UN@ est une plateforme d'édition de livres numériques pour les presses universitaires de Nouvelle-Aquitaine

Emprunts formulaires et lexicaux dans les inscriptions funéraires grecques et latines de la colonie romaine de Philippes (Macédoine orientale)

par

Je remercie chaleureusement Réjane Roure, Éric Perrin-Saminadayar et Ivan Guermeur de m’avoir invité à présenter un premier état de cette communication à l’occasion du colloque de 2015 qui s’est tenu à Montpellier. Je sais également gré à Cédric Brélaz, Christophe Chandezon, Nicolas Laubry et Hélène Ménard pour leurs conseils et leur aide précieuse dans la rédaction de cette contribution, ainsi qu’à Cécile Viollain pour la traduction en anglais du résumé. Mes travaux sur les inscriptions et l’histoire de Philippes s’inscrivent dans le cadre des programmes de recherche de l’École Française d’Athènes, présente sur le site depuis un siècle.

L’histoire de Philippes dans l’Antiquité possède des caractéristiques qui la rendent assez singulière par rapport à la plupart des autres cités de Grèce. La cité fut d’abord fondée sous le nom de Krénidès par des colons thasiens en 360 a.C. dans la plaine de Drama, au nord-est du massif du Pangée. Sous la menace des populations locales thraces, cet établissement colonial se plaça très vite sous la protection de Philippe II de Macédoine, qui “refonda” la cité en 356 en lui donnant son propre nom, Φίλιπποι. Sa position stratégique permettait notamment au souverain de contrôler l’accès aux mines d’or du Pangée. La cité de Philippes demeura par la suite dans la sphère d’influence des souverains de Macédoine, jusqu’en 167, quand l’ancien royaume macédonien passa sous la tutelle de la République romaine. 

L’histoire de Philippes à l’époque hellénistique est mal connue, du moins jusqu’à la célèbre bataille de 42 a.C. opposant les Césaricides Brutus et Cassius à Octave et Antoine. Dès l’issue de la bataille, Antoine licencia des vétérans et les installa sur place, transformant Philippes en colonie romaine appelée Colonia Victrix Philippensium. Cette fondation fut reprise et surtout étendue par Octave en 30 a.C., peu de temps après sa victoire à Actium : Philippes fut alors officiellement refondée en tant que colonie romaine sous le nom de Colonia Iulia Philippensis et dotée du ius Italicum. C’est peu après qu’Octave eut reçu le titre d’Augustus en 27 a.C. que la colonie prit son nom définitif de Colonia Augusta Iulia Philippensis. Octave installa à Philippes des propriétaires italiens de régions pro-antoniennes qu’il avait dépossédés pour en donner les terres à ses propres vétérans. Ces nouveaux colons vinrent s’ajouter aux vétérans d’Antoine déjà présents : seuls ces habitants dotés de la ciuitas Romana possédaient le statut de citoyens au sein de la colonie romaine. Les anciens habitants de Philippes, Grecs et Thraces hellénisés, purent rester dans la cité mais seulement avec le statut de pérégrins (incolae). La colonie, située stratégiquement sur le tracé de la via Egnatia, fut dotée d’un vaste territoire qui englobait le massif du Pangée et la totalité de la plaine de Drama, avec un accès à la mer par le port de Néapolis, l’actuelle Kavala1 (fig. 1). Philippes continua de jouir du statut de colonie pendant toute l’époque impériale. Pour diverses raisons, le site fut progressivement abandonné au VIIe siècle p.C.2.

Fig. 1. Carte du territoire de la colonie de Philippes. Les traits en pointillés délimitent l’espace approximatif couvert par le territoire colonial. Les toponymes figurant en minuscules et en italique correspondent aux lieux où furent découvertes des inscriptions érigées en latin par des incolae thraces. Fonds de carte G. Tirologos, ISTA (EA 4011), Université de Franche-Comté. Adaptation Cédric Brélaz, Université de Fribourg.

L’installation de colons citoyens romains originaires d’Italie ou des provinces occidentales dans le monde grec a toujours entraîné de profonds bouleversements démographiques, sociaux et institutionnels sur les sites où étaient implantées les nouvelles colonies3. Dans la plupart des cas, comme à Philippes, l’une des conséquences de la deductio fut aussi l’introduction subite du latin dans un milieu jusque-là principalement hellénophone. La colonie était en effet l’émanation du populus Romanus, et recourait donc officiellement à la langue de la res publica romaine, ce qui allait de pair avec l’adoption des nouvelles institutions et des lois conformes au modèle romain. Au moment de la création de la colonie, le latin était aussi la langue maternelle et d’usage quotidien des vétérans fraîchement installés, qui provenaient essentiellement de la péninsule italienne. 

L’étude des questions linguistiques dans la colonie de Philippes est possible presque exclusivement à partir des sources épigraphiques, qui sont très abondantes (environ 1500 inscriptions sont connues4). L’enquête se heurte par conséquent à deux biais méthodologiques majeurs. Le premier, comme l’a rappelé J. Adams5, est celui de la nature des sources dont nous disposons : la langue employée dans les inscriptions est en fait un critère problématique et insuffisant pour évaluer la romanisation ou l’hellénisation réelles d’une population, qui peut passer par bien d’autres moyens d’expression qui peuvent nous échapper. Le second biais est que la part de l’emploi du latin et des textes émanant de citoyens romains dans le matériel traité est certainement surreprésentée. Les colons formaient l’élite de la cité et étaient plus enclins à ériger des inscriptions édilitaires et honorifiques que les pérégrins, surtout dans le centre urbain de Philippes. C’est cette zone surtout qui a fait l’objet de fouilles systématiques, alors que les uiciimplantés sur le territoire de la colonie, pourtant nombreux, sont relativement peu connus6.

La situation linguistique de la colonie de Philippes et ses évolutions au cours de l’époque impériale ont fait l’objet de plusieurs travaux récents de Cédric Brélaz7. Malgré l’ampleur et la complexité de cette question, j’en rappelle ici à grands traits les conclusions principales. Avec l’arrivée des vétérans italiens, le latin devint la langue majoritaire dans la colonie : il n’était pas seulement employé dans le centre urbain, mais aussi dans de nombreux points du territoire. Cette prédominance dura jusqu’à la fin du IIIe siècle où l’environnement linguistique régional fit que le grec reprit le dessus. Le grec s’était cependant toujours maintenu : d’abord parce que les anciens Philippiens d’ascendance hellénique, désormais pérégrins (et sans doute assez peu nombreux), furent toujours rétifs au latin qu’ils n’employèrent jamais dans leurs inscriptions. Ensuite parce qu’avec le temps, même des citoyens romains se mirent à recourir au grec, dans leurs épitaphes par exemple8.

Les incolae d’origine thrace, aisément repérables grâce à l’onomastique, devaient continuer à parler le thrace, langue seulement orale sans doute usitée pendant toute l’époque impériale. En revanche, au contact des Thasiens et des Macédoniens, ces populations utilisaient le grec comme langue épigraphique depuis l’époque classique, et étaient clairement hellénophones avant la deductio. Un trait particulièrement remarquable à Philippes est que ces populations thraces n’hésitèrent pourtant pas à employer la langue importée par les colons romains, et ce dès le milieu du Ier siècle a.C. au plus tard9. On constate que le grec comme le latin purent être utilisés par des Thraces dans des inscriptions de même époque, y compris dans les épitaphes. 

Je souscris pleinement à l’analyse et aux conclusions des travaux de Cédric Brélaz, qui font désormais référence. L’objet comme les ambitions de la présente contribution sont plus limités que cet important travail de synthèse. Il s’agit ici d’étudier le phénomène du multilinguisme dans la colonie à travers une étude de cas portant sur quelques phénomènes d’interférences et d’emprunts de formulaire et de lexique, tels que les définit Michel Dubuisson10, que l’on peut déceler dans les inscriptions funéraires latines et grecques à Philippes. Je m’attacherai surtout aux conclusions d’ordre historique qu’il sera possible d’en tirer.

Formulaires latins, formulaires grecs

Comme pour de nombreux sites, les épitaphes constituent en proportion le type d’inscription le plus nombreux à Philippes. On connaît pour les époques classique et hellénistique un peu plus de 30 épitaphes11, dont les formulaires étaient très simples : y figurait soit le nom du défunt au nominatif, avec son patronyme12 (époques hautes), soit le nom du défunt suivi de l’appellation ἥρως13, ou de la formule de salutation ἥρως χαῖρε14.

Pour l’époque impériale, on connaît plus de 700 épitaphes en langue latine, et environ 180 en langue grecque. Le déséquilibre apparent n’est sans doute pas révélateur de la répartition entre Philippiens latinophones et hellénophones, en vertu de nombreux facteurs. En effet, nous connaissons essentiellement les nécropoles du centre urbain, où selon l’usage romain, les tombeaux étaient érigés hors les murs, le long des routes. Or, on l’a souligné, l’usage épigraphique du latin était plus particulièrement répandu dans le centre urbain, le seul point du territoire de la colonie qui ait été vraiment fouillé. Le très riche dossier épigraphique des inscriptions funéraires demeure encore très largement inédit15.

