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Chapitre 6. Expliquer le social

Chapitre 6. Expliquer le social

Plus attentivement écouté, Volney aurait fourni l’exemple du sociologue, de l’économiste et du géographe : un voyageur lucide libre de toute métaphysique.

Jean Gaulmier, L’Idéologue Volney 1757-1820, 1951, p. 345.

Introduction

C’est de la relation de la « science » avec le pouvoir étatique que les sciences sociales ont émergé : du désir de bien gérer la production, le commerce, les transports et plus spécialement la population (y compris les esprits et le travail) aussi bien à domicile que dans les villes ou la campagne, et à l’étranger, dans les colonies et dans l’espace au-delà des colonies. Les sciences sociales évoluent comme un des outils principaux de l’État séculier occidental. Faisant toutefois partie des sciences sociales depuis leurs premiers frémissements dans la pensée des Lumières, il y a de la critique sociale, une fonction critique de chien de garde à l’encontre du pouvoir et des activités de l’État. Ainsi, les mêmes sciences sociales qui ont produit la phrénologie, produisent en fin de compte Frantz Fanon. Ce n’est pas que la phrénologie soit fausse et Fanon dans le vrai, mais que la phrénologie est une science sociale tournée vers l’autre (avec une faible conscience des intérêts du soi) alors que les Damnés de la terre ont le même regard critique tourné contre le pouvoir étatique occidental.

Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, la géographie sociale scientifique reçoit un premier élan des tentatives de l’État révolutionnaire puis napoléonien pour contrôler son propre territoire, ses peuples et ceux qu’il a nouvellement conquis. Les ingénieurs, les géographes militaires et les officiers commencent à rassembler de l’information d’une nature et selon des voies que nous associons aujourd’hui à la science sociale. Nous avons vu que cette recherche n’a pas été poursuivie. Que l’État n’est pas encore préparé ou capable de maintenir le niveau d’investissement en personnel, en formation et en collecte de l’information au-delà des exigences militaires ou politiques. Nous avons vu aussi que l’association étroite avec le pouvoir étatique a des coûts. Certains de ceux-ci sont clairs aux yeux des contemporains et d’autres ne le sont pas. Il y a d’autres signes de frémissements au cours des époques révolutionnaire et napoléonienne dans les activités de certains chercheurs dans la Classe des Sciences morales et politiques de l’Institut, particulièrement dans la section « analyse des sensations et des idées » et à partir des premiers travaux de « l’Académie celtique ». Pourtant, comme Martin Staum l’a si clairement montré, une nouvelle géographie sociale scientifique n’émerge pas du travail des géographes de ces institutions. Ceux qui se qualifient eux-mêmes de géographes et sont apparemment les mieux placés pour explorer les possibilités d’une géographie sociale, soit parce qu’ils participent à des voyages d’exploration, soit parce qu’ils ont à portée de la main les meilleures bibliothèques ou collections de cartes, ne montrent guère d’inclination à agir ainsi1. Les suggestions sur les possibilités qu’offrent ce sujet viennent des marges de la communauté. Elles viennent de chercheurs qui voient dans des questions qui marient le physique et l’humain et spatialisent le social un intérêt intrinsèque et une valeur politique dont l’exploration commence à peine. Ceci émerge de leurs remarquables imaginations, parfois stimulées par leurs contacts avec des géographes. Leurs imaginations sont plus profondément nourries par les idées de leurs prédécesseurs, les hommes qui, au XVIIIe siècle, ont commencé à formuler des questions centrées sur la société et à développer des méthodologies adaptées à ces questions. Elles sont aussi nourries et soutenues par l’intérêt de l’État et par son soutien à ces activités. La géographie sociale scientifique naissante dépend substantiellement du soutien de l’État, et lorsqu’il lui est retiré, cette géographie s’étiole et disparaît.

Dans ce chapitre, nous allons envisager les écrits et les activités de trois hommes dont, collectivement, le travail couvre la période de la fin des années 1780 à la fin des années 1830. C’est une phase très précoce des sciences sociales. La plupart de leurs historiens la considèrent comme une période de proto-science sociale. Les chercheurs du début du XIXe siècle qui pensent de manière critique aux problèmes sociaux sont rares. Ceux qui les pensent avec quelque chose approchant d’une sensibilité spatiale peuvent se compter sur les doigts d’une main. Il serait donc difficile de remplacer l’un ou l’autre des trois innovateurs traités dans ce chapitre par un autre chercheur de la même époque. Ils ne sont pas là pour en représenter de nombreux autres qui auraient entrepris une recherche similaire. Ils témoignent cependant d’un intérêt montant pour les types de question qu’ils posent et d’un sentiment croissant de ce que l’importance de la façon dont ils sont traités. Les deux innovateurs discutés dans ce chapitre sont Constantin-François Volney, qui commence à développer une approche géographiquement sensible à l’étude des autres peuples et de leurs sociétés ; et Gilbert-Joseph Gaspard, comte de Chabrol de Volvic, qui a un sens spécialement développé de l’État et utilise des statistiques comme puissant outil d’analyse sociale et d’administration. La troisième figure de cette trilogie, Adrien Balbi, représente relativement bien le champ de la géographie. C’est un géographe de cabinet qui a eu l’occasion de voyager et qui cherche à appliquer l’essentiel de la statistique à la géographie. Il propose aussi, au moins soixante-dix ans avant que ce sous-champ ne voit le jour, une approche nouvelle et tout à fait différente de l’étude de « l’autre », ou ethnographie : la géographie linguistique. Il est clair à propos du travail de Volney et de Chabrol de Volvic, qui œuvrent avec des géographes, les influencent et sont influencés par eux, qu’il y a des signes très significatifs d’innovation aux marges même de ce qui est compris comme géographie. Des géographes du courant principal tels que Balbi, c’est-à-dire des gens qui s’identifient fortement comme géographes et sont reconnus comme tels par leurs contemporains, ont une grande difficulté à incorporer ces innovations dans leur recherche. Balbi est incapable de prendre en compte à la fois la pertinence des idées de Volney sur l’étude des sociétés étrangères et la défense et l’illustration par celui-ci du travail de terrain dans la recherche sociale. Il ne comprend pas complètement, non plus, les concepts derrière la terminologie statistique qu’il adopte. C’est moins le résultat des limitations d’un homme que la conséquence de son fort attachement à un genre particulier de publication, à un but et à une méthode d’étude. Néanmoins, dans les années 1820 et 1830, l’innovation est dans l’air, et il y a des signes dans le travail de Balbi d’un intérêt naissant pour les phénomènes sociaux, reflété par son attention à la démographie, à l’utilisation économique du territoire, au rôle de l’infrastructure pour faciliter le commerce, l’agriculture et l’industrie, et à son abandon des caractères des « peuples » en faveur de l’analyse des sources de leur comportement et de leurs attitudes.

Volney et sa géographie sociale et scientifique

Constantin-François Volney est un personnage historique et une figure complexe qui, en dépit d’un certain nombre d’excellents articles sur lui, d’une bonne biographie historique et d’une biographie intellectuelle exceptionnelle, demeure imprécis dans le détail et parfois dans le profil général.

Né en 1757 dans l’aristocratie et formé par les Oratoriens, il étudie la médecine qu’il pratique, comme philosophe plutôt que comme soignant, durant une grande partie de sa vie. Très intellectuel, il étudie l’hébreu et l’arabe tôt dans sa carrière et garde un fort intérêt pour les langues et la conviction que la langue peut fournir le seul accès possible aux civilisations mortes ou moribondes. Il écrit nombre de travaux importants et très influents, en particulier entre les années 1787 et 1803, mais semble avoir alors abandonné le projet intellectuel dans lequel il s’était engagé. Ses idées sont encore considérées comme suffisamment influentes et convaincantes pour lui valoir la proscription dans les années 1820.

Pour l’historien de la science sociale, un des aspects les plus frappants de la vie et de la carrière intellectuelle de Volney est le caractère ambigu de sa relation au pouvoir politique. C’est Volney qui incarne peut-être le mieux le chercheur en sciences sociales : penseur indépendant, par moment en opposition radicale ouverte au pouvoir étatique, et complètement déterminé à contrecarrer les excès et à guider les impulsions les plus positives de celui-ci. En même temps, il fait montre d’une certaine compromission avec lui : payé par l’État, lui étant redevable de beaucoup, stimulé par les intérêts de celui-ci et les servant et tenu au silence par son opposition. Comme son biographe Siebenaler l’a signalé, il est vraisemblable que le financement de l’expédition de Volney en Égypte de 1783 à 1785 est venu du gouvernement royal français.

Il est possible qu’il ait voyagé dans ce pays comme espion français et contre l’Empire turc et ses alliés. Il ne limite cependant pas son attention aux phénomènes qui intéressent le gouvernement. En Égypte, Syrie, Corse et aux États-Unis, il a ses propres axes idéologiques à explorer qui ont moins à faire avec le service public qu’avec la critique sociale. Ses activités en Bretagne en 1787 sont politiques et il est vraisemblable qu’il en est de même pour celles qu’il mène en Corse au début des années 1790 où il semble avoir été envoyé pour explorer la possibilité d’utiliser la Corse comme un grenier à fruit et à pain pour la France. Il espère que son voyage aux États-Unis (1795-1798) sera payé par le gouvernement et le conduira peut-être à un poste diplomatique, mais en fin de compte, Volney supporte lui-même le coût de cette exploration de trois ans2. Ses liens avec Napoléon sont bien connus et il existe des preuves de sa participation au coup d’État qui porte celui-ci au pouvoir. La biographie de Volney raconte deux histoires : l’une donne à voir une figure politique généralement située sur les marges, mais jouant un rôle important (et bien rémunéré) dans les événements de son temps, de la Révolution à l’invasion de l’Égypte et à la montée de Napoléon ; et l’autre, celle d’un intellectuel tranquille, pacifiste et idéaliste déçu qui abandonne la scène politique et les préoccupations de science sociale pour des études plus érudites lorsque son héros, Napoléon, s’avère ne pas être le représentant éclairé du peuple que Volney avait cru qu’il était. Le portrait de l’homme, quel que soit le nombre de fois qu’on lit ses biographes ou Volney lui-même, garde toujours la bi-dimensionnalité et le flou d’une représentation stéréographique, avant que les yeux n’aient recombiné les deux images en une seule. Si cependant on incorpore à l’image une compréhension du fait que, spécialement dans le domaine des sciences sociales, les intérêts du chercheur et ceux de l’État sont presque invariablement inextricablement mêlés, l’image de l’homme et de son travail commence à se préciser.

L’intérêt de Volney pour ce que nous décrivons aujourd’hui comme la géographie résulte de la confluence de nombre d’influences intellectuelles importantes et de la nature de son propre engagement politique et social. Volney, comme le nom qu’il se choisit, dérivé des mots Voltaire et Ferney (la propriété de Voltaire) le suggère, est l’héritier politique, social et philosophique de la pensée des Encyclopédistes. Il partage cet héritage, joint à l’épithète « d’idéologue », avec nombre d’intellectuels de premier plan des années 1790, dont il fait la connaissance de beaucoup dans les salons de Paul Henri Dietrich, baron d’Holbach et de Claude Adrien Helvétius. Les Idéologues, parmi lesquels Antoine Louis Claude Destutt de Tracy, Georges Cabanis, Joseph Marie Comte de Gérando, Pierre Louis Comte Rœderer et Joseph Lakanal, forment un groupe d’intellectuels qui survivent à la Révolution sans abandonner la croyance des Lumières dans le rationalisme, la perfectibilité de « l’homme » à travers l’éducation et le bon gouvernement, l’unité de tous les peuples, la liberté, l’égalité et la justice, et, fondé sur l’observation, le pouvoir de la science de révéler la nature et de promouvoir le bien-être de « l’homme ». Volney peut être considéré comme un membre de ce groupe en vertu de son association étroite avec ces intellectuels, des idées qu’il partage avec eux et de son inclusion par Napoléon lui-même dans ce groupe d’intellectuels « dangereux ». Avec Cabanis, Volney hérite de John Locke, et de son étude de la médecine, une conception de l’être humain comme créature qui acquiert connaissance et compréhension à travers le monde tel qu’il agit sur ses sens. Cela invite à diviser les études en deux domaines principaux : la physiologie humaine et l’action du monde extérieur sur les sens de l’homme. Alors que Cabanis, et éventuellement Destutt de Tracy, se centrent principalement sur le premier domaine, Volney consacre son attention au second : le monde, à la fois physique et naturel, qui agit sur « l’homme ». Son approche relative à ce monde est également fortement façonnée par ses prédécesseurs intellectuels. En dehors de son nom, il hérite du ferme scepticisme de Voltaire une fascination pour l’histoire, une détestation de la religion et la croyance en une science rationaliste. Il partage avec Condorcet la croyance au progrès et en la perfectibilité de « l’homme » ainsi que son intérêt pour étudier « l’homme » comme une créature sociale en utilisant une méthodologie scientifique fondée sur les probabilités. De Condillac, Volney apprend une méthode scientifique fondée sur l’observation et sur l’importance et la subtilité du langage. Il partage avec d’Helvétius la conviction que tous les peuples sont semblables en ce que les individus, les familles et les gouvernements sont comparables. De Jean François de Galaup Comte de La Pérouse, Charles Marie de La Condamine et Louis Antoine Comte de Bougainville, et des nombreux autres voyageurs du XVIIIe siècle, il acquiert la croyance dans la valeur du voyage scientifique, qui est aussi conforme à la conviction sensualiste et partagée par les philosophes de l’importance de « voir » par soi-même. En conséquence, pour Volney, la relation de voyage n’est pas une distraction romanesque, mais une façon par laquelle les leçons de l’histoire peuvent être apprises à travers les cultures, sans la souffrance aiguë de l’amère expérience. La curiosité anthropologique de Volney à propos des sociétés humaines, de leur gouvernement, de leurs genres de vie, de leur commerce et de leurs lois est partagée par de Gérando et Cabanis. Il y a aussi une certaine continuité entre l’utilisation par le premier XVIIIe siècle de « l’autre » comme camouflage de la critique sociale et cette anthropologie renouvelée. Cela veut dire que, bien que Volney et ses collègues de la seconde classe de l’Institut et à l’Académie celtique soient authentiquement intéressés par les sociétés vers lesquelles ils tournent les débuts d’une curiosité anthropologique, cette curiosité n’est pas pure, innocente et sans lien avec la critique de la société française, comme cela se voit clairement dans les Ruines de Volney et dans l’intolérance de Napoléon à l’encontre des spéculations des « Idéologues ». En bref, les idées de Volney sur la nature, le gouvernement, la loi naturelle, l’hygiène et le langage sont profondément enracinées dans la pensée à la fois des périodes révolutionnaire et postrévolutionnaire et dans les écrits et idéaux des Lumières.

Parmi les Idéologues de la fin du XVIIIe siècle, Volney écrit peu3. Ses travaux, relativement rares, peuvent être divisés en quatre catégories – bien que certains d’entre eux tombent dans deux ou plusieurs d’entre elles : ce qui a été classé comme des relations de voyage, ses écrits historiques, ses explorations philosophiques et pragmatiques sur la nature du langage, et ses travaux philosopho-politiques. La première catégorie, et pour les géographes la plus significative, a commencé à recevoir une attention sérieuse de la part des historiens, alors que les géographes continuent à la négliger4. Ces écrits représentent des tentatives partielles ou complètes d’explorer les relations entre « l’homme », la nature et la société, avec le projet d’améliorer la société. Volney y exprime une conception claire et cohérente de « l’homme » et de la société, les décrit comme le produit de l’interaction des conditions sociales et naturelles, appelle à une étude intégrée et rigoureuse de « l’homme », de la nature et de la société, et fait les premiers pas vers elle. En agissant ainsi, il pose les fondations d’une géographie sociale scientifique.

Les écrits géographiques de Volney incluent son Voyage en Syrie et en Égypte publié en 1787, qui connaît huit éditions françaises et trois étrangères5, le Tableau du climat et du sol des États-Unis publié en 1803, et qui a cinq éditions françaises et deux étrangères6, les Questions de statistique à l’usage des voyageurs, rédigées en réalité vingt ans avant leur publication en 18137, et « État physique de la Corse » qui n’est pas publié avant sa mort8. Le Voyage en Syrie est la première, et peut-être en dehors de ses Ruines, la plus fameuse de ses grandes publications. Il s’y montre soucieux de mesurer l’impact du climat9, du sol et du gouvernement sur les différents peuples habitant ces contrées. Il a mené ses travaux sur l’Amérique et la Corse pour explorer la même question générale, mais ni pour l’un, ni pour l’autre, il ne mène à bout son analyse10. Ses Questions de statistique, quoique conçues pour tirer parti de notes de terrain, incarnent son approche de la géographie et peuvent être vues comme le plan schématique d’un traité complet de géographie11.

Dans tous ses écrits géographiques, nous trouvons l’humanité et la société au centre de ses préoccupations, façonnées à la fois par la nature et par l’environnement humain, et influençant en même temps l’environnement naturel et humain. Ce sont les peuples et leurs relations avec l’environnement et avec d’autres peuples qui intéressent Volney. Alors que parmi ses collèges philosophes ou « idéologues », cet intérêt aboutit à une focalisation presque exclusive sur la physiologie humaine, l’humanité et la société12, Volney est au moins aussi intéressé par l’environnement humain et l’environnement naturel – dans le contexte social et physique de l’humanité – que par la nature de l’humanité13. L’approche de Volney dans le domaine de la géographie est rigoureuse et, dans son étude de la Corse, de l’Égypte et des États-Unis, il offre à quiconque aurait le souci de le suivre une méthodologie appropriée à une telle science. Cela suppose l’utilisation de trois éléments : l’hypothèse, la recherche de terrain et la critique – qu’il décrit et démontre en même temps.

