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Chapitre 5. La géographie comme servante du pouvoir

Chapitre 5. La géographie comme servante du pouvoir

La géographie, ça sert surtout à faire la guerre.

Yves Lacoste, 1976.

Les hommes en haute position sont triplement serviteurs : serviteurs du souverain
ou de l’État, serviteurs de la renommée et serviteurs des affaires.

Francis Bacon, Essays, 1625, n° 11, « Of Great Place ».

Un État qui rapetisse ses hommes, afin qu’ils puissent être des instruments plus dociles en ses mains pour en tirer bénéfice, trouvera qu’avec de petits hommes, aucune grande chose ne peut être accomplie.

John Stuart Mill, On Liberty, chapitre 5.

La géographie a toujours été étroitement associée au pouvoir étatique et aux usages de la force. Brian Harley a mis en évidence la présence d’intérêts de classe, du capital et du pouvoir politique dès la Renaissance1. Lui et d’autres ont commenté l’utilisation de cartes comme instruments d’agression et réorientation économique dans la rencontre entre les colonisateurs occidentaux et les peuples indigènes2. Le lien étroit entre la géographie et l’État au plus haut de l’impérialisme européen est maintenant bien documenté3. Lesley Cormack a révélé la nature très politique des écrits de fameux géographes britanniques de l’époque des Tudors comme Hakluyt4. L’association est même plus vieille encore. Christian Jacob a démontré la puissance de persuasion des écrits des géographes antiques en prenant l’exemple de la tentative d’Aristagoras de Milet d’entraîner, grâce à une carte, Cléomène, roi de Sparte, dans une guerre désastreuse contre la Perse5. Comme nous l’avons vu au chapitre 3, la politique était une dimension majeure de l’œuvre de Strabon. En France, au XVIIIe siècle, la géographie était considérée comme un élément critique de l’éducation d’un prince ; Philippe Buache incarna ce rôle comme tuteur de trois rois de France : Louis XVI, Louis XVIII et Charles X6. Le titre de « Premier Géographe du Roi » était recherché par les géographes, un titre qui améliorait leurs chances de succès financier7. À partir du milieu du XVIIIe siècle, des ingénieurs-géographes sont employés par le gouvernement et certains sont envoyés dans des expéditions cartographiques jusqu’en Extrême-Orient ou en Amérique du Sud8. Les levers de carte de Cassini et le travail cartographique des ingénieurs géographes dans les Pays-Bas autrichiens, par exemple, constituent de la géographie au service de l’État – sans parler de leur travail en France9. On peut considérer que les Jésuites mobilisent la science de la géographie pour ouvrir la Chine aux intérêts européens, et d’une manière beaucoup plus compliquée, pour servir l’État en éduquant l’élite et maintenir une alliance d’intérêts avec le pouvoir politique10.

L’ère napoléonienne annonce une intensité nouvelle de la coopération entre la géographie et le pouvoir politique. Jamais auparavant il n’y avait eu quelque chose qui approche de l’engagement des géographes napoléoniens dans la rhétorique de la puissance de l’État et dans l’adhésion à ses objectifs impérialistes. Lorsqu’on observe les carrières et le langage des géographes, il apparaît évident que les géographes se rapprochent de l’État et de ses buts. Cette relation nouvelle et renforcée entre la géographie et l’État résulte cependant aussi de la reconnaissance par l’État de l’utilité pour la conduite de la guerre et le contrôle des populations d’approches plus ou moins associées à la géographie : la cartographie et la collecte et la mise en ordre de l’information en général.

Cette relation semble n’offrir que des avantages aux géographes : la sécurité, le statut, la considération sociale, l’opportunité de voyager et de mener des recherches au-delà des moyens individuels… À une époque où il y a peu de postes dans l’enseignement post-secondaire et où ceux qui existent ne donnent lieu qu’à de faibles rémunérations11, de telles opportunités ne sont pas à mépriser. En fait, au cours de l’ère napoléonienne, en dehors des académies vouées aux sciences, aux inscriptions ou à la littérature et aux arts, il n’y a pas de source officielle de financement pour la recherche indépendante qui n’a pas de valeur immédiate pour l’État. Les géographes peuvent ou bien travailler pour le gouvernement ou bien s’engager dans le commerce. Au XVIIIe siècle, les géographes ne fonctionnent ainsi que de quatre manières. Ils peuvent être de petits hommes d’affaires indépendants qui gagnent leur vie en produisant et commercialisant des cartes ou des livres de voyage ou de géographie, avec ou sans le bénéfice du titre de « Premier Géographe du Roi ». Ils peuvent être des enseignants-chercheurs travaillant au niveau secondaire dans les collèges jésuites (jusqu’à leur suppression) ou dans les nouvelles écoles techniques spécialisées. Ce peuvent être des géographes civils de terrain à formation mathématique, comme les Cassini ou leurs assistants, produisant des cartes à grande échelle avec l’aide irrégulière du gouvernement. Ce peuvent être enfin des géographes militaires qui, à partir de la fin du XVIIIe siècle, assument le rôle de chercheurs/bureaucrates. Grâce à des écoles spécialisées, comme l’École des Ponts-et-Chaussées, l’École militaire et l’École polytechnique, les cartographes de terrain ou de cabinet sont parmi les mieux formés des chercheurs appliqués en Europe. La Révolution et les guerres napoléoniennes offrent des opportunités à tous les géographes, bien que les plus remarquables d’entre elles profitent à ceux qui sont les plus utiles à l’État, les géographes militaires en particulier.

Dans ce chapitre, nous allons explorer quelques-unes des sources des nouvelles relations étroites entre la géographie et l’État, en prenant en compte celles créées par les innovations militaires, par la montée de l’État citoyen moderne et peut-être plus personnellement, par les valeurs et intérêts de Napoléon lui-même. Aucun géographe vivant et actif durant la période révolutionnaire et napoléonienne – pas même ceux engagés dans la recherche érudite et ésotérique – ne survit indemne à cette ère d’agressivité extrême de l’État. Les géographes les plus affectés par l’agenda de Napoléon sont néanmoins ceux qui sont préparés à investir leurs compétences littéraires et scientifiques dans la promotion des intérêts de l’État, et plus spécialement ceux qui servent plus directement celui-ci en tant que militaires. Nous examinerons donc dans ce chapitre l’impact de cette étroite relation entre l’État et la géographie militaire à la fois sur le travail effectué par les géographes militaires et sur leurs carrières intellectuelles en tant que chercheurs. La valeur extraordinaire que revêt la géographie militaire pour l’État, et le nouveau besoin d’information non seulement sur la situation et les formes de terrain, mais sur les ressources et la société, conduisent les géographes militaires à développer une géographie descriptive plus critique et plus rigoureuse. Les guerres napoléoniennes exposent ces géographes militaires, dont beaucoup appartiennent à la classe moyenne montante, à des régions, des expériences, des paysages et des chercheurs de dimension internationale qu’ils n’auraient jamais rencontrés au cours d’une vie normale et paisible. Le fort intérêt militaire de l’État pour la géographie et pour le travail des géographes apporte ainsi, même durant la période napoléonienne, quelques-uns des avantages aujourd’hui associés à l’appui étatique pour l’enseignement supérieur et la recherche scientifique. Il est facile aujourd’hui, où le puissant support financier de l’État est graduellement remplacé par un financement intéressé du secteur privé, de se montrer nostalgique du soutien de l’État aux entreprises intellectuelles. Il est toutefois important de se souvenir que durant la période napoléonienne, rares sont nos structures modernes associées à l’Université qui se sont déjà mises en place pour protéger les savants et les chercheurs du caractère capricieux de l’intérêt ou du désintérêt de l’État. Les conséquences pour les jeunes intellectuels que sont les géographes militaires sont difficiles à mesurer. En fait, essayer d’évaluer l’impact sur l’esprit et les pratiques d’un intellectuel de plus de quinze ans de participation complète à une société militarisée revient à écrire de l’histoire contrefactuelle. Il est néanmoins possible de retracer, dans le déroulement des carrières et des écrits de deux géographes militaires, André de Férussac et Jean-Baptiste-Geneviève-Marcellin Bory de Saint-Vincent, dont les talents intellectuels sont exceptionnels, des impacts qui sont loin d’être positifs. Dans les carrières de ces deux hommes, il est en effet possible de suggérer, plus que de mesurer, à la fois les coûts et les bénéfices que l’implication dans l’État napoléonien apportait dans la recherche géographique.

Les sources de la nouvelle relation
entre la géographie et l’état

L’innovation militaire

Les forces conduisant à la montée de la géographie d’État sont à la fois plus larges que les circonstances immédiates des guerres napoléoniennes, et amplifiées par elles. Vers la fin du XVIIIe siècle, le changement dans la société au sens large crée une demande de recherche géographique d’un type légèrement différent. La nature de la guerre est en train de changer dans le dernier tiers du XVIII siècle. La Révolution est la source d’un nombre important d’innovations, mais d’autres résultent de la maturation de développements techniques et théoriques de l’art de la guerre au cours du XVIIIe siècle et dont la signification ne devient apparente qu’au cours des guerres de la Révolution et de l’Empire. L’accent croissant mis sur le mouvement rapide de troupes organisées en de plus petites unités telles que les divisions et les brigades et leur regroupement pour le combat en masse, joint au développement d’une artillerie plus légère et plus précise, donne à la cartographie et à la construction de routes une nouvelle importance12. Le mouvement rapide d’unités plus petites implique le guidage soigneux de troupes à travers un terrain rugueux et irrégulier. Mais comme ces nouvelles unités de combat auto-suffisantes se déplacent à travers ou près du territoire ennemi, elles ne peuvent jamais être sûres de ne pas rencontrer des forces hostiles supérieures en nombre. Leurs mouvements doivent donc être informés non seulement par une connaissance cartographique du terrain, mais aussi par un sens stratégique de la signification des traits du terrain, des paysages humains et des combinaisons de ceux-ci pour les opérations aussi bien offensives que défensives. La connaissance du terrain qui est requise va bien au-delà de la cartographie traditionnelle et commence à s’étendre à ce que nous reconnaîtrions aujourd’hui comme des préoccupations sociales scientifiques13.

On s’accorde généralement à reconnaître que la Révolution donne à l’art de la guerre européen un fort caractère idéologique, même si ce n’est pas pour la première ou la dernière fois. L’idéologie revient à une illusion collective étroitement liée à un nouveau nationalisme qui présuppose la cohérence et la supériorité de l’ordre social et politique français, de la civilisation française et de la science française. Cette supériorité sociale et culturelle justifie la conquête et la domination des peuples voisins qui, une fois conquis, ne constituent plus une menace mais bénéficient de l’ordre français et de la participation à la science et à la techniques françaises, tout en étendant le pouvoir de la France et la profondeur historique de la civilisation française14. Au cours du XVIIIe siècle, la guerre en Europe est conduite par des aristocrates qui s’identifient au moins autant entre eux qu’avec l’État de leur Souverain, et est réalisée par des soldats dont les sentiments sont traités comme substantiellement sans importance15. Avec la Révolution, l’identification transfrontalière réciproque entre les officiers doit s’interrompre, pour être remplacée par le nouvel accent mis sur la nation et le nationalisme. Au cours de ce changement, les cœurs et la loyauté des soldats du rang deviennent quelque-chose à courtiser et à gagner.

Au même moment, les difficultés financières de la France et le besoin du gouvernement de défendre le nouvel ordre social requiert, au moins durant les premières années de la Révolution, que l’on fasse confiance à une armée de conscrits – une armée qui peut seulement être tenue sur le champ de bataille par une conviction idéologique16. Cela implique aussi la mobilisation de la société entière : du recrutement des savants, chercheurs et artistes pour les expéditions militaires, à l’obligation pour chaque propriétaire de sous-sols de recueillir le salpêtre pour la fabrication de la poudre à canon, et à la militarisation napoléonienne de l’École Polytechnique, la première institution d’enseignement scientifique du pays17. Le ton idéologique monte plus haut lorsqu’un des buts militaires de la France devient celui d’exporter la Révolution : un système plus équitable de gouvernement et un meilleur mode de vie18. L’idéologie révolutionnaire française permet ainsi, et encourage, l’attaque directe du système social du pays envahi – en particulier sur tout aspect qui diffère du système économique, gouvernemental et social français. L’atmosphère générale de réforme sociale, qui peut aussi être vue comme de l’intolérance sociale, a, comme nous le verrons plus bas, un effet significatif sur les activités et les écrits des géographes chargés d’étudier les domaines nouvellement conquis.

Le développement combiné d’un corps plus instruit d’officiers de classe moyenne et l’idéologisation de l’armée ont un autre effet en fin de compte significatif pour la géographie. L’incapacité de la France de payer régulièrement ses soldats et de les habiller et chausser veut dire que l’armée doit vivre sur le pays qu’elle envahit. Cela conduit à ce que Geoffrey Best décrit comme une « addiction à la guerre » : une armée sur sol étranger ne peut être maintenue en fonctionnement que par une prédation d’un type plus ou moins institutionnalisé. Ce qui a commencé comme une nécessité se transforme en une entreprise profitable19. Sous sa forme la moins institutionnalisée, cela conduit au pillage – selon Best, une activité condamnée indirectement (et sans aucun doute courageusement) par au moins un géographe20. La prédation institutionnalisée (et qui, à ma connaissance, n’a jamais été condamnée par un géographe) implique l’appropriation du système de taxation foncière antérieur, la conscription locale (qui devient essentielle dans la mesure où le gouvernement français rencontre une résistance croissante à la conscription dans son propre peuple)21 et, vol moins pécuniaire, le pillage des œuvres d’art et des monuments historiques22. Réaliser une conquête implique ainsi non seulement de cartographier des phénomènes d’importance stratégique, mais aussi de produire une cartographie et des commentaires des richesses actuelles et potentielles. L’urgence de ces activités et la définition précise des richesses sont en fin de compte largement conditionnées par la guerre économique jouée entre la France et l’Angleterre et par les effets du blocus anglais et du système continental français.

Le changement politique et social

La nature de la société civile et, particulièrement, le sentiment du gouvernement français de sa capacité et de son droit à contrôler les activités quotidiennes et locales subissent aussi une révolution radicale, même si elle est graduelle et se fait peu à peu dans le courant du XVIIIe siècle. Ces changements sont similaires par leur direction à ceux qui interviennent dans le domaine militaire – et ils ont un effet aussi significatif sur la géographie. Que l’on adopte la perspective de la géographie historique de la France, celle de l’histoire de la statistique ou celle de l’histoire de la géographie, il est clair que dans le cours du XVIIIe siècle, le gouvernement français transforme le désir initié par Colbert de disposer d’une description générale de la France pour les besoins de l’administration en un engagement en vue de disposer de levers statistiques et cartographiques de plus en plus centralisés, réguliers, cohérents et exhaustifs du Royaume. L’engagement n’est pas encore complet à l’époque de la Révolution et, en partie à cause de l’interruption due à la Révolution et aux guerres napoléoniennes, il n’est pas réalisé avant que le XIXe siècle ne soit déjà avancé.

Une des caractéristiques de la conscience croissante que l’État a de son domaine est aussi une évolution de la compréhension de ce qui constitue la richesse nationale et donc de ce qui mérite l’attention du gouvernement. À partir d’une préoccupation initiale pour le territoire et l’impôt voit le jour une appréciation plus sophistiquée des relations entre la population (et le changement démographique), l’agriculture (et les pratiques agricoles), les rémunérations (et la pauvreté). Le résultat est un renforcement de la conviction de la valeur des statistiques, qu’elles soient démographiques, industrielles, agricoles, commerciales et, de manière plus limitée, sociales. Au cours de la période révolutionnaire et napoléonienne, l’enquête statistique devient en quelque sorte une préoccupation universelle23. Les géographes, qu’ils mettent l’accent dans leurs travaux sur la description graphique ou sur la description textuelle, ne peuvent pas manquer d’être fortement influencés par cette atmosphère générale ; ils sont donc non seulement convaincus du besoin et du droit fondamental de l’État à collecter de telles statistiques, mais aussi, et comme l’État prend la responsabilité du recueil des statistiques, ils se mettent de plus en plus à considérer cette tâche comme une part intégrale de leur mission.

La pression directe de Napoléon

Les forces socio-historiques sur le long terme ne sont pas les seules à suggérer aux géographes un étroit mariage entre la géographie et un État impérialiste en voie de modernisation. Il y a aussi la pression plus immédiate de Napoléon lui-même. Son intérêt pour les cartes et la cartographie est légendaire24.

Ce qui est moins connu est le clair sentiment qu’il a de ce que peut offrir à l’État une géographie descriptive et non cartographique ; il exprime de plus ces vues en écrivant. Il est également vraisemblable qu’il communique verbalement ce sentiment aux géographes-clés avec lesquels il entre en contact – bien que cela ne puisse être tout à fait prouvé.

Napoléon n’a que peu de temps pour les humanités, dont il considère qu’elles ont atteint leur pinacle dans les temps classiques et ne méritent donc pas d’avoir une place dans les institutions d’enseignement supérieur. N’importe qui disposant d’une éducation saine peut acquérir toutes les lumières que ces sujets ont à offrir en lisant les classiques. Napoléon réserve son respect pour les sciences – en particulier les mathématiques, la physique et la chimie. Elles constituent la base de l’ingénierie – peut-être la plus utile des sciences. Napoléon partage en fait la conviction des classes moyennes (qui se développe et se durcit au cours du XIXe siècle) que ce sont les sciences appliquées plutôt que la poésie, le droit ou la philosophie qui sont responsables de la dominance mondiale de l’Europe25. La géographie comme science quasi appliquée enseignée dans des écoles spéciales aux diplômés de l’école élitaire d’ingénieurs, l’École polytechnique, bénéficie de cette conception de la hiérarchie intellectuelle. Napoléon considère la géographie (et jusqu’à un certain point l’histoire, en raison de l’approche critique nécessaire à son étude) comme scientifiques – ou du moins comme raisonnablement telles. À ses yeux, la géographie tourne autour de faits, et pas autour d’interprétations ou de styles. Tous les faits nécessaires n’ont pas été établis et il y a des points de désaccord dans lesquels se trouvent impliqués des chercheurs engagés dans la recherche avancée. De plus, son domaine change et s’étend en raison de l’exploration, des progrès de la compréhension des affaires humaines et de la nature politique et morale constamment changeantes du monde26.

Avec son ministre de l’Intérieur, Champagny, Napoléon projette de créer une école de géographie et d’histoire dans une autre institution élitaire de recherche et d’enseignement en sciences pures et humanités, le Collège de France. Mais la description de cette nouvelle école rend clair le fait qu’il est moins soucieux de consacrer à la géographie une part de l’agenda de recherche et d’enseignement du Collège de France que de réformer celui-ci pour en faire – avec les sciences, géographie et histoire incluses – un appendice utile du Grand État. L’école de géographie doit être un bureau central d’information, qui rassemblera de l’information sur les différentes parties du monde, prendra note de tous les changements et les enregistrera, les fera connaître et guidera ceux qui désirent en savoir plus. Il doit y avoir quatre chaires de géographie : de géographie maritime, européenne, extra-européenne et commerciale et statistique. Cette dernière chaire sera consacrée à l’étude de la source de la puissance des États dans la tradition caméraliste, et en accord avec les préoccupations fondamentales des statisticiens/bureaucrates27. Pour des raisons qui demeurent mal élucidées, l’école de géographie et d’histoire de Napoléon au Collège de France n’est jamais instituée. Son idée même suggère cependant le sentiment qu’a Napoléon de la nature et du rôle exact de la géographie.

