C’est sur la pointe des pieds que nous aborderons des rivages scientifiques passablement étrangers, en nous penchant ici sur le phénomène physique et astronomique des taches solaires, que nous avons étonnement croisé dans un traité de poétique de Guillaume Colletet. Les taches solaires désignent à l’heure actuelle des zones sombres apparaissant par intermittence à la surface du Soleil, rendues visibles par une température inférieure à celle des régions voisines. De taille imposante, une tache solaire peut quasiment égaler le diamètre de la Terre. Les taches hébergent un champ magnétique et se déplacent suivant un cycle de onze ans. Si l’origine et la constitution précise de ces zones sombres restent problématiques, leur existence a pourtant été consignée depuis longtemps et expliquée en Europe dès le XVIIe siècle. Leur identification participe d’un ensemble de faits observés par Galilée concernant la place et la nature du Soleil, dont l’interprétation occasionne force remous : dans la lignée de la révolution copernicienne, ces phénomènes remettaient en cause toute la conception du monde prévalant jusqu’alors, décentrant et dégradant l’astre solaire.
Comment une telle reconfiguration cosmique pourrait-elle épargner le domaine littéraire, dans lequel le Soleil constitue un motif symbolique et un cliché ? La littérature a-t-elle occulté cette découverte ou contribué à la diffuser, voire à la soutenir ? L’a-t-elle instrumentalisée ? On peut imaginer que le motif solaire désormais « corrompu » évolue, et que quelques distorsions s’opèrent dans la conversion du phénomène scientifique en motif littéraire. La métaphore du Soleil taché pourrait même se révéler subversive sur un plan philosophique et agir sur les notions de beauté et de relativité.
Après avoir resitué le contexte scientifique de la découverte de l’héliocentrisme et des taches solaires puis analysé les modalités plurielles de sa diffusion, nous envisagerons les modifications et les enjeux que revêt la migration du motif du Soleil taché dans le domaine des lettres. Nous observerons enfin l’usage de cette métaphore chez le poète et théoricien Guillaume Colletet, qui nous avait donné l’idée d’explorer cette piste.
La découverte astrophysique des taches solaires1
De la doxa aristotélicienne à sa remise en cause la « révolution copernicienne »
Dans l’Antiquité, l’existence de taches solaires fut parfois mentionnée2, mais ces constats n’eurent guère de suite car la doxa géocentrique aristotélicienne et ptoléméenne prévalait. Selon cette vision dominante, la Terre, fixe, constituait le centre de l’Univers. Autour d’elle les astres dessinaient des mouvements circulaires parfaits, en suivant des orbes. L’Univers, fini, se composait de deux parties : un monde sublunaire soumis au changement et aux altérations, auquel appartenait la Terre et, au-dessus, un monde supra-lunaire, parfait, auquel appartenait le Soleil. Les cieux et le Soleil étaient incorruptibles, immuables, parfaits, stables et éternels, parce qu’animés de mouvements mathématiques et non soumis aux aléas de la matière. Rien ne pouvait s’y créer ni disparaître. Ce système cosmologique expliquait les phénomènes physiques en tenant compte de paramètres philosophiques plus larges (la hiérarchie des planètes place la Terre et l’Homme au centre de la création divine) et esthétiques (l’harmonie des sphères) sans toutefois les superposer. Cette conception fut diffusée à des degrés divers et dans différents contextes par le Timée de Platon, le Traité du ciel d’Aristote3 et l’Almageste de Ptolémée : autant de textes au confluent de la philosophie, de la littérature et de la science, encore indistinctes.
Le géocentrisme antique, tout à fait compatible avec la pensée catholique, se maintient au Moyen Âge, professé par la scolastique : au-delà des cieux incorruptibles siège Dieu. Certes Thomas d’Aquin ou Nicole Oresme envisagent des alternatives au géocentrisme, mais en pure théorie. Nicolas de Cuse se montre plus vigoureux dans le De docta ignorantia publié en 1440. Il affirme que le monde peut ne pas être fini, que la Terre ne saurait alors en être le centre, et qu’elle se meut. Néanmoins, ses travaux restent dans l’obscurité pendant plus de cent ans. Dans ce contexte, les taches solaires sont à peine notifiées : les Annales de Saint-Bertin évoquent en 8604un événement qui ressemble fort à l’apparition de taches gigantesques sur la surface solaire et deux observations auraient eu lieu en Russie au XIVe siècle, à l’occasion d’importants feux de forêts5.
C’est à la Renaissance que Copernic rend audible la théorie héliocentrique et que les taches attirent enfin attention et interprétation. Son manuscrit De revolutionibus orbium cœlestium (Des révolutions des orbes célestes6), officiellement publié en 1543 au moment de la mort de son auteur, est achevé depuis 1530 et a circulé en copies7. S’appuyant sur Aristarque de Samos, Copernic place le Soleil au centre de l’Univers et attribue à la Terre deux mouvements principaux : sa rotation sur elle-même en 24 heures et sa révolution annuelle autour du Soleil, ce qui fait de la Terre une planète quelconque. Elle reste cependant le centre des mouvements de la Lune. Cette théorie, en vertu de « l’équivalence des hypothèses » tolérées par l’Église, se diffuse dans les cercles savants et théologiques8, même si, faute de preuve, ou bien par croyance métaphysique, presque tous (à part Giordano Bruno) se disent fidèles au géocentrisme ou à un système mixte. En effet, celui de Tycho Brahé s’avère compatible avec les Saintes Écritures : les planètes tournent autour du Soleil qui tourne autour de la Terre. Ce n’est qu’en 1616 que la doctrine « pythagoricienne » qui va à l’encontre des « paroles célestes9 » est finalement mise à l’Index parce que les preuves de la réalité du système héliocentrique de Copernic sont enfin apportées par Galilée.
En effet, la « révolution copernicienne », premier choc théorique, se voit complétée par une série d’observations qui remettent en cause l’immuabilité du monde supra-lunaire aristotélicien. En 1584, par un jet de pierre du haut d’un mât, Giordano Bruno invalide une des preuves admises pour affirmer la fixité de la terre10 et démontre la relativité du mouvement : « Toutes choses qui se trouvent sur la Terre se meuvent avec la Terre. La pierre jetée du haut du mât reviendra en bas, de quelque façon que le navire se meuve11 ». La chute de la pierre s’effectue relativement au système mécanique dans lequel elle s’insère. Comme Copernic, Giordano Bruno affirme le double mouvement des planètes sur elles-mêmes et autour du Soleil placé en position centrale. Mais il va plus loin : il veut renoncer à l’idée même de centre. Giordano Bruno est le premier à postuler en 1584, contre la doctrine de l’Église de l’époque, un monde infini, une « pluralité de mondes habités » dans le De l’infinito universo et mondi12. Pire, il associe cette pensée à divers systèmes astrologiques et magiques, et y ajoute un comportement provocateur qui le conduit au bûcher en 1600. Ce fut également un coup d’arrêt pour ses thèses.
Le choc des taches solaires à la Renaissance : la « révélation galiléenne13 »
La « révolution copernicienne » ne manque pas d’intéresser Galileo Galilei qui cherche à la confirmer par ses propres découvertes. Dès 1604, comme Tycho Brahé, Galilée observe à son tour une nova14 qui corrobore l’altérabilité des cieux. Par prudence pourtant, Galilée, qui a connaissance du sort de Giordano Bruno, fait profession d’aristotélisme. Il attend la preuve idoine pour le réfuter. Or, en 1609, Galilée met au point une lunette astronomique, inspirée de la lentille hollandaise. Grâce à ce moyen d’observation beaucoup plus précis, il découvre les montagnes lunaires, la Voie Lactée et détecte la présence de satellites autour de Jupiter. Voilà la preuve attendue : tout ne tourne pas autour de la Terre, ni du Soleil ! Le 12 mars 1610, Galilée publie à Venise les résultats de ses premières observations dans le Sidereus nuncius (Le Messager céleste15), dont les cinq cent exemplaires sont épuisés en quelques jours : ce succès s’accompagne d’une large diffusion en Europe. La publication du Sidereus nuncius est déterminante : elle déclenche d’une part la notoriété de Galilée (qui entre à l’Académie des Lyncéens), d’autre part l’hostilité d’une partie des aristotéliciens et des autorités religieuses, qui lui demandent de s’accorder avec la Bible16.
L’observation des taches solaires se fait grâce aux avancées techniques des instruments optiques. Vers 1611, à peu près simultanément, plusieurs mathématiciens astronomes observent les taches solaires, ce qui crée une polémique sur la paternité de la découverte. Le hollandais Johann Goldsmid, dit Fabricius, observe le déplacement des taches sur la surface du Soleil, d’une journée à l’autre, et l’explique par la rotation du Soleil sur lui-même17. Les observations de Fabricius restèrent assez confidentielles, même si Kepler en eut connaissance. Il fut concurrencé par l’astronome allemand Christoph Scheiner qui utilisa des tubes optiques. Ce dernier soutint que les taches n’étaient que l’ombre de planètes orbitant près du Soleil. Scheiner exprime ses thèses en 1612 par trois lettres adressées à Mark Wesler18 qui les publia en dissimulant l’identité du jésuite Scheiner sous le pseudonyme d’Appelle. Enfin, Galilée, à l’aide de la lunette astronomique qu’il venait de fabriquer, identifia les taches et répondit à Scheiner à son tour via trois lettres également adressées à Wesler en 1612 et publiées à Rome en 161319. Dans celles-ci, il réfute l’argument de Scheiner – que les taches sont des ombres – grâce à l’analyse de leurs variations. Si elles étaient des ombres de planètes, elles auraient dû avoir une forme circulaire presque parfaite. Or elles possèdent des formes irrégulières et variables. De plus, comme les taches se déplacent et apparaissent de façon imprévisible, Galilée pense qu’elles sont peut-être une sorte de nuage dans l’atmosphère solaire. Mais il conclut finalement qu’elles font partie du Soleil et attribue leur disparition à la rotation du Soleil.
