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L’origine des Celtes.
Communautés linguistiques et réseaux sociaux

Brun, P. (2006) : “L’origine des Celtes. Communautés linguistiques et réseaux sociaux.” in : Vitali D., dir., Celtes et Gaulois, l’archéologie face à l’Histoire 2, La Préhistoire des Celtes, Actes de la table ronde de Bologne-Monterenzio (28-29 mai 2005), Glux-en-Glenne, 29-44.


Je proposais là de situer l’origine des Celtes au IIIe millénaire selon un modèle en partie migratoire qui s’avère, d’après les analyses de l’ADN, avoir été nettement plus massif que je ne l’envisageais alors. J’interprétais encore à tort les dépôts non funéraires comme des cachettes temporaires, alors qu’il s’agissait en grande majorité de dépôts votifs ou propitiatoires. J’insistais par ailleurs sur le fait crucial que les échanges les plus efficients étaient déjà moins les flux de matières que ceux d’informations.

I was proposing here to set the origins of the Celts in the 3rd millennium according to a partly migratory model which, according to DNA analyses, has turned out to have been far more massive than I had envisaged at the time. I was still misinterpreting non-funerary deposits as temporary hiding places, whereas the vast majority were votive or propitiatory. I otherwise insisted on the crucial fact that the most efficient exchanges were already less about the flow of materials than about the flow of information.


La conception traditionnelle et les sources disponibles

Les Celtes sont envisagés ici comme les locuteurs de langues celtiques, porteurs d’un ensemble d’éléments communs dans leur culture matérielle et artistique.

La conception dominante

Les Celtes sont réputés avoir occupé une large partie de l’Europe. Ils ont même menacé les sociétés européennes les plus célèbres de l’Antiquité, en pillant Rome au IVe s. a.C. et Delphes au IIIe s. a.C. Ils n’ont, ensuite, cessé d’entretenir des rapports oscillant entre le conflit et la coopération avec la civilisation gréco-romaine, jusque tard dans le Ier mill. p.C.

La plupart des spécialistes s’accordent pour identifier les Celtes en question comme les populations porteuses d’une culture matérielle dite de La Tène, dont nous savons que des fractions ont émigré, depuis une vaste zone nord-alpine, vers le sud et vers l’est. Vers l’ouest aussi, des Celtes d’origine nord-alpine sont censés avoir étendu leur influence au cours de l’âge du Fer. Cela expliquerait la présence, aujourd’hui encore, de locuteurs de langues celtiques dans l’extrême ouest de l’Europe. Cette conception est tout à fait explicite dans l’ouvrage d’Henri Hubert1 qui a profondément influencé les spécialistes français. Hubert est, certes, demeuré imperméable aux perspectives racistes de Gustav Kossina et ses épigones, mais a adopté l’interprétation, dominante chez les chercheurs allemands, des changements culturels en termes de migrations de peuples : “À chacun des changements d’aspect des civilisations préhistoriques ont correspondu des mouvements de population de plus ou moins grande importance2”. Plus précisément, les Celtes constituent un groupe de “populations venues d’Allemagne3”. Cet auteur se montre pourtant conscient d’une étonnante contradiction à ce propos. Il remarque bien dans quelle aporie se trouvent ceux qui ont institué “entre les deux termes, Civilisation de La Tène et Celtes, une véritable équation. Une école de celtisants” explique-t-il “a raccourci de la sorte, de la façon la plus fâcheuse, l’histoire des Celtes d’Irlande : elle la fait commencer aux premières trouvailles d’objets de La Tène dans cette île. Il est nécessaire de poser dès maintenant en principe (…) que la Civilisation de La Tène ne correspond effectivement qu’à l’un des groupes de Celtes, ceux-ci s’étant divisés bien avant le Ve s. a.C. Elle est celle des Brittons continentaux qui prirent ensuite la tête des autres groupes. La civilisation des Celtes s’est uniformisée plus tard, en raison de ce débordement des Brittons sur tout le domaine celtique4”. Il met là le doigt sur une difficulté majeure, qui persiste d’ailleurs aujourd’hui, entre ce qu’induisent les sources linguistiques d’une part, les sources archéologiques de l’autre. De plus, il conjugue adroitement les phénomènes de divergences – des langues et des cultures matérielles – et de convergences ; ce qui complique la saisie des évolutions, mais aussi l’enrichit considérablement, comme nous le verrons plus bas.

Rien, en somme, dans la documentation archéologique n’étaye l’hypothèse d’une “celtisation” des régions atlantiques pendant l’âge du Fer. On cherche désespérément les indices matériels d’éventuels mouvements migratoires depuis la zone nord-alpine dans les îles britanniques, comme dans la péninsule Ibérique. Christopher Hawkes en était bien conscient lorsqu’il proposa un modèle de “celtisation cumulative” de la Grande-Bretagne et de l’Irlande, dans lequel une série de transferts culturels de faibles volumes se serait étalée sur sept à huit siècles5. Les collègues espagnols et portugais ont proposé, pour la même raison, d’envisager une celtisation graduelle de la péninsule Ibérique, à partir de l’apparition des Champs d’urnes du Bronze final, via le Languedoc6. Il convient, par conséquent, de passer en revue les grandes lignes du dossier de l’origine des Celtes.

Les sources littéraires

Deux catégories de sources littéraires se distinguent à la lecture du commode recueil publié par Paul-Marie Duval, il y a plus de trente ans7. Les plus anciennes, confuses, s’avèrent peu fiables. Elles expriment la vision que les Grecs avaient de leur environnement humain. Pour eux, le nord-est de l’Europe était occupé par les Scythes et le nord-ouest par les Celtes. Dès lors, tous les “barbares” de l’hinterland nord-occidental ne pouvaient être que Celtes. Une confusion analogue a fait nommer Indiens les indigènes d’Amérique.

Le plus ancien écrit connu qui mentionne un peuple celte date du Ve s. a.C. On le doit à Hérodote : “l’Istros (le Danube) prend sa source aux pays des Celtes et de la ville de Pyrène, coule à travers l’Europe qu’il coupe par le milieu. Les Celtes sont voisins des Kynèsioi qui sont à l’Occident le dernier peuple de l’Europe”. Cette information recèle une grosse ambiguïté. Comme d’autres sources anciennes, dont Eschyle (525 à 456 a.C.) cité par Pline, ou Hérodote (vers 400 a.C.) cité par Etienne de Byzance, elle confond l’Espagne et la zone nord-alpine.

