “ville”, clos par une enceinte probablement en terre et en bois, disposant d’une église dédiée à Notre-Dame dont l’évêque de Bazas avait le patronage. Le château garde le pont sur l’Avance par lequel passe la route de Bordeaux à Toulouse qui traverse la ville de l’ouest vers l’est et l’habitat s’est naturellement établi le long du chemin qui conduit à ce pont (la Grande Rue).
Lorsqu’on considère les deux plans établis au XVIIIe siècle, on est frappé par la relation étroite qui existe entre les données de terrain, le tracé de l’enceinte et le réseau viaire. La ville close apparaît comme une île entourée sur trois côtés par des zones humides ou des marais, probablement plus importants à l’époque médiévale. L’enceinte épouse étroitement la limite des terres apparemment insubmersibles au sol stabilisé. Les trois rues principales dessinent un fuseau dont le tracé est commandé par celui de l’enceinte : l’enceinte, adaptée aux réalités du terrain, n’a pas été surimposée à l’habitat, mais lui a servi de “moule”. Les murs à l’intérieur de laquelle se trouve en 1120 l’église Saint-Raphaël sont-ils ceux que nous venons de décrire ? Sauf à imaginer que cette église ait changé de site, ce qui n’est guère vraisemblable, il faut bien l’admettre. Mais retenir ce parti pose un certain nombre de questions. Cela signifierait, en effet, que, dès 1120, Casteljaloux aurait eu une superficie de 8 ha environ et que sa superficie n’aurait pas évolué par la suite. Comparons-la avec celle des autres villes du Bazadais : la “cité” de Bazas, d’origine antique, avait 3 ha environ, le noyau castral de Langon qui a la même origine que Casteljaloux 2,5 à 3 ha. Dans leur plus grande extension murée, à la fin du XIIIe siècle, la superficie de ces villes atteint 8 à 9 ha. Donc celle de Casteljaloux n’a rien d’excessif.
On peut se demander aussi s’il n’y aurait pas eu, comme à Langon, une première enceinte protégeant un habitat subordonné au château : la chose est possible et même probable. On serait alors tenté de faire coïncider son tracé avec celui de la rue de Beyries, mais, mis à part son orientation, rien ne vient à l’appui de cette hypothèse qu’il convient néanmoins de retenir. C’est dans le sous-sol de la ville que se trouvent les informations qui nous manquent.
En revanche, le fait que le prieuré se trouve à la limite ouest de l’enceinte connue est indiscutablement lié aux circonstances dans lesquelles celle-ci a été édifiée dans la version que nous connaissons. Il est tout à fait possible que le faubourg Saint-Raphaël se soit étendu auparavant en direction de l’ouest et peut-être fut-ce encore le cas jusqu’à la fin du XIIIe siècle. Mais, une extension de la ville close vers l’ouest se serait avérée onéreuse, car, dans ce secteur, la terrasse étant proche du niveau du sol de la ville, il aurait fallu creuser des douves.
C’est dans une autre direction, du côté du nord, dans l’axe de la porte de Beyries, que les faubourgs durent aussi s’étendre aux XIIe et XIIIe siècles. En effet, c’est dans ce secteur que se trouvait l’église Saint-Michel et probablement l’emplacement du premier couvent des frères mineurs. Il aurait suffi de continuer à s’appuyer à la rivière et de bâtir un mur depuis les foulons (F) jusqu’à l’angle nord-ouest de l’enceinte (N, couvent des religieuses de Saint-Benoît). La zone ainsi close aurait été presque aussi étendue que la ville intra-muros. C’est au premier tiers du XIIIe siècle que la ville connut sans doute sa plus grande extension, mais une prospérité modeste, comme en témoigne la présence d’un seul ordre mendiant qui devait beaucoup plus à la générosité de la famille d’Albret qu’à celle des bourgeois de Casteljaloux. Probablement en raison de l’insécurité croissante – les années 1246-1255 furent particulièrement agitées dans le duché –, les frères mineurs abandonnent leur premier couvent pour s’installer intra-muros vers 1270. Dès le début du XIVe siècle, le royaume entre dans une période de récession démographique qui va s’accentuant à partir de la peste de 1348 qui n’épargna pas probablement Casteljaloux. La plupart des villes vont alors rester enfermées dans leur dernière enceinte jusque dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.