Le rôle de servante : la géographie militaire

Le service le plus important pour l’État et pour l’impérialisme est celui des géographes militaires de Napoléon, les ingénieurs-géographes28. Ces géographes doivent se trouver partout où les forces de Napoléon sont engagées au combat, parfois aux avant-postes de l’armée mais le plus souvent à ses côtés ou sur ses arrières ; ils sont employés à des opérations cartographiques destinées à consolider le contrôle exercé par les Français. Il est difficile d’exagérer la contribution des géographes militaires à la conquête des territoires envahis par les forces françaises. Ils cartographient les rivières, les montagnes, les canaux, les bourgs, les villes, les routes et les chemins, les monuments et le mouvement des armées dans toute l’Europe, de l’Italie, de la Savoie et Piémont à l’île d’Elbe, la Corse, la Bavière, l’Autriche, la Russie, la Pologne, les Pays-Bas, l’Espagne et l’Égypte. Ils mènent même des missions cartographiques au-delà de ce qu’a atteint l’armée, en Perse, en Algérie, à Saint-Domingue, en Louisiane et en Grèce. Ils doivent avoir produit des dizaines de milliers de cartes au cours du règne de Napoléon : un rapport d’Alexandre Berthier rédigé en octobre 1802 établit que dans la seule dernière guerre29, ces géographes ont produit 7 278 cartes gravées, 207 cartes manuscrites, 51 atlas et 600 mémoires descriptifs30. Pour l’expédition d’Égypte (1798-1801), ils dessinent des centaines de cartes manuscrites et au final publient un atlas de 50 feuilles topographiques avec d’innombrables plans de villes, des cartes de monuments, une carte hydrographique du pays et une carte de l’ancienne géographie de l’Égypte31. Il existe plus de 1 800 cartes manuscrites existantes des différentes campagnes d’Italie.

Le potentiel innovatif de la géographie militaire :
une géographie descriptive critique et rigoureuse

On peut dire que la géographie militaire, ou un corps de personnel militaire travaillant en liaison pour créer un corpus d’information géographique utile, existe depuis la création du Dépôt de la Guerre en 1743. Henri Berthaut retrace l’existence d’un corps militaire de cartographie et de collecte de l’information depuis la fin du XVIe siècle et les guerres d’Henri IV. Ce personnel cartographique a cependant un statut changeant : il est créé ou supprimé selon que le besoin pour ses services croît ou s’évanouit ; il reçoit de nouveaux titres et uniformes ; il est fondu dans d’autres corps, comme le génie, ou attaché plus ou moins au hasard à l’infanterie régulière. Son histoire, jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, est si complexe et discontinue qu’on peut se demander si un tel corps existe réellement avant la création du Dépôt. Avec l’établissement de celui-ci, les activités cartographiques et géographiques de l’armée acquièrent un centre nerveux et les ingénieurs-géographes bénéficient d’une direction, d’une protection et d’une certaine identité.

À partir de 1743, le Dépôt croît en importance : il missionne les ingénieurs-géographes aux opérations cartographiques dans les colonies ou sur les frontières en temps de paix, et acquiert à partir de 1769 une fonction complète de formation avec des professeurs de mathématiques et de langues étrangères. C’est cependant dans le cours des guerres de la Révolution et surtout de la période napoléonienne qu’il acquiert sa pleine importance comme moteur de collecte de l’information géographique, comme centre de recherche géographique et comme foyer de formation formelle et informelle des géographes militaires de terrain. Patrice Bret a décrit l’évolution du « Dépôt général de la guerre et de la géographie », comme il est alors connu, de 1791 à 1830, en mettant particulièrement l’accent sur la formation mathématique du personnel géographique32. Au cours de cette période, la formation varie de classes informelles données au Dépôt avec des instructeurs plus ou moins compétents, à la dévolution de l’éducation topographique à des corps qui ne sont guère prêts ou préparés à enseigner plus que les bases mathématiques de la cartographie et les rudiments de la cartographie non-géodésique, puis à l’établissement de programmes de formation avancés et complets conçus pour préparer le géographe militaire à une large gamme d’activités. Ce qui ressort clairement de l’analyse de Bret est que, malgré la résistance bureaucratique et les contraintes financières, il y a au cours de cette période un fort mouvement vers une formation institutionnalisée, plus rigoureuse et beaucoup plus large des géographes militaires. On peut en trouver la preuve à la fois dans les cours professés au Dépôt de la guerre et dans le journal publié par le Dépôt à partir de 1802. Le Directeur Général Étienne-Nicolas de Calon cherche en particulier à établir au Dépôt de la guerre une école qui devrait tirer parti, entre autres, du géographe physique Nicolas Desmarest, de l’ancien géographe Pascal-François-Joseph Gosselin et des astronomes Nicolas-Antoine Nouet et Perry. L’école de Calon tombe face au lobbying hostile du corps spécialiste rival du Génie et à l’infortune politique de Calon. Un certain nombre des idées de Calon sont toutefois ressuscitées en 1801-1803 dans les propositions des directeurs napoléoniens du Dépôt de la guerre, le Général Comte Antoine-François Andréossy et le Général Vallongue, et de nouveau en 1809-1830 dans l’École d’application du Corps royal des ingénieurs-géographes. Ce que ces propositions et institutions d’éducation ont en commun est un souci de ne pas juste former des topographes et des cartographes, mais de produire des officiers qui, en vertu de leur connaissance des mathématiques, de la physique, de la minéralogie ou de la géologie – et aussi de l’économie, de l’histoire, de la théorie militaire et des langues – soient capables d’interpréter tout ce que le pays a à leur dire33. Ce qui est précisément enseigné sous ces larges rubriques n’est pas clair d’après les archives du Dépôt de la guerre. Il est possible de se faire une idée de la nature et du propos de ces programmes d’enseignement en consultant ou bien le journal produit au Dépôt de la guerre sous l’impulsion des Généraux Vallongue, Andréossy et Nicolas-Antoine Sanson, le Mémorial du Dépôt de la guerre, ou bien les mémoires topographiques que l’on trouve aux archives militaires de Vincennes34.

La géographie défendue dans les pages du Mémorial est très éloignée de la géographie traditionnelle de cabinet. En un sens très général, son but principal est la synthèse géographique, qu’elle soit graphique ou textuelle, qui fournira une compréhension assez solide pour donner aux décideurs militaires quelques idées sur ce qu’ils ne peuvent pas savoir eux-mêmes35. Plus précisément, c’est une géographie utilitaire et militaire dont la principale fonction est d’informer les décisions des officiers supérieurs. Cela ne veut pas dire qu’on leur fournit des décisions toutes prêtes, ou même une liste d’alternatives. La fonction de cette géographie est plutôt de donner aux officiers l’information nécessaire pour comprendre les circonstances dans lesquelles ils se trouvent, afin qu’ils puissent concentrer rapidement leurs forces dans des lieux stratégiques clés36. Leurs « forces » incluent non seulement leurs soldats et armement, mais le terrain lui-même, la population de la région, les ressources de la zone (spécialement tout ce qui va au-delà de la subsistance), ses fortifications, ses institutions, ses attitudes politiques et religieuses, les perspectives sur la guerre et sur ses combattants, les attitudes vis-à-vis du commandement et de l’autorité, etc.37. Cette géographie prend donc en compte beaucoup d’aspects à la fois de la géographie humaine et physique. Il y a au Dépôt de la guerre un sentiment selon lequel les synthèses produites par ces géographes, bien qu’utiles en période de guerre, peuvent aussi être utiles au commerce, à l’industrie et à l’avancement de la connaissance statistique générale, à la science et à la société civile au sens le plus large38. Les ingénieurs-géographes du Dépôt sont ainsi aussi bien impliqués dans la production d’une carte générale de la France, dans les mesures par Méchain et Delambre de l’arc de méridien, dans la production de levers de haute qualité des territoires nouvellement conquis, que dans la production de cartes pour l’histoire cartographique des guerres de Napoléon, et dans le travail sur le cadastre lorsqu’ils sont en reconnaissances militaires régulières39. Un bon travail géographique peut être également intéressant dans des circonstances militaires ou civiles et, dans la perspective des officiers du Dépôt de la guerre, c’est sa rigueur, son exactitude, sa cohérence, son exhaustivité et son étendue qui définissent sa valeur.

Les ingénieurs militaires et spécialement les « ingénieurs-géographes » du début du XIXe siècle sont surtout connus pour leurs cartes de haute qualité et à grande échelle des territoires traversés par les armées de Napoléon. Parallèlement à l’importance et à la valeur de ces cartes, un autre aspect de leur travail est plus accessible et plus facile à apprécier pour les géographes modernes. En plus de rédiger des mémoires cartographiques comme ceux composés par les cartographes érudits de bureau comme d’Anville (voir chapitre 1)40, les géographes militaires peuvent aussi être vus comme des innovateurs dans un genre nouveau. Ce genre, un raffinement de la géographie descriptive, est le mémoire topographique. Né d’un intérêt nouveau pour la population, la société, et témoignant d’un souci plus large d’administration civile, le mémoire topographique est conçu pour assister l’administration des territoires nouvellement conquis41.

Le mémoire topographique est essentiellement un petit traité physique, social, historique et militaire sur la région à cartographier (généralement à l’échelle d’un canton). C’est une innovation de l’ère postrévolutionnaire42. Le mémoire topographique peut être né du mémoire militaire qui est apparu dans le courant du XVIIIe siècle. Mais le mémoire militaire du XVIIIe siècle est plus directement centré sur des intérêts militaires étroitement définis et ne va pas au-delà de la description du relief, des routes majeures et des aspects défensifs du territoire43. Les mémoires topographiques des géographes militaires postrévolutionnaires sont des documents beaucoup plus riches et témoignent de l’influence d’une nouvelle curiosité statistique et de quelques-uns des thèmes géographiques introduits par les Idéologues (voir le chapitre 6)44. Les questions qu’ils posent ne sont pas non plus limitées au type de questions liées au lever cadastral. Les mémoires topographiques traitent des techniques agricoles, du confort des maisons ou de son absence, de la nature de la hiérarchie sociale et de l’impact de l’activité du gouvernement sur le commerce du lieu et sur l’existence même des communautés locales. Ils décrivent les professions, les occupations et les compétences de la population, souvent sous forme de tableaux. Ils détaillent les produits de base, le réseau commercial, le système éducatif et sa relation à l’État, et suggèrent les principaux problèmes sociaux, économiques et politiques de la communauté. Lorsque les géographes militaires ne peuvent pas comprendre ce qu’ils considèrent comme un aspect important de la vie de ces communautés (par exemple pourquoi les paysans d’une région avec un bon système de canaux sont persuadés que l’irrigation rendrait leurs champs stériles, ou pourquoi les arbres sont abattus et travaillés en utilisant une méthode plutôt qu’une autre, ou pourquoi il n’y a pas assez de fabricants de verre dans une communauté qui a clairement besoin d’en avoir davantage), ils suggèrent de possibles avenues de recherche. Bien qu’ils soient clairement des serviteurs de l’État, les géographes militaires veulent parfois représenter les intérêts des paysans contre ceux de l’État, ou du moins, suggérer à leurs supérieurs les limites de l’autorité légitime de l’État45.

Utilitariste jusqu’au cœur, cette géographie a de la cohérence, de la structure et de la puissance. Malte-Brun et les autres géographes producteurs de géographies universelles du début du XIXe siècle cherchent à fournir une description complète du monde humain avant d’avoir compris la nature et la structure qui a été développée. Le résultat est une masse d’informations structurée davantage par un ordre arbitraire de présentation que par une logique interne ou un débat. Dans le cas de la géographie pratiquée par le Dépôt de la guerre, c’est l’utilité militaire qui fonctionne comme agent structurant et principe d’inclusion et d’exclusion46. Par exemple, ce ne sont pas tous les aspects de la vie paysanne qui intéressent les géographes militaires. Ils ne prêtent attention qu’à ce qui peut jouer un rôle dans les relations entre l’État (fréquemment représenté par les militaires) et la société locale. À cette fin, ils reçoivent l’instruction d’ignorer les détails inutiles et d’éviter le style littéraire des « voyageurs sentimentaux » qui décrivent beaucoup mais n’expliquent que peu de choses47. Ce souci de concision et la focalisation relativement étroite de ce type de travail nous le rend accessible et même intéressant. Il offre davantage qu’un montage des sources d’information accessibles sur telle ou telle partie du monde. Il ouvre une vue sur ce que le gouvernement et l’armée considèrent comme important dans le paysage. En fait, en comprenant la perspective à partir de laquelle les descriptions topographiques sont écrites, les paysages et les sociétés décrits deviennent réellement vivants. Le souci de clarté et de concision encourage aussi les géographes à rendre le « langage » géographique – spécialement le langage cartographique et le langage utilisé pour décrire le monde physique – plus précis48. Ils ont apparemment espéré étendre cette précision du langage au domaine de la géographie humaine, mais rien n’est réellement tenté avant les années 1830. La concision et un propos clair sont la plupart du temps de bons guides pour écrire, et nous pouvons même en voir les effets en comparant un travail sur l’histoire de la cartographie écrit par le géographie militaire Soulavie et un autre travail du même type venant d’un géographe civil reconnu, Barbié du Bocage. Soulavie met l’accent sur l’utilité pratique des cartes qu’il décrit et en conséquence, met en rapport les cartes avec les sociétés qui les ont produites49. Par contraste, le travail de Barbié du Bocage se lit bien davantage comme une liste des événements les plus importants dans l’histoire de la carte50.

Le modèle utilitariste qu’ils mettent en œuvre ne prive visiblement pas leur travail d’esprit scientifique. Les géographes militaires formés au Dépôt de la guerre sont des hommes éduqués, certains étant d’anciens élèves de l’École polytechnique. On attend d’eux qu’ils sachent non seulement mener à bien leur travail, mais qu’ils réfléchissent à la signification des paysages autour d’eux :

« L’officier bien formé, qui a reconnu et assuré sa position, peut aussi se permettre de réfléchir à la scène magnifique dans la gloire de laquelle il se trouve placé… Il peut se demander quelle main puissante a formé ces structures globales de squelette (les chaînes de montagne), et à quelles forces secondaires mais terribles on peut attribuer un tel chaos de formes et de substances. Il peut invoquer la sagesse des anciens, ou la science de notre âge, et être surpris de ne recevoir qu’une lumière faible et récente sur des phénomènes aussi incommensurablement vieux que leurs effets sont immenses »51.

La géologie est à l’époque un sujet important et controversé, caractérisée par une tendance à la spéculation gratuite sur les origines et l’histoire de la terre. Comme décrit au chapitre 3, cela suscite des réactions très négatives de certains géographes de cabinet qui, en essayant de résister au changement radical dans la vue globale impliquée par une terre que l’on peut sonder, rejettent hypothèses, théories et même explications. Par contraste, le général Vallongue, adjoint au chef du Dépôt de la guerre (Andréossy), analyse la question avec plus de profondeur. Il suggère aux géographes militaires qu’il y a une importante distinction à faire entre la spéculation et la théorie. La spéculation est née de l’impatience face à la terre silencieuse et mystérieuse. Les systèmes comme ceux de Buache font partie d’une quête d’ordre et de cohérence. Cette quête serait stérile sans l’observation attentive du terrain. Des observations peuvent, à la longue, controuver une théorie, mais une théorie, même aussi discutable que celle de Buache, peut apporter une perspective et une cohérence qui ne viendraient pas de la seule observation. Ainsi, selon Vallongue, les horizons d’un militaire bien formé seront « élargis par la lumière de la théorie » et il pourra réduire l’influence des « illusions d’optique » en « pratiquant l’observation »52. Il conseille au géographe militaire de connaître les divers systèmes et hypothèses géologiques et d’explorer leur potentiel prédictif sur l’état présent de la topographie. Il est déjà tout à fait clair que le système de Buache n’aiderait guère à prédire les formes et systèmes montagneux, mais cela peut être d’une utilité considérable dans l’interprétation des rivières et de leurs bassins, qui ont tenu un large rôle dans le façonnement de la topographie. Les questions philosophiques sur les origines doivent, suggère-t-il, être laissées aux philosophes et savants comme Pallas, Humboldt ou Ramond53. Les vues de Vallongue sont partagées par le chevalier Allent, qui soutient que la fonction de la théorie est de libérer la topographie à la fois de la supposition arbitraire et de l’empirisme54.

Le propos de la géographie militaire est donc de produire des synthèses spatiales, informées par la théorie et par des lectures, et qui amélioreront à la fois l’interprétation du paysage et mettront en relief les ressources naturelles et humaines que l’on pourrait exploiter. La méthode selon laquelle ceci doit être réalisé est également bien exposée dans le Mémorial. Une géographie de qualité doit être basée sur la recherche dans les archives et sur le terrain, et sur des questions posées à des habitants locaux choisis de manière appropriée. Comme la vie est un art du possible, spécialement dans des conditions de guerre, les géographes militaires sont dressés à commencer leurs enquêtes dans les archives et les bibliothèques des régions intéressantes. Un certain nombre d’ingénieurs sont envoyés dans des missions longues à la recherche de documents dans, et sur, les régions qui paraissent intéressantes au gouvernement. Ils ne font pas halte dans les bureaux ou les bibliothèques du gouvernement, mais visitent les chercheurs locaux et examinent les stocks chez les marchands de cartes et de livres55. Les géographes militaires sont rarement prêts à accepter de telles sources comme sûres – même après une étude soigneuse des origines des documents. Pour le géographe militaire et ses supérieurs, l’essence de l’approche militaire repose sur la recherche de terrain ou sur l’observation et la mesure de tous les aspects du paysage jugés importants. Afin de comprendre un paysage, le géographe a besoin de plus qu’une planchette, d’un cercle répétitif et d’une boussole. Sur le terrain, l’information recherchée n’est pas toujours directement accessible au regard ou à la main. Pour connaître, par exemple, la relation entre la fluctuation du lit des cours d’eau et la pluviosité – en l’absence de relevés sur le long terme – l’officier devra observer le lit de la rivière et le terrain alentour. Pourra-t-il voir des ponts endommagés ? Lui sera-t-il possible de déterminer comment ils ont été détruits56 ? De manière semblable, si le but est de déterminer si la population a récemment diminué, le géographe doit examiner l’utilisation locale de l’espace. Y a-t-il des maisons désertées et des champs abandonnés57 ? Un déséquilibre entre les sexes apparaît-il ou une tendance au mariage précoce ou tardif ? Si le géographe désire calculer la production maximale possible dans une région, il doit prendre en considération la nature du sol, noter si les champs sont trop ou pas assez arrosés, estimer le nombre et l’état des granges et des étables, et grossièrement énumérer les instruments utilisés et la tenue générale des champs58. Ce qu’il peut observer, calculer et déterminer par lui-même est limité dans un espace de temps raisonnable. Pour certains détails, il est nécessaire d’interroger les habitants locaux, et dans son mémoire dans le Mémorial du Dépôt de la guerre, le chevalier Allent expose les procédures que l’on doit suivre dans une telle éventualité. Le géographe doit commencer par les autorités, puis consulter les gens instruits de la région, puis rechercher la perspective des résidents les plus âgés. Les géographes sont appelés à éviter de créer une atmosphère d’autorité aussi bien que de paraître trop intéressés dans les questions qu’ils posent. Ils ne doivent jamais utiliser la force ou l’intimidation. Il est beaucoup plus fructueux d’essayer simplement d’engager avec les gens une conversation dans laquelle les détails recherchés seront mêlés avec des trivialités ou des sujets intéressants les interlocuteurs59. Ce type d’interrogation nécessite des capacités et talents très particuliers, dont Allent dresse la liste. Le géographe doit être capable d’acquérir rapidement une certaine sympathie pour les croyances et coutumes locales. Il a besoin d’une prodigieuse mémoire et d’une façon structurée de penser. Il doit être capable d’apprendre rapidement et bien de nouvelles langues et de maîtriser dialectes et accents. Il a besoin de bien connaître le latin pour converser avec les responsables religieux en toute région. Finalement, il doit avoir une personnalité facile lui permettant d’apparaître à l’aise dans n’importe quel environnement social60. Une fois acquise, l’information doit être vérifiée, idéalement par la comparaison critique de témoignages et, là où elle est possible, par l’observation directe des phénomènes en question. S’il existe le moindre doute sur la validité d’une information importante, elle doit être rejetée. Un manque d’information est toujours préférable à une information erronée.