Le Périple de la Méditerranée, dit de Skylax ou pseudo-Skylax, œuvre d’un inconnu du milieu du IV s. a.C., donne des indications beaucoup plus en accord avec la géographie physique :

  • Emporion (Ampurias), ville d’Ibérie, est une colonie des Massaliotes.
  • Les Liguës succèdent plus au nord aux Ibères, jusqu’au Rhône.
  • Les Liguës occupent la côte du Rhône, dans la région de Massalia.
  • Les Celtes ont envahi le fond du golfe adriatique ; après eux viennent les Vénètes. Les autres sources littéraires, plus récentes, s’appuient sur des observations plus directes et peuvent souvent être vérifiées par d’autres voies dont l’archéologie. Ainsi Polybe (vers 200 à 120 a.C.) qui a voyagé dans les Alpes, en Espagne et dans le sud de la France se montre nettement plus précis en révélant les modifications qui ont eu lieu entre le milieu du IVe s. a.C. et son époque :
  • Les Pyrénées forment la frontière entre les Ibères et les Celtes de Gaule.
  • Les Celtes occupent les côtes méditerranéennes entre le fleuve Narbôn (Aude) et les Pyrénées.
  • La Gaule est appelée Keltia et distinguée de l’Italie et de la Ligurie.
  • Il n’y a pas de Gaulois sur les côtes de l’Espagne jusqu’à Gades (Cadix).

Plus tard, Varron (116 à 27 a.C.) cité par Pline dit que des Celtes ont envahi l’Espagne, sans préciser la date.

Au total, ces sources permettent bien d’identifier comme Celtes les porteurs de la culture archéologique dite de La Tène. Les groupes humains appelés Celtes qui ont envahi le nord de l’Italie au IVe s. a.C. portent le même équipement que ceux qui vivent dans la zone nord-alpine. Le terme Celte désigne avec une grande probabilité le complexe culturel nord-alpin, lors de la période laténienne, ou second âge du Fer, vers 400 a.C.

Les sources archéologiques

Avant d’aller plus loin, il importe de rappeler quelques aspects théoriques et méthodologiques. Les sources archéologiques exigent, en effet, pour être interprétées en termes identitaires, quelques précautions. Les archéologues repèrent des entités géographiques distinctes à travers les assemblages typologiques d’objets. Ces entités sont souvent appelées “cultures” ou “civilisations”. L’idée d’une équivalence entre culture archéologique et ethnie a souvent sous-tendu des conceptions xénophobes ou racistes. Ces excès ont provoqué un rejet du concept de culture, surtout chez les archéologues anglophones. Plus circonspect, David L. Clarke8 a proposé une redéfinition du concept qui en enrichissait à la fois le sens (entités polythétiques) et l’échelle d’application (entités hiérarchisées selon la taille et le degré de ressemblance). Notons que, malgré son mépris pour ce concept, le courant postmoderniste ou postprocessualiste, dans son insistance sur l’importance de la dimension symbolique des documents archéologiques, permet de repenser avec profit ces entités par le biais de la théorie de l’information. Cette perspective met l’accent sur la fonction identitaire de ces expressions symboliques que sont aussi les décors et les formes des objets fabriqués9.

Il convient de noter que les cas de corrélation satisfaisante entre groupes sociaux et cultures matérielles se révèlent fréquents. Les exemples contraires sont dus :

  • soit à une documentation insuffisante parce que la migration fut de courte durée, comme celle des Celtes en Grèce, ou parce que l’archéologie elle-même est déficiente, comme le suggère l’absence de traces des Wisigoths en Aquitaine, à la différence de l’Espagne ;
  • soit à une interprétation au moins partiellement erronée de l’origine communautaire des immigrants, à l’exemple des Teutons et des Cimbres qui n’étaient peut-être pas des Germains, ou des Huns qui étaient en grande partie composés de Germains10.

Nous avons vu plus haut que des Celtes sont porteurs du faciès culturel de La Tène, comme l’attestent les sources tant textuelles qu’archéologiques. Cette entité culturelle recouvre la même aire géographique que celle du Hallstatt qui l’a précédée, et rien, dans le mobilier laténien, ne permet d’envisager une population venue d’ailleurs. On s’accorde, par conséquent, à voir dans les uns les ancêtres des autres. Ces deux appellations entretiennent donc une regrettable ambiguïté, qu’il conviendrait de lever en les réservant à la qualification de simples tranches chronologiques. L’homogénéité culturelle de la zone nord-alpine, où s’étendait une culture identifiable comme celtique, remonte visiblement à la première moitié du IIe mill. a.C. M’inspirant de David Clarke, j’ai proposé de donner à cet ensemble le nom de “Complexe culturel nord-alpin”. Il évolue sous les formes successives de ce que l’on a identifié comme la “Culture des Tumulus du Bronze moyen”, la “Culture des Champs d’Urnes”, la “Culture de Hallstatt” et la “Culture de La Tène »11. L’emprise géographique de cette entité s’est dilatée et contractée au fil du temps, mais l’ensemble a conservé la même zone centrale de gravité entre les Vosges et les Carpates occidentales.

Pendant les périodes du Bronze final (1350-800 a.C. environ) et du premier âge du Fer (800-475 a.C. environ), le “Complexe nord-alpin” ne s’étendait pas au sud du Quercy. Les Landes et la Gascogne d’une part, le Languedoc occidental et la Catalogne française d’autre part, appartenaient à des cultures différentes, liées à la péninsule Ibérique. Ce constat semble aller à l’encontre des auteurs qui admettent une présence celtique dans la péninsule Ibérique vers 800 a.C.12 Cette idée se fonde sur des sources écrites anciennes, citées plus haut, qui malmènent la géographie physique. Les indices toponymiques paraissent plus solides. Une vingtaine de suffixes en –briga, considérés comme typiquement celtiques, sont répertoriés. Leur origine demeure cependant indatable. Les arguments archéologiques avancés ne permettent pas plus d’étayer l’idée d’une celtisation remontant au Bronze final ou au premier âge du Fer. Les tombes à incinération en urne des étapes Hallstatt B, C et D (XIe au Ve s. a.C.) diffèrent, en effet, de leurs homologues nord-alpines par le mobilier céramique, mais aussi métallique. Les plus anciens objets, indubitablement nord-alpins, datent des environs de 250 a.C. (La Tène B au plus tôt) et restent peu nombreux13.