Une méthodologie géographique

L’énoncé de l’hypothèse ou la manière de poser les questions-clés sont d’importance pour Volney. Pour lui, il n’y a pas de réelle distinction entre une hypothèse et une bonne question : derrière une bonne question se trouve une hypothèse. Une question posée sans un sentiment de ce qui peut en résulter est une question d’enfant, pas de savant. Son Voyage en Syrie est structuré autour de la question de savoir si la première influence sur l’humanité vient de la nature ou du gouvernement14. Au sein de la structure générale du travail, il pose des questions plus spécifiques et limitées : la société bédouine est-elle saine15 ? Le delta du Nil a-t-il subi des changements au cours de l’histoire16 ? Quelle est la force motrice derrière les vents ? Quelle est la relation entre climat, sol et végétation17 ? En opposition avec les questions posées par Buache de Neuville et Mentelle, ce sont des questions pour lesquelles il n’a pas de réponse toute prête. Leur valeur vient de leur état d’irrésolution. Dans la perspective de Volney, aussi bien les sciences humaines que les sciences naturelles se trouvent à un stade où, quoique ces questions doivent être posées (ne serait-ce que pour structurer la recherche sur la nature de l’humanité, la société et la nature), on ne peut ni ne doit leur répondre avec certitude. On peut faire des observations et des généralisations, mais ces dernières resteront ouvertes à la contradiction : « la certitude est la doctrine de l’erreur et de l’illusion et l’arme habituelle de la tyrannie »18. Fréquemment, dans le cours de son propre argument, il contredit ses hypothèses, suggérant ainsi la possibilité d’une autre explication. Ainsi, une question est un outil pour recueillir des faits et pour structurer la pensée. La description pour la description est beaucoup moins que ce à quoi il s’engage.

Après un exposé clair et concis de l’hypothèse, le second élément important de la méthode de Volney est l’utilisation de la recherche de terrain. C’est un élément entièrement absent des géographies d’Edme Mentelle, Jean-Nicolas Buache de Neuville, William Guthrie, Conrad Malte-Brun et la foule entière des géographes de cabinet. En fait, le livre de géographie d’école primaire de Mentelle, qui était largement consacrée à la France, était basé sur les questionnaires qu’il avait envoyés à l’administration de chaque département. L’inadéquation de cette méthode même pour un livre d’école primaire ressort clairement de sa publication indignée de la liste exhaustive des administrations qui n’ont pas répondu ou ont répondu de manière inappropriée19. Par opposition, le travail de terrain offre la possibilité de formuler et de répondre soi-même à ses propres questions, et de reconnaître des configurations non évidentes pour les autres en raison de suppositions différentes20. La nature du terrain de l’Égypte, le climat des États-Unis, les possibilités agricoles de la Corse et la nature du gouvernement ottoman ne doivent pas être appris dans les livres mais là où le vécu et l’expérience les révèlent21. C’est pourquoi le fait de plagier est une aussi grave erreur22. Il ne peut mener qu’à la mauvaise compréhension et à la formation de stéréotypes mal informés.

En un sens, on peut comprendre Volney comme ayant partagé la vue philosophique du XVIIIe siècle selon laquelle tous les peuples sont essentiellement les mêmes en ce qu’ils partagent les mêmes besoins et aspirations basiques, que toutes les sociétés ont les mêmes fonctions et sont soumises aux mêmes forces compétitives, et que toute la géographie du monde forme une partie d’un énorme et complexe, quoique unique, système naturel23. Que le propos de Volney ne soit limité ni à la mince surface et espace non théorisé qui étaient la préoccupation des géographes de cabinet, ni aux géographies universelles du début du XIXe siècle, il est particulièrement clair dans son approche du domaine humain/culturel. Bien que tous les peuples soient fondamentalement les mêmes, Volney reconnaît qu’ils apparaissent très différents, ont des genres de vie variés et épousent souvent des systèmes de valeur qui semblent diamétralement opposés. Comment peut-on expliquer cela ? Dans la perspective de Volney, les différences entre les peuples sont principalement dues aux circonstances dans lesquelles ils vivent, soit en termes d’environnement naturel, soit en termes d’environnement humain/politique24. Ces différences et leurs causes ne peuvent être explorées sans travail de terrain. Cela ne sert à rien de s’appuyer sur les généralisations de seconde main d’un Buffon ou d’un Montesquieu25. La seule façon de comprendre un peuple, ses coutumes et ses institutions est de s’immerger dans le contexte qui lui a donné naissance.

« Pour une telle étude, on doit communiquer avec le peuple que l’on désire comprendre, on doit adopter ses circonstances [de vie] afin de sentir les forces qui agissent sur lui, et les attachements qui en résultent ; on doit vivre dans son pays, comprendre sa langue et pratiquer ses coutumes… »26.

De l’extérieur, beaucoup peut sembler irrationnel, bizarre et même capricieux. De l’intérieur (dans une société en bonne santé)27, le monde humain et sa place dans l’univers deviennent ordonnés. C’est là que réside la difficulté. Tous les peuples sont en fait semblables, mais ils vivent dans des contextes différents et leur contexte limite leur aptitude à percevoir les similarités qu’ils partagent avec d’autres peuples dans d’autres contextes. Le chercheur de terrain aura à faire un effort spécial pour laisser sa culture derrière lui :

« On doit non seulement combattre le préjugé que l’on rencontre, on doit se défaire ceux que l’on porte : le cœur est partial, la coutume est puissante, les faits sont insidieux et l’illusion facile »26.

Une fois sa recherche de terrain terminée, il devra retourner à sa propre culture et découvrira la difficulté de représenter « l’autre ». Parce qu’à son retour, sa plume sera guidée par les vues et les intérêts de ceux qui l’entourent,

« il se lève bientôt, entre lui et ceux qui l’écoutent, une émulation et un commerce selon lequel il retourne en étonnement ce qu’ils lui paient en admiration »28.

Le problème était épineux ; il a, depuis les écrits de Clifford Geertz, provoqué une angoisse visible dans l’ethnologie et l’anthropologie modernes. Le travail de terrain, tel que conçu par Volney, lui offre au moins une solution partielle. Sur le terrain, les sources sont multipliées ; il est possible, par exemple, d’utiliser le témoignage verbal et de soumettre vraiment la source à un interrogatoire. Pour certains types d’information, il n’y a pas de meilleurs moyens d’obtenir des données29. Pour d’autres, la terre est un livre plus honnête que la plupart de ceux qui sont publiés – une fois que l’on a appris comment la lire. Afin de rester fidèle à ses sources, qu’elles soient humaines ou naturelles, il est très important non seulement de collecter les données sur les lieux, mais aussi de les rédiger sur place. Il y a évidence, à la fois dans la structure de la présentation de son Voyage en Syrie et dans le témoignage de son éditeur posthume, de ce que Volney composait, sur le terrain, ses notes sous forme de discussion et écrivait directement d’après elles une fois de retour en France.

Le troisième élément de la méthodologie de Volney, la critique, est implicite dans les deux premiers et a donc été déjà indirectement traité. Il souligne de manière répétée la nécessité de multiplier les sources, de les accueillir avec méfiance et doute, de les interroger et de les tester les unes contre les autres. Dans ce processus, le scepticisme et le sens personnel de ce qui est raisonnable et probable selon sa propre expérience du monde est le meilleur guide et en réalité, le seul. Le doute et l’incertitude font partie de l’attitude intellectuelle convenant à tout intellectuel. Se référant à son propre ouvrage, Les Ruines, il commente :

« En général, il se dégage un esprit de doute et d’incertitude qui semble être le plus approprié à la nature limitée de l’entendement humain et très vraisemblablement à faire progresser cet entendement en ceci qu’il laisse une porte ouverte à de nouvelles vérités. À l’inverse, l’esprit de certitude et les croyances arrêtées nous empêchent de recevoir les idées, nous lient à la chance… et au joug de l’erreur et de l’absence de vérité »30.

Ainsi, alors que beaucoup de ses contemporains se rangent encore à l’autorité des Anciens pour la résolution de problèmes au-delà du domaine même de la science moderne, Volney demande à ces chercheurs : « mais quels sont les faits sur lesquels [les Anciens] basaient leurs opinions… ? »31. Il essaie donc d’armer ses lecteurs et les invite de manière répétée à critiquer les hypothèses et conclusions de l’auteur. Lui-même rend cela possible en expliquant sans faute les sources de son information et le processus de son raisonnement. De là, et bien que son diagnostic sur ce dont souffre l’établissement de Vincennes dans l’Illinois français au moment de sa visite soit incertain et vague, sa description des caractères du problème et la perspective qu’il ouvre sur la relation possible entre le problème et les différences entre les méthodes locales françaises et anglaises de mesurer l’espace et le temps, est si complète qu’elle fait que sa source (la rencontre de deux systèmes coloniaux et économiques radicalement différents) saute aux yeux du lecteur moderne. Une approche critique est essentielle dans la méthode de Volney : sans elle, ses hypothèses ne seraient pas mieux fondées que les généralisations vagues et ridicules pour lesquelles il a si peu de respect dans les écrits de Montesquieu et de Rousseau.

Pour le chercheur moderne, formé aux techniques quantitatives et imprégné de philosophie et d’épistémologie modernes, la méthodologie de Volney apparaît simple et directe. En fait, beaucoup des questions qu’il pose sont difficiles et souvent insolubles. Le problème réel pour ses contemporains est que la résolution de la vaste majorité de ces questions requiert une recherche étendue et coordonnée dans des parties largement séparées du globe. À de nombreuses occasions, Volney met l’accent sur l’insuffisance des efforts des voyageurs isolés qui se déplacent sur un terrain et y recueillent des informations durant de brèves périodes seulement. En conséquence, il appelle de manière répétée à un travail de groupe interdisciplinaire et à un soutien et une orientation de la part du gouvernement sur des sujets aussi variés que les vents et la topographie en Afrique, au Moyen-Orient et en Amérique du Nord32, la langue kurde (en vue de compiler un dictionnaire), le mouvement graduel des chutes du Niagara, les tremblements de terre et l’activité volcanique du passé, et les langues des Indiens d’Amérique du Nord (avec la perspective de retracer les origines de ces peuples – en l’absence de travaux écrits et de monuments, et étant donnée la variabilité de la tradition orale).

Les problèmes géographiques posés par Volney

Volney n’est pas le seul parmi les Idéologues à avoir une imagination géographique. Il partage en fait avec la plupart d’entre eux la conviction selon laquelle l’étude de l’humanité dans son milieu géographique et social doit être une des préoccupations principales de la science moderne33. Il diffère de la plupart de ses contemporains car il est prêt à explorer ces thèmes dans des parties distantes et disparates du globe. L’imagination géographique particulière de Volney provient de sa volonté et de sa capacité, peut-être métaphoriquement le mieux exprimées dans son ouvrage écrit à la manière de Piranèse34, Les Ruines, de faire glisser son attention des minuties de la vie quotidienne, de la législation et de la nature vers leur contexte et leurs interactions plus larges.

Dans ses écrits géographiques, il essaie de mobiliser la puissance de l’esprit avec lequel son personnage converse dans Les Ruines, pour contempler l’existence humaine d’une distance de plusieurs milliers de milles au-dessus de la terre et pour voir pourtant tous ses détails avec une extraordinaire clarté35. L’échelle de ses intérêts s’étend ainsi de l’attention de Cabanis pour les influences physiques sur les sens humains, aux interactions de la nature avec la « société », si récemment découverte et explorée par les « Philosophes » et les « Idéologues ». La société n’est pas fixe mais a évolué et continuera à le faire sous l’influence à la fois de la volonté humaine et de la nature. Pour Volney, la nature elle-même est aussi ouverte à l’investigation que l’individu physiologique et la société36. Les nouvelles questions, toutefois, demandent de nouvelles informations. Et Volney les cherche dans ses voyages en Égypte, Syrie, Corse et États-Unis37.

Dans ses écrits géographiques, Volney se focalise ainsi sur les relations entre l’individu, la nature et la société. Les êtres humains, que ce soit individuellement ou en société, sont régis par la nature. Pas dans un sens immédiat et brutal. Comme être sensible, qu’il soit seul ou en société, l’être humain fera toujours partie de la nature et cherchera à satisfaire ses besoins naturels fondamentaux :

« … l’amour de soi, le désir de bien-être et l’aversion pour la douleur ! Là sont les lois essentielles et primordiales imposées par la nature elle-même à l’homme »38.

Ce sont des lois très basiques qui, si elles sont ignorées, comme elles l’ont fréquemment été par ceux qui légifèrent, pervertissent les individus et les sociétés. Comprendre une société requiert alors de garder à l’esprit ces lois fondamentales de la nature, connaître et peut-être avoir éprouvé les conditions physiques (climat, sol, etc.) de celle-ci, et pénétrer les forces sociales agissant à la fois sur les individus et sur les groupes au sein de la société. Il faut toujours faire appel aux explications multifactorielles qui prennent en compte l’environnement à la fois matériel et humain. Le meilleur exemple de cette approche est son analyse du genre de vie des Bédouins. Ils vivent, nous explique-t-il, « un genre de vie qui nous révolte »15, mais en dépit de leur existence vagabonde, ils apparaissent comme ayant maintenu leurs traditions à travers de grandes étendues d’espace et de temps :

« À cette unité de caractère préservée sur les périodes considérables se combinent la même continuité sur de vastes espaces, c’est-à-dire que les tribus les plus distantes se ressemblent infiniment l’une l’autre ; il serait certainement intéressant d’examiner les circonstances qui accompagnent un état social aussi particulier »39.

Volney conclut que leur société est très saine car leur genre de vie est une réponse entièrement raisonnable et informée à la pauvre qualité des sols et à un environnement politique hostile. La pauvreté du sol ne les autorise pas à se fixer mais leur permet de vivre de troupeaux constamment en mouvement. L’instabilité politique et la répression qui prévalent dans l’Empire turc regarnissent constamment leurs rangs et leur ôtent toute tentation de s’établir d’une manière permanente sur des terres agricoles. Quand les facteurs physiques et sociaux sont pris en compte à la fois, leur société est compréhensible.

Il applique aux Indiens nord-américains une analyse moins féconde. Bien que, selon lui, la nature leur offre la possibilité d’une vie agricole fixe, ils mènent une vie agricole nomade. Volney suggère que cette vie nomade au milieu de l’abondance est anormale et l’explique en partie par la dégénérescence (violence, alcoolisme, etc.) de leur société. En essayant d’expliquer la société indigène nord-américaine, Volney ne s’est pas lui-même élevé, comme il le prônait, au-dessus de l’ignorance et n’a pas séparé cause et effet40. Au lieu de supposer, comme il l’a fait avec les Bédouins, que l’Indien d’Amérique du Nord réagit à une combinaison de forces, Volney pointe comme cause41 une combinaison pauvrement définie d’influences sociales et physiques, qu’il appelle leur « genre de vie ». Il entend par cela la chasse et la cueillette, leurs moyens d’existence. Ce genre de vie, il en est convaincu, est rétrograde ou erroné dans un contexte d’abondance. En un sens, Volney prend une approche beaucoup plus critique et nuancées que Cornelius de Pauw42 qui voyait la géographie entière de l’Amérique du Nord comme une expression de la corruption, ou que Jean-Jacques Rousseau43, qui considérait le « sauvage », en vertu de la distance qui le séparait de la « société », comme noble et pur. Mais qualifier leur genre de vie comme erroné dans le contexte de l’abondance n’explique pas « l’erreur ». Volney n’est pas en position de traiter vraiment de cette question. Il cherche moins à comprendre les sociétés indigènes dans leurs termes propres qu’à comprendre leur place dans une hiérarchie de cultures et à justifier la conquête euro-américaine en cours :

« Ce qu’il est important de savoir, c’est si les Sauvages ont raisonnablement le droit de refuser une terre aux peuples agricoles qui n’en auraient pas assez pour se nourrir »44.

La perspective de Volney sur l’Amérique indigène est handicapée par un intérêt et un préjugé nourris par une croyance fondamentale en la propriété comme l’un des fondements de la société. Sa perspective devient un obstacle majeur à sa perspicacité parce que Volney renonce à sa propre méthode dans son analyse des sociétés indigènes d’Amérique du Nord. Volney, en conformité avec sa stricte méthodologie, a vécu parmi les Bédouins et a cherché à voir leur société de l’intérieur. Dans le cas des indigènes des Grandes Plaines, toutefois, il s’appuie sur des perceptions euro-américaines sans aller assez loin dans sa critique. En fait, et bien qu’il l’ait envisagé, il décide de ne pas vivre parmi les « Indiens » en suivant l’avis des Européens qui décrivent leur société comme sans structure, anarchique et dangereuse45. Ceci est la manière dont toute société apparaît de l’extérieur, comme Volney en a averti dans le contexte des Bédouins.