Il paraît à première vue évident que les contacts continus entre latinophones et hellénophones ont dû avoir des conséquences dans les pratiques épigraphiques des habitants de la colonie. Pourtant, de façon paradoxale en apparence, il n’existe à Philippes aucune inscription bilingue16. En revanche, quelques cas montrent que les épitaphes latines et grecques ont pu exercer une influence les unes sur les autres, dans un sens comme dans l’autre.

À l’époque de la colonie, l’un des formulaires funéraires en latin les plus courants, du Ier au IIIe siècle p.C., fait figurer le nom du défunt au nominatif, suivi de son âge à sa mort, puis de la formule h(ic) s(itus/a) e(st). Rien qu’en considérant les seules inscriptions publiées, cette formule est attestée plus de 110 fois17. Parmi cette foule de textes, citons par exemple l’épitaphe de Cornelia Asprilla, que l’on peut dater précisément des années 80-90 p.C. grâce à des recoupements prosopographiques18 :

Cornelia · P(ublii) · fil(ia) · Asprilla · sac(erdos) · diuae ·
Aug(ustae) · ann(orum) · XXXV · h(ic) · s(ita) · e(st).

Ci-gît Cornelia Asprilla, fille de Publius, prêtresse de la divine Augusta, âgée de 35 ans”.

Quelques épitaphes grecques de l’époque impériale reproduisent et adaptent fidèlement ce formulaire nom au nominatif + âge lors du décès + l’expression “ci-gît”. C’est par exemple le cas dans l’épitaphe d’Aurelius Zipyrôn, datée du IIe ou du IIIe siècle p.C.19 :

Αὐρή(λιος) · Ζιπύρων
ἔτων · λʹ · ἐνθαδε
κεῖται. […]

Ci-gît Aurelius Zipyrôn, âgé de 30 ans […].

Pris isolément, les éléments de l’inscription grecque ne laissent cependant pas transparaître une inspiration latine. Bien sûr, l’expression ἐνθάδε κεῖται fait clairement office d’équivalent au latin hic situs est. Mais la formulation ἐνθάδε κεῖται était déjà bien attestée dans les inscriptions funéraires, dès l’époque classique, dans des dizaines d’épitaphes à Athènes20 ou à Olynthe21 par exemple. Il est donc difficile à première vue d’affirmer que les habitants hellénophones ont traduit le latin hic situs est, puisque ἐνθάδε κεῖται existait avant l’arrivée des Romains en Grèce. En fait, c’est l’ensemble du formulaire nom du défunt + nombre d’années au génitif + “ci-gît” qui rend plus manifeste l’emprunt aux usages latins. L’examen des pratiques locales permet d’écarter les derniers doutes possibles : avant la fondation de la colonie, on ne trouve jamais l’expression ἐνθάδε κεῖται dans le formulaire funéraire de Philippes, ni d’ailleurs à Thasos, la métropole de Philippes. Si dans ce genre d’exemple les hellénophones ont bien procédé à une traduction de hic situs est, ils ont eu recours à une expression grecque déjà bien attestée, mais pas habituelle à Philippes. On pourrait presque dire qu’il s’agit ici d’un emprunt double : emprunt de formulaire au latin, emprunt de vocabulaire aux pratiques d’autres régions du monde grec.

Ainsi, quand on veut traiter des possibles influences entre grec et latin dans les inscriptions funéraires, il ne suffit pas de considérer les seuls emprunts lexicaux. Ceux-ci sont indissociables des emprunts formulaires, et il est nécessaire de traiter ces deux questions conjointement. Il l’est tout autant de prendre en compte les pratiques locales ou régionales préexistantes. 

Il ne faudrait cependant pas déduire du cas précédent que les formulaires funéraires latins ont systématiquement ou massivement influencé les épitaphes rédigées en grec dans la colonie. Ainsi, si l’on trouve régulièrement l’invocation aux dieux Mânes (Dis Manibus) dans les épitaphes latines22, l’équivalent Θεοῖς Καταχθονίοις, bien connu ailleurs23, n’apparaît jamais dans les épitaphes grecques de Philippes. 

De même, dans le domaine latin, on trouve en très grand nombre à Philippes (plus de 200 occurrences) des bornes funéraires qui indiquent les dimensions du tombeau, avec un formulaire simple sur le modèle suivant24 :

C(ai) Acuti
Glauci.
in f(ronte) p(edes) XII
in a(gro) p(edes) XII

“(Tombeau) de Caius Acutus Glaucus. En façade : 12 pieds. En largeur : 12 pieds.

Très souvent, même, le nom du défunt est omis et seules figurent dans l’inscription les dimensions du tombeau25. Ce formulaire est lui aussi typiquement latin, même si là encore, on trouve déjà dans l’Athènes classique des bornes funéraires qui indiquent les dimensions du tombeau26. Quoi qu’il en soit, aucune inscription philippienne n’a adapté en langue grecque ce formulaire pourtant extrêmement répandu, alors que cela a pu se faire ailleurs, par exemple à Kos au Ier siècle p.C.27.

Il faut admettre l’aporie : on est bien en peine d’expliquer les raisons pour lesquelles des hellénophones ont adopté et adapté tel formulaire latin et pas tel autre. Une fois encore, une explication d’ordre spatial opposant un centre urbain latinisé à une périphérie rurale hellénisée serait simpliste et surtout inopérante : la mention latine Dis Manibus, fréquente dans le centre urbain, se retrouve aussi à Charitômeni28, c’est-à-dire aux marges du territoire de la colonie. De même, les bornes funéraires latines avec dimensions du tombeau se rencontrent aussi dans la région de Drama29 et non seulement à proximité des portes de la ville de Philippes. Le vallon de Prossotsani, au nord-ouest de la pertica, a livré un nombre significatif d’épitaphes en latin érigées aussi bien par des vétérans romains qui y possédaient des terres30 que par des incolae thraces qui formaient l’essentiel de la population31. Même dans des espaces périphériques de la colonie, les populations hellénophones pouvaient donc avoir connaissance de ces formulaires latins. Peut-être y eut-il des phénomènes de mode, qui nous échappent dans tous les cas.

Les formules de protection des tombeaux 

Il existe cependant un type de formulaire funéraire qui a connu un grand succès à Philippes, en latin comme en grec. Plusieurs dizaines d’épitaphes des deux langues se terminent par une clause qui prévoit une peine pécuniaire en cas de modification de la sépulture. Il s’agit de protéger le tombeau de diverses spoliations, en particulier pour interdire aux descendants de remployer le monument pour leur propre usage, ou bien de le vendre ou l’aliéner. Elle avait aussi pour but d’interdire à des personnes étrangères à la famille d’y introduire leurs propres morts de façon illicite. Pour assurer le respect de sa sépulture, le défunt se plaçait donc sous la protection d’une autorité garante de l’inviolabilité du tombeau, le plus souvent les autorités municipales ou l’administration impériale. Ces instances pouvaient être saisies et un procès intenté, au terme duquel le profanateur pouvait être contraint de verser une amende, dont le montant est indiqué dans l’inscription gravée. Ce genre de formule est volontiers répandu à l’époque impériale, surtout à partir du IIe siècle, et se rencontre plus souvent dans l’épigraphie latine. Pour la partie orientale de l’Empire, ces questions relatives aux iura sepulcrorum ont fait l’objet de plusieurs études récentes, en particulier de T. Ritti, K. Harter-Uibopuu ou K. Lempidaki32.

Emprunts lexicaux au latin

L’origine des peines sépulcrales paraît être à trouver dans le droit romain, et l’habitude de les faire graver sur le tombeau remonte au moins au Ier siècle p.C.33. À Philippes, les exemples les plus précoces (en latin) se rencontrent justement aux Ier-IIe siècles34. La formule la plus courante dans la colonie est : si quis in ea arca alium posuerit quam qui supra scripti sunt dabit35 (“si l’on dépose dans ce tombeau une personne autre que celles dont les noms sont mentionnés ci-dessus, on devra verser…ˮ). Il existe de nombreuses variantes, qui peuvent envisager la destruction ou le déplacement de la sépulture. Ce genre d’inscription se retrouve le plus souvent sur des sarcophages, un type de sépulture qui se prêtait particulièrement bien à l’usurpation de tombeau par une tierce partie.

On trouve aussi des formules d’amende funéraire en grec, à partir du IIe siècle mais surtout au IIIe siècle Elles reprennent généralement les formules latines en les traduisant, là encore avec une foule de variantes : ὃς ἂν δὲ ἕτερον πτῶµα καταθῆτε δώσι36… ou εἰ δέ τις τολµήσι ἕτερον σκήνωµα καταθέσαι δώσει37

En cas de violation des clauses de protection, une amende doit être versée à une instance publique. À Philippes, les bénéficiaires sont soit la colonie, soit le fiscus impérial38. Il est intéressant de constater que les locuteurs grecs ont fait des choix différents pour exprimer ces deux entités (le tableau suivant ne dénombre que les textes publiés) :

InstanceLatinGrec
Colonie de Philippes– coloniae nostrae (3 cas39)  – rei publicae (Philippensium) (9 cas40– τῶν Φιλιππέων κολονίᾳ(1 seul cas41) – τῇ πόλει (9 cas42)
Fisc impérial– fisco (7 cas43)– τῷ (ἱερωτάτῳ) ταµείῳ(5 cas44)

On peut encore verser à ce dossier une inscription grecque inédite, qui présente un cas de figure proche. L’épitaphe de la défunte Soura Mestoulas45, datée du IIe siècle, ne mentionne pas une peine sépulcrale, mais elle contient une fondation testamentaire pour des uicani, qui prévoit une amende pour quiconque ne s’acquitterait pas des devoirs fixés par cette fondation. Cette amende est à verser au φίσκῳ : cas unique à Philippes, c’est ici la translittération du latin qui a été utilisée pour désigner le fiscus impérial.

