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Des amphores vinaires dans les fermes à la fin de l’âge du Fer

Les importations du vin d’Italie en Gaule, à la fin de l’âge du Fer, dans des amphores italiques et les échanges qu’elles ont engendrés, ont fait couler beaucoup d’encre1. De nombreuses cartes globales de distribution des amphores ont été dressées, à partir d’évaluations plus ou moins approximatives2, d’où ressort un consensus sur les grands axes d’importation et les lieux majeurs de concentration des amphores républicaines italiques.

Tout récemment, la distribution de ces amphores a été étudiée en détail et avec précision chez plusieurs peuples du nord de la Gaule ; elle nous fournit une idée beaucoup plus nette que celle dont nous disposions jusqu’alors3. Il s’agit, d’est en ouest, des peuples qui bordent la vallée de la Seine, les Sénons, les Meldes, les Parisii, les Carnutes, les Aulerques Eburovices, les Véliocasses et les Calètes et aussi des nombreux petits peuples qui, avec les puissants Rèmes et Suessions, occupent un territoire compris entre la côte, la Seine et la Belgique.  

Pour la première fois, sur une très vaste région, nous disposons du résultat de comptages précis, effectués sur le terrain, site après site, et bien sûr suivant une méthode comparable (fig. 1). La documentation suit la qualité et l’extension des fouilles, très nombreuses dans une période récente. La quantité des amphores en jeu, l’ordre de grandeur des tessons rencontrés, peut paraître faible par rapport à d’autres régions, je pense à Bibracte ou à Besançon par exemple, mais elle est significative et homogène dans la zone étudiée.

 Carte de répartition des amphores républicaines (NMI sites), d’après Laubenheimer & Marlière 2010.
Fig. 1. Carte de répartition des amphores républicaines (NMI sites),
d’après Laubenheimer & Marlière 2010.

Nous nous intéresserons aux amphores Dressel 1, les plus nombreuses à la fin de l’âge du Fer. Les concentrations les plus importantes – quelques dizaines en NMI, autour de deux cents au maximum – concernent des lieux de commerce, d’échange et de consommation. Ce sont les oppida, comme Villeneuve-St-Germain (169 NMI), Condé-sur-Suippe (62 NMI) ou encore Pommiers (14 NMI) chez les Suessions, les agglomérations comme Chartres (une centaine d’amphores, rue Ste-Thérèse), Arras (22 NMI), Nanterre (169 NMI), Paris (50 à 60 Dr.1B dans le puits A19 du Sénat), ou encore Varennes-sur-Seine (213 NMI) chez les Sénons. Ce peut être aussi un carrefour commercial comme Meulan (36 NMI), en bord de Seine, en aval de Paris, point de passage du fleuve entre les territoires des Carnutes et des Véliocasses. L’importation de vin italique est importante, par ailleurs, dans les camps militaires césariens établis dans la région si l’on se fie au mieux connu d’entre eux, celui d’Actiparc près d’Arras (22 NMI).

Les sanctuaires ont été parfois des lieux de repas cérémoniels dans lesquels le vin avait toute sa place. Dans le Belgium, le meilleur exemple sur lequel des comptages ont pu être réalisés est celui de Ribemont-sur-Ancre (Somme), où, pour la période qui nous occupe, des amphores brisées ont été déposées dans les fossés d’enclos du sanctuaire4. Elles ne sont pas aussi abondantes que l’on aurait pu imaginer (bien que M. Poux parle “d’importants dépôts d’amphores”5), car pour la phase 1 du milieu du Ier s. a.C., on compte 167 tessons de Dr. 1 et un NMI de 7 amphores seulement6. Chez les Carnutes, la consommation de vin dans les sanctuaires ne paraît pas systématique ; par exemple, celui de Bennecourt, fouillé exhaustivement, n’a pas fourni d’amphores7. En revanche chez les Sénons, l’enclos rituel de Bois de Roselle à Balloy a livré quinze amphores8.

