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Un premier bilan des données carpologiques à l’âge du Fer en Touraine

Suite à un travail de synthèse effectué sur les données carpologiques à l’âge du Fer dans le Loiret1, il est apparu opportun de réaliser un bilan sur les connaissances carpologiques en Touraine. Les données connues à l’heure actuelle dans cette région sont certes moindres que celles du Loiret, néanmoins, l’intérêt d’une telle étude réside dans une première comparaison des deux secteurs géographiques.

Le corpus

Cette étude s’appuie sur l’analyse de 13 ensembles s’échelonnant du Hallstatt ancien à La Tène finale (tabl. 1). La documentation n’est pas également fournie selon les diverses périodes chronologiques : le Hallstatt ancien-moyen n’est représenté que par une quantité de prélèvements relativement faible (13) provenant de 2 sites dont l’un a livré une forte quantité de carporestes ; La Tène ancienne et moyenne sont assez bien représentées avec 3 et 4 sites, plus d’une quarantaine de prélèvements pour chacun et un nombre de restes très satisfaisant (> à 5000) ; pour La Tène finale, si le nombre de sites est équivalent voire supérieur aux autres périodes (4 sites), le nombre de prélèvements n’est cependant pas important (< à 20) et, surtout, le nombre de restes est peu étoffé (environ 150 restes au total) (fig. 1 et 2).

Tabl. 1. Informations concernant le corpus carpologique (NR : nombre de restes, NMI : nombre minimum d’individus).

 Volume des prélèvements et nombre de restes en nombre minimum d’individus (NMI) par période.
Fig. 1. Volume des prélèvements et nombre de restes en nombre minimum d’individus (NMI) par période.
 Nombre de sites, nombre de prélèvements et densité en restes par période.
Fig. 2. Nombre de sites, nombre de prélèvements et densité en restes par période.

Les plantes cultivées

Les plantes attestées (tabl. 2)

Parçay-sur-Vienne, “La Blissière” (opération sous la direction de J.-P. Baguenier)

Le site, constitué de bâtiments sur poteaux et de fosses, correspond à une occupation de type domestique. Il a livré un abondant mobilier céramique qui est attribué au Hallstatt C avec quelques vestiges, plus ténus, de La Tène C2.

Neuf espèces de plantes de culture et de cueillette et une quinzaine de taxons sauvages ont pu être mises au jour.

Les céréales sont représentées par sept espèces qui apparaissent sous forme de grains et/ou de parties axiales de l’épi (furca, fragments de rachis). L’orge (Hordeum vulgare) est largement prépondérante en nombre de restes car elle apparaît en grande quantité dans le comblement d’une fosse. Les blés vêtus, amidonnier (Triticum dicoccum) et engrain (T. monococcum), sont également très représentés et sont essentiellement préservés sous forme de furca (base de l’épillet).

Les restes de fruits se caractérisent par quelques fragments de coquille de noisette (Corylus avellana). Une demi semence d’Ombellifère, ressemblant fortement à de l’aneth (cf. Anethum graveolens), pourrait appartenir aux plantes condimentaires.

Par ailleurs, quelques fragments de matière organique ont été recueillis, mais leur texture anarchique et l’absence de graines au sein de ces agglomérats ne permettent pas d’en définir l’origine.

Outre les plantes cultivées, une quinzaine de taxons sauvages est conservée dans les diverses structures.

Bléré, “Les Pentes du Vaugerin” (site 43 A85) (opération sous la direction de D. Lusson)

Au Hallstatt ancien-moyen (début VIIIe-fin VIe s. a.C.), une unité d’habitation est installée contenant des fosses liées aux diverses activités domestiques et/ou agro-pastorales. Après un long hiatus chronologique, un réseau dense de fossés est aménagé à La Tène D1 au sein desquelles des activités domestiques ont été décelées3.

Tabl. 2. Nombre total de restes carpologiques attestés par site en nombre minimum d’individus.

Hormis un échantillon daté du Hallstatt, les prélèvements carpologiques n’ont livré que très peu de restes carpologiques. Ils correspondent à moins d’une dizaine de plantes cultivées et/ou de consommation et à une vingtaine de plantes sauvages.

