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Grande Lande et Lande maritime,
terres de franchises (XIIIe-XVIIIe siècles)

Paru dans :  Actes de l’Académie nationale des Sciences,
Belles-Lettres et Arts de Bordeaux
, sér. 5, t. 31, 2006, 79-97.

Jusqu’à une date récente, l’histoire de la Grande Lande et de la Lande maritime n’a guère retenu l’attention des historiens. Or, une large partie de ces terres présente une indiscutable originalité. Il s’agit des pays que l’on appelait à la veille de la Révolution “Terres de queste” et que nous avons, faute d’une dénomination particulière attestée au Moyen Âge, appelés “Terres de franchises”. Dans ces pays, nous allons le voir, les habitants qualifiés de “besins”, membres de communautés appelées parfois “besiau”, sont au début du XIIIe siècle, époque à laquelle nous les découvrons, des hommes libres, qui moyennant certaines redevances dont la plus remarquable est la “queste” versée chaque année au roi-duc, échappent au régime seigneurial.

Or, ce statut original va perdurer jusqu’à la Révolution et connaîtra des suites inattendues au XIXe siècle.

Les pays concernés

Il s’agit des seigneuries de Labouheyre et de Sabres, du Brassenx, du Marensin et de ses dépendances de Laharie et Saubusse, de la Maremne, enfin des pays de Gosse et de Seignanx. Un vaste ensemble de 54 paroisses qui s’étendait sur près de 100 km du nord au sud et de 50 km dans sa plus grande largeur, de l’est à l’ouest.

La seigneurie de Labouheyre et connue jusqu’au dernier quart du XVIe siècle sous les noms d’Herbefaveire, Erbafaueira, Erbehabere qui évoquent les immenses espaces d’herbes fauves et de bruyères qui, des iècles durant, ont recouvert cette seigneurie à perte de vue. Elle englobe, en plus de Labouheyre, alors simple annexe, les paroisses d’Escource, Luë et Saint-Jean-de-Sorence devenue plus tard Bouricos, au contact du pays de Born, et celles de Trensacq et Commensacq de part et d’autre de la Grande Leyre. Bien qu’elle fût juridiquement distincte de celle de Labouheyre, la eigneurie de Sabres qui la prolonge vers l’est jusqu’à celle de Labrit et qui ne compte qu’une autre paroisse, Luglon, connut le même destin.

Le Brassenx, encore appelé Brassenc ou Brassieges s’étend de la grande paroisse de Sabres au nord à la vicomté de Tartas au sud et de la seigneurie de Laharie, à l’ouest, à la vicomté de Marsan, à l’est. Le Brassenx comprend dix paroisses réparties au début du XIVe siècle en quatre jurades : Arjuzanx ; Morcenx et Garosse ; Igos, Suzan et Saint-Saturnin ; Villenave, Ousse, Bézaudun et Beylongue.

Vaste triangle de terre adossé sur 35 km à l’océan, du courant de Contis, au nord, qui le sépare du pays de Born au courant du Vieux-Boucau, au sud, le Marensin pénètre à l’intérieur des terres entre la seigneurie de Lesperon et la vicomté de Tartas, au nord, et la prévôté de Dax, au sud. La partie orientale drainée par le ruisseau de La Palue qui se déverse dans l’étang de Léon était de loin la plus riche. Le Marensin comprend quinze paroisses : Taller, Castets, Saint-Michel, Escalu et, plus au nord, sur le ruisseau de Benaut, Linxe. Un second groupe de paroisses s’est établi à la limite de la zone dunaire avec Lit, Mixe, les deux Saint-Girons, Léon et Azur ou bien s’insère dans les dunes comme Moliets, Maa et Messanges. Les paroisses de Laharie et de Saubusse furent, nous le verrons, unies au Marensin.

La Grande Lande et la Lande maritime au début du XIVe siècle.

Au nord, le courant du Vieux-Boucau sépare la Maremne (Maremnha, Marempne) du Marensin ; au sud, la baronnie de Labenne du pays de Gosse. Baignée sur une quinzaine de kilomètres par l’océan la Maremne confronte à l’est à la prévôté de Dax et à la seigneurie de Saubusse. Elle comprend au XIIIe siècle huit paroisses : vers l’intérieur, Saint-Geours-de-Maremne, Saint-Vincent-de-Tyrosse, Tosse et Saubion et, au pied des dunes, celles de Soorts, Angresse, Seignosse et Soustons.

Les pays de Gosse et de Seignanx sont bordés au sud et à l’est par l’Adour qui le$ sépare du Labourd, de la seigneurie de Guiche et de la vicomté d’Orthe. Situé en bordure de l’océan, le pays de Seignanx confronte au nord à la seigneurie de Labenne ; le pays de Gosse à la Maremne. Ces deux pays dont le sort fut toujours commun comprennent respectivement cinq et neuf paroisses : en Seignanx, Saint-Etienne-Darribe-Labourd, faceà Bayonne, Saint-André et Saint-Martin, Ondres et Tarnos ; en Gosse : Biaudos, Orx, Biarotte, Sainte-Marie, Saint-Jean-de-Marsacq, Saint­Laurent, Saint-Martin-de-Hinx, Saubrigues et Saint-Barthélemy.

En 1250, toutes ces terres sont dans la directe du roi-duc qui en avait hérité au milieu du XIe siècle de ses prédécesseurs, ducs de Gascogne. Mais, entre 1263 et 1356, les Albret, monnayant leur fidélité à Henri III puis à Edouard III parviennent à les rattacher à leur domaine.