Autre lieu dans lequel on rassemblait des amphores vinaires en offrande : les tombes que l’on peut qualifier d’aristocratiques. C’est le cas dans l’Aisne, à Presles-et-Boves, où une riche sépulture sans doute féminine contenait vases, fibule, perles de verre, ornements en bronze, offrandes animales et vin dans deux amphores Dressel 19. On trouvera d’autres cas à Limé et à Cuiry-lès-Chaudardes, ou encore à Domqueur dans la Somme. Mais les plus beaux exemples sont à Saint-Nicolas-lez-Arras, dans le Pas-de-Calais, où la tombe 4 contenait un service à boire, simpulum, bassin et gobelets et des amphores dont au moins une Dr. 1, tandis que dans la tombe 3, trois amphores Dr. 1 et une Pascual 1 étaient disposées aux angles.

Tous les sites que nous venons de signaler et sur lesquels des Dr. 1 ont été réunies ont une caractéristique commune : ils sont liés à ceux qui détiennent du pouvoir, élites locales des oppida, des agglomérations, des sanctuaires et des nécropoles, ou chefs militaires romains des camps, à ceux qui ont la capacité d’acquérir du vin et les moyens de proposer quelque chose en échange.

En milieu rural, la situation est contrastée. Les amphores Dr.1 sont souvent présentes mais en très petite quantité, quelques tessons à peine, nous y reviendrons. Cependant, deux sites font exception de façon notoire : on peut les qualifier de fermes exceptionnelles par leur importance (j’utilise ici le terme parfois contesté de “ferme” pour plus de simplicité). L’une se trouve dans l’Eure, entre Évreux et Le Vieil-Évreux, au lieu-dit Le Long Buisson ; cet établissement agricole de grande ampleur a fourni 25 amphores Dr. 1 (NMI)10. Sur l’autre, au sud-ouest du territoire des Parisii, près de Palaiseau (Essonne), au lieu dit Les Trois Mares7, se développe, à La Tène D2, une ferme indigène avec bâtiments en bois et enclos, avec laquelle on peut mettre en relation 67 Dr. 1 (NMI). Une forte quantité d’amphores vinaires dans des sites ruraux signifie-t-elle un statut particulier, connaît-on d’autres exemples en Gaule ? J’ai eu l’occasion d’étudier en Poitou, à l’invitation d’O. Nillesse et de T. Cornec, les amphores de deux sites ruraux d’importance comparable, ceints de fossés riches en matériel divers11 : les Genâts (Fontenay-le-Comte, Vendée) et Le Chemin Chevaleret (Échiré, Deux-Sèvres). Le premier couvre à son apogée une superficie de l’ordre de 54 000 m2 ; pour la période dite gauloise qui nous intéresse, on compte 96 Dr. 1 (NMI). L’enclos du Chemin Chevaleret couvre plus de 32 000 m2 ; les Dressel 1 (3029 tessons) y représentent 134 amphores (NMI). M. Poux12 a mis en évidence l’aspect exceptionnel de ces sites qui ont tenu aussi un rôle cultuel, expliquant peut-être l’abondance des amphores. Nous n’avons pas de telles indications pour Le Long Buisson ou pour Les Trois Mares, cependant leur aptitude à importer nombre d’amphores vinaires incline à penser à un statut particulier, une richesse et un pouvoir qui permettent l’acquisition du produit coûteux qu’était le vin.

En effet, il n’y a pas de commune mesure avec les autres sites ruraux indiqués sur notre carte (fig. 1). Prenons quelques exemples : la ferme indigène de La Tène finale de Guichainville (Eure) ne compte que trois tessons de Dr. 1 (1 NMI)13, la ferme d’Illois (Seine-Maritime), 20 tessons (1 NMI)14, dans la Somme, celle de Bettencourt-Saint-Ouen 5 tessons, (1 NMI)15, de Renancourt 59 tessons (4 NMI)16, dans l’Oise Verneuil-en-Halatte 13 tessons (6 NMI)17. La documentation n’est pas aussi claire que ce que l’on souhaiterait : prospections, fouilles partielles ne peuvent être prises en compte. Que signifient ces amphores dans des sites modestes dont les moyens d’échange ne sont pas les mêmes ? Changement d’échelle, on l’a vu, en termes de quantités d’amphores, changement de consommation peut-être aussi. Consomme-t-on du vin ou des amphores ? Quelle est la valeur d’une amphore ? Elle évolue suivant les situations. Lorsqu’elle est importée et achetée ou échangée, pleine de vin, sa valeur réelle, c’est son contenu. C’est ce que je nommerai le premier marché. On va boire le vin. Mais, deuxième marché, l’amphore a, pleine ou vide, une valeur symbolique, c’est l’amphore homme ou animal que l’on sacrifie en la décapitant lors des banquets, c’est l’amphore vide que l’on met dans les tombes aristocratiques symbole de richesse et de pouvoir dans l’au-delà. Et puis il reste encore la valeur utilitaire de l’emballage, troisième marché. Rappelons-nous que les Dressel 1 aux parois épaisses sont d’une qualité exceptionnellement solide. Elles représentent de grands vases, inédits dans le vaisselier de la Tène finale et très intéressants à réutiliser en entier ou en morceaux. Par exemple, des amphores quasi entières, employées comme matériaux de construction, ont été alignées sur plusieurs rangées à Arles pour consolider les berges du Rhône18. Ou bien encore des anses ou des fonds ont servi de polissoirs, on en trouve une série aux Allées de Tourny à Bordeaux et ce n’est pas un cas isolé19.