Son voyage américain, bien que limité à une portion relativement petite des États-Unis d’alors, est cependant long et épuisant. Il passe trois ans dans le pays et voyage deux fois de Philadelphie à Washington et à Monticello. De là, en 1796, il remonte la vallée de l’Ohio et puis part pour le territoire français de l’Illinois, qui est alors en déclin sous la pression démographique et politique de la grande poussée anglo-américaine au-delà des Appalaches. Au lieu de pousser vers le Sud le long du Mississipi, ce qui était originellement son intention, Volney se dirige au Nord vers les Grands Lacs inférieurs. Voyageant par Cincinnati, Detroit et Buffalo, il traverse le lac Érié, visite les chutes du Niagara, et descend alors l’État de New York par l’Hudson pour arriver finalement à Philadelphie après un voyage de sept mois. Mené à cheval, à pied ou en bateau, ce voyage a dû être un défi physique important. C’est à bien des égards une beaucoup plus grande épreuve que son itinéraire plus court à travers la basse Égypte et la côte de la « Syrie ». Aux États-Unis, Volney trouve une multiplicité de géographies et de sociétés bien au-delà de sa capacité, en tant que voyageur solitaire, à les assimiler et à en rendre compte analytiquement. C’est peut-être la raison pour laquelle il choisit de restreindre son livre, qu’il a initialement prévu de consacrer aussi bien à la géographie humaine que physique des États-Unis, à leurs seules conditions physiques46.

Lorsque Volney prend le temps de vivre parmi ceux qu’il étudie, il éprouve de la sympathie pour eux, aussi éloignée que soit leur philosophie de la sienne. Un des meilleurs exemples de ceci est dans sa réponse aux moines Coptes du monastère de Mar-Hanna. Au cours de son voyage en Syrie, Volney et son interprète s’arrêtent et séjournent dans ce monastère durant huit mois. Là, il lit, il étudie l’arabe et converse avec les moines. Volney est hostile à la religion, pas seulement à la religion chrétienne, mais à toutes les religions du monde. Il les regarde comme des systèmes complexes de propagation de l’injustice et de l’ignorance47. Face à la vie paisible et mesurée des moines de Mar-Hanna, Volney ne peut que s’émerveiller de la capacité de la société à produire le calme nécessaire à une érudition contemplative à partir d’un environnement régi par la tyrannie et le chaos résultant de la misère et du besoin. De manière caractéristique, il refuse de considérer la vie des moines comme séparée et distincte de la société alentour. En fait, il considère que c’est précisément la tyrannie arbitraire qui régit la vie des paysans, des boutiquiers ou des soldats en Syrie, qui, en dépit d’une règle rigoureuse et d’une vie contrainte, garde le monastère bien pourvu en novices48.

Bien que n’étant clairement pas un simple déterministe, et rejetant les arguments climatiques de Montesquieu, Volney n’en attribue pas moins une grande importance à l’impact de la nature aussi bien sur les individus que sur la société. Il divise la nature entre ses composantes : le climat (dans l’étude duquel il est lui-même un chercheur primordial) et le sol (pour lequel il tend à s’appuyer bien plus lourdement sur les experts). En tant que médecin et en tant que sensualiste, il considère que le climat joue un grand rôle dans le sentiment individuel de bien-être et dans la sensibilité à la maladie49. C’est la source de son intérêt considérable pour la climatologie. Volney est cependant plus intéressé par l’individu dans la société que par l’individu physiologique. En conséquence, dans les Questions de statistiques, il met aussi l’accent sur l’importance du climat pour l’agriculture, le commerce et la navigation. Le climat, pour Volney, n’est pas une présence fixe, mais un système global complexe et changeant dans lequel l’action du soleil sur la surface de la terre, la topographie et les vents interagissent pour créer à la fois des micro et des macroclimats. Il juge les climats aussi complexes que les hommes et la société humaine, et en vue de comprendre leur rôle dans l’influence qu’ils exercent sur les deux, ils doivent être un sujet d’étude en eux-mêmes, tels qu’ils se manifestent et changent d’un lieu à l’autre. Il explore donc la variation des températures sur de courtes périodes et les dangers de réduire les températures à des moyennes50. Il développe un concept très proche de notre concept de pression pour expliquer les changements de vent et d’humidité51. Il examine l’impact des masses d’eau sur le climat local et global comme résultat des mouvements des vents sur le terrain52. Enfin, il produit une description presque parfaite des vents côtiers alternatifs ainsi qu’une réflexion sur les causes de la désertification53.

Pour lui c’est à travers la maladie que le climat est le plus étroitement lié à l’humanité mais, de nouveau, pas à travers un seul canal. Volney prétend rarement être certain de la cause d’une maladie particulière et combine souvent des causes vraisemblables. Au Moyen-Orient, il trouve une corrélation entre la présence d’eau et ce que nous appelons cécité des rivières (Onchocerciasis)54 ; aux États-Unis, il note une corrélation entre un approvisionnement en eau provenant des marais ou pollué, l’urbanisation et l’incidence de la fièvre jaune55 ; et il suit la trace du mouvement saisonnier de la peste de Constantinople en Égypte56. Son approche de la maladie est à la fois subtile et souple, et sans connaître les microbes, les virus et les bactéries qui lui auraient permis de comprendre sa cause, il trouve néanmoins le moyen de suggérer les méthodes appropriées pour leur contrôle ou leur élimination. Ce qui explique le succès de son analyse est sa tendance, aussi bien dans les questions de climat que de maladie, à se pencher sur la distribution spatiale du phénomène en conjonction avec la distribution de n’importe quel facteur causal possible.

La relation entre la nature et l’humanité n’est pas unidirectionnelle. La nature est clairement la force dominante, mais l’humanité a le pouvoir d’altérer la nature – généralement pas pour le mieux. En référence à l’Égypte, il commente l’impact désastreux qu’un changement d’écoulement du Nil vers la mer Rouge bien avant qu’il n’atteigne Syène aurait sur la vallée du Nil et dit d’une manière acide :

« Observant les utilisations que l’homme fait de sa puissance, devons-nous reprocher à la nature de n’avoir pas accordé plus de pouvoir à l’homme ? »57.

Une série moins accessoire d’observations concerne son étude de l’impact de la déforestation sur le climat. Il est convaincu que la déforestation prenant place lors du processus de mise en valeur agricole en Amérique du Nord a deux effets de petite échelle mesurables : elle conduit au gonflement local des cours d’eau et à moins de pluie sur la région58. Mais il est également convaincu qu’un changement de climat d’échelle continentale est attribuable à une déforestation locale et même mineure à travers l’impact de l’absence d’arbres sur les vents et sur le réchauffement la terre par le soleil59.

Dans ses écrits géographiques, on trouve donc comme préoccupation centrale l’individu et la société façonnés à la fois par la nature et par l’environnement humain, gouvernemental et législatif, et en même temps influençant à la fois l’environnement naturel et humain. Pour Volney, le champ social représente un système complexe qu’il se sent à peine capable de décrire et à propos duquel il a peu de certitudes. Sa méditation le laisse plutôt avec une pléthore de questions complexes. Toutefois la manière dont il structure et aborde le sujet et les nombreuses contraintes qu’il stipule pour ceux soucieux d’explorer des questions similaires, suggéreraient à quiconque se souciant de suivre son orientation la méthodologie scientifique appropriée à une telle entreprise.

Le flambeau abandonné

Volney n’est pas géographe et jamais il ne se réfère à lui-même comme tel. Il décrit occasionnellement ses écrits sur l’Égypte et la Syrie comme de la géographie et il est clair, à partir de ces références, qu’il inclut sous cette rubrique les phénomènes physiques aussi bien qu’humains. Volney voit la géographie qu’il pratique comme une science. Cela ne veut pas dire qu’elle est bannie de l’étude de l’individu et de la société plus large. Cela signifie, en opposition à l’histoire, dans laquelle les faits ne peuvent pas être vérifiés, mais suggérés seulement par analogie puisque les faits historiques subsistent « seulement comme des apparitions dans le miroir magique de l’entendement humain où ils sont soumis aux plus bizarres projections »60, que la géographie est une science où il est possible de se déplacer et de voir par soi-même. C’est une science où il est possible de tester ses propres hypothèses. Les références que fait Volney à des géographes concernent largement ceux qui se soucient des cartes, des noms de lieu et de la détermination des lieux, des limites ou des étendues61. Volney n’est pas très intéressé par ces questions (elles n’occupent que trois pour cent des Questions de statistiques et il essaie rarement de les résoudre par lui-même). Il n’apprécie pas particulièrement les descriptions qui ne sont pas guidées par la théorie, qu’elle soit sous forme écrite ou cartographique.

Volney et ses écrits géographiques représentent à la fois un défi et une opportunité pour les géographes de l’époque. Il y a peu d’indications qu’avant 1795, les géographes aient reconnu les écrits de Volney comme liés à leur travail. Son Voyage en Syrie est connu et respecté par les géographes de l’expédition d’Égypte, mais ils l’utilisent comme une source d’information exacte plutôt que comme un guide de recherche et de méthodologie. Il est clair qu’à travers les cours à l’École normale, un contact est établi entre Volney et les géographes du courant dominant. Nous savons aussi qu’il a des contacts avec les géographes militaires au cours de sa carrière. Il rencontre Jacotin et l’équipe travaillant sur le cadastre corse lorsqu’il est en Corse, et une décennie plus tard, il les connaît et se souvient assez bien d’eux pour intercéder en faveur d’un de ces ingénieurs auprès de Napoléon62. On lui demande son avis lors de la détermination du système de transcription le plus adéquat pour la carte topographique d’Égypte et il est appelé au Dépôt pour vérifier et évaluer l’utilisation cartographique de ce système63. Et nous savons qu’il correspond avec Andréossy, qui avait été félicité par Napoléon en Égypte pour ses opérations de cartographie dans la région du lac Menzaleh, et avec l’un des fondateurs de la société française de géographie, Edme-François Jomard64.

Il est impossible de dire avec certitude si l’influence de Volney aurait conduit à une réforme dans la géographie si le flot ne s’était pas inversé, si Napoléon avait limité son pouvoir et son agressivité et si ce dernier n’avait pas éliminé la Classe des Sciences morales et politiques de l’Institut, dont une partie était l’incarnation réelle de la philosophie des Idéologues65. Volney est certainement déjà préoccupé par le cours pris par les événements lorsqu’il quitte la France pour l’Amérique en 179666. Il reste cependant engagé et impliqué à la fois dans l’activité politique et dans la recherche sociale jusqu’au concordat de 1801 avec le pape. À ce point, son respect pour Napoléon et sa croyance dans la possibilité d’un profond changement social se dissipe en raison de la militarisation du pays, de la presse muselée, de l’amnistie des aristocrates et du manque de respect pour la règle légale, mais plus spécialement du rapprochement de Napoléon avec le clergé. À partir du milieu de 1801, il maintient une attitude d’hostilité ouverte vis-à-vis de Napoléon et de ses politiques. Volney s’abstient largement de participer à la vie politique active, et semble se réfugier dans une forme plus érudite et restreinte d’étude67, alors que Napoléon continue à le récompenser par des honneurs et des salaires et pensions considérables pour ce qu’il a réalisé plus jeune. Ainsi, sous l’Empire tardif et au début de la Restauration, qui n’est pas plus favorable à l’enquête sociale critique, Volney se retrouve comme un homme sans illusions, mais riche et peu enclin à entreprendre le type de recherche sociale que son idéologie l’avait incité à poursuivre si vigoureusement en Égypte et en Syrie.

Suggestions d’une géographie scientifique
dans l’œuvre de Chabrol de Volvic

Si nous trouvons chez Constantin-François Volney les premiers mouvements d’idées et les approches annonciateurs d’une géographie sociale scientifique, nous trouvons dans Gilbert-Joseph-Gaspard comte de Chabrol de Volvic un homme qui pratique la géographie sociale scientifique des militaires et la fait porter sur quelques-unes des zones les plus vitales du domaine français.

Formé comme ingénieur militaire puis à l’École polytechnique, Chabrol de Volvic sort de l’école la même année qu’Edme-François Jomard. Sa carrière est remarquable, conduite dans les corridors mêmes du pouvoir, mais reflétant un esprit hautement imaginatif et indépendant. Affecté à l’expédition d’Égypte comme officier des Ponts-et-Chaussées, il est l’un des approximativement 150 chercheurs à demi-militarisés dont la charge est d’intégrer l’Égypte, ancienne et moderne, dans la France moderne. Des hommes tels que Chabrol de Volvic, ingénieurs, géographes et cartographes, sont des personnages-clés dans cette opération. En fait, en Égypte et plus tard, on fait de manière répétée appel aux compétences de Chabrol de Volvic pour aider à l’intégration de territoires nouvellement conquis dans le domaine français. Dans toutes ces opérations, Chabrol de Volvic travaille en liaison étroite avec des géographes68. En Égypte, nous savons qu’il s’efforce de fournir à Alexandrie une source régulière et permanente d’eau, tout en explorant, cartographiant et commentant les Antiquités, en aidant à déterminer l’effectif de la population, l’étendue des terres cultivables et le nombre de villages en Égypte pour l’administration générale afin d’établir un cadastre servant à régulariser le système des impôts.

Le premier objectif du cadastre égyptien est d’arracher le contrôle du système des impôts aux Coptes afin de supprimer les intermédiaires et de rendre la taxation à la fois plus efficace (et on peut le prétendre, peut-être plus juste) et plus lucratif pour les maîtres français de l’Égypte. Le système mamelouk de gouvernement dominé par les Ottomans, qui existait en Égypte depuis le XVIe siècle, avait toujours souffert de périodes de perturbations. Comme résultat, l’Égypte avait développé un système de gouvernement de type mafieux qui mettait l’accent sur de complexes relations de protection et de fidélité (basées sur un processus permanent de négociation) entre les différents groupes : les fellah (la paysannerie égyptienne), les Arabes sédentaires, les Bédouins, les Mamelouks et le Pacha et son entourage, les commerçants étrangers et les Coptes. Au cours de l’expédition d’Égypte, les Français ne cessent d’alterner des essais pour obtenir de tous ou de certains des intermédiaires qu’ils aident le gouvernement du pays, et des tentatives de les éliminer tous. La conception française de la société égyptienne idéale se clarifie avec le temps et se manifeste de façon évidente dans les écrits des membres de l’expédition, y compris ceux de Chabrol de Volvic. La société égyptienne sera composée de maîtres et de producteurs. Il y aura une petite élite française dirigeant le pays, une classe gouvernante composée essentiellement d’anciens Mamelouks, et au-dessous d’eux, les paysans, les marchands et les fabricants. Il n’y aura aucune place pour les Arabes à demi-sédentarisés, pour les officiels coptes et encore moins, pour tous les Bédouins, que Volney avait tellement respectés.

Le système musulman de propriété foncière de l’Iltizam, du Talak et du Waft, qui constituait le cœur et l’esprit des relations entre le Pacha, les Mamelouks, les Cheiks et les paysans, est considéré comme un obstacle au développement rationnel de l’agriculture et de l’industrie en vue de l’exportation. Avant son départ pour la France, Napoléon essaie d’instituer la propriété privée par décret (ou par la confiscation de toutes les terres non enregistrées comme privées)69. Le résultat est une révolte dans laquelle, ce qui n’a rien d’accidentel, le bureau du chef géographe/topographe de l’expédition est attaqué et le géographe lui-même tué. Le cadastre, qui devient la première responsabilité des cartographes/géographes de l’expédition, est un essai pour introduire la propriété privée (ou l’enregistrement de la propriété de la terre) lentement, systématiquement et irrémédiablement. Les essais écrits par les officiels ayant des curiosités ou affinités géographiques tels qu’Edme-François Jomard, le Général Antoine François Comte Andréossy, Du Bois Aymé, Michel-Ange Lancret, Louis Costaz et Chabrol de Volvic sur la population, l’agriculture, l’industrie, le commerce et le système foncier de l’Égypte sont orientés vers cette fin70.

Dans un travail dominé par l’attention aux restes de la civilisation égyptienne ancienne et par la cartographie comme approche, « l’Essai sur les mœurs des habitants modernes de l’Égypte » du jeune Volvic de Chabrol, publié dans la Description de l’Égypte, se situe un peu à part. Cet essai est fortement influencé par le propre voyage de Volney, les deux ayant le même intérêt pour les populations et les sources de leurs coutumes, et la conviction qu’un mauvais gouvernement se trouve à la racine des problèmes les plus sérieux du pays71. L’autre influence majeure dans cet essai peut être retracée dans la pensée géographique émanant du Dépôt de la guerre. Chabrol de Volvic se donne beaucoup de peine pour fournir des chiffres de population pour les différents peuples de l’Égypte, des Coptes (pour lesquels il éprouve une sympathie considérable) aux fellahs, aux Mamelouks et aux Arabes, qu’ils soient sédentaires ou nomades (pour lesquels il a beaucoup moins de sympathie). Ce type de géographie statistique est, dans la perspective de Chabrol de Volvic, une contribution à la science si valable qu’elle représente le meilleur du travail mené par les Français en Égypte72. Chabrol de Volvic n’est pas le seul géographe à se montrer attentif aux statistiques de population. Il apprécie le « Mémoire sur la population comparée de l’Égypte ancienne et moderne » publié par Jomard dans la même collection, et l’en remercie. L’essai de Chabrol de Volvic exprime plus clairement la vue, alors prédominante au Dépôt de la guerre, selon laquelle ce sont les statistiques de population qui permettront au gouvernement d’évaluer les ressources de l’Égypte, d’en comparer la production et la consommation, de comparer les impôts aux revenus et de stabiliser l’économie publique. Bien qu’à ce stade Chabrol de Volvic manque d’une partie de la sympathie de Volney (et de l’opportunité de vivre au sein d’un peuple selon les termes de celui-ci), il y a dans son travail un intérêt anthropologique naissant qui, selon le travail de Jomard, est subordonné à l’évaluation numérique et à la valeur politique de sa statistique. Chabrol de Volvic est incapable de structurer l’intérêt considérable qu’il a pour les coutumes locales, et son essai se décompose souvent en une série de mini-essais sur des coutumes particulières. Dans ceux-ci, on peut trouver de petits trésors d’observation sur la vie de rue du Caire, sur l’absence de violence physique parmi les citadins même dans le cadre de conflits personnels, et sur le rôle et les comportements des femmes dans la société.