L’acquisition de ces terres par les Albret

La Maremne fut acquise la première en 1263 par Amanieu VI d’Albret qui se la fit donner par Henri III en échange de la seigneurie de Meilhan­ sur-Garonne qu’il avait été, semble-t-il, contraint de céder à la suite de son engagement contre le roi-duc, lors de la révolte des Gascons dix ans plus tôt. Les biens que lui avait donnés initialement en échange Henri III étaient dispersés et susceptibles d’être repris par leurs anciens possesseurs. Aussi Amanieu VI finit par obtenir la cession de la terre de Maremne. Ce fut le point de départ de la politique d’expansion des Albret dans la Grande lande et la Lande maritime.

C’est dans des circonstances relativement complexes que les autres terres sont passées dans leurs mains entre 1338 et 1356. Nous sommes alors au tout début de la guerre de Cent Ans, au moment où, à l’automne 1337, la rupture entre le roi de France, Philippe VI et le roi d’Angleterre, Edouard III, prétendant au trône de France est consommée. Le sire d’Albret est alors Bernard Aiz V qui a succédé à son père Amanieu VII en 1327 et, comme son père, est rallié au roi de France. Le décès sans héritier direct de son frère Guitard, vicomte de Tartas, en janvier 1338, dont il recueille la succession, les pressions du sénéchal anglais pour qu’il rejoigne le camp du roi-duc eurent raison de ses hésitations. Le 8 mai 1338, le sire d’Albret rallie le camp d’Edouard III. Il faut reconnaître que les concessions faites par le roi-duc étaient importantes. Mais ce qui finit sans doute par convaincre le sire d’Albret, ce fut la perspective de la succession de sa sœur Mathe, dame de Bergerac. Mathe avait épousé le seigneur de Bergerac, alors décédé, dont elle n’avait pas eu d’enfant mais dont elle avait capté l’héritage. En procès avec les autres héritiers de son défunt mari, elle avait, sur les conseils de son autre frère Bérard Ier, seigneur de Vayres, resté fidèle à Edouard III, conclu un accord avec le roi-duc, au mois d’avril 1338. Elle renonçait en sa faveur à tous ses droits sur Bergerac et Montignac et lui confiait la garde de ses autres châteaux, Gensac, Castelmoron, Miremont en Bazadais et Montcuq en Périgord. En échange, Edouard III lui cédait en possession perpétuelle pour elle et ses héritiers, le château et la prévôté de Montendre en Saintonge, le “bladage de Blaye”, le manoir de Condat aux portes de Libourne, la prévôté de Born et Mimizan, enfin Labouheyre et le Brassenx. Or, Mathe décéda à l’automne 1338, laisant tous ses biens à son frère, Bernard Aiz V.

Si le sire d’Albret put prendre possession de Condat et des terres landaises, il n’en fut pas de même de Montendre et des droits à Blaye. Aussi, en échange, se fit-il céder par le sénéchal de Gascogne les lieux, baillies et terres landaises de Pontonx, Auribat, Gosse, Seignanx et leurs dépendances, dispositions qui furent ratifiées par Edouard III en 1341, lors d’un voyage du sire d’Albret en Angleterre.

C’est dans des circonstances tout à fait différentes que Bernard Aiz V mit la main sur le Marensin. On était au début de l’été 1346, au moment où se déroulait en Aquitaine la campagne du comte de Derby qui atteignit Aiguillon. Le sire d’Albret, invoquant les dommages qu’il avait subis au cours de la guerre se fit donner par Derby, alors à La Réole, les terres de Marensin et de Laharie, de Saubusse et Angoumé sur les bords de l’Adour, confisquées à Miramonde de Mauléon et Bertrand de Launac, son fils, pour cause de trahison. Il faut savoir que le 3 novembre 1261 Auger de Mauléon, vicomte de Soule, avait été contraint de céder sa vicomté au prince Edouard, le futur Edouard Ier en échange des terres de Laharie, Saubusse, Saas, Angoumé et de toute la terre de Marensin. Mais ce n’est qu’au mois d’avril 1356 que le Prince Noir ordonna la mise en possession du sire d’Albret qui arrondit une nouvelle fois ses domaines à bon compte en annexant le Marensin et Laharie ses terres landaises ne faisaient plus qu’un bloc de la Leyre à l’Adour. En un siècle, les Albret s’étaient substitués au roi-duc dans la Grande Lande et la Lande maritime.

Or toutes ces terres que nous venons d’évoquer étaient, sauf l’Auribat et Pontonx, régies par le régime de la queste.

Les coutumes

Depuis le début du XIIIe siècle, au moins, les différentes communautés de ces pays disposaient de coutumes précisant le statut de habitants et celui de la terre. Nous avons conservé celles de la Maremne, de Labouheyre et du Brassenx, mais nous sommes toujours en quête de celles du Marensin et de pays de Gosse et de Seignanx, dont la similitude avec les précédentes ne fait néanmoins aucun doute.

Les coutumes de la Maremne ont été publiées par le baron d’Olce en 1882 dans la Société de Borda. Il s’agit d’une traduction française provenant des archives de la caverie de Goalard, à Soustons. Une copie ancienne recensée dans le fonds d’Albret est perdue.

Celles de Labouheyre sont, par contre, connues par sept copies du XVIIe et XVIIIe siècle, trois conservées dans le Fonds Bouillon aux archives nationales, trois autres dans des fonds privés landais, la dernière aux archives communales d’Escource, éditée par Félix Arnaudin. Il s’agit de la confirmation des coutumes, faite le 28 mars 1427 par Charles II d’Albret, à la demande des habitants qui lui versèrent à cette occasion cent francs en or. Elles viennent de faire l’objet par nos soins d’une édition critique avec traduction et commentaire. À partir du noyau originel mis par écrit vers 1220 ces coutumes furent complétées à plusieurs reprises du début du XIIIe siècle à 1427 : à la fin du XIIIe ou au début du XIVe siècle, après 1338, lorsque les Albret devinrent seigneurs de Labouheyre, mais certains articles furent manifestement introduits lors de la confirmation de 1427, entérinant en partie des pratiques antérieures.