L’identité des Celtes

Les doutes que suscitent des indices matériels souvent lacunaires ont conduit de jeunes auteurs, à l’affût d’innovations intellectuelles radicales, à proposer d’invalider purement et simplement les sources archéologiques à propos de la question identitaire. Pour les Celtes, en particulier, les phénomènes d’homogénéisation culturelle ne seraient ainsi pas forcément corrélés avec les zones linguistiques. Ils pourraient, d’ailleurs, ne correspondre à aucune réalité ethnique. De ce point de vue, les travaux des archéologues sur la géographie culturelle seraient dénués d’intérêt, sinon même suspects de racisme14. Dans cette perspective, issue des French theories, ces collègues s’occupent davantage de mémoire que d’histoire, se donnant, par exemple, pour objectif de “déconstruire les Celtes” en s’appuyant sur les résultats de quelques petits sondages réalisés en Auvergne15. Toutes ces contributions ne donnent pas prise à l’ironie, comme celui-ci, mais aucune démonstration convaincante ne vient appuyer l’hyper scepticisme de ce courant de pensée. De nombreuses études ethnologiques mettent au contraire en évidence plusieurs éléments importants pour notre propos :

  • Le costume et la parure, mais également la plupart des productions matérielles dans leur forme et leur décor, sont des messages identitaires et statutaires ; ils constituent autant de moyens, pour l’individu ou le groupe, d’afficher son appartenance à une catégorie sociale ou à une communauté.
  • Ces traits culturels sont des moyens de communication qui se diffusent par le déplacement de leurs porteurs : groupes en migration certes, mais aussi individus à la faveur d’échanges diplomatiques, matrimoniaux ou commerciaux qui peuvent s’effectuer de proche en proche et, plus rarement, sur des distances exigeant plusieurs jours de voyage.
  • Les langues sont des moyens d’expression dont les fonctions de base sont les mêmes et peuvent être également des vecteurs d’échanges régionaux et des moyens de distinction sociale : de prestige, voire de sexe ou de genre16.
  • Ces moyens de communication empruntent et à la fois structurent des réseaux sociaux qui, bien évidemment, ne se superposent pas toujours exactement, parce qu’ils sont le plus souvent de dimensions spatiales et démographiques différentes, ainsi que de fonctions diverses et changeantes.
  • Les moyens d’expression matériels et linguistiques tendent cependant à emprunter les canaux en vigueur, selon les stratégies sociales dominantes du moment : expansion colonisatrice, extension des réseaux d’échanges entre les élites sociales de différentes communautés, transferts de techniques agricoles ou artisanales, transmissions idéologiques, échanges commerciaux, encadrement administratif et militaire.

Il est, par conséquent, légitime de chercher dans les changements de la géographie culturelle, des configurations susceptibles de correspondre à la géographie des langues en remontant le temps à partir des données issues des sources textuelles et de la toponymie.

Le piège des préjugés

Il importe de bien expliciter les concepts de culture archéologique et de Celtes. La tendance première à propos des peuples consiste à raisonner en termes d’ethnies biologiquement uniformes. On cherche ainsi le “berceau” des Celtes, presque l’ancêtre fondateur. Selon le sens commun, un peuple est une sorte de grande famille. Pour le profane, c’est par le système de parenté et les règles d’échanges matrimoniaux que l’identité et l’appartenance sociales se constituent. Dans la plupart des cas, toutefois, les peuples se forment plus vite et à une échelle plus large que ce qu’autorise la seule capacité de reproduction biologique. Un processus d’agrégation est, par conséquent, nécessairement à l’œuvre. Celui-ci est masqué, a posteriori, par l’invention d’une hérédité commune. C’est d’ailleurs l’une des fonctions essentielles des mythes. Ils rendent accessible et acceptable pour le sens commun une procédure inquiétante car ressentie par les intéressés comme une menace pour l’identité.

Nous sommes mieux outillés aujourd’hui pour constater que les formations culturelles homogènes procèdent toujours de démembrements et de remembrements successifs. L’archéologie nous permet de repérer ces moments où des humains ont commencé à se reconnaître comme appartenant à un même ensemble distinct et à être reconnus par les autres comme tels. L’étiquette importe peu. Les membres du “Complexe culturel nord-alpin” ne s’appelaient probablement pas eux-mêmes des Celtes initialement. Les Celtes, comme les Germains, n’étaient peut-être qu’un des groupes composant ce complexe ; leur nom étant généralisé par les Grecs à cet ensemble dont ils reconnaissaient l’homogénéité. L’important, c’est la reconnaissance mutuelle d’une homogénéité, de l’intérieur et de l’extérieur de la communauté en question.

L’identification par l’échange

Il convient maintenant de se demander comment et pourquoi s’opère le processus d’homogénéisation. On observe que des processus de cet ordre se sont opérés sur de très vastes espaces excédant même la surface des plus vastes nations européennes actuelles. Comme il est sûr que pendant la Protohistoire la taille des territoires unifiés politiquement resta toujours inférieure à celle de la plupart des États modernes, le facteur d’homogénéisation fut nécessairement d’une autre nature. Il semble reposer, en dernière analyse, sur le principe fondamental de toute socialisation, c’est-à-dire l’échange. La survie même de l’espèce repose sur les échanges entre géniteurs. La reproduction biologique, mais aussi sociale, d’une communauté humaine impose de tels échanges – il s’agissait, semble-t-il, le plus souvent des femmes dans les sociétés traditionnelles – avec d’autres groupes, afin de constituer un pool génétique statistiquement autosuffisant, estimé à une population de 200 à 400 personnes, variant selon les caractéristiques de la fécondité et de la mortalité17. Un groupe social ne produit pas non plus, sauf exception, toutes les ressources nécessaires à son autonomie économique ; l’échange lui permet d’obtenir ce qui lui manque contre ce qu’il produit en surplus. Ces échanges humains et matériels supposent des échanges d’informations et, par conséquent, de représentations symboliques concourant à l’unification des visions du monde entre interlocuteurs. Les individus en viennent ainsi à percevoir, à interpréter leur environnement et à s’exprimer de façon similaire.