Après son retour d’Égypte, où il a retenu l’attention de Napoléon, Chabrol de Volvic est nommé sous-préfet de Pontivy. C’est un bon choix pour cet emploi. L’idée de Napoléon est d’y construire une nouvelle ville, connue un temps comme Napoléonville, qui ouvrira une partie de la Bretagne au contrôle impérial. Comme Paolo Morachiello et Georges Teyssot l’ont montré, la fondation de Napoléonville fait partie d’une nouvelle vision du territoire national/impérial, née de principes physiocratiques qui cherchent à intégrer les régions à travers un système de connexions et de communications internes et par la mise en place d’une claire présence de l’État. Les connexions et les communications incluent la canalisation de rivières jusque-là non navigables, la construction de routes nationales et le développement de facilités portuaires. La mise en place d’une claire présence de l’État peut être réalisée par l’établissement de noyaux de pouvoir étatique loin de son centre principal, mais à des intersections de routes de communication vitales. Ces noyaux, ou villes, par leur structure et leur architecture, parleront clairement de la présence du pouvoir national. C’est une conceptualisation très moderne du contrôle étatique qui implique une sorte de colonisation intérieure par laquelle les centres de résistance à l’État centralisé seront intégrés dans le système national73.

« Au fond de la politique de communication se trouve le concept de l’État comme unité fiscale et formelle, plus seulement un ensemble d’individus ou de classes, mais un territoire rendu compact et impénétrable par une autorité centrale. Une telle conception du territoire rehausse les corps techniques de l’État et par conséquent des ingénieurs chargés de mettre en œuvre cette politique »74.

Chabrol de Volvic, l’ingénieur et de plus en plus le planificateur urbain et régional, supervise les projets des bâtiments étatiques officiels : la nouvelle mairie, l’école, le tribunal et la prison. Ce sont ces édifices, surtout, qui rendent visible l’autorité de l’État dans la région. Il dessine aussi le plan d’ensemble de la ville, qui doit loger 6 000 personnes.

Dans ses activités à Napoléonville, Chabrol de Volvic fonctionne clairement comme un instrument de l’État. Et pourtant, même à ce stade précoce, nous avons le sentiment d’un homme avec ses convictions propres et tout à fait modernes. Les plans originaux de Jean-Baptiste Pichot, ingénieur en chef du Département du Morbihan, cherchaient à régulariser le style, l’emplacement et l’usage non pas seulement des édifices publics, mais aussi des constructions privées dans la ville.

Le plan de Chabrol de Volvic, qui est finalement adopté en mai 1805, fournit l’infrastructure de communication et la forme et position des édifices publics, mais il laisse les résidents largement libres de construire et d’utiliser leurs terrains comme ils le désirent. Nous voyons ici les débuts de la relation symbiotique entre la libre entreprise et l’État qui caractérisera l’œuvre administrative de Chabrol de Volvic à Paris et qui diffère tant des essais de l’Ancien Régime de contrôler à la fois la population et la croissance commerciale de Paris. Il est également intéressant de remarquer sur ce point l’attachement de Pichot aux idées, qui revenait presque à une croyance plus grande à la réalité de ses cartes et plans qu’à celle de la rue. Cela reflète bien la fixation sur la représentation à base de chiffres, à l’exemple de la géométrie descriptive, si évidente parmi les géographes et les ingénieurs en Égypte75. Il est intéressant et significatif de voir que Chabrol est déjà, en 1805, en train de s’éloigner de cette vision pour un sentiment plus nuancé de la complexité de la société. Son succès dans son rôle de sous-préfet de Napoléonville attire de nouveau l’attention de Napoléon. En conséquence, il est nommé en 1806 préfet de Montenotte.

Si le rôle de Chabrol de Volvic est, politiquement, relativement mineur en Égypte et de second rang, peut-être, à Napoléonville, comme préfet de 1806 à 1812, il incarne l’État dans la nouvelle province française de Montenotte. Montenotte est une création administrative française qui s’inscrit au rebours des structures commerciales et administratives de l’Italie du Nord. La Ligurie, (dominée avant par Gênes) et le Piémont (auparavant lié à la Sardaigne), sont combinés par Napoléon pour créer une extension de la France en Italie du Nord. À Montenotte, c’est la mission assignée à Chabrol de Volvic de réorienter ces deux économies indépendantes en une symbiose littoral-Apennins. Dans cette nouvelle géographie économique, le bois et le charbon de bois des collines alimenteront la production de fer et la céramique de la côte, cependant que la production agricole aussi bien qu’industrielle sera réorientée (en acquittant des droits élevés) vers la France par la route, ou vers la France ou ailleurs par la mer. Montenotte devra produire et exporter des biens primaires et importer des biens manufacturés de France76.

À cette fin, Chabrol de Volvic propose la construction d’une route de Nice à Gênes et celle d’un grand port méditerranéen à la Spezzia77. C’est une traduction directe et pratique du désir de Napoléon d’augmenter la puissance relative de la France face à « l’oppresseur des mers », la Grande-Bretagne78. Comme les ingénieurs civils et militaires, et de plus en plus le gouvernement français lui-même, en sont venus à le reconnaître, le premier pas d’une telle réforme est toutefois la collecte d’informations sur la richesse actuelle et potentielle du pays en termes de ressources naturelles, de population (y compris des calculs sur la force moyenne des travailleurs dans certaines régions et industries), d’agriculture (olives, soie, arbres fruitiers, grains, etc.), d’industrie et de commerce79. Dans ce qui demeure une étude géographique de valeur, sa Statistique des provinces de Savone, d’Oneille, d’Acqui, d’une partie de la province de Mondovi, formant l’ancien département de Montenotte, Chabrol de Volvic utilise les recherches menées par les géographes militaires travaillant dans cette zone en plus de ses propres observations pour créer un tableau remarquablement détaillé de la société et de l’économie de la région.

Dans cette étude, Chabrol fait quelques grandes déclarations sur les bénéfices que le gouvernement français pourrait tirer de l’Italie. Son administration a conduit à une réforme agricole importante, à la reforestation pour contrer l’érosion et reconstruire une ressource épuisée, à l’extension de la culture de l’olivier, à l’expérimentation de la betterave à sucre (qui devait bientôt ruiner les Indes occidentales) et de la production de coton, et à l’établissement d’un système organisé de marchés grâce auquel l’offre et les prix pouvaient être guidés et la thésaurisation ou les actions monopolistiques réduites. Il a cherché à introduire ou réintroduire des industries locales, dont la production de poterie à Savone et l’extraction du lignite à Cadibona. Il a même proposé l’introduction de hauts-fourneaux qui devaient travailler avec des matières premières venant de Noli ou de l’île d’Elbe. Il a aussi initié une réforme urbaine moderne sous la forme d’égouts, d’une brigade de pompiers, d’eau potable de qualité, de la vaccination contre la variole, de bains publics et du déplacement des cimetières vers les abords de la ville80. Dans le livre où il rapporte ses activités et qu’il publie une décennie plus tard, Chabrol de Volvic n’est pas soucieux de se distancier de ses fonctions et d’évaluer les avantages et les inconvénients de la domination française sur la région. Il suppose plutôt que toute la structure imposée était saine et positive, et une simple question de bonne administration. Là comme en Égypte, il est clair que ce dont on avait besoin était une « autorité bienveillante »81 pour surmonter les difficultés présentées par le climat et la géographie physique de la région et par « les vieilles coutumes et surtout… les institutions du pays »82. Jamais auparavant ce peuple n’avait bénéficié d’une administration qui, avec fermeté, s’était tenue au-dessus de tous les intérêts locaux (« une multitude de petites passions dans un état constant d’agitation »83) et avait projeté la région vers l’avant dans une seule direction. C’était ce type de vision unilatérale et un sens du paysage de l’ingénieur qui auraient été nécessaires pour le projet favori de Chabrol de Volvic, celui qui ne fut en fait pas réalisé avant le XXe siècle, de canaliser les voies d’eau d’Italie du Nord pour créer un système navigable du golfe de Gênes à l’Adriatique. Pour Chabrol de Volvic, la bonne administration française, une réforme des infrastructures et de grands projets comme le grand canal auraient « répandu l’aisance et le confort dans toutes les classes, et en particulier dans le peuple »84.

Chabrol de Volvic, administrateur actif et imaginatif, semble avoir gagné l’approbation de Napoléon en particulier par la manière habile dont il traite le Pape Pie VII.

Celui-ci avait longuement lutté contre Napoléon et le gouvernement français à propos de la délimitation des pouvoirs de l’Église et de l’État. Ce qui était apparu comme un compromis à l’amiable en 1801 avec le Concordat, s’était désintégré en relations agitées avec le rejet en 1802 de la juridiction papale en France et en un conflit ouvert en 1808. En 1809, Pie VII est fait prisonnier et exilé de Rome. Napoléon l’envoie à Savone, où il est ajouté aux responsabilités de Chabrol de Volvic. La situation est délicate. La France est un pays catholique, historiquement et déclaré tel dans le Concordat de Napoléon avec le Pape. Il en va bien sûr de même des nouveaux territoires italiens conquis. Napoléon est parfaitement conscient du fait que l’attachement du peuple à sa religion est très réel. La tâche de Chabrol de Volvic est de fonctionner en tant que geôlier du Pape et de veiller à ce qu’il ne communique pas secrètement avec son clergé, que ni le Pape ni le clergé ne publient ou n’inspirent la publication de quoi que ce soit qui soit politiquement sensible, et que les actes et les déclarations de loyauté au Pape soient maintenus à un niveau minimum dans la population générale85. C’est une tâche difficile et déplaisante, mais Chabrol de Volvic traite son prisonnier avec un respect dont toutes les parties se souviennent et avec la fermeté et la rigueur nécessaires pour éviter un désastre politique. C’est en partie en reconnaissance de cette performance que Napoléon le nomme préfet de la Seine en décembre 1812.

Dans ses nouvelles fonctions, Chabrol de Volvic se révèle un administrateur si imaginatif et si efficace qu’à une époque où les membres de la haute administration changent à chaque régime, il est jugé indispensable. Dans les jours très troublés de la fin du règne de Napoléon en 1814, et puis de nouveau durant la Première Restauration, il est capable de faire fonctionner la ville sans heurts en dépit de la présence d’effectifs considérables de troupes étrangères.

C’est principalement pour cette raison qu’il reste préfet de Paris de 1812 à 1830, avec un bref hiatus durant les Cent Jours de Napoléon à Paris en 1815. La Restauration est une période de croissance urbaine et économique rapide qui est ressentie à Paris comme faite de foules, de bruit, de congestion, de retard et d’incidence croissante des accidents de la route. En tant que préfet, Chabrol de Volvic est responsable d’un nombre important d’innovations dans la ville. Le plus important, c’est qu’il développe une vision analytique de la ville selon laquelle l’information sur les activités de celle-ci est collectée et analysée pour produire un tableau d’ensemble du fonctionnement de la cité. C’est ainsi qu’il développe et réalise un recensement urbain de Paris. Ce recensement est aussi un essai pour en avoir une vue élargie à travers le rendu de ses détails. Ce que Chabrol de Volvic a besoin de saisir dans ce recensement, ce n’est pas une image statique de Paris, mais le mouvement et les transformations de sa population, de ses activités et des utilisations de l’espace qui en résultent.

Chabrol de Volvic ne voit pas Paris comme une île isolée. Comme l’a souligné Nicolas Papayanis, il adopte la conception moderne de la ville comme centre de production et d’échange, clé de la prospérité de la France rurale86. En ce sens, il existe une réelle cohérence entre le travail de Chabrol de Volvic à Napoléonville, à Montenotte et à Paris. Les trois territoires avaient un rôle à jouer dans la circulation et les systèmes économiques et territoriaux de l’État français moderne, un rôle qu’il était possible de gérer et d’améliorer. Afin qu’elle fonctionne à pleine capacité comme centre économique, dans la perspective de Chabrol de Volvic, Paris a besoin d’un système perfectionné de circulation capable d’assurer le déplacement des gens, des biens, de l’eau et des eaux usées. À cette fin, c’est sous son administration que les canaux de Saint-Martin et Saint-Denis sont creusés et qu’une série d’améliorations de la structure commerciale et physique sont proposées et mises en route ; elles incluent la construction d’entrepôts et d’abattoirs, l’élargissement des rues commerciales importantes (bien que ce qui est réalisé reste en retrait des propositions), la distribution générale de l’eau du canal de l’Ourcq à tous les édifices publics de la ville et l’introduction d’un système d’égouts pour évacuer les eaux usées.

L’apparence de la ville est également importante pour le préfet, bien qu’il considère l’embellissement comme second par rapport à la mobilité aisée des gens et des biens. Ses projets d’embellissement portent néanmoins sur la construction de la colonnade extérieure de la Bourse, quelques ponts, quelques églises, un certain nombre de fontaines et de marchés et la mise en place proposée de trottoirs sur les boulevards. On peut soutenir que la construction de fontaines, de marchés et de trottoirs a autant à voir avec l’efficacité de la ville qu’avec sa beauté. La beauté pratique de Paris, qui permet le mouvement dans le centre de la ville sans sacrifier les perspectives, les espaces ouverts et toute une série de services et d’aménités, des hôpitaux aux monuments, n’a peut-être été mise en place que dans le cours du XIXe siècle, mais c’est Chabrol de Volvic qui lui donne l’impulsion initiale.

C’est dans les quatre premiers volumes de ce qui devient, de 1821 à 1860, le rapport annuel de la préfecture de la Seine, Recherches statistiques sur la ville de Paris et le département de la Seine, qu’apparaît le mieux le caractère éclairé de l’administration de Chabrol de Volvic. C’est une innovation majeure pour l’administration et représente une des analyses statistiques les plus avancées prenant alors place en France. Le travail est composé avec l’aide du mathématicien Jean-Baptiste Fourier, qui est – on peut le supposer – l’organisateur des cinq premiers volumes des Recherches statistiques87. De plus, Fourier est responsable de deux essais théoriques sur l’erreur dans les mesures et les probabilités, et sur la théorie des statistiques démographiques, dans les volumes 3 (1836), 4 (1829) et 5 (1833) de la collection. Chabrol de Volvic impulse le travail et écrit sur les applications en matière de police des résultats statistiques. Deux géographes, Edme-François Jomard et le baron Walckenaer, ce dernier comme secrétaire général de la préfecture de la Seine, sont aussi impliqués dans cette production88. Ce qui est clair aussi dans ce travail, c’est l’engagement de Chabrol de Volvic pour un type de collecte de statistiques, tâche à laquelle il a dû être d’abord introduit en tant qu’ingénieur soit à l’École Polytechnique, soit en Égypte parmi ses collègues géographes. Dans ce premier volume, Chabrol inclut un extrait du rapport au Ministre de l’Intérieur en 1818 dans lequel il décrit comment il a adapté le recensement de 1817 aux besoins et aux réalités de la vie urbaine. Des agents de recensement à plein temps ont été recrutés et ont reçu des incitations financières pour n’oublier personne. Une hiérarchie d’agents a été établie afin que la collecte des données soit contrôlée indépendamment sur une base quotidienne et que les complications puissent remonter la chaîne au lieu de causer des retards dans la collecte. La vitesse est de la plus grande importance et Chabrol de Volvic se félicite d’avoir recensé 700 000 personnes en quarante jours. On recherche bien plus qu’une information générale sur le nombre de personnes vivant à Paris. Les recenseurs ne s’enquièrent pas seulement du nombre de personnes dans chaque maison, mais du sexe, du statut marital, de l’âge, de la profession… Comme résultat, Chabrol de Volvic et ses collègues sont capables de produire des tableaux qui commencent à refléter la vie dans Paris – bien que Chabrol de Volvic fasse lui-même le commentaire qu’aucune statistique ne peut vraiment capturer la diversité des activités dans la ville89.

Les statistiques sont pour Chabrol de Volvic bien plus qu’une collection de faits. Elles représentent un engagement dans la science sociale, dans l’observation rigoureuse, dans l’élaboration d’une méthode, dans l’identification de relations entre phénomènes sociaux, et, là où c’est possible, dans leur expression en des lois constantes. Nous trouvons, sous sa plume, le même type d’engagement pour la recherche sociale qui peut être trouvé dans les écrits de Volney :

« Nous choisîmes le tableau comme la forme d’expression qui était la plus concise et qui rendrait la comparaison facile. Le style de la dissertation et de la conjecture est, en général, opposé au progrès réel de la statistique, qui est avant tout une science d’observation. Les tables ont l’avantage d’exclure la discussion oiseuse et de rapporter toute recherche à son but premier, c’est-à-dire l’énumération méthodique des faits. »

« En fait, il serait très important de connaître la relation entre ces faits ; mais l’étude des causes est lente, difficile et incertaine. Elle est riche d’erreurs quand elle n’est pas le produit de la sagesse, de la connaissance et d’une longue méditation »90.