On remarque cependant que la plupart du temps, les locuteurs grecs ont opté pour une traduction des termes latins : πόλις pour respublica, ταµιεῖον pour fiscus n’ont pas de quoi surprendre. L’emploi de πόλις pour désigner les autorités municipales se retrouve par exemple de façon courante dans d’autres colonies romaines d’Orient, surtout après le IIe siècle46. Les emprunts directs aux termes latins, κολονία et φίσκος, font en fait figure d’exception à Philippes, alors que d’après Mason, ces deux mots font justement partie de la catégorie où « la version latine est fréquente et généralement préférée, mais pour laquelle il existe un équivalent grec bien attestéˮ47. C’est d’autant plus surprenant à Philippes, justement une colonie romaine où l’on pourrait penser que l’usage des termes officiels latins aurait pu assez aisément passer dans le grec. 

Il paraît encore clair que le choix de la translittération ou de la traduction ne peut être imputé à l’identité ethnique du ou des défunts48. La seule occurrence de l’emprunt φίσκος provient ainsi de l’épitaphe de Soura Mestoulas, dont le mari s’appelle Dinis Buthilas. Il s’agit donc de pérégrins d’origine thrace, s’exprimant en grec mais visiblement familiarisés avec une réalité institutionnelle impériale (le fiscus) qu’ils connaissent et évoquent sous son nom – technique – latin, alors qu’il existait un équivalent grec bien établi et usité. Encore une fois, sans connaître le parcours des individus et leur degré de familiarité réelle avec les différentes langues en usage dans la colonie, il est impossible de retrouver les raisons de ces choix. Finalement, les emprunts lexicaux à la langue dominante dans l’épigraphie de la colonie – le latin – font plutôt figure de cas exceptionnel dans les épitaphes en langue grecque.

Le delator/δηλάτωρ

Un cas d’emprunt au latin fait cependant exception par son caractère systématique dans les formules de protection des sépultures à Philippes. Dans les textes, une partie de l’amende est parfois réservée à celui qui dénoncera l’usurpateur du tombeau, c’est-à-dire le delator49. La pratique est bien connue : le défunt propose un intéressement pour la dénonciation de la violation du tombeau50. C’est ainsi l’ensemble de la communauté qui est prise à témoin et invitée à veiller au respect de la sépulture. Le mot delator est banal et n’a rien de surprenant dans les épitaphes latines de la colonie. Mais dans les épitaphes en langue grecque, le terme est systématiquement employé sous sa forme translittérée δηλάτωρ. Le phénomène est d’autant plus remarquable qu’il s’agit d’un emprunt de vocabulaire presque exclusivement propre à la colonie de Philippes, dans l’ensemble de l’Empire.

On connaît sept épitaphes philippiennes en langue grecque qui mentionnent le δηλάτωρ51. Le mot apparaît toujours au datif, comme complément de δώσι qui signale l’amende. Le terme n’apparaît pas dans les sources littéraires avant Théodoret, et les lexiques d’Hésychius et de la Souda glosent tous deux δηλάτωρ en κατήγορος, “l’accusateur”. En-dehors de l’épigraphie philippienne, le terme δηλάτωρ n’apparaît à ma connaissance qu’à trois reprises, dans deux inscriptions de Hiérapolis de Phrygie52, et l’autre dans une inscription inédite de Thasos53.

La rareté du terme δηλάτωρ à l’échelle du monde hellénique se comprend assez aisément, notamment parce que la langue grecque ne manquait pas de moyens d’exprimer la délation et son agent, le délateur54. En Lycie, les très nombreux tombeaux d’époque impériale qui comportent des peines sépulcrales attribuent très souvent un tiers du montant de l’amende à ὁ ἐλένξας55 (le terme y apparaît dans près de 200 inscriptions !). Il s’agit du participe aoriste du verbe ἐλέγχω56, qui a d’abord le sens de “confondre” quelqu’un, de le convaincre d’une faute57, mais aussi, secondairement, “d’accuserˮ58. Toujours en Lycie, mais aussi à Éphèse ou à Hiérapolis de Phrygie, on trouve à plusieurs dizaines de reprises ὁ µηνύσας59 de µηνύω, qui a lui aussi, au départ, le sens de “révéler, faire connaîtreˮ, et qui peut dans un contexte judiciaire prendre le sens de “dénoncerˮ60. Le participe ὁἐνδεικνυµένος61, de ἐνδείκνυµι, “montrer, révélerˮ, qui peut aussi prendre le sens “d’accuserˮ62, se retrouve également dans quelques textes.

L’emploi de termes qui indiquent spécifiquement l’action d’accuser en justice sont finalement plus rares : outre, toujours en Lycie, ὁ κατηγορῶν63, “l’accusateurˮ (qui donne raison aux lexicographes), on retrouve ὁ ἐκδικήσαςà Aphrodisias64 ou ὁ ἐπεξελευσοµένος à Smyrne65 (“celui qui poursuivra en justiceˮ), ou encore ὁἐκζητήσας66 (de ἐκζητέω), “celui qui demandera des comptesˮ, à Hiérapolis.

La liste n’est pas exhaustive, mais elle permet de dégager deux points clairs : le premier est que la langue grecque n’avait a priori pas besoin d’emprunter un mot latin pour désigner le dénonciateur. Le second, et ce n’est pas surprenant, est que le grec préfère nettement recourir au participe substantivé plutôt qu’à une forme nominale. Les termes ἐλεγκτής/ήρ ou ἐνδείκτης existent mais sont très peu attestés dans les sources littéraires, et jamais dans les inscriptions. Κατήγορος non plus n’apparaît jamais dans l’épigraphie funéraire. Le substantif µηνυτής est fréquent chez les auteurs67, mais seulement attesté deux fois dans l’épigraphie funéraire, à Anazarbos68.

Ces deux traits rendent encore plus remarquable l’emploi de δηλάτωρ à Philippes, d’autant plus que dans les inscriptions funéraires grecques de la cité, il s’agit du seul terme employé pour désigner un dénonciateur, à l’exclusion de toute autre formulation du type de celles que l’on vient de voir69. L’adoption du terme δηλάτωρ en grec semble donc bien constituer un cas d’emprunt lexical pérenne dans la colonie. 

La raison principale est sans doute l’origine romaine de cette législation sur les tombeaux, qui a été transplantée soudainement dans la région par la deductio coloniale. Dans les textes de loi régissant ces questions, le terme delatordevait apparaître en latin. Les populations pérégrines hellénophones de la colonie ne durent adopter ces pratiques que dans un second temps et utiliser un terme peut-être déjà passé dans l’usage. Cela dut être favorisé par l’exposition des hellénophones au latin, plus forte à Philippes que dans les cités d’Asie Mineure qui ont été évoquées plus haut. Malgré tout, nous avons déjà vu qu’il pouvait y avoir à Philippes des variations dans le choix du vocabulaire pour renvoyer à d’autres institutions : ainsi le terme officiel latin κολονία n’a été adopté par un hellénophone qu’àune seule reprise, alors que le terme grec πόλις est employé bien plus souvent70.

Il est peut-être hasardeux de chercher une raison spécifique au succès et à l’exclusivité de δηλάτωρ à Philippes. Mais cela pourrait être dû, en partie, à des ressemblances phonétiques fortuites avec le verbe grec δηλόω. Il est bien sûr évident que du point de vue étymologique, les deux termes n’ont absolument rien à voir : delator en latin vient de defero (rapporter), qui correspondrait au verbe grec ἐκφέρω ou ἀποφέρω, dont il partage les racines indo-européennes.

Mais plusieurs coïncidences ont pu favoriser ce rapprochement. Dans le mot latin, la voyelle [e] de delator est longue : le e long était normalement noté en grec par un hèta71, ce qui pouvait évoquer, chez des locuteurs hellénophones, la racine δηλ-. Or le verbe δηλόω, qui signifie en général “rendre clair, visibleˮ peut justement avoir comme sens plus précis “faire savoir”72 ou “révéler”73 quelque chose (à quelqu’un). Le sens est ici très voisin de celui de µηνύω, que l’on retrouve fréquemment dans les peines sépulcrales d’Asie Mineure. Le verbe latin deferre peut lui aussi avoir le sens de “rapporter” ou “révéler”74 ; ce n’est que dans un second temps que le terme a pris le sens particulier de “dénoncer, accuserˮ75 quelqu’un.