Ainsi se crée la culture, ce système de connaissances, de techniques, de règles et de croyances communes. Ce que l’archéologue appelle une culture, c’est ce qui reste matériellement de cela et qui distingue une communauté spécifique ; ce sont les traces conservées d’un ensemble de groupes résidentiels qui échangent plus entre eux qu’avec d’autres. Il existe une hiérarchie parmi les entités culturelles. Elle apparaît dans les classements auxquels procèdent les archéologues, comme dans les sources textuelles elles-mêmes. Dans la littérature antique, par exemple, un peuple se compose de ce que l’on traduit par des mots comme ligues, nations, cités, tribus, cantons ; termes flous, mais qui expriment bien divers niveaux d’intégration. Les ensembles polythétiques isolés par l’archéologie reflètent cet emboîtement. On peut les nommer comme David Clarke18 : Complexes, Groupes de Cultures, Cultures, Groupes.

Ils correspondent très probablement à ces ensembles sociaux évoqués par les textes.

L’origine des Celtes : une proposition

La reconnaissance du caractère interactif et relationnel du processus de création et de diffusion de l’identité culturelle permet d’envisager autrement la question de l’origine des Celtes. Plutôt que de chercher des traces de migrations massives, nous devons nous tourner vers des indices de réseaux d’alliances et d’échanges. Des mouvements migratoires ont effectivement eu lieu, en particulier de la part de groupes celtiques aux IVe et IIIe s. a.C., et sont repérables par l’archéologie. Dans la plupart des cas, toutefois, les mouvements et les changements culturels n’ont pas eu pour cause des migrations massives. Cela a conduit certains auteurs vers une explication reposant sur l’absence de données archéologiques. L’hypothèse d’une celtisation cumulative des îles britanniques, fondée sur la conviction d’une documentation archéologique trop grossière et lacunaire pour laisser percevoir un phénomène presque imperceptible19, en constitue un exemple emblématique. Notons que Colin Renfrew reprend cette idée à peine nuancée sous le vocable de “celticité mutuelle cumulative20”. Le postulat invérifiable et fort improbable d’une absence pure et simple de corrélation entre culture matérielle et communauté linguistique ou ethnique n’est pas loin. Une posture méthodologique plus constructive est possible : chercher avec attention dans la documentation archéologique les indices de processus historiques moins massifs que des mouvements migratoires.

Selon ce principe, les sources examinées plus haut permettent d’enchaîner les déductions suivantes à propos de l’origine des Celtes. Si les porteurs de la culture matérielle nord-alpine étaient des Celtes et comme le “Complexe nord-alpin” a évolué sans apport migratoire massif, au moins depuis le Bronze B (vers 1600 a.C.), durant lequel s’est mise en place l’entité dite “Culture des Tumulus du Bronze moyen”, la population qui partageait cette culture était probablement déjà locutrice d’une langue celtique. Dès cette époque, celle-ci pouvait être bien distincte des autres langues indo-européennes, à l’instar de la langue grecque parlée, au même moment, par les porteurs de la Culture mycénienne. Si les régions où l’on parle aujourd’hui encore des langues celtiques, ou bien dans lesquelles subsistent des toponymes celtiques, à l’extrême ouest de l’Europe, n’ont pas été celtisées après 1600 a.C., elles n’ont pu l’être qu’avant. Dans ces régions occidentales, les ressemblances de la culture matérielle ont permis de reconnaître, à l’âge du Bronze, un “Complexe culturel atlantique” s’étendant du sud-ouest de la péninsule Ibérique jusqu’au nord des îles britanniques, et ceci depuis au moins le milieu du IIe mill. a.C. Avant cette date, les zones où se sont individualisés le “Complexe nord-alpin” et son homologue atlantique n’ont partagé des éléments matériels et structurels semblables que dans la deuxième moitié du IIIe mill. a.C. Il s’agit du fameux “set” campaniforme composé du gobelet en forme de cloche renversée à décor couvrant, de pointes de flèche en silex à pédoncule et ailerons bien dégagés, du brassard d’archer en pierre polie et du poignard en cuivre21. Bien que relative, comme toujours, une telle communauté, liant toutes les régions où l’on parlera ensuite une langue celtique, est un cas unique, comme l’ont déjà remarqué Emil Vogt22 ou Werner Stöckli23. Pour la première fois, des régions auparavant très différentes culturellement ont alors partagé des traits communs24 qui ne peuvent, en aucun cas, résulter d’une convergence de traits indépendants. Il s’agit :

  • des régions autrefois parties prenantes de la vaste “Culture de la céramique cordée”, elle-même issue de la “Culture des vases en entonnoir”, et qui occupait la grande plaine nord-européenne ;
  • des régions attachées à une longue tradition de sépultures mégalithiques devenues de plus en plus collectives au début du IIIe mill. a.C., le long des façades maritimes, méditerranéenne et atlantique ;
  • des régions déjà productrices d’objets en cuivre au sud du Danube et d’une ligne La Rochelle-Genève ;
  • des régions, situées au nord de la précédente, qui sont demeurées presque imperméables aux produits en cuivre jusqu’au milieu du IIIe mill. a.C.

La large distribution des éléments du “set” campaniforme implique l’existence de réseaux d’échanges très actifs, dans toute l’Europe occidentale. Il s’agit de pièces d’équipements guerriers ou cynégétiques et de récipients destinés à la consommation de boissons fermentées qui symbolisaient probablement, dans la tombe, l’appartenance du défunt – généralement un homme – à une catégorie sociale dominante. La fonction de ces élites sociales était visiblement d’entretenir les liens de leur communauté locale avec le réseau d’alliances et d’échanges par où circulaient les nouveautés les plus prisées : le cuivre depuis le sud et le sud-est, l’or depuis des gisements plus dispersés, l’ambre depuis les rives de la Baltique. Il convient probablement d’y ajouter des éléments plus abstraits comme des savoirs techniques au sens large, des mythes, des légendes, des croyances, des pratiques sociales et religieuses dont les plus apparentes sont les tombes individuelles à armement et gobelet, sous de petits tertres hémisphériques. Ces dernières caractéristiques préexistaient dans la “Culture de la céramique cordée” au nord-est. Les liens intercommunautaires prenaient vraisemblablement la forme de réceptions diplomatiques, comme des banquets où étaient consommées des boissons alcoolisées dans les fameux gobelets.