Celles du Brassenx, connues d’après une copie du XVIIe siècle conservée aux archives du château de Castillon à Arengosse, ont été publiées avec traduction et commentaire en 1978. Celles du pays de Gosse et de Seignanx sont seulement attestées par deux lettres du prince Edouard du 22 mars 1255 dans lesquelles il concède à ses hommes de Gosse et de Seignanx qu’ils soient administrés selon “les bons usages et bonnes coutumes observées et approuvés dans ces terres”. Quant à celle du Marensin nous ne désespérons pas de les retrouver un jour, mais nous sommes assuré de leur existence comme en témoigne le livre des Coutumes de Dax.

Tous les habitants de chaque pays sont concernés par ces coutumes, mais d’un pays à l’autre les structures de la société diffèrent. Si à Labouheyre il n’y eut jamais que des “besins” tous égaux en droit et constituant apparemment un groupe homogène, par contre, à des degrés divers dans les autres pays, on distingue à côté de ces “besins” un groupe de petits seigneurs connus sous le nom de “cauers” ou caviers.

À Labouheyre, les coutumes sont concédées aux “bourges, besins, manans et habitans”, sous-entendu “de la ville, baronnie, terre et seigneurie de Labouheyre”, comme cela apparaît explicitement dans la supplique adressée au sire d’Albret en 1427. En Brassenx, l’article Ier des coutumes ne mentionne que les habitants “deudit territori de nostre dit castet reyau d’Arjusans”. Cette expression semblerait restreindre le bénéfice des coutumes aux seuls habitants du castrum, mais, dans d’autres articles, on a interpolé des formules telles que “ensemble totz los de notre baronie”.

En Maremne, on trouve : les “communs voisins et habitants” ; des caviers que l’on peut considérer comme de petits seigneurs ; enfin, dépendant des caviers, des “voisins féodaux” qui sont ni plus ni moins des tenanciers. Correspondant à cette structure juridique de la société, on constate une organisation parallèle des terres : les terres des caviers et celles des communs voisins et habitants sont qualifiées de “terre et franchise” ; celles des “voisins féodaux” de “fiefs”, ce terme, en Bordelais comme en Gascogne, servant à désigner toute terre tenue d’un seigneur, que l’on soit noble ou roturier. De même, dans les pays de Gosse et de Seignanx il existe un groupe de tenants directs du roi-duc, qualifiés d’hommes francs du roi en 1278. Mais on découvre aussi des hommes qui ont toutes les apparences de vassaux : ce sont les “seigneurs de maisons”, qualifiés de “dauzed» ou domicellus ou “cauer” qui appartiennent à la petite noblesse. Leurs domaines sont constitués de tenures aux mains de tenanciers.

On devenait “besin” de deux manières : Bien sûr, même si cela n’est jamais dit explicitement, il suffit d’être fils de “besin”. Mais, au Moyen Âge du moins, la communauté n’est pas fermée et peut accueillir l’étranger. Ainsi, en Brassenx, il suffit de faire don d’une arbalète à la “besiau” et de la déposer dans la maison commune d’Arjuzanx, d’offrir aux jurats des quatre jurades et aux autres voisins un agneau et, bien sûr, de contribuer à proportion de ses héritages au paiement de la queste et du cens. À Labouheyre, le nouveau “besin” n’est tenu qu’au paiement d’une arbalète et d’une collation, selon ses possibilités.

Certaines communautés possèdent des représentants. En Brassenx, le pays est divisé en quatre jurades qui élisent chacune un jurat. À Labouheyre, des jurats sont attestés dans le dernier article de la coutume, mais on en ignore le nombre, les modalités de leur désignation, la durée de leur mandat. Ils peuvent lever des tailles en argent pour l’entretien de la ville ou répondre aux besoins de leur charge.

Les redevances

Si le seigneur exerce la justice haute et basse, procède à certaines conditions à la levée des habitants, moyennant le paiement de redevances, les “besins” jouissent d’un statut tout à fait original.

Ils sont “francs et libres”, libres c’est-à-dire exempts de toute servitude, francs car ils ne dépendent que du roi-duc ou de ses successeurs auxquels ils versent uniquement les redevances fixées par les coutumes. En Maremne, celles-ci interdisent au seigneur d’imposer aucune taille, subside, péage, gabelle, dans la baronnie. En Brassenx, le seigneur s’est engagé à ne faire dans la ville d’Arjuzanx et dans la baronnie “taille, aubergade, ni queste”, sauf celle fixe prévue par la coutume.

Ces redevances sont au nombre de trois en Maremne : une en argent, appelée “queste”, une rente en nature, enfin une prestation de service appelée “aubergade”, remplacée par une redevance en argent et nature. En Brassenx et à Sabres, en 1241, il s’agit d’une double redevance en argent : la queste et le cens. À Labouheyre, une seule redevance en argent appelée queste. En Gosse et Seignanx, une queste.

Toutes les communautés payent la queste. C’est pour cette raison que les juristes parlent à l’époque moderne des “pays de queste”. C’est une redevance collective payée sauf exception par tous les “besins” qui sont solidaires de son paiement, “le fort supportant le faible” à Labouheyre, “à proportion de ses héritages”, en Brassenx. À la limite, à Labouheyre où tous les “besins” sont juridiquement égaux, s’il n’en restait qu’un il lui faudrait payer la totalité de la queste, mais cela signifierait aussi qu’il détiendrait la totalité de la seigneurie. À Labouheyre, le montant de la queste ne nous est pas connu. À Sabres, en 1241, il est de 8 1. 10 s. En Brassenx, il s’élève en 1241 à Arjuzanx à 54 s., puis, au début du XIVe siècle, à 10 livres de Guyenne pour l’ensemble du Brassenx. En Gosse et Seignanx le montant n’en est pas connu, mais la queste fait l’objet d’assignations de la part du roi-duc.