Chabrol de Volvic espère découvrir des lois sociales dans une forme précoce de pyramide des âges, à laquelle il se réfère comme « la loi de la population », dans la constance des grands nombres et dans la similarité des configurations qu’il discerne à la fois dans les systèmes naturels et dans la population, et dans les statistiques de mouvements de population. En fait, il se réfère aux statistiques de population comme à « l’histoire naturelle de l’homme ». Son engagement pour les tableaux, préférés aux  cartes, ne diminue en rien la nature très géographique de la recherche qu’il mène. Les cartes demandent une complétude de la statistique qui, simplement, n’existe pas ou n’est pas réalisable dans les deux premières décennies du XIXe siècle. Comme Bernard Lepetit l’a montré, dans ce domaine aussi (le domaine du social), à peu près des années 1790 aux années 1830, la description relativement simple de la carte topographique, produite par exemple par les Ponts-et-Chaussées pour la construction et l’amélioration des routes de France, est de plus en plus remplacée par les tableaux statistiques. Ces statistiques font progresser les possibilités d’analyser des variables multiples, qui peuvent inclure non seulement la localisation, mais aussi la condition des routes, le calendrier des travaux à effectuer, le moment d’achèvement des segments de routes, le coût par toise pour entretenir la construction, l’importance ou l’utilité de la route… De plus, les chiffres ne lient pas les données à une échelle, et les distances et les mesures n’ont pas à être recalculées pour chaque utilisation (comme cela aurait été le cas pour une analyse de type cartographique)91. En bref, la statistique sous forme de tableaux améliore l’analyse. L’information géographique est jugée importante. Cependant, vue la technologie de reproduction des cartes de la période et la difficulté d’obtenir des données complètes et cohérentes, l’information géographique même peut être plus facilement et plus fructueusement représentée sous forme de tableaux. Ce que Chabrol de Volvic et son équipe peuvent faire, et font, c’est de collecter certaines statistiques, en particulier celles sur l’âge, le sexe et la profession, par arrondissement. Si bien que beaucoup de ces tableaux contiennent un élément géographique intéressant92. De cette façon, aussi, Chabrol de Volvic exprime sa façon de voir et de comprendre le monde, ou la connaissance administrative en opposition aux sciences de « spécialistes ». Il le fait beaucoup à la manière dont les géographes du début du XIXe siècle ont l’habitude de décrire leur champ :

« Il y a une recherche qui est consacrée à l’étude assidue de la nature et des arts, mais qui ne tombe pas dans la compétence de l’administration. Celle-ci embrasse les objets dans leur totalité et doit se limiter à une connaissance générale des faits »93.

La précision appropriée aux sciences de spécialistes et aux arts n’est tout simplement pas nécessaire à l’administration, ni, pour autant qu’Adrien Balbi, Barbié du Bocage et S. Berthelot sont concernés, pour la géographie94.

Le premier volume (1821) est composé d’à peu près 120 pages de texte introductif et explicatif et par plus de 60 tableaux. Dans ceux-ci, Chabrol de Volvic et ses collègues explorent les conditions physiques importantes pour la vie des Parisiens depuis 1789, telles que les températures mensuelles moyennes maximales et minimales, l’humidité, les « conditions » (neige fondue, pluie, etc.), la direction du vent et la pluviosité totale. Dans une autre page, ils rapportent le niveau d’eau de la Seine pour chaque jour de l’année. Cela est suivi de tables donnant la population de Paris en termes de nombres de maisons, de ménages, d’individus et de groupes collectifs dans chaque quartier de Paris. Des tableaux individuels montrent la distribution générale par âge, sexe et mariage (par tranche de 5 ans d’âge) et la population totale par âge de chacun des douze arrondissements. Un diagramme montre quel groupe d’âge domine dans tous les arrondissements est aussi inclus, et une carte montre l’extension de Paris depuis César (avec quelques sous-tableaux sur, par exemple, la nature du terrain dans le Paris contemporain). D’autres tableaux expliquent le système de numérotation des maisons et fournissent des données sur l’éclairage et le balayage des rues. Un ensemble suivant fournit des informations sur les naissances, décès et mariages en 1816, 1817, 1818 et 1819, avec des détails sur la cause des décès et même sur les moyens utilisés lors des suicides (plus fréquents chez les hommes que chez les femmes, et plus communs parmi les gens mariés que parmi les célibataires). L’ensemble suivant de données, le plus intéressant peut-être, décrit l’infrastructure de l’assistance publique dans la ville de Paris, avec le nombre d’hospices et d’hôpitaux et leurs patients hommes ou femmes, mariés ou célibataires, et aussi la profession qu’ils avaient avant leur accueil. Le nombre et le taux d’indigents dans chaque arrondissement sont aussi mesurés, ainsi que le nombre de personnes aidées à domicile par l’assistance charitable, ainsi que le type et le nombre de biens donnés aux pauvres. Un ensemble final de précisions chiffrées dans ce groupe cherche à comparer l’assistance aux pauvres dans Paris par période depuis les années 1790. D’autres ensembles de tableaux observent la production agricole dans Paris, la consommation de toutes sortes de biens, l’instruction (un intérêt favori de Jomard et aussi, incidemment, de Volney), les recettes des principaux théâtres et des spectacles mineurs, et le nombre des véhicules et des conducteurs enregistrés dans Paris. Chabrol de Volvic ne considère pas toute cette information comme d’importance équivalente, mais il est correct dans son jugement : à savoir que l’analyse statistique de Paris fournit une compréhension de la cité que des volumes de description n’auraient pas assurée.

Les volumes suivants introduisent un essai historique sur la population de Paris depuis 1670, des tableaux de valeurs de la propriété, des tableaux sur les impôts versés par Paris à l’État, un mémoire sur l’élargissement des rues, quelques tableaux ponctuels concernant par exemple le nombre et la localisation des incendies depuis 1794, un mémoire par Daubenton sur les moyens de financer les changements de la structure de la ville proposés par Chabrol de Volvic, et une attention continue à la population, l’industrie, le commerce, les institutions civiles, la consommation et les finances de Paris, avec un accent croissant sur un noyau de statistiques comparables.

Dans le travail et la carrière de Volvic de Chabrol, nous observons l’une des plus heureuses alliances entre l’État et les débuts de la pensée sociale scientifique. Nous observons aussi un homme qui consacre sa carrière à gérer, structurer et organiser le territoire95. Chabrol de Volvic ne se considère pas comme un géographe. En un sens, il fonctionne aux marges de ce domaine. Il travaille en lien proche avec des géographes tout au long de sa carrière et il applique, et développe parfois des concepts et techniques, en particulier dans le domaine de la statistique géographique, qui ont trouvé une première expression chez les géographes militaires et dans les articles de Volney. En vertu de sa propre compétence administrative, de son ordre et sens de la responsabilité fiscale et de son utilité pour l’État, et parce que, bien qu’il ait loyalement servi Napoléon, ses origines et sympathies étaient plus naturellement royalistes, il réussit à garder l’équilibre lorsque les sables politiques sont mouvants dans la période 1814-1815. Il a moins de chance en 1830. Bien que son attitude face à la croissance urbaine ait été relativement éclairée par comparaison à la tendance de l’Ancien Régime à la contrôler et à la réduire, Paris a un problème important et croissant de population et de logement. Chabrol de Volvic essaie de faciliter le mouvement des biens, des gens et des eaux à la fois de consommation et usées, mais il fait peu en ce qui concerne l’entassement dans les aires les plus pauvres du centre de la ville. Paris est également vulnérable aux paniques financières et aux cycles de chômage, et connaît des fluctuations significatives à la fois de l’approvisionnement et du prix des nourritures de base en 1811-1812, 1815-1816 et 1827-1829. Chabrol de Volvic n’est pas insensible à la manière dont ces problèmes sont vécus par les pauvres. Il n’a probablement pas compris le degré de surpeuplement du centre de la ville. Il essaie d’y faire face en 1815-1816 en attribuant aux pauvres une taxe différentielle sur le pain. Il s’est peut-être trop engagé dans des emprunts excessifs pour financer certains des grands projets de travaux publics des années 1820, et il reconnaît que peut-être certains d’entre eux, avec plus d’expérience, auraient pu être réalisés à plus bas prix. Dans une grande mesure, ces problèmes sont de loin plus grands que le préfet ou, en fait, que Paris96. Quand la misère devient intolérable dans les rues de Paris, les pénuries, les prix élevés et le chômage sont perçus comme de sa responsabilité. De plus, le style administratif de Chabrol de Volvic est né et s’est développé sous le règne autocratique de Napoléon d’abord, puis de la monarchie restaurée. Les structures, les procédures et l’humeur, sous la monarchie constitutionnelle, pour ne pas mentionner le rôle très différent d’une presse relativement peu censurée, modifient la position et la stature du préfet. L’effet cumulatif est que Chabrol de Volvic cesse d’apparaître comme l’homme de l’emploi. En fait, l’emploi lui-même subit quelque modification après son départ en 183097.

Adrien Balbi : le point de vue du géographe
sur les statistiques sociales et l’ethnographie

L’approche de Chabrol de Volvic sur la statistique sociale a été l’une des plus sophistiquées dans la France du début des années 1820. Ses Recherches statistiques sur la ville de Paris et le département de la Seine ont été compilées et conçues avec l’aide d’un des mathématiciens des plus en vue de l’époque, Jean-Baptiste Fourier. Les statistiques sont présentées dans le but de résoudre une série de problèmes socio-spatiaux complexes. Ces problèmes se manifestent au cœur du territoire national français, où la menace d’agitation rend impossible que quelque régime que ce soit les ignore. Il y a par conséquent un considérable support financier et d’infrastructure pour mener les investigations que dirige Chabrol de Volvic. Bien qu’il travaille avec des géographes tout au long de sa carrière et qu’il ait été incontestablement influencé par eux à un stade précoce de sa formation, Chabrol de Volvic n’est pas un géographe. Il est pour cela intéressant de comparer cet usage des statistiques par un individu puissant et formé à un haut niveau à la façon dont les géographes du courant dominant les comprennent et les utilisent. En dehors d’André de Férussac et de sa courte incursion dans l’écriture de textes géographiques, le géographe le plus intéressé par l’utilisation des statistiques dans sa recherche est Adrien Balbi.

Adrien Balbi est né à Venise en 1782. Professeur de mathématiques, physique et géographie mathématique et physique en 1815, il quitte l’Italie en 1819 pour des raisons personnelles liées à un mariage inacceptable, peut-être. Il passe approximativement deux ans au Portugal puis vient en France, où il travaille durant quatorze ans. Sa géographie est profondément influencée par les écrits et la réputation de Conrad Malte-Brun, qu’il semble avoir considéré comme le meilleur géographe du monde même avant d’avoir quitté l’Italie98. Les contemporains considèrent cependant Malte-Brun et Balbi comme des types différents de géographes. Dans son article sur Malte-Brun pour la Biographie universelle, La Renaudière, écrivant vers 1843, décrit Malte-Brun comme le fondateur d’une école romantique de géographie, juste comme Ritter a fondé l’école philosophique allemande de géographie et Balbi l’école positive de géographie99. Dans une partie de sa correspondance avec Adrien Balbi, Malte-Brun souligne pourtant son scepticisme à l’égard de la statistique et de son utilisation comme modèle de recherche100. Son scepticisme est entièrement en accord avec son approche plus littéraire en géographie101.

L’intérêt d’Adrien Balbi pour la statistique et les limites de son approche en ce domaine ne sont nulle part plus claires que dans deux de ses travaux : son Essai statistique sur le Royaume du Portugal et son Essai statistique sur les bibliothèques de Vienne102. Le premier travail, publié en 1822, peut être regardé comme l’œuvre d’un jeune géographe en dépit du fait qu’il ait déjà publié deux géographies universelles (en de nombreuses versions et éditions) et une géographie de l’Europe. L’étude statistique des bibliothèques de Vienne est publiée en 1835, trois ans après la sortie de son grand œuvre : une géographie universelle en un volume, l’Abrégé de géographie rédigé sur un nouveau plan, en 1 500 pages de caractères de très petite taille – une fonte de 6 au lieu de 12. L’essai en deux volumes de Balbi sur le Portugal est une étude détaillée du pays, dont le but est de faire connaître en Europe, mais à un autre niveau, le Portugal depuis longtemps localisé et cartographié. Balbi soutient que le reste de l’Europe fonctionne avec une connaissance du Portugal qui est caricaturale et lourde de préjugés. Son intention est de partir des faits et de reconstruire dans l’esprit des Européens l’image du Portugal. À cette fin, il fournit une description complète du pays, de son histoire jusqu’à se conditions naturelles et ses productions, la structure de son gouvernement ainsi que son commerce, son industrie, son agriculture et sa littérature. L’essai en un volume sur les bibliothèques de Vienne est, par l’échelle, un travail de loin moins ambitieux. Là aussi pourtant, le but de Balbi est de faire connaître aux Européens cultivés ces bibliothèques et leur importance relative au sein de la civilisation européenne. Dans les deux travaux, le but final et l’approche sont la description. En plus de ces deux œuvres, Balbi est l’auteur d’un atlas ethnographique du monde, une des toutes premières productions de ce type, et d’une longue introduction à ce travail103. Bien que ses travaux ethnographiques n’aient que relativement peu à voir avec la statistique, ils montrent les mêmes tendances structurales que ses œuvres plus statistiques et éclairent sa pensée et son approche.

Il y a, dans l’œuvre de Balbi, les premiers scintillements d’une géographie sociale scientifique. Il est certainement au courant d’une large gamme de travaux statistiques, des statistiques commerciales de Sébastien Bottin et de la recherche de Chabrol de Volvic sur Paris104. C’est toutefois conceptuellement que l’œuvre de Balbi offre des signes de préoccupations sociales plus modernes. Au niveau le plus simple, le désir de sortir des stéréotypes est fort et certainement plus soutenu que dans beaucoup des textes de la période. Balbi rejette l’idée que l’agriculture portugaise est faible parce que les Portugais sont paresseux105. Les raisons de la stagnation du Portugal dans le domaine agricole sont historiques et structurales, ayant à voir, comme Volney pourrait le soutenir, avec le mauvais gouvernement, mais elles sont aussi liées à l’impact de l’agriculture coloniale, au manque d’investissement, au contrôle excessif exercé par l’Église, au système foncier et à la faible population. Pourtant, ailleurs dans son texte et bien que ces assertions ne le satisfassent pas, il est encore prêt à recourir au « caractère du peuple », discours si typique du XVIIIe siècle106. On trouve parsemée dans le texte la preuve d’une curiosité sociale moderne. Balbi pose la plus traditionnelle question du XVIIIe siècle : qu’est-ce qui fait la richesse de l’État107 ? Il se demande aussi : qu’est-ce que la pauvreté et qu’est-ce qui appauvrit une paysannerie108 ? Pourquoi un territoire aussi riche et divers que le Portugal souffre-t-il de dépopulation, alors que la croissance démographique de la vallée de l’Ohio semble sans limite109 ? Quels sont les coûts et les bénéfices pour le peuple, la campagne et le gouvernement d’une association commerciale comme « la Compagnie générale des vins du haut Douro »110 ? Quel impact peut avoir, sur la justice et le bon fonctionnement de la société111, un code juridique ancien fondé sur des principes inévitablement conflictuels et désormais obsolètes dérivés des lois romaine, barbaro-romane, chrétienne médiévale, juive, islamique et plus récemment portugaise ? Balbi a de plus des éclairs d’intuition spatiale. Il ne peut pas comprendre pourquoi, alors que le Portugal a une considérable production annuelle de blé, dont il est en position d’exporter une bonne partie, le pays en importe pourtant régulièrement une grande quantité. Ce qu’il suspecte, mais qu’il ne cherche pas à prouver, c’est que ce blé est nécessaire pour nourrir la population de Lisbonne, essentiellement inaccessible par la route depuis le reste du Portugal112. L’intuition est limitée et reste non démontrée, mais elle suggère l’esquisse d’une compréhension, si bien mise en évidence par le travail de Chabrol de Volvic, des dynamiques entrecroisées de la production, de l’échange et des infrastructures de transport. L’idée même, inhérente à l’étude de Balbi sur le Portugal, selon laquelle une société peut être divisée en éléments ou manifestations mesurables est moderne et reflète un premier pas important vers l’enquête sociale. En faisant ce pas, le gouvernement est à la fois une source importante d’information statistique, que Balbi pourchasse sans répit, et la source possible de réformes aussi diverses que le recours au contrôle des importations pour protéger l’agriculture locale et la plantation d’arbres pour la protection des dunes de sable côtières113. Il est important de noter que Balbi ne problématise pas l’identification des éléments d’une société ou même comment ceux-ci peuvent être mesurés. Il est pourtant loin d’être inintelligent et a conscience de la lumière que l’on peut tirer d’une statistique bien choisie, telle que le nombre de volumes d’une bibliothèque114.