La polémique sur la paternité est secondaire, c’est évidemment l’interprétation de ces taches qui forme un enjeu de taille car elles offrent une preuve expérimentale allant à l’encontre de plusieurs données fondamentales du système aristotélicien. Les taches impliquent l’imperfection du Soleil : il est corruptible, soumis au changement ; la mobilité des taches suppose la rotation du Soleil : il n’est donc pas fixe. Or si le Soleil bouge, toutes les autres planètes peuvent bouger, y compris la Terre, comme le prétend Copernic ; et si le Soleil n’est pas fixe, il n’est plus qu’une simple planète. Enfin, si le Soleil est une planète corruptible, il n’y a plus de différence entre le monde sublunaire et supra-lunaire… Scheiner, en bon jésuite, tente naturellement de sauver le système aristotélicien : puisque, selon lui, les taches sont des reflets des planètes, il conclut dans sa troisième lettre adressée à Wesler qu’il est possible « de libérer complètement le soleil de cette insulte des taches20 ». Mais Galilée répond à Scheiner par une position anti-aristotélicienne : il conclut à son tour sa troisième lettre en affirmant que les taches sont bien sur la surface du Soleil, ou plutôt il dit qu’il n’est pas démontré qu’elles ne sont pas sur le Soleil et déclare : « si le soleil se montrait en partie impur et taché, pourquoi ne devrions-nous pas le dire maculé et non pur ? Les noms et les attributs doivent s’accorder à l’essence des choses et non l’essence aux noms21 ». La conclusion repose sur les mathématiques, la géométrie et des observations précises à la lunette plutôt que sur l’appel à des Autorités22 et fait ainsi primer l’expérience sur la croyance. Cette position constitue donc une révolution dans la conception de l’Univers et dans la pensée expérimentale. Voilà ce que Philippe Hamou, en écho à l’expression « révolution copernicienne » nomme judicieusement « la révélation galiléenne23 », un « événement » qu’il associe à un « sentiment d’avènement » de temps nouveaux.
L’interprétation des taches solaires, le déclic d’un engrenage
Galilée adresse une lettre récapitulative à Christine de Lorraine en 1615 où il réitère ses positions et affirme que la science des savants, fondée sur l’observation et la démonstration, peut faire autorité sans aucune référence à l’autorité ecclésiastique. Chacun son domaine de compétence : la science ou la foi. Ceci le mène tout doit à la censure : en 1616 le Saint-Office, l’Inquisition et le pape Paul V le prient d’enseigner l’aristotélisme et de ne présenter sa thèse que comme une hypothèse indéfendable puisque contraire aux Saintes Écritures.
Pourtant, sur le fond, Galilée ne s’oppose pas à la toute-puissance divine : il pense que Dieu a donné aux hommes les sens et la raison pour découvrir la vraie structure du monde et il reste protégé par le cardinal Maffeo Barberini, devenu le pape Urbain VIII. Mais il n’en démord pas et réaffirme l’autonomie des sciences dans le Saggiatore (1623) où il développe la métaphore du monde écrit en langage mathématique24 que les scientifiques peuvent décrypter. Il soutient de nouveau l’héliocentrisme dans son très provocateur Dialogo sopra i due massimi sistemi del mondo (Dialogue sur les deux grands systèmes du monde25), dialogue fictif qui défend le système copernicien et ridiculise le système ptoléméen à travers la figure de Simplicio. Galilée est donc à nouveau convoqué par le Saint-Office, le 1er octobre 1632. Deux choses alimentent la suspicion d’hérésie : « avoir tenu et cru une doctrine fausse et contraire aux Saintes Écritures », à savoir que le Soleil est le centre de l’Univers ainsi que d’avoir persévéré à croire prouvable « une doctrine qui a été déclarée et définie contraire aux Saintes Écritures26 ». Menacé de torture, suspecté d’hérésie, Galilée cède. Il prononce la formule d’abjuration. Le fameux aparté attribué à Galilée « E pur si muove ! » (« Et pourtant elle tourne ») est probablement mythique, car il l’aurait conduit au bûcher alors qu’il n’est qu’assigné à résidence.
Ainsi, à la faveur de l’émergence de la thèse héliocentrique et de l’invention de la lunette astronomique, les taches solaires, qui furent longtemps délaissées, quittent l’état de simples curiosités pour déclencher un débat capital sur la structure de l’Univers et sur la conception de la science.
Modalités de diffusion de la théorie des taches solaires au sein de la théorie héliocentrique au XVIIe siècle
Une diffusion savamment orchestrée par l’astronome en personne
Les qualités d’écriture de Galilée, unanimement reconnues, facilitent la propagation de ses thèses. De plus, il orchestre la diffusion de ses textes en usant d’une stratégie assez spectaculaire, même si une part lui en échappe nécessairement. Sa stratégie se fonde sur un habile choix de ses dédicataires, combiné à différents lieux et voies d’édition et aux formes littéraires adoptées. Observons sa progression.
Le florentin, professeur de mathématiques de l’Université de Padoue, publie le Sidereus Nuncius à Venise sous la forme assez originale et captivante d’un récit, à la façon de Kepler, pour que le lecteur, emporté par le suspense, suive sa démarche jusqu’au moment de la révélation, qui dès lors semblera une évidence. Il publie ce récit en 1610 avec une extrême rapidité, seulement six semaines après le début de la rédaction, pour conserver la primeur et le caractère sensationnel de la découverte. Fernand Hallyn souligne que la dernière observation mentionnée par l’ouvrage date du 2 mars, le permis d’imprimer du 10 mars, l’épître dédicatoire du 1227 ! Galilée choisit ensuite de dédier son texte à Cosme de Médicis, dans une démarche très appuyée. Pour l’occasion, il rebaptise les satellites de Jupiter : les « cosmica sidera » deviennent « medicea sidera », c’est-à-dire « astres médicéens ». Galilée joue sur la proximité entre « Cosme » et « cosmica » pour honorer son dédicataire. Il corrige avec ostentation, en collant un bout de papier sur l’ancienne dénomination afin de souligner l’hommage rendu. Par ailleurs, il accompagne ce don de celui d’une lunette astronomique. Il offre donc à son destinataire un véritable ensemble personnalisé, d’une indéniable attractivité. Comblé par une telle offrande, qui ajoute à la nouveauté de la découverte l’éternité du nom, et flatté par la mise en scène, Cosme de Médicis donne un coup d’accélérateur à la carrière de Galilée qui devient son « client », selon l’expression de Fernand Hallyn. Galilée est nommé à Pise et intègre l’Académie lyncéenne de Rome, ce qui lui donne accès à son réseau de relations et de diffusion.
Il utilise d’ailleurs ce biais pour mettre en scène sa polémique avec Scheiner à propos des taches solaires : il répond délibérément aux trois lettres de Scheiner à Wesler par « trois lettres sur les taches solaires » symétriques, elles aussi adressées à Wesler, afin de conserver la tension polémique de cette joute fractionnée. Il dramatise sa révélation de l’appartenance effective des taches au Soleil en dévoilant très progressivement sa certitude, en miroir inversé de celle de Scheiner. Mais il possède un avantage relationnel sur Scheiner : Wesler est le banquier de l’Académie lyncéenne. Le lynx figure d’ailleurs sur la couverture de toutes les publications de Galilée, leur conférant un supplément de valeur, à l’instar d’un label. Cette première joute sur les taches solaires n’est qu’une première marche dans une stratégie qui prend de l’ampleur.
Galilée change de destinataire mais reste dans le giron des Médicis lorsqu’il adresse ensuite sa lettre récapitulative28 à la mère de Cosme, Christine de Lorraine, Grande-Duchesse de Toscane. Cette lettre prend de la hauteur par rapport au sujet des taches solaires mais sépare surtout de nouveau les territoires scientifiques et religieux et entre à son tour dans un dispositif : elle constitue l’acmé d’une polémique29 qui a enflé au gré de deux lettres précédentes adressées au Père Castelli puis à Monseigneur Dini. Galilée peut se permettre sous le bouclier de cette Médicis acquise à sa cause d’aller plus loin, d’autant qu’elle apparaît, grâce au choix de l’épître manuscrite, comme une confidente privilégiée. La lettre est rédigée en 1615 mais il faudra attendre 1636 pour qu’elle soit imprimée avec soutien et par les soins de Diodati et Mattias Bernegger, à Strasbourg, accompagnée d’une traduction latine à destination de l’ensemble de la République des Lettres et des Sciences.
C’est ensuite sous la protection directe du Pape que celui qui sera suspecté d’hérésie se place : le Dialogue sur les deux systèmes mondes est une commande de son ami le pape Urbain VIII. Mais Galilée biaise la commande : non seulement il n’envisage pas les deux hypothèses à égalité mais il raille les aristotéliciens dans un italien aisément compréhensible par tous et non dans un savant traité latin… Le succès fut immédiat. La sanction aussi.