Les géographes du Dépôt de la guerre sont connus comme « ingénieurs-géographes » ou plus généralement comme « ingénieurs-militaires ». Lorsque la valeur de leurs connaissances est jugée supérieure à leur valeur de techniciens de la cartographie, ils peuvent être détachés à l’état-major (quartier général) et commencent à être simplement connus comme « officiers de l’état-major ». Après la période napoléonienne, quand la pression de la guerre s’éloigne, les ingénieurs-géographes sont fondus avec les officiers de l’état-major, et sont chargés, en commun avec eux, de la responsabilité de la production de la carte de France au 1/80 000. Ainsi, en un sens, ils retournent à leur fonction initiale de cartographes bien entraînés. Durant la période napoléonienne, et plus spécialement de 1793 à 1809 environ, ils sont également intéressés à ce que nous décririons aujourd’hui comme de la géographie physique et humaine. Il est vrai que les ingénieurs-géographes, en particulier, se décrivent souvent simplement comme « topographes ». Ils sont empreints d’un orgueil professionnel qui revendique à la fois les attributs et le titre de « géographe ». C’est peut-être dans un rapport de l’époque sur les cours enseignés aux ingénieurs-géographes que cela apparaît le mieux : « avec la qualification de géographe attachée à celle d’ingénieur, c’est toute la terre qui est notre domaine… »61. En réponse à la passion qui prévaut pour l’histoire naturelle et à l’intérêt croissant pour « l’homme » et la société, les géographes militaires soutiennent parfois qu’alors que la géographie se limite à indiquer et à fixer la localisation62, c’est la topographie qui offre un nouveau futur. La topographie, liée à la statistique, peut fonctionner comme une sorte d’intermédiaire entre les géographes et la terre, et guider les géologues, les agents commerciaux et les personnages publics dans leur travail pour l’État63. De manière intéressante, alors que les « ingénieurs-géographes » sont prêts à distinguer la topographie de la géographie, ils sont moins préparés à différencier la topographie de la catégorie plus large d’ingénieur militaire ; alors que l’ingénieur militaire doit travailler dans différents services au cours de sa carrière, l’étude et la pratique de la « topographie » est utile dans tous les services64.

La topographie ou la géographie pratiquée par les ingénieurs militaires est ainsi une analyse du paysage physique et humain en termes de son rôle potentiel en temps de guerre ou durant une paix d’après-conquête. Elle est également concernée par la morphologie du paysage, ses forêts, ses marais et son climat, et par son rôle dans les vies et les fortunes des habitants. C’est une géographie qui est intéressée par l’impact de l’industrialisation sur la campagne et sur le genre de vie des paysans. Elle est attentive aux centres commerciaux, aux réseaux de transport et aux structures administratives, spécialement celles qui sont liées aux impôts et à la conscription. L’étude de la population est plus ou moins restreinte à la description de caractéristiques plus ou moins vérifiables comme la taille, les origines, les maladies, les coutumes et l’attachement à la religion. Il est acceptable de commenter leur caractère, mais sans donner trop d’importance à ces indications65. Il y a même une petite place pour l’histoire (depuis longtemps liée à la géographie descriptive) dans cette « topographie ». Ces ingénieurs militaires sont conscients de faire eux-mêmes l’histoire et se posent une question qui rappelle celle posée par Napoléon lui-même : si la topographie est supérieure à la géographie de cabinet, une histoire sur le terrain, pour ainsi dire, ne serait-elle pas supérieure à une histoire de cabinet66 ? Un ingénieur-géographe qui a eu une brillante carrière comme officier de l’état-major général, Jean-Jacques Pelet, passe une bonne partie de sa carrière post-napoléonienne à écrire juste ce type d’expérience – et une histoire informée par le terrain67.

Mais le pouvoir corrompt

L’association étroite avec le pouvoir de l’État présente des périls. Il y a aussi de graves dangers à adopter l’utilité comme premier principe d’organisation de la recherche. On peut l’illustrer clairement avec le travail réalisé par les ingénieurs militaires en Égypte et même avec celui de l’ingénieur militaire Chabrol de Volvic en Italie68. L’accent sera cependant mis ici sur les carrières de deux ingénieurs militaires et l’impact de leur étroite association avec le pouvoir sur leurs vies et leur pensée. Formés au cours de la période napoléonienne, ces géographes militaires restent actifs à la fois dans l’administration militaire et dans la recherche géographique longtemps après la fin de l’ère napoléonienne. Ce sont André de Férussac et Jean-Baptiste-Geneviève-Marcellin Bory de Saint-Vincent. Ils consacrent la meilleure partie de leur carrière académique à la géographie naturelle. Les deux géographes tirent parti de la formation et de la compréhension qu’ils ont acquises durant les guerres et les appliquent à une série de problèmes non militaires. À cause peut-être de la nature très naturelle des problèmes qu’ils essaient de résoudre, leur recherche est parfois innovante. On peut cependant soutenir que leur association étroite au pouvoir d’État entraîne des coûts inacceptables. Les coûts les plus évidents sont associés aux guerres napoléoniennes : danger physique et défaveur politique. Ils sont supportés dans une certaine mesure à la fois par de Férussac et Bory de Saint-Vincent. La militarisation de la géographie fournit temporairement un but et un principe d’organisation à la recherche géographique. Ce qu’elle ne fait pas, c’est de pousser le travail de ces géographes au-delà de la description. La question de comment identifier un lieu pour la géographie entre les entreprises montantes de la géologie et de la statistique, ou de comment donner à la géographie quelque pouvoir explicatif, n’est jamais résolue par ces géographes. Vu la nature et le nombre de problèmes que les gouvernements modernes rencontrent, et en l’absence de comités scientifiques et d’académies conçus pour protéger les intellectuels, le soutien politique de la recherche est typiquement capricieux et de courte durée. La recherche la plus significative réclame une attention soutenue. Le travail de ces deux géographes est limité à la fois par les estimations officielles de ce qui est valable et par le manque de ressources. Cela veut dire qu’ils n’ont pas la liberté et de l’opportunité de poursuivre souvent d’excellentes idées. Il existe aussi des signes d’une absence de communauté intellectuelle à travers laquelle explorer et trier leurs idées. Étant tous les deux essentiellement définis par leurs belles carrières militaires, et ainsi, en un sens, bénéficiaires d’une forte affiliation non académique, ils manquent d’affiliation et de statut intellectuels. En quête de ceux-ci, les deux chercheurs permettent à leur recherche de zigzaguer à travers des champs beaucoup trop vastes pour laisser une empreinte significative. Finalement, et peut-être plus sérieusement, l’étroite association avec les intérêts de l’État pour l’impérialisme biaise et fausse leur jugement selon des voies dont eux-mêmes ne peuvent pas prendre conscience. Cela est plus clair dans la carrière et les écrits de Bory de Saint-Vincent que dans ceux de de Férussac, auquel ses expériences d’enfance et d’adolescence ont appris à garder une attitude de vigilance sceptique vis-à-vis du pouvoir de l’État.

Trajectoires de vie et pistes de carrières :
pouvoir militaire et imagination géographique

L’enfance d’André de Férussac se déroule dans une période d’extraordinaire bouleversement social. Né juste deux ans et demi avant la Révolution, les événements politiques et militaires modèlent substantiellement les vingt-neuf premières années de sa vie. Lorsqu’André a juste quatre ans, son père, petit noble, officier du rang de capitaine et naturaliste amateur fuit la Révolution française pour rejoindre l’armée royaliste du Prince de Condé. Le résultat, c’est que le jeune de Férussac fait, avec sa mère, l’expérience de la prison alors qu’il est encore d’un âge précoce et impressionnable. En fait, sa famille n’est pas réunie avant que Napoléon ne déclare l’amnistie pour tous les émigrés en 1801. Le nouveau régime napoléonien réunit ainsi temporairement les d’Audebard de Férussac, mais les guerres napoléoniennes envoient le père et le fils, le père comme officier, le fils comme soldat puis comme officier, aux quatre coins de l’Europe. André rejoint le nouveau corps d’infanterie légère (les vélites) à l’âge de dix-sept ans et est pris dans un service militaire actif, prenant part aux batailles de Iéna, Austerlitz, Heilsberg, Friedland, Eylau et au siège de Saragosse jusqu’à ce qu’il soit sérieusement blessé au cours d’une mission de renseignement (cartographique) dans la Sierra espagnole de Ronda en 1810. Les biographes de de Férussac s’accordent sur le fait que c’est cette blessure, une balle à travers l’épaule ou le haut du torse, qui, en fin de compte, tue le plus jeune des Férussac vingt-quatre ans plus tard, à l’âge de cinquante ans69. Après avoir subi cette blessure, de Férussac ne participe jamais plus au service actif, mais il continue à servir comme aide-de-camp militaire du général Darricaud, comme chef de bataillon d’état-major (1817), comme conseiller militaire avec Gouvion Saint-Cyr (1818) ; comme instructeur à l’École de l’état-major nouvellement établie, et avec des périodes de convalescence et de détachement, comme conseiller militaire, jusqu’en 1828. Durant les dernières années de l’Empire, il n’est plus en état de servir que de façon intermittente, et pas d’une manière qui lui offre des chances de statut et de gloire. Au sens le plus immédiat, donc, sa participation aux guerres napoléoniennes fournit à de Férussac une riche gamme d’expériences, mais lui coûte sa santé.

De Férussac a aussi une brève carrière politique et administrative. Il publie en 1814 un récit du siège de Saragosse et un « Coup d’œil sur l’Andalousie » dans les Annales des voyages de Malte-Brun qui est remarqué par Napoléon70. Peu de temps après, il est nommé sous-préfet d’Oloron, dans les Basses-Pyrénées, juste à temps pour se trouver dans une position de responsabilité lors de la chute de Napoléon. Durant les Cent Jours, ayant pris une position de prudence sceptique, mais ayant refusé de prêter allégeance à la fois à Napoléon et à son préfet, il sert comme sous-préfet de Compiègne. Il rend promptement son poste à son prédécesseur au moment de la chute finale de Napoléon. Clairement mal-à-l’aise vis-à-vis d’un régime qu’il considère comme imprudemment violent, de Férussac ne cherche jamais à occuper de nouveau une position de responsabilité : il sert néanmoins comme membre de la Chambre des Députés représentant le Tarn-et-Garonne sous la monarchie constitutionnelle de Louis-Philippe de 1830 à 183271.

L’expérience militaire de son adolescence offre à la fois à de Férussac quelques opportunités et lui en barre d’autres peut-être plus importantes. Avant de devenir soldat, de Férussac est fortement influencé par l’intérêt de son père pour l’histoire naturelle et en particulier pour l’étude et la classification des escargots terrestres ou d’eau douce (mollusques).

Ils produisent ensemble des travaux qui attirent l’attention et le soutien de quelques-unes des figures les plus puissantes des sciences naturelles du premier XIXe siècle. C’est à l’âge de dix-huit ans que de Férussac présente sa première étude devant l’Académie des sciences. Le jeune de Férussac a une passion pour l’étude qui, peut-être comme résultat de son expérience militaire, déborde largement de l’histoire naturelle. Quand il sert comme soldat puis comme officier, il étudie le pays, l’histoire, l’histoire militaire, les « statistiques » et l’histoire naturelle des régions à travers lesquelles il passe. Il collecte parfois assez de matériel pour produire un article72 ou écrire un petit livre73. Il perd parfois le matériel qu’il a collecté à la suite d’un changement de lieu décrété par l’armée74. Dans de telles conditions, comment collecte-t-il systématiquement les coquilles, leurs descriptions et l’information sur le contexte géologique dans lesquelles elles se trouvent est un mystère, mais selon sa préface à L’Histoire naturelle75, lui et son père y parviennent tous deux. Chaque fois qu’il est à Paris, aussi bien durant la période napoléonienne qu’après, de Férussac présente des articles sur sa recherche et ses découvertes dans les centres intellectuels majeurs de Paris : la Société philomatique, l’Institut, l’Académie celtique et l’Académie des Sciences. Ils sont bien accueillis. Ce que de Férussac ne peut pas faire pendant qu’il sert à l’armée est de consacrer son attention sur un domaine particulier de recherche. Aussi, au lieu de se focaliser sur ce qui, en l’absence de guerre aurait probablement occupé ses jeunes années, l’histoire naturelle des mollusques, l’activité de recherche de de Férussac est dispersée à travers une large variété de sujets. Son travail sur les mollusques est hautement original, en partie parce qu’il combine, sans en être peut-être pleinement conscient, un intérêt pour la classification à la manière de l’histoire naturelle et un sens de l’espace. Toutefois, et en dehors d’une brève période dans les années 1820, il n’accorde jamais à ses études sur les mollusques une attention suffisante pour développer et tester pleinement ses idées. La période durant laquelle il se consacre à une recherche centrée sur l’histoire naturelle est celle des trois ans entre la fin de l’ère napoléonienne et sa tentative d’identifier un terrain significatif pour la géographie en temps de paix. Ce projet est immédiatement suivi par un autre encore plus ambitieux destiné à traiter de l’un des problèmes écrasants de la géographie : la forte croissance de l’information et de la recherche qui caractérise le début du XIXe siècle. Avant de considérer aussi bien sa réflexion sur la nature de la géographie que sa solution au problème de l’explosion bibliographique, nous examinerons la signification de sa recherche en histoire naturelle. L’histoire naturelle, on peut le soutenir, précède son intérêt pour la géographie et reflète les intérêts et le potentiel du de Férussac non militaire.

Au premier regard, le travail mené par de Férussac en commun avec son père semble carrément s’inscrire dans la tradition de l’histoire naturelle76. Les deux de Férussac sont les premiers à réaliser une classification d’ensemble des mollusques fondée non pas seulement sur leurs coquilles mais – en lien avec les idées de Cuvier et de Lamarck – sur la forme et l’anatomie de l’animal vivant dans la coquille. À cette fin, le père et le fils passent des années à collecter et étudier des spécimens aussi bien vivants que fossiles, depuis ceux de taille microscopique jusqu’aux plus ordinaires. Ce n’est pas facile étant donné l’extraordinaire variation entre les individus. Le père et le fils voyagent pour voir les collections des naturalistes étrangers et André de Férussac s’arrange pour que toutes les missions diplomatiques lancées par le Ministère de la Marine et par celui des Affaires étrangères collectent et ramènent les mollusques qu’elles trouvent dans les territoires qu’elles visitent77. Leur travail est admiré et loué par Cuvier et Lamarck78.

L’intérêt des de Férussac pour les mollusques n’est pas purement classificatoire. Dans sa description personnelle de sa contribution à la science, André de Férussac décrit ses recherches en histoire naturelle comme l’application d’une étude spécialisée pour « déterminer les lois de la distribution des espèces sur le globe »79. L’ubiquité des mollusques et le nombre extraordinaire des fossiles qui en ont survécu suggèrent la possibilité de poser des questions plus larges que celles concernant leurs formes intérieures. Déjà avant 1815, les deux Férussac s’interrogent sur la cause des disparitions massives d’espèces particulières de fossiles dans le registre géologique. Les mollusques, estiment-ils à ce moment, ne sont probablement pas aussi sensibles aux changements de température que des espèces plus grandes. Jusqu’où vont ces disparitions ? Correspondent-elles à l’impact de causes locales, comme de grands glissements de terrain, ou y a-t-il eu des catastrophes d’échelle globale dans le passé ? Est-il raisonnable de penser que quelques espèces ont réellement changé de forme ? Mais pourquoi certaines espèces auraient-elles changé alors que d’autres restaient les mêmes ? Il est sûrement ridicule de défendre, comme l’a fait M. Brard, que tous les mollusques sont venus « d’un fluide singulier » [depuis les océans ?] et que ceci a déterminé « les lois de distribution des espèces sur le globe », parce que « il aurait été nécessaire de supposer que leur système respiratoire, leur comportement et leurs habitudes alimentaires avaient aussi entièrement changé ; et alors, pourquoi seuls les animaux à coquilles auraient-ils préservé leurs formes premières ? » C’est aussi vraisemblable que de soutenir que les lézards ont un jour habité les rivières « parce qu’aujourd’hui, le Nil nourrit des crocodiles ». Non, étant donné l’état de la recherche en 1813 et combien peu était connu au-delà de l’Europe, les de Férussac préfèrent conclure : « aujourd’hui, nous avons appris à douter ; c’est la meilleure preuve du progrès de notre connaissance »80.