Cinq espèces céréalières étaient conservées sous diverses formes, grains ou parties d’épi, tandis qu’une seule légumineuse, la lentille (Lens culinaris), est attestée sur le gisement par un unique exemplaire au Hallstatt. En nombre de restes, c’est le millet commun (Panicum miliaceum) qui domine l’ensemble, suivi par l’orge et les blés vêtus au Hallstatt ancien-moyen. À La Tène D1, les blés vêtus sont majoritaires. Les espèces fruitières ne sont représentées que par le noisetier. De la caméline (Camelina sativa), espèce aux propriétés oléagineuses, a été mise au jour. Les plantes sauvages ne sont pas très nombreuses (56 restes pour les deux périodes) et sont peu variées (moins d’une vingtaine de taxons).

Par ailleurs, de la matière organique carbonisée est conservée sous forme de petits fragments inférieurs à 5 mm de diamètre. Sa texture n’est pas fine ni régulière et présente un aspect vitrifié. Sur certains exemplaires, on peut voir des traces de tiges ou de petites branches. Cette matière organique est donc très vraisemblablement d’origine végétale, mais ne correspond pas à du résidu de préparation culinaire de type bouillie ou pain.

Bléré, “Les Fossés Blancs” (site 35 A85) (opération sous la direction de D. Lusson)

L’installation rurale de type exploitation agro-pastorale au début de l’âge du Fer (VIIIe-IVe s. a.C.) présente un habitat ouvert, un puits, un cendrier et des structures de stockage.4

Les restes carpologiques proviennent de structures datées de La Tène ancienne et correspondent à 7 plantes cultivées et/ou de consommation et à une douzaine de taxons sauvages. La richesse en semences est faible, d’autant qu’hormis deux échantillons, le nombre de restes par prélèvement est inférieur à 35.

Six espèces céréalières, caractérisées à la fois par des grains et quelques éléments d’épi, ont été mises en évidence. L’orge et le millet commun y sont prépondérants. Les restes fruitiers ne sont représentés que par deux très petits fragments de coquille de noisette. Quelques semences de plantes sauvages ont également pu être mises au jour.

Sainte-Maure-de-Touraine, “Les Chauffeaux” (opération sous la direction de H. Froquet)

Le site se caractérise par deux occupations rurales, l’une au Hallstatt D3/La Tène A (Ve s. a.C.) et l’autre à La Tène B (IVe-IIIe s. a.C.)5.

Seuls 70 restes sont préservés à La Tène A ; ils correspondent à quelques résidus céréaliers sous forme de grains et de furca, de l’ers (Vicia ervilia), de la noisette et quelques plantes sauvages.

À La Tène B, 15 plantes cultivées et/ou de consommation et une quarantaine de taxons sauvages ont été mis en évidence, soit plus de 2500 restes carpologiques.

Six espèces céréalières sont conservées sous diverses formes, grains ou parties d’épi (furca, fragment de rachis). Le blé nu type froment (Triticum aestivum l.s.) n’est présent que dans un silo où il a été retrouvé en grande quantité. Hormis ce cas, les céréales entières et identifiables à l’espèce ne sont jamais nombreuses dans les échantillons. S’ajoutent à ce cortège deux légumineuses et plusieurs restes de fruits – noisette, pomme (Malus sp.), prunoïdée (Prunus sp.), glands (Quercus sp.) et mûre ou framboise (Rubus idaeus/fruticosus). Les glands sont particulièrement nombreux dans un silo et un trou de poteau. Le site a également livré deux plantes oléagineuses ou à usage textile, le lin (Linum usitatissimum) et la caméline.

Les plantes sauvages ont pu être classées dans plusieurs groupes écologiques : des adventices des cultures, des plantes de prairie et des plantes de milieu boisé.

Sublaines, “Le Grand Ormeau” (opération sous la direction d’É. Frénée)

Un établissement rural est installé à La Tène A/B1 et La Tène B2/C1 avec deux zones distinctes : à l’est un complexe funéraire et à l’ouest un habitat caractérisé par des silos, des palissades et des bâtiments6.