Que penser de cette stratégie éditoriale ? Galilée choisit des modalités d’expression variées qui puissent plaire aux destinataires lettrés : le récit à suspense, la lettre privée, le dialogue, genre fort prisé à la Renaissance italienne, plus encore dans la langue vernaculaire. Il gère avec brio le rythme d’édition : très prompt à imprimer lorsqu’il s’agit de révélations, très lent et sous couvert de lettres manuscrites lorsqu’il s’agit de récapituler des théories polémiques : il dramatise ses découvertes. Ensuite, sa progression de carrière lui autorise un rayonnement large à travers l’Italie : il atteint Padoue, Venise, Rome mais aussi l’ensemble de la République des Sciences grâce au réseau lyncéen. Enfin, il se place sous la triple protection scientifique, politique et religieuse des Lynx, des Médicis et du pape, ce qui lui permet de pouvoir exprimer assez librement des positions coperniciennes dangereuses. La stratégie, paradoxale, est habile pour désamorcer les soupçons ; hélas, il a outrepassé les limites de la prudence et de l’obéissance avec le Dialogue sur les deux systèmes. Et l’échafaudage bâti sur la mise en scène de ses révélations s’effondre. Ces « coups » que l’on pourrait anachroniquement comparer à des « coups médiatiques » ont porté leurs fruits, pour le meilleur et pour le pire.
Le rôle paradoxal de la censure dans la diffusion de la thèse galiléenne
En plus de cette stratégie personnelle, les thèses du maître se diffusent via les émules de la première heure, d’ailleurs problématiques pour Galilée lors de sa défense. L’astrologue protestant Kepler le soutient dès 1610, dans sa Dissertatio cum nuncio sidereo (Discussion avec le messager céleste) puis, après observations, dans sa Narratio de observatis Jovis satellitibus (Rapport sur l’observation des satellites de Jupiter) en 161130. L’hérétique Campanella rédige une Apologie de Galilée en 1616, publiée en 1622. Mais plus encore que ces auteurs sulfureux, c’est la censure du Dialogue qui favorise la diffusion des thèses galiléennes. En effet, alors qu’elle souhaite jeter l’anathème, elle contribue à faire parler de l’affaire Galilée et donc participe indirectement à sa propagation. Urbain VIII donne l’ordre de faire connaître la condamnation de Galilée à tous les professeurs de mathématiques et de philosophie. Le texte de la sentence est diffusé largement : à Rome le 2 juillet, le 12 août à Florence. Les copies de la sentence et de l’abjuration de Galilée sont envoyées dans l’Europe entière31. La nouvelle arrive en Allemagne fin août, aux Pays-Bas espagnols en septembre. Les décrets du Saint-Office ne seront pas publiés en France. Néanmoins la nouvelle est évidemment largement connue. Galilée bénéficie ainsi, si l’on peut dire, d’une propagande paradoxale à l’échelle papale ! D’autant que la modération relative du sort infligé à Galilée, assigné à domicile après abjuration, effraie bien moins que le châtiment de Giordano Bruno, brûlé en place publique en 1600. Cette sanction n’empêchera pas le Père Mersenne de publier Les Mécaniques de Galilée32 en 1634, peu après le procès de Rome.
Malgré cet effet publicitaire, la censure fut d’une certaine façon efficace. En effet, les savants d’Europe avaient deux façons d’interpréter cette condamnation spectaculaire : on pouvait y voir un conflit ouvert entre science et religion à propos de la conception de l’Univers et du statut d’Autorité dénié à la Bible en matière de science. Galilée devenait alors un martyr de la libre-pensée. On pouvait aussi y lire un conflit entre ceux qui cherchent à opposer religion et science (ceux qui ont fait condamner Galilée) et ceux qui cherchent à les concilier (comme Galilée lui-même, qui attribue à Dieu l’intention de laisser l’homme comprendre grâce à son entendement). Galilée devient alors un pseudo-martyr. Dans tous les cas, le conflit est préjudiciable à ceux que l’on nomme les « nouveaux scientifiques » … qui prudemment évitent la controverse. Ainsi René Descartes, aux dires de son biographe Adrien Baillet, fut bouleversé et cela « causa dans son esprit une révolution que le public aurait peine à croire33 ». C’est la raison pour laquelle il aurait renoncé à publier son Traité du monde et de la lumière, dans lequel il défendait la thèse de l’héliocentrisme, qui ne paraîtra que de façon posthume. S’il est convaincu par le Dialogue sur les deux grands systèmes du monde, qu’il obtient grâce son ami Beeckman dès 1634, peu après la condamnation, il est aussi persuadé de la maladresse et de l’imprudence de Galilée. À la place du traité, il compose et publie le fameux Discours de la méthode (1637), dont la méthode rationaliste s’oppose d’une autre manière à la scolastique. Comme chez Galilée la vérité s’y fonde sur la raison et les « lumières naturelles » plutôt que sur les lumières de la foi. Indirectement et grâce aux voies de l’Inquisition, la révélation galiléenne mène donc droit au rationalisme. Ainsi, la censure ne détruit pas la thèse galiléenne, elle pousse à la formuler différemment. De la même façon, Gassendi emprunte des chemins détournés : il poursuit l’observation astronomique en compagnie de Peiresc, ami34 de Galilée mais rédigera une Vie de Tycho Brahé et de Copernic, laissant de côté celle de Galilée35.
Entre publicité, dissuasion et transformation, la censure joue donc un rôle paradoxal mais efficace dans la diffusion de la thèse galiléenne, que le temps accroît : l’abbé Picard, qui manie les appareils optiques dans le cadre de l’Académie Royale des Sciences de Paris ou Christian Huygens s’inscrivent dans la filiation de Galilée. Peu à peu, la position copernicienne s’impose en France, en Angleterre, aux Pays-Bas et au Danemark. En 1664, les auteurs coperniciens sont retirés de l’Index, puis la mécanique céleste d’Isaac Newton permet un consensus en fin de siècle. La première preuve scientifique de la rotation de la Terre autour du Soleil arrive au XVIIIe siècle grâce à James Bradley, qui explique « l’aberration de la lumière » en 1728. Le pape Benoît XIV autorise alors les ouvrages sur l’héliocentrisme. Le Saint-Office permet la réimpression des œuvres complètes de Galilée en 1741, sans abroger les condamnations de 1616 et 1633. Il réaffirme néanmoins que le mouvement de la Terre reste supposé. Galilée, ne sera partiellement réhabilité qu’au XXe siècle par Jean-Paul II.
Le sujet des taches a donc joué un rôle déclencheur dans la polémique mais reste un épiphénomène dans l’avènement de l’héliocentrisme (d’autant que la disparition quasi-complète des taches solaires sur la période 1645-171536 contribue à décentrer l’attention) ; c’est l’ensemble de la théorie copernicienne, couplée à la méthode expérimentale galiléenne qui fait l’objet d’une diffusion par-delà la censure. Quel impact ces deux découvertes ont-elles sur la production littéraire en dehors des polémiques scientifiques ? Changent-elles la façon d’évoquer le Soleil ? La littérature offre-t-elle un relais de diffusion à ces thèses ?
Transfert métaphorique de l’héliocentrisme et des taches solaires en milieu littéraire
En littérature, le motif solaire est un cliché rebattu, une archi-métaphore. Très présent dès l’Antiquité chez Platon, repris chez Ficin, il renvoie à la perfection divine et à la lumière de la Vérité. Au Moyen Âge, en vertu du lien entre microcosme et macrocosme, le Soleil reste la manifestation du sacré, il est souvent considéré comme l’âme du monde pour son incorruptibilité ou comme l’œil de Dieu grâce à sa forme et son rayonnement lumineux. Selon la même pensée analogique, Pétrarque surnomme Laure « mon soleil » : elle reflète ici-bas la perfection céleste. À la Renaissance, Ronsard, par exemple, évoque l’astre dans un hymne mobilisant les mêmes valeurs :
Je dy ce grand Soleil qui nous fait les saisons […]
L’esprit, l’âme du monde, ardent et flamboyant,
En la course d’un jour tout le ciel tournoyant,
Plain d’immense grandeur, rond, vagabond et ferme
Lequel tient dessoubs luy tout le monde pour terme37.
Symbole du divin dans la poésie religieuse, éloge hyperbolique dans la poésie lyrique, objet de description dans la poésie scientifique …, le Soleil traverse toute la poésie, à tel point que la critique n’hésite pas à parler de véritable « héliolâtrie » à la Renaissance.
Mais que se passe-t-il à partir du moment où la science modifie la place du Soleil ? Comment la littérature rend-elle compte de ce changement d’épistémè ? Bien sûr, la diffusion de l’héliocentrisme se fait d’abord par le biais de la littérature scientifique, par les lettres et les traités comme nous l’avons vu, même si la partition des champs des savoirs reste indistincte. Bien sûr, la poésie n’a pas toujours pour point de mire l’exactitude scientifique ni l’exacte peinture du réel, et n’est pas contrainte d’acter les avancées scientifiques. Bien sûr, on gardera à l’esprit que l’impact n’est pas immédiat, et que les topoï, par nature, ont la vie dure. Néanmoins, il est évident qu’une telle rupture épistémique doit affecter les images littéraires. L’effet en est positif. Selon Jean-François Stoffel, la révolution copernicienne constitue moins un déclassement de la Terre qu’une consécration du Soleil, qui retrouve une place physique à la hauteur de sa place symbolique38. Cette revalorisation remotive l’ensemble des métaphores habituelles. Copernic lui-même s’appuyait déjà sur des images éculées pour justifier ce recentrement et les transformer en arguments d’autorité poétiques :
Et au milieu de tous repose le Soleil. En effet, dans ce temple splendide qui donc poserait ce luminaire en un lieu autre, ou meilleur, que celui d’où il peut éclairer tout à la fois ? Or, en vérité, ce n’est pas improprement que certains l’ont appelé la prunelle du monde, d’autres Esprit [du monde], d’autres enfin son Recteur. Trismégiste l’appelle Dieu visible. L’Électra de Sophocle l’omnivoyant. C’est ainsi, en effet, que le Soleil, comme reposant sur le trône royal, gouverne la famille des astres qui l’entoure39.