Soyons clairs, le schéma d’évolution que nous venons d’esquisser s’appuie sur un trop petit nombre de certitudes pour être considéré comme définitif. Quelle place en effet peut-on accorder au contrat de paréage entre les Albret et l’abbé de La Sauve, même s’il resta à l’état de projet ou s’il avorta ? Nous avions pensé en 1972 que ce contrat avait été mis à exécution et vu dans le prieuré de Saint-Raphaël celui de la Sauve. Or nous ignorons qui fut le fondateur de l’église Saint-Raphaël et si ce fut, dès l’origine, un prieuré. Nous ignorons aussi à quel titre et pour quel motif l’évêque Bertrand de Baslade a fait don de l’église Saint-Raphaël aux moines de Tourtoirac. On ne saurait donc affirmer qu’il n’existe aucun lien possible entre cette église et l’abbaye de La Sauve. Mais, si tel était le cas, la date de 1131 serait à rejeter, car trop tardive. Dans le cas contraire, il conviendrait de chercher en dehors de l’enceinte l’emplacement prévu pour l’implantation de la fondation issue du contrat de paréage. Mais on ne saurait imaginer dans une ville modeste comme l’était Casteljaloux la présence de deux prieurés bénédictins. Comme on le voit, Casteljaloux n’a pas encore livré tous ses secrets.
Notes
- On notera aussi que les différents inventaires du trésor des chartes d’Albret conservés aux archives des Pyrénées-Atlantiques E 13 (1498), E 14 (1544), E 139 et E 140 (XVe siècle) ne mentionnent pas d’actes antérieurs à 1350 concernant Casteljaloux.
- Archives départementales de la Gironde A. D. 33 C824 et 2 Fi 972. Nous avons déjà publié ces deux plans dans chacune des deux éditions de notre thèse. Dans la seconde Marquette Jean Bernard, Les Albret. L’ascension d’un lignage gascon (XIe siècle-1360) (Les Albret), Ausonius, 2010, p. 50-51, il s’agit de reproductions en couleur qui facilitent leur analyse.
- Jean-François Samazeuilh, Monographie de la ville de Casteljaloux, imprimerie J. Bouchet, Nérac, 1860. Une réédition a été faite en 1983 par Jean Queyrou augmentée d’une étude sur l’œuvre de J.F. Samazeuilh par Jacques Clémens et d’une biographie de l’historien par Adolphe Magen.
- L’église Notre-Dame, érigée en collégiale en 1521, avait été détruite en septembre 1568 et fut reconstruite de 1683 à 1711 (Monographie, p. 10).
- Selon J.-F. Samazeuilh, l’église Saint-Raphaël fut, elle aussi, “outragée par les protestants en 1568”, mais non détruite, car elle fut transformée en Temple de 1568 à 1576. J.-F. Samazeuilh avait encore vu le clocher et sa flèche qui ne s’écroulèrent qu’en 1848 (Monographie, p. 10-11). En voici la description d’après le procès-verbal, établi en 1796, au moment de sa vente : “L’église est bâtie en pierre, couverte de tuile canal, de 65 pieds de long sur 78 pieds de large et 25 pieds de haut, y ayant, presque sur le derrière, une grande tour aussi bâtie de pierre de 50 pieds de haut servant de clocher, sur laquelle tour est une flèche d’une hauteur considérable, construite en bois, couverte d’ardoise. En dedans dudit bâtiment sont quatre grands piliers en pierre de taille jusques et pour soutenir la charpente. L’église est lambrissée.” La présence de quatre piliers de pierre nous indique qu’il y avait probablement deux bas-côtés, ce que confirme la largeur de l’édifice. Lors de la vente de l’église (17 novembre 1796), le curé de Notre-Dame racheta le chœur et le sanctuaire de l’église pour y établir un oratoire. À partir de ces indications, on peut imaginer l’église Saint-Raphaël comme un édifice avec une nef, des doubles bas-côtés et un chevet avec chœur et abside. Le cimetière, dont il est question en 1120, existait toujours à la fin du XVIIIe siècle : “Un cimetière est à l’entour de l’église au couchant et midi fermé par un mur : la partie qui est au couchant est longue de 7 pieds sur 20 de large et celle qui est au midi forme un triangle de 47 pieds de long sur 20 de large.” (A. D. 47, Notes historiques du chanoine Durengues, Casteljaloux, p. 1, 2).