Pour les deux périodes confondues, ce sont plus de 7000 restes carpologiques qui ont été isolés correspondant à 18 espèces domestiques et à plus de 70 taxons sauvages.

Les céréales sont attestées par sept espèces sous forme de grains et/ou de parties axiales de l’épi (furca, fragments de rachis). Les blés vêtus amidonnier/engrain sont les plus représentés, suivis par l’orge. Cinq espèces de légumineuses sont avérées parmi lesquelles l’ers et la lentille occupent une place non négligeable au sein des plantes attestées à La Tène B2/C1. Plusieurs restes de fruits ont été identifiés et une préparation culinaire à base de glands, vraisemblablement une bouillie, a été mise en évidence dans un échantillon (Pradat à paraître). Une plante condimentaire est attestée : la moutarde noire (Brassica nigra). Par ailleurs, de la matière organique indéterminée est également conservée dans quelques structures dont certains fragments présentent des traces de tiges. Peut-être est-ce le résidu d’un aliment (fruit, fromage, viande…) mis à sécher sur un clayonnage qui aurait pris feu ?

Outre les plantes cultivées, un très grand nombre de taxons sauvages est conservé sur l’ensemble du site : adventices des cultures, plantes de prairies, de friches, de milieux boisés et de milieux humides.

Saint-Georges-sur-Cher, “Le Marchais Rond”/Épeigné-les-Bois “Les Allets” (opération sous la direction d’A. Couderc)

Un vaste établissement rural probablement en place à La Tène ancienne et qui perdure jusqu’à La Tène finale a été mis en évidence. D’après le mobilier, la superficie, les dimensions et l’organisation des structures, le statut des occupants est relativement élevé7.

Peu de restes carpologiques étaient préservés : trois plantes cultivées, une plante sauvage et de la matière organique.

Les restes découverts appartiennent essentiellement à des céréales, surtout de l’orge vêtue. Une semence d’avoine (Avena sp.) est aussi conservée.

De la matière organique carbonisée a pu être observée. Dans le fossé F26, cette matière présente des alvéoles de taille disparate et non organisées. Le fossé F64 a livré deux blocs compacts de matière organique de taille respective de 3,5 x 3 cm et 5,5 x 4 cm sur environ 1 cm d’épaisseur. Leur forme est légèrement incurvée sur une des surfaces et présente des cassures sur l’autre. La texture de ces amas n’est pas fine mais au contraire plutôt grossière et non régulière. Plusieurs semences de céréales y sont emprisonnées et correspondent à de l’orge. Cependant, ces grains sont assez épars et ne constituent pas l’essentiel des blocs. Après diverses observations, cet amas de matière organique est interprété comme un résidu de préparation alimentaire et plus précisément une bouillie d’orge brûlée8.

Neuillé-Pont-Pierre, “La Justonnière” (opération sous la direction d’A.-M. Jouquand)

Un établissement rural de La Tène C2 constitué de bâtiments, de fosses et de fossés a été mis au jour9.

Tous les échantillons carpologiques ont livré des restes mais dans des quantités peu importantes.

Les plantes de consommation potentielle sont caractérisées par deux sortes de blé et deux espèces fruitières. Le blé nu domine l’ensemble. En simple observation à l’œil, le pépin de raisin (Vitis sp.) mis au jour a une morphologie intermédiaire entre la forme cultivée et sauvage de vigne. La chronologie du site invite cependant à attribuer ce pépin à l’espèce sauvage.

Les plantes sauvages correspondent à des mauvaises herbes des cultures et des plantes rudérales.

Athée-sur-Cher, “L’Érable” (opération sous la direction de F. Couvin)

Un établissement rural de type “ferme indigène” est caractérisé par une dizaine de bâtiments enclos par un fossé. Il correspond à une exploitation de type agro-pastoral10.

Les résidus carpologiques sont constitués d’une douzaine de plantes cultivées et de six plantes sauvages.

Malgré le faible nombre de restes, la variété d’espèces céréalières cultivées, représentées par des grains mais aussi par des furcae, est assez étendue. L’orge, suivie des blés vêtus, est majoritaire. Deux fruits sont attestés ainsi que quelques plantes sauvages.