Dans ce passage, les images renvoient à une vérité scientifique et le poids en est accru. La révolution copernicienne renforce l’héliolâtrie : « le système copernicien amplifie donc le culte solaire40 ».
Non seulement les métaphores anciennes sont conservées, revivifiées et augmentées mais certaines comparaisons, parfois plus burlesques font leur apparition pour présenter l’héliocentrisme comme une évidence. On retiendra la savoureuse analogie culinaire développée par Cyrano dans L’autre monde au milieu du siècle :
Il est du sens commun de croire que le soleil a pris place au centre de l’univers, puisque tous les corps qui sont dans la nature ont besoin de ce feu radical, qui habite au cœur du royaume pour estre en estât de satisfaire promptement à leurs nécessitez et que la cause des generations soit placée esgallement entre les corps où elle agit […]. Cela donc supposé, je dis que la terre ayant besoin de la lumière, de la chaleur et de l’influence de ce grand feu, elle se tourne autour de luy pour recevoir esgallement en tourtes ses parties cette vertu qui la conserve. Car il seroit aussy ridicule de croire que ce grand corps lumineux tournast au tour d’un point dont il n’a que faire, que de s’ymaginer, quand nous voyons une allouette rostie, qu’on a, pour la cuire, tourné la cheminée à l’entour. Autrement si c’estoit au soleil à faire cette corvée, il sembleroit que la médecine eust besoin du malade ; que le fort deut plier soubz le foible, le grand servir au petit ; et qu’au lieu qu’un vaisseau cingle le long des costes d’une province, on deut faire promener la province au tour du vaisseau41.
La Fontaine acte également le changement de structure cosmique en même temps qu’il réfléchit sur la fiabilité des sens et le rôle de la raison éprouvé par l’invention des instruments optiques dans « Un animal dans la lune » :
J’aperçois le Soleil ; quelle en est la figure
Ici-bas ce grand corps n’a que trois pieds de tour
Mais si je le voyais là-haut dans son séjour,
Que serait-ce à mes yeux que l’œil de la nature ?
Sa distance me fait juger de sa grandeur ;
Sur l’angle et les les côtés ma main la détermine ;
L’ignorant le croit plat, j’épaissis sa rondeur ;
Je le rends immobile, et la terre chemine.
Bref je démens mes yeux en toute sa machine.
Ce sens ne me suis point par son illusion42.
Dans l’orbe de l’héliocentrisme, la « révélation galiléenne » et les taches solaires font également leur entrée en littérature. Ce n’est plus la place mais la nature du Soleil qui s’en trouve modifiée et la pureté solaire laisse place à une image de corruption qui porte atteinte à la figure divine. De plus, la souillure atteignant le monde supra-lunaire, il n’y a plus de différence entre la sphère humaine et divine. Cette métaphore est donc hautement problématique sur un plan symbolique, en particulier au sein de la poésie religieuse. Dans un de ses récents articles43, Florent Libral a montré que même , la poésie chrétienne n’élude pas cette découverte et entérine le phénomène qui met à mal le système des Saintes Écritures. Il cite le Père Le Moyne :
Ces taches qu’il [le Soleil] a sur la face,
Ne sont pas ainsi qu’on a crû,
Des endroits où mon jour n’ait pû
Entrer plus avant dans la Masse :
Ce ne sont ny bresches du Temps,
Ny rides faites par les Ans ;
Ny soüillures de la Matiere ;
Mais des restes du Rien, d’où ma voix l’a tiré ;
Qu’à dessein j’ai voulu laisser à sa lumière,
Afin qu’il ne fust pas des hommes adoré44.
Notons que le Père Le Moyne tente ici de concilier l’existence de ces taches et la supériorité divine et pour cela il dissocie Dieu du Soleil, ramené à son état de simple création. Il s’agit donc d’une altération du symbole à la fois par maculation et par scission. C’est une forme de désacralisation qui renvoie le Soleil à la poésie naturelle.
En effet, l’héliolâtrie associée à la révolution copernicienne entre en collision avec une désacralisation du Soleil apportée par la « révélation galiléenne ». L’astre divin désormais voué à mourir tombe de son piédestal :
Le statut de l’ancien cosmos, et du Soleil en particulier, s’il n’a pas été complètement bouleversé par la révolution copernicienne, a bel et bien été démantelé par la révolution galiléenne. En instaurant des « générations et corruptions » dans les cieux, en nous dévoilant l’intimité de l’astre du jour, celle-ci a notamment démontré que le Soleil lui-même ne peut plus se prévaloir d’aucun de ses privilèges traditionnels, exceptés ceux, purement naturels, qui, indépendamment de tout système cosmologique, lui sont reconnus depuis la nuit des temps45.
Les Belles Lettres, sous diverses formes et au sein de différentes tendances, entachent le Soleil pendant tout le XVIIe siècle. « Le Soleil couchant » baroque de Pilet de La Mesnardière voit surgir sur sa sphère des « pommelures », des « mouchetures », des « flots crespez46 ». Chez le libertin Cyrano, les planètes des États et Empires du Soleil et de la Lune sont des « soleils refroidis » et le Soleil lui-même est en passe d’être étouffé sous ses taches47. Dans Le Paradis perdu (1667), Milton va jusqu’à représenter Satan comme une tache sur le Soleil48. Enfin, la présence même de la lunette astronomique dans la fable « Un animal dans la Lune » incite à se demander si, sous la plume de La Fontaine, l’ombre de la souris sur l’astre lunaire ne constitue pas un miroir inversé des taches observées sur le Soleil à l’aide de la lunette galiléenne, et une référence au débat entre Galilée et Scheiner … La souris monstrueuse apparue au centre de la focale constituerait un avatar animalier et grotesque des taches solaires dans une métaphore décalée fort originale.
L’irrégularité mais surtout la mortalité du Soleil ouvre la voie au « Soleil noir de la Mélancolie49 » ou au soleil baudelairien figé dans son sang50. Néanmoins, ces cas ne sauraient suffire à généraliser et entériner cette désacralisation. Tous les auteurs répercutent-ils ainsi l’impact des révolutions copernicienne et galiléenne ? Vérifions au prisme de l’un d’entre eux : Guillaume Colletet.
Un exemple d’évolution de la métaphore chez Guillaume Colletet
Colletet et Galilée
Guillaume Colletet (1598/1659) est un polygraphe contemporain de Galilée qui se perçoit avant tout comme un poète. Son écriture cherche sa place au croisement improbable de Ronsard, son modèle, et de Malherbe, dont il apprécie la clarté et la modernité. Cependant Colletet est surtout resté dans les mémoires comme un théoricien (il a rédigé un Art poëtique composé de plusieurs traités consacrés chacun à une forme poétique : sonnet, épigramme, poésie bucolique etc.), et comme le premier historien de la poésie française : il rédige en français quatre-cents « Vies » de poètes de « langue françoise » du Moyen Âge jusqu’à lui. Il devient aussi l’un des premiers critiques, puisqu’il s’essaie au jugement dans le cadre à la fois des traités et des Vies. Poète satirique dans sa prime jeunesse, puis mondain à mi-parcours, protégé de Richelieu, académicien érudit dans la suite de sa carrière, il évolue au sein d’un vaste réseau d’hommes influents et de savants, mais en même temps son comportement flagorneur et libertin le relègue irrémédiablement à la marge de la bonne société.
En quoi Colletet est-il susceptible d’éclairer notre réflexion sur le transfert en littérature des thèses galiléennes ? Lors de la découverte des taches solaires en 1611, Colletet n’a que 13 ans. Mais lors du procès de Galilée en 1633, il a 35 ans et n’a pu ignorer ce scandale européen. À la mort de Galilée (le 8 janvier 1642), le poète lui consacre un sonnet51 :
Sonnet sur la mort de Galilei, excellent Mathematicien
Pour un Esprit si pur la terre estoit impure,
Cet homme tout celeste est monté dans les Cieux,
Il y voit clairement ces flambeaux radieux,
Dont nous n’avons icy qu’une lumière obscure.
De ces voutes d’azur la noble architecture,
Ravit égallement son esprit & ses yeux ;
Et l’eslevant plus haut que sa propre nature,
Luy fait connoistre en fin la nature des Dieux.
Il me semble desia qu’au travers de ce verre,
Dont son art approchoit le Ciel, l’onde, & la terre,
Je le vois esclatter au front du firmament ;
Et si l’on se transforme en la chose qu’on aime,
Comme il fut amoureux des Astres seulement,
Que le grand Galilée est un Astre luy mesme.