À l’appui de cette hypothèse, il existe au moins un cas où le dénonciateur de la violation d’un tombeau est exprimé en grec par le participe du verbe δηλόω. Il s’agit de l’épitaphe de Tiberius Claudius Erôtianos, retrouvée à Sidyma, en Lycie, qui comporte la clause suivante76 :

[…] ἐὰ̣ν̣ δ̣έ̣ τις ἕτερος̣ ἀνοίξῃ ἢ θά̣ψ̣ῃ̣ [ξ]έν̣ον̣, [ἁµ]α̣ρ̣[τ]ολ[ὸ]ς [κ]α̣ὶ̣ ἀ̣σ̣εβὴ̣ς
ἔ̣σ[τ]ω θεοῖς κ[α]ὶ ὀφει[λ]έ̣[τ]ω τῷ Σιδ̣υ[µ]έ̣ων [δήµ]ῳ 
[δ]ραχ̣[µ]ὰ̣ς̣ τρισµ[υ]ρ̣ί̣α̣ς κα̣ὶ ὁ δη̣[λ]ώσα̣ς τὸ τ̣ρ̣[ί]τον̣ [λήµψ]ε̣[ται].

[…] si quelqu’un d’autre ouvre (le tombeau) ou ensevelit un (corps) étranger, qu’il soit fautif et impie vis-à-vis des dieux et qu’il verse au peuple des Sidyméens 30.000 drachmes, et celui qui aura révélé (la profanation) recevra le tiers.

La pierre a souffert et la première partie de l’inscription est partiellement effacée, mais le participe δηλώσας est hors de doute. Il est clair qu’il évoque ici le dénonciateur, celui qui aura “rendu clair” l’outrage commis envers le tombeau. Cela montre que l’emploi de δηλόω dans une clause de dénonciation sépulcrale n’était pas aberrant pour un locuteur grec. Enfin, le suffixe –τωρ en grec est moins fréquent que le –tor latin, mais il existe, avec le même sens désignant un agent, comme par exemple dans ἑστιάτωρ, formé sur ἑστιάω77.

Le nouveau terme δηλάτωρ, venu du latin, a donc peut-être pu évoquer d’une manière ou d’une autre le verbe δηλόω, et ainsi favoriser son adoption par les habitants hellénophones de Philippes. Il ne s’agissait sans doute pas d’un rapprochement opéré consciemment par la plupart de ces derniers, encore que l’on sait que certains érudits antiques comme Plutarque étaient friands de reconstructions étymologiques de ce genre entre grec et latin78.

La porosité des catégories ethnico-linguistiques à Philippes

Par rapport à d’autres colonies comme Corinthe ou Patras, les questions de multilinguisme à Philippes se corsent encore du fait de la présence d’une importante population d’origine thrace dans le territoire. On l’a rappelé, il est tout à fait remarquable que l’usage du latin ne soit pas resté cantonné aux seuls citoyens romains de la colonie. Au contraire, on constate clairement que certains pérégrins thraces ont pu très vite adopter le latin comme langue d’usage épigraphique au moins79, alors que ces populations indigènes avaient été en contact depuis des siècles avec les Thasiens puis les Macédoniens et pour certains hellénisés. Dans de très nombreuses inscriptions d’époque impériale, votives comme funéraires, la langue et les formulaires latins sont employés sans difficulté par des incolaedont seule l’onomastique permet de déceler une origine thrace.

Quelques exemples permettent tout de même d’avoir un aperçu des différents degrés d’adoption et de maîtrise du latin de la part de ces incolae : les plus spectaculaires sont à coup sûr les trois inscriptions philippiennes rédigées en langue latine, mais translittérées en caractères grecs. Je ne m’attarderai pas sur ces textes bien connus et bien étudiés80 ; je me contenterai de citer les principales conclusions qu’en tire Cédric Brélaz : “Ce phénomène de translittération, qui n’est pas sans parallèle dans l’empire, est caractéristique d’un contexte interculturel, où deux langues se côtoient et où les locuteurs ont une connaissance essentiellement orale de l’autre langue. Dans le casphilippien, les inscriptions latines translittérées en grec suggèrent que les incolae en question avaient une connaissance plus superficielle de la langue latine que leurs congénères ayant fait graver une dédicace ou une épitaphe en caractères latins81

Une autre inscription philippienne rédigée, elle, en bon latin, présente un cas de figure différent, mais qui témoigne lui aussi des échanges et des emprunts entre les langues utilisées dans la colonie. Il s’agit de l’épitaphe d’un pérégrin thrace gravée sur une plaque retrouvée dans les environs de Kavala. Fait rare, on peut parfaitement la dater grâce à la datation consulaire82.

Tiberio Cla[udio] Caesar{a}e
Augusto G[erm]anico V co(n)s(ule)
Zipyro NIYS+ uixit annis 
XXXII. Heroni salutem

Sous le cinquième consulat de Tiberius Claudius César Auguste Germanicus (= Claude), Zipyro fils de … a vécu 32 ans. Salut au héros !ˮ

Le défunt, Zipyro, porte un nom typiquement thrace, très fréquemment attesté à Philippes. Les lettres qui suivent doivent constituer son patronyme, qui n’a pu être déchiffré ou reconnu. En tout cas, il ne porte pas les tria nomina : il est donc certain qu’il s’agit bien d’un pérégrin. Le cinquième consulat de l’empereur Claude date précisément de 51 p.C. ; Zipyro, mort à 32 ans, est donc né en 19 p.C. Le latin de l’inscription est correct, à part la graphie fautive aepour e de Caesare (qui reflète la prononciation orale de l’époque).

C’est la fin de l’inscription qui est remarquable, avec une salutation au défunt héroïsé, en latin. À Philippes, la formule ἥρως χαῖρε, qui associe héroïsation du défunt et salut, se trouve déjà dans des inscriptions grecques datant d’avant la fondation de la colonie83. Elle est particulièrement en faveur à l’époque impériale en Macédoine, chez les populations pérégrines thraces84, mais on la trouve aussi bien en Asie Mineure85. Il s’agit en tout cas d’une pratique hellénophone (que les Thraces adoptèrent), et qui n’existe pas en latin. Cette “traduction” en latin de ἥρωςχαῖρε dans l’inscription de Zipyro est à ma connaissance un hapax

Il s’agit donc clairement d’un emprunt au formulaire hellénique, mais il faut souligner que Zipyro ne s’est pas contenté de décalquer le grec : il n’a pas écrit “Heros salue”, en gardant la structure du grec vocatif + impératif. Il a utilisé la formulation propre au latin, et très fréquente dans les épitaphes de Pompéi par exemple, “salutem alicui (dicere ou dare)”, avec accusatif + datif (le verbe dico n’est pas nécessaire, puisque le passant lisait l’inscription à haute voix). La forme de datif Heroni n’est pas fautive : elle se rencontre à côté de Heroi86, comme en grec on trouve aussi bien Ἥρωνι87 que Ἥρωι. L’ensemble de cette inscription paraît en tout cas montrer une maîtrise satisfaisante du latin de la part de Zipyro.

Cet exemple donne un aperçu de la complexité du multilinguisme dans la colonie de Philippes. Nous avons ici un pérégrin, à l’onomastique clairement thrace, qui a fait le choix d’une épitaphe en latin, en y incluant une datation consulaire88, pratique bien romaine. Mais il ajoute une formule de salutation typique des épitaphes helléniques, qu’il traduit cependant en adoptant une façon de l’exprimer plus conforme à la grammaire latine. Cet exemple est relativement isolé et précoce, aussi est-il difficile d’en tirer des conclusions plus générales, si ce n’est un appel à la prudence déjà énoncé par Cédric Brélaz : “À Philippes, le recours au grec ou au latin n’indiquait pas une appartenance à un groupe ethnico-linguistique. […] Hellénophones et latinophones ne formaient pas deux communautés séparées ethniquement homogènes89.

Un cas unique de code-switching : l’épitaphe de Viator

Le constat précédent vaut donc aussi pour les inscriptions funéraires, même si on ne trouve à Philippes aucune épitaphe bilingue, alors que les exemples d’une telle pratique existent ailleurs dans le monde grec90.

À ma connaissance, une seule inscription, retrouvée dans la nécropole à l’Est de la ville de Philippes, présente un texte en latin suivi d’un texte grec. Il s’agit de l’épitaphe de Viator, un enfant mort avant ses 5 ans. Le texte est gravé sur une stèle à fronton91 :

         D(is) M(anibus)
         Viator filius
         Liciniani pro-
4.      tectori de sco-
         la seniore pedi-
         tum qui uixsit
         annos quattor
8.      meses noue hic est
         depositus.
         Χαῖρε πα̣ρ̣ο̣-
         [δῖτα]

“Aux dieux Mânes. Ici a été enseveli Viator, fils de Licinianus, protector de la sc(h)ola des fantassins, qui vécut 4 ans, 9 mois. Salut, passant !ˮ

Il y a une incertitude sur la date de l’inscription, qui ne peut être antérieure à Constantin, mais que certains savants placent plutôt vers la fin du IVe siècle92. Il s’agit dans tous les cas de l’une des dernières inscriptions en latin de la colonie de Philippes. Ce texte en apparence simple pose en fait de nombreuses questions, dans le contexte très particulier qu’est celui de Philippes. 