Au milieu des années 1820, de Férussac est prêt à tirer des conclusions plus larges et plus significatives de son travail. Décrivant l’implication de la recherche sur les mollusques sur à la fois la géographie de la distribution des plantes et des animaux et sur la géologie sédimentaire, il conclut : (1) les familles, les genres et les espèces augmentent significativement en nombre des temps les plus anciens aux temps les plus récents ; (2) ils deviennent de plus en plus similaires aux familles, genres et espèces vivantes ; (3) les familles, les genres et les espèces des mollusques aussi bien fossiles que vivants « suivent l’accroissement de la latitude et la diminution de l’altitude, en dehors de quelques anomalies qui ont à voir avec les conditions locales [la loi des stations] » ; (4) quelques espèces semblent avoir été progressivement détruites « parce qu’elles étaient privées des conditions de vie qu’elle avaient eues auparavant » ; (5) étant donné la plus grande ressemblance entre les espèces vivantes et fossiles dans les régions méridionales, « il est permis de conclure que la baisse des températures (la température moyenne en réalité) était la condition de vie la plus importante manquant pour les espèces qui n’existent plus aujourd’hui » ; et finalement (6), lorsqu’on regarde les séries de fossiles, il n’y a pas de rupture claire suggérant que la vie se soit jamais (une ou plusieurs fois) renouvelée sur toute la terre. « Au contraire, nous voyons en eux la preuve d’un changement successif et graduel »81. De ceci, il conclut, de manière encore plus générale :

« Il semble alors que nous puissions conclure de ce qui précède que (1) l’analogie de station et de destination, c’est-dire les conditions de vie et le rôle que remplit la vie, est la loi générale qui a présidé à la distribution de la vie sur le globe ; (2) les changements que la vie a subis sur la surface de la terre ont été graduels. La vie n’a pas été renouvelée. Les races n’ont pas été modifiées. Toutefois, pour autant que les conditions d’existence ont changé ou que de nouvelles conditions se sont formées, de nouvelles espèces ont remplacé celles qui ne pouvaient plus exister et qui n’avaient plus de rôle à remplir. Cela continue jusqu’à la période où, pour chaque partie de la terre successivement, un équilibre entre les causes qui exercent de l’influence s’est établi »82.

Dans cette conclusion semi-lamarckienne avec des mots très soigneusement pesés, de Férussac met le doigt sur la question cruciale qui reste sans réponse : comment les nouvelles espèces remplacent-elles celles qui ne peuvent plus exister ?

Le travail de de Férussac sur les mollusques est loin d’être ordinaire. Étant donné sa focalisation sur la distribution et l’histoire de la terre, il est géographique en un sens humboldtien. Basé sur son travail sur les mollusques et les applications de ce travail à l’histoire de la vie sur terre et, en fait, à l’histoire de la terre, il est candidat à un fauteuil de zoologie ouvert à l’Académie des sciences. Il est refusé. De Férussac est écarté du fauteuil quatre fois avant qu’il n’abandonne à la fin83. Le premier problème est que son travail se situe entre deux chaises proto-disciplinaires. Bien que dans les années 1820, il ait beaucoup publié, une partie substantielle de ses travaux se situe bien en dehors de la compétence de la zoologie. Il ne peut pas concurrencer en zoologie, étroitement définie, des chercheurs comme de Savigny, de Blainville et Frédéric Cuvier. Dans une de ses dernières candidatures, il cherche à défendre la pertinence de tout son travail sur les mollusques pour la zoologie. Se référant à un dossier présenté précédemment, il essaie de se présenter comme un zoologue pur et dur :

« Comme les travaux présentés dans la seconde partie de cette Notice sont “des applications zoologiques” de l’étude des mollusques vivants ou fossiles, ce ne sont pas, en soi, des “travaux géologiques”. Les articles mentionnés dans cette notice sont seulement présentés comme des travaux appliqués dans lesquels les compétences de faits purement zoologiques sont démontrées »84.

De Férussac est blessé et désorienté par un rejet justifié sur la base de critères disciplinaires. Dans une lettre triste reconnaissant son échec final à être admis, il écrit sans comprendre :

« J’ose espérer une reconnaissance qui serait, pour moi, la plus sérieuse récompense d’une vie entière consacrée au progrès de la science »85.

Malheureusement pour de Férussac, l’Académie des sciences du XIXe siècle est moins intéressée par la reconnaissance des contributions à la science en général qu’à l’avancement des sciences particulières. La seconde difficulté vient de ce que de Férussac n’a entièrement mené à terme aucun travail majeur. Il y a toujours autre chose, et généralement quelque chose de central pour son projet, qu’il a eu l’intention de faire. Une proportion significative de son travail zoologique est publiée de manière posthume par des chercheurs qui ont dû compléter, augmenter et corriger la recherche de de Férussac86. Les raisons en sont certainement complexes. De Férussac a une famille à faire vivre mais a aussi adopté une structure d’activité au cours des guerres napoléoniennes, avec laquelle il aurait dû rompre pour être admis à l’Académie des sciences. Chaque fois qu’il est candidat à l’Académie, on lui dit de centrer son travail sur la classification des mollusques. Mais comme il doit vraiment s’engager dans le travail qu’il effectue pour l’armée, essentiellement en géographie et administration militaires, il ne peut se le permettre. Il se trouve donc face à un dilemme professionnel : rester fidèle au genre d’intellectuel au sens large prisé par l’armée et ne jamais avoir accès à l’Académie des sciences, ou ne considérer l’armée que comme un employeur et se concentrer sur la recherche en histoire naturelle. Peut-être est-ce son attachement à la géographie et aux questions géographiquement cadrées qui lui a fait choisir la première alternative. Ou peut-être les constantes interruptions de sa vie militaire dans la période napoléonienne troublée l’ont-elles laissé incapable de traiter l’histoire naturelle autrement que comme « un goût personnel », une « consolation » et un moyen d’échapper aux « déplorables circonstances » pour « l’urbanité et la générosité des chercheurs »87.

La vie de de Férussac comme officier est inextricablement liée à son identité comme géographe. De Férussac entre dans l’armée l’année où le chevalier Pierre-André-Joseph Allent publie son « Essai sur les reconnaissances militaires ». C’est précisément à cette époque que le Dépôt de la guerre crée un champ actif de recherche géographique de terrain grâce à sa publication, le Mémorial88, et grâce aux activités des géographes militaires. La géographie développée et pratiquée grâce au Dépôt de la guerre a un impact significatif sur la compréhension que de Férussac a du sujet et sur son engagement dans ce type de recherche et de réflexion. De Férussac semble avoir totalement embrassé les valeurs et les approches avancées par le chevalier Allent et ses collègues dans la première décennie du XIXe siècle. Dans son livre racontant le siège de Saragosse et décrivant l’Andalousie, de Férussac défend l’idée, en termes évoquant ceux du Général Allent, selon laquelle l’Armée lui offre, et à beaucoup comme lui, un panorama de sociétés non familières qui n’est accessible qu’à très peu de voyageurs :

« Les circonstances rencontrées par un militaire sont très avantageuses pour l’acquisition de connaissances. Il se trouve en contact avec le peuple de toutes les classes. Il s’intègre, pour ainsi dire, dans les familles et vit avec elles. De cette façon, il devient plus proche de l’individu privé. Il le voit dans des circonstances qui rendent plus facile de comprendre son caractère qu’il n’est évident dans les jugements imprudents des hommes du monde ou dans les récits des voyageurs qui ne peuvent pas voir comme lui [le militaire] voit. Le militaire peut quitter la route principale, parcourir de long en large le pays et apprécier sa fertilité, ses produits, ses aspects variés. Du fait qu’il doit vivre du pays, il peut mieux juger de ses ressources »89.

Faisant encore écho au Général Allent, il soutient que l’aptitude à lire l’ennemi ou un pays conquis n’est pas innée. Elle requiert une étude soigneuse, de l’observation et de la réflexion. C’est aussi absolument essentiel, dit de Férussac, à la conquête efficace et à l’intégration d’un territoire ennemi90. Il ne fait aucun doute que de Férussac tire directement son inspiration des écrits du Général Allent et de l’esprit de recherche régnant parmi les ingénieurs-géographes en gros entre 1793 et 1817. En fait, à travers de Férussac et d’autres jeunes officiers du même acabit, l’influence d’Allent et de ses collègues du Dépôt de la guerre se prolonge jusqu’aux seconde et troisième décennies du XIXe siècle.

De Férussac, avec une femme et trois enfants à faire vivre, continue à travailler comme officier d’état-major dans le Comité responsable de concevoir et de mettre en place l’école de formation du corps tout en concevant les grandes lignes d’un cours et d’un manuel sur la géographie et les statistiques tels qu’elles pourraient être enseignées aux officiers de l’état-major, pour Gouvion de Saint-Cyr91, alors ministre de la guerre, en tant que Chef de Bureau au Dépôt de la guerre durant de nombreuses années, puis Chef de la Division statistique au Ministère du commerce. En 1822, il tourne sa considérable imagination géographique et l’essentiel de son attention à son travail vers son Bulletin.

On trouve dans les écrits de de Férussac un souci constant de la contextualisation de la connaissance. Tous ses travaux en histoire naturelle, géologie ou géographie des mollusques discutent en profondeur le rôle des prédécesseurs et contemporains. Effectivement, dans l’un de ses travaux sur les mollusques terrestres et d’eau douce, il promet à ses lecteurs une bibliographie analytique complète de tous les travaux de ses prédécesseurs et affirme avoir déjà passé six mois à la compiler92. Il est intéressant qu’il ait décrit ce type de revue comme « l’étude topographique des observations connues »93. Ses recherches sur les mollusques lui ont aussi appris que la collaboration multiplie la quantité de matériel que l’on peut assimiler et élargit sa compréhension. Il ne se satisfait pas, non plus, d’esquisser simplement un traité de géographie. Au lieu de cela, il cherche à comprendre la géographie dans le contexte de « la connaissance humaine ». Il contextualise même ce souci au sein de la tradition d’écrire sur « la connaissance humaine ». De Férussac croit fortement dans l’entreprise scientifique et voit la science comme bâtie sur le travail, la perspicacité et les écrits des prédécesseurs. Parlant de la science et du rôle de la théorie et de l’observation dans son avancement, il commente :

« Les conséquences déduites des faits observés et connues comme des systèmes ou des théories sont vérifiées ou rejetées par les résultats des expériences ou de nouvelles découvertes. Ainsi, des vérités qui ont force de loi sont établies pour gouverner et apaiser l’esprit de l’homme. Et quand on pense que c’est souvent un fait isolé (parfois apparemment insignifiant, ou dont on ne peut percevoir les relations à [d’autres faits] mais qui devient lumineux pour le chercheur qui sait comment les découvrir) qui peut alors structurer tout un système ou détruire la théorie la plus forte – c’est alors que l’on comprend combien une communication prompte et complète des résultats est importante pour les sciences positives »94.

C’est avec cette vision de la science et avec la conviction de l’utilité d’un tel outil que de Férussac fonde son Bulletin.

Le but du Bulletin général et universel des annonces et des nouvelles scientifiques est de fournir une bibliographie en cours des nouveaux travaux conduits dans l’ensemble des sciences. Le Bulletin doit être complet et international, couvrant non seulement les livres, mais aussi les journaux et les articles de journaux. À cette fin, on demande aux maisons d’édition et aux éditeurs des journaux d’envoyer leurs travaux au bureau du Bulletin, étant entendu que la publication sera retournée à ses auteurs ou vendue à leur compte, les recettes de cette vente étant renvoyées à la maison de publication ou au journal. Il sera fait autant de comptes-rendus que possible de ces travaux par des chercheurs recrutés et cités sur la page de titre du Bulletin. La plupart, sinon tous les comptes-rendus, sont signés. Les comptes-rendus doivent être informationnels et éviter tout « esprit de clique ». Pour l’essentiel, le Bulletin met pleinement en pratique ces intentions. Il est divisé en huit aires thématiques principales et les publications mensuelles sont réunies et publiées comme volumes centrés sur un thème :

  1. Mathématiques, astronomie, physique et chimie95.
  2. Sciences naturelles et géologiques96.
  3. Sciences médicales97.
  4. Sciences économiques et agricoles98.
  5. Sciences technologiques99.
  6. Sciences géographiques, économie politique et voyages100.
  7. Sciences historiques, antiquités et philologie101.
  8. Sciences militaires102.

Cinq ans après avoir lancé le projet, de Férussac estime que 80 000 comptes-rendus ont été écrits par environ 300 collaborateurs. En moyenne, un tiers seulement des travaux recensés donne lieu à un compte-rendu. En réponse aux critiques, de Férussac explique que tous les travaux ne méritent pas un compte-rendu et qu’en un sens, la décision même de recenser ou de ne pas recenser un texte implique nécessairement un jugement103. De Férussac semble avoir fait fonctionner le Bulletin à partir d’un bureau et de deux ou trois assistants. Chacun des huit champs a un éditeur en chef ou un groupe d’éditeurs, avec une durée de mandat se situant quelque part entre six mois et dix ans. Selon les actes publiés, il y a des années où certains champs n’ont pas d’éditeur spécialisé. Il est à présumer que durant ces périodes, la tâche revient à de Férussac lui-même. Son bureau devient rapidement une des bibliothèques les plus intéressantes et accessibles à Paris, et en conséquence, un lieu de rencontre important pour les chercheurs104.

En dépit du départ relativement précoce en France de de la collecte des livres et de la bibliographie, le Bulletin de de Férussac, ou le concept d’une bibliographie universelle très large, et faisant la revue critique des livres et articles classés par sujet, est bien en avance sur son temps105. C’est en effet une réponse très opportune à l’explosion de la recherche, de la collaboration internationale, des publications et particulièrement des publications dans des journaux spécialisés, qui caractérisent le XIXe siècle. En un sens, c’est plus qu’un essai pour maîtriser l’information. C’est un effort pour venir à bout de la nouvelle structure et géographie de la recherche au XIXe siècle, et il y a toute raison de penser que de Férussac le voit dans ces termes :

« Les centres d’activité et de propagation se sont ainsi établis sur l’ensemble de la terre et l’ont divisée en une multitude de cercles distincts inégaux en étendue et en influence. La sphère d’activité de ces cercles a été déterminée par la combinaison des circonstances politiques, de la position géographique et de la plus ou moins grande facilité des contacts, etc. »

« Vue en termes généraux, cette multitude de cercles particuliers peut être mise en relation avec des périmètres plus larges dont ils sont en quelque sorte dépendants à cause de liens réciproques, comme la communauté des origines, la langue, les valeurs et coutumes qui constituent la nationalité. Ces larges cercles de culture et de propagation peuvent être classés en fonction des circonstances combinées qui déterminent la plus ou moins grande extension de leur influence relative »106.

De Férussac n’est pas seulement intéressé par les grands centres de recherche en France, en Italie, en Angleterre, mais il collecte des informations venant du Danemark, de Norvège, de Suède, de Hollande, de Belgique, de Russie, de Pologne, des États Baltes, des États méridionaux de la Russie, de la Finlande, de l’Espagne, du Portugal, des États-Unis… En bref, il essaie, avec les moyens à sa disposition, et selon un mode de penser européen, de créer une carte de la recherche scientifique mondiale107. Ce n’est pas son seul but. De Férussac est aussi convaincu que son pays est en train de commettre des erreurs significatives dans sa façon de gouverner la science. Il se lamente en particulier du déclin des grandes institutions publiques de la France et y souligne le manque de soutien à la recherche pure. Comparant l’Allemagne et la France, il commente avec respect la situation des savants allemands :

« Ils ne sollicitent pas un emploi politique ou administratif ou des charges financières. Rarement, et dans le cas seulement d’hommes privilégiés par leurs hautes aptitudes, les gouvernements qui, en outre, sont heureux de leur accorder des titres honorifiques, les détournent-ils des carrières auxquelles ils se sont consacrés pour les jeter dans un monde inconnu pour lequel ils n’ont pas eu d’apprentissage »108.

Après les périodes de la Révolution et de Napoléon, la plupart des savants en France, de Férussac inclus, gagnent leur vie soit comme fonctionnaires du gouvernement, soit comme hommes d’affaires privés. Ceci, de Férussac en est convaincu à la suite de sa propre expérience de carrière, retardera la science française109. Un des buts du Bulletin est d’apporter aux savants français, occupés et préoccupés par les moyens de gagner leur vie, un contact avec les nouveaux développements dans le pays et à l’étranger et en général pour élever le profil scientifique de la France.

À tous les points de vue, le Bulletin est un énorme succès intellectuel. Durant dix ans, de Férussac réussit à mobiliser un nombre extraordinaire d’universitaires, dont beaucoup travaillent très dur pour lui110. Selon René Taton, il inspire suffisamment confiance pour obtenir la livraison régulière de plus de 500 journaux nationaux ou internationaux111. Le Bulletin a de l’influence et circule largement à son époque et sa valeur comme photographie instantanée de la science au cours de cette décennie ne fait aucun doute112. Ce n’est toutefois pas un succès financier. De Férussac ne peut pas tout simplement faire face aux coûts de production du Bulletin. Pour aider à le financer, il fonde en 1828 la « Société anonyme du Bulletin universel pour la propagation des connaissances scientifiques et industrielles ». La Société est placée sous la protection du Dauphin, puis sous celle du Roi de France, du Grand-Duc de Bade, du Roi du Wurtemberg et de l’Empereur du Brésil. La Société fait toutefois faillite en 1831 et, en 1832, la Chambre des Députés refuse finalement de la renflouer. En 1835, de Férussac traverse une mauvaise passe. S’étant retiré de l’armée en 1828 pour se consacrer à plein temps au Bulletin, et ayant investi très lourdement dans l’entreprise scientifique, il est en banqueroute et – à l’âge de 49 ans – doit solliciter quelque forme de service auprès du Corps royal d’État-major113. En un sens, l’Armée est plus tendre à l’égard de de Férussac que ne l’est le monde progressivement divisé de la science du XIXe siècle. Durant vingt-cinq ans, l’Armée l’a formé, logé, nourri et lui a donné un statut114. Tout au long de sa vie et jusqu’à sa fin, elle lui fournit un revenu de dernier recours.

Il est peut-être possible de généraliser et de dire que de Férussac n’a pas pu réaliser les divers projets intellectuels dans lesquels il croyait parce qu’il n’avait pas de soutien adéquat pour cela. En géographie, en histoire naturelle et dans ce qui est devenu la science de la communication, il a des idées de valeur considérable et la volonté d’entreprendre une énorme quantité de travail dans la réalisation que cela demande. Né dans une famille noble sans ressources au milieu de la France révolutionnaire et attiré par la vie militaire à la fois par tradition familiale et par l’urgence d’un besoin national, de Férussac n’a pas les moyens de devenir un homme de science. Ce qu’il réalise en utilisant ses propres ressources et en travaillant pour l’armée est vraiment remarquable. Le fait est que l’infrastructure académique du temps est incapable de soutenir un intellectuel comme de Férussac, aux moyens matériels limités mais avec une imagination non conventionnelle et provocatrice. Comme le montre clairement le cours innovateur qu’il a proposé à l’École de l’état-major, cette imagination l’a amené bien au-delà de la géographie universelle descriptive telle que la concevait Malte-Brun ou l’admirateur et successeur intellectuel de celui-ci, Adrien Balbi115. Ce que propose de Férussac, c’est une nouvelle géographie sociale basée sur la recherche statistique de terrain au niveau des individus et des communautés. Son imagination au libre cours l’a également placé au-delà de la frontière de sciences émergeant de l’histoire naturelle. Formé comme géographe, promoteur enthousiaste de la géographie, c’est en définitive son manque d’affiliation en dehors de l’Armée, son manque d’une discipline de rattachement, qui limitent de Férussac. En fin de compte, c’est l’Armée et ses expériences des guerres napoléoniennes dont il peut se revendiquer. Pour cette raison, de Férussac, comme beaucoup de géographes militaires, n’a jamais trouvé de place dans l’histoire de la géographie.