Ce sonnet offre à Galilée une apothéose et une métamorphose en astre digne d’Ovide, bien loin des accusations d’hérésie. Colletet opère donc une réhabilitation de l’astronome. Notons toutefois que ces tropes habituels dans une rhétorique encomiastique interviennent dans une circonstance mondaine : le poème salue la disparition d’une célébrité, comme une gazette, et peut-être faut-il voir dans l’apothéose d’un hérétique un simple jeu d’esprit et de style sur la figure de l’antithèse. Un autre facteur plaide en faveur d’une posture mondaine : la version manuscrite de ce poème figure dans le recueil Conrart. De plus, cet éloge funèbre de « l’excellent mathématicien » arrive trop tardivement pour un plaidoyer, et Colletet ne court guère de risque… La reprise du poème dans un recueil d’épitaphes choisies en 1648 confirme que le sonnet est jugé de bonne tenue mais aussi inoffensif.
Néanmoins, au-delà du geste mondain, on peut penser que Colletet est sensible au discours scientifique de Galilée, et depuis plus longtemps. En effet, son chemin croise celui de plusieurs satellites de Galilée comme Nicolas-Claude Fabri de Peiresc, ancien élève de l’astronome, qui défend son maître auprès du cardinal Barberini dès 1623, lorsqu’il est inquiété pour la première fois. Colletet est en lien avec Peiresc par l’intermédiaire des frères Dupuy. Une lettre de Peiresc confirme que les Dupuy communiquent à Peiresc des vers de Colletet en octobre 1633, donc justement au moment du procès de Galilée. Cette attention envers le fervent défenseur de l’astronome constitue-t-elle une marque de soutien52 ?
Colletet connaît aussi Élie Diodati, qui rend visite à Galilée en 1626 puis rapporte les copies de ses manuscrits à Paris et s’attache à en organiser leur diffusion et traduction à travers l’Europe, à tel point que Stéphane Garcia le qualifie « d’agent de publicité de Galilée53 ». Diodati fait partie de la tétrade54 libertine que Colletet fréquenta dans les années 1640, composée de personnalités plutôt sensibles à la nouvelle science : Diodati, Naudé, Gassendi, La Mothe le Vayer. Colletet a aussi consacré une épigramme à un autre hôte de l’académie putéane : « Pour Thomas Campanella55 ». Par l’ambigüité de la préposition, le titre peut s’interpréter à la fois comme une simple adresse au destinataire ou comme une marque de soutien. Le libre-penseur est mis en scène à la première personne :
Dès que j’eus pénétré la science profonde
J’en découvris si bien la force et la beauté
Que le temps, qui destruit tous les objets du monde,
Conserve encor ma gloire et ne m’a rien osté.
La glorification finale confirme la dimension apologétique perçue dans le titre. Toutefois, de nouveau, cet éloge funèbre prend place dans un poème qui assure la fonction d’épitaphe et intervient un peu tard.
Même si Colletet formule son appui de biais ou après coup, il entretient des liens avec des hommes de science à la sensibilité copernicienne ; par ces pièces, il tient à marquer sa proximité avec eux et témoigner de son admiration. Au regard de ces accointances, il devient intéressant de se demander si les textes de Colletet, par-delà la déférence des éloges funèbres, diffusent la nouvelle cosmologie, ou si la référence à ces penseurs infléchit sa production d’une quelconque manière.
La métaphore du soleil dans l’œuvre poétique de Colletet
Les occurrences solaires sont constantes chez Colletet. Ce leitmotiv apparaît dans des textes en tous genres (poésie, ballet, théâtre versifié…) et à toutes les époques, de sa première à sa dernière œuvre. Les Poésies diverses56, recueil qui rassemble une partie des poèmes composés au cours de sa carrière, contiennent à elles seules quatre-vingt-quinze occurrences du mot « soleil ».
Notre poète exploite les différentes valeurs traditionnelles de la figure. D’abord le Soleil constitue un symbole religieux, tantôt catholique tantôt païen. Dans Le Ballet de l’harmonie, par exemple, « l’harmonie dans le plus haut point de sa perfection » est incarnée par « Apollon, dieu de la clairté57 ». Le Roi représentant Dieu sur terre, le Soleil lui confère ses vertus : Les doux ravissements58comparent Louis XIII à l’astre suprême en 1619. Le lien renaissant entre microcosme et macrocosme sous-tend aussi Le Ballet des effets de la nature où la définition de la danse repose sur une analogie céleste des plus traditionnelles et suppose l’harmonie des sphères : la danse est copiée « sur le patron du mouvement des cieux et des astres dont le cours, l’ordre et la conjonction ne sont en effet que des dances mesurées et parfaitement accordantes ». Le Roi peut bien à ce compte y occuper la place la plus importante.
Le Soleil habite aussi la poésie mondaine et figure au firmament de la fameuse Guirlande de Julie grâce à deux épigrammes adressées « au Soleil » : Julie rivalise de beauté avec l’astre, puisque d’elle émane la lumière nécessaire à la fleur de souci59. On rencontre également dans sa production galante quelques belles matineuses, et autres amantes qui échappent à leur amoureux en suivant la course du Soleil60.
Le topos pétrarquiste permet à rebours d’alimenter quelques allusions grivoises. Dans l’épigramme « À une dame »61, le Soleil brille moins que les yeux de la belle, qui illuminent et enflamment son cœur. La métaphore « vous devenez le soleil de mon âme » en entraîne une autre, que l’on peut trouver plus charnelle : « je deviens un phœnix de confiance & d’amour ». Le cliché intègre même parfois des poèmes clairement satyriques. Le blason « Les beautés de Claudine »62transforme Claudine en cosmos, dont les cheveux sont les rayons, les yeux deux soleils… et les seins des globes ! Cette dérive burlesque de la métaphore intervenait déjà dans les Désespoirs amoureux, son premier véritable recueil, où Francine représente un soleil difforme :
Contre une presomptueuse. Sonnet63
Que je pren de plaisir au propos de Francine,
Pour m’induire à l’aimer elle me dit tousjours
Que plusieurs l’estimant le Soleil de nos jours
Sont espris des attraits de sa beauté divine.
Qu’elle est le seul honneur de la ronde Machine,
Bien qu’elle soit l’horreur des plus belles Amours,
Qu’elle ayt le cuir poly comme la peau d’un Ours,
Le dos plus eslevé qu’une haute colline.
Qu’elle ait un pied de crasse à l’entour de son col,
Le nez garny de morve, un tetin flasque et mol,
La prunelle de l’œil comme quelque limace,
La levre bilbaree ainsi qu’un Margajat,
La bouche pleine aussi d’escume et de crachat,
Et pour comble de tout une laide grimace.
Cependant, la métaphore solaire en elle-même n’est pas maltraitée : d’usage galant, elle n’est simplement pas adaptée à son orgueilleuse destinataire.
Pour conclure, le Soleil est omniprésent dans la poésie de Colletet, dans le respect de ses potentialités religieuses, politiques, galantes ou mondaines habituelles. Même l’utilisation satyrique s’inscrit dans un burlesque traditionnel. Notre tour d’horizon s’avère donc décevant : cet usage, certes varié, mais plutôt archaïque de la symbolique solaire, qui ne mentionne jamais l’existence des taches solaires, tendrait à limiter le rôle joué par les Belles Lettres dans la diffusion du contenu scientifique galiléen. Nous pourrions reprendre à notre compte la phrase de Florent Libral qui constate, quant à lui, que la dioptrique cartésienne ne se répercute pas toujours en poésie : « On pourrait multiplier les exemples nés de cette absence d’aggiornamiento scientifique et littéraire, qui donnent à ces poésies un côté suranné dès leur parution aux yeux des lecteurs bien informés64 ». D’ailleurs, cet entêtement rétrograde est confirmé par le poème d’hommage à Galilée lui-même puisque Colletet n’y actualise aucunement l’uniformisation des mondes sublunaire et supra-lunaire dans une même étendue d’espace corruptible ; il conserve au contraire la séparation nette entre une terre impure et un ciel pur, que Galilée rejoint après sa mort. Quoique Colletet se mette en scène en train d’observer Galilée à la lunette, les découvertes de l’astronome ne paraissent pas modifier l’usage que le poète fait du Soleil en poésie.
La métaphore solaire réinvestie par le discours théorique
En revanche, Colletet semble prendre en considération plus ou moins indirectement les thèses de Galilée dans le versant théorique de son œuvre, c’est-à-dire dans les traités de L’Art poëtique65 et dans les Vies des poètes françois.
Dans le Discours de l’éloquence contenu dans L’Art poëtique, l’auteur adopte une position de Moderne en défendant la capacité d’invention humaine :
L’imagination des hommes est infinie ; les siecles produisent tous les jours de nouveaux miracles […]. On a trouvé l’Art de l’Imprimerie, et l’usage du Canon ; on a veu luire de nouvelles Estoiles ; on a découvert de nouvelles Mers, et de nouveaux Peuples, depuis que le Sage a dit qu’il n’y avoit plus rien de nouveau sous le Soleil66.
La référence aux nouvelles étoiles renvoie bien sûr aux travaux de Galilée. Sans le citer nommément, Colletet évoque un peu plus loin « ceux qui ont fait profession des plus hautes et plus utiles parties de Mathématiques » qui « ont imité la plus noble fabrique des mains de Dieu encomposant à son exemple un nouveau monde, la sphère céleste et le Globe de la Terre67 ». N’est-ce pas une façon d’acter l’héliocentrisme et de reconnaître la grandeur des astronomes modernes ?