- Samazeuilh Jean-François, Monographie de la ville de Casteljaloux, 1860. Nlle édition, 1983, p. 24. L’auteur met en relation l’arrivée des Albret en Bazadais avec la concession du château de Cazeneuve (cne de Préchac, canton de Villandraut, Gironde) par le vicomte de Béarn en 1250. À partir de cette date, les Albret se seraient “avancés” dans le pays et ils durent obtenir Casteljaloux des évêques de Bazas comme ils obtinrent Nérac des abbés de Condom.
- Cf. infra, n. 9.
- Marquette Jean Bernard, Les Albret. L’ascension d’un lignage gascon (XIe siècle-1360) (Les Albret), Ausonius, 2010, p. 48-53.
- Grand Cartulaire de La Sauve Majeure, publié par Charles Higounet et Arlette Higounet-Nadal, Fédération historique du Sud-Ouest, Bordeaux 1996, t. I, n° 708. Il s’agit de la transcription de l’acte qui figure dans le Silvœ Majoris abbatiœ Chartularium majus, conservé à la Bibliothèque de Bordeaux, ms 0769-1. Cet acte figure aussi dans le Chartularium minus, Bibliothèque de Bordeaux ms 0770 bis, fol. 48. La date Kal. maii M° CXXXI° et K. mai 1131 a été rajoutée par la même main sur les deux manuscrits, au XVIIe ou au XVIIIe siècle. Dans la mesure où nous n’avons conservé aucun acte émanant d’un sire d’Albret daté du XIIe siècle, le fait que celui-ci aurait été daté selon le calendrier romain ne nous apporte aucun élément d’appréciation.
- Cirot de La Ville abbé, Histoire de l’abbaye et congrégation de Notre-Dame de la Grande-Sauve, Ordre de Saint-Benoît, en Guyenne, 1845, t. I, p. 372 : “Le saint abbé (Gérard, fondateur de cette abbaye) que son âge avancé et les fatigues des voyages n’arrêtaient pas, alla lui-même visiter les églises que l’évêque de Bazas venait de mettre en sa possession et ses succès y furent si heureux que Bernard d’Albret, voulut contribuer à leur extension en lui donnant sa terre de Casteljaloux, à la charge d’y bâtir une église, un faubourg et d’y faire exercer la justice par ses religieux” (chart. maj. f° 180 ch. 1a – chart. min. f° !9 ch. 3a) (Durengues, p. 3).
- Grand Cartulaire, n° 709 et 710. Dans l’édition du cartulaire, ces lieux ne sont pas identifiés, mais Labarde ou Labarthe est situé au nord-ouest de Casteljaloux, aux environs de Romestaing, dans le diocèse de Bazas.
- J.-F. Samazeuilh, Monographie, p. 6-7.
- Marquette J.-B., op. cit. p. 48-52.
