UN@ est une plateforme d'édition de livres numériques pour les presses universitaires de Nouvelle-Aquitaine

Chapitre 2. La perte d’orientation
et de statut de la géographie

Chapitre 2. La perte d’orientation
et de statut de la géographie

L’une des rares généralisations que l’on peut soutenir à propos « de l’esprit européen du XIXe siècle » est qu’il était perturbé. Les croyances établies, les vieilles façons de sentir et d’écrire, les définitions reçues et les limitations confortables étaient troublées par les générations de savants, de chercheurs et de voyageurs nées autour de 1800 ou après.

Richard Bevis, 1999, Road to Egdon Heath,
partie 4, « Sense and sensibility », p. 159.

Vers la fin du XVIIIe siècle, la communauté des géographes entre dans une période troublée. Ce « trouble » se manifeste par une perte de sens et par une baisse perçue ou réelle de statut au sein des « sciences humaines ». On dispose d’amples témoignages de ceci dans les écrits des géographes de cabinet en France et à l’étranger1. En un sens, ce n’est pas surprenant : les hauts faits des géographes de terrain, et en particulier ceux des cartographes à grande échelle comme les Cassini rendent de plus en plus superflue une partie importante du travail des géographes de cabinet, sauf circonstances particulières, lorsque l’accès au terrain est impossible. Les remarquables résultats des cartographes de terrain et des explorateurs privent les cartographes travaillant par compilation de la partie de leur activité qui au XVIIIe siècle et au début du XIXe définissait le mieux les géographes : la cartographie. En même temps, comme les sciences systématiques prennent de plus en plus forme et précisent leur objectif, la description géographique textuelle et cartographique commence à sembler, au mieux, sans but et, au pire, mal informée de façon irresponsable. On pourrait alors s’attendre à voir la géographie de cabinet, qu’elle soit de nature textuelle ou cartographique, disparaître graduellement face à une géographie de terrain de plus en plus respectée et puissante. Ce n’est pas ce qui se passe. Sauf quelques exceptions, la géographie de cabinet stagne et devient presqu’exclusivement une affaire commerciale. La géographie descriptive textuelle trouve inspiration dans de vieilles formules ou assume de nouvelles formes. D’une façon ou d’une autre, elle occupe rapidement le cœur de la discipline. La géographie de terrain (ou cartographie à grande échelle), si prospère au XVIIIe siècle, est vite bannie des institutions vouées à l’avancement de la science et sort graduellement du giron de la géographie2. Ces mouvements ne pouvaient pas être anticipés par les contemporains et sont mal compris par les historiens. Dans ce chapitre, j’explorerai la confusion et la désorientation intellectuelle des géographes de cabinet et des géographes de terrain.

Un sentiment de perte de sens chez les géographes de cabinet :
Buache de la Neuville, Mentelle et l’École normale

Le sentiment d’un sens et d’un statut perdus en géographie résonne dans les écrits des géographes de cabinet durant toute la première moitié du XIXe siècle, mais c’est peut-être dans les leçons et débats géographiques de l’École normale et dans la place qui leur est faite dans la Décade philosophique qu’il s’exprime le plus clairement3. L’École normale est une institution de brève durée. Née en 1796 pour résoudre la crise de l’éducation à laquelle la France fait face, elle vit seulement quatre mois. Il y avait approximativement deux cents collèges jésuites en France au moment de l’expulsion de l’ordre en 1762. La perte soudaine d’un corps enseignant de cette taille cause une coupure significative dans l’enseignement secondaire, spécialement dans des sujets traditionnels comme la géographie. Vingt-sept ans plus tard, le changement social massif apporté par la Révolution frappe de nouveau l’enseignement secondaire. Le personnel enseignant est drainé hors des écoles par la guerre, l’émigration et la Terreur. En 1794, la situation est mauvaise et le Comité de Salut public, par l’intermédiaire du Comité d’instruction publique, cherche une solution immédiate au problème. Celle-ci est à la fois extrêmement pragmatique et hautement idéaliste. Le plan est d’établir une école pour la formation des maîtres à Paris qui recruterait des étudiants en province. Une fois qu’ils auraient achevé leurs études, les étudiants retourneraient dans les villes principales de leurs provinces et apprendraient à leurs propres étudiants ce qu’ils avaient eux-mêmes récemment acquis. Ces étudiants, à leur tour, établiraient des écoles secondaires dans les diverses villes de chaque province. Ainsi, avec une dépense relativement faible de fonds, d’expertise et d’effort, l’enseignement secondaire serait rapidement rénové. Quoique le plan soit pragmatique, les buts qui sont assignés au programme de l’école sont idéalistes et incorporent les valeurs et les espoirs des Idéologues, ces héritiers de la foi des Lumières dans la perfectibilité de « l’homme », dans la possibilité de la réforme sociale et dans la République des Arts et des Sciences. Pour des hommes comme Dominique-Joseph Garat et Joseph Lakanal et les supporteurs de l’école à la Décade philosophique,l’École normale doit créer une nouvelle citoyenneté scientifiquement informée, la base de la nouvelle société révolutionnaire. On demande aux meilleurs savants dans les champs représentés dans l’Institut de France récemment instauré de préparer un cours pour la formation des professeurs. Le plan de l’école normale est dérivé de l’expérience récente et fructueuse menée en février-mars 1794 à Paris pour apprendre à l’ensemble de la population comment fabriquer du salpêtre (essentiel dans la préparation de la poudre à canon) à partir des dépôts de nitrate de potassium qui se trouvent dans leurs propres sous-sols. L’expérience du salpêtre est un succès retentissant en ce qu’elle fournit une solution immédiate à la pénurie de poudre à canon dont souffrent les armées révolutionnaires4.