De la matière organique est préservée dont la texture ne présente aucune organisation et l’on y discerne quelques traces de tiges. La nature de cette matière nous reste inconnue.

Esvres, “Les Billettes” (opération sous la direction de N. Fouillet)

Un enclos et des bâtiments regroupent la quasi-totalité des vestiges de La Tène D1 (seconde moitié du IIe s. a.C.). Ils matérialisent sans doute des installations agricoles liées à une exploitation de type “ferme”11.

Les restes conservés, très faibles, appartiennent à deux espèces cultivées : de l’orge vêtue et du blé nu type froment.

Évolution des plantes cultivées

Comme nous l’avions établi pour le Loiret12, et bien que les données soient nettement moins importantes en Touraine, nous avons tenté de voir à partir des fréquences d’attestation si des évolutions sont perceptibles dans les cultures (tabl. 3).

L’orge apparaît comme une culture prépondérante qui perdure du Hallstatt ancien à La Tène finale. Il semble que cette céréale soit en légère régression à La Tène finale, ce qui n’est pas le cas dans le Loiret, mais peut-être est-ce lié aux insuffisances de données pour cette période. La configuration est la même pour les blés vêtus. Le millet commun est bien attesté jusqu’à La Tène moyenne puis décline. L’épeautre, peu présent quantitativement, a une fréquence non négligeable du Hallstatt ancien à La Tène moyenne qui, comme pour les blés vêtus amidonnier et engrain, baisse à La Tène finale. Cette évolution parallèle entre les divers blés vêtus (épeautre et amidonnier/engrain) a déjà été constatée dans le Loiret. Le blé nu type froment est assez important dès La Tène A et même parmi les cultures prépondérantes à La Tène moyenne. Cette forte fréquence n’est plus valable à La Tène finale mais, là encore, ce biais peut être dû aux carences dans les données.

Tabl. 3. Évolution dans les cultures d’après les fréquences d’attestation des plantes (++ : forte fréquence ; + : fréquence importante ; – : fréquence faible ; — : fréquence très faible).

Globalement, ce schéma d’évolution des espèces est relativement identique à ce qui a été observé dans le Loiret13. Il semble notamment qu’il ne faille pas attendre La Tène finale pour voir le blé nu prendre son essor.

Quelques divergences existent malgré tout. Le millet italien, très minoritaire au Hallstatt final/La Tène ancienne et La Tène B2/C1, augmente à La Tène finale dans le Loiret. En Touraine, il fait partie des cultures secondaires au Hallstatt ancien-moyen puis diminue et n’est pour l’heure pas attesté à La Tène finale.

Les comparaisons avec le Loiret sont difficiles à faire en ce qui concerne les légumineuses. Dans le Loiret, la lentille et l’ers sont des cultures secondaires de la fin du Hallstatt à La Tène moyenne puis régressent à La Tène finale, tandis que le pois, la fève et la vesce sont très minoritaires au Hallstatt final/La Tène ancienne et deviennent secondaires à partir de La Tène B2/C1. En Touraine, l’insuffisance des données sur ces taxons rend impossible la vision de leur évolution dans le temps.

L’information est assez lacunaire pour plusieurs plantes dont la trace est absente à certaines périodes. Plutôt que d’interpréter leur absence comme une disparition ou une absence réelle, il est préférable d’attribuer ces manques à la qualité des données.

Comparaisons générales avec le Nord de la France

En Touraine, comme c’est le cas dans le Loiret, globalement, le nombre de restes moyen d’espèces cultivées et de légumineuses est plus élevé que dans le nord de la France (tabl. 4). L’absence totale de légumineuses à La Tène finale est cependant problématique. Elle n’est très vraisemblablement pas le reflet d’une réalité mais plutôt le résultat de la médiocre qualité des données carpologiques pour cette période : peu de sites, peu de prélèvements, restes peu nombreux. Le nombre moyen d’espèces cultivées assez faible à La Tène finale est à mettre en relation avec le manque de légumineuses. En ce qui concerne les espèces cueillies, leur nombre moyen est plus élevé que dans le nord de la France, comme il a été constaté dans le Loiret. Il chute en revanche considérablement à La Tène finale. Là encore, l’explication est sans doute à chercher dans les contextes de découverte peu fournis. Dans le Loiret, une augmentation du nombre d’espèces cultivées et cueillies a été constatée à La Tène moyenne, phénomène qui ne se vérifie pas en Touraine.