En Maremne, qualifiée de “rente et queste” ou seulement de “queste” elle s’élève à 116 livres, payables le lendemain de la Sainte Foy, le 7 octobre, selon une procédure précise et rigoureuse. Les voisins et habitants sont tenus de payer cette queste en raison des “padouens, pâturages, eaux, viviers, étangs, fruits, entrées, émoluments”, mais aussi des “franchises, libertés et tous exploictz et servitude de la seigneurie”. Les tenanciers des caviers ont la possibilité de jouir de la “franchise padouensalle” moyennant le paiement d’un sou morlan à chaque voisin de chaque paroisse, mais c’était une franchise réduite. Il ne faudrait pas tout de même avoir une vision simpliste de la société de la Maremne ; en effet, des tenanciers de caviers peuvent par ailleurs posséder” aucune franchise de la seigneurie”, autrement dit être aussi des “besins”, participer aux charges (queste, rente et aubergade) et jouir, nous allons le voir, des avantages exceptionnels qu’étaient ceux des voisins.

À Sabres et en Brassenx, la queste est complétée par un cens d’un montant de 30 s. à Sabres et 20 s. à Arjuzanx en 124 1, mais qui n’est plus que de 12 s.8 d. en Brassenx, un siècle plus tard.

Les “besins” de la Maremne sont aussi redevables d’une rente en nature. Celle-ci est payée par tous les habitants tenants directs qu’ils soient caviers ou simples voisins, à l’exclusion donc des simples tenanciers : elle est d’une quarte de froment pour les voisins possédant jusqu’à sept héritages ; quatre quartes pour les caviers francs. Situation bien particulière que celle de ces caviers qui prêtent hommage particulier au sire d’Albret, sont exempts de la queste mais néanmoins astreints au paiement d’une rente importante. En Brassenx, la rente en nature est formellement exclue ; en 1361, le sire d’Albret en reconnut le caractere abusif.

La dernière des redevances est l’aubergade. Il s’agit du droit que le seigneur s’était attribué de pouvoir, une ou plusieurs fois par an, lui-même ou son représentant et sa suite, prendre gîte et couvert chez les habitants de la seigneurie. Ce droit, tombé en désuétude, fut remplacé par une redevance en argent ou en nature.

En Maremne, les “besins”, à l’exception des tenanciers des caviers, paient à la Saint-Martin pour chaque maison et feu vif seize blancs appelés liards d’amende ou aubergade et une conque de millet blanc. En Gosse et Seignanx, l’aubergade fut remplacée en 1278 par une redevance de 3 s. morlans ou chaque homme franc tenant feu vif. En Brassenx, elle est formellement exclue.

Les privilèges des “besins”

En payant la rente et la queste tout habitant de la Maremne, nous disent les coutumes, est copossesseur de la “terre commune de Maremne qui appartient aux voisins et habitants”. À ce titre, les “besins” ont la jouissance perpétuelle de tous les vacants : possibilité de nourrir et tenir toute condition de bétail dans toute la seigneurie, de laisser pâturer du lever au coucher du soleil sous bonne garde, de participer au glandage et à la coupe des bois, à la chasse et à la pêche. À Labouheyre, les “besins” sont en possession de faire nourrir et paître leur bétail à l’intérieur des limites de la baronnie, sans payer d’herbage. En Brassenx, tous les habitants peuvent user du droit de dépaissance avec tout leur bétail gros et petit en franchise et librement, à travers tous les bois et landes de la baronnie.

Mais c’est le doit de perprise qui constitue un des traits les plus originaux des “pays de queste”.

En Maremne, les voisins ont le droit “de perprendre et posséder de la terre et commun de ladicte seigneurie en quel lieu qu’il leur plaira”. De plus, le seigneur ne peut perprendre pour lui-même ni donner des fiefs à cens ou rente.

À Labouheyre, les “besins” ont droit de “prise et perprise”. La perprise permet à chaque besin de s’approprier une partie des vacants pour en faire “sa heretat”, c’est-à-dire un bien propre. En principe, tout ce qui se trouve sur le territoire de la seigneurie et qui n’est pas perpris peut l’être, la terre bien sûr, les landes, les bois, les carrières, les eaux courantes et dormantes qui constituent les vacants et padouens de la seigneurie. Seules limites à la perprise : ne pas porter tort à la collectivité ni à son prochain. L’objet de la perprise qui n’est pas limité est d’augmenter un héritage ou d ‘en créer un nouveau. On peut donc imaginer le fils d’un “besin” qui perprend pour se constituer un patrimoine. La coutume précise ce que l’on peut faire à partir d’un bien perpris : en premier lieu, bâtir des maisons ou des moulins “moles, molins, moliars”, établir des “pesqueys et garennes”, c’est-à-dire des réserves de poissons et de gibier et créer des prairies de fauche (prats, foins) ou de dépaissance (herbes). Curieusement, il n’est pas fait mention de “champs” ; ceux-ci ne pouvant être utilement établis que sur des terres gagnéeSSur des feuillus, nous pensons que lorsque cette partie des coutumes fut rédigée la majeure partie des terres aptes à porter des champs avait été défrichée. D’ailleurs, les articles explicitant la mise en œuvre de la perprise concernent presque exclusivement l’aménagement de prairies. En Brassenx les habitants et tous ceux qui viendront y habiter peuvent perprendre des terres parmi celles qui se trouvent vaines et vacantes.

Comment perprendre ? En Maremne, le “besin” peut perprendre sans obtenir ni demander congé ni licence au seigneur et à condition, bien sûr, de ne pas s’établir sur la terre “connue d’un autre voisin ou un chemin public”. Dans la première version de la coutume de Labouheyre, c’est de sa seule autorité, sans en référer à la communauté ni au seigneur, que tout “besin” peut perprendre et cela sans aucune limite, en Brassenx, sans avoir rien à payer, sans demander congé ou licence du roi-duc ni de ses officiers.