Les actifs réseaux sociaux, qui reliaient des cultures auparavant bien différentes, ont produit une uniformisation du mode de vie de leurs animateurs – les élites sociales masculines – dans leurs modes d‘expression symboliques. L’adoption des mêmes marqueurs de statut a très probablement entraîné l’usage d’une langue permettant l’intercompréhension sur de grandes distances. Notons néanmoins que les pièces du “set” campaniforme sont associées à des objets dont la répartition est plus restreinte et qui dessinent, d’ailleurs, des zones variables selon les critères pris en compte25. Il est, de la sorte, probable que la population ordinaire exprimait des appartenances, des identités communautaires distinctes ; ce qui suggère la persistance de langues différentes. Selon les régions, ces langues locales auraient été plus ou moins pénétrées par cette langue des élites, produisant des langues celtiques variées. Cela se serait produit là où cette langue “internationale” avait percolé dans les langues locales. Dans le cas contraire, la celtisation n’aurait été que superficielle et éphémère. Ainsi pourrait s’expliquer le fait que des régions touchées par le complexe campaniforme ne soient pas celtophones ; c’est le cas de secteurs d’Allemagne du Nord et de Pologne, mais surtout de régions du bassin occidental de la Méditerranée, en Italie, en France et en Espagne. Nous pouvons supposer que ces régions ont assez vite retrouvé des formes de réseaux aux dimensions plus restreintes et conformes à leurs conditions environnementales et de proximité respective : celles de la Méditerranée, en particulier. De la sorte, la langue internationale des élites du complexe campaniforme n’aurait pas eu le temps d’affecter les langues locales. Dans les autres zones de diffusion du complexe campaniforme, au contraire, les échanges auraient été suffisamment fréquents et durables pour qu’un vocabulaire et une grammaire celtiques se généralisent. Mais là aussi, la persistance de réseaux subalternes, bien adaptés aux conditions de transports induites par des environnements spécifiques, a vraisemblablement engendré des différences dialectales intra-celtiques : en particulier entre les régions côtières de l’Atlantique d’une part et les régions circum-alpines de l’autre. Dans le domaine linguistique et dans celui de la culture matérielle, il convient, en effet, de ne pas télescoper les réseaux de dimensions différentes. Colin Renfrew le soulignait récemment avec raison26 à propos des dynamiques propres aux grandes familles de langues, d’un côté, et des langues plus étroitement localisées et qui, elles, furent ou sont encore réellement parlées, de l’autre.

Le caractère ponctuel, bien que très large, de la répartition de la céramique campaniforme et des éléments du set qui lui sont souvent associés, à la fois à l’échelle globale et à l’échelle des sites, en rend depuis longtemps l’interprétation difficile. L’évidente absence d’uniformité culturelle d’une région à l’autre, dès que l’on fait abstraction des composants du “set” campaniforme, induit des mécanismes de diffusion plus subtils que de simples déplacements unilatéraux. Quelques solutions alternatives ont été proposées :

  • L’hypothèse de colporteurs ; qui n’explique pas la qualité de probable marqueur statutaire des pièces du “set” campaniforme.
  • L’hypothèse de petits groupes de migrants ; qui s’accorde mal avec l’apparence multilatérale des dynamiques de circulations.
  • L’hypothèse d’un vaste réseau d’alliances et d’échanges liant les élites sociales d’Europe occidentale et facilitant la redistribution rapide de produits matériels et idéels survalorisés socialement27 ; qui s’avère plus probable.

Plutôt que de colporteurs ou de petits groupes de migrants, les transmetteurs seraient alors des membres de l’élite sociale, agissant comme des ambassadeurs divulguant des savoirs occultes à des alliés, ou parfois comme des cadets de familles en mal de pouvoirs territoriaux.

La question qui s’impose à ce niveau du raisonnement est celle de la ou des causes de l’émergence d’un réseau qui se déploie sur un espace si vaste et si disparate du point de vue culturel. Les innovations les plus spectaculaires qui accompagnent le “set” campaniforme sont la métallurgie du cuivre et la tombe individuelle masculine sous tumulus. La production de cuivre s’est développée entre le milieu du Ve et le milieu du IVe mill. a.C. dans les Balkans, puis vers l’Oural à l’est, les Alpes autrichiennes à l’ouest. Durant le millénaire suivant, cette technique a été adoptée dans tout le sud-ouest du continent européen, ainsi que dans le bassin supérieur du Danube. Le choix de distinguer certains individus par la mise en œuvre de pratiques funéraires spécifiques à caractère souvent monumental apparaît, pour sa part, comme un emprunt idéologique au vaste réseau nord-oriental de l’Europe, que les archéologues identifient sous le nom de “Culture de la céramique cordée”. Des concentrations de céramiques campaniformes de style “international” ou maritime, considérées comme les plus anciennes de ce complexe culturel, jalonnent, en quelque sorte, les marges sud-occidentales du complexe de la céramique cordée, notamment dans la zone danubienne et le long des piémonts nord-alpins. Ces céramiques campaniformes, vraisemblablement inspirées de modèles de la péninsule Ibérique28, suggèrent que vers 2500 a.C., trois grands réseaux d’échanges se sont trouvés en contact et se sont même superposés dans la zone où s’est cristallisé plus tard le “Complexe culturel nord-alpin” (fig. 1).

Fig. 1. Les principaux réseaux du continent européen au milieu du IIIe mill. a.C. et leur zone de superposition et, par conséquent, d’interaction, là où se formera le Complexe culturel nord-alpin, dont la Culture de La Tène représente l’étape ultime de 475 à 30 a.C. environ (carte : P. Brun).
Fig. 1. Les principaux réseaux du continent européen au milieu du IIIe mill. a.C. et leur zone de superposition et, par conséquent, d’interaction, là où se formera le Complexe culturel nord-alpin, dont la Culture de La Tène représente l’étape ultime de 475 à 30 a.C. environ (carte : P. Brun).

C’est très logiquement dans les zones-tampons, où se trouvent en interaction des influences culturelles différentes, que les probabilités d’innovations sociales sont les plus élevées. L’innovation sociale procède toujours d’une nouvelle synthèse d’éléments économiques, politiques et/ou idéologiques. Le résultat d’une nouvelle synthèse culturelle peut alors donner aux communautés locales un avantage pour animer de nouveaux réseaux, pour le moins participer de manière déterminante à l’extension, la dynamisation et la sélection des biens, des pratiques, des idées et des supports linguistiques. Les réseaux sont des canaux interconnectés par des nœuds, ici des établissements où siégeaient des leaders locaux positionnés en intermédiaires obligés. Il va de soi que ces vastes réseaux fonctionnaient de manière multilatérale. Tout nœud du système était susceptible de produire de l’innovation en termes de techniques artisanales ou de pratiques culturelles incluant des modes d’expression symboliques et linguistiques. Il n’est pas indifférent de souligner à ce sujet que le plus surprenant tient, non pas à la variabilité culturelle des sociétés humaines – elle est une caractéristique aussi fondamentale qu’inévitable – mais, au contraire, à la tenace résilience des ensembles culturels. Il y a, dès lors, lieu de penser que la formation d’un réseau radicalement nouveau, reliant des zones culturelles bien différentes depuis des millénaires, a été causée par des conditions majeures inédites.