Les trajectoires de vie de de Férussac et de Bory de Saint-Vincent font preuve d’une remarquable similarité. En un sens, les orages politiques et militaires qui caractérisent leur âge sont si puissants qu’ils lessivent au moins la couche superficielle de leurs différences individuelles. Aussi, en tant que géographes et que savants, ces hommes viennent de la même position et suivent tout à fait le même cours : d’officiers d’état-major, ils passent à une brève carrière politique, à une position de conseiller d’état-major après-guerre, puis à un long essai pour réaliser une carrière scientifique. Malgré toutes leurs différences sociales et politiques, de Férussac et Bory de Saint-Vincent prennent des décisions similaires dans leur carrière scientifique. En termes de focalisation scientifique, les deux sont formés comme géographes avec la gamme de savoir-faire de cartographes de terrain et avec une formation à la collecte de statistiques descriptives. Tous deux gardent un engagement pour ce type de géographie qu’ils transportent dans leurs carrières postérieures d’officiers d’État-major en temps de paix. Et encore, avant les guerres napoléoniennes, les deux ont-ils appris à s’identifier eux-mêmes, et à identifier la vraie science, avec l’histoire naturelle. La géographie militaire qu’on leur a enseignée n’a en aucune façon altéré ce préjugé. Ainsi, alors que de Férussac cherche à être admis à l’Académie des sciences en tant que zoologiste, Bory de Saint-Vincent fonde, édite et contribue à un dictionnaire d’histoire naturelle comprenant sept volumes. Les deux hommes sont frappés par l’explosion des recherches dans le premier XIXe siècle et cherchent à leur manière à en contrôler et faciliter l’accès. Alors que de Férussac comprend mieux la dimension et les implications de la révolution de l’information, Bory de Saint-Vincent opte pour une approche plus typique du début du XIXe siècle : il fonde un journal consacré à sa conception des sciences physiques. Qu’ils fonctionnent dans des domaines qui se recouvrent en partie ressort de leur collaboration dans chacun des grands projets de vie de l’autre : Bory de Saint-Vincent est un éditeur et un contributeur du Bulletin et est aussi l’objet de comptes-rendus dans cette œuvre ; de Férussac contribue au Dictionnaire classique d’histoire naturelle de Bory de Saint-Vincent et est originellement prévu comme un de ses principaux contributeurs116. En un sens, donc, ils représentent ce qu’il y a de meilleur et de plus fort chez les militaires ou ingénieurs-géographes qui manifestent un intérêt dominant dans la « géographie naturelle », en opposition à ceux qui optent pour la géodésie ou l’administration de l’État117. Alors que les similitudes dans le déroulement de leurs carrières reflètent des origines et intérêts similaires, les différences ressortent de dissimilitudes dans leur personnalité, leur fortune et l’âge au début de la guerre.

Bory de Saint-Vincent a une carrière militaire stellaire, une carrière politique troublée et, à son époque, sa carrière scientifique est considérée comme réussie. De six ans plus âgé que de Férussac, et en dépit de la précocité de celui-ci, Bory de Saint-Vincent a été en meilleure position pour établir sa carrière scientifique avant d’entrer dans le service militaire actif. Ainsi, alors que de Férussac commence juste à herboriser, Bory de Saint-Vincent est déjà un naturaliste jeune mais respecté de l’expédition de Baudin dans le Pacifique Sud. Bien qu’il soit forcé à cause de sa mauvaise santé d’abandonner l’expédition à l’île Maurice, il est capable de publier deux travaux majeurs portant sur cette expédition à son retour en France118.

En conséquence, aussi bien sa carrière militaire que ses incursions scientifiques durant sa vie militaire sont plus socialement soutenues et facilitées. En un sens, de Férussac commence sa carrière militaire beaucoup plus près de la base de la structure hiérarchique et est plus sujet aux aléas de la guerre. Les deux hommes sont mêlés à beaucoup d’actions et prennent des risques importants. Comme officiers, les deux sont connus pour leur originalité, leur intelligence et leur courage. Les deux servent dans l’état-major, sont engagés dans de grandes opérations cartographiques, spécialement en Espagne. Bory de Saint-Vincent acquiert une formation d’état-major idéale, y compris une expérience dans l’infanterie, dans la cavalerie, dans des états-majors variés et au Dépôt de la guerre. Finalement, les deux tirent parti de chaque opportunité pour observer, analyser et commenter les structures naturelles ou humaines autour d’eux. Si de Férussac reçoit une blessure qui met fin à sa carrière militaire, Bory de Saint-Vincent continue à s’élever dans la hiérarchie militaire durant les deux décennies suivantes.

Politiquement, les deux hommes sont plus éloignés. Alors que de Férussac est, au mieux, sans intérêt pour les questions politiques, Bory de Saint-Vincent est politiquement engagé. De Férussac ne pardonne jamais à la Révolution les dommages qu’elle a infligés à sa famille, ou à Napoléon d’avoir endommagé la France, alors que Bory de Saint-Vincent en vient à croire aux bienfaits sociaux de la Révolution et voit en Napoléon à la fois celui qui a préservé ses meilleurs aspects et un des monarques éclairés du XIXe siècle119. C’est dans son travail sur l’expédition de Morée que le bonapartisme de Bory de Saint-Vincent est peut-être le plus clair ; on y sent son plaisir de redécouvrir beaucoup de ses collègues des guerres napoléoniennes120. De Férussac est prêt à endosser des rôles administratifs mineurs et même à jouer un rôle dans un gouvernement représentatif quand on le lui demande. Pour un temps, Bory de Saint-Vincent cherche à faire une carrière politique, ce qu’il paie de cinq ans d’exil de 1815 à 1820. Ses activités politiques incluent sa participation à la satire politique du Nain jaune qui en 1815 se charge de critiquer la presse autocensurée, le régime et quelques individus puissants qui soutiennent de manière trop servile le nouveau régime (Malte-Brun en particulier). Elles incluent aussi le soutien moins critique mais peut-être plus compromettant aux exploits militaires et aux idées politiques du Maréchal de camp Soult. Bory de Saint-Vincent est entré pour la première fois dans l’état-major de Soult en 1808 et l’a plus tard servi en Andalousie quand le Maréchal de camp a les fonctions de vice-roi d’Espagne.

Il a en particulier soutenu les vues du Maréchal de camp Soult sur la réforme radicale, foncière et sociale, nécessaire pour faire de l’Espagne une nation prospère et unie121. Une fois en exil, il a défié plus encore les autorités en se déclarant privilégié de partager son exil avec un homme comme le Maréchal Soult122. Son autre contribution politique majeure est une très brève charge de représentant du Lot-et-Garonne à la Chambre des députés. Celle-ci est interrompue par le décret le condamnant à l’exil. L’engagement politique de Boris de Saint-Vincent lui coûte plusieurs années d’activité scientifique et professionnelle pacifique. Il réussit à mener à bien en exil un certain volume de recherche, d’écriture et davantage de travail éditorial ; il réalise en particulier des recherches, en tire un essai sur la Description du plateau de Saint-Pierre et fonde ses Annales générales des sciences physiques. Il noue de plus un certain nombre de contacts de valeur durant son exil, forgeant en particulier un lien entre lui et Alexandre de Humboldt123. L’exil limite clairement sa possibilité de mener des recherches, mais peut avoir bonifié son profil politique et social. Le poids de la vie militaire a un impact plus contraignant dans l’existence et les opportunités sociales de de Férussac, mais, peut-être parce qu’il lui bénéficie bien plus, il a un impact beaucoup plus profond sur la nature de la pensée et de la recherche de Bory de Saint-Vincent.

On peut considérer que la recherche de Bory de Saint-Vincent est marquée de deux façons significatives par l’Armée. En premier lieu, parce que ses activités sont dans une large mesure commandées par les intérêts étatiques ; des travaux de cartographie en Espagne à sa participation aux deux expéditions de Morée et d’Algérie, il développe une tendance à sauter d’un sujet à l’autre et d’une approche à l’autre selon ce que les intérêts du moment lui dictent. En second lieu, l’idéologie étatique déforme sa pensée. Chacune de ces façons a un profond effet sur son œuvre, bien que Bory de Saint-Vincent puisse s’imaginer, en dehors des moments de pénurie qu’il s’inflige lui-même, avoir agi comme un agent libre et indépendant.

Un manque de focalisation semble avoir été une tendance plus forte chez Bory de Saint-Vincent que chez de Férussac. En conséquence peut-être, Bory de Saint-Vincent semble jouer un rôle plus typique du XIXe siècle et moins moderne que ne le fait de Férussac, à la fois en histoire naturelle et en géographie. Avec son activité de recherche structurée autour de son Dictionnaire alphabétique ou par des travaux de description géographique régionale comme ses Essais sur les isles fortunées, les contributions de Bory de Saint-Vincent sont d’une nature plus générale. Alors que les conclusions de de Férussac reposent sur sa recherche sur les mollusques et gagnent en rigueur du fait des limitations imposées par ceux-ci comme preuves, les contributions de Bory de Saint-Vincent spéculent librement sur les origines polygéniques de l’espèce humaine, sur le rôle de l’environnement et/ou du climat sur la forme des plantes, des animaux et des humains et sur les liens entre l’histoire géologique et l’histoire humaine. Ses spéculations ne sont ni futiles, ni mal informées. Bory de Saint-Vincent mène un travail important de recherche botanique sur les îles Canaries, Maurice et la Réunion, l’Espagne, Maestricht, la Grèce et l’Algérie. Toutefois, tout en menant un travail botanique significatif comme Jean-Marc Drouin l’a démontré124 et en dirigeant parfois d’autres chercheurs, ses propres contributions de recherche sont d’habitude plus générales que rigoureuses125. Bory de Saint-Vincent produit un certain nombre de travaux classiquement géographiques au cours de sa vie. Comme officier d’état-major en Espagne, il est l’auteur d’un certain nombre de cartes de reconnaissance, dont quelques-unes ont survécu126. Il partage aussi la responsabilité, quelques quinze ans plus tard, de la production d’une nouvelle carte d’Espagne127. Il écrit aussi le compte rendu de la première année de l’expédition de Baudin128 et rend compte du travail de la division des sciences physiques (géographie inclue) qu’il dirige lors l’expédition de Morée129 de 1831-1838. Il dirige aussi l’expédition géographique en Algérie et écrit quatre travaux qui en émanent130. Il rédige aussi, et est bien connu pour cela, deux travaux régionaux majeurs : un essai sur les îles Canaries131 et une géographie physique et humaine de l’Espagne132. Autres travaux d’importance géographique moins évidente : un essai sur le Plateau de Maestricht, sa « Géographie, sous les rapports de l’histoire naturelle » dans son Dictionnaire classique d’histoire naturelle et un travail qu’il planifie mais qui semble avoir été substantiellement complété sans lui : l’Atlas statistique de la France133. En dépit de la quantité et du nombre de ses écrits, qui incluent aussi de nombreux articles pour les comptes rendus de l’Académie des Sciences et des entrées d’encyclopédies, l’inspiration de Bory de Saint-Vincent est davantage de nature littéraire et philosophique et on se rappelle mieux de lui pour ses arguments polygéniques sur l’origine de « l’homme » que pour ses travaux de botanique ou sa géographie en eux-mêmes134.

En dépit de ses abondantes publications, en dehors de sa géographie de l’Espagne, il y a peu d’indication dans les écrits de Bory d’une mission scientifique autodirigée. Ni sa conception de la géographie, ni son rôle dans la pensée géographique ne sont clairs, en dépit de sa forte identification avec le sujet. En contraste avec de Férussac, qui semble avoir écrit depuis les marges et qui cite les géographes largement pour critiquer leur approche, Bory de Saint-Vincent a une conscience claire et engagée de ce domaine. Il cite abondamment les géographes dans ses travaux. Il n’est certainement pas toujours flatteur. Malte-Brun a droit à une pleine part de critiques de la part de Bory de Saint-Vincent : pour favoriser les auteurs étrangers en dénigrant les Français ; pour republier ce qui était déjà bien connu ou pour sabrer niaisement un homme que Bory de Saint-Vincent considère comme un des plus grands esprits des Lumières et l’âme de la Révolution française, Voltaire ; pour répéter de nombreuses informations inexactes sur les parties explorées du monde… Pourtant après la mort de Malte-Brun et après que l’atmosphère politique qui engendrait divisions et traitrises ait été oubliée, il est prêt à reconnaître l’importance de Malte-Brun comme l’un des premiers géographes de son époque et compose une notice biographique sur lui pour la Revue encyclopédique135. Au-delà de Malte-Brun, qui, en vertu de ses Annales (dans lesquelles Bory de Saint-Vincent publie) et de son Précis, est un des géographes de plus haut profil de l’époque, Bory de Saint-Vincent connaît et cite beaucoup de géographes. Il fait référence, discute et correspond avec des géographes dans toute l’Europe, depuis les grandes figures de la discipline, comme Strabon, Ptolémée, Willem Blaeu, Jean-Baptiste Bourguignon d’Anville et Nicolas Desmarest, jusqu’aux contemporains qu’il admire ou simplement connaît comme Jean Baptiste Benoît Eyriés, Jacques Nicolas Bellin, Pierre Lapie, William Bowles, Isidoro de Antillon, François Raimond Joseph de Pons136, José Lanz, Silvestre-François Lacroix, John Pinkerton, Edme Mentelle, William Guthrie, Charles Athanase Walckenaer, Seco137, Jean-Germain Pelet, Jean-Denis Barbié du Bocage et Émile Le Puillon de Boblaye. Les écrits Bory de Saint-Vincent véhiculent donc un sentiment d’appartenance au champ de la géographie et un caractère de centralité sur son rôle, éléments qui manquent au travail de de Férussac.

C’est cependant seulement dans sa géographie de l’Espagne que l’on trouve quelque chose qui ressemble à un traitement réfléchi du sujet et de l’un de ses dilemmes majeurs : le problème de l’unité de la nature, et de comment cette unité peut être explorée scientifiquement. Dans sa géographie de l’Espagne, Bory de Saint-Vincent semble défendre une géographie régionale historique (ou en évolution). Cette géographie, ressent-il, peut intégrer l’humanité et la nature. Pas particulièrement attiré par la géologie138, Bory de Saint-Vincent est néanmoins fasciné par le paysage naturel dont il a fait l’expérience comme officier en Espagne. Il l’intéresse pour lui-même et comme toile de fond des activités des nations et des individus. Pour Bory de Saint-Vincent, la nature et l’humanité sont dynamiques. Le paysage doit donc être interprété dans ces termes. Ce qui attire principalement sa curiosité, ce sont les processus par lesquels les paysages ou les sociétés humaines sont parvenus à leur forme présente. Il est persuadé qu’ils en sont arrivés là à travers un processus complexe d’interaction : impliquant les individus, les populations, les races, les sociétés interagissent avec la nature, le changement cataclysmique et les conditions physiques – pour produire la sorte de géographies régionales distinctives que l’on trouve en Espagne : « la physiognomie physique de la péninsule, s’il nous est permis de nous exprimer ainsi… »139. Faisant peut-être écho à Augustin Pyrame de Candolle, Alexandre de Humboldt, Arthur Young et Giraud-Soulavie, il identifie ces différentes régions avec des régions naturelles140. Il souligne alors la plus grande chaleur de la péninsule, la prévalence de la culture de la vigne et quelques végétations typiques141. Ceci, c’est clair, a, avec le temps, et en interaction avec les comportements humains, créé des peuples distincts :

« Les habitants de ce côté [des Pyrénées] ont quelques coutumes en commun en dépit du fait que des divisions politiques établies depuis longtemps ont considérablement influencé leur caractère et les ont divisés en peuples distincts entre lesquels prévalent des sentiments d’hostilité profondément enracinés. Ces coutumes dérivent probablement de l’influence générale des lieux »142.

Ces peuples ne sont pas ce qu’ils sont de façon prédéterminée. Bory de Saint-Vincent exprime un fort sentiment de la contingence historique des multiples migrations humaines, depuis les Grecs jusqu’aux Carthaginois, aux Romains, aux Arabes et aux Juifs qui ont créé en Espagne un mélange distinctif143. Il y a cependant un lien profond entre ces populations diverses et les paysages variés, bien qu’unifiés, dans lesquels elles vivent. Un lien si important que tout travail sur l’Espagne, comme l’explique Bory de Saint-Vincent dans son introduction à l’Histoire d’Espagne de Bigland, doit être accompagné d’une carte peignant les traits physiques de la péninsule144. Pour Bory de Saint-Vincent, comprendre la géographie de l’Espagne, c’est textuellement désarticuler le corps humain et naturel du pays pour en recombiner [les éléments] dans une carte physique et une carte humaine et réfléchir alors à l’unité de ces deux visions cartographiques. Jusqu’à un certain point, cette façon de penser est similaire à celle de Humboldt en ce qu’il croit que le lien entre l’homme et la nature se trouve dans le paysage caractéristique de la région naturelle qui lie ensemble conditions physiques, genre de vie, types de propriété foncière et conditions politiques145. La géographie que pratique Bory de Saint-Vincent dans son travail sur l’Espagne – une géographie « guidée par les relations de l’histoire naturelle », ou « géographie naturelle » – est un sujet qui unifie et se trouve focalisé sur « l’histoire entière de tous les corps, qu’ils soient simples ou composés, dont la planète sur laquelle nous vivons est composée, et sur tout ce qui donne une idée de sa physiognomie ». L’unité fondamentale du monde physique repose sur les causes complexes, multiples de son développement146. C’est une géographie profondément influencée par les talents d’observation du terrain des ingénieurs-géographes et suggestive d’une sensibilité précoce à la manière dont l’espace et le lieu peuvent être définis par le comportement. En contraste aux contributions d’Alexandre de Humboldt à la géographie naturelle (voir chapitre 7), et dans une large mesure parce que sa direction de recherche est davantage modelée par les intérêts nationaux que par un agenda intellectuel, Bory de Saint-Vincent ne développe jamais les idées qu’il a commencé à articuler dans son travail sur l’Espagne.

Bien que Bory de Saint-Vincent ait écrit de nombreux travaux de géographie, et bien que ses habitudes de citation suggèrent un esprit complètement immergé dans la littérature des géographes, il ne s’est pas investi dans un mode de pensée géographique. C’est sans doute dans son essai sur L’Homme, publié juste trois ans après son Guide du voyageur en Espagne, que ceci apparaît le plus clairement. Dans ce travail, Bory de Saint-Vincent abandonne la subtile interaction de la mobilité humaine dans l’espace, l’accumulation historique des comportements et des valeurs (ou de la culture) et l’interaction avec l’environnement afin de concevoir l’étude de « l’homme » en termes biologiques. Afin d’apporter une contribution au débat alors en cours sur la place de « l’homme » dans la classification de Linné (un débat peut-être bien au-delà du propos de la géographie, mais auquel un autre géographe, le Baron Walckenaer ne peut aussi résister), il défend la primauté de la race et le manque d’importance de l’environnement dans l’histoire humaine. Que ceci soit en contradiction avec sa vue antérieure beaucoup plus subtile de la géographie de l’Espagne ne semble pas lui être apparu. Indiscipliné dans sa pensée, encouragé par les pressions de la vie militaire à sauter d’un sujet à l’autre et d’une approche à l’autre comme les intérêts du moment le dictent, il abandonne facilement tout engagement vis-à-vis de son argumentation géographique antérieure.