Une fois qu’il est perpris un bien devient une “heretat”, c’est-à-dire un héritage. L’“heretat” n’est pas une tenure : ainsi, lors d’une vente, le vendeur ne paie pas de taxe de mutation au seigneur. Lorsqu’un “besin” décède, ses héritiers rentrent en possession immédiate de l’héritage sans présentation au seigneur et sans verser une esporle. En Brassenx, l’art. 3 précise que, si un habitant vend les maisons, ou ses terres, il ne sera tenu de payer aucun droit, ni lods et ni ventes.

Le droit de perprise a pu évoluer au cours du Moyen Âge comme on le constate à Labouheyre. Après 1340 et l’arrivée des Albret, ce droit qui était libre et gratuit devient contrôlé et payant : celui qui veut perprendre doit en faire part au représentant du seigneur et aux jurats de la ville ; la délivrance du bien perpris lui en sera consentie moyennant le paiement de 27 deniers et demi. On assiste ainsi à la prise en main par l’autorité seigneuriale d’un statut plus ancien concédé ou validé par le roi-duc dans un contexte différent. Il s’agit manifestement d’une réaction seigneuriale à l’encontre d’une coutume jugée trop libérale pour les usagers et tout à fait conforme à ce que nous savons de la politique des Albret.

Le droit de perprise connut aussi certaines modifications : ainsi, les “besin” purent-ils mettre leur ban sur un lieu précis après que proclamation en ait été faite le dimanche lors du prône de l’église. Il s’agit, semble-t­ il, de la possibilité pour un “besin” de se réserver temporairement – le temps d’une saison ? – l’exploitation de foins et herbes, de glands ou même la coupe ou l’ébranchage d’arbres. Autre application de la perprise : la possibilité pour les “besins” d’entretenir à proximité de leurs héritages des espace pour la nourriture de leur bétail de labour, en les délimitant par des fossés, des chemins ou de toute autre manière. Il s’agit là d’un usage exclusif et permanent, même s’il n’y a pas de transformation juridique en héritage.

Les besins interprétant à leur avantage une pratique réservée au seigneur justicier finirent par s’arroger le droit de saisir les animaux “étrangers” qui s’aventureraient à l’intérieur de ce secteur protégé et de ne les restituer que moyennant le paiement d’une amende. Cet article manifestement introduit lors de la confirmation de 1427, constitue un témoignage indirect de l’importance croissante de l’élevage au début du XVe siècle.

Un autre article qui doit dater de la même époque précise les limites des terrains de parcours de la seigneurie et leurs confronts avec les autres paroisses. Il semblerait que les “besins” de Labouheyre manquant de terrains, de parcours aient empiété sur ceux de Sabres et convoité des “forestaiges vacants” relevant, au sud de la paroisse, d’une enclave que le roi-duc puis les Albret possédaient dans le secteur de Cap de Pin. Ces terrains étaient loués à des troupeaux de transhumants venus en particulier de la vallée d’Aspe.

La destinée des coutumes de Labouheyre à l’Époque moderne

Les coutumes des pays de “queste”, ont continué à évoluer au cours de l’époque moderne, comme on peut le voir dans le cas de Labouheyre.

Dans cette baronnie, elles connurent une première révision, en 1536, lorsque les habitants voulurent en obtenir confirmation de Jeanne d’Albret (1555-1572). La reine de Navarre souhaita auparavant recueillir l’avis de son sénéchal de Tartas auquel la seigneurie était rattachée à la suite de l’érection des terres d’Albret en duché, en 1556. La réponse des officiers est très intéressante car elle nous éclaire sur l’attitude du pouvoir seigneurial face à des privilèges remontant aux environs de 1200. Ils estimèrent que seuls pouvaient être reçus comme “besins” les fils ou gendres de “besins” qui résident de façon permanente dans la juridiction, contribuant à toutes les charge et après avis du procureur. Il est manifeste que des abus se produisaient et les officiers de la reine voulaient que seuls les “besins” et leurs familles puissent jouir des privilèges. L’étranger est exclu, sauf à devenir “besin” par alliance.

Les officiers exclurent du champ d’application de la perprise la paroisse de Bouricos, s’appuyant sur les conditions dans lesquelles le prince Edouard avait fondé ce castrum. Ils validèrent les conditions nouvelles introduites par les Albret pour l’exercice de la perprise, mais introduisirent aussi des clauses restrictives : Nul ne peut perprendre si ce n’est pour bâtir une maison et héritage nouveaux à proximité du sien pour lui-même ou quelqu’un de sa parenté. Disposition qui nous éclaire sur la manière dont se développèrent les airiaux.

Les articles concernant le parcours du bétail ont retenu toute l’attention des officiers. Ceux-ci demandèrent que le droit de faire pâturer les animaux sans payer de droit d’herbage fût strictement réservé aux “besins” mais, dans ce domaine, on peut être assuré de leur vigilance à protéger leurs droits. Les officiers contestèrent évidemment le droit que s’étaient arrogé les “besins” de saisir des animaux étrangers entrant sur leurs pâturages personnels proches de leurs “héritages”. En fait, ils ont voulu protéger les propriétaires de troupeaux étrangers transhumant sur les terres de la reine et lui payant une redevance, en les autorisant à faire boire leurs troupeaux dans les ruisseaux et étangs de la juridiction, en interdisant formellement aux “besins” de saisir des animaux sans accord du juge ou du jurat et sans en avoir informé le procureur du seigneur, sous peine de sanctions. Ces interdictions n’ont rien d’étonnant car il s’agit d’un pouvoir de police appartenant au seigneur et aux jurats que les “besins” de Labouheyre s’étaient indûment approprié. En ce qui concerne la perprise les officiers de la reine demandèrent que soit interdite la perprise de “preds couhelars où le bétail herbageant a coutume de paître et herbager de tout temps et de s’y retirer”.