Parmi les conditions inédites, qui apparaissent dans la seconde moitié du IIIe mill. a.C. en Europe occidentale, le cuivre semble se placer au premier plan. Il ne constitue, toutefois, une nouveauté que dans le nord-ouest du complexe campaniforme. Il s’avère, de plus, douteux que ce métal ait revêtu une importance économique déterminante, car les types d’objets fabriqués en cuivre relevaient, pour la plupart, de la parure et de l’armement. Ce matériau servait, ainsi, surtout à la production d’insignes de pouvoir, dont la quantité en circulation devait être assez faible. L’idée selon laquelle la diffusion rapide et la mise en exploitation de gisements de cuivre plus abondants et plus dispersés auraient été suffisantes pour ébranler aussi bien les sociétés exportatrices de longue date, que les sociétés réceptrices des nouvelles techniques métallurgiques, s’en trouve très affaiblie. Les données archéologiques actuelles suggèrent que le phénomène nouveau est une circulation élargie et plus active de biens exotiques issus de gisements et de matériaux plus variés : cuivre, certes, mais aussi or et ambre. Il est cependant permis de rester dubitatif envers cette apparence. Plutôt qu’une cause – à moins que cette facilité accrue de circulation ait été confortée par des progrès dans les techniques de transport ; ce qui n’est actuellement prouvé qu’au IIe mill. a.C. –, j’y verrais la conséquence de changements que l’archéologie éprouve encore des difficultés à saisir : dans l’économie de subsistance, le régime de propriété foncière, la démographie et/ou la vision du monde.

L’évolution sociale

Les grandes lignes de l’évolution

Les régions dans lesquelles nous pouvons penser que des langues celtiques ont été adoptées dans la seconde moitié du IIIe mill. a.C. ont connu une histoire très active, souvent même heurtée et multiforme au cours des deux millénaires suivants. Les connexions, que révèle la répartition des caractéristiques du complexe campaniforme, ont permis à la métallurgie du cuivre de gagner l’extrémité nord-occidentale de l’Europe selon un long processus initié vers 4500 a.C. dans le sud-est du continent. Il s’est alors produit un renversement symptomatique, mis en évidence assez récemment29. Dès qu’elles ont maîtrisé cette technique métallurgique, certaines communautés des îles britanniques ont innové en alliant au cuivre de l’étain et se sont engagées, plus vite que toute autre en Europe, dans la production du vrai bronze à l’étain. Ainsi, des sociétés jusque-là périphériques et marginales du point de vue économique se sont installées, presque sans transition, à la pointe de l’innovation technique, dont la diffusion a progressé exactement à rebours de celle du cuivre. De vrais bronzes, à plus de 8% d’étain, sont devenus majoritaires parmi les productions métalliques britanniques dès 2100 a.C. Il a fallu attendre 1800 a.C. en Allemagne, en Italie et en Europe centrale, 1700, voire 1600 a.C. dans la zone balkanique, pour atteindre de tels pourcentages. Les régions atlantiques disposaient, il est vrai, d’atouts considérables pour une production de biens métalliques aux qualités très supérieures à celles du cuivre pur et même du cuivre allié volontairement à l’arsenic. En Galice, sur le pourtour du Massif central, en Armorique ou en Cornouaille britannique, régions où des langues celtiques étaient probablement parlées dès cette époque, des gisements de cuivre et d’étain se trouvent à proximité les uns des autres ; situation rarissime ailleurs sur le continent. L’exploitation de ces ressources exceptionnelles explique pour partie, vraisemblablement, les changements sociaux qui se sont manifestés dans les riches dépôts funéraires des tumulus armoricains et du Wessex30.

La zone nord-alpine a, elle aussi, été le lieu de manifestations d’opulence et de pouvoir manifestement liées aux trafics de produits métalliques. L’expression la plus spectaculaire de ce développement social réside dans les célèbres dépôts funéraires de Leubingen et Helmsdorf, mais surtout dans les nombreux et riches dépôts non funéraires du sud de l’Allemagne, de l’Autriche et de la Tchéquie. Cette partie orientale de la zone nord-alpine apparaît nettement comme un lieu privilégié de relais entre les Carpates et la mer du Nord d’une part, le couloir Saône-Rhône d’autre part31. Quelle que soit la signification sociale de ces dépôts, ces cachettes de lingots métalliques peuvent être considérés comme les indices d’une forte capacité de d’accumulation et de dépense de richesse.

Ces manifestations ostentatoires de richesse et de pouvoir se sont interrompues au XVIe s. a.C. Toutes les communautés du monde atlantique ont alors fait le choix d’une grande sobriété dans leurs pratiques funéraires, sans toutefois remettre en question leur organisation sociale hiérarchisée. Dans une moindre mesure, les communautés du “Complexe nord-alpin” ont aussi réduit la richesse de leurs dépôts funéraires. Il est sûr que cela ne correspond pas à un déclin économique, comme le montrent les cachettes nombreuses et très fournies d’objets en bronze qui ont continué d’être mises en terre. La valeur du bronze est ainsi très vite devenue prééminente pour les sociétés de cette période. Indispensables aux élites pour paraître et combattre, les objets en bronze, dont nous savons qu’ils ont été produits en série pour certains, ont probablement facilité les transactions fondamentales pour toute société traditionnelle, au premier rang desquelles le prix de la fiancée, la dot ou le prix du sang32.