On peut donc penser que dans les milieux modestes ruraux, mais qui peuvent être aussi urbains, les amphores avaient une toute autre vie et ne représentaient plus guère une consommation de vin, ni même un symbole, mais simplement de la matière première pour toutes sortes d’usages. Le marché, celui de l’amphore vide, a très probablement existé et justifie d’une distribution des objets entiers ou en morceaux qui ne témoigne plus du tout de l’échange initial de vin italien contre des valeurs importantes qu’étaient les esclaves et les métaux gaulois. Il s’agit alors de ce que nous avons nommé le troisième marché, le plus modeste, qui ne concerne que le solide matériau amphore, habilement réutilisé.

Bibliographie

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  • Tchernia, A. (2009) : “L’exportation du vin : interprétations actuelles de l’exception gauloise”, in : Carlsen & Lo Casio, dir. 2009, 91-113.

Notes

  1. Voir en dernier lieu Olmer 2003 ; Poux 2004 ; Tchernia 2009.
  2. Laubenheimer 1993.
  3. Laubenheimer & Marlière 2010 ; Barat & Laubenheimer à paraître ; Séguier à paraître ; Poux & Sellès 1998.
  4. Brunaux et al. 1999.
  5. Poux 2004, 175.
  6. Laubenheimer & Marlière 2010, 449.
  7. Barat & Laubenheimer à paraître.
  8. Séguier, à paraître.
  9. Laubenheimer & Marlière 2010, 81-83.
  10. Laubenheimer & Marlière 2010, 582-585.
  11. Nillesse 2007.
  12. Poux 2004, 470-481.
  13. Laubenheimer & Marlière 2010, 579.
  14. Laubenheimer & Marlière 2010, 511.
  15. Laubenheimer & Marlière 2010, 432.
  16. Laubenheimer & Marlière 2010, 447.
  17. Laubenheimer & Marlière 2010, 498-501.
  18. Laubenheimer 1998.
  19. Laubenheimer & Watier 1991, fig. 6.
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Chapitre de livre
EAN html : 9782356134929
ISBN html : 978-2-35613-492-9
ISBN pdf : 978-2-35613-493-6
Volume : 4
ISSN : 2827-1912
Posté le 08/05/2024
Publié initialement le 01/02/2013
3 p.
Code CLIL : 3385 ; 4117
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Licence ouverte Etalab

Comment citer

Laubenheimer, Fanette, “Des amphores vinaires dans les fermes à la fin de l’âge du Fer”, in : Krausz, Sophie, Colin, Anne, Gruel, Katherine, Ralston, Ian, Dechezleprêtre, Thierry, dir., L’âge du Fer en Europe. Mélanges offerts à Olivier Buchsenschutz, Pessac, Ausonius éditions, collection B@sic 1, 2024, 475-478, [en ligne] https://una-editions.fr/amphores-vinaires-dans-les-fermes-fin-age-fer [consulté le 08/05/2024].
doi.org/10.46608/basic1.9782356134929.40
Illustration de couverture • D'après la couverture originale de l'ouvrage édité dans la collection Mémoires aux éditions Ausonius (murus gallicus, Bibracte ; mise en lumière SVG).
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