En raison probablement des troubles politiques et religieux qui agitaient alors la Gascogne, les propositions faites par les officiers demeurèrent lettre morte. Ce n’est, en effet, que vingt-deux ans plus tard, en 1583, que les “besins” de Labouheyre obtinrent d’Henri III de Navarre, sa mère étant décédée en 1572, confirmation de leur coutume.

Curieusement, l’avocat et le procureur du roi ne s’opposèrent pas à l’enregistrement des coutumes présentées par les habitants et ne firent alors que trois observations, mais elles sont significatives de leur volonté de les encadrer : ainsi, si un “besin” veut perprendre, il est dispensé de prendre avis du jurat, mais il doit se pourvoir auprès des officiers de la juridiction ; les appels interjetés à cette occasion seront portés devant la cour de Tartas ; enfin, les coutumes ne peuvent déroger ou préjudicier aux ordonnances royales faites depuis lesdits “prétendus privilèges”. Cette terminologie illustre bien la méfiance des officiers royaux pour des coutumes dont ils considéraient qu’elle n’avait pas de caractère officiel et dont seul le bon vouloir du prince assurait la pérennité.

Ainsi les “besins” de la baronnie de Labouheyre ont-ils continué à jouir des libertés qui avaient été reconnues à leurs ancêtres. Mais jusqu’à quand ? Que s’est-il passé aux XVIIe et XVIIIe siècles ? Rappelons, tout d’abord, qu’en 1589 Henri III de Navarre succéda au roi de France Henri III sous le nom d’Henri IV. Dans un premier temps, le souverain s’opposa à l’intégration du royaume de Navarre, des vicomtés de Béarn, de Marsan et de Gabardan et du duché d’Albret à la couronne de France. Mais, cédant aux instances du Parlement de Paris, il finit par intégrer le duché d’Albret à la couronne en juillet 1607. Nous n’avons pas pour l’instant examiné ce qui advint précisément de chacune des coutumes des terres de franchises mais, nous le verrons, leur destinée, ne fut pas différente de celle des coutumes de Labouheyre que nous avons suivies jusqu’à la veille de la Révolution.

Ces coutumes furent confirmées solennellement par Louis XIII, en 1615, à l’occasion de son passage à Bordeaux. En 1624, Thomas Chambre, lieutenant général au siège de Tartas dont dépendait Labouheyre, reçut serment de fidélité du jurat de cette seigneurie au nom des habitants de toutes les paroisses, puis, au nom des mêmes, sauf de ceux de Bourico, “tenanciers du roi”, le jurat fit une reconnaissance collective conformément aux coutumes. On s’aperçoit alors que le document auquel ce jurat fait référence n’est autre que le texte des coutumes de 1427, à l’exclusion de toutes les modifications et réserves exprimées par la suite par les officiers de la reine de Navarre. À cette occasion, nous apprenons aussi que le montant de la queste était alors de 8 livres 15 s. t. et que les habitants détenaient la moitié du péage de Labouheyre et Sabres contre une redevance de 19 livres 5 sous t.

La seigneurie de Labouheyre ainsi que celles de Brassenx et de la lande maritime ne firent partie du domaine royal que de 1607 à 1641. À cette date le duché d’Albret dont elles dépendaient fut engagé au prince de Condé puis à son fils jusqu’en 1651. Enfin, le 27 juillet 1651, Louis XIV et le duc de Bouillon procédèrent à un échange. Le roi céda le duché d’Albret contre les principautés de Sedan et de Raucourt et la seigneurie de Château­ Thierry qui présentaient un tout autre intérêt du point de vue militaire.

Les relations entre les “besins” de Labouheyre et leur nouveau seigneur furent marquée par de flottements dans l’interprétation de leurs droits respectifs. Il n’est pas sûr d’ailleurs que les “besins” aient eu au XVIIIe siècle une idée précise de la nature de leurs relations avec le duc de Bouillon car ils confondent la redevance coutumière et celle qui est due au titre du péage.

Deux affaires sont significatives du caracrtère jugé abberant de ces coutumes. Ainsi, au début du XVIIe siècle, dans des circonstances qui restent à préciser un “besin” de la paroisse d’Escource réussit à se faire reconnaître cavier, en d’autres termes des “besin” devinrent ses tenanciers. Or, nous avons vu que dans la seigneurie de Labouheyre il n’y avait aucun cavier sinon le roi à Bouricos. Les habitants de la caverie dite de Fourcq dans Escource portèrent l’affaire en justice et, en 1663, le parlement de Bordeaux donna raison aux “besins” qui recouvrèrent le régime de la queste. En 1671, ils conclurent un accord avec le duc de Bouillon auquel ils consentirent une queste complémentaire de 13 livres. On en revenait donc purement et simplement à la situation du début du XIIIe siècle. Au XVIIIe siècle éclata une autre affaire qui opposa le subdélégué de l’intendant aux détenteurs de moulins à Trensacq et Commensacq qui affirmaient les tenir dans le cadre de la queste. Nous savons aussi qu’à la veille de la Révolution le montant de la queste payée par le “besins” de Labouheyre n’avait pas évolué depuis le XVIIe siècle et que, dans les années 1780, la perprise y était toujours pratiquée, tandis que les “besins” de Lüe se considéraient comme propriétaires des Landes et, à ce titre, les louaient.