Utilisé finalement pour la fabrication des outils agricoles de base, le bronze a probablement contribué à l’augmentation de la productivité agropastorale. Haches et faucilles métalliques ont définitivement remplacé leurs homologues en pierre. Ce point est essentiel car, si importants soient-ils, les échanges à longue distance se fondaient nécessairement sur le potentiel de l’économie de subsistance, dont relèvent l’alimentation et l’habillement. Cela explique aussi la montée en puissance, à la même époque, des communautés qui tenaient les grandes vallées. La dynamique sociale se nourrit, en effet, de la démographie et des modalités d’exploitation de l’espace. Cette dépendance de l’économie de subsistance vis-à-vis de la circulation du bronze a, sans doute, enclenché un début d’assujettissement des simples paysans aux élites sociales qui en contrôlaient le trafic. Disposant d’un pouvoir plus stable, les élites ont pu pérenniser leur assise territoriale sur des espaces physiquement contrôlables, c’est-à-dire dont elles pouvaient atteindre les limites et en revenir dans la journée. Cette relative stabilité leur conférait vraisemblablement une légitimité qui les dispensait de manifester très ostensiblement leur statut élevé dans des pratiques funéraires dispendieuses. C’est aussi durant cette période du XVIe au XIVe s. a.C., que se sont formés les grands complexes culturels qui ont évolué sans changement fondamental jusqu’à la romanisation.

Ainsi se sont affirmés au Bronze moyen (1600-1350 a.C. environ), deux sous-ensembles probablement déjà celtiques (fig. 2). L’un, appuyé sur la face nord de l’arc alpin, s’étendait jusqu’aux Monts métallifères vers le nord et de la Bohème au centre de la France d’est en ouest. Il a ensuite évolué avec une tendance à s’étendre vers la plaine hongroise, le Languedoc, mais aussi la plaine padane, soit par des migrations d’individus ou de petits groupes, soit par l’intensification des relations d’échanges. Son expansion spatiale maximale a été atteinte au IIIe s. a.C., après 200 ans d’entreprises migratoires plus massives qu’auparavant, en Italie du Nord, dans les Balkans et jusqu’en Asie Mineure. Il est permis de penser que sa position de carrefour des principaux axes de circulation du continent, en particulier son contrôle des cols et des plus grands fleuves du continent, a favorisé sa capacité d’influence culturelle et de diffusion de sa langue. Il en a sans doute résulté, symétriquement, sa perméabilité à certains éléments extérieurs, dont des mots étrangers.

Fig. 2. Le Complexe culturel nord-alpin et son homologue atlantique qui s’individualisent entre 1600 et 800 a.C. environ et qui ont partagé les mêmes marqueurs de statut et probablement une ou des langues celtiques dans la seconde moitié du IIIe mill. a.C. (carte : P. Brun).
Fig. 2. Le Complexe culturel nord-alpin et son homologue atlantique qui s’individualisent entre 1600 et 800 a.C. environ et qui ont partagé les mêmes marqueurs de statut et probablement une ou des langues celtiques dans la seconde moitié du IIIe mill. a.C. (carte : P. Brun).

L’autre sous-ensemble était baigné par les eaux de l’océan Atlantique, de l’Écosse au sud du Portugal et s’enfonçait rarement à plus de 200 km des côtes. Il a entretenu ensuite sa spécificité par les échanges maritimes de biens issus de la métallurgie du bronze. Sa situation marginale et la concurrence de la métallurgie du fer semblent avoir provoqué son déclin relatif à partir du premier âge du Fer. Ce changement s’est probablement accompagné d’une diminution des relations d’échanges et d’alliances internes. Il s’est apparemment produit, dès lors, une certaine désagrégation de cet ensemble identitaire. Nous pouvons penser que des dérives linguistiques ont accompagné ce morcellement culturel. Cette position marginale par rapport aux zones d’échanges les plus actives qui se situaient sur la façade méditerranéenne et autour des Alpes, explique peut-être aussi une dynamique sociale moins accusée et moins rapide dans cette zone atlantique que dans la zone nord-alpine, même si les langues parlées dans chacune appartenaient à la même famille (fig. 3).

Fig. 3. Le Complexe culturel nord-alpin et son homologue atlantique sont les deux principales composantes, hormis les régions de migration attestées aux IVe et IIIe s. a.C., de l’espace dans lequel les sources textuelles et toponymiques montrent que des langues celtiques étaient parlées à la veille de la romanisation (carte : P. Brun).
Fig. 3. Le Complexe culturel nord-alpin et son homologue atlantique sont les deux principales composantes, hormis les régions de migration attestées aux IVe et IIIe s. a.C., de l’espace dans lequel les sources textuelles et toponymiques montrent que des langues celtiques étaient parlées à la veille de la romanisation (carte : P. Brun).

Les principes de l’évolution

L’interprétation proposée ici rompt avec la conception traditionnelle d’une diffusion unilatérale des langues, suivie d’une segmentation en sous-groupes. Une telle diffusion paraît, tout d’abord, beaucoup trop simpliste par rapport aux dynamiques linguistiques en train de se produire sous nos yeux, mais aussi par rapport à celles que nous connaissons grâce aux recherches historiques et ethnologiques. Elle se montre par ailleurs inadéquate pour rendre compte des autres données culturelles dont nous disposons à propos des Celtes. L’ensemble des processus d’identification culturelle, langues comprises, est ici envisagé comme la résultante des relations d’échanges et d’alliances les plus soutenues. Ces relations peuvent produire de l’homogénéité stylistique et linguistique sur des espaces très larges occupés initialement par des communautés très différentes. L’homogénéité biologique résultant de la fréquence des intermariages n’opère jamais à la même échelle spatio-temporelle. Au niveau des complexes culturels et même des cultures archéologiques, l’homogénéité est forcément un produit culturel qui rassemble des communautés non apparentées, en dépit de ce qu’en perçoivent les intéressés.

