UN@ est une plateforme d'édition de livres numériques pour les presses universitaires de Nouvelle-Aquitaine

Pour élaborer les œuvres contemporaines, mais aussi le parcours en trois temps de l’exposition Sendas epigraficas, il fallait un matériau épigraphique au service de l’inspiration artistique et de sa scénographie ; des images montrant la diversité des formes et des matériaux, des écritures et des dispositions pour fabriquer un répertoire graphique dans lequel on pourrait puiser, prélever, détourner et réinventer. Rien ou presque n’a présidé à la sélection des inscriptions versées à la “banque d’images1 que l’on peut désormais consulter sur le site archive de l’exposition. Il fallait certes éviter la redondance et témoigner de la variété que le programme LIMITS avait mise en avant, mais c’est l’aléatoire qui a présidé aux choix ; les goûts de l’une et de l’autre aussi, la sensibilité envers un support ou  un objet en particulier. Le florilège d’inscriptions mis à disposition des artistes ne ressemble à rien d’autre que cela : une collection, un cabinet de curiosité épigraphique dans lequel les pièces voient leur intérêt ou leur pertinence définis moins par une quelconque fonction que par le regard porté sur elles par le collectionneur.

Se replonger aujourd’hui dans cette collection, c’est se perdre dans la tentative de sentir les intentions qui ont guidé le prélèvement dans les grandes collections documentaires, dans les archives personnelles, dans les sites internet des musées ; à tel point que les experts en épigraphie tardo-antique et médiévale n’y verront que les manques et les angles morts – c’est la question des inscriptions qui n’y sont pas qui devient pressante ! Seule la dimension chronologique semble avoir fait l’objet d’une attention particulière : on trouve en effet dans la banque d’images des objets du IVe siècle et des inscriptions du début de l’époque moderne. De façon inconsciente, la collection accorde une place importante aux inscriptions graffitées ou réalisées sans grande préparation des supports et sans régularité graphique, comme si l’on avait cherché à exclure la solennité par défaut de l’écriture épigraphique, trop classique peut-être, trop marquée par la convention et par la norme ; comme si la sacralité octroyée par cette monumentalité de la lettre allait interdire sa manipulation et sa réinvention. Rétrospectivement, on sent combien les compilateurs ont également voulu défier le côté binaire noir/blanc des inscriptions quand elles sont reproduites dans les publications scientifiques ; apporter de la couleur dans la banque d’images en espérant qu’elle passe dans les œuvres nouvellement créées. Le choix de clichés en couleur pour des inscriptions qui en sont dépourvues, notamment pour les pièces exposées dans les musées, offrait un répertoire de teintes et de nuances, qui finalement n’a pas été utilisé par les artistes. Le travail sur la gravure et l’impression ont au contraire repris et amplifié la binarité du contraste entre la trace de la lettre et son support ; la grande planche en couleur de l’inscription peinte mise en scène près de Epifonías est devenue tableaux noirs. Cette latitude dans l’interprétation, qui permet de transformer totalement la collection, voire de s’en émanciper, est d’autant plus encouragée que les clichés ont été versés dans la banque d’image sans identification ; pas de contexte, pas de date, pas de titre, pas de description technique. Le fichier informatique porte un nom sans référence, sans normalisation : “1.jpg”, “13_00013927.tif”, “GRAF34.jpg”, “MAN Bilingue.jpg”… Il est la trace des usages antérieurs du cliché, il n’est en lien qu’avec son utilisateur précédent. La seule mention sur le site archive pour accompagner le téléchargement de la banque d’images est celle des crédits photographiques ; une liste de noms et d’institutions en témoignage de gratitude et en geste de bonne conscience quant au respect du droit d’auteur, mais aucune indication permettant de remonter du photographe au cliché, du cliché à l’inscription, de l’inscription à son contexte.

La collection ainsi réunie pour Sendas epigráficas porte en elle-même les conditions de sa disparition ; et c’était bien l’objectif : pour éviter l’illustration du propos scientifique, il fallait que l’inscription perde, au moins dans les formes, son statut d’objet historique. Les clichés ne sont que des “tirages” ; en espagnol, tirar signifie jeter, abandonner, laisser. Les œuvres contemporaines n’ont pas pris en charge ces images ; elles les ont laissées, parfois en en gardant le souvenir ou l’empreinte, le plus souvent en les oubliant, comme on oublie justement ces “collections” que l’on accumule dans l’enfance pour ordonner le monde et vaincre l’ennui.

Note

  1. https://www.exposendas.org/processus/banque-dimages
Rechercher
Pau
Chapitre de livre
EAN html : 9782353111589
ISBN pdf : 2-35311-159-9
ISSN : 2827-1963
Code CLIL : 4055; 3711;
Posté le 26/02/2024

Pictogrammes de l'ouvrage

Sciences
Arts
Critique
Matière
Signe
Temps
Ordre
Ambiguïté
Survivances
Engagement

Comment citer

Debiais, Vincent, “La collection épigraphique”, in : Debiais, Vincent, Uberti, Morgane, éd., Traversées. Limites, cheminements et créations en épigraphie, Pessac, PUPPA, collection B@lades 3, 2024, 29-30, [en ligne] https://una-editions.fr/collection-epigraphique [consulté le 26/02/2024]
doi.org/10.46608/balades3.9782353111589.5
licence CC by SA
couverture du livre Traversées. Limites, cheminements et créations en épigraphie
Illustration de couverture • photo de l'exposition Sendas, Casa de Velasquez (© Morgane Uberti).

Cet ouvrage a obtenu le soutien financier du Centre de recherches historiques (EHESS-CNRS).

Retour en haut
Aller au contenu principal