Il conviendrait de mener pour les autres “pays de queste” une enquête identique à celle que nous avons entreprise pour la seigneurie de Labouheyre. Mais on peut être assuré que le régime de la queste continua à régir les pays qui en bénéficiaient depuis le XIIIe siècle. Nous n’en voulons pour preuve que les articles qui leur sont consacrés dans la Coutume de Dax, rédigés en 1514, révisés vers 1570 et restés en vigueur au cours des deux siècles suivants. Il s’agit des seigneuries, de Labouheyre, Sabres, Maremne, Marensin, Laharie et Saubusse, Gosse et Seignanx, le statut du Brassenx restant imprécis.

La queste y est définie dans l’article 15, le droit de perprise dans l’article 11. L’article 13 précise que les hommes qui paient queste et aubergade peuvent vendre leurs biens sans demander congé au seigneur et l’articl  18 qu’ils ne payent ni lods ni vente. De ce fait il n’existe pas de livres terriers pour ces pays, seulement des arpentements pour la répartition de la taille royale.

Ainsi, à la veille de la Révolution, les terres de la Grande lande et de la Lande maritime ont toute l’allure d’un petit paradis fiscal.

L’appropriation des vacants au XIXe siècle

Lorsque les États généraux furent convoqués, les communautés furent invitées à rédiger des cahiers de doléances. Ce n’est pas sans étonnement qu’un lecteur non averti du statut particulier des terres de queste prendrait connaissance de celui de la paroisse de Sabres. Dans l’article 8 les habitants dont nous rappellerons que, sauf le curé, ils appartenaient tous au troisième ordre, émirent le vœu que “tous les privilèges, franchises et exemptions accordées au pays d’Albret a raison de la dépopulation et de la stérilité du sol soient maintenus, que le privilège particulier établi par la coutume pour les juridictions et paroisses abonnées sou le nom de queste ou aubergade soient déclarés inaltérables et imprescriptibles, sans renouvellement ni ratification à mouvance de seigneur, ni par transport ou aliénation qui pourrait être faite des droits seigneuriaux”. En d’autres termes, les habitants de Sabres tout à fait satisfaits du statut du sol ne souhaitaient aucun changement. Mais, le 11 août 1789, un décret abolit les privilèges des “communautés d’habitants”.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette situation présentait pour certains de réels avantages. La suppression des privilèges signifiait en effet aussi la fin de la réglementation qui régissait la perprise, de même que l’abolition du régime “féodal” la fin des concessions par le seigneur de baux à nouveaux fiefs emphytéotiques. Dans le nouveau département des Landes et celui de la Gironde on assista dans la première moitié du XIXe siècle à l’appropriation, illégale cette fois, des anciens terrains de parcours, aussi bien de ceux qui étaient naguère régis par le régime de la queste que de ceux qui dans les autres seigneuries constituaient jusqu’en 1789 les vacants du seigneur.

En 1790 s’était posée la question de la dévolution de ces terrains. La grande majorité des communes du district de Tartas dont nous avons conservé la réponse décidèrent en avril 1794, qu’il n’y avait pas lieu de procéder à leur partage, une attitude qui fut, semble-t-il, celle des autres municipalité de la lande.

Dans les anciennes seigneuries des sénéchaussées de Tartas et de Casteljaloux dans le duché d’Albret, ces terrains de parcours connurent des destins divers : en ce qui concerne le pays de la queste la propriété des Landes ne fit l’objet d’aucune contestation puisque, avant la Révolution, elle appartenait déjà aux communautés : ainsi, tous les vacants devinrent de landes communales. Dans les juridictions qui étaient régies par le régime seigneurial de nombreux procès opposèrent aux nouvelles communes la dernière héritière des ducs de Bouillon. Celle-ci, Berthe de Rohan, vendit en 1836 tous ses biens et droits provenant de l’ancien duché à M. de Cornulier. À la différence de ce qui se produisit pour les landes situées dans le nouveau département de Lot-et-Garonne, les communes landaises parvinrent à se faire reconnaître la propriété des anciens terrains de parcours.

Les Landais, habitués à la perprise et interprétant à leur manière la notion de bien communal vont alors durant un demi-siècle s’approprier une part notable des anciens terrains de parcours. Ainsi, comme le rapporte une mémoire de 1843 du Conseil général des Landes “nul ne saurait nombrer les milliers d’hectares que l’usurpation réunit à la propriété privée dans 14 ou 15 cantons du département. La plupart de ces entreprises ont été couvertes par la tolérance universelle et par la prescription ; les autres ont été régularisées en vertu de lois et ordonnances divers”. Ainsi, dans certaines communes comme celle de Sabres fut même établi un “cadastre des fonds usurpés”. Toujours selon le même rapport “on peut avancer sans crainte d’exagération que les vacants ont ainsi cédé à la propriété privée depuis cinquante ans, le quart au moins de l’étendue des propriétés privées, telle que la surface avait pu être constatée lors de la formation de premières matrices cadastrale en 1791”. Nous venons de découvrir un document tout à fait curieux concernant la commune de Bourideys en Gironde. Le 9 juillet 1841, treize propriétaires de la commune “reconnaissent avoir anticipé sur les fonds communaux de Bourideys” pour 267 ha dont 53 ha pour l’un d’entre eux.

Ainsi, après l’application de la loi de 1857, il ne reste plus que des épaves de ce que furent les vacants communautaires ou seigneuriaux du Moyen Âge et de l’époque moderne : 3 912 ha pour l’ancienne seigneurie de Labouheyre, 1 245 ha pour Sabres, 2 821 ha pour la Maremne, 2354 ha pour le Marensin, 446 ha pour les pays de Gosde et de Seignanx.

Ce sont là les derniers témoins d’une histoire commencée, il y a sept siècles.

L’origine des coutumes

Il reste enfin à nous interroger sur l’origine de ces coutumes.