Tabl. 4. Comparaison du nombre d’espèces cultivées et cueillies avec le Loiret et le nord de la France.

Au-delà des plantes cultivées

Le traitement des récoltes

Aucun contexte de stockage brûlé en place n’a pour l’heure été découvert en Touraine. Néanmoins, quelques informations liées à l’agriculture sont décelables sur trois sites ayant livré des rejets de préparation agricole.

À Parçay-sur-Vienne, dans deux échantillons du Hallstatt C et un de La Tène C, la présence importante de restes de vannes de blés vêtus, d’orge et de blé nu, comparée au très faible nombre de grains, qui plus est fortement fragmentés (taux de fragmentation entre 66 et 83 %), indique qu’il s’agit de sous-produits de battage et vannage, c’est-à-dire de déchets céréaliers que l’on souhaite éliminer. Ces résidus de déchets de préparations sont constitués environ pour moitié de base de glume (branche de furca) et pour plus d’un tiers de furcae entières, avec une part assez faible de plantes sauvages.

À Sublaines, les déchets de préparations agricoles sont nombreux à La Tène A/B1 et B2/C1. Ils sont constitués pour l’essentiel de furcae de blés vêtus type amidonnier et/ou engrain. La fragmentation de ces bases d’épillets et leur état de conservation très altéré ne permet la plupart du temps pas la distinction des deux espèces.

À Sainte-Maure-de-Touraine à la Tène B, quatre échantillons constitués d’adventices des cultures, de furca et de céréales fragmentées selon des proportions variables mais avec une représentation des céréales en grain qui n’excède jamais plus d’un tiers de résidus, ont été interprétés comme des rejets de préparations agricoles14.

Les observations ethnoarchéologiques faites sur les chaînes opératoires traditionnelles de transformation des céréales nues et vêtues ont permis de répertorier les sous-produits éliminés au fur et à mesure des étapes de préparation15. À partir de ces schémas, il est possible d’avoir une idée du stade de préparation des récoltes.

Les restes de blé nu et d’orge vêtue à Parçay, jamais nombreux, sont constitués de grains de céréales et de fragments de rachis auxquels il faut vraisemblablement ajouter des adventices de culture. Si, pour le blé nu, ces éléments se retrouvent aux divers stades de la préparation, il n’en est pas de même pour l’orge qui nécessite un traitement plus poussé (battage, vannage, criblage, broyage) pour que les segments de rachis soient libérés.

En ce qui concerne les blés vêtus, comme c’est le cas dans beaucoup d’autres sites régionaux de l’âge du Fer, les résidus de préparations agricoles conservés sur les trois sites ne contiennent pas tous les éléments éliminés lors de ces traitements. Ainsi, si les glumes (enveloppes qui entourent les grains) ont aisément pu disparaître sous l’action du feu, aucun épillet ou nœud de paille n’a été observé. On constate que lors des premières étapes qui visent à casser l’épi et éliminer les glumes, les déchets agricoles sont constitués de gros éléments de type épillets ou encore tiges de céréales et nœuds de paille. Il faut atteindre un niveau de traitement avancé (battage, plusieurs vannages, un éventuel grillage et des criblages) pour obtenir des furcae mêlées à des adventices des cultures dans les sous-produits. Les résidus de vannes présents sur l’ensemble des sites, quelle que soit la période, montrent donc un nettoyage des récoltes poussé destiné soit à une consommation immédiate, soit à un stockage des grains prêts à consommer. L’absence d’éléments grossiers soulève des interrogations concernant les premières étapes de traitement des céréales :

– est-ce dû à un problème de taphonomie ? Si les glumes sont fragiles et se conservent mal lors d’un incendie, il est en revanche peu probable que des épillets se conservent moins bien que des furcae ou des adventices ;

– faut-il envisager un processus de traitement des céréales en plusieurs étapes, comme le supposent M. Derreumaux et V. Matterne16, dont les premières phases s’effectueraient en un autre lieu ?