- Archives départementales de la Gironde. H 249. Jacques Clémens, dans l’introduction à la réédition de la Monographie de la ville de Casteljaloux parle en ces termes de ces trois documents : “Nous avons retrouvé les documents signalés par les historiens du XVIIIe siècle aux Archives départementales de la Gironde (H249, n° 20, 21). Nous les avons présentés à Casteljaloux lors d’une inoubliable conférence à l’Hôtel de Ville organisée en 1979 par Jean Queyrou. Cette redécouverte confirme la bonne foi des premiers historiens, mais ne bouleverse pas l’analyse de Samazeuilh. Les décisions contenues dans ces documents ont-elles reçu un commencement de réalisation ?”.
- Arlette Higounet-Nadal, La pratique des courroies nouées aux XIe et XIIe siècles, d’après le grand cartulaire de La Sauve Majeure, Bibliothèque de l’École des Chartes, t. 158, 2000, p. 272-282 en particulier p. 277.
- Père Anselme, Histoire généalogique de la maison royale de France et des grands officiers de la couronne et de la maison du roi, 2e édition 1712, 3e édition, 1726-1733 ; L’art de vérifier les dates des faits historiques, des chartes, des chroniques et autres anciens monumens par des religieux bénédictins de la Congrégation de Saint-Maur, 3e édition, Paris, 1783, 2 vol. in-f° ; 4e édition, 1818-1819 en 19 vol. in-8° ; Luchaire (A.) Notice sur les origines de la maison d’Albret (977-1270), Pau, 1873.
- Monographie, p. 7. Il s’agit de Bernard Ez IV et V.
- La mention Doc. renvoie aux documents cités dans Les Albret, p. 27-30.
- Cartulaire, n° 1.
- Les Albret, p. 30-31. Doc. 7, 8, 9. Oïhenart et d’Hozier, suivis par le père Anselme, mentionnent, de leur côté, un Bernard ou Bernard Ez, présent comme témoin dans un acte de La Sauve que nous n’avons pas retrouvé, dont ils font le père d’Amanieu IV. Les Bénédictins, Achille Luchaire et J. de Jaurgain ont repris ces données. Il pourrait s’agir de Bernard Ez III.
- Cartulaire, n° 710. Gaufridus prior est attesté entre 1095-1097 et 1102 et 1107 (n° 60- 61, 96, 693).
- Monographie, p. 8-9. Contrairement à ce que déclare J.-F. Samazeuilh l’archevêque de Bordeaux n’intervint pas dans le règlement de cette affaire.
- Chronique, année 1246.
- Les Albret, p. 466, n. 369.
- Cf. n. 21.
- Grand Cartulaire, n° 1127. Couthures, commune de La Réunion.
- Chanoine Durengues, Notice : Casteljaloux, p. 4. Le journal, surface de terre qu’une charrue pouvait labourer en une journée. Il était divisé en latte et escats.
- Gallia Christiana, t. I, 1873, abbaye de Tourtoirac.
- Gallia Christiana, t. I, 1873, Instrumenta IX, p. 491. André Delmas a donné une analyse de cette bulle dans Pancarte des évêchés de Périgueux et de Sarlat, 1556. Essai de restitution, dans Bulletin de la Société archéologique du Périgord, 1992, 2e trim., p. 149.
- Chronicon Vazatense, dans Archives historiques du département de la Gironde, t. XV, p. 25-26.
- Ibid.
- Les Albret, p. 28, n. 34.
- Monographie, p. 22-23. J.-F. Samazeuilh évoque brièvement ce conflit.
- Chronicon, p. 25-27.
- Dom Aurélien O.S.B., La Gaule catacombaire. L’apôtre saint Martial et les fondateurs apostoliques des Églises des Gaules, Baptista Salvatoris ou Le sang de saint Jean-Baptiste peu d’années après l’ascension de Notre Seigneur Jésus-Christ, Toulouse-Paris, 1880, p. 293-294.
- Nous avons consacré une étude à ce conflit : Note sur la lutte entre les évêques de Bazas et d’Agen au XIIe siècle, Revue historique de Bordeaux et du département de la Gironde, juillet-décembre 1962, p. 145-156 et Supplément au n° 4, avril 1963 des Cahiers du Bazadais.
