Introduction

Avec la grande vague d’expansion de l’Islam au VII^e et au début du VIII^e siècle, la péninsule Ibérique et le Maghreb en vinrent à constituer, pour longtemps, une zone de confins où les mondes chrétiens et musulmans voisinèrent et se rencontrèrent dans des rapports complexes et fluctuants d’opposition, d’échanges, d’ignorance et d’interactions. Par-delà leurs caractères distinctifs, ces mondes formaient aussi des ensembles intrinsèquement composites où la fragmentation politique, l’hétérogénéité sociale et la pluralité confessionnelle multipliaient les occasions et les motifs de tensions et de discorde, lesquelles explosaient parfois en affrontement armé. Le recours aux armes, entendu comme moyen politique de dénouer les crises en permettant la restauration d’un ordre ébranlé ou l’émergence d’un nouvel équilibre, a fait l’objet d’un premier opus de la collection prolongée par le présent ouvrage¹. Mais la violence armée, exercée dans un cadre légitime ou en marge du contrôle des autorités, n’a jamais eu le monopole de la résorption des conflits, ni intra-sociétaux ni interétatiques. C’est donc à l’éclairage complémentaire des procédures non violentes, mais non moins politiques, d’apaisement de ces conflits ou de leur évitement par la recherche de terrains d’ententes et la construction de compromis, que s’attachent les contributions ici rassemblées.

Ces mécanismes sont d’une diversité telle qu’il serait bien illusoire de chercher à en établir la liste, ou même une simple typologie. On peut néanmoins délimiter trois grands secteurs où ils trouvent particulièrement à se développer, riches chacun d’une historiographie propre et foisonnante mais que l’on commence seulement à considérer tous ensemble, dans les études médiévales², comme autant de modalités d’une culture partagée de la conciliation et de l’arrangement qui n’est pas loin de l’invariant anthropologique³. Le premier est celui de la diplomatie, entendue comme la somme des activités de représentation et de négociation entre puissances étatiques ou para-étatiques⁴. Un autre champ d’expression de ces tractations et de ces accommodements est formé par l’ensemble des procédures négociées de résolution et de prévention des conflits intra-sociétaux, c’est-à-dire toutes les opérations mises en œuvre par les acteurs politiques et sociaux, hors du cadre judiciaire ou en son sein, pour rendre acceptable l’exercice du pouvoir, régler les différends, restaurer la paix menacée voire détruite sur les terrains multiples où peut éclater l’antagonisme à l’intérieur de chaque société⁵. Dans le cadre géographique de la péninsule Ibérique et du Maghreb, élargi à ses projections plus lointaines, un terrain spécifique où s’élaborent ces voies médianes est donné par les middle-grounds interconfessionnels qui se forgent à travers le déploiement d’une infinité de stratégies visant à faciliter, dans un espace donné, la coexistence des chrétiens, des musulmans et des juifs par la régulation de leurs relations et la réduction préventive des tensions que pourrait alimenter l’altérité religieuse dans la proximité géographique⁶. Tels sont les axes directeurs que l’on s’est proposé de suivre dans cette entreprise collective.

Il me faut à ce titre exprimer ma gratitude à l’ensemble des auteurs pour avoir fait l’effort de s’inscrire, chacun depuis son propre domaine de recherches, dans le cadre problématique ainsi délimité : leurs textes sont la substance de ce livre. Celui-ci est issu de la quatrième édition de l’école thématique CPIM (Les cultures politiques dans la péninsule Ibérique et au Maghreb, V^e-début XVI^e siècle) associant, depuis 2017, trois universités du Sud-Ouest de la France à l’initiative de Daniel Baloup (Toulouse-Jean Jaurès), Yann Dejugnat (Bordeaux-Montaigne) et Véronique Lamazou-Duplan (Pau et Pays de l’Adour), avec le soutien logistique de la Casa de Velázquez et de son efficace directrice des études anciennes et médiévales, Gwladys Bernard. Il me tient particulièrement à cœur de leur adresser à tous mes chaleureux remerciements pour la confiance qu’ils m’ont accordée en me remettant la coordination scientifique du millésime 2021. Le présent volume inaugure un nouveau format éditorial ; il n’aurait pu voir le jour sans l’accueil qui lui a été offert sur la plateforme UN@ par Claire Hasenohr, directrice d’Ausonius éditions, ni sans le remarquable travail éditorial de Stéphanie Vincent : qu’elles trouvent ici l’une et l’autre l’expression de toute ma reconnaissance. Les trois directeurs de cette nouvelle collection CPIM, Yann Dejugnat, Véronique Lamazou-Duplan et Amaia Arizaleta, ont accompagné de leurs précieux conseils la préparation de ce volume-pilote. Plusieurs textes rédigés en espagnol ont bénéficié des corrections de Clara Pascual-Argente et Michael Castro. À eux toutes et tous, je suis profondément redevable.  Le soutien financier à la publication apporté par l’Institut Ausonius et la Casa de Velázquez fut enfin déterminant : c’est aussi leurs équipes respectives qu’il m’est agréable de remercier.