L’identification est un processus relationnel procédant de la combinaison d’éléments susceptibles d’avoir été créés dans toutes les parties de l’ensemble en cours de constitution. Cette caractéristique multilatérale n’empêche pourtant pas que certaines parties de l’ensemble diffusent des nouveautés plus séduisantes que d’autres. Ces zones plus créatives se situent souvent aux marges de l’entité culturelle dans les sociétés dépourvues d’agglomérations importantes, en particulier là où interagissent des cultures différentes par des échanges à longues distances et lorsque des nouveautés techniques majeures émergent. Cela signifie que les communautés linguistiques se constituent par l’établissement et l’entretien des réseaux sociaux. Ces réseaux sont de dimensions variées. À la base, il s’agit évidemment des réseaux d’intermariages ordinaires, ou nexus33 qui relient des communautés de quelques centaines de personnes. Dès le milieu du IIe mill. a.C., des tombes de femmes portant les parures typiques de leur communauté d’origine ont été découvertes dans d’autres communautés localisées 100 ou 300 km plus loin. Plutôt riches, ces femmes étrangères suggèrent des échanges matrimoniaux à plus longue distance entre les élites sociales34. Elles révèlent de la sorte un mode de fonctionnement des réseaux d’alliances et d’échanges, où les échanges de femmes confortaient les échanges de biens et d’idées, ainsi que les rapports de solidarité. Il s’agit de réseaux d’une dimension nettement plus large que les précédents. Enfin, la répartition de certains biens, surtout des parures de grand luxe, des armes ou des vaisselles d’or, d’argent ou de bronze, révèlent des réseaux diplomatiques plus étendus encore. Il y a lieu de penser que ces objets chargés de prestige ne sont que la partie visible de relations mutuelles où le plus important résidait dans les informations, les idées transmises qui exigeaient un certain degré de compréhension mutuelle, c’est-à-dire un idiome commun. En ce sens, le réseau campaniforme n’est pas fondamentalement différent de ce que j’appelle un “complexe culturel”. À ce niveau, en effet, les éléments communs se limitent à ces biens socialement survalorisés, sans doute réservés aux élites sociales. Ces réseaux sociaux par lesquels se formaient aussi, graduellement, les communautés linguistiques ont visiblement connu une étonnante capacité de résilience. Ils ne se déformaient radicalement que lorsque des changements profonds bouleversaient des éléments fondamentaux :

    • Les techniques de subsistance, comme lors de l’adoption d’une économie de production au début du Néolithique, ou bien celle de l’exploitation des produits secondaires au milieu du IVe mill. a.C., ou encore l’utilisation d’un outillage agricole en métal : le bronze au milieu du IIe mill. a.C., puis le fer au IIIe s. a.C. ;
    • Les techniques de transport, comme la roue pleine pour des chariots tirés par des bovins au IVe mill. a.C., la roue à rayons pour des chars légers tirés par des chevaux et le bateau à pièces composites propulsé par une vingtaine de rameurs, dès le début du IIe mill. a.C. ;
    • Les moyens d’accumuler de la richesse, comme l’élevage extensif au IIIe mill. a.C., ou le stockage de biens rares, durables et reconnus socialement comme tels : objets en pierres semi-précieuses et/ou mis en forme selon des techniques particulières, mais surtout en métal, permettant la thésaurisation.

Soulignons, pour clore provisoirement ces propositions, que l’existence d’une communauté culturelle et linguistique n’implique pas un développement économique et politique uniforme. L’importance déclinante de la métallurgie du bronze et le dynamisme des États-cités méditerranéens ont vraisemblablement marginalisé le complexe atlantique. Son homologue nord-alpin a, en revanche, conservé son rôle de plaque tournante des principaux trafics continentaux. Toutes les parties de cet ensemble privilégié n’ont pourtant pas évolué selon le même tempo. Nous décelons des alternances d’opulence et de déclin relatifs entre l’est et l’ouest des Alpes d’une part, mais aussi entre le sud et le nord de ce complexe culturel d’autre part. Nous constatons enfin qu’à plusieurs reprises des phénomènes d’intensification de la vie sociale se sont produits aux marges des entités culturelles, là où la frontière agit, à l’instar de l’épiderme, comme une enveloppe protégeant les organes essentiels, mais en même temps, comme un système d’orifices et de sas canalisant des entrées et des sorties tout aussi vitales pour l’organisme.

La présente réflexion s’inscrit dans le type d’approche préconisé par Jean-Paul Demoule à propos des langues indo-européennes : “Le modèle opératoire n’est pas l’arbre, mais le réseau, comme on le pratique depuis longtemps dans beaucoup d’autres champs du savoir »35. Contrairement à ce que suggère le sens commun, la question des peuples n’a pas de réponse évidente. Elle ne peut, non plus, être éludée car elle réapparaît derrière presque tous les problèmes dont traite l’archéologie : derrière la variabilité typologique, derrière les entités culturelles, derrière les changements socio-économiques. Il faut bien, en effet, expliquer ces homogénéisations culturelles et leur étonnante résistance au temps. Elles ne se réduisent pas à une détermination politique. Elles se corrèlent mieux avec les sphères économiques. Pas totalement toutefois : si c’est bien par l’échange que s’opère l’homogénéisation, c’est moins par les flux de matières que par les flux d’informations. Ni la communauté linguistique, ni même la communauté génétique ne font le peuple ; l’une et l’autre sont des produits de la fréquence et de la durée des interactions sociales réglées, initialement, par la distance. Un peuple est une formation sociale qui se modifie en fonction de la structure des réseaux d’échanges. À l’heure du réveil des nationalismes européens, alors que les conflits ethniques ensanglantent régulièrement la planète, la question des peuples doit être explorée attentivement. À cette fin, dotée de la profondeur du temps dont elle a l’apanage, l’archéologie peut et doit apporter sa contribution à une question qui sollicite l’ensemble des sciences humaines.


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Notes

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  2. Hubert 1950, 6.
  3. Hubert 1950, 7.
  4. Hubert 1950, 103.
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  6. Almagro Gorbea & Ruiz Zapatero 1992.
  7. Duval 1971.
  8. Clarke 1968.
  9. Hodder 1982.
  10. Hachmann 1971.
  11. Brun 1988 ; Brun 1988b.
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  33. Lévi-Strauss 1958.
  34. Kristiansen 1998.
  35. Demoule 1998, 47.
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Chapitre de livre
EAN html : 9782356134585
ISBN html : 978-2-35613-458-5
ISBN pdf : 978-2-35613-460-8
Volume : 5
ISSN : 2827-1912
Posté le 22/12/2025
17 p.
Code CLIL : 4117; 3122;
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Comment citer

Brun, Patrice, “L’origine des Celtes. Communautés linguistiques et réseaux sociaux”, in : Brun, Patrice, Comprendre l’évolution sociale sur le temps long, Pessac, Ausonius éditions, collection B@sic 5, 2025, 97-114, [URL] https://una-editions.fr/l-origine-des-celtes
Illustration de couverture • Première : Nebra Sky Disc, bronze and gold, ca. 3600 years before present; © LDA Sachsen-Anhalt, photo Juraj Lipták ;
Quatrième : The Nebra hoard with Sky Disc, swords, axes, chisel and arm spirals; © LDA Sachsen-Anhalt, photo Juraj Lipták
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