La seconde influence, liée à la première et peut-être plus significative de l’emprise militaire sur Bory de Saint-Vincent est que celle-ci colore et déforme sa façon de penser jusqu’à ses racines mêmes. Penseur d’après les Lumières, avec un fort engagement pour la réforme sociale, il soutient néanmoins totalement l’impérialisme français en Europe et au-delà. En opposition avec de Férussac, qui développe des tendances pacifistes, il embrasse une bonne part de l’idéologie utilisée plus tard pour soutenir le colonialisme européen à la fin du XIXe siècle, y compris l’idée du « fardeau de l’homme français » et l’obligation « des autres » de partager « les ressources » et « de faire don » de leur travail. Cela est clair tout le long de sa carrière, de la participation à l’expédition de Baudin à sa défense de la cause coloniale en Morée et spécialement en Algérie147. C’est dans un précoce exposé de la distinction entre conquérants et barbares que la nature de cette défense est le plus clairement exprimée. Parmi les premiers, il inclut les premiers colonialistes français, et parmi les seconds, l’Empire espagnol.

« Les conquérants se montrent quelquefois humains et éclairés. Ils ne parcourent pas toujours le théâtre de leurs exploits avec une botte de fer. Certains ont même été utiles au peuple qu’ils avaient réduits en soumission en répandant, dans leurs charges impétueuses, les sciences et la lumière des nations qui avaient suivi leurs drapeaux. Sesostris, Alexandre, César, et plus récemment notre registre de grandes actions nous ont montré qu’en répandant la guerre sur terre, nous ne laissons pas toujours dernière nous un nom exécré… Les Conquérants ne détruisent pas les peuples, ils partagent libéralement avec eux leurs connaissances et leurs coutumes. Ils respectent les opinions et les mœurs des vaincus. On entend dire qu’ils les étudient. Ils ne détruisent pas les monuments ; ils les réparent souvent et les transmettent à la postérité. En fin de compte, loin de réduire ceux qui ont subi la guerre au désespoir, les conquérants les autorisent à bénéficier d’une liberté qu’ils n’avaient pas su défendre eux-mêmes. Les Barbares, au contraire, qui n’ont d’autre supériorité sur leurs victimes que celles de la force, la vertu de la férocité seule, annihilent tout ce qui ose leur résister »148.

Ici, dans cette apologie du colonialisme français, nous voyons un homme dont la pensée a été profondément marquée par la nécessité de justifier la violence étatique. Il est possible de voir dans sa conception polygénique des origines de l’espèce humaine – à savoir l’argument selon lequel les humains sont composés de races distinctes qui ne partagent pas une commune origine – une justification ultime de l’exploitation européenne par la science. Mary Louise Pratt peut considérer que Humboldt, en vertu de sa participation à la construction d’une conception européenne du monde, a contribué à l’impérialisme occidental. Pour Humboldt cependant, le but ultime de la science comme plus haute expression de la civilisation était d’améliorer la condition de tous les peuples. Pour Bory de Saint-Vincent, la science, une expression de la puissance d’État, passe avant la « philanthropie ».

« Nous reconnaissons qu’il serait consolant pour la philanthropie si on pouvait parvenir à ce que tous les hommes, à quelque espèce qu’ils puissent appartenir, comprennent qu’ils doivent s’aimer comme des membres de la même famille et qu’ils ne doivent pas égorger l’autre ou le vendre [en esclavage]. Mais la quête de la vérité ne permet pas de telles considérations »149.

Dans ce jugement, dont on ne peut imaginer qu’il puisse émaner de Humboldt, la science sous la forme de vérité est placée au-dessus des intérêts de l’humanité. Et pourtant au même moment, Bory de Saint-Vincent croit beaucoup dans la volonté humaine et dans la culture et la civilisation comme réalisation d’une telle volonté. Ainsi, tout en jouant et bricolant avec les idées de Montesquieu tout au long de sa carrière150, son engagement pour la Révolution n’aurait pas permis la dominance de la Nature sur la volonté humaine, la culture et l’histoire.

« Mais les événements possibles, quelle que soit toutefois la manière de les imaginer, qui prennent de l’homme tout ce qui l’environne et tout ce qui est en lui, ne peuvent, aussi longtemps qu’il est en vie, le priver de ses vues. Ces vues, nées de la manière dont l’éducation a modifié son esprit, ont vieilli avec lui. Il est devenu tellement habitué à elles qu’il ne peut pas les changer. Il ne peut les abandonner qu’avec la plus grande difficulté. Et comme ses coutumes sont la conséquence de ses vues, et comme les vues sont transmises, les coutumes se perpétuent parmi les descendants d’un peuple, quand ils sont dispersés et ne forment plus un corps »151.

Comment un homme avec une compréhension sociale aussi subtile établit-il des distinctions aussi simples entre conquête et barbarie, assimilant chacune à des impérialismes européens différents ? En fait, et dans beaucoup d’écrits de Bory de Saint-Vincent, il existe une profonde contradiction. Elle est née de son rôle de serviteur et de soldat de l’État et de son identité d’intellectuel libre penseur, héritier des Lumières.

En dépit de ceci, il serait facile de rendre Bory de Saint-Vincent romanesque. Aventurier dans tous les sens, il passe la plus grande partie de sa vie soit en service actif dans l’Armée, soit dans des expéditions de haut niveau scientifique. Alors que de Férussac écrit avec l’absence étudiée de passion et la distance de la « science », Bory de Saint-Vincent soupoudre ses travaux d’observations personnelles. C’est peut-être une conséquence : alors que les descriptions de l’Espagne de de Férussac risquent très vraisemblablement de provoquer la somnolence chez le lecteur moderne, les relations de Bory de Saint-Vincent sur l’Espagne et ses autres voyages sont vivantes d’une expérience vécue. Ses descriptions des scènes de rue de Tenerife émeuvent le sens olfactif du lecteur152. Ses relations de voyage font de si fréquentes références à la nourriture que le lecteur est rarement capable d’oublier l’auteur ou ses besoins quotidiens et leurs possibles implications lorsqu’on voyage153. Enfin, il a, et réussit à faire partager un sens presque tactile de l’horreur. Sa sinistre description de la vallée du Douro après les crues capte, dans l’esprit moderne, une partie de l’horreur des champs de bataille de la Première Guerre mondiale154. Il force le lecteur à s’identifier avec les moines qui meurent, sont perdus et sont ensevelis dans le silence des grottes de Maestricht155. Et il capte à la fois la cruauté et la beauté de la nature dans sa brève description des choix de vie de l’exocet (de la famille des Exocetidae, le poisson volant)156. Encore en opposition avec de Férussac, et en fait, de la plupart de ses contemporains, les femmes font des apparitions répétées dans ses écrits, toujours cadrées selon ses lumières et ses valeurs, mais néanmoins présentes. En conséquence, il fait par moment partager un sentiment de son interaction avec le beau sexe (qui était quelque peu prédatrice, par moments pleine de compassion et par moments, désobligeante à son égard), et éclaire le rôle et le statut des femmes à la fois dans sa propre société et dans les sociétés qu’il visite157. Bien qu’il ait échoué en prison pour dettes et qu’il y ait passé approximativement trois ans, Bory de Saint-Vincent est plus riche, plus chanceux et plus flamboyant que de Férussac158. Son ami à vie et associé, le Dr Dufour, capte admirablement la personnalité et la flamboyance qui trouve à s’exprimer dans les écrits de Bory de Saint-Vincent :

« Petit de stature et penchant légèrement d’un côté tout en croyant se tenir droit, pâle et sans couleur avec une expression vivante et toujours changeante, gai, joueur, passionné de musique et fredonnant bien tous les airs, infiniment naturel et avec une remarquable facilité de conversation sans être bavard, une grâce admirable pour raconter une histoire ou une anecdote, très aimable et essayant très fort d’apparaître ainsi, un ami du monde et de toute ostentation, éduqué mais glissant sur beaucoup de sciences sans entrer profondément dans le détail, donnant ostensiblement de l’argent, mais d’habitude sans un sou, ambitieux de titres qu’il usurpait parfois, écrivant bien au pied levé et en courant, mais injuriant parfois l’orthographe, bien que marié, vivant comme un célibataire, semant des maîtresses et des dettes partout ; une vie très individuelle, vécu pour le présent ! »159.

Peut-être inévitablement, étant donné son association étroite avec la violence étatique, il y a une part d’ombre dans sa nature. Là où c’est peut-être le plus clairement évident – et on espère, exagéré – c’est dans la description d’une soirée comme soldat dans la région d’Austerlitz (Slakow, République Tchèque).

« Il était bon, après une dure journée, couvert de boue et de sueur en dépit de la neige et de la glace, et après avoir été sous le feu et y avoir laissé des amis, de revenir au quartier général, que pour huit jours nous avions installé dans les maisons de riches boyards et là de commander, comme si l’on était dans sa propre maison, du cerf, du faisan ou de la venaison pour dîner, accompagnés de vins hongrois, et puis de caresser de jolies filles de la région sans que personne ne trouve rien à objecter, d’emprunter un cheval et de l’argent qu’on ne rendrait jamais et étant bien monté lorsqu’on partait, de regretter seulement de ne pas en avoir fait plus et ne pas avoir mis tout en flammes après avoir brisé les reins des propriétaires »160.

Nous avons en Bory de Saint-Vincent un homme qui passe au travers de quinze ans de guerre intermittente et d’agression étatique apparemment sans cicatrice mais profondément marqué par cette expérience.

Il ne fait aucun doute que Bory de Saint-Vincent est un chercheur actif et souvent inspiré. S’il manque de l’originalité et de l’idéalisme de de Férussac, il consacre la plus grande partie de son temps préservé à la recherche et à l’écriture savante. Il est aussi clair qu’il manifeste un engagement large et soutenu pour la géographie. Pourtant, et en dépit de sa productivité et de son implication dans trois des expéditions scientifiques majeures d’exploration de son âge, les écrits de Bory de Saint-Vincent n’ajoutent pas de contribution majeure à la géographie ou, de fait, de contribution significative à un quelconque domaine scientifique moderne. Alors que son travail est souvent clairement géographique, parfois par son sujet, parfois par son approche, il serait difficile de sélectionner un quelconque de ses travaux et de soutenir avec confiance qu’il définisse la nature de la géographie. Ses idées et sa pensée sont profondément marquées par l’agressivité de la chose étatique mais il est certainement inconscient de cette influence. Avec ses intérêts largement commandés par son rôle assigné soit dans l’Armée, soit dans des expéditions commanditées par le gouvernement, sa recherche s’est dispersée à travers ce qui devint une large gamme de disciplines. De la botanique à la géographie et l’anthropologie. À la fin, il fut facilement oublié pour toutes.

Conclusion

La géographie et le pouvoir ont une association ancienne qui dérive, en partie de l’utilité de la description textuelle et graphique de la surface de la terre et de toutes ses ressources pour les gens politiquement ou commercialement puissants. Une partie également importante du lien entre la géographie et le pouvoir vient du coût graduellement croissant de la description géographique, en particulier celui de l’image graphique détaillée de grandes régions de la surface de la terre. Bien que la cartographie implique clairement un investissement en temps et en personnel qualifié, la description textuelle exige aussi un coût considérable : en termes de collecte formelle et informelle de données, de leur entreposage dans les bibliothèques et les archives, de leur analyse et de leur synthèse et finalement de leur production sous une forme cohérente et utilisable. Ainsi, c’est la valeur de la géographie pour le prince et le coût du travail géographique qui renouvellent et rafraichissent constamment sa relation avec l’État, et plus exceptionnellement, avec le pouvoir commercial.

Cette association ancienne et établie connaît une nouvelle phase d’intensification au cours des périodes révolutionnaire et napoléonienne. Cela est dû aux changements dans la nature de l’art de la guerre, changements qui incluent la taille et la mobilité croissantes des armées, les progrès dans l’artillerie et les théories de l’approvisionnement, et un glissement vers une forme de guerre plus idéologique. Des forces sociales et intellectuelles plus larges jouent aussi un rôle dans cette intensification. Vers la fin du XVIIIe siècle, la plupart des États de l’Europe sont en train d’aller vers une compréhension de la richesse nationale qui inclut la population, l’agriculture, l’industrie, le commerce et même, à un certain degré, l’ordre social. Cette richesse nationale doit être gouvernée, et en un sens, cultivée. Gérer selon des principes rationnels, on commence à en prendre conscience, demande de l’information sur tous ces aspects de la richesse nationale, une compréhension qui ne demande pas juste des tableaux de chiffres indigestes et incommensurables, mais des figures et des cartes du type produit en fin de compte par les officiers d’état-major. La collecte même de cette information pourra se transformer en un stimulus pour le développement du langage statistique, et une analyse et une compréhension statistiquement beaucoup plus sophistiquée de la société et de la richesse nationale. En addition à ces forces plus larges, qui dépassent de beaucoup la France napoléonienne, il y a le stimulus particulier à la géographie assuré par Napoléon et son sens de ce qui a intellectuellement et socialement de la valeur. L’intérêt personnel de Napoléon, non seulement pour les cartes mais aussi pour la géographie comme dépositoire de l’information spatiale, rapproche la géographie de l’État davantage qu’elle ne l’avait jamais été sous l’Ancien Régime, en dépit de l’attention de celui-ci pour la mesure de la terre et la recherche d’une solution au problème des longitudes.

La participation des géographes à l’agressivité étatique prend deux formes principales durant les périodes révolutionnaire et plus encore napoléonienne. C’est l’assistance pratique à la conquête militaire et à la propagande conçues pour faire progresser l’acceptation des pratiques étatiques. Quelques géographes prennent part également à l’administration des territoires conquis et conseillent même de façon informelle le gouvernement dans le développement de ses politiques étrangère et coloniale. Il n’est donc pas surprenant que dans le cours des guerres de la Révolution et de l’Empire, les géographes militaires acquièrent une importance administrative nouvelle et commencent à développer une géographie descriptive plus critique et plus déterminée. Cette géographie inclut la collecte et l’organisation de toute information géographique qui puisse être précieuse pour les décideurs, y compris beaucoup d’aspects à la fois de géographie physique et de géographie humaine. En fait, nous pouvons voir dans les mémoires topographiques composés par ces géographes un certain nombre d’innovations, y compris une nouvelle curiosité statistique, un intérêt plus poussé pour la structure sociale et le genre de vie des paysans locaux et des citadins, un plus grand intérêt pour l’utilisation faite des ressources locales et une attention aux réseaux commerciaux. De plus, le besoin qu’éprouvent ces géographes, à la fois comme géographes et comme soldats, d’anticiper ce qui ne peut pas être vu dans le paysage, les rend moins hostiles à la théorie que des géographes purement descriptifs comme Malte-Brun ou William Guthrie. Le coût immédiat et inacceptablement élevé de toute fausse information les rend cependant intolérants à toute spéculation mal informée. En conséquence, ils développent et commencent à affiner une méthode d’observation et d’enquête de terrain qui est étonnamment moderne par sa sophistication et par la conscience qu’elle a de l’importance de la situation dans laquelle se trouvent les informateurs.

Bien que la géographie militaire soit, de manière significative, plus innovatrice que la géographie descriptive pratiquée à l’Académie des Sciences jusque dans les années 1830, son potentiel n’est jamais mis en valeur. Des mémoires sont rédigés, peut-être lus, puis archivés. Composés pour résoudre les problèmes d’intérêt immédiat pour l’Armée, ils n’évoluent pas vers un corps de matériel accessible à un public plus large. Les géographes militaires ne continuent pas davantage à devenir des proto-anthropologues ou des planificateurs régionaux. Avec la recherche orientée vers les besoins immédiats, le travail est souvent abandonné après avoir demandé un investissement considérable. Il n’y a guère de place pour le perfectionnisme nécessaire à un beau travail cartographique. Et la plupart des géographes ne doivent avoir qu’un sentiment limité de propriété sur leur travail. Lorsque le régime de Napoléon tombe, le souci est davantage de démanteler la machine de guerre napoléonienne que de capitaliser sur ses innovations et ses réalisations. Comme résultat, le savoir-faire et l’entraînement de beaucoup de géographes militaires est perdu et, quelques années seulement après la fin des guerres napoléoniennes, les administrateurs militaires de la Carte de France, fondée en 1817, éprouvent une grande difficulté à trouver et à recruter les talents nécessaires pour une cartographie à grande échelle et de haute qualité.

Cette opportunité perdue reflète peut-être les limitations inhérentes à la nature du soutien étatique ou militaire à la géographie, ou en ce domaine, à la science en général et en particulier une durée d’attention relativement courte et une réticence à investir dans des projets à long terme dont l’utilité, ou la valeur politique, n’est pas immédiate. Les carrières hautement réussies des deux géographes militaires André de Férussac et Bory de Saint-Vincent révèlent de plus les dangers personnels et professionnels d’une étroite association au pouvoir étatique. Quoique de niveau élevé même parmi le corps scientifique, ces géographes risquent leur bien-être physique et s’exposent au danger politique. André de Férussac perd le premier pari, et Bory de Saint-Vincent le second. Ces deux géographes ne réussissent pas davantage, après la période napoléonienne, à s’assurer la liberté et le soutien nécessaires pour mener les recherches qui méritent d’être faites selon eux. En un sens, c’est Bory de Saint-Vincent qui s’en tire le mieux en suivant les vents de la politique et en participant à un certain nombre d’expéditions scientifiques. De Férussac persiste à essayer de convaincre soit l’Armée, soit le gouvernement de la nécessité de soutenir sa propre recherche, dans les deux cas sans succès. L’originalité de ses idées, son approche très critique à la géographie descriptive, son énorme capacité de travail : tout suggère le potentiel de ce chercheur créatif s’il avait reçu un soutien adéquat. Formés par l’armée et protégés par l’emploi militaire, ni l’un ni l’autre de ces chercheurs n’a la liberté relative dont jouit Humboldt durant la plus grande partie de sa carrière pour poursuivre ses idées avec concentration et cohérence. Il semble que la vie qu’ils mènent au cours des guerres napoléoniennes leur a appris à entreprendre des projets multiples et variés qui peuvent être repris ou abandonnés lorsque les circonstances le dictent. Cette structure de recherche et d’écriture signifie, dans le cas de Bory de Saint-Vincent, que les sujets sont rarement pleinement développés ou poursuivis de manière cohérente jusqu’à leur conclusion logique. Le résultat est que les deux hommes se trouvent un peu à l’extérieur du domaine académique et sont privés de la communauté intellectuelle capable d’élever les standards de leur travail par la critique et la discussion.