On s’attendrait donc à ce que son traitement des métaphores cosmiques et solaires s’en trouve modifié, et même à voir enfin surgir des taches sur le Soleil. Et pourtant, le Discours de l’éloquence s’inscrit apparemment dans la même dynamique conservatrice et rétrograde que la poésie puisque Colletet y développe une conception du monde fondée sur l’analogie : « Vous diriez que les choses créées prennent plaisir d’agir par exemple et par imitation68 ». Macrocosme et microcosme marchent encore de pair, le Soleil servant de modèle de référence : les astres « se meuvent tous et comme à l’envy l’un de l’autre » ; la Lune est « soleil de la nuit », les fleurs sont comme les étoiles69.
Le Soleil détient une supériorité qui permet de commander à une hiérarchie de valeurs : « Toutes les parties du ciel ne sont pas le Soleil ny la Lune70 ». Une gradation s’opère ainsi entre les genres. L’épopée constitue la forme reine par rapport au sonnet :
Mais à considérer Poëme pour Poëme, et les mettre en égale balance, n’est-ce pas vouloir égaler des mines de cuivre, et de plomb, à des mines d’Or ? Des étincelles à des brasiers, et des chandelles de cire au flambeau du Soleil71 ?
La métaphore cosmique sert aussi à fonder un palmarès des poètes. Ronsard constitue le soleil du monde poétique : « encore peut-on dire que Ronsard l’emportait sur tous ceux là comme le soleil sur tous les autres luminaires72 ». Colletet conçoit donc bien le Soleil comme un sommet et un mètre-étalon, ce qui rappelle l’agencement cosmique aristotélicien vertical où le monde supra-lunaire, placé au-dessus de la Terre, la domine et la supplante. Que le Soleil soit devenu un « centre » ne modifie en rien l’utilisation de la métaphore. D’autant que ce dernier demeure immaculé. Pas de taches sur ce Soleil, qui reste un symbole de perfection. L’utilisation du motif paraît donc passéiste et périmée, y compris dans la théorie poétique.
Toutefois les choses se compliquent lorsque la perfection se révèle incomplète, connaît des zones d’ombre : « Il n’y a guère de beau temps sans nuage, de beau visage sans quelque petite tache, ni finalement de perfection si accomplie qui n’ait son deffault73 ». Colletet s’empare non pas du motif du Soleil taché mais focalise sur celui de la tache qu’il projette sur d’autres avatars de la perfection que l’astre solaire. Apparaissent ainsi deux nouveaux motifs, ceux du visage taché et de la beauté tachée. La rémanence d’un sème lié à la lumière, à l’éclat, nous permet cependant de comprendre qu’il s’agit bien de glissements opérés à partir de la métaphore in absentia du Soleil taché. Lorsqu’il critique le « lapidaire » de Rémy Belleau, c’est l’or qui joue ce rôle : « Ce n’est pas qu’il n’y ait quelque vers où l’on peut trouver à redire, tant du côté de leur structure, que du côté des rimes qui n’ont pas toute leur justesse : mais ce ne sont que de petites taches et de simples negligences pardonnables à celuy qui nous enrichit de l’abondance de ses tresors74 ». Dans la « Vie de Ronsard », lorsque Colletet conteste un vers grec superflu, le verbe final provient du paradigme solaire : « Après tout, si c’est un deffaut, ce n’est qu’une petite tache sur un beau visage, qui ne doibt pas empescher que l’on ne considère avecque plaisir tant de beaux traits qui s’y rencontrent et tant de particularités des affaires de son temps qu’il y faict esclatter75 ». La tache contamine le soleil et inverse le sens la métaphore. Selon Jean-François Stoffel :
Autrefois symbole de la perfection et donc de la divinité, le Soleil, maintenant qu’il est perçu comme couvert de taches, devient au contraire le signe de l’imperfection inévitable du monde et l’emblème de ce qui, tout en étant de grande valeur, n’en demeure pas moins entaché par quelque défectuosité, comme peut l’être une œuvre poétique ou la vie d’un grand homme76.
À relire les citations précédentes, on voit bien que s’opère un autre glissement, cette fois-ci sur le fond : progressivement, et par le biais des répétitions, la tache n’apparaît plus comme une anomalie mais comme une évidence et un fait naturel. Dans l’épître du Discours de l’éloquence adressée à Fouquet (1658), Colletet explique que la présence de taches va de soi : « Mais comme il n’y a guere de beauté sans tache, s’il advient, comme je n’en doute pas, que dans les Escrits de quelques-uns vous rencontriez de visibles defauts77 », cela serait bien légitime. Nous sommes insensiblement passés de l’idée de perfection corrompue à celle de défaut nécessairement constitutif de la beauté. La tache entre alors dans la normalité. Ainsi le Soleil naturellement taché et ses avatars (le visage taché, la beauté tachée) ne permettent ni de regretter une perfection absolue désormais inconcevable, ni de condamner l’imperfection, mais d’excuser les défauts inhérents à toute chose, même la meilleure. Par conséquent les taches, nécessairement présentes, voient leur gravité relativisée. Elles n’entravent pas la beauté. Quelques rimes approximatives ne doivent pas nous rebuter, même si un bon critique les remarquera : « Après tout ses rymes licencieuses ne sont que de petits chicots dans de grandes forêts, de petites ronces dans un vaste parterre et que de petits nuages sur le front du soleil78 ».
De plus, être taché n’empêche pas le Soleil de demeurer l’astre le plus brillant … relativement à d’autres, ou à un lieu, une circonstance… Quoiqu’imparfait, un poème peut incarner le soleil de son recueil ou un poète le soleil de son époque. Ainsi Ronsard surpasse-t-il Saint-Gelais en vertu de son arrivée plus tardive : « mais comme, par ses estudes, il remporta la palme sur tous les Ecrivains de son temps, il fut contraint apres de la ceder a Ronsard. La naissance de ce nouveau Soleil l’ayant d’abord esblouy, d’abord aussy lui donna de l’envie79 ». Le Soleil n’est plus un point de repère fixe et absolu mais changeant et relatif à un espace-temps. Et de nouveaux soleils sont susceptibles d’éclipser les précédents à tout moment. Leurs défauts, inéluctables, sont à relativiser, plus encore rétrospectivement. Ainsi les quatrains de Gilbert de Gondouyn sont « d’un style assez raisonnable pour leur temps, et [qui] avecque toute leurs taches et toutes leurs rudesses ne déplairoient peut-estre pas encore au nostres80 ». La certitude qu’il n’existe de perfection que relativement à une époque et que les défauts sont à considérer mais à minimiser dans un regard bienveillant constituera le postulat de départ de Colletet dans sa construction d’une histoire littéraire capable d’édicter des jugements qui ne soient pas prescriptifs dans l’éternité mais apprécient les mérites de chaque poète relativement à ses possibilités contextuelles : c’est toute l’entreprise des « Vies des poètes français ».
Chez Colletet la métaphore du Soleil taché, transposée, est donc importante dans le domaine théorique, et son utilisation va à rebours des attentes. Elle est amenée non pas à condamner la souillure ou à déplorer la perte de la perfection mais à revendiquer l’imperfection et à la minorer. Finalement la tache dit la relativité. Pourtant la lecture du motif de la tache solaire ne semble pas si limpide ni univoque chez Colletet. S’il est vrai que la métaphore est employée plusieurs fois dans ce sens (tout n’est pas parfait, et c’est bien naturel), il reste que certaines occurrences semblent dire exactement le contraire à l’intérieur des mêmes ouvrages théoriques. Ainsi, à la fin du Traitté de la poésie morale et sententieuse, la référence enfin explicite aux « taches solaires » ne sert plus à affirmer que toute perfection possède ses ombres, mais au contraire à reprocher leur mauvaise foi aux critiques qui soulignent vigoureusement des failles inexistantes, pour le plaisir de critiquer. Se plaçant sous l’égide d’Horace et sur l’arrière-plan scientifique de Galilée, Colletet soutient alors l’existence possible d’une perfection poétique, en écho à la perfection immuable des cieux incorruptibles :
Et en cela je suis du sentiment du Poëte Horace […] : Animun censoris honesti; et non pas de cette dure et farouche critique, qui trouve des taches imaginaires dans le Soleil, et des defauts invisibles dans la Nature la plus parfaite et la plus accomplie81.
Galilée est ici battu froid tandis que la perfection immaculée est de nouveau envisagée. De la même façon, lorsque Colletet réutilise l’image dans le Discours de l’épigramme, la tache n’est plus un élément naturel mais une déformation qui souille la beauté initiale. Les vers de La Boétie insérés dans les Essais de Montaigne infectent l’original :
Ce qui paroist assez par le jugement advantageux que le mesme de Montagne fit autresfois des fades Sonnets du docte Estienne de la Boëtie, dont il insera dans la premiere edition de ses Essais, de miserables lambeaux, qu’il appelloit de précieux eschantillons ; mais qu’il retrancha depuis luy-mesme du corps de ses œuvres, comme des taches obscures qui diffamoient l’éclat, et les traits animez d’un si beau visage82.
La tache n’est plus un accident interne, mais une corruption externe qui entame la beauté au lieu de la mettre en valeur.
Comment peut-on louer la tache et la dénoncer, sur la base de la même image ? Est-ce à dire caduc le premier message, qui défendait la présence naturelle et nécessaire de l’inégalité, au point d’être un élément de la beauté qu’elle met en valeur ? Nous sommes confrontés à un paradoxe. Il semble que l’image de la tache solaire, même transférée dans le champ littéraire, reste polémique et sujette à controverse. Elle dit à la fois la perfection et son impossibilité. Surtout, elle montre la relativité des jugements critiques. Elle devient donc un levier de réflexion sur la place et le rôle du critique littéraire que Colletet tente d’incarner.