- Si Bertrand fut évêque de Bazas de 1108 à 1126, Adalbert ne régna à Agen que de 1117/8 à 1128. Au début du différend, c’est Gausbert qui était évêque d’Agen (1105-1115). Girard de Blay, évêque d’Angoulême (1100) avait été nommé légat par Pascal II (1099-1118). Calixte II le maintint dans cette légation, le 16 octobre 1120.
- Au lendemain du décès d’Honorius II (1124-13 février 1130), les cardinaux s’opposèrent, les uns élisant Anaclet II (14 février 1130-25 janvier 1138), les autres Innocent II (23 février 1130-24 septembre 1143). Le concile d’Étampes, tenu au mois d’août 1130, se rangea, sur la pression de Saint Bernard du côté d’Innocent II, reconnu par la majorité des évêques. Girard de Blay, devenu archevêque de Bordeaux (1131-1135) et l’évêque de Bazas, Geoffroy, restèrent fidèles à Anaclet II.
- Les Albret, p. 28.
- La chronique renvoie au cartulaire dit liber rubeus, folio 3. Alexandre III ayant régné de septembre 1159 au 30 août 1181, le chroniqueur a commis une erreur comme cela arrive assez souvent. Cf. Les Albret, p. 31, Monographie, p. 24. Selon J-F. Samazeuilh le sire d’Albret aurait pillé les paroisses formant l’extrémité orientale du Bazadais. Il n’en est pas question dans la Chronique.
- Ce que J.-F. Samazeuilh traduit par “nomination du recteur de Sainte-Marie laissée pour un temps aux suffrages des chanoines du Mas” (Monographie, p. 23-24). Rien n’est moins sûr.
- Chronicon Vazatense, 1251.
- Le montant des dons est exprimé en monnaie de compte sur la base de une livre (l.) = 20 sous (s.) = 240 deniers (d.). Ce n’est là qu’une expression numérique, sauf pour le denier d’argent frappé depuis le VIIIe siècle. Mais il existe plusieurs deniers qui diffèrent par le poids et l’aloi ou titre : ainsi 4 deniers tournois (de Tours) valent 4 d. parisis. En Gascogne on compte en deniers merlans (morl.), frappés à Morlaas (Béarn), bordelais, arnaudins (Agenais) ou tournois. On parlera ainsi de sous ou de livres, morlans, bordelais ou tournois.
- Arch. dép. des Pyrénées-Atlantiques, E 17, 19.
- Cf. Les Albret, p. 406 et n. 24. A. D. 47 E suppl. 2384 : “segont la carta villa de les coustumes sagerades dels sagets del reverent payr en Crist, lo senhor en Galhard de Lamota, abesque de Basatz en aquet temps e del capitre de Sainct Johan de Bazas e del senher n’Amaniu de Labrit et d’en Peyronin de Lamota”. L’acte est daté d’après l’épiscopat de Gaillard de La Motte ; Peyronin de Lamothe pourrait appartenir à la famille des seigneurs de Roquetaillade ou de ceux de Castelnau-de-Mesmes en Bazadais. Monographie, p. 9.
- Sa démolition a commencé en 1636 par ordre de Louis XIII. Monographie, p. 18-20.
- Recueil d’actes relatifs à l’administration des rois d’Angleterre en Guyenne au XIIIe siècle. Recognicones feodorum in Aquitania, éd. Charles Bémont, Paris, imprimerie nationale, 1914, n° 560. Lavalhs. Il s’agit de l’Avance et de ses bras.
- Tous les documents que nous allons évoquer appartiennent au Trésor des chartes d’Albret conservé aux Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques sous les cotes : E17 : premier (1262) et second testament (1270) d’Amanieu VI (1240-1270) ; testaments d’Asarida, fille d’Amanieu VI (1286), de son épouse Mathe de Bordeaux (1281), d’Isabelle (1280-1294), fille de Bernard Ez IV (1270-1280) ; E19 : premier testament de Rose de Bourg (1298) ; E20 : premier testament d’Amanieu VII (1308 et 1309) ; E25 : testament d’Anne fille bâtarde d’Amanieu VI ; E27 : second testament d’Amanieu VII (1324) ; second testament de Rose de Bourg (1326).