Bory de Saint-Vincent bénéficie personnellement beaucoup plus de son étroite association à l’État, en particulier grâce à une carrière militaire réussie. Mais le succès même de cette carrière veut dire que l’État et son bras militaire ont pratiquement modelé sa vie intellectuelle. En dépit d’une activité considérable et d’une richesse de recherches et de publications prodigieuse, et en opposition à de Férussac ou Alexandre de Humboldt, il ne semble pas s’être donné une mission scientifique personnelle. Il va là où l’opportunité et l’État le mènent et pose les questions que se posent les gens. Ainsi, bien que comme de Férussac et Humboldt, il publie dans une large variété de domaines que nous pouvons à peine considérer comme faisant partie du courant dominant de la géographie d’aujourd’hui, il n’y a pas de ligne de recherche reliant tous ces travaux. Dans le cas à la fois de de Férussac, et comme nous le verrons au chapitre 7, de Humboldt, la cohérence vient de l’engagement pour l’investigation géographique ou du fait de suivre un (ou une série de) problème(s) géographique(s) à travers l’observation ou la théorie vers ce à quoi il(s) conduis(ent). En un sens, le travail de Bory de Saint-Vincent est plus classiquement géographique : son travail est descriptif, souvent cartographique et son univers de citation tout à fait celui d’un géographe. La description n’offre pas d’obstacles à son vagabondage intellectuel, et il passe de la description littéraire à la description botanique et à la description régionale, avec très peu ou rien pour lier ces efforts dans son esprit ou dans celui des lecteurs. Si c’est sa tendance naturelle, une vie en étroite association avec le pouvoir étatique l’exacerbe. Ainsi, les riches idées géographiques que l’on peut trouver dans sa discussion des paysages humains et physiques de l’Espagne ne sont jamais développées dans son travail sur la Morée ou sur l’Algérie. En un sens, donc, le travail de Bory de Saint-Vincent est indiscipliné. Non pas tant parce qu’il manque d’attachement à un champ d’études, puisqu’il y a beaucoup de signes qui montrent qu’il prend cette affiliation plus sérieusement que ne le font de Férussac ou Humboldt, mais parce que le champ auquel il adhère ne peut fournir que peu d’orientation au sein du monde en développement des sciences modernes et explicatives. Le vide est comblé par une autre forme de discipline – le pouvoir militaire et étatique – qui confère à son travail une structure et une signification moins liée aux discussions en cours dans ce que nous avons été amenée à considérer comme la « science » qu’à la montée du pouvoir impérial.

En un sens, ce dernier jugement est absurde puisqu’au minimum depuis l’époque de Napoléon et certainement depuis la Seconde Guerre mondiale, la science et l’État ont été mêlés et interdépendants. Bien que ceci soit vrai et que tout sens de la « science » comme isolée du pouvoir étatique soit naïf, la relation entre la science et l’État a été négociée. Dans cette négociation, le domaine, le contrôle, l’évaluation et les valeurs ont été, et continuent à être, férocement défendues – quoique pas toujours avec succès – par les chercheurs. Dans cette défense, il y a beaucoup de murs défensifs. L’un d’eux est la discipline. La faiblesse de ce mur, entre autres, expose les chercheurs à des influences qui se situent au-delà du domaine normal du discours académique, parfois avec des conséquences néfastes et parfois avec d’extraordinaires bénéfices. Depuis que l’époque nazie a ramené en Europe les affeuses idéologies de l’impérialisme, le monde académique peut avoir le sentiment d’avoir développé le scepticisme et la prudence pour traiter avec le pouvoir étatique. Il reste maintenant à voir si on peut utiliser une partie de cette compréhension pour se défendre contre les pouvoirs encore plus larges et beaucoup moins « responsables » qui se développent au-delà de l’État. À l’époque de Napoléon et de ses successeurs immédiats, les chercheurs avaient peu de défense face au pouvoir étatique, beaucoup à gagner à s’associer à lui et seulement un faible sentiment de son danger. Comme nous avons essayé de le montrer dans ce chapitre, les carrières et les esprits de certains des meilleurs géographes étaient à la fois informés et déviés par le pouvoir étatique.

Notes

        