Nous conclurons de notre très partielle étude que le motif des taches solaires contamine bien le champ littéraire, mais que la diffusion du nouveau savoir, et son instrumentalisation semble se faire plus facilement par la théorie littéraire que par la pratique poétique encore trop empreinte de tradition, en tous cas chez Colletet. Par ailleurs, en devenant un motif littéraire la tache s’enrichit d’une polysémie qui la rend polémique, non plus dans une acception cosmologique mais esthétique : elle soulève la question de la possibilité et de la valeur d’un jugement critique. Elle pointe l’écueil de la relativité.
D’autres théoriciens recourent aux découvertes de l’astronomie pour débattre de littérature. Balzac utilise lui-aussi la métaphore des taches solaires pour s’interroger sur la relativité de la beauté, la hiérarchie des genres et faire œuvre de critique :
N’y a-t-il point de perfection sur la terre ? Non, il n’y en a point, n’en desplaise aux poêtes et aux amoureux. La perfection est logée mesme plus haut que le ciel, et il me semble que Virgile parle en quelque lieu, des defauts du soleil, et des maladies de la lune. Cela n’ empesche pas, pour demeurer en nos premiers termes, que le grand sonnet ne soit beau, quoy qu’il ne soit pas parfait : le petit non plus ne laisse pas d ‘estre beau dans mon opinion, et dans celle d’Aristote d’estre joli, quoy qu’il ait ses taches et ses defauts, aussi-bien que le soleil83.
Quant à Chapelain, il transpose l’instrument optique dans le champ des Lettres et l’utilise à des fins critiques pour dénigrer, justement, des vers de Colletet : « pour l’émystiche ‘et que rien ne profane’, il est si ténébreux que les lunettes de Galilée ne le feroient pas descouvrir aux meilleurs yeux du monde84 ».
N’est-ce qu’une boutade ? Au vu de ces récurrences, il devient intéressant de renverser notre question initiale. Ne nous demandons pas comment la littérature répercute les découvertes scientifiques et contribue à les diffuser mais plutôt à l’inverse quel intérêt la littérature trouve à s’en emparer. En ce XVIIe siècle où la critique de goût tente de s’imposer, quel rôle joue la référence aux nouvelles thèses astronomiques expérimentales dans les réflexions poétiques ? Offrent-elles un apport méthodique ? Confèrent-elles plus de poids à l’expérience personnelle qu’aux Autorités théoriques humanistes habituelles ? Il n’est pas impossible qu’à leur tour elles servent paradoxalement d’Autorité en vue de légitimer une « science critique expérimentale » en cours de construction.
Notes
- Un article de Bernard Dame permettra d’approfondir un sujet dont nous n’offrons ici qu’un rapide tour d’horizon : « Galilée et les taches solaires (1610-1613) », Revue d’histoire des sciences, n°19-4, 1966, p. 307-370.
- Par exemple par Théophraste d’Athènes ou par Virgile dans les Géorgiques.
- Aristote, Du ciel, trad. Michel Federspiel, Paris, Les Belles Lettres, 2017.
- Faits et gestes de Louis-le-Pieux, poeme, par Ermold le Noir. Annales de Saint-Bertin et de Metz, Paris, A. Belin, 1824 : « On dit de même que le 6 avril [860], le soleil levé, l’on vit au milieu de son disque une tache noire, et celle-là étant descendue vers les parties inférieures, une autre aussitôt se jeta sur les parties supérieures, et parcourut tout le disque jusqu’en bas. Cela arriva le dixième jour de la lune », p. 168.
- En 1367 et 1371, deux incendies ont obscurci l’atmosphère permettant d’apercevoir les taches solaires. Aleksandr Nikolaievitch Vyssotsky, Historical Notes And Papers : Astronomical Records in the Russian Chronicles from 1000 to 1600 A.D., Lunds (Suède), Meddelande från Lunds Observatorium, 1949, chap. 22.
- Nicolas Copernic, Des révolutions des orbes célestes, trad. du livre I Alexandre Koyré, Paris, Diderot,1998.
- Rheticus en donnait déjà une analyse en 1540.
- Les théologiens d’obédiences et d’origines diverses comme Melanchthon, Bartolomeo Spina ou Nicolaus Serarius la connaissent.
- Pierre-Noël Mayaud, Le Conflit entre l’astronomie nouvelle et l’écriture sainte au XVIe et XVIIe siècles. Un moment de l’histoire des idées autour de l’affaire Galilée, vol. 1, Paris, Champion, 2005.
- On pensait que si l’on faisait choir une pierre et que la Terre tournait, alors la pierre retomberait plus loin que son point de lancement, puisque la Terre se serait déplacée entre le moment du jet et celui de l’atterrissage. Bruno invalide cet argument : la pierre se déplace en même temps que le point de largage. Une pierre jetée du haut du mât d’un navire tombe toujours au pied du mât. C’est un système mécanique.
- Giordano Bruno, Le Banquet des cendres, 1584, III, 5 dans Opere Italiane, éd. Wagner, Leipzig, 1830, p. 169.
- Giordano Bruno, L’Infini, l’univers et les mondes, trad. Bertrand Levergeois, Paris, Berg international, 1987.
- Philippe Hamou, La Mutation du visible, essai sur la portée épistémologique des instruments d’optique au XVIIe, vol. 1 : Du Sidereus nuncius de Galilée à la Dioptrique de Descartes, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 1999, p. 24.
- Dialogo de Cecco di Ronchitti in Perpuosito de la Stella Nova, Padoue, Pietro Paolo Tozzi, 1605 attribué à Galilée et Girolamo Spinelli.
- Sidereus nuncius, Le messager des étoiles, trad. Fernand Hallyn, Seuil, 1992.
- Plusieurs sermons sont prononcés à l’encontre de Galilée. Le cardinal Bellarmin prône alors la doctrine de l’équivalence des hypothèses.
- Johannes Fabricius, De maculis in sole observatis et apparente earum cum sole conversione narratio, Wittenberg, Johann Berner père et Elias Refefeld, 1611.
- Christoph Scheiner, Tres epistolæ de maculis solaribus scriptæ ad Marcum Velserum (Trois lettres concernant les taches solaires), Augsbourg, 1612.
- Lettres concernant les taches solaires. Storia e dimonstrazioni intorno alle macchie solari et loro accidenti, Giacomo Mascardi, Rome, 1613.
- Christoph Scheiner, Tres epistolæ de maculis solaribus, troisième lettre, cité par William Shea, La Révolution galiléenne, Paris, Seuil, 1992, p. 77. Les trois lettres figurent aussi dans Maurice Clavelin, Galilée copernicien, Paris, Albin Michel, 1996.
- Maurice Clavelin, Galilée copernicien, « Troisième lettre de Galilée à Marcus Welser dans laquelle on traite également de Vénus, de la Lune et des planètes médicéennes et où l’on découvre de nouvelles apparences de Saturne (villa delle Selve, 1er décembre 1612) », p. 274-34.
- William Shea, La Révolution galiléenne, p. 94 : « l’observation démontre ainsi que l’appel aux ‘autorités’ a perdu de sa force. […], la parole imprimée est finalement supplantée par le livre de la nature ».
- Philippe Hamou, La Mutation du visible, p. 24.
- « La philosophie est écrite dans cet immense livre qui se tient toujours ouvert devant nos yeux, je veux dire l’univers, mais on ne peut le comprendre si l’on ne s’applique d’abord à en comprendre la langue et à connaitre les caractères dans lesquels il est écrit. Il est écrit en langue mathématique, et ses caractères sont des triangles, des cercles et autres figures géométriques, sans le moyen desquels il est humainement impossible d’en comprendre un mot. », L’Essayeur de Galilée, trad. Christiane Chauviré, Paris, Les Belles Lettres, 1980, p. 141.
- Galilée, Dialogue sur les deux grands systèmes du monde, trad. René Fréreux et François de Gandt, Paris, Seuil, 2000.
- Michel-Pierre Lerner, « Pour une édition critique de la sentence et de l’abjuration de Galilée », Revue des Sciences philosophiques et théologiques, vol. 82, n°4,1998, p. 607-629.
- Galilée, Le messager des étoiles, p. 25.
- François Russo, « Lettre de Galilée à Christine de Lorraine, Grande-Duchesse de Toscane (1615) », Revue d’histoire des sciences et de leurs applications, tome 17, n°4, 1964, p. 331-338. La lettre se trouve aussi dans Maurice Clavelin, Galilée copernicien, p. 413-462.
- Voir Alexandra Torero Ibad,« Vérités de science, vérités de foi : lectures libertines d’une distinction polysémique », Libertinage et philosophie au XVIIe siècle, n°9, Les Libertins et la science, 2005, p. 9-36.
- Johannes Kepler, Dissertatio cum nuncio sidereo; Narratio de observatis Jovis satellitibus. éd. et trad. Isabelle Pantin, Paris, Les Belles Lettres, 1993.
- Francesco Beretta (dir.),Galilée en procès, Galilée réhabilité ?, Saint-Maurice (Suisse), Éditions Saint Augustin, 2005, p. 63-64.
- Les mécaniques de Galilée : mathématicien ingénieur du duc de Florence ; traduites de l’italien par le P. Marin Mersenne, éd. B. Rochot, Paris, P.U.F., 1966.
- Éric Sarton, « Descartes, Galilée et l’Inquisition », La Recherche, n°473, 2013, p. 92 : « Cet accident [le procès de Galilée] causa dans son esprit une révolution que le public aurait peine à croire s’il en était informé par d’autres que lui-même ».