Bibliographie

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• Almagro Vidal, C., Tearney-Pearce, J. et Yarbrough, L., éd. (2020) : Minorities in contact in the medieval Mediterranean, Turnhout.
• Baloup, D., éd. (2018) : Le recours aux armes, Les cultures politiques dans la péninsule Ibérique et au Maghreb, VIII^e-XV^e siècles 1, Bordeaux.
• Beihammer, A., Parani, M. et Schabel, C., éd. (2008) : Diplomatics in the eastern Mediterranean 1000-1500: Aspects of cross-cultural communication, Leyde-Boston.
• Berend, N. et al., éd. (2017) : Religious minorities in christian, jewish and muslim law (5th-15th centuries), Turnhout.
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• Echevarría, A., Monferrer Sala, J. P. et Tolan, J., éd. (2016) : Law and religious minorities in medieval societies : between theory and praxis, Turnhout.
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• Fierro, M. et Tolan, J., éd. (2013) : The legal status of ḏimmī-s in the islamic West (second/eighth-ninth/fifteenth centuries, Turnhout.
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• Le règlement des conflits au Moyen Âge (2000) : Actes du XXXI^e Congrès de la SHMESP, Paris.
• Les relations diplomatiques au Moyen Âge : formes et enjeux (2011) : Actes du XLI^e Congrès de la SHMESP, Paris.
• Mœglin, J.-M. et Péquignot, S. (2017) : Diplomatie et “relations internationales” au Moyen Âge (IX^e-XV^e siècles), Paris.
• Nieto Soria, J. M. et Villaroel González, Ó., éd. (2021) : Diplomacia y cultura política en la península Ibérica (siglos XI al XV), Madrid.
• Offenstadt, N. (2007) : Faire la paix au Moyen Âge. Discours et gestes de paix pendant la guerre de Cent Ans, Paris.
• Péquignot, S. (2007) : Au nom du roi. Pratique diplomatique et pouvoir durant le règne de Jacques II d’Aragon, 1291-1327, Madrid.

Notes

1. Baloup 2018.
2. Ces perspectives transversales sur l’histoire de la négociation et du compromis au Moyen Âge constituent un champ dynamique de la médiévistique depuis une quinzaine d’années : Ferrer Mallol, Mœglin & Péquignot, éd. 2005 ; Collard & Cottret, éd. 2012 ; Bergqvist, Jensen & Lappin, éd. 2020 ; Carceller Cerviño & Nieto Soria, éd. 2020. Signalons aussi le colloque récemment tenu à l’Université catholique de Louvain (30 septembre 2021-1^er octobre 2021) sur le thème “S’accorder et résoudre les conflits au Moyen Âge et à l’époque moderne”, [en ligne] https://uclouvain.be/fr/instituts-recherche/incal/chdj/evenements/s-accorder-et-resoudre-les-conflits-au-moyen-age-et-a-l-epoque-moderne.html [consulté le 20/01/2023].
3. Voir en ce sens les études réunies par Faure, éd. 2003.
4. L’histoire de la diplomatie médiévale a connu en ce premier quart de siècle un profond renouveau. Voir en particulier : Offenstadt 2007 ; Péquignot 2007 ; Beihammer, Parani & Schabel, éd. 2008 ; Les relations diplomatiques 2011 ; Jaspert & Kolditz 2014 ; Drocourt, éd. 2015 ; Couto & Péquignot, éd. 2017 ; Mœglin & Péquignot 2017 ; Drocourt & Malamut, éd. 2020 ; Bergqvist, Jensen & Lappin, éd. 2021 ; Nieto Soria & Villaroel González, éd. 2021.
5. Sur ces problématiques, Davies & Fouracre, éd. 1986 a constitué une publication fondatrice. Depuis, voir notamment Le règlement des conflits 2000 ; Kosto 2004.
6. La bibliographie est immense. Voir récemment Aillet 2010 ; Boissellier, Clément & Tolan, éd. 2010 ; Fierro & Tolan, éd. 2013 ; Boissellier & Tolan, éd. 2014 ; Echevarría, Monferrer Sala & Tolan, éd. 2016 ; Berend et al. 2017 ; Almagro Vidal, Terney-Pearce & Yarbrough, éd. 2020.