Nous n’avons pas réellement d’éléments pour répondre à ces questionnements. Nous pouvons simplement constater que sur plusieurs sites du Second âge du Fer dans la région, les résidus de vannes conservés sont constitués des mêmes types de restes que sur ces trois sites.

Dans le cas de Parçay, il faut peut-être nuancer ce propos dans la mesure où les restes de base de glumes et de furcae sont en mauvais état de conservation et qu’il est fort probable que certains éléments de l’épi, plus fragiles, aient disparu. On note par exemple la présence de grains de millet nus parmi les déchets de préparation agricole tandis qu’aucune glume de ces taxons n’a été repérée.

Il apparaît ainsi que, pour les blés vêtus et l’orge, les déchets agricoles conservés sont les résultats d’étapes intervenant après le décorticage. On en déduit donc que le traitement final des récoltes se faisait sur place pour chacun des deux sites. Un essai de répartition spatiale selon les types de restes (fourrage, déchets de préparation agricole…) a été effectué à Sublaines. Les divers types de rejets ne semblent pas avoir d’organisation géographique particulière. Aucune zone de spécialisation n’a pu être décelée dans le secteur des silos. Il n’est ainsi pas possible de suggérer d’emplacement de zones de traitement des céréales. À Parçay, la multiplicité des espèces dans les déchets agricoles montre que le travail de traitement des récoltes n’a pas été anecdotique mais était au contraire une activité courante sur le site. Par ailleurs, les traitements de céréales devaient se faire au même endroit car les déchets de plusieurs récoltes sont mélangés. Un emplacement spécifique devait être attribué à cette tâche sans que nous ne puissions le localiser. Le traitement des récoltes n’a donc pas eu lieu ponctuellement sur le site mais bien de façon organisée.

Des résidus de fourrage

L’alimentation des animaux peut être constituée d’éléments variés (pâture, fourrage vert, fourrage sec…) qui proviennent de divers milieux : cultures (grains et sous-produits céréaliers), friches, prairies, milieux boisés comme l’ont bien décrit L. Bouby et M.-P. Ruas17. L’analyse de la composition des assemblages carpologiques permet parfois de mettre en évidence des résidus de fourrage. C’est le cas à Sublaines pour deux échantillons de La Tène B1 et trois de La Tène B2/C1 qui ont été interprétés comme des probables rejets de fourrages. Leur composition est assez variée.

Le premier échantillon (US 2740-6), est constitué majoritairement de résidus de préparations agricoles : des vannes de céréales (57 % des restes carpologiques), essentiellement des furcae de blé amidonnier et/ou engrain ; 18 % de céréales en grains qui sont, pour la quasi-totalité, non identifiables à l’espèce ; des adventices des cultures. D’autre part, des plantes de prairies sont également attestés et représentent 24 % des restes des plantes sauvages présentes : de la luzerne lupuline (Medicago lupulina) et des trèfles (Trifolium repens et T. pratense). À cet ensemble s’ajoutent des plantes issues de lisière forestière : du sureau (Sambucus sp.), de la silène penchée (Silene nutans) et du noisetier (Corylus avellana). Ce dernier a pu être ramassé sous forme de branchages. Deux autres espèces complètent l’ensemble : des glands (Quercus sp.) et de l’ers (Vicia ervilia).