Les noms Viator et Licinianus sont bien romains et le texte est en bon latin, malgré quelques traits phonétiques de latin vulgaire. Seule l’adresse au passant, à la fin de l’épitaphe, est en grec : il ne s’agit pas d’une épitaphe bilingue, puisque nous n’avons pas affaire au même texte reproduit dans les deux langues. Il s’agit donc d’une “fausse-bilingue” ou plutôt d’un cas de “code-switchingˮ. Dans ce genre de cas, selon Frédérique Biville, “les deux expressions linguistiques n’ont plus pour vocation de s’adresser à des locuteurs de langues différentes : leur complémentarité les destine à des locuteurs bilingues. […] Le phénomène peut se limiter à la présence d’une simple formule alloglotte, ainsi des formules grecques qui dans les épitaphes, viennent conclure un texte latin : ταῦτα, “c’est comme ça”, ou encore le souhait métaphorique d’une bonne navigation dans l’au-delà, εὔπλοιαˮ93.

Ce phénomène a notamment été étudié par Jean-Claude Decourt dans le cas des inscriptions funéraires de la province de Lyonnaise, rédigées entièrement en latin, mais où figurent au début ou à la fin les formules comme χαῖρε ou ὑγίαινε. Ce chercheur y voit non le signe d’un bilinguisme poussé, mais “une trace évanescente d’une culture hellénique, d’une sorte de vernis culturel”94 : par cette formule, le défunt affichait pour ainsi dire une connaissance de la langue grecque, ou plutôt une apparence de connaissance de cette langue culturellement prestigieuse. “Apparence”, car il est fort probable que souvent le rédacteur n’ait fait que reproduire machinalement “de simples salutations, entrées dans l’usage, en particulier funéraire, depuis bien longtempsˮ95. Dans tous les cas, ce genre de formule brève ne permet guère de juger du réel degré d’hellénisation ou de bilinguisme de son utilisateur. 

Si elle suivait cette logique, l’épitaphe de Viator s’adresserait donc d’abord à des lecteurs latinophones, capables de comprendre la partie la plus importante du texte mais aussi de saisir le clin d’œil “culturelˮ qu’impliquerait la clause en grec. 

Mais dans le cas de l’inscription philippienne, cette explication n’est pas suffisante. Certes, la salutation χαῖρε est assez bien attestée à la fin de plusieurs épitaphes latines, dans plusieurs provinces de l’Empire : mais il s’agit toujours de salutations au défunt, et non au passant. En-dehors de l’épitaphe de Viator, je ne connais pas d’autre cas d’inscription en latin suivie de la formule complète χαῖρε παροδῖτα, qui s’adresse au passant96. Cette formule, dans son entier, n’est donc pas aussi populaire que les plus fréquents ταῦτα ou εὔπλοια.

De plus, le contexte philippien est complexe et diffère assez nettement de celui des régions où le latin était majoritaire. Contrairement à la province de Lyonnaise, le grec à Philippes n’était pas seulement une langue de culture, mais bien une langue d’usage quotidien. La ville n’était qu’un petit isolat de latinité dans un vaste milieu hellénophone, y compris à l’intérieur de son territoire. Or on connaît au moins quatre exemples de salutation au passant (χαῖρε παροδῖτα/παροδεῖτα) dans des épitaphes philippiennes en langue grecque : ces textes, inédits, sont tous d’époque impériale97. Dans les très nombreuses épitaphes latines de la colonie en revanche (près de 900), on ne trouve jamais d’adresse au passant (uale ou salue uiator), alors que cette salutation se rencontre dans d’autres régions latinophones98. En territoire thrace et plus largement au nord de l’Égée, χαῖρε παροδεῖτα est donc une formule qui est propre aux inscriptions du milieu hellénophone, et qui est plutôt banale99. Dans ces conditions, la portée de “l’affichage culturel” d’une telle formule à la fin du texte latin de Viator paraît assez réduite. 

On pourrait donc plutôt voir dans cette salutation, à l’instar de Cédric Brélaz dans son commentaire, “l’influence du formulaire des épitaphes grecquesˮ100. Mais plusieurs éléments compliquent là encore cette interprétation, en premier lieu le fait qu’il s’agisse d’un unicum. De plus, l’inscription date du IVe siècle, une époque où le grec a quasiment achevé de supplanter le latin à Philippes101. Au contraire, le choix du latin pour l’essentiel de l’épitaphepourrait plutôt témoigner d’une forme de résilience face au grec repassé en position de force dans la cité. 

Il y a peut-être encore un autre niveau de lecture à cette inscription d’apparence simple. La traduction de la formule χαῖρε παροδῖτα serait en latin uale uiator, comme le prouve notamment une épitaphe de Tomes réellement bilingue102 :

         D(is) M(anibus)
         Val(erius) Felix princeps offi-
         ci(i) pr(a)esidis uixit an(nos) XLV
4       Aurel(ia) Aemilia bene meri-
         to conpari(!) uirginio posuit 
         uale uiator.
         Οὐαλ(έριος) Φήλιξ πρίνκιψ ὀφηκίου
8       ἡγεµόνος ζήσας ἔτη µεʹ
      Αὐρελ(ία) Ἐµιλία τῷ ἀειµνήστῳ
      ἀνδρὶ παρθενικῷ τὴν στήλην ἀν[έ]-
         θηκεν· χαῖρε παροδεῖτα.

Le constat est parfaitement clair : le χαῖρε παροδῖτα répond exactement au uale uiator. Or, dans l’inscription de Philippes, le défunt s’appelle justement… Viator. Ainsi, en lisant à haute voix “χαῖρε παροδῖτα”, le passant s’adressait autant à lui-même que, en quelque sorte, au petit Viator dans une version “traduite en grec” de son nom. S’agissait-il d’un “jeu de mots” volontaire de la part de son père Licinianus ? Ce ne serait pas étonnant, car de tels traits sont fréquents dans les épitaphes, même non versifiées. Si c’est bien le cas, le jeu de mots ne pouvait en tout cas être compris que d’un lecteur bilingue, ou du moins suffisamment versé dans les deux langues pour être capable de saisir la subtilité. L’absence de tout autre parallèle dans les épitaphes de la colonie pourrait plaider dans ce sens, mais on se gardera là encore de tirer des conclusions à partir d’un exemple isolé.

Conclusion

Bien sûr, les quelques cas présentés ici ne reflètent pas la grande majorité des inscriptions funéraires philippiennes, latines ou grecques, dans lesquelles on ne distingue aucune trace d’interférence ou d’emprunt d’une langue à l’autre. Même s’ils ne constituent qu’une petite partie des phénomènes de multilinguisme détectables à Philippes, ces quelques textes permettent d’entrevoir la complexité des enjeux linguistiques à l’œuvre dans la colonie, complexité sans doute très imparfaitement reflétée par la documentation épigraphique. 

Ces exemples permettent aussi d’aborder des questions d’histoire sociale sur les habitants de la colonie romaine. C’est un sujet qui n’a été qu’assez peu traité, alors que Philippes offre un cadre d’étude assez unique et exceptionnel, notamment par la composition de sa population qui était triple à l’époque impériale, grecque, romaine et thrace. La publication de l’ensemble des inscriptions latines et grecques de Philippes, qui est en cours, permettra d’offrir à la communauté scientifique une vision plus complète et plus exacte des interactions linguistiques qui furent à l’œuvre pendant les premiers siècles d’existence de la colonie. 

Abréviations

  • CIL Corpus Inscriptionum Latinarum, Berlin, 1863-.
  • CIPh 2.1 : Brélaz C., Corpus des inscriptions grecques et latines de Philippes. Tome II. La colonie romaine. Partie 1. La vie publique de la colonie, Athènes, 2014.
  • Fichier IAHA : Fichier d’archives des missions épigraphiques menées entre 1979 et 1982 sur le site de Philippes et dans sa région par l’Institut d’Archéologie et d’Histoire Ancienne (aujourd’hui Institut d’Archéologie et des Sciences de l’Antiquité) de l’Université de Lausanne, constitué sous la direction de Pierre Ducrey.
  • IG : Inscriptiones Graecae, Berlin, 1873-.
  • IK Anazarbos : Sayar M., Die Inschriften von Anazarbos und Umbegung. Teil 1, Inschriften aus dem Stadtgebiet und der nächsten Umgebung der Stadt, Bonn, 2000.
  • ILS : Dessau, H., Inscriptiones Latinae Selectae, Berlin, 1892-1916.
  • Pilhofer 22 : Pilhofer P., Philippi II. Katalog der Inschriften von Philippi. 2., überarbeitete und ergänzte Auflage, Tübingen, 2009 (1e éd. 2000).
  • SEG Supplementum Epigraphicum Graecum, Leyde (1923-1971) puis Amsterdam, 1979-.
  • TAM Tituli Asiae Minoris, Vienne, 1901-.