Son atlas ethnographique et le texte qui l’accompagnent sont de loin plus innovateurs que sa description du Portugal ou des bibliothèques de Vienne. Dans ce travail, Balbi cherche à rassembler toute la recherche acceptable présente ou passée sur ce qui commence à être connu comme la linguistique afin de produire une synthèse des langues du monde. Derrière ceci, il y a un argument que, comme nous allons le voir, Balbi a du mal à étayer, selon lequel cette ethnographie serait – ou ne serait pas – synonyme de linguistique115. Un argument selon lequel les peuples devraient être rangés non pas par races mais par langues. L’idée est originale et fascinante. Le lecteur moderne peut bien sûr regretter que Balbi n’ait pas retenu cette idée tout-à-fait originale et n’ait pas consacré sa vie à son développement. Avec elle, peut-être, s’ouvrait la possibilité d’une approche plus égalitariste, moins remplie de préjugés et moins rigide (comme dans des catégories strictes) de l’étude de « l’autre » que l’anthropologie développée en fin de XIXe siècle sur la base de la race116. Balbi soutient que, dans une telle étude, la géographie, l’histoire, l’ethnographie et la linguistique constitueraient toutes un seul champ au lieu d’être séparées117. De plus, l’étude des langues pourrait étendre l’histoire de la géographie à la préhistoire et donner une idée des mouvements dans l’espace des anciens peuples de la terre118. L’idée que les langues et les dialectes peuvent être cartographiés est implicite dans sa pensée119. Il est ainsi en train de s’approcher implicitement du concept cartographique du mouvement et du changement : un élément important de la carte thématique. La nature innovatrice de l’idée de combiner géographie et linguistique, qui est dans une large mesure sa propre idée, le force aussi à commencer à repenser certains concepts-clés120. Qu’est-ce qu’une nation ? Comment est-elle définie ? Est-ce que la nature de la définition modifie ce qui est inclus dans les limites de la nation121 ? Quelle est la relation entre la langue, l’origine et la race122 ? Ces types de questions, on peut le soutenir, sont le commencement d’un intérêt stimulant pour la culture et la géographie culturelle, non pas en tant que tableau statique mais en incorporant le concept de changement. Si la racine de l’idée est hautement innovante, son développement ne l’est pas. Tant et si bien que l’atlas semble être tombé rapidement dans l’oubli. Ce qui manque dans la publication n’est pas la recherche ou un dur travail, mais une approche qui ait une résonnance scientifique contemporaine. L’approche de Balbi à l’ethnographie tout comme à la statistique est limitée par son attachement à la description. Balbi n’est pas capable, ou ne veut pas, s’engager dans la difficile réflexion nécessaire pour suivre son idée jusqu’au bout. En conséquence, son travail en statistique sociale comme en ethnographie linguistique est dépourvu de l’analyse sophistiquée si évidente dans les Recherches statistiques sur la ville de Paris de Chabrol de Volvic.

En lisant Balbi, on a fréquemment l’impression que, pour lui, les statistiques sont des données, des chiffres, des listes et, par extension, des tableaux. La statistique concerne moins les probabilités, l’analyse et l’expression graphique de l’information quantitative que l’information en soi123. C’est un discipline-sœur de la géographie parce que, pour Balbi tout au moins, elle semble être une autre forme de description, une forme respectée par la science contemporaine. Son travail sur le Portugal aussi bien que celui sur les bibliothèques de Vienne sont structurés autour de la présentation de données ou de faits presque bruts qu’il décline selon les cas comme vérité, faits ou faits positifs124. Dans son travail sur le Portugal, les listes, les chiffres et les tableaux extrêmement nombreux sont souvent pris en blocs de ses sources, et les critères ayant servi à leur collecte sont souvent laissés inexpliqués. Balbi semble avoir considéré la méthode de recueil des données et les critères de sélection comme moins importants que la collecte elle-même. C’est ainsi que c’est seulement à la page 60 de son essai sur les bibliothèques de Vienne et du monde, qu’après d’innombrables listes de statistiques, Balbi explique selon quel principe les bibliothèques devraient être comptées. Le lecteur est laissé avec la nette impression que les sources utilisées par Balbi ne suivent pas de tels critères.

C’est le mot « liste » qui capte le mieux la nature de la présentation des statistiques par Balbi. Il est clair que certaines de ses sources officielles lui fournissent de l’information sous forme de tableaux, qu’il insère alors dans le texte. Les tableaux conçus par Balbi manquent pourtant de la concision, de la comparabilité et des possibilités graphiques de la statistique. Au niveau le plus simple, ceci se reflète dans les titres sans fin de ses tableaux, qui en eux-mêmes requièrent une attention injustifiée. Du texte s’insère aussi dans presque tous ses tableaux, obscurcissant les chiffres et les données. Point plus important, la structure de ses « tableaux » est problématique en ceci que les données sont souvent incommensurables, que les catégories contiennent souvent plusieurs types d’information et laissent ce qui est comparé peu clair ; des statistiques qui peuvent être comparées sont présentées sous des catégories différentes et figurent sur d’autres pages ; et parfois, la manière dont les statistiques clés sont calculées varient de tableau à tableau dans la même catégorie125. L’auteur offre les données. C’est au lecteur de les restructurer et d’entreprendre lui-même – ou elle-même – l’analyse. Cela signifie que Balbi offre parfois à ses lecteurs un tableau, généralement pris directement d’une de ses sources, plein d’une information hautement suggestive, qui, toutefois, n’est pas analysée. Une excellente illustration de ceci peut être trouvée dans trois tableaux donnant la production de vin, d’huile et de fruits au Portugal de 1795 à 1820. Les configurations revêtues par les productions sont très différentes selon les produits et hautement variables dans le temps. Ces tableaux auraient dû être graphiquement traduits pour devenir compréhensibles, et, plus important, ils auraient dû être analysés et contextualisés. Balbi ne fait ni l’un ni l’autre. Il n’y a pas de graphiques, quels qu’ils soient, dans ces travaux de Balbi. À la place, il existe, dans la structure des tableaux de tous les travaux de Balbi une similarité qui semble dériver de la structure d’organisation de la plupart des géographies universelles :

Gouvernement                                        Géographie moderne

                Justice                                                   Géographie physique

                             Juntes                         OU                      Lacs et rivières

                                       Positions                                                    Tage

                                                     Individus                                                  Elga

Pour Balbi, ceci était une classification : c’est l’ordre qui est au cœur des statistiques qui offre de la scientificité à la description126. Avec un tel ordre inhérent à la structure même du livre, inhérent à la description, pourquoi les statistiques auraient-elles nécessité une structure basée sur une argumentation ?

Au-delà du fait et de la classification, Balbi comprend sa science comme permettant la comparaison. Il donne des tables de températures de l’ensemble du globe pour les comparer avec celles du Portugal, il fournit des statistiques de population pour le Portugal et compare alors la zone de plus haute densité avec celle où elle est la plus basse et calcule ce que serait la population de la zone la moins dense si elle avait la densité la plus élevée… ; il calcule et compare même le nombre de mots sur un rouleau de parchemin avec le nombre de mots dans un volume de texte pour rendre comparables les niveaux de civilisation représentés par la Bibliothèque nationale de Paris et la Bibliothèque d’Alexandrie127. Il calcule les longueurs de toutes les rivières du Portugal, juste pour en fournir, on peut le présumer, la statistique à n’importe qui désirerait comparer la longueur des rivières de l’Allemagne et du Portugal, par exemple128. Le summum de ceci pourrait bien avoir été son plan pour compter le nombre total d’espèces de plantes dans toutes les collections botaniques d’Europe. Il consulte heureusement Humboldt avant d’entreprendre cette recherche.

« C’était aussi mon intention de composer un tableau du nombre des différentes espèces de plantes cultivées dans les principaux jardins botaniques d’Europe. La difficulté à se procurer une information exacte et à réconcilier les si différentes estimations données par des voyageurs ou des géographes m’a cependant conduit à consulter Alexandre de Humboldt. Ce savant, plus que tout autre, peut nous guider sur la manière de le faire correctement. Nous renonçâmes au projet sur son avis et d’après les remarques qu’il nous adressa à ce sujet »129.

On peut presque entendre le grognement de Humboldt à travers les lignes de sa gentille réponse !

L’indication la plus forte du fait que Balbi ne comprend pas la nature fondamentalement analytique de la statistique et son lien avec l’expression graphique est qu’il paraît avoir complètement abandonné l’outil spatialement le plus analytique de la géographie, la carte, qu’il remplace par des listes nettement moins significatives et par des présentations textuelles. Elles sont dans le genre déjà décrites ci-dessus et bien illustré par son « Tableau hydrographique des principaux fleuves du Portugal », qui décrit le système fluvial du Portugal de la manière suivante :

Minho

Lima

Cavade

Ave

Douro

                                                                Agueda g.

                                                                Cão g.

                                                                Tua g.

                                                                Tavora g.

                                                                Tamega. d.

Vouga

Mondego

                                                                Dão. d.

                                                                Alva. g.

                                                                Ciera g.

Lis

Alcoa

Tage

                                                                Elga. d.

                                                                Sever. g.

                                                                Ponsel d.

                                                                Zezere. d.

                                                                Sorraya. g.

                                                                Cunha. g.130

« g. » signifie que l’affluent coule à gauche et « d »., qu’il coule à droite. Un tel diagramme n’a rien du potentiel analytique et du pouvoir mnémonique en matière de description qu’offre une carte thématique (voir chapitre 7). Il n’y a pas une seule carte dans la description du Portugal. Balbi ne choisit d’explorer la structure spatiale d’aucune des statistiques qu’il présente dans son travail sur les bibliothèques ou dans sa description des institutions d’enseignement supérieur au Portugal ou en Europe, ou même dans l’Atlas ethnographique du globe. De manière incroyable, cet atlas ne contient pas la moindre carte. Il offre trois types de planches : six planches qui décrivent les divisions ethnographiques du monde ; trente planches qui présentent les familles de langues, les langues au sein des divisions ethnographiques ; et cinq planches qui énoncent vingt-six mots dans une langue des cinq parties du monde et permettent leur comparaison. Les planches « ethnographiques » fournissent une classification des langues du monde selon une structure tabulaire largement basée sur la localisation géographique. Les planches de classification des langues décrivent textuellement les langues, avec le texte structuré sous la forme de tableaux131. Les vocabulaires permettent au lecteur d’évaluer rapidement le nombre de langues connues dans le monde, jusqu’à quel point ces langues sont connues, et le degré de similarité entre elles basé sur les vingt-six mots choisis par Balbi (avec l’avis de Jean Pierre Abel Rémusat [1788-1832], fameux sinologue français). Ainsi, bien que l’idée d’une ou de beaucoup de cartes thématiques des langues du monde soit implicite dans le titre et dans le projet, Balbi est très loin de comprendre le type d’analyse et peut-être même le type de données qu’un tel produit aurait requis. Abel Rémusat, qui est un ami et un soutien, souligne les deux faiblesses majeures de l’atlas dans le compte-rendu amical qu’il en fait dans le Journal des savants132. Comme Malte-Brun en avait prévenu Balbi, les langues ne se prêtent pas à la classification, certainement pas à la classification naturelle qui est désormais la seule acceptable dans la science. Abel Rémusat exprime le problème dans les termes suivants :

« Il y a toujours quelque chose de vague, et il y a nécessairement quelque chose d’un peu arbitraire à propos de ces classifications imitées des sciences de la nature. Dans leur utilisation, on est privé du soutien que la nature elle-même fournit à l’étude des corps organisés, celui que constitue la partie solide et invariable des nomenclatures : la succession ou la descendance physique des individus de la même espèce »133.

Au-delà de ce problème, il en existe un autre plus sévère encore peut-être. De manière révélatrice, Rémusat observe que « le type de présentation adopté par l’auteur rend l’analyse impossible »134. Les données présentées par Balbi le sont sous une forme qui autorise seulement de continuer la collecte des données selon le même plan. Cela ne permet en aucune façon de poursuivre et d’améliorer l’analyse linguistique et, dans ce cas, géographique.

La méthode de Balbi est la même dans tous ses travaux : c’est la description, la méthode des géographes. Sans surprise, il tombe donc sur nombre de problèmes concernant la description que rencontrent les auteurs de géographies universelles. Ces difficultés incluent la question d’établir, pour ses contemporains, ce qui dans son travail peut être jugé original, et donc sa contribution personnelle, comment établir des critères d’inclusion et d’exclusion, et la place, s’il y en a une, faite à l’analyse (voir chapitre 3).

Balbi collecte une masse énorme d’informations pour toutes ses publications, et tout spécialement pour son travail sur le Portugal. Dans ce cas, et en opposition avec l’information dont il a besoin pour ses géographies universelles, il n’est capable de collecter qu’une petite partie de cette information de sources déjà publiées. La connaissance européenne du Portugal est telle que la plupart des informations dont il a besoin doivent être collectées auprès des autorités au Portugal, particulièrement auprès d’officiels du gouvernement et d’agents commerciaux. À cette fin, il leur écrit pour leur demander l’information. On a le sentiment et à partir des nombreuses références en forme de parenthèses à ces lettres, que Balbi entretient une correspondance d’un volume intimidant conçue pour l’essentiel pour se procurer de l’information. Il entretient aussi une correspondance avec les « célébrités » du jour, spécialement des personnes comme Alexandre de Humboldt, auquel il se réfère comme à « ce sublime talent », ou comme ses héros en géographie, Barbié du Bocage et surtout Malte-Brun, auquel il se rapporte comme à « un modèle d’éloquence »135. Il recherche l’avis de ces personnes (qu’il n’accepte pas toujours) sur le plan de son livre ou sur quelle recherche serait valable ou réalisable. Ses livres sont donc très largement basés sur « l’autorité » des autres. Malheureusement, qui sont exactement ces autres et précisément de quoi ils sont responsables dans le livre de Balbi n’est pas toujours clair. Alors que Balbi recourt beaucoup aux notes de bas de page et qu’elles, et le texte, suggèrent de manière globale les sources qu’il a consultées, elles ne servent pas à séparer ses propres observations de celles de ses sources. On peut soutenir que cela ne fait pas encore partie de l’étiquette académique du début du XIXe siècle. Pour des géographes comme Balbi, cela crée quelques problèmes. Leur travail est si largement dérivé d’autres sources, et est tellement vu comme tel, qu’il semble avoir encouragé le plagiat et les éditions pirates. Balbi se plaint sur huit pages de ces problèmes dans son Essai statistique sur les bibliothèques de Vienne et le monde136. Les mêmes plaintes étaient exprimées par d’autres géographes depuis au moins la fin du XVIIIe siècle. Le problème va au cœur de la méthode géographique. Balbi, en opposition marquée avec Volney, mais comme ses collègues géographes de cabinet, ne pratique pas le terrain. Il ne semble pas avoir franchement eu le sentiment de la valeur qu’il y a à se rendre sur les lieux et à y observer de ses propres yeux. D’un côté, pourtant, il a le sentiment que le fait de ne pas avoir passé un nombre suffisant d’années à vivre parmi les Portugais limite le nombre de commentaires qu’il peut faire sur eux et sur leur mode de vie. De l’autre, et bien qu’il ait été au Portugal et sur les lieux, il n’a passé que peu de temps à voyager à travers le pays pour évaluer, par exemple, l’impact de la Compagnie des vins sur le Haut-Douro137. Il ne semble pas non plus donner plus de prix aux témoignages oculaires qu’à ceux des compilateurs. Ainsi, dans son Introduction à l’Atlas ethnographique du globe, il choisit comme source pour le vocabulaire caraïbe non pas le Père Raymond Breton (1609-1679), le missionnaire dominicain qui collecta de l’information sur la langue avant que celle-ci ne disparaisse, mais Conrad Malte-Brun qui n’a pu avoir d’autre source que le Père Breton138.

Cela peut sembler une argutie du XXe siècle, mais des emprunts excessifs à des sources parfois inappropriées limitent la cohérence et la valeur du travail de Balbi et peuvent expliquer son oubli par la génération suivante de géographes linguistiques139. Ironiquement, et bien que sa recherche linguistique soit peut-être la partie la plus originale de son travail, des emprunts massifs et son incapacité à les retravailler selon un argument informé qui lui soit propre range ce travail parmi les moins originaux. Cette combinaison particulière d’originalité de l’idée, mais de données et d’une argumentation empruntées, conduit Balbi à des contradictions. Elles sont présentes dans son essai sur le Portugal, mais sont plus notables dans son Introduction à l’Atlas ethnographique du globe. Dans son essai sur le Portugal, et bien qu’il ait désiré absoudre l’Église du blâme du sous-développement du pays, nombreuses sont ses sources qui visent l’Église, et Balbi se trouve incapable de maintenir une ligne constante d’interprétation sur ce problème140. De même, ses sources semblent avoir différé sur la question de savoir si c’est l’agriculture ou le commerce qui sont le fondement d’une saine et prospère société. Balbi fait ainsi de même141. Les problèmes sont plus sévères dans son essai ethnographique. Une de ses autorités pense la langue inaltérable et les traces de son influence sur les autres peuples indélébiles. Balbi tombe d’accord avec cette thèse et la soutient avec force. Ailleurs, Balbi affirme qu’il y a trois choses qui peuvent altérer ou détruire une langue, la première étant la conquête par un autre peuple142. Dans une contradiction qui court jusqu’au cœur même de son œuvre, Balbi utilise une argumentation monogénétique (tous les humains sont d’une même origine raciale) pour structurer son Atlas, mais adopte une argumentation raciale polygénétique (les races humaines viennent peut-être de cinq races différentes) dans son Introduction à l’Atlas143. C’est un débat majeur au début du XIXe siècle qui mobilise les esprits de beaucoup de penseurs scientifiques et religieux. Ce n’est pas une subtile différence d’opinion, mais un problème hautement contesté. Celles des sources de Balbi qui sont pour l’argument monogénétique, en premier lieu Blumenbach, Cuvier et Humboldt, soutiennent que les chercheurs ne peuvent pas utiliser la langue pour retracer l’histoire d’un peuple jusqu’à ses origines (sa « souche »), alors que l’argumentation polygénétique, surtout défendue par Desmoulins, est accompagnée par l’argument selon lequel la langue peut être utilisée pour retracer la trajectoire d’un peuple depuis sa « souche ». Ce sont des arguments incompatibles avec des implications absolument centrales pour son Atlas : quelle est la relation entre la langue, ou la langue et la culture, et la race ? La race est-elle fixe alors que la langue ne l’est pas ? Ou les deux sont-elles fluides ? Et qu’en est-il du caractère d’un peuple ? Est-il racial et fixe ? Ou est-il culturel et fluctuant144 ? Balbi prend l’un ou l’autre parti selon les sources qu’il consulte, apparemment inconscient, sinon des contradictions, du moins de leur importance. Il y a d’autres contradictions dans son travail, sur l’importance et la variabilité de la prononciation, sur la question de savoir si les personnes hautement éduquées constituent une bonne source d’information sur la langue telle qu’elle est parlée, ou sur la distinction entre une langue et un dialecte145. La contradiction n’est pas le seul résultat négatif de sa technique de compilation, elle mène aussi à un manque de suivi. Avec chaque passage à une nouvelle source, souvent conçu pour offrir un exemple d’une autre partie du monde, la ligne d’argumentation maintenue par la source précédente est abandonnée. Cela crée un effet de staccato, avec peu de continuité et pas grand-chose pour soutenir l’attention du lecteur, un peu comme la consultation d’une liste d’ingrédients.