Trois autres échantillons (US 2046-1, 2046-6 et 6197-8) contiennent principalement des plantes sauvages (87 % des restes conservés). Les plantes sauvages des deux échantillons du silo 2046 sont constituées pour moitié d’adventices de culture et pour plus d’un tiers de plantes de prairies parmi lesquelles on dénombre une grande quantité de luzerne ou trèfle (Medicago/Trifolium). On notera également en 2046-1 quelques semences d’ers et de vesce (Vicia sativa). Dans l’US 6197-8, les proportions entre plantes sauvages sont faussées par une forte teneur en euphraises/ondontites (Euphrasia/Odontites). Les euphraises poussent plus particulièrement dans des prairies ou pelouses tandis que l’on rencontre les odontites dans des prairies ou bien dans les champs cultivés. Pour le reste, il semble qu’on soit dans le même cas que F 2046 avec une majorité d’adventices et une part non négligeable de plantes de prairies dont de la luzerne et du trèfle auxquels s’ajoute un peu d’ers. Ces résidus de fourrage semblent donc plutôt être constitués de foin, pas forcément cultivé en tant que tel mais obtenu par coupe des herbes de prairies. Les graines pourraient provenir de plantes que l’on a coupées à maturité. Sous l’action du feu, les tiges et feuilles se sont vraisemblablement consumées.

Enfin, le dernier échantillon (US 2057-16) contient un taux de légumineuses important. Il est constitué d’un peu tous les types de restes, sans que l’un soit vraiment dominant sur les autres : on y trouve ainsi des céréales sous forme de grains (9 %) et de vannes (17 %), des légumineuses (40 %) et des plantes sauvages (34 %). Il possède un taux de plantes de prairies supérieur à celui des adventices (43 % contre 41 %) dont de la luzerne et du trèfle. Par ailleurs, il contient le plus grand nombre de semences d’ers préservées dans un échantillon sur le site (46 semences).

L’alimentation animale semble donc assez variée. Outre les divers composants mis en évidence dans ces cinq échantillons, il faudrait vraisemblablement ajouter des éléments non identifiés précisément comme résidus de fourrage, telles certaines céréales qui ont pu servir à l’alimentation humaine mais aussi animale.

Conclusion

Ce premier bilan, certes assez succinct, permet néanmoins de commencer à appréhender l’économie végétale en Touraine. Des similitudes ont pu être observées avec le Loiret (émergence du blé nu dès La Tène moyenne, nombre de plantes cultivées et cueillies important comparativement avec le nord de la France) mais aussi quelques divergences (importance du millet au Hallstatt puis régression) qu’il conviendra de vérifier en agrémentant le corpus par de nouvelles études. Il alimente par ailleurs la réflexion sur le traitement des céréales à l’âge du Fer et permet d’avoir des indications sur le fourrage.

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Notes

  1. Pradat 2010.
  2. Baguenier et al. 2006.
  3. Lusson et al. 2006a.
  4. Lusson etal. 2006b.
  5. Di Napoli etal. 2011.
  6. Frénée, dir. 2008.
  7. Couderc 2007.
  8. Pradat à paraître.
  9. Jouquand 2004.
  10. Couvin, dir. 2006.
  11. Fouillet 2007.
  12. Pradat 2010.
  13. Pradat 2010.
  14. Di Napoli etal. 2011.
  15. Hillmann 1984.
  16. Derreumaux et al. 2003.
  17. Bouby & Ruas 2005
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Pessac
Chapitre de livre
EAN html : 9782356134929
ISBN html : 978-2-35613-492-9
ISBN pdf : 978-2-35613-493-6
Volume : 1
ISSN : 2827-1912
Posté le 08/05/2024
Publié initialement le 01/02/2013
9 p.
Code CLIL : 3385 ; 4117
licence CC by SA
Licence ouverte Etalab

Comment citer

Pradat, Bénédicte, “Un premier bilan des données carpologiques à l’âge du Fer en Touraine”, in : Krausz, Sophie, Colin, Anne, Gruel, Katherine, Ralston, Ian, Dechezleprêtre, Thierry, dir., L’âge du Fer en Europe. Mélanges offerts à Olivier Buchsenschutz, Pessac, Ausonius éditions, collection B@sic 1, 2024, 387-396, [en ligne] https://una-editions.fr/bilan-donnees-carpologiques-age-du-fer-en-touraine [consulté le 08/05/2024].
doi.org/10.46608/basic1.9782356134929.33
Illustration de couverture • D'après la couverture originale de l'ouvrage édité dans la collection Mémoires aux éditions Ausonius (murus gallicus, Bibracte ; mise en lumière SVG).
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