Bibliographie

  • Adams, J. N. (2003) : Bilingualism and the Latin language, Cambridge, [en ligne] https://oxford.universitypressscholarship.com/view/10.1093/acprof:oso/9780199245062.001.0001/acprof-9780199245062 [consulté le 04/04/2023].
  • Adams, J. N. (2007) : The regional diversification of Latin 200 BC-AD 600, Cambridge.
  • Bauzon, É. (2008) : “L’épigraphie funéraire bilingue des Italiens en Grèce et en Asie, aux IIe et Ier siècles av. J.-C.”, in : Biville et al., éd. 2008, 109-128, [en ligne] https://www.persee.fr/doc/mom_0985-6471_2008_act_37_1_2467 [consulté le 04/04/2023].
  • Benoist, S., Daguet-Gagey, A. et Hoët-van Cauwenberghe, C., éd. (2016) : Une mémoire en actes. Espaces, figures et discours dans le monde romain, Villeneuve d’Ascq.
  • Biville, F. (2008) : “Situations et documents bilingues dans le monde gréco-romain”, in : Biville et al., éd. 2008, 35-53, [en ligne] https://www.persee.fr/doc/mom_0985-6471_2008_act_37_1_2463 [consulté le 04/04/2023].
  • Biville, F., Decourt, J.-C. et Rougemont, G., éd. (2008) : Bilinguisme gréco-latin et épigraphie, Lyon, [en ligne] https://www.persee.fr/issue/mom_0985-6471_2008_act_37_1?sectionId=mom_0985-6471_2008_act_37_1_2463 [consulté le 04/04/2023].
  • Brélaz, C. (2014) : “Le Corpus des Inscriptions grecques et latines de Philippes : apports récents et perspectives de recherche sur une colonie romaine d’Orient”, CRAI 2014, 1463-1507, [en ligne] https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_2014_num_158_4_95418 [consulté le 04/04/2023].
  • Brélaz, C. (2015) : “La langue des incolae sur le territoire de Philippes et les contacts linguistiques dans les colonies romaines d’Orient”, in : Colin etal., éd. 2015, 369-403, [en ligne] https://www.academia.edu/19971335/ [consulté le 04/04/2023].
  • Brélaz, C. (2016) : “Entre Philippe II, Auguste et Paul : la commémoration des origines dans la colonie romaine de Philippes”, in : Benoist et al., éd. 2016, 119-138, [en ligne] https://www.academia.edu/19971357/ [consulté le 04/04/2023].
  • Brélaz, C. (2018a) : Philippes, colonie romaine d’Orient. Recherches d’histoire institutionnelle et sociale, BCH Suppl. 59, Athènes.
  • Brélaz, C. (2018b) : “Philippi : a Roman colony within its regional context”, in : Fournier & Parissaki, éd. 2018, 163-182.
  • Brélaz, C. et Tirologos, G. (2016) : “Essai de reconstitution du territoire de la colonie de Philippes : sources, méthodes et interprétations”, in : Bru et al. éd. 2016, 119-189.
  • Bru, H., Labarre, G. et Tirologos, G., éd. (2016) : Espaces et territoires des colonies romaines d’Orient, Besançon.
  • Collart, P. (1937) : Philippes, ville de Macédoine, depuis ses origines jusqu’à la fin de l’époque romaine, 2 vol., Travaux et mémoires des anciens membres étrangers et de divers savants 5, Paris.
  • Colin, F., Huck, O. et Vanséveren, S., éd. (2015) : Interpretatio. Traduire l’altérité dans les civilisations de l’Antiquité, Paris.
  • Cormack, S. (2004) : The space of death in Roman Asia Minor, Vienne.
  • Dabrowa, E., éd. (2001) : Roman Military Studies, Cracovie.
  • Decourt, J.-C. (1993) : “χαῖρε καὶ ὑγίαινε. À propos de quelques inscriptions lyonnaises”, RPhil 67, 237-250.
  • Decourt, J.-C. (2008) : “Le bilinguisme des inscriptions de la Gaule”, in : Biville et al., éd. 2008, 305-319.
  • Demougin, S. et J. Scheid, éd. (2012) : Colons et colonies dans le monde romain, Coll.EfR 456, Rome.
  • De Visscher, F. (1963) : Le droit des tombeaux romains, Milan.
  • Dubuisson, M. (1992) : “Contact linguistique gréco-latin : problèmes d’interférences et d’emprunts”, Lalies 10, 91-109.
  • Fischer, J., éd. (2014) : Der Beitrag Kleinasiens zur Kultur- und Geistesgeschichte der Griechisch-Römischen Antike, Akten des internationalen Kolloquiums Wien, 3.-5. November 2010, Vienne. 
  • Fournier, J. et Parissaki, M-G., éd. (2018) : Les communautés du nord égéen au temps de l’hégémonie romaine, entre ruptures et continuités, Meletemata 77, Athènes.
  • Giouni, M., éd. (2018) : ∆ικαίο καὶ ιστορία 3. Πρακτικά ΙΘʹ συνάντησης ιστορικών του δικαίου, Κοµοτηνή, 15-16.10.2016, Athènes-Thessalonique.
  • Harter-Uibopuu, K. (2010) : “Erweb und Veräusserung von Grabstätten im griechisch-römischen Kleinasien am Beispiel der Grabinschriften aus Smyrna”, in : Thür, éd. 2010, 247-270, [en ligne] https://austriaca.at/0xc1aa5576_0x002544c0.pdf [consulté le 04/04/2023].
  • Harter-Uibopuu, K. (2014) : “Tote soll man ruhen lassen… Verbote und Strafen zur Sicherung von Gräbern am Beispiel von Inschriften aus Ephesos”, in : Fischer, éd. 2014, 157-180.
  • Harter-Uibopuu, K. et Wiedergut, K. (2014) : “‘Niemand anderer soll hier bestatten werden…’ Grabschutz im kaiserzeitlichen Milet”, in : Thür, éd. 2014, 147-172.
  • Lempidaki, K. (2018) : “Οι επιτύµβιες επιγραφές µε χρηµατικές ποινές από τους Φιλίππουςˮ, in : Giouni, éd. 2018, 139-169, [en ligne] https://www.academia.edu/29567668/Οι_επιτύµβιες_επιγραφές_µε_χρηµατικές_ποινές_από_τους_Φιλίππους [consulté le 04/04/2023].
  • Lempidaki, K. (à paraître) : Funerary fines from the Roman provinces of Macedonia, Thrace and Achaia.
  • Mason, H. J. (1974) : Greek terms for Roman institutionsa lexicon and analysis, Toronto.
  • Ritti, T. (2004) : “Iura sepulcrorum a Hierapolis di Frigia nel quadro dell’epigrafia sepolcrale microasiatica. Iscrizioni edite ed inedite” in : Libitina e dintorni, Atti dell’XI Rencontre franco-italienne sur l’épigraphie, Rome, 455-634. 
  • Rivière, Y. (2002) : Les délateurs sous l’empire romain, BEFAR 311, Rome.
  • Rizakis, A. (2006) : “Le territoire de la colonie romaine de Philippes : ses limites au Nord-Ouest”, in : Rizakis et al., éd. 2006, 123-130.
  • Rizakis, A. (2012) : “Une praefectura dans le territoire colonial de Philippes : les nouvelles données”, in : Demougin & Scheid, éd. 2012, 87-105.
  • Rizakis, A., Guillaumin, Y. et Gonzales, A., éd. (2006) : Autour des Libri coloniarum. Colonisation et colonies dans le monde romain, Besançon.
  • Sartre, M. (2001) : “Les colonies romaines dans le monde grec. Essai de synthèse”, in : Dabrowa, éd. 2001, 111-152.
  • Schweyer, A.-V. (2002) : Les Lyciens et la mort : une étude d’histoire sociale, Varia Anatolica 14, Istanbul.
  • Sève, M. (2000) : “De la naissance à la mort d’une ville : Philippes en Macédoine (IVe siècle av. J.-C.-VIIe siècle ap. J.-C.)”, Histoire urbaine, 1, 187-204, [en ligne] https://www.cairn.info/revue-histoire-urbaine-2000-1-page-187.htm [consulté le 04/04/2023].
  • Thür, G., éd. (2010) : Symposion 2009. Vorträge zur griechischen und hellenistischen Rechtsgeschichte, Seggau, 25.-30. August 2009, Vienne.
  • Thür, G., éd. (2014) : Grabrituale: Tod und Jenseits in Frühgeschichte und Altertum Akten der 3. Tagung des Zentrums Archäologie und Altertumswissenschaften an der Österreichischen Akademie der Wissenschaften, 21.-22. März 2010, Denkschriften der phil.-hist. Klasse 46, Vienne.