Celles de Labouheyre auraient été concédées avant 1241, celles de Sabres et du Brassenx à cette date, lorsque les habitants apportèrent leur concours au roi-duc qui fit à cette époque élever des châteaux dans ces seigneuries. Celui-ci ne disposait à cette époque dans la zone landaise que de deux autres châteaux, attestés tous deux en 1220, ceux de Belin et de Laharie.

Puisque l’acte de concession de ces coutumes est indiscutablement lié à la construction des châteaux de Labouheyre, Sabres et Arjuzanx ont doit d’abord s’interroger sur les motifs d’une telle initiative. Au cours de l’été 1204 Jean sans Terre avait perdu le contrôle d’une large partie de ses possessions continentales : Normandie, Poitou, Saintonge, Aunis sauf la Rochelle. En 1205-1206, le roi de Castille, Alphonse X, faisant valoir les droits de son épouse, sœur de Jean était arrivé jusqu’aux portes de Bordeaux, ralliant à lui une bonne partie des vicomtes et évêques gascons dont les vicomtes de Tartas et d’Orthe et l’évêque de Dax. En revanche, le roi-duc put compter sur le soutien des communautés urbaines dont Bordeaux et La Réole. Jean sans Terre parvint à se tirer de ce mauvais pas et jusqu’en 1212 les terres du roi-duc connurent, semble-t-il, une période de calme, malgré la présence de Simon de Montfort dans la vallée de la Garonne. Revenu au printemps 1214 en Bordelais, le roi-duc essaya de reprendre les territoires perdus réussissant à conserver une partie du Poitou et de la Saintonge. Sa mort en 1216, laissait sur le trône un enfant de 9 ans, Henri III.

Le début de son règne fut marqué par le retour de la menace française, la perte définitive du Poitou (1224-25) et des conflits entre les Bordelais et ses sénéchaux. C’est à cette époque aussi que l’on assiste au rapprochement entre le roi-duc et le sire d’Albret, Amanieu V, point de départ de la fortune qu’allait connaître cette famille. Si des raisons familiales peuvent l’expliquer tout aussi important fut, à notre avis, la chute de La Rochelle, en 1224. Le centre de gravité du duché se trouve déplacé. Bordeaux et non plus Poitiers est, désormais, le point d’ancrage du roi d’Angleterre sur le continent et ses terres gasconnes prennent une importance capitale, en particulier celles qui se trouvent entre Bordeaux et Bayonne, le second pôle du nouveau duché. S’il était important pour le roi-duc qu’il s’appuie sur le sire d’Albret, il était essentiel qu’il assure la sécurité des liaisons entre Bordeaux et Bayonne par l’établissement de points forts constituant autant de relais sur la route de la Grande Lande. C’est ainsi que furent édifiés les châteaux de Belin, et Laharie puis les châteaux et les bourgs de Labouheyre, Sabres et Arjuzanx.

C’est dans ce circonstances, pour remercier les habitants de leur contribution, que le roi-duc aurait concédé les coutumes de Labouheyre, de Sabres et du Brassenx. Mais la question se pose en d’autres termes pour celles de Maremne, Marensin, Gosse et Seignanx car, dans aucun de ces trois pays il n’y eut jamais de fondation de château. Or, nous l’avons vu, toutes ces coutumes appartiennent à une même famille et, dans ces conditions, c’est à une confirmation et non à une concession qu’il convient de ramener l’intervention du roi-duc dans la Grande Lande. D’autre part, le fait que les “pays de queste” soient restés jusqu’au milieu du XIIIe siècle dans la directe ducale explique sans aucun doute le maintien de leur statut jusqu’à cette date, à la différence de ce qui s’est produit dans les seigneuries voisines – nous pensons à celles des Albret – où le paiement de la queste est devenu symbole de servitude.

On comprend mieux enfin pour quelle raison le pays de la Lande Maritime n’eurent jamais de châteaux ni de bourgs castraux, et le maigre succès (Labouheyre, Arjuzanx) ou l’échec (Sabre) de ceux de la Grande Lande. Si la fondation du château et du bourg de Labouheyre fut une occasion de confirmer les coutumes des “besins”, à la limite il y avait une opposition entre la création d’un bourg et le statut de ses habitants et le contenu de leurs coutumes. En effet, l’individualisation de redevances, caractéristique du statut des bourgs constitue un principe de dissolution bloc social monolithique des voisins (B. Cursemc). Ainsi si bourg il y a eu à Labouheyre, jamais les “bourgès” ne se reconnurent tenanciers. Le statut dominant des hommes francs ne justifiqe pas de résidence privilégiée dans enceinte dès lors qu’ils sont au service direct du prince.

S’il fallait donc caractériser le régime qui cinq siècles durant a régi les “pays de queste” c’est celui de pré-féodal qui convient le mieux. En fait ces pays-là n’ont pas vraiment connu la féodalité et le contenu de leurs coutumes nous renvoie à une situation antérieure au début du XIe siècle.

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Pessac
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EAN html : 9782356135094
ISBN html : 978-2-35613-509-4
ISBN pdf : 978-2-35613-511-7
Volume : 4
ISSN : 2827-1912
Posté le 15/11/2025
13 p.
Code CLIL : 3385
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Comment citer

Marquette, J. B., “Grande Lande et Lande maritime, terres de franchises (XIIIe-XVIIIe siècles)”, in : Boutoulle, F., Tanneur, A., Vincent Guionneau, S., coord., Jean Bernard Marquette : historien de la Haute Lande, vol. 1, Pessac, Ausonius éditions, collection B@sic 4, 2025, 701-714, [URL] https://una-editions.fr/grande-lande-et-lande-maritime
Illustration de couverture • d'après “Atlas de Trudaine pour la ‘Généralité de Bordeaux n° 6. Grande route de Bordeaux à Bayonne. Les douze premières cartes du plan de cette route. Cy 15 cartes’.
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