Balbi, qui est géographe jusqu’au bout des doigts, est surtout concerné par la description146. « Présenter pour toujours » finalement et factuellement « l’état présent de la terre » est son idéal irréalisable147. Là où se termine sa responsabilité de mener une description complète est aussi peu clair pour Balbi que pour tous ceux qui rédigent des géographies universelles, et peut-être même, étant donné la manière dont il embrasse la statistique qu’il considère comme la description à plus large échelle, est-elle moins claire encore pour lui. Il se sent responsable de donner toutes les altitudes ponctuelles significatives au Portugal, de rendre compte des détails les plus menus de la structure de son gouvernement, d’établir la liste de tous les travaux publiés sur le Portugal entre 1800 et 1822, de recompter le nombre de fils de coton dans une collection privée de matières premières industrielles à Vienne148. Balbi est conscient de ce que le fardeau de la description fonctionne comme une contrainte. Il ne peut pas faire lui-même tous les calculs pour son essai sur le Portugal parce que le simple volume du matériel qu’il a à consulter est écrasant149. La quantité de travail de son Abrégé de géographie de 1 500 pages lui rend impossible de compléter sa comparaison des bibliothèques mondiales150.

Ce volume et ce détail d’information semblent l’avoir exonéré de tout engagement dans l’analyse. Après la collecte et la présentation des deux volumes d’informations détaillées sur le Portugal, Balbi n’a pas le sentiment d’avoir encore le temps et l’énergie de conclure :

« Des circonstances malheureuses et non anticipées ont fait disparaître le loisir et la paix d’esprit si nécessaires à développer proprement un sentiment de tout ce qu’un gouvernement éclairé pourrait entreprendre pour rendre le Portugal réellement florissant… Le lecteur verra, en observant les éléments de cette section la procédure que nous avons suivie, et ces éléments le conduiront, même s’il n’est pas familier avec ces sujets, à imaginer ce que nous pourrions en avoir dit »151.

Les éléments auxquels Balbi se réfère sont des chiffres globaux comparant la population, le revenu, la dette et la taille de l’armée et de la marine au Portugal avec ceux de nombreuses contrées d’Europe. Sa contention est qu’il a fourni la partie importante : les chiffres. C’est au lecteur d’analyser l’information. Le lecteur sent périodiquement que Balbi est pleinement conscient de l’impossibilité des tâches qu’il s’est assigné, mais qu’il s’y résigne. La recherche qu’il a entreprise demande en réalité la connaissance et le temps d’une équipe de chercheurs152.

Conclusion

Si les limitations du travail d’Adrien Balbi sont apparentes à certains de ses contemporains, elles le sont beaucoup plus au lecteur moderne. C’est pourquoi il est si important de nous montrer équitable dans notre évaluation de son œuvre. Balbi n’a pas complètement compris la statistique, et son travail ethnographique peut être beaucoup trop dérivé d’autres publications. Ceci limite l’impact de ses livres et veut dire qu’il n’a pas pu pas faire beaucoup pour la réforme de la géographie. Son travail est pourtant influencé par le type de questions et de procédures statistiques qu’employait Chabrol de Volvic. L’influence de Volney est moins apparente, bien que Balbi se réfère au travail de Volney sur la transcription et les langues orientales. Balbi vit de plus à une époque qui voit la montée de l’ethnographie sur les cendres de la Classe des Sciences morales et politiques de l’Institut, et il cherche à jouer un rôle dans la définition de ce champ. La différence entre la géographie pratiquée durant l’expédition d’Égypte, si liée à la description et à la topographie, et le type de géographie pratiqué par l’expédition d’Algérie, qui montre plus de souci du commerce, de la société et du réseau de communication/transport, est en formation dans le travail de Balbi. La société est en train de s’imposer à l’attention des géographes aussi bien qu’aux économistes, sociologues et ethnographes qui commencent à apparaître. L’éveil est lent et cette lenteur a beaucoup à voir avec des types de questions que posent les géographes et la manière dont ils les posent. C’est malgré tout un éveil.

Notes

        