Notes

  1. Sur le territoire de la colonie de Philippes, voir Rizakis 2006, Rizakis 2012, Brélaz & Tirologos 2016 et Brélaz 2018a, 100-106.
  2. Sur l’histoire de Philippes en général, voir les synthèses de Collart 1937 (bien que dépassée sur certains points, elle demeure la référence essentielle) et de Brélaz 2018a. Pour un état de la question synthétique, voir Sève 2000 ; sur la perception et la commémoration de l’histoire de Philippes par ses propres habitants, voir Brélaz 2016.
  3. Voir le tableau général dressé par Sartre 2001 ; pour Philippes, voir Brélaz 2018b.
  4. Pour un état de la question récent sur les inscriptions de Philippes, voir Brélaz 2014.
  5. Adams 2007, 624-683.
  6. Pour un état de la question récent sur les uici philippiens, voir Brélaz & Tirologos 2016 et Brélaz 2018a, 106-109.
  7. Brélaz 2015 et Brélaz 2018a, 73-94.
  8. Voir à titre d’exemple Pilhofer 22, 133, 166a, 266, 290, 291, 468, dans lesquels les défunts portent des cognomina aussi bien thraces que romains.
  9. CIPh 2.1, 4, datée de 51 p.C.
  10. Sur la définition et le cadre théorique de la question des interférences et des emprunts, voir notamment Dubuisson 1992.
  11. L’ensemble de ces épitaphes sera publié dans le CIPh 1 (en préparation), qui rassemblera toutes les inscriptions philippiennes d’époque classique et hellénistique antérieures à la fondation de la colonie romaine.
  12. Pilhofer 22, 577 : ∆ιονυσίος | Φιλίππου.
  13. Pilhofer 22, 305 : Κρατῖνος Νουµηνίου | ἥρως.
  14. Fichier IAHA 1521 (inédit).
  15. Le tome CIPh 2.1, paru en 2014, contient plusieurs dizaines d’épitaphes latines jusque-là inédites, qui mentionnent des magistrats ou des institutions. Le tome 2.3 du Corpus consacré aux inscriptions funéraires de la colonie romaine est actuellement en préparation. Il sera constitué de deux volumes, l’un consacré aux épitaphes latines (CIPh 2.3/1, Cédric Brélaz, Xavier Mabillard, Clément Sarrazanas), l’autre aux épitaphes grecques (CIPh 2.3/2, Clément Sarrazanas). Sur la constitution et l’architecture du Corpus, voir CIPh 2.1, 23-24 et Brélaz 2014, 1481-1483.
  16. Seul un milliaire philippien (Pilhofer 22 34), datant des débuts de la province romaine de Macédoine (seconde moitié du IIe siècle a.C.), présente un même énoncé dans les deux langues, conformément aux pratiques romaines dans l’Orient hellénophone.
  17. CIPh 2.1, p. 68, et n. 310. 
  18. CIPh 2.1, 118.
  19. Pilhofer 22, 133, l. 1-3 (suivent une peine sépulcrale et des dispositions testamentaires). Ce formulaire, avec ses trois éléments, se retrouve également dans Pilhofer 22, 81, ou dans les inédits Fichier IAHA 386, 843 et 1529.
  20. Par ex., IG I3 1307ter : Νικόστρ|ατος ἐνθά|δε κεῖται (ca. 400 a.C.).
  21. SEG 27.296 : ὑὲ Χίωνο|ς χαῖρε Χ|ιωνίδη ἐ|νθάδε κε|[ῖται] [— — —] (ca. 400 a.C.).
  22. Pour ne citer que quelques inscriptions publiées : CIPh 2.1, 72, 79, 80, 82, 86, 100, ou Pilhofer 22, 79, 277, 384b, 429, 502.
  23. Cette invocation se retrouve assez communément à l’époque impériale dans les cités et provinces hellénophones ; par exemple à Thessalonique (SEG 43.461).
  24. Pilhofer 22 381 ; pour d’autres exemples publiés, voir l’index de Pilhofer 22, s.v. in agro pedes. La large majorité des inscriptions latines présentant ce formulaire sont encore inédites.
  25. Par ex. Pilhofer 22 49 ou 97, toutes deux complètes.
  26. Par ex., IG II2 2562 (IVe siècle a.C.) : ὅρος | µνήµατος | εἴσω πόδες | ∆∆ | παρόδιοι | ∆∆∆.
  27. SEG 51.1070 : ὅ[ρ]ος θηκαίων Ἀλε|ξανδρήας τᾶς Νικολά|ου, ᾧ µῆκος πόδε|ς µ’ | πλάτος | πόδες ιζ’.
  28. Pilhofer 22 525.
  29. Par ex. Pilhofer 22 496.
  30. Par ex. CIPh 2.1, 94, du IIe siècle p.C., retrouvée à Grammeni.
  31. Voir Brélaz 2015, 280-281.
  32. Ritti 2004 ; Harter-Uibopuu 2010, Harter-Uibopuu 2014, Harter-Uibopuu & Wiedergut 2014 ; Lempidaki à paraître ; pour une étude centrée sur le cas philippien, voir Lempidaki 2018.
  33. De Visscher 1963, 116-123. Les peines sépulcrales inscrites sur les tombeaux apparaissent dès l’époque hellénistique en Lycie, mais le phénomène semble à cette époque confiné à cette région : voir Schweyer 2002, en particulier 84-89, avec les commentaires et les nombreuses corrections apportées par le compte-rendu de P. Fröhlich dans Topoi 12-13, 2005, 722-729.
  34. CIPh 2.1, 137, 203. Voir CIPh 2.1, p. 70-74 pour une première vue d’ensemble de la question.
  35. Par ex., parmi les inscriptions publiées, CIPh 2.1, 137, 148, 178, 186.
  36. Pilhofer 22, 22.
  37. Pilhofer 22, 71.
  38. Deux exceptions tardives : une épitaphe juive indique que l’amende devra être versée à la synagogue (Pilhofer 22 387a, du IIIe ou IVe siècle p.C.), et une épitaphe chrétienne prévoit qu’elle sera versée conjointement au fisc impérial et à l’Église (Pilhofer 22 125a, du IVe siècle p.C.).
  39. CIPh 2.1, 137, 178, 186.
  40. CIPh 2.1, 91, 203, Pilhofer 22 38, 138, 457, 487, 523, 741, 716.
  41. Pilhofer 22 273.
  42. Pilhofer 22 22, 119, 127, 133, 137, 265, 267, 280, 301, 734.
  43. CIPh 2.1, 105, 120, Pilhofer 22 261, 385b, 716, 728, 742.
  44. Pilhofer 22 71, 83, 125a, 296, 738.
  45. Fichier IAHA 1525 (inédit).
  46. Sur les rapports entre latin et grec comme langues officielles dans la colonie de Philippes, voir Brélaz 2018a, 73-94.
  47. Mason 1974, 5.
  48. Le terme κολονία est employé dans l’épitaphe d’une Αὐρηλία Μοντάνα (Pilhofer 22 273, du IIIe siècle), dont le nom révèle des origines thraces. On ignore cependant le nom de son époux, qui est le commanditaire du tombeau, et donc s’il était lui aussi d’origine thrace ou non.
  49. Par ex. Pilhofer 22 136, l. 9-13 (ex ea pecunia delatori ? CCL), du IIIe siècle.
  50. Sur le rôle du delator à Philippes, voir Lempidaki 2018, 157-162. La mention de la part revenant au delator se retrouve aussi dans des inscriptions latines d’Italie, par ex. CIL VI, 22609 (Rome) ou CIL XIV, 850 (Ostie). Le delator dans les inscriptions funéraires latines est à peine évoqué par Rivière 2002, 138 n. 39, qui appelle de ses vœux une nouvelle étude sur “ce dossier ancienˮ. 
  51. Pilhofer 22, 22, 133, 265, 280, 734, avec Fichier IAHA 864 et 1815 (inédits). Comme attendu, le terme prend un omicron au datif, sauf dans un cas où δηλάτωρι est orthographié avec un oméga (Pilhofer 22, 133, l. 9-10).
  52. L’une est inédite, l’autre publiée. Voir SEG 54.1338 : 
    Ἡ σορὸς καὶ ὁ τόπος Ἡλιοδώρου παιδαγωγοῦ,
    ἐν ᾗ κηδευθήσεται αὐτός, ἕτερος δὲ οὐδεὶς
    µετὰ τὴν τελευτὴν αὐτοῦ· ἐὰν δέ τις τολµήσῃ ὑ-
    πεναντίον, δώσει προστίµου τῷ φίσκῳ (δηνάρια) φ’ · 
    ὧν προνοήσονται οἱ παιδευταὶ καὶ οἱ κηδό-
    µενοι τοῦ Ἡλιοδώρου· ταύτης τῆς ἐπιγραφῆς 
    ἀντίγραφον ἀπετέθη εἰς τὰ ἀρχεῖα · 
    [εἴ] τις δὲ παραλείψ[ας – – -]ε̣ρ̣αν τῆς 
    ἀναπτώσεως προσ[. . .]οι, θήσει τοῖς ἀγοραίοις ? σ’ καὶ δηλατόρι ? ν’.
  53. Cf. CIPh 2.1, p. 73 n. 388 et 389. Dans le cas de Thasos, cette mention pourrait s’expliquer, justement, par la proximité géographique avec la colonie romaine de Philippes, et par les contacts que les deux cités entretenaient à l’époque impériale.