- Il s’agit probablement de l’hôpital Saint-Romain.
- La procuration est la redevance due à l’évêque à l’occasion de sa visite. Pouillés des provinces d’Auch, de Narbonne et de Toulouse, publiés sous la dir. de Michel François par C. Edmond Perrin et J. de Font-Réaulx, première partie, Paris, 1972, p. 446, 454. Le Bouchet et Taris ou Le Tren se trouvent dans la commune de Beauziac. Taris a été par erreur, transcrit Caris.
- Arch. Historiques du département de la Gironde, t. XXVIII, 1893, p. 329, 342-344. Par décime il faut entendre contribution égale au dixième du revenu.
- André Delmas, Pancartes des évêchés de Périgueux et de Sarlat. 1556. Essai de restitution, Bulletin de la société historique et archéologique du Périgord, 1er trim. 1992, p. 38. Cette pancarte a été dressée sur la copie, vidimée le 15 avril 1556, par Jacques de Repaire, conseiller du roi et sénéchal de Périgord de la pancarte originelle enregistrée en 1340.
- Pour l’ensemble des références des citations qui suivent cf. n. 38.
- Monographie, p. 14.
- A.D. 47 4E 521 (1692-94).
- Chanoine Durengues, Notice, Casteljaloux, p. 2.
- On notera la mention “en Bazades” qui s’explique par la proximité de l’Avance qui séparait les diocèses d’Agen et de Bazas.
- Nous ignorons quel fut le destin de l’église et de la communauté. L’église traversa-t-elle sans encombre les crises de la fin du Moyen Âge, ou fut-elle détruite en 1568 par les Réformés ? Nous poursuivons l’enquête.
- Le marc de Troyes valant 244,752 g, cent marcs équivalent à 24,47 kg.
- J.-F. Samazeuilh ne se prononce pas sur la date de la fondation et ne cite que des documents du XVe siècle. D’après lui, les franciscains s’établirent d’abord hors les murs – ce qui est exact – comme le prouveraient des “documents irrécusables” – mais il ne précise pas lesquels. Il pense que ce premier couvent aurait pu se trouver à proximité de la fontaine des Frères, que nous n’avons pas identifiée (Monographie, p. 11). Le chanoine Durengues qui connaissait le testament d’Amanieu VI (d’après les Arch. Hist. de la Gironde, t. II, p. 131) a bien vu qu’en 1262 l’église et le couvent étaient inachevés. Mais il pense que le couvent était alors hors les murs. Il hésite ensuite sur la date du transfert intra-muros, soit “au cours de la guerre de Cent Ans”, soit “peut-être après 1471”, sous Alain le Grand et grâce à ses largesses, ce qui aurait valu à ce prince le titre de fondateur que lui décerne la Gallia Christiana (Casteljaloux, p. 4-5).
- A.D. 64 E 19. L’emplacement précis de l’église, sans doute un modeste édifice, dont le cimetière est attesté encore à la fin du XVIIIe siècle n’est pas, semble-t-il, connu. A.D. 47, E suppl. 2242 et suiv. Le chanoine Durengues et J.-F. Samazeuilh n’en parlent pas.
- Selon le chanoine Durengues, l’église serait devenue une annexe de Gassac. Elle était depuis longtemps détruite en 1789 (p. 2). J.-F. Samazeuilh fait état, pour sa part, de “la découverte récente des fondations de cet édifice”, sur la rive droite de l’Avance (p. 15).
- Le Chanoine Durengues, Casteljaloux p.15, a mentionné cette disposition de Rose de Bourg.
- Chanoine Durengues, Notice, Casteljaloux, p. 14.
- Monographie, p. 13.

