UN@ est une plateforme d'édition de livres numériques pour les presses universitaires de Nouvelle-Aquitaine

par

Cette étude des parures du sud de la France et du nord de l’Espagne a été l’occasion de réunir de la manière la plus exhaustive possible des données issues de fouilles anciennes et récentes mais aussi de confronter pour la première fois les collections françaises aux collections espagnoles. L’utilisation d’outils d’analyse modernes a permis de dégager de nombreux acquis : la mise en place d’un cadre chronologique cohérent pour l’ensemble de la zone, l’identification de faciès typologiques et la réalisation d’une grille d’analyse sociale des porteurs de parures. Dès lors, il est possible de porter une vision générale à caractère historique sur les populations protohistoriques implantées de part et d’autre de Pyrénées.

Appréhender la fin du Bronze final et le début du Premier âge du Fer (VIIIe – VIIe s. a.C.) relève encore de la gageure tant les vestiges restent peu nombreux. Malgré tout, les rares indices disponibles dessinent une vaste sphère typologique “catalano-languedocien” qui couvre les régions tarnaises, languedociennes et catalanes. Chronologiquement, bien que l’on observe une continuité stylistique dans la parure, il est toutefois possible d’isoler une période de transition Bronze-Fer. Si le costume d’apparat d’alors comprend seulement des pièces en alliage cuivreux, en céramique ou en ambre et arbore du mobilier de petite taille, comme des perles, des anneaux ou des épingles, on note l’introduction, encore timide, de nouvelles catégories telles que les fibules. L’analyse des assemblages funéraires de nécropoles fréquentées au cours de cette période, comme celle du Causse (Tarn), témoignent en revanche de différences plus nettes entre le Bronze final et cette transition Bronze-Fer. Elle fait apparaître de fortes disparités dans le nombre de parures déposées dans les sépultures selon les périodes. Les tombes les plus récentes sont bien plus modestes en mobilier d’apparat. Ce phénomène, que l’on enregistre au cours du VIIIe s. a.C., prend place alors que la région connaît d’importants bouleversements structurels qui voient, entre autres, l’abandon des sites de hauteurs fortifiés à la faveur de sites plus modestes tournés vers une économie vivrière, un éclatement culturel en Espagne et enfin la disparition de la pratique de déposition à des fins économiques ou rituelles. Dans le domaine funéraire, ces changements se manifestent par la disparition progressive de l’inhumation au profit de l’incinération. Toutes ces profondes mutations peuvent être interprétées comme la trace d’une hiérarchisation sociale moins prononcée en raison d’une compétition sociale plus ouverte et qui, en somme, traduisent une recomposition dans l’organisation des sociétés protohistoriques sur lesquelles se fonderont les évolutions au début du Premier âge du Fer.

La période suivante, pleinement ancrée dans l’âge du Fer et comprise entre la fin du VIIIe et le début du VIIe s. a.C. dénote par sa richesse documentaire. Apparaissent alors plusieurs faciès typologiques bien définis, que ce soit dans le centre de la France, en Languedoc ou en Meseta. On a pu documenter que, loin d’être isolés, ces faciès s’insèrent déjà dans un réseau d’échange à large échelle. Ces connexions privilégient vraisemblablement un axe Est/Ouest et sollicitent les cours d’eaux d’Aude/Garonne côté français et de l’Èbre en Espagne. Les axes Nord/Sud semblent moins exploités tandis que les contacts transpyrénéens trouvent peu d’attestations. Typologiquement, cette période est marquée par l’apparition de nouvelles catégories, souvent ostentatoires, et par un renouvellement des registres plastiques et techniques de la parure. Toutes les régions sont touchées par une phase d’expérimentation intense et pour laquelle on suppose fortement qu’elle ait été alimentée par l’introduction du fer dans la fabrication des pièces d’apparat. En effet, on a pu observer que les nouveaux modèles de parures apparaissent tout d’abord en fer au début du VIIe s. a.C. avant de connaître des déclinaisons en alliage cuivreux à la fin de ce siècle et au début du suivant. Ce foisonnement typologique est contemporain de l’émergence de tombes à parure surabondante dans les nécropoles françaises. Richement dotées en parures annulaires, ces sépultures peuvent être fondatrices de monuments funéraires communautaires. L’identification d’un tel phénomène, qui concerne probablement des tombes de femmes jouant un rôle social éminent, est tout à fait nouveau pour la région, et constitue l’un des acquis importants de cette étude. Bien que s’exprimant ici à plus faible échelle, il doit être comparé avec ce que l’on observe au même moment en France centrale ou dans le domaine nord-alpin au sens large.