- Dès 1623 quand il apprend que Galilée est inquiété, il écrit au cardinal Barberini dans le but de le défendre.
- Vita Epicuri, Peireskii, Tychonis Brahei, Copernici, Peurbachii, & Regiomontanio, dans Opera omnia, Tome V, Lyon, Laurent Anisson et Jean-Baptiste Devenet, 1658. Voir aussi Philippe Hamou, La mutation du visible, p. 147.
- Phénomène appelé « minimum de Maunder ».
- Ronsard, Pierre de, « Remonstrance au peuple de France », dans Œuvres complètes I, éd. J. Céard, D. Ménager et M. Simonin, vol. II, Paris, Gallimard, 1994, p. 1020-1039.
- Jean-François Stoffel, « La Révolution copernicienne et la place de l’Homme dans l’Univers : étude programmatique », Revue philosophique de Louvain, vol. 96, n°1, 1998, p. 7-50, ici p. 37.
- Nicolas Copernic,Des révolutions des orbes célestes,trad., intro. et notes Alexandre Koyré, nouveau tirage, Paris, Librairie scientifique et technique Albert Blanchard, VIII, 1970, p. 115-116.
- Jean-François Stoffel, « La Révolution copernicienne… », p. 38.
- Savinien de Cyrano de Bergerac,L’autre monde ou les estats et empires de la Lune, éd. M. Alcover, Paris, Champion, 1977, p. 15-17.
- Jean de La Fontaine, Fables, VII, 17 [1678], Œuvres complètes, vol. 1, Paris, Gallimard, 1991, p. 283.
- À l’heure où nous écrivons, cet article est à paraître : « Poésie et optique au XVIIe siècle : charmes de l’illusion ou profondeur de l’apparence ? (v. 1600-1716) ». Voir aussi Le Soleil caché, rhétorique sacrée et optique au XVIIe siècle en France, Paris, Garnier, 2016.
- Le Moyne, « Les Hymnes de la sagesse divine et de l’amour divin », dans Les Œuvres poétiques du P. Le Moyne, Paris, Thomas Jolly, 1672, p. 357.
- Jean-François Stoffel, « Cosmologie versus idolâtrie : l’exemple de la désacralisation du soleil » dans Ralph Dekoninck et Myriam Watthee-Delmotte (dir.), L’Idole dans l’imaginaire occidental, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 195-216, ici p. 215.
- Jules-Hippolyte Pilet de La Mesnardières, Poésies, Paris, Sommaville, 1656, « Le soleil couchant ». Voir Jean Rousset, « L’eau et le soleil dans le paysage des poètes », Cahiers de l’AIEF, n°6, 1954, p. 49-55.
- Jean-François Stoffel, « Cosmologie versus idolâtrie », p. 203-204.
- John Milton, Le Paradis perdu, Londres, Pater Parker, 1667, III, v. 588-590 : « There lands the Fiend, a spot like which perhaps / Astronomer in the sun’s lucent orb / Through his glazed optic tube yet never saw ». Voir Meskill Sermin, « Optique et anamorphose dans le Paradis Perdu de John Milton », Revue de la société d’études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles, n°61, 2005, p. 53-70, ici p. 57.
- Gérard de Nerval, Les Filles du Feu, Paris, Giraud, 1854, « El Desdichado ».
- Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal, Paris, Poulet-Massis, 1857, « Harmonie du soir ».
- Le sonnet figure dans l’un des recueils Conrart conservé à la Bibliothèque nationale de France puis paraît dans le recueil collectif Hortus Epitaphiorum selectorum, ou Jardin d’épitaphes choisis. Où se voyent les Fleurs de plusieurs Vers Funèbres, tant anciens que nouveaux, tirés des plus fleurissantes villes de l’Europe, Paris, Gaspard Meturas, 1648, p. 380.
- Philippe Tamizey de Larroque, Lettres de Pereisc aux frères Dupuy, Paris, Imp. nationale, 1890, lettre 137 : « J’ay bien pris plaisir de voir les vers du sieur Colletet ».
- Stéphane Garcia, Élie Diodati (1576-1661) : « agent de publicité scientifique » de Galilée, thèse d’histoire moderne soutenue à Lausanne en 2003 (dir. Alain Dubois).
- Colletet témoigne de sa participation aux réunions de la tétrade par une épigramme : « Aux doctes amis, M.M. Gassendi, De la Mothe Le Vayer, Deodati & Naudé, estant au Village d’Arcueil, 1644 », Épigrammes du Sieur Colletet, Paris, Jean-Baptiste Loyson, 1653, p. 25.
- Épigrammes, p. 215.
- Guillaume Colletet, Poésies diverses, Paris,Jean-Baptiste Loyson, 1656.
- Guillaume Colletet, Ballet de l’harmonie, présenté au roi, pour estre dansé le mardi 14 dec. 1632 & les trois jours suivants à deux heures precisement au jeu de paume du petit Louvre au marets du temple, Paris, Pierre Chenault, 1632, p. 211.
- Guillaume Colletet, Les doux ravissements de la France, Lyon, François Yvrard, 1619, p. 11.
- « Sur une fleur de Soucy. Pour la Guirlande de Julie. Epigramme. Au soleil. » : « Quoy que tu sois pourveu d’un éclat sans pareil, /Ce n’est pas ta splendeur qui me rend embellie ;/ Si je suis la fleur du soleil, / Depuis l’heureux jour que je suis à Julie. » et « Pour la mesme fleur. Autre Epigramme » : « Quoy que tu sois pourveu d’un éclat sans pareil, / Ce n’est pas de tes rais que je suis embellie ;/ Ce m’est beaucoup d’honneur d’estre fleur du soleil, /Mais ce n’est rien aux pris d’estre fleur de Julie. »
- Guillaume Colletet, Poésies diverses, « La belle fugitive », sonnet 17, p. 149.
- Guillaume Colletet, Épigrammes, p. 75.
- Guillaume Colletet, Poésies diverses, « Les beautés de Claudine », 1652, p. 49.
- Guillaume Colletet, Desespoirs amoureux, avec quelques lettres amoureuses, & Poësies, Paris, Toussaint du Bray, 1622, p. 372.
- Florent libral, « Poésie et optique au XVIIe siècle : entre charmes de l’illusion et profondeur de l’apparence », « Les sœurs fâchées ». Éléments pour une histoire des relations entre poésie et science des origines à nos jours, Philippe Chométy (dir.), Toulouse, Presses universitaires du Midi, coll. « Lettres et culture », à paraître.
- Guillaume Colletet, L’Art poëtique, Paris, Sommaville et Chamhoudry, 1658, Slatkine reprints, Genève, 1970. Les Vies en revanche ne sont pas toutes publiées et nous mentionnerons, le cas échéant, les références des manuscrits conservés à la Bibliothèque nationale de France.
- Guillaume Colletet, L’Art poëtique, p. 48-49.
- Ibid., p. 13.
- Guillaume Colletet, L’Art poëtique, Discours de l’Éloquence, p. 11.
- Ibid.
- Guillaume Colletet, Les Divertissemens du Sieur Colletet,seconde édition, Paris, Jacques Dugast, 1633, « Advis au lecteur », n. p.
- Guillaume Colletet, L’Art poëtique, Traitté de l’Epigramme, p. 51.
- Guillaume Colletet, « Vie de Charles Rovillon », non publiée, conservée à la Bibliothèque nationale de France, N.A.F. 3073, f. 434-435.
- Guillaume Colletet, Les Divertissemens du Sieur Colletet.
- Guillaume Colletet, « Vie de Rémy Belleau », BnF, N.A.F. 3073, f. 58-63v., ici f. 59.
- Pierre de Ronsard, ‘ses juges et ses imitateurs’, par Guillaume Colletet, F. Bevilacqua Caldari, Paris, Nizet, 1983, « Vie de Pierre de Ronsard », p. 78.
- Jean-François Stoffel, « Cosmologie versus idolâtrie », p. 208.
- Guillaume Colletet, L’Art poëtique, épître du Discours de l’éloquence, n. p.
- Guillaume Colletet, « Vie de Roland Brisset », dans Vies des poètes tourangeaux par Guillaume Colletet,éd. L. Locey, M. Locey and J. L. Pallister, Seattle, PFSCL, 1989, p. 69.
- Guillaume Colletet, « Vie de Mellin de Sainct Gelais » (1487-1558) », dans Le Trésor des pièces Angoumoisines inédites ou rares, Angoulême, Auguste Aubry et François-Goumard, 1863-1866, 2 vol., T. 1, « Vies d’Octovien de sainct Gelais, Mellin de sainct Gelais, Marguerite d’Angoulesme, Jean de la Peruse, poëtes angoumoisins par Guillaume Colletet, publiées pour la première fois par Ern. Gellibert des Seguin », p. 93.
- Guillaume Colletet, L’Art poëtique, Traitté de la poésie morale et sententieuse, p. 153.
- Ibid., p. 200-201.
- Guillaume Colletet, L’Art poëtique, Traitté de l’Epigramme, p. 58.
- Œuvres de Monsieur de Balzac, Paris, Thomas Jolly, 1665, chap. IX, p. 590.
- Chapelain critique ici son « Poème sur la Naissance de Monseigneur le Dauphin »,Lettres de Jean Chapelain, de l’Académie française, publiées par Ph. Tamizey de Larroque, Paris, Imprimerie nationale, 1880, p. 309-310 : lettre CCXVI, à M. de Balzac, 30 octobre 1638.