  1. Harley, « Silences and Secrecy » (1988), p. 57-76 ; et « Meaning and Ambiguity in Tudor Cartography » (1983), p. 22-45.
  2. Helgerson, « Nation or Estate? » (1993), p. 68-74 ; Rundstrom, « The Role of Ethics » (1993), p. 21-28 ; Orlove, « The Ethnography of Maps » (1993), p. 29-46 ; Edney, « The Patronage of Science » (1993), p. 61-67 ; Helgerson, « The Land Speaks » (1986), p. 51-85 ; Harley, Maps and the Columbian Encounter (1990).
  3. Blunt, Rose, et al. ont exploré la relation complexe entre la géographie, l’impérialisme, et le genre dans : Blunt et Rose, Writing Women and Space (1994). Pour des traitements plus généraux de ce sujet, voir Bell, Butlin, et Heffernan, Geography and Imperialism (1995) ; et Godlewska et Smith, Geography and Empire (1994).
  4. Cormack, « The Fashioning of an Empire » (1994), p. 15-30.
  5. Jacob, Géographie et ethnographie (1991).
  6. Drapeyron, « Les Deux Buache » (1888). Voir aussi Gille, Les Sources statistiques ([1964] 1980), p. 29 ; et Bourguet, Déchiffrer la France (1989), p. 23-30.
  7. Broc, La Géographie des philosophes (1974), p. 481-482.
  8. Eyries, « Mentelle, François-Simon » (s.d.), 27, p. 661-663.
  9. Konvitz, Cartography in France (1987), p. 1-31.
  10. Broc, La Géographie des philosophes (1974).
  11. Nous savons, par exemple, que des postes furent offerts à la fois à Malte-Brun et à Walckenaer et que Malte-Brun refusa le sien pour rémunération inadéquate. Moller, La Critique dramatique et littéraire (1971).
  12. Comme c’est clair dans Bourcet, « Mémoires sur les reconnaissances » (1875-1876 ; initialement publié 1827, mais écrit et largement diffusé avant 1870) ; et Allent, « Essai sur les reconnaissances militaires » (1829), 1, p. 387-522. Voir aussi Oyimby, The Background to Napoleonic Warfare (1957).
  13. Les travaux qui ont exploré certains de ces développements en termes de leur impact sur la cartographie incluent Harley, Petchenik, et Towner, Mapping the American Revolutionary War (1978) ; et McNeill, The Pursuit of Power (1982). Bien que le sujet soit loin d’être épuisé.
  14. Ce sentiment de saisir un passé historique et de le revendiquer alors pour la France apparaît très clairement dans les écrits des savants impliqués dans l’expédition d’Égypte.
  15. Sur ceci et sur le rôle de la croissance démographique et de la structure sociale changeante, voir McNeil, The Pursuit of Power (1982), spécialement les chapitres 5 et 6.
  16. Lynn, The Bayonets of the Republic (1984).
  17. Voir École polytechnique, Paris, Livre du centenaire (1894-1897) ; Fourcy, Histoire de l’École polytechnique ([1828] 1987) ; Hayek, The Counter Revolution of Science (1952).
  18. Sur l’impact de cette idéologisation de la guerre, voir Clausewitz, On War (1984), p. 592-593.
  19. Best, War and Society (1982), p. 92-93.
  20. Malte-Brun, « Aperçu des agrandissements » (1808), p. 204-252.
  21. Corvisier, Dictionnaire d’art et d’histoire militaires (1988), p. 721.
  22. Il existe une littérature abondante sur cette forme particulièrement napoléonienne de pillage, en particulier Mackay Oyynn, « The Art Confiscations of the Napoleonic Wars » (1945), p. 437-460 ; et Boyer, « Les responsabilités de Napoléon » (1964), p. 241-262. Sur ses effets en Italie, voir Fugier, Napoléon et l’Italie (1947), p. 39-40.
  23. Ce fut presque certainement en partie le résultat d’un certain nombre de circulaires gouvernementales de 1799, qui essayaient de mobiliser les fonctionnaires et les diverses institutions en vue de cet effort collectif, incluant, par exemple, les ingénieurs, les employés des impôts, les inspecteurs des routes, les sociétés d’agriculture et les professeurs et bibliothécaires des écoles centrales. Gille, Les Sources statistiques de l’histoire de la France (1980), p. 119-120. La naissance des Annales des statistiques donne un sentiment de cet intérêt général croissant.
  24. C’est peut-être dans le film d’Abel Gance, Napoléon, dans la scène dans laquelle Napoléon au cours de sa première campagne d’Italie, repose sur le plancher dans une pièce remplie de cartes cascadant du bureau jusqu’au sol. Napoléon git lui-même à la fois sur les cartes et partiellement recouvert par elles. À l’arrière-plan siège un globe, symbole traditionnel du pouvoir hégémonique.
  25. Je n’ai pas exploré les origines dans les classes moyennes, et les perspectives qu’ils leur doivent, de beaucoup de géographes militaires que j’ai lus sur cette période, mais je suspecte fortement que la plupart correspondent à leur caractérisation par Adas comme des « individus qui, à travers un dur labeur, s’étaient élevés au-dessus de leurs modestes origines familiales [et qui] attachaient un grand prix au progrès ». Adas, Machines as the Measure of Men (1989), p. 184.
  26. La source principale sur les vues de Napoléon sur la géographie descriptive est Lefranc, Histoire du Collège de France (1893).
  27. Le caméralisme était un corps de publications provenant des États allemands au XVIIIe siècle et axés sur les sources de la richesse de l’État. Le terme de caméraliste est également utilisé pour décrire un cadre de bureaucrates d’État soucieux de la richesse et de la gestion de l’État.
  28. Sur le service des géographes civils, voir Godlewska, « Napoleon’s Geographers: Imperialists and Soldiers of Modernity » (1994), p. 39-49.
  29. On peut le supposer, soit la guerre de la seconde coalition, soit la campagne contre l’Autriche.
  30. Berthier, « Rapport du Ministre de la guerre » (1802-1803), 1, p. 213.
  31. Pour plus d’information sur la cartographie réalisée en Égypte, voir Godlewska, The Napoleonic Survey of Egypt (1988).
  32. Bret, « Le Dépôt général de la guerre » (1991), p. 113-157.
  33. Voir spécialement le « Programme de l’instruction à donner aux élèves de l’École des ingénieurs-géographes à établir au Dépôt général de la guerre », envoyé par Sanson à Mathieu Dumas le 12 frimaire an XI. Service historique de l’Armée de terre, MR 1978 Doc 5, et Dépôt général de la guerre, 2xa 3.
  34. Le général Sanson était un rejeton de la fameuse famille des cartographes Sanson.
  35. Vallongue, « Coup d’œil sur les systèmes » (1831), 2, p. 153.
  36. Duboy de Laverne, « Réflexions sur un ouvrage » (1829), 1, p. 189 ; et Parigot, « La Bataille de Leuthen » (1829), 1, p. 190-211.
  37. Duboy de Laverne, « Réflexions sur un ouvrage » (1829),1, p. 181-189.
  38. Berthier, « Rapport du Ministre de la guerre » (1802-1803), 1, p. 213 ; Vallongue, « Avertissement » (1829), 1, p. 231.
  39. Lettre du général Sanson au général Mathieu Dumas, Conseiller d’État, le 25 prairial an XI (14 juin 1803). Manuscrits des archives de la guerre, Service historique de l’armée de terre, Vincennes, MR 1978. Sur l’opposition à la réorganisation du Dépôt de la guerre, Sanson écrivait : « Avec ce corps mourra tout espoir de réaliser le Cadastre de France ». Sur les mesures de Méchain et Delambre et sur le cadastre, voir aussi Konvitz, Cartography in France (1987), p. 50-51, 59. Sur l’implication des ingénieurs dans la carte de France, voir Pelletier, La Carte de Cassini (1990), p. 139-156 et 195-209. Pour une appréciation complète de l’activité de ces ingénieurs, rien ne remplace Berthaut, Les Ingénieurs-géographes (1902).
  40. Durant la période napoléonienne, les ingénieurs-géographes écrivirent les plus remarquables de ces mémoires. Parmi eux il y avait le mémoire de Jacotin sur la carte d’Égypte et celui de Soulavie sur l’Atlas Napoléon. Jacotin, « Mémoire sur la carte de l’Egypte » (1822), Etat moderne, 2, p. 1-118. Sur ce mémoire, voir Godlewska, The Napoleonic Survey of Egypt (1988). Soulavie, « Mémoire sur l’emploi des matériaux dans la construction de l’Atlas Napoléon », Janvier 1813, Manuscrits des archives de la guerre, MR 1629, Service historique de l’Armée de terre, Vincennes. Le sentiment des limitations des cartes et de l’importance militaire de ces mémoires cartographique était bien exprimé par Vallongue, « Avertissement » (1829), 1, p. 233.
  41. De cette façon, le genre est semblable aux enquêtes départementales menées par les préfets de Napoléon. Bourguet, Déchiffrer la France (1989). Dans sa réédition de 1827 de son « Essai sur les reconnaissances militaires », Allent comparait le travail statistique des ingénieurs avec celui des préfets. Allent, « Essai sur les reconnaissances militaires » (1829), 1, p. 512, note 1.
  42. Cette innovation, substantiellement négligée par les historiens de la géographie, est liée à l’essai de créer une structure institutionnelle permanente pour les ingénieurs géographiques. Elle dérive, en particulier, de la tentative d’établissement (chef du Dépôt de la guerre entre 1793 et 1797) appelé « Institut d’Ingénierie géographique ». Calon avait une conception encyclopédique de la géographie humaine, physique et appliquée. C’était l’esprit de la géographie qui devait être enseigné dans l’école proposée de géographie au Dépôt de la guerre en 1802. Voir Calon, Observations à la Convention nationale (1795) ; et la Lettre du général Pascal Vallongue au Conseiller d’État le général Dumas, 17 décembre 1802 ; attaché à cette lettre, il y a un « Programme de l’instruction que je propose pour l’École des Géographes à établir au Dépôt de la Guerre. » Le programme était composé de cinq parties : mathématiques, physique, art du dessin, connaissance annexe considérée dans sa généralité. Les sections directement liées aux mémoires topographiques étaient la physique et la connaissance annexe. Elles furent retenues dans le syllabus adopté pour l’École d’ingénieurs-géographes du Dépôt de la guerre en 1809. Manuscrits des archives de la guerre, MR 1978, Service historique de l’Armée de terre, Vincennes.
  43. Par exemple, Samson des Hallois, « Discours sur la situation de final [Finale] pour servir d’explication du plan… 24 juin 1706. » Manuscrits des archives de la guerre, MR 1400, Service historique de l’Armée de terre, Vincennes. Selon le Colonel Berthaut, en 1782 le Chevalier de Bouligney ordonna spécifiquement que tous les mémoires produits en relation avec la cartographie à grande échelle de la région d’Alsace soient entièrement centrés sur les questions militaires et en particulier, sur les obstacles d’importance militaire possible. Berthaut, Les Ingénieurs-géographes (1902), 1, p. 81-82.
  44. Essentiellement, l’exploration des relations entre l’individu, la nature et la société avec comme but principal l’amélioration de la société.
  45. Le plus clair exemple de ceci est à trouver dans Martinel, « Mémoire historico-statistique de la Commune de Mondovi fesant partie du Champ de bataille de Mondovi ». 3 thermidor an XIII (22 juillet 1805). Manuscrits des archives de la guerre, MR 1364 Doc 24, Service historique de l’Armée de terre, Vincennes, 38, 49.
  46. Le Chevalier Allent recommandait aux ingénieurs d’éviter les détails sans utilité : « La détermination de ce qui est utile parmi les détails politiques, fiscaux, judiciaires et administratifs, d’un pays particulier (sur sa population, les classes qui le composent et les coutumes domestiques, sociales et politiques qui la composent), c’est ce qu’il revient à l’ingénieur de juger, et ceci fait intégralement partie de son emploi ». Allent, « Essai sur les reconnaissances militaires » (1829), 1, p. 512-513, note 1.
  47. « Considérations sur la Forêt-Noire et sur le Tyrol » (1829), 2, p. 193.
  48. Il y a deux exemples très clairs de ceci : dans l’essai de 1802 de la Commission pour apporter de l’uniformité dans le langage de la cartographie ; dans le souci du « langage du géographe » de Vallongue. Voir « Procès-verbal des conférences de la commission chargée… à la perfection de la topographie… » ; « Essai sur les échelles graphiques » ; « Explication des teintes et des signes conventionnels » ; « Notice sur les caractères et les hauteurs des écritures pour les plans et cartes topographiques et géographiques ; » et « Coup d’œil sur les systèmes » – tous dans le Mémorial du Dépôt de la guerre (1831), 2, p. 1-39 ; 47-98 ; 99-102 ; 103-124 ; 155-156.
  49. Soulavie (ingénieur-géographe), « Notice sur la topographie considérée… » (1829), 1, p. 266-312.
  50. Barbié du Bocage, « Notice historique et analytique » (1829), 1, p. 4-10.
  51. Vallongue, « Coup d’œil sur les systèmes » (1831), 2, p. 143.
  52. Vallongue, « Coup d’œil sur les systèmes » (1831), 2, p. 150.
  53. Vallongue, « Coup d’œil sur les systèmes » (1831), 2, p. 142 et 148.
  54. Allent, « Essai sur les reconnaissances militaires » (1829), 1, p. 470 et 488 ; Allent, « Sur les échelles de pente » (1829), 2, p. 98.
  55. Durant son séjour en Bavière, Soulavie acquit « approximativement 200 pièces sur la topographie de ce pays », et les ingénieurs-géographes Lescene et Épailly furent envoyés dans l’Europe du Nord pour rassembler tous les documents topographiques qu’ils pouvaient trouver sur ces pays ». Berthaut, Les Ingénieurs-géographes (1902), 1, p. 240 et 2, p. 84-87.
  56. Voir, par exemple, Bentabole, « Mémoire militaire et statistique de la Commune de Cosseria fesant partie du champ de bataille de Cosseria… » 24 octobre 1804. Manuscrits des archives de la guerre, MR 1364, Service historique de l’Armée de terre, Vincennes, 2-5.
  57. Bentabole, « Mémoire statistique, historique et militaire du canton de Finale pour le champ de bataille de Scherer fait à Finale le 15 mai 1807 », Manuscrits des archives de la guerre, MR 1383, Service historique de l’Armée de terre, Vincennes, 40.
  58. Ce souci d’analyse en vue de l’amélioration de l’agriculture est clair dans Martinel, « Mémoire historico-statistique de la commune de Mondovi fesant partie du champ de bataille de Mondovi, 22 juillet 1805 », Manuscrits des archives de la guerre, MR 1364, Service historique de l’Armée de terre, Vincennes, document 24.
  59. Allent, « Essai sur les reconnaissances militaires » (1829), p. 507-508.
  60. Allent, « Essai sur les reconnaissances militaires » (1829), p. 510-511. Le respect et la connaissance des coutumes locales étaient fondamentaux. Les autorités françaises étaient peu enclines à secourir les géographes qui se trouvaient eux-mêmes en difficulté en raison de leur ignorance de cela. Lettre de Muriel à Schouany Paris, 2 décembre 1805. Manuscrits des archives de la guerre, MR 1366, Service historique de l’Armée de terre, Vincennes.
  61. « Instruction des élèves ingénieurs-géographes », sans date. Manuscrits des archives de la guerre, MR 1978, Service historique de l’Armée de terre, Vincennes.
  62. Soulavie, « Notice sur la topographie » (1829), 1, p. 266-267.
  63. Vallongue, « Avertissement » (1829), 1, p. 231.
  64. Vallongue, « Procès-verbal des conférences » (1831), 2, p. 3.
  65. « Considérations sur la Forêt-Noire » (1831), 2, p. 193.
  66. Chacun de ces mémoires topographiques incluait un essai sur l’histoire locale, qui explorait l’histoire de ces aspects du pays qui attiraient l’attention des ingénieurs-géographes, et un essai sur l’histoire militaire. Sur l’inadéquation de l’histoire de cabinet ; voir Vallongue, « Avertissement » (1829), 1, p. 113 ; et Lagardiolle, « Notes sur les principaux historiens » (1829), 1, p. 160-161.
  67. Sur la carrière militaire de cet homme remarquable, voir Horward, « Jean-Jacques Pelet » (1989), p. 1-22.
  68. Voir le chapitre 6 et aussi Godlewska, « Map, Text and Image » (1995), p. 5-28.
  69. Son livret militaire, détenu au Service historique de l’Armée de terre, Vincennes, décrit sa blessure à l’épaule, mais tous ses biographes la décrivent comme une balle qui lui avait traversé sa poitrine.
  70. Malte-Brun, Annales des voyages, 57ème livre.
  71. Pour plus d’information biographique sur de Férussac, voir son dossier personnel au Service historique de l’Armée de terre, Vincennes, dans le registre alphabétique des dossiers 1791-1847 sous « Deaudebard » et les notices biographique suivantes : Rabbe Alphonse, Vieilh de Boisjolin, et Sainte-Preuve, « Férussac, André-Etienne-Just-Pascal-Joseph-François d’Audebard, baron de », dans Biographie universelle et portative des contemporains (1834), 2, 1678-8 ; Quérard, La France littéraire (1828), p. 401-402 ; Weiss, « Férussac » (s.d.), 14, p. 31-32 ; Louandre et Bourquelot, La littérature française contemporaine (1848), 3, p. 490 ; et Dupin, « Nécrologie de M. A.-E.-J.-P.-J.-F. d’Audebard, baron de Férussac » (1836), p. 491.
  72. Tel était le cas de la « Notice sur une inscription et sur une médaille phénicienne, trouvée en Andalousie », Rabbe, Vieilh de Boisjolin, et Sainte-Preuve, Biographie universelle (1834), 2, p. 1679.
  73. Férussac, Extraits du journal de mes campagnes en Espagne (1812).
  74. Selon les meilleurs biographes de de Férussac, Vieilh de Boisjolin, Sainte-Preuve et Rabbe, c’était apparemment ce qui arriva après une année de recherche sur l’histoire et la géographie de Silésie. Cette biographie fut écrite du vivant de de Férussac, avec probablement l’assistance et la coopération de celui-ci, puisqu’une copie du volume dans lequel la biographie fut publiée faisait partie des livres de la bibliothèque de de Férussac à sa mort. Voir Férussac, Catalogue des livres composant la bibliothèque de feu M. Le baron de Férussac (1836).
  75. Férussac, Histoire naturelle générale et particulière des mollusques (1820-1851), 2, p. vj-vij.
  76. Il est très difficile et peut-être infructueux de séparer l’œuvre du père et celle du fils : tant que Jean-Louis d’Audebard de Férussac (1745-1815) était vivant, le père et le fils travaillaient en équipe.
  77. Férussac, Histoire naturelle générale et particulière des mollusques (1820-1851), 2, préface.
  78. Sur ceci, voir Férussac, « Rapport fait à l’Institut de France » (1814) ; et Férussac, Notice analytique sur les travaux (1824).
  79. Férussac, Notice analytique sur les travaux (1824), p. 10 et suiv.
  80. L’ensemble de cette discussion prend place aux pages 67-75 de Férussac, Mémoires géologiques sur les terreins (1814).
  81. Toutes les citations de ce paragraphe sont sorties de Férussac, Notice sur les travaux (1924), p. 14-15. De Férussac lui-même les copia de ses propres travaux, qu’ils soient publiés ou inédits.
  82. Férussac, « Distribution géographique des productions aquatiques » (1825), 7, p. 269-270 ; et Férussac, Notice sur les travaux (1824), p. 15.
  83. Les dates et les détails de ses applications peuvent être trouvés dans sa Notice analytique sur les travaux (1824). Au Muséum d’histoire naturelle, B.970 (4).
  84. Férussac, Note supplémentaire à la notice (1825).
  85. Lettre dans laquelle de Férussac accuse réception du refus de l’Institut pour la quatrième fois [Muséum d’histoire naturelle, B.970 (4)]. Datée seulement de Paris, ce 17 février.
  86. Voir spécialement les commentaires de d’Orbigny dans Férussac et d’Orbigny, Histoire naturelle générale et particulière (1835-1848).
  87. Férussac, Histoire naturelle générale et particulière des mollusques (1820-1851), 1, préface.
  88. Mémorial du Dépôt de la guerre (1831).
  89. Férussac, Extraits du journal (1812), p. viij-ix.
  90. Férussac, Extraits du journal (1812), p. xi.
  91. Férussac, De la Nécessité de fixer et d’adopter un corps de doctrine (1819) ; et Férussac, Plan sommaire d’un traité de géographie (1821), qui inclut un intrigant « Tableau générateur et analytique des sciences qui ont pour objet l’univers et les êtres en général, le globe et les sociétés humaines en particulier. »
  92. Férussac, Histoire naturelle générale et particulière des mollusques (1820-1851), 2, préface.
  93. Férussac, « Mollusques et Conchifères » (1825), 7, p. 261.
  94. Férussac, De la Nécessité d’une correspondance régulière (s.d.), p. 5.
  95. Férussac, Bulletin des sciences mathématiques, astronomiques, physiques et chimiques (1824-1831).
  96. Férussac, Bulletin des sciences naturelles et de géologie (1824-1831).
  97. Férussac, Bulletin des sciences médicales (1824-1831).
  98. Férussac, Bulletin des sciences agricoles et économiques (1824-1831).
  99. Férussac, Bulletin des sciences technologiques (1824-1831).
  100. Férussac, Bulletin des sciences géographiques, etc. économie politique, voyages (1824-1831).
  101. Férussac, Bulletin des sciences historiques, antiquités, philologie (1824-1831).
  102. Férussac, Bulletin des sciences militaires (1824-1831).
  103. Férussac, De la Nécessité d’une correspondance régulière (s.d.), p. 42.
  104. Sur ceci, voir Taton, Les Mathématiques dans le Bulletin de Férussac (1947) ; et Weiss « Férussac » (s.d.) 14, p. 31-32, qui, malheureusement, est plein d’erreurs. Un des commentaires les plus intéressants sur l’impact du Bulletin sur le monde académique de Paris vient d’Adrien Balbi, qui était à Paris et travaillait à l’époque sur son atlas linguistique ethnographique (voir chapitre 6). Balbi, « Introduction », dans l’Atlas ethnographique du globe (1826), p. cxxiii.
  105. Sur les débuts de l’histoire de la collection de livres et de la bibliographie, aux XVIe, XVIIIe et XVIIIe siècles, voir Barret-Kriegel, Les Académies de l’histoire (1988), p. 265-292 ; et Estivals, Le Dépôt légal sous l’Ancien Régime (1961).
  106. Férussac, De la Nécessité d’une correspondance régulière (s.d.), p. 17.
  107. Férussac, De la Nécessité d’une correspondance régulière (s.d.), p. 24.
  108. Férussac, De la Nécessité d’une correspondance régulière (s.d.), p. 22.
  109. L’argument de de Férussac est remarquablement en accord avec celui de Ben-David, « The Rise and Decline of France » (1970), p. 160-179.
  110. Pour la considérable contribution de Champollion à la septième section du Bulletin, voir Lacouture, Champollion, une vie de lumières (1988), p. 464.
  111. Taton, Les mathématiques dans le Bulletin (1847), p. 5.
  112. Un des premiers biographes de de Férussac raconte une histoire qui mérite d’être répétée : « M. le baron Alexandre de Humboldt trouva un des Bulletins de de Férussac sur les frontières de la Chine, dans un petit poste russe fait de quelques hommes. Ce fait, que nous avons entendu l’illustre conteur raconter lui-même, donne une idée de la popularité méritée et de l’influence exercées par cette entreprise » Le Bas, « L’Univers. Histoire et description de tous les peuples » (1842), 7, p. 792.
  113. En 1835, il était officiellement décrit par le Corps royal d’état-major comme « sans moyens ». Rapport particulier d’Audebard de Férussac, 1835. Dossier Personnel, Service historique de l’Armée de terre, Vincennes.
  114. En 1830, il était lieutenant-colonel et reçut la Légion d’Honneur en 1831.
  115. Balbi consacra plusieurs pages de son Abrégé de géographie rédigé sur un nouveau plan (1833), p. iii-xi, à une discussion du De la Nécessité de fixer et d’adopter un corps de doctrine de de Férussac. Tout en reconnaisant que de Férussac a exprimé de « raisonnables complaintes « au sujet de la qualité de certaines recherches en géographie, il refusait fondamentalement son plan comme trop ambitieux. De plus, il rejetait le rôle important donné par de Férussac aux statistiques.
  116. Voir Férussac, « Mollusques et Conchifères » (1825), 7, p. 254-270 ; et Férussac, Bulletin général et universel (1822-1823), prospectus et Tableau des sections du Bulletin.
  117. Parmi les géographes militaires/ingénieurs à bénéficier d’une réputation significative dans ces trois derniers domaines étaient Boblaye et Corabœuf pour la géodésie ; Jacotin, Lapie et Bacler d’Albe pour la cartographie à grande échelle ; et Coquebert de Montbret et Chabrol de Volvic pour l’administration.
  118. Bory de Saint-Vincent, Essais sur les Isles Fortunées (1803) et Bory de Saint-Vincent, Voyage dans les quatre principales îles (1804).
  119. Bory de Saint-Vincent, Relation du voyage de la Commission scientifique de Morée (1836).
  120. Bory de Saint-Vincent, Guide du voyageur en Espagne (1823), p. 649.
  121. Bory de Saint-Vincent, Justification de la conduite (1815), p. 14.
  122. Bory de Saint-Vincent, Description du plateau de St.-Pierre de Maestricht (1819).
  123. Lorsque Bory de Saint-Vincent fut chassé de pays en pays par des régimes sensibles aux pressions exercées par le gouvernement de Louis XVIII, Humboldt fut capable de lui fournir un asile pour un temps et un réseau de collègues et d’amis à Berlin. En signe d’amitié et de gratitude, Bory de Saint-Vincent dédicaça le premier volume des Annales générales des sciences physiques à Humboldt.
  124. Drouin, « Bory de Saint-Vincent et la géographie botanique » (1998), p. 139-157.
  125. Bien qu’il ait composé un traité élémentaire sur les reptiles – Traité élémentaire d’erpétologie (1842), il travailla en collaboration sur les flores durant les expéditions de Morée et d’Algérie.
  126. Berthaut, Les Ingénieurs-géographes (1902), 2, p. 189.
  127. Bory de Saint-Vincent, Nouvelle carte d’Espagne et de Portugal (1824) ; et Bory de Saint-Vincent, Notice sur la nouvelle carte d’Espagne (1824).
  128. Bory de Saint-Vincent, Voyage dans les quatre principales iles (1804).
  129. Bory de Saint-Vincent, Expédition scientifique de Morée. Section des sciences physiques (1832-1836) ; Bory de Saint-Vincent, Relation du voyage de la Commission scientifique de Morée (1836).
  130. Bory de Saint-Vincent, Note sur la Commission scientifique de l’Algérie (s.d.) ; Bory de Saint-Vincent, « Rapport concernant la géographie et la topographie » (1838) ; Bory de Saint-Vincent, « Flore de l’Algérie, Cryptogamie » (1846-1867) ; et Bory de Saint-Vincent, Sur l’anthropologie de l’Afrique (s.d. [1845]).
  131. Bory de Saint-Vincent, Essais sur les isles fortunées et l’antique Atlantide (1803).
  132. Bory de Saint-Vincent, Guide du voyageur en Espagne (1823) ; Bory de Saint-Vincent, Résumé géographique de la péninsule ibérique (1826).
  133. Le prospectus pour cet atlas apparut comme une page titre avec dépliant : Atlas géographique, statistique et progressif des départements de la France et de ses colonies. Sous la direction de M. Pierre Tardieu, accompagné d’une notice historique sur la France, par M. Bory de Saint-Vincent, membre de l’Institut, dans Bory de Saint-Vincent, La France par tableaux géographiques et statistiques (1844). L’atlas parut finalement comme : Perrot, Atlas géographique, statistique et progressif ([1845]).
  134. Bien que Drouin ait soutenu de manière convaincante que son intérêt pour la géographie des plantes était aussi aigu que celui de Humboldt, il se rangeait avec de Candolle dans un débat sur la nature de la géographie des plantes. Voir Drouin, Réinventer la nature (1991), p. 60 et suiv.
  135. Bory de Saint-Vincent, « Notice biographique sur Malte-Brun » (1827).
  136. Cette référence n’est pas claire. Il peut, au lieu de cela, s’être référé à Francisco Pons (1768-1855) qui comptait aussi la géographie parmi ses intérêts plus historiques et littéraires.
  137. J’ai été incapable d’identifier positivement ce géographe espagnol.
  138. La géologie est relativement absente du Dictionnaire classique d’histoire naturelle de Bory de Saint-Vincent, mais reçoit quelque attention, par exemple, dans sa Description du plateau de St.-Pierre de Maestricht.
  139. Bory de Saint-Vincent, Guide du voyageur en Espagne (1823), p. 226.
  140. Dans son Dictionnaire classique d’histoire naturelle, Bory de Saint-Vincent se projette vers un temps où il sera possible de déterminer des régions de mammifères, lie le concept de race humaine à un tel régionalisme (300), et avec Guillemin salue le concept de région botanique de de Candolle (p. 272, 289-290). Voir aussi Bory de Saint-Vincent, Guide du voyageur en Espagne (1823), p. 201.
  141. Bory de Saint-Vincent, Guide du voyageur en Espagne (1823), p. 202.
  142. Bory de Saint-Vincent, Guide du voyageur en Espagne (1823), p. 204-205.
  143. Bory de Saint-Vincent, Guide du voyageur en Espagne (1823), p. 209.
  144. Bory de Saint-Vincent, « Notice sur la Nouvelle carte d’Espagne » (1823), p. 19.
  145. Bory de Saint-Vincent, Guide du voyageur en Espagne (1823), p. 282-283.
  146. Bory de Saint-Vincent, Dictionnaire classique d’histoire naturelle (1825), 7, p. 240.
  147. Voir Bory de Saint-Vincent, « Rapport concernant la géographie et la topographie » (1838), p. 52-53.
  148. Il est important de noter que ceci a été écrit très tôt après l’expédition napoléonienne en Égypte. Bory de Saint-Vincent, Essais sur les isles fortunées (1803), p. 47-48.
  149. Bory de Saint-Vincent, L’Homme (homo), essai zoologique sur le genre humain (1827), p. 67.
  150. Voir Bory de Saint-Vincent, Guide du voyageur en Espagne (1823), p. 234 et 642.
  151. Bory de Saint-Vincent, Essais sur les isles fortunées (1803), p. 460.
  152. Bory de Saint-Vincent, Essais sur les isles fortunées (1803), p. 240-241.
  153. Voir Bory de Saint-Vincent, « Rapport concernant la géographie et la topographie » (1838), p. 10 ; et, pour un autre exemple, son Voyage dans les quatre principales iles (1804), p. 23.
  154. Bory de Saint-Vincent, Guide du voyageur en Espagne (1823), p. 67-68.
  155. Bory de Saint-Vincent, Description du plateau de St.-Pierre de Maestricht (1819), p. 49-50.
  156. Bory de Saint-Vincent, Voyage dans les quatre principales iles (1804), p. 87.
  157. Voir par exemple Bory de Saint-Vincent, Relation du voyage (1836), p. 108-110 ; Bory de Saint-Vincent, Essais sur les isles fortunées (1803), p. 105 ; et Bory de Saint-Vincent, Voyage dans les quatre principales iles (1804), p. 24.
  158. Selon son biographe, Bory de Saint-Vincent passa beaucoup de temps en prison pour forcer son créditeur à payer ses dépenses de vie. Pour un chercheur aux moyens limités travaillant sur nombre de manuscrits, et avec une fille prête à lui fournir nourriture, compagnie et correspondance, la prison était une situation idéale.
  159. Role, Un Destin hors-série (1973), p. 111-112.
  160. Role, Un Destin hors-série (1973), p. 119-120.
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Pau
Chapitre de livre
EAN html : 9782353111633
ISBN html : 2-35311-163-7
ISBN pdf : 2-35311-164-5
ISSN : 2827-1882
46 p.
Code CLIL : 3396
licence CC by SA
Licence ouverte Etalab

Comment citer

Godlewska, Anne Marie Claire, « La géographie comme servante du pouvoir », in : Godlewska, Anne Marie Claire, La science géographique en France de Cassini à Humboldt. Une mutation hésitante, Pau, PUPPA, Collection Sp@tialités 3, 2023, 181-226 [en ligne] https://una-editions.fr/la-geographie-comme-servante-du-pouvoir/ [consulté le 26/02/2024].
doi.org/10.46608/spatialites3.9782353111633.8
Illustration de couverture • peinture d'Izabella Godlewska de Aranda.

Dans la collection papier

L’imaginaire géographique.
Entre géographie, langue et littérature
,
par Lionel Dupuy, Jean-Yves Puyo, 2015
ISBN : 978-2-35311-060-5
Prix : 25 €

De l’imaginaire géographique aux géographies de l’imaginaire.
Écritures de l’espace
,
par Lionel Dupuy, Jean-Yves Puyo, 2015
ISBN : 978-2-353110-68-1
Prix : 15 €

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Un rapport à la nature à reconstruire ?
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par Vincent Berdoulay, Olivier Soubeyran, 2015
ISBN : 978-2-35311-071-1
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De la spatialité des acteurs politiques locaux.
Territorialités & réticularités
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ISBN : 978-2-35311-087-2
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L’imaginaire géographique.
Essai de géographie littéraire
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par Lionel Dupuy, 2019
ISBN : 978-2-35311-097-1
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Poésie des mondes scientifiques,
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ISBN : 978-2-35311-115-2
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