  54. Il est révélateur que le terme soit absent de Mason 1974.
  55. Un exemple parmi de très nombreux, TAM 2, 351, l. 6-11 : (…) µετὰ δὲ τὴν ἀπο|βίωσιν αὐτοῦ οὐδεὶς ἕτερος ἐξουσίαν ἕξει ἐνθάψαι τινά, ἐπεὶ ἀποτείσει τῷ| ἱερωτάτῳ ταµείῳ ἐπιτειµίου δηνά|ρια χείλια, ὧν ὁ ἐλένξας λήµψεται| τὸ τρίτον.
  56. On trouve ne trouve qu’une seule fois le verbe sous une forme conjuguée, dans une tournure relative : (…) καὶ ὅσ]τις ἐλένξει τὸν̣ [ἀσεβή]|[σαντα, λήψεται τὸ τρίτον µέρος τῶν προγ]ε̣γραµµένων ἐπι̣[τι]|[µίων] (TAM 2, 218, l. 8-10, de Sidyma, IIe-IIIe siècle).
  57. Par ex., Andocide, Sur les Mystères, 26 : Καὶ ἐάν τις ἐλέγξῃ µε ὅτι ψεύδοµαι, χρήσασθέ µοι ὅ τιβούλεσθε.
  58. Par ex. Euripide, Alceste, v. 1058.
  59. Par ex. TAM 2, 1, 969, l. 5-7 (Olympos, Lycie) : (…) ἐὰν δέ τις βιάσηται, ἐκτείσει | θεῷ Ἡφαίστῳ ? φʹ, ὧν ὁµηνύσας λήµψεται τὸ | τρίτον.
  60. Par ex. Lysias, Contre Agoratos, 48.
  61. TAM 2, 1, 211.
  62. Platon, Apologie de Socrate, 32b.
  63. TAM 2, 1, 250, de 133 p.C. (Sidyma).
  64. SEG 54.1056, 1059, 1061 (IIe siècle p.C.).
  65. SEG 27.771, l. 15-16.
  66. TAM 3, 1, 285. 
  67. Par ex. Thucydide, 6.53, à propos des dénonciateurs d’Alcibiade lors de l’affaire des hermocopides.
  68. IK Anazarbos 95, col. 2, l. 3-6 : (…) [δ]ώ|σει προστείµου | τῷ φίσκῳ ? βʹ καὶ | τῷ µηνυτῇ ? [?] ; IK Anazarbos 111 (toutes deux de l’époque impériale).
  69. Cela est d’autant plus frappant de la part d’individus aux noms bien grecs (comme Οὐαλέριος Θεόφιλος et son épouse Ἀρτεµεισία dans Fichier IAHA 1815, inédit), car on sait que les habitants de Philippes d’origine hellénique étaient restés réfractaires à l’emploi du latin. Mais cette inscription date vraisemblablement du IIIesiècle, et la famille de Théophilos, qui ne porte pas le nomen Aurelius, pourrait avoir reçu la citoyenneté romaine depuis plusieurs générations. Il est encore possible qu’il s’agisse d’affranchis, pas nécessairement originaires de Philippes d’ailleurs.
  70. Voir le tableau ci-dessus.
  71. On le voit par exemple dans la translittération du terme ἠµέριτος pour emeritus, où le premier e est long, le second bref dans le mot latin (par ex. CIL III, 14695).
  72. Par ex. Sophocle, Œdipe Roi, v. 76-77 :
    Ὅταν δʹ ἵκηται, τηνικαῦτʹ ἐγὼ κακὸς
    µὴ δρῶν ἂν εἴην πάνθʹ ὅσʹ ἂν δηλοῖ θεός.
    “Mais dès qu’il arrivera, je serais un bien mauvais homme si je ne faisais pas ce qu’aura fait savoir le dieu”.
  73. Thucydide, 1, 90, 2 : (…) τὸ µὲν βουλόµενον καὶ ὕποπτον τῆς γνώµης οὐ δηλοῦντες ἐς τοὺςἈθηναίους (…) (“… ne révélant pas aux Athéniens leurs intentions et leurs soupçons …”).
  74. Cicéron, Pour Cluentius, 143 : (…) est nescio quis de his quos amicos nobis arbitramur qui nostra consilia ad aduersarios deferat (“… il y a parmi ceux que nous pensons être nos amis je ne sais qui pour révéler nos projets à nos adversaires”).
  75. Tacite, Annales, 6.47.
  76. TAM 2, 1, 213, l. 12-14. Le recueil n’indique pas de date, mais les nomina du défunt, l’expression de la somme en drachmes et non en deniers (l. 14), et la forme des lettres invitent à placer le texte dans la seconde moitié du Ier siècle p.C.
  77. On trouve d’ailleurs dans la littérature le terme µανύτωρ pour µηνύτωρ, avec le même sens exactement que µηνυτής (Anthologie Palatine, 11, 177, v. 1).
  78. Voir par ex. Plutarque, Questions romaines, 46, qui propose de faire venir le nom de la déesse italique Horta (ou Hora) du verbe grec ὁράω. 
  79. Sur tous ces phénomènes complexes, voir Brélaz 2015, en particulier 377-386.
  80. Pilhofer 22 48, 180 et 614, qui renvoie à l’essentiel de la bibliographie antérieure. Il faut désormais y ajouter une inscription en langue latine mais écrite en caractères grecs récemment découverte à Kalambaki (Fichier IAHA 1870, inédite).
  81. Brélaz 2015, 385.
  82. CIPh 2.1, 4 (la pierre semble perdue).
  83. Par ex. CIPh 2.1, 1, datée de janvier 42 a.C. Il est d’ailleurs révélateur qu’il s’agisse de l’épitaphe d’un Thrace, qui se présente explicitement comme un soldat du roi Rhaskouporis (et non comme un habitant ou un citoyen de la cité de Philippes – qui n’est pas encore devenue une colonie à la date de sa mort).
  84. Par ex. SEG 34.637, du Ier siècle p.C. (Galepsos).
  85. Cormack 2004, 147-160.
  86. Dans les inscriptions latines de Philippes notamment : Pilhofer 22 620 porte [H]eroni, quand Pilhofer 22 621 porte Heroi
  87. En particulier à Philippes, dans les dédicaces au Héros Aulonitès de Kipia (par ex. Pilhofer 22 619), mais aussi, par exemple, en Perrhébie (IG IX, 2, 1287).
  88. On connaît dans la colonie de Philippes une épitaphe d’un Varinius, sévir augustal, elle aussi datée du règne de Claude par la mention des consuls : CIPh 2.1, 206.
  89. Brélaz 2015, 384-385.
  90. Par exemple IK Anazarbos 64 (ca. 200 p.C.) ou CIL III, 14184, 7 (Sebastopolis). Pour de nombreux autres exemples d’époque hellénistique, voir Bauzon 2008 ; pour une synthèse générale sur le bilinguisme et le latin, voir Adams 2003.
  91. CIPh 2.1, 86.
  92. Voir l’état de la question et la discussion de la datation dans CIPh 2.1, 86.
  93. Biville 2008, 46-47.
  94. Decourt 2008, 312 ; voir aussi Decourt 1993.
  95. Decourt 2008, 311.
  96. À l’exception du cas de l’épitaphe de Tomes citée infra, mais qui est, elle, réellement bilingue.
  97. Fichier IAHA 1614, 1647, 1656 et 1754.
  98. Par exemple à Brindisi (CIL IX, 6112), ou en Lusitanie (CIL II, 5304).
  99. On la retrouve largement attestée dans toute la Macédoine (par ex. à Béroia, SEG 12.322), dans l’intérieur du territoire thrace (SEG 47.1085), et jusqu’à la région du Bosphore (SEG 24.774).
  100. CIPh 2.1, 86, p. 222.
  101. Pour un point sur la question, voir Brélaz 2015, 393, qui rappelle qu’au milieu du IVe siècle le rhéteur Himérius félicite les Philippiens de leur hellénisme tout attique (Himérius, Discours 40, 1-2).
  102. ILS 1961.
Rechercher
Pessac
Chapitre de livre
EAN html : 9791030008265
ISBN html : 979-10-300-0826-5
ISBN pdf : 979-10-300-0827-2
ISSN : en cours
23 p.
Code CLIL : 4117
licence CC by SA

Comment citer

Sarrazanas, Clément, “Emprunts formulaires et lexicaux dans les inscriptions funéraires grecques et latines de la colonie romaine de Philippes (Macédoine orientale)”, in : Roure, Réjane, avec la collaboration de Lippert, Sandra, Ruiz Darasse, Coline, Perrin-Saminadayar, Éric, éd., Le multilinguisme dans la Méditerranée antique, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux , collection Diglossi@ 1, 2023, 65-88 [en ligne] https://una-editions.fr/emprunts-formulaires-et-lexicaux [consulté le 02/05/2023]
10.46608/diglossia1.9791030008265.5
Illustration de couverture • Relevés de divers graffitis en phénicien, ibère, étrusque, gallo-grec, grec, latin, hiéroglyphes (DAO par Réjane Roure, Coline Ruiz-Darasse, Sandra Lippert, Bruno d'Andrea) sur une photo d'Alix Barbet (thermes de Stabies à Pompéi).
Retour en haut
Aller au contenu principal