  1. Voir Staum, « Human Geography in the French Institute » (1987), p. 332-340.
  2. Gaulmier, L’Idéologue Volney (1951), p. 347-351.
  3. Sur l’influence réciproque de Volney et des autres idéologues, voir spécialement et très récemment l’excellente introduction de Barthélémy Jobert à Volney, « Leçons d’histoire, » dans Nordman, Le fonds d’histoire, de géographie, d’économie politique (1994), p. 43-46.
  4. Parmi les publications qui discutent des écrits géographiques de Volney avec quelque profondeur, signalons : Gaulmier, L’Idéologue Volney (1951) ; Moravia, « Philosophie et géographie » (1967), p. 937-1011 ; Albitreccia, « Ajaccio, étude de géographie » (1938) ; et Vallaux, « Deux précurseurs » (1938), p. 83-93. Les travaux qui en discutent d’une manière plus rapide incluent : Broc, La Géographie des philosophes (1974) ; Chinard, Volney et l’Amérique (1923) ; Kuhn, Volney und Savary (1938) ; Godlewska, « Napoleonic Geography… » (1990), p. 281-302 ; Deneys, « Le Récit d’histoire » (1989), p. 43-71 ; Deneys, « Géographie, histoire et langue » (1989), p. 73-90 ; Moravia, « La méthode de Volney » (1989), p. 19-31 ; et Désirat et Hordé, « Volney, l’étude des langues » (1984), p. 133-141. Ce dernier travail fait de Volney un précurseur de l’anthropologie.
  5. Volney, Voyage en Syrie (1787).
  6. Volney, Tableau du climat (1803).
  7. Volney, Questions de statistique (1795).
  8. Volney, « État physique de la Corse » (1821).
  9. En accord avec les vues de Cabanis, le climat était défini en gros non pas comme un effet de la latitude seule, mais comme « la combinaison des circonstances physiques en rapport avec chaque lieu » Cabanis, Rapports du physique (1802), p. 564.
  10. Volney, Tableau du climat (1803), préface ; Volney, « État physique de la Corse » (1821), p. 317-318.
  11. Volney, « Questions de statistique » (1813), p. 389. Ce travail appartient à un genre qui mériterait une analyse par les géographes. Le genre de guide de recherche pour les voyageurs, les hommes d’État et les espions était déjà très évolué. Volney lui-même se réfère à un prédécesseur, Berchtold, Essai pour diriger et étendre les recherches (1797). Berchtold se réfère à son tour à un prédécesseur, Lettsom, The Naturalist’s and Traveller’s Companion (1774). Le travail de Volney mériterait aussi d’être comparé avec celui de Gérando, « Considérations sur les diverses méthodes » (n.d.), avertissement ; Quesnay, Questions intéressantes (1762) ; David [pseud. De Michaelis], Recueil des questions proposées (1763) ; et aux Notes on the State of Virginia de Thomas Jefferson (1784-1785). Ceci, toutefois, est loin d’épuiser le genre.
  12. Claval, Les Mythes fondateurs (1980), p. 85.
  13. Plongeron voit Volney et Cabanis comme deux idéologues avec un intérêt fort et presque semi-romantique pour la nature. Plongeron, « Nature, métaphysique et histoire » (1973), p-403.
  14. Volney, Voyage en Syrie (1787), p. iv-v.
  15. Volney, Voyage en Syrie (1787), p. 348-354.
  16. Volney, Voyage en Syrie (1787), p. 19-31.
  17. Volney, Voyage en Syrie (1787), p. 52-66 ; p. 297-324.
  18. Séances des écoles normales (1802), 2, p. 76.
  19. Mentelle, La Géographie enseignée (1795), Éclaircissements préliminaires.
  20. Ce qui, comme Moravia l’a souligné, constituait une préoccupation et une méthodologie qui remontaient à Descartes et à Locke et avait trouvé une nouvelle importance parmi les idéologues. Moravia, « Philosophie et géographie » (1967), p. 990-991.
  21. Volney, Voyage en Syrie (1787), p. 457.
  22. Volney, Voyage en Syrie (1787), p. 104-107 note ; p. 141-142.
  23. En fait, il n’a pas plus clair que dans Volney, Les Ruines (1791), où il proposait une solution à la corruption sociale partout dans le monde : l’annihilation de la religion.
  24. Volney, Voyage en Syrie (1787), p. 182-183, 151 ; et Volney, Tableau du climat (1803), p. 182.
  25. Volney, Tableau du climat (1803), 2, p. 420.
  26. Volney, Voyage en Syrie (1787), p. 418-419.
  27. Pour Volney, une société malsaine en était une dans laquelle le confort et la sécurité de tous ne l’emportaient plus sur la richesse et la puissance de quelques-uns. Les indicateurs clés d’une telle société était l’utilisation destructrice et dure de la nature, une négligence de la famille et des valeurs familiales et une caste militaire dominante.
  28. Volney, Voyage en Syrie (1787), p. 241.
  29. Sur la valeur pour Volney du témoignage des gens du commun plutôt que de celui d’officiels haut-placés, voir Besnard, Souvenirs (1979 [1880]), 1, p. 336.
  30. Volney, « Réponse de Volney » (1821), 2, p. 16.
  31. Volney, Voyage en Syrie (1787), p. 424. Son utilisation multiple et critique des sources est claire dans chacune de ses publications et est fréquemment décrite. Voir par exemple Volney, Tableau du climat (1803), 1, p. 209.
  32. Volney, Tableau du climat (1803), p. 656.
  33. Voir Bouteiller, « La société des observateurs » (1956), p. 448-465 ; et Stocking, « French Anthropology in 1800 » (1955), p. 134-150. Observez aussi la passion de cette époque pour les voyages d’exploration et l’attention que portent de Gérando, Volney et d’autres à l’écriture d’instructions pour les voyageurs potentiels. Cette histoire est bien racontée à la fois par Broc dans La Géographie des philosophes (1974) et par Moravia à la fois dans « Philosophie et géographie » (1967), et dans II Pensiero degli idéologues (1974).
  34. J’emprunte cette expression à Lefranc, « Le Voyageur Volney » (1897), 1, p. 87.
  35. Dans Les Ruines, le jeune homme qui a contemplé les ruines des grandes civilisations asiatiques, se lamente sur le sort de tous les empires, qui est de tomber en ruines. Il est emporté par un Esprit omniscient et qui voit tout d’assez haut au-dessus de la terre pour découvrir l’hémisphère de l’Europe à l’Asie orientale. L’importance de cette image, qui est métaphorique, est mise en valeur par l’inclusion dans l’ouvrage par Volney d’une gravure du globe tel qu’il est vu par le jeune homme et l’Esprit (Volney, Les Ruines, 1791). Voir l’illustration sur les deux pages 24-25. Le globe, dessiné et gravé par Delettre, est centré sur le Moyen-Orient. Il ne dépeint pas du tout l’Amérique et la France est singulièrement déformée. Une légende accompagnée de quinze noms de lieux s’ajoute au petit nombre de toponymes qui figurent sur le globe lui-même.
  36. Cela ne veut pas dire que Volney était un analyste social sophistiqué de la fin du XIXe siècle ou même du XXe. Son sens de la complexité de la structure et de l’évolution sociales était limité, comme l’était sa compréhension des fonctions très différentes de phénomènes sociaux particuliers, tels que les religions, dans différentes sociétés et circonstances. Cela ne veut pas dire non plus, comme Anne et Henry Deneys le soulignent, que Volney avait résolu le problème de la nature très différente de l’analyse à mener dans les domaines physique et politique. Voir en particulier Henry Deneys, « Le Récit d’histoire » (1989), p. 50, par. 2 ; et Anne Deneys, « Géographie, histoire et langue » (1989), p. 73-90. Car alors, leur nature dichotomique n’était pas encore apparente, ou plutôt n’avait pas encore été créée par les modes de pensée scientifique du XIXe siècle. Bien qu’on puisse le soutenir, l’incapacité de Volney dans son Tableau du climat à assortir son analyse du sol et du climat des États-Unis d’une analyse politique qui lui soit associée, suggère que le problème commençait déjà à se manifester.
  37. Cela n’est pas impliquer que le seul motif de ses voyages était la recherche. Il semble clair que Volney agissait probablement comme espion au profit du gouvernement français aussi bien en Égypte qu’en Corse et il est probable que la plupart de ses voyages aient été finances de cette façon. Voir Sibenaler, Il se faisait appeler Volney (1992) ; Laurens, Les Origines intellectuelles (1987), chap. 11, p. 171-185.
  38. Volney, Les Ruines (1791), p. 35.
  39. Volney, Voyage en Syrie (1787), p. 348.
  40. Volney, Les Ruines (1791), p. 112.
  41. Volney, Voyage en Syrie (1787), p. 378 ; et Volney, Tableau du climat (1803), p. 463-465.
  42. Pauw, Recherches philosophiques (1768-1769).
  43. Rousseau, Émile (1966).
  44. Volney, Tableau du climat (1803), p. 476.
  45. Volney, Tableau du climat (1803), p. 426.
  46. Deneys présente une analyse subtile et très intéressante de l’incapacité de Volney à terminer ce travail. Bien que je sois d’accord avec le fait que Volney ait été limité par son contexte politique et social et sa préoccupation pour la marche de la « civilisation », je ne vois pas les intérêts de Volney aussi liés aux préoccupations holistiques et descriptives du XVIIIe siècle pour affirmer qu’ils sont sans relation avec la science moderne de la géographie. En fait, comme je l’ai soutenu ici, la plupart de ses méthodes et de ses intérêts soutiennent le contraire. Deneys, « Géographie, histoire et langue » (1989), p. 73-90.
  47. Ce n’est nulle part plus clairement exprimé que dans le chapitre 14 des Ruines.
  48. Volney, Voyage en Syrie (1787), 2, p. 327-328.
  49. En fait, il n’obtint pas le titre de médecin, mais suivit trois ans de formation médicale. Gaulmier, Un Grand Témoin (1959), p. 23. Sur l’influence de Condillac et de la pensée des idéologues des Lumières en général (de Voltaire à d’Holbach et à Helvétius) sur Volney, voir l’introduction de Barthélémy Jobert aux « Leçons d’histoire » de Volney dans Nordman, Leçons d’histoire, de géographie, d’économie politique (1994), p. 38-46.
  50. Volney, Tableau du climat (1803), p. 145.
  51. Volney, Tableau du climat (1803), p. 248 ; 152-153.
  52. Volney, Tableau du climat (1803), p. 238.
  53. Volney, Voyage en Syrie (1787), p. 310-312.
  54. Volney, Voyage en Syrie (1787) ; voir en particulier la section 1 du chapitre 17.
  55. Volney, Tableau du climat (1803), p. 334-352.
  56. Volney, Voyage en Syrie (1787) ; en particulier section 3 du chapitre 17.
  57. Volney, Voyage en Syrie (1787), p. 17-18.
  58. Volney, Tableau du climat (1803), p. 26.
  59. Volney, Tableau du climat (1803), p. 276.
  60. Séances des écoles normales (1802), p. 76-77.
  61. Volney, Tableau du climat (1803) p. 1, 3-4, 37, 58, 74, 97 note 1 ; et Volney, Voyage en Syrie (1787), viii, p. 19-31, 34, etc.
  62. Gaulmier, L’Idéologue Volney (1951), p. 255 note 5, et 429-430.
  63. Godlewska, The Napoleonic Survey of Egypt (1988), p. 1224.
  64. Gaulmier, L’Idéologue Volney (1951), p. 237, 535 note 3.
  65. Picavet suggère qu’après la dissolution de la troisième classe de l’Institut, il était virtuellement impossible de publier dans des domaines concernant d’une quelconque manière les sujets politiques. Cela aurait fortement éliminé toute proto-science sociale. Picavet, Les Idéologues (1891), p. 80, 138. Sur la centralité de la troisième classe de l’Institut dans la philosophie des idéologues et pour leur projet social, voir Gusdorf, « La Conscience révolutionnaire » (1978), p. 305-310. Sur la nature de la recherche menée dans la troisième classe, et en particulier sur la géographie qui y était pratiquée, voir Staum, « Human Geography in the French Institute » (1987), p. 332-340.
  66. Volney, Tableau du climat (1803), préface.
  67. Avec des exceptions occasionnelles telle que son anti-monarchiste Histoire de Samuel (1819).
  68. Il reconnaît l’aide de Jomard pour son travail en Égypte ; l’utilisation massive des statistiques et du travail de terrain, des géographes militaires pour son travail en Italie ; et certains suggèrent que ses publications sur le département de la Seine ont tout autant résulté du travail du baron Charles Athanase Walckenaer que de celui de Chabrol de Volvic. Pour ces interprétations, voir Lacroix, « Walckenaer » (n.d.), p. 221-237.
  69. Il y a quelque désaccord académique sur la nature des droits de propriété sous le système égyptien islamique et sous le régime français. Abd Al-Rahim considère que les Français ont rapproché l’Égypte d’un système foncier privé à travers l’expropriation de certaines terres des Mamelouks et leur redistribution à la paysannerie capable de payer l’impôt foncier. Abd Al-Rahim, « Land Tenure in Egypt » (1984). Cuno considère que bien que les paysans égyptiens n’aient pas joui de droits de « propriété privée » avant le XIXe siècle, leurs droits d’usufruit étaient si larges qu’ils peuvent être considérés comme équivalant à des droits de propriété privée. Il défend de plus la continuité de développement entre le droit foncier islamique traditionnel des XVIIe et XVIIIe siècles et les développements du début du XIXe siècle. Cuno, « Egypt’s Wealthy Peasantry » (1984). En passant en revue beaucoup de ces mêmes faits, Richard Debs voit dans le début du XIXe siècle, l’invasion française et l’influence française qui en a résulté à travers le règne de Muhammad Ali, une coupure avec le développement islamique et le commencement d’une forte influence « occidentale » et « moderne ». Debs, The Law of Property in Egypt (1963), p. 48.
  70. Je ne me sentirais pas à l’aise si je décrivais tous ces individus comme des géographes. Chabrol de Volvic était plus enclin à se décrire lui-même, et à décrire quiconque « étudie les nombreux facteurs qui influencent le climat…, l’action, de ce climat sur les êtres vivants, les hommes nouveaux dont il se trouve entouré… », comme un philosophe. Chabrol de Volvic, « Essai sur les mœurs » (1822), p. 361.
  71. Chabrol de Volvic, « Essai sur les mœurs » (1822), p. 377.
  72. Chabrol de Volvic, « Essai sur les mœurs » (1822), p. 363.
  73. Le degré auquel c’était une colonisation et où c’était exprimé comme tel est clair dans une série de rapports d’agents du gouvernement envoyés en Vendée et qui traitent du problème de « civiliser les natifs ». Voir spécialement « Réponse du Cn. Giraud aux questions qui lui ont été faites sur le Morbihan », Archives nationales, AF IV 1053. Cité dans Morachiello et Teyssot, « State Town: Colonization » (1979), p. 33 et note 40.
  74. Morachiello et Teyssot, « State Town: Colonization » (1979), p. 31.
  75. Sur ce point, voir Godlewska, « Map, Text and Image » (1995), p. 5-28.
  76. Chabrol de Volvic, Statistique… de Montenotte (1824), p. v.
  77. Voir Chabrol de Volvic, « Mémoire sur la Spezzia », Mémoires, MR 1400, Service historique de l’armée de terre, Vincennes.
  78. Boudard, « La réunion de Gênes » (1968), p. 158.
  79. Sur la collecte des statistiques comme partie d’une comptabilité administrative régulière, voir Gille, Les Sources statistiques (1964 [1980]), p. 23-42, 116-122, 131-136, 149-150 ; et Bourguet, Déchiffrer la France (1988).
  80. Les réalisations de Chabrol de Volvic sont décrites de manière généreuse dans Boudard, « Un Préfet napoléonien » (1956), p. 119-130.
  81. Chabrol de Volvic, Statistique… de Montenotte (1824), 1, p. i.
  82. Chabrol de Volvic, Statistique… de Montenotte (1824), 1, p. ij.
  83. Chabrol de Volvic, Statistique… de Montenotte (1824), 2, p. 466-467.
  84. Chabrol de Volvic, Statistique… de Montenotte (1824), 2, p. 275.
  85. Pour plus de détails sur cette mission, voir Boudard, « La Mission du préfet » (1969), p. 181-188.
  86. Papayanis, Horse-drawn Cabs (1996), p. 31-53, 81, 86, et 95.
  87. Voir Coleman, Death is a Social Disease (1982), p. 142-144.
  88. Sur la carrière administrative de Walckenaer, voir Tulard, Paris et son administration (1976), p. 414-415.
  89. Chabrol de Volvic, Recherches statistiques sur… Paris (1821), introduction.
  90. Chabrol de Volvic, Recherches statistiques sur… Paris (1821), p. vjj-vjjj.
  91. Lepetit, Chemins de terre (1984). Pour une vue différente du rôle des cartes dans le développement urbain en France, voir Konvitz, The Urban Millennium (1985), p. 78-95.
  92. Chabrol de Volvic, Recherches statistiques sur… Paris (1821), p. 107.
  93. Chabrol de Volvic, Recherches statistiques sur… Paris (1821), p. ix.
  94. Ce sentiment est plus clairement exprimé par Adrien Balbi dans sa réaction négative à l’importance qu’André de Férussac donnait à la statistique dans le texte de géographie qu’il proposait pour les futurs officiers d’État-major généraux. La caractérisation par Barbié du Bocage de la géographie comme un vestibule des sciences reflète un peu le même sentiment : « Liée à toutes les sciences, la géographie sert, si l’on veut, comme introduction à chacune d’elles et prépare la route à leur fructueuse étude. C’est le vestibule à partir duquel plus de cent portes mènent à toutes les branches de la connaissance humaine ». Bulletin de la Société de géographie 1 (1822), p. 9. Dans une veine similaire, S. Berthelot écrivait en ces termes à propos de la géographie des fondateurs de la Société : « faire connaître les pays en termes de leur position, de leur climat et de leurs ressources, stimuler les nouvelles découvertes, encourager les voyages, diriger, encourager et récompenser le zèle des voyageurs et rassembler comme information générale toutes leurs observations individuelles, tel était le but de nos fondateurs », Berthelot, « Rapport sur les travaux » (1843), p. 333-334.
  95. Voir Lepetit, « Missions scientifiques et expéditions militaires » (1998), p. 102-103.
  96. Pour une discussion complète de tous ces problèmes voir Tulard, Paris et son administration (1976), p. 487 (ne comprenant pas complètement l’entassement), p. 466 (reconnaissance des erreurs), p. 452-453 (folie de construction), p. 442-444 (emprunts pour la construction), p. 387 (proposition de taxe différentielle sur le pain).
  97. Tulard, Paris et son administration (1976), p. 408, 513-514.
  98. Adrien Balbi décrit ainsi Malte-Brun dans le Discours préliminaire de son Essai statistique sur le royaume de Portugal (1822), p. xx.
  99. La Renaudière, « Brun ou Brunn (Malte-Conrad) » (n.d.), p. 8.
  100. Voir en particulier la lettre de Malte-Brun à Balbi, discutée plus longuement ci-dessous, prédisant les problèmes considérables que Balbi rencontrerait en composant son Atlas ethnographique du globe. See Balbi, Introduction à I’Atlas ethnographique (1826), p. 2-13.
  101. Voir Godlewska, « L’influence d’un homme » (1991), p. 62-79.
  102. Balbi, A Statistical Essay on the Libraries (1986 [1835]) ; et Balbi, Essai statistique sur le royaume de Portugal (1822).
  103. Balbi, Introduction à I’Atlas ethnographique du globe, Partie historique et littéraire, vol. 1, Discours préliminaire et introduction (1826) ; et Balbi, Atlas ethnographique du globe (1826).
  104. Balbi, A Statistical Essay on the Libraries (1986), p. 32 ; et Balbi, Essai statistique sur le royaume de Portugal (1822), 1, p. 218-219.
  105. Balbi, Essai statistique sur le royaume de Portugal (1822), p. xviii, 144 et 401.
  106. Balbi, Essai statistique sur le royaume de Portugal (1822), 2, p. 21.
  107. Balbi, Essai statistique sur le royaume de Portugal (1822), 1, p. 143.
  108. Balbi, Essai statistique sur le royaume de Portugal (1822), 1, p. 235-239.
  109. Balbi, Essai statistique sur le royaume de Portugal (1822), 1, p. 241.
  110. Balbi, Essai statistique sur le royaume de Portugal (1822), 1, p. 155.
  111. Balbi, Essai statistique sur le royaume de Portugal (1822), 1, p. 300.
  112. Balbi, Essai statistique sur le royaume de Portugal (1822), 1, p. 148.
  113. Balbi, Essai statistique sur le royaume de Portugal (1822), 1, p. 148, 149.
  114. Balbi, A Statistical Essay on the Libraries (1986), p. 31.
  115. Balbi, Introduction à l’Atlas ethnographique du globe (1826), p. 61.
  116. Ceci ne veut pas dire que Balbi était exempt de racisme et d’intolérance culturelle. Nombre des caractéristiques du langage de Balbi étaient lourdement chargées de valeurs, il ne se montrait pas critique sur le colonialisme et l’implication des Portugais dans le commerce des esclaves et il était tout à fait capable de décrire les Nord-Américains comme une race dégénérée. Voie Balbi, Essai statistique sur le royaume de Portugal (1822), 2, p. 24-25, 27, 29-30 ; et Balbi, Introduction à l’Atlas ethnographique du globe (1826), p. cii et cxxx.
  117. Balbi, Introduction à l’Atlas ethnographique du globe (1826), p. xlvii, cxxi, cxlii-cxliii.
  118. Balbi, Introduction à l’Atlas ethnographique du globe (1826), p. xxi.
  119. Balbi, Introduction à l’Atlas ethnographique du globe (1826), p. cxxvii.
  120. Balbi note l’idée comme datant au moins de 1817, quand il introduisit dans sa géographie universelle « un tableau des principales langues connues subdivisée en cinq sections correspondant aux cinq grandes divisions du globe ». Il soutenait que c’était la première fois qu’un tel tableau était apparu dans quelque Abrégé de géographie que ce fût. Balbi, Introduction à l’Atlas ethnographique du globe (1826), p. cxvi.
  121. Balbi, Introduction à l’Atlas ethnographique du globe, p. xvi-xix.
  122. Balbi, Introduction à l’Atlas ethnographique du globe (1826), p. xxi, lxxiv-lxxv.
  123. Balbi n’utilisait pas fréquemment le mot « probabilité ». L’auteur ne trouva à l’employer qu’une fois. En discutant de la somme versée annuellement par la Bibliothèque impériale de Vienne pour ses achats de livres, Balbi commentait : « Quelque énorme que cette dernière somme puisse apparaître, on peut en tirer parti pour démontrer, sinon son exactitude mathématique, du moins sa probabilité ». La formulation qu’il utilisait était « grandeur approximative ». Balbi, A Statistical Essay on the Libraries (1986), p. 13.
  124. Balbi, A Statistical Essay on the Libraries (1986), p. 58.
  125. Il y a de nombreux exemples de tels tableaux dans les travaux de Balbi. Le tableau où ceci a le plus capté mon attention est son « Tableau comparatif du nombre des étudiants qui ont fréquenté les écoles de plusieurs États de l’Europe », dans Balbi, Essai statistique sur le royaume de Portugal (1822), 2, p. 150.
  126. Cela est bien exprimé dans son atlas ethnographique : en vertu de son essai pour classer, Balbi considérait « … la linguistique, élevée au rang de science… ». Balbi, Introduction à l’Atlas ethnographique du globe (1826), p. xlii-xliv.
  127. Balbi, Essai statistique sur le royaume de Portugal (1822), 1, p. 103-106, 190 ; Balbi, A Statistical Essay on the Libraries (1986), p. 62-63, 65.
  128. Balbi, Essai statistique sur le royaume de Portugal (1822), 1, p. 85-89.
  129. Balbi, Essai statistique sur le royaume de Portugal (1822), 2, p. 153.
  130. Balbi, Essai statistique sur le royaume de Portugal (1822), 1, p. 84.
  131. Cette structure en tableaux était commune à nombre de travaux produits au cours de cette période, incluant Jarry de Mancy, L’Atlas historique (1831-1835) ; et Denis, Tableau historique analytique (1830). Pour le lien avec le travail de Balbi, voir Balbi, Introduction à l’Atlas ethnographique du globe (1826), p. cxli. Ces travaux essayaient tous deux de faire face à la surcharge d’information à travers la création d’une synthèse semi-graphique et en prenant appui sur une compréhension partielle de la nature de la classification botanique.
  132. Rémusat, Revue de Balbi (1827), p. 282-291.
  133. Rémusat, Revue de Balbi (1827), p. 284-285.
  134. Rémusat, Revue de Balbi (1827), p. 286.
  135. Balbi, Essai statistique sur le royaume de Portugal (1822), p. 142 et viii.
  136. Voir l’appendice de Balbi : « Essay of a Statistical Table of the World… », dans Balbi, A Statistical Essay on the Libraries (1986), p. 138-146.
  137. Balbi, Essai statistique sur le royaume de Portugal (1822), 2, p. 20.
  138. Balbi, Introduction à l’Atlas ethnographique du globe (1822), 1, p. 41-42.
  139. La géographie linguistique commença à être une sous-discipline établie et respectée vers la fin du XIXe siècle, largement comme résultat du travail de Gillieron et Edmont. Il est frappant de voir que Balbi n’est pas mentionné comme un prédécesseur dans les travaux de l’un ou l’autre de ces savants. Il n’est pas plus mentionné dans les premières histoires de la linguistique géographique par Terracher, Histoire des langues (1929), et Dauzat, La Géographie linguistique (1922).
  140. Noter les différences entre les nombreuses références à l’Église, à la religion et à la hiérarchie de l’Église au Portugal dans les sections du premier volume sur « l’administration et la structure de gouvernement », et la discussion sur l’Église dans le second volume, dans la section consacrée à la « géographie ecclésiastique ».
  141. Balbi, Essai statistique sur le royaume de Portugal (1822), 1, mettre en opposition les pages 143 et 400.
  142. Balbi, Introduction à l’Atlas ethnographique du globe (1826), mettre en opposition les pages xix et xx avec la page lxxv.
  143. Balbi, Introduction à l’Atlas ethnographique du globe (1826), p. lxxxi, xcviii, cxxlv.
  144. Balbi, Introduction à l’Atlas ethnographique du globe (1826), p. xviii-xix ; lxxxvi.
  145. Balbi, Introduction à l’Atlas ethnographique du globe (1826), p. xx versus xcv ; cxv et 44.
  146. Balbi s’était très profondément engagé en faveur de la géographie : toutes ses références à des géographes académiques connus étaient élogieuses parfois de manière excessive ; il avait tendance à considérer les géographes académiques travaillant à Paris comme des autorités à égalité avec les plus grands esprits du siècle ; il classait la géographie comme une des sciences les plus utiles et les plus importantes ; et il se lamentait de l’irrespect dans lequel la géographie et la géographie statistique étaient tombées comme résultat du travail sans rigueur de ses vulgarisateurs qui se qualifiaient eux-mêmes de géographes. Voir en particulier Balbi, Introduction à l’Atlas ethnographique du globe (1826), p. xlviii-xliv ; et Balbi, A Statistical Essay on the Libraries (1986), p. 27, 62, 140,147.
  147. Voir l’appendice de Balbi « Essay of a Statistical Table of the World… », dans Balbi, A Statistical Essay on the Libraries (1986), p. 132.
  148. Les trois premiers comprennent des sections de son Essai statistique sur le royaume de Portugal (1822). Le dernier se trouve dans A Statistical Essay on the Libraries (1986), p. 109.
  149. Balbi, Essai statistique sur le royaume de Portugal (1822), 1, p. 214.
  150. Balbi, A Statistical Essay on the Libraries (1986), p. 81.
  151. Balbi, Essai statistique sur le royaume de Portugal (1822), 2, p. 232, 234.
  152. Balbi, Introduction à l’Atlas ethnographique du globe (1826), p. cxviii-cxx. Étant donné le sentiment qu’il avait de l’importance du travail de Wilhelm von Humboldt, il est intéressant qu’alors que Balbi reconnaît l’aide de quatre-vingt-douze chercheurs, il liste seulement Wilhelm von Humboldt pour lui avoir fourni un vocabulaire (une liste de vingt-six mots), mais ni de conseil ou de critique. Voir ibid., p. cxxi.
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Pau
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EAN html : 9782353111633
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ISSN : 2827-1882
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Comment citer

Godlewska, Anne Marie Claire, « Expliquer le social », in : Godlewska, Anne Marie Claire, La science géographique en France de Cassini à Humboldt. Une mutation hésitante, Pau, PUPPA, Collection Sp@tialités 3, 2023, 229-271 [en ligne] https://una-editions.fr/expliquer-le-social/ [consulté le 26/02/2024].
doi.org/10.46608/spatialites3.9782353111633.9
Illustration de couverture • peinture d'Izabella Godlewska de Aranda.

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