Quoiqu’il en soit, l’effervescence typologique, l’introduction d’un nouveau métal, les nouvelles modalités d’occupation du territoire et la mise en place d’une structuration sociale originale qui ont cours durant cette période auront un impact durable sur la fin du Premier âge du Fer.

L’ultime période s’étend du deuxième quart du VIe et au dernier quart du Ve s. a.C. Cette longue durée reste tributaire de la qualité des données sur lesquelles elle se fonde tout autant que sur les disparités culturelles rencontrées sur ce large cadre géographique. Toutefois, cette étude s’est efforcée d’en minimiser l’emprise en dégageant un phasage interne plus fin pour restituer au mieux les différences chrono-culturelles et typologiques. En ce qui concerne l’articulation chronologique, l’un des points réellement novateurs pour les vestiges régionaux est l’identification nette d’une phase de transition Premier-Second âge du Fer au cours du Ve s. a.C., là où les travaux antérieurs avaient tendance à marquer une pleine continuité du Premier âge du Fer jusqu’à la fin de ce siècle. L’analyse des indices culturels montrent une certaine stabilité dans l’ancrage territorial des faciès typologiques vis-à-vis de la situation connue précédemment. Cependant, l’identification d’un faciès pyrénéen, son emprise territoriale ainsi que la mesure de son expansion entre le milieu du VIe et le Ve s. a.C., apparaissent comme un apport important de ce travail. Cette étude est complétée par une caractérisation plus souple des marqueurs habituellement associés à la culture celtibère. On a pu mettre en lumière que, largement imprégnée des formes venues des Pyrénées et surtout du complexe ibéro-languedocien, les parures associées à cette culture se répandent également en moyenne vallée de l’Èbre, axe de circulation grâce auquel elle est connectée avec la Catalogne. Au même moment, la période voit une standardisation des costumes funéraires en consolidant les innovations passées et en se concentrant sur un nombre de catégories et typologies de parure plus restreintes. Dès lors, une nouvelle dynamique se met en place : les parures révèlent un riche programme décoratif qualifié de “flamboyant”, les défunts se font incinérer avec des biens d’apparat de plus en plus somptueux tandis que le recrutement funéraire dans les nécropoles françaises se limite à des individus issus des hauts rangs de la société. Indubitablement, la hiérarchisation sociale s’accentue après des siècles d’une compétition sociale plus ouverte. Au même moment réapparaissent dans les nécropoles des tombes à arme dès la fin du VIe s. en France et dès le siècle suivant en Espagne. L’accroissement du nombre de sépultures militaires se place dans une dynamique plus large qui débute en Méditerranée nord-occidentale et qui se propage vers l’ouest. L’expansion de ce phénomène s’accompagne d’une standardisation des panoplies de “guerriers” dans lesquelles les parures vestimentaires (fibules et agrafes de ceinture) jouent un rôle actif. Cette harmonisation du mobilier funéraire se lit notamment par la convergence morphologique et stylistique des parures. À l’issue de ces observations, on émet l’hypothèse selon laquelle cette homogénéisation du mobilier traduit le fait que leurs porteurs disposaient de prérogatives fondées sur des relations politiques ou économiques extra-régionales. Dans tous les cas, il est à présent acquis que les parures participent pleinement à la syntaxe du costume funéraire et contribuent à définir les statuts sociaux des individus au même titre que le reste du mobilier d’accompagnement.

Ces constatations faites à plusieurs échelles ouvrent de nombreuses perspectives de recherche.

La première d’entre elles concerne l’identification des divers types de parures qui ont mené à la définition des faciès. L’approche proposée s’est fondée quasi-exclusivement sur les morphologies des objets. Si, dans une certaine mesure, on a tenu compte de certains éléments d’ordres technologiques (solutions mécaniques des ressorts de fibules ou terminaisons des torques) et stylistiques (éléments rapportés sur les axes de fibules), les outils typologiques utilisés offrent peu de place à ces deux aspects. Pour autant, par leur caractère de pièce artisanale parfois exceptionnelle, les parures se prêtent tout à fait à une analyse fondée sur ces critères. Ainsi, il serait opportun de développer une étude sur les diverses iconographies rapportées sur les tiges de bracelets ou de torques (chevrons, stries, ocelles, etc.), sur la manière dont sont réalisés les décors encadrant les agrafes de ceinture “ibéro-languedociennes” (à chaud ou à froid, par poinçon, à l’aide d’une matrice, etc.), ou sur les méthodes de fabrication des ornementations serties sur les axes des fibules. Bien qu’on ait pu rassembler dans de larges types plusieurs pièces visuellement identiques, il est probable que toutes ne répondent pas de techniques artisanales équivalentes. Dès lors, l’analyse de ces dernières pourrait aboutir à une caractérisation plus précise, du moins différente, des faciès typologiques tels qu’ils ont été établis.

