Ébauchée il y a une quarantaine d’années lors de la publication de ma thèse de doctorat et d’un livre écrit tandis que je candidatais à un poste de chercheur au CNRS, cette enquête n’a cessé de me captiver. La conclusion de ces ouvrages en esquissait d’ailleurs les lignes de force : d’abord la nécessité de se méfier des intimes convictions initiales, fruits d’approches bien trop passionnelles, dont la Culture des “Champs d’urnes”, le phénomène “princier” du milieu du Ier millénaire av. n. è, ou l’origine des Celtes. Ce faisant, la première, entreprise avec pour problématique une confirmation du modèle traditionnel de trois migrations successives assez massives, me conduisit de fait à l’invalider. La suivante renforça au contraire le modèle originel pourtant fortement contesté alors. La troisième me conduisit à proposer une origine de l’ensemble culturel celtique bien plus précoce et nuancée que ce que pensaient la plupart des spécialistes.
Cette défiance m’accompagna tout au long de cette enquête et s’accentua même au fil du temps. L’archéologie, comme toutes les sciences humaines, se trouve en effet constamment menacée par le plus fallacieux de nos biais cognitifs : le biais idéologique. Ce piège émotionnel tend même, depuis les années 1980 à être accrédité sans vergogne par un relativisme sans limite, prôné par le courant postmoderniste pour lequel toute interprétation ne serait qu’une question de point de vue. C’est lui qui a légitimé, donc jeté en réalité les bases conceptuelles des oppositions binaires, des hiérarchisations victimaires, des “vérités alternatives”, des informations trompeuses et des lynchages médiatiques (Cancel culture) colportés à profusion par les réseaux sociaux.
Devenu archéologue professionnel depuis 1986, j’ai exercé comme chercheur au CNRS jusqu’en 2007, puis Professeur à l’Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne ensuite. En 1998, mon Habilitation à diriger des recherches, intitulée “Esquisse d’une Protohistoire de la division sociale en Europe” illustra bien le caractère irrépressible de mon attirance pour cette problématique. Mon investissement dans la coordination des “Thèmes transversaux” (1998-2006) de l’Unité Mixte de Recherche 7041 Archéologies et Sciences de l’Antiquité à Nanterre me permit d’ailleurs d’étoffer amplement mes connaissances transdisciplinaires, donc de réaliser de fructueuses synthèses comparatives.
Mon champ de recherche couvrit la Protohistoire européenne avec un accent particulier sur la Protohistoire récente, c’est-à-dire les âges du Bronze et du Fer. J’ai publié 16 ouvrages et 146 articles scientifiques. Tout en travaillant sur des programmes de fouilles d’échelle microrégionale, comme le programme des Fouilles protohistoriques de la vallée de l’Aisne, je me suis intéressé à l’évolution des méthodes et des théories à propos de thématiques larges d’échelles continentales, comme les échanges, les formes d’organisations sociales, ou les modes d’occupation de l’espace. Cette approche multiscalaire fut systématiquement mise au service de ma problématique de prédilection : la dynamique des changements sociaux ayant conduit à l’émergence de l’État.
Au fil de ma carrière et de mes nombreuses collaborations, j’ai noué des relations intellectuelles plus étroites et amicales avec trois personnes qui sont à l’initiative de la mise en œuvre de ce recueil :
Bruno Chaume, avec lequel la coopération s’est concrétisée, dès son entrée au CNRS, UMR 5594, ARTEHIS à Dijon, par la production de plusieurs articles en cosignature et l’organisation de deux colloques internationaux à Châtillon-sur-Seine sur le thème “Vix et le phénomène princier“, l’un en 1993, publié en 1997, l’autre, avec Federica Sacchetti, en 2016, publié en 2021.
Anne Nissen, Professeure d’archéologie médiévale à l’université Paris 1-Panthéon-Sorbonne, avec laquelle j’ai organisé à partir de 2012, avec Réjine Le Jan, puis Geneviève Bührer-Thierry, deux “Journées archéologie et histoire“ par an d’approches comparatives de l’âge du Fer au Haut Moyen Age. Et nous avons ensuite créé l’équipe TranSphères en 2018 de l’UMR ArScan à Nanterre dans la perspective de produire des travaux transdisciplinaires et multiscalaires.
Sophie Krausz dont nos liens conceptuels se sont resserrés lors de la préparation de son Habilitation à diriger des recherches, soutenue en 2014 ; ce qui conduisit logiquement à ce qu’elle me succède à la chaire de Protohistoire européenne de l’université Paris 1-Panthéon-Sorbonne. Ayant dirigé les Éditions Ausonius de 2018 à 2021, elle eut l’idée avec Stéphanie Vincent de proposer la réalisation de ce recueil dans la collection B@sic, soutenue par Bruno Chaume et Anne Nissen ; ce qui m’a enchanté. C’est elle qui a assuré la très chronophage élaboration éditoriale de la trentaine d’articles publiés sur près de 40 ans et sélectionnés ici. Cette revue détaillée de mes articles les plus significatifs sur la question de l’évolution sociale m’a rappelé certains aspects oubliés du contexte changeant dans lequel mes recherches ont évolué, ce qui m’a permis, avec le recul, d’en mieux comprendre l’enchainement. Elle a aussi ravivé quelques idées, restées en jachère, que je compte bien réintégrer dans mes travaux en cours.
Loin de constituer un simple mémorial, ce type de publication met en valeur un complément des plus utiles : les perspectives les plus saillantes d’une réflexion au long cours.
Nemours, le 6 janvier 2025