La seconde réflexion qu’il serait intéressant de poursuivre concerne le phasage chronologique proposé. Sa mise en place s’est très largement appuyée sur celui reconnu pour les sites languedociens, dans la mesure où il apparaissait comme un outil valide pour étudier conjointement les parures provenant des sites répartis de part et d’autre des Pyrénées. Toutefois, on a pu observer que celui-ci convenait parfaitement aux gisements situés dans l’est (Sud lotois, Tarn, Comminges et basse vallée de l’Èbre), en Aquitaine méridionale et partiellement en haute et moyenne vallée de l’Èbre ou en Meseta mais ne s’appliquait pas de manière très satisfaisante, pour l’intégralité du Premier âge du Fer, à ceux installés au nord de la vallée de la Garonne. En conséquence, il serait essentiel d’élargir le champ d’investigation afin de mieux cerner les limites territoriales au-delà desquelles il cesse de fonctionner. Cela est d’autant plus nécessaire que l’expression de ce phasage chronologique doit probablement être corrélé à des liens privilégiés noués entre les populations implantées à l’ouest et à l’est des Pyrénées, sollicitant les axes d’Aude/Garonne au nord et de l’Èbre au sud, au détriment de relations entre les communautés situées au nord de la vallée de la Garonne et celles installées plus au sud.

Enfin, les modes de diffusion de la culture matérielle des deux côtés des Pyrénées constituent une troisième piste de réflexion. La réalité de l’existence d’un faciès pyrénéen étant à présent démontrée et documentée, il reste encore difficile d’en proposer un modèle interprétatif qui permettrait d’expliquer son emprise géographique et son expansion. L’analyse du contenu des sépultures disséminées le long des Pyrénées laisse entrevoir des populations hiérarchisées, souvent richement parées, qui devaient tirer leur richesse de biens précieux tels que le minerai de fer, qui étaient en contact permanent avec les peuples environnants et qui ont su étendre leurs codes d’apparat (et probablement culturels) sur un vaste territoire. À ce titre, on a pu démontrer que les tombes à parure surabondante et celles à panoplies militaires sont probablement de bons indicateurs pour enrichir notre compréhension de la nature des relations entretenues entre les peuples installés de part et d’autre des Pyrénées. L’étude de ces vestiges laisse présager que l’organisation sociale de ces populations ne devait pas être différente de celle observée partout ailleurs durant le Premier âge du Fer. Dès lors, ces indices participent de la remise en question d’une occupation montagnarde et du piémont par des peuples nomades ou semi-nomades tournés exclusivement vers l’économie pastorale. Ils replacent les populations pyrénéennes protohistoriques au sein d’un réseau économique et politique plus dense et complexe que ne le traduisent les hypothèses proposées jusqu’alors.

Toutes ces perspectives de recherche devraient apporter une meilleure compréhension du rôle joué par le mobilier d’apparat et de la complexité des rapports entre les populations installées entre les vallées fluviales de la Garonne et de l’Èbre au Premier âge du Fer.

ISBN html : 978-2-35613-401-1
Rechercher
Chapitre de livre
EAN html : 9782356134011
ISBN html : 978-2-35613-401-1
ISBN pdf : 978-2-35613-402-8
ISSN : 2741-1508
4 p.
Code CLIL : 4117
licence CC by SA

Comment citer

Constantin, Thibaud, “Conclusion”, in : Constantin, Thibaud, Cultures transpyrénéennes. Les parures du sud-ouest de la France et du nord-ouest de l’Espagne au Premier âge du Fer (VIIIe-Ve s. a.C.), Pessac, Ausonius Éditions, collection DAN@ 7, 2023, 327-330, [en ligne] https://una-editions.fr/cultures-pyreneennes-conclusion [consulté le 18/02/23]
doi.org/10.46608/dana7.9782356134011.8
Illustration de couverture • Photos et montage : T. Constantin. Provenance des objets : fibule (Biganos, Les Gaillards - Tumulus T) ; agrafe de ceinture (Barbaste, Cablanc – sépulture) ; torque (Mios, Pujaut - Tumulus G, entre sép. 2 et 3) ; rouelle et anneaux (Pau, Cami Salié - sép. 1).
Pasture Payolle Pyrénées (©Pixabay).
Retour en haut
Aller au contenu principal