Une approche bien adaptée à la transmission de techniques simples ne peut pas être à coup sûr efficacement transférée vers les objectifs beaucoup plus larges et complexes et inévitablement disputés, de l’éducation générale. Le but est-il d’apprendre aux professeurs comment transmettre des notions de base ou de leur inculquer des connaissances avancées dans les divers champs qu’ils enseigneront ? Si c’est le premier objectif, les meilleurs savants et chercheurs de France ne sont certainement pas ceux dont on a besoin. Des hommes qui ont pratiqué toute leur vie la science et l’érudition plutôt que la pédagogie, ont peu de chance d’être très utiles pour l’enseignement de notions de base. Si, d’un autre côté, le but est d’enseigner le plus haut niveau de l’art dans chaque domaine, les étudiants recrutés doivent être bien préparés aux leçons qu’ils recevront. Les membres du corps enseignant sont choisis pour leur éclat, leurs succès passés et leurs sympathies idéologiques. Tous (à l’exception d’Edme Mentelle) répondent aux objectifs mêlés qui leur sont proposés en enseignant depuis là où ils se trouvent, au plus haut niveau de leurs sciences5. Les 1 400 étudiants reçus dans un auditorium de 700 sièges, vont de paysans illettrés dans leurs vingt ans et de dilettantes dans leur cinquantaine à quelques-unes des figures les plus éminentes de l’époque, y compris le mathématicien Jacques-Antoine-Joseph Cousin, le naturaliste Comte Bernard Germain Étienne de la Ville de Lacépède, le navigateur et géographe amiral de Bougainville, l’astronome Joseph-Jérôme le François de Lalande, le naturaliste Mathurin-Jacques Brisson, l’éditeur Charles-Joseph Pancoucke et quelques-uns des esprits les plus brillants de la nouvelle génération, en particulier Jean-Baptiste-Joseph Fourier. L’allocation versée aux étudiants pendant leur séjour à Paris ne couvre pas la nourriture et le logement. Par conséquent et très vite, la plupart des étudiants venus des provinces consacrent l’essentiel de leur temps à pourvoir à l’essentiel, laissant beaucoup de classes virtuellement vides. En tant qu’école normale, l’expérience est un échec. Quelques cours cependant, ceux de Gaspard Monge, le l’Abbé René Haüy et de Constantin François Chassebœuf de Volney connaissent un succès retentissant, en ce sens que de nouvelles notions de majeure importance scientifique et intellectuelle y sont présentées. L’École réunit aussi des savants et des chercheurs qui n’auraient pas sans cela travaillé côte à côte et permet à des étudiants tels que Fourier d’avoir accès à quelques-uns des esprits les plus brillants de l’époque. Si c’est un échec comme exercice pragmatique, dans beaucoup de sciences, cela représente une étape intellectuelle importante et donne encore une idée de la stature et des réalisations de la science et de la pensée révolutionnaires.

Jean-Nicolas Buache, connu comme Buache de la Neuville (1741-1825) et Edme Mentelle (1730-1815) sont chargés d’enseigner ensemble la géographie à l’École normale. Il serait juste, alors, de les considérer comme les meilleurs représentants de leur domaine, à égalité avec l’Abbé Roche Ambroise Cucurron Sicard en grammaire générale, Louis Jean Marie Daubenton en histoire naturelle et Claude Berthollet en chimie. Buache de la Neuville est, comme Jacques-Dominique Cassini (IV) (voir plus bas), un produit de la science d’Ancien Régime. Sans doute sa renommée dérive-t-elle moins de ses propres réalisations que de celle, mieux assurée, de son oncle, Philippe Buache, en cartographie et théorie des chaînes de montagne et des bassins (voir introduction et chapitre 1). Buache a cependant eu une vie académique active qui comprend un poste permanent comme hydrographe géographique (et plus tard conservateur) du Dépôt de la marine de 1789 à 1825. Il entre à l’Académie des Sciences comme membre associé en 1782 pour combler le vide lassé par la mort de Bourguignon d’Anville. Il devient membre actif de l’Académie en 1785. Ses écrits sont relativement peu nombreux et n’ajoutent que peu au lustre du nom de Buache. Ses opinions sur les problèmes cartographiques et stratégiques sont toutefois appréciées à la fois sous l’Ancien et sous le Nouveau Régime6. Comme conservateur du Dépôt de la marine, ainsi que le rapporte Mireille Pastoureau, il a assez de poids pour contrecarrer les essais de l’étudiant de d’Anville Jean Denis Barbié du Bocage et du Ministre de l’Intérieur pour établir une collection permanente et inamovible de cartes à la Bibliothèque nationale7. Membre de l’Académie des Sciences, il est nommé à la troisième classe de l’Institut de France le 29 Brumaire An IV, lors de sa fondation. Il est aussi nommé au Bureau des Longitudes. Il est ainsi considéré à la fois par l’Ancien Régime et par la France révolutionnaire comme le premier géographe du pays.

Ayant produit trente-six œuvres totalisant soixante-quinze volumes, Edme Mentelle est probablement le plus prolifique géographe de cabinet de la fin du XVIIIe siècle. Dans certains de ces travaux, il collabore avec des personnes comme Jean-Antoine Letronne ou Pierre-Grégoire Chanlaire qui ou bien sont déjà, ou deviennent plus tard, fameux à titre personnel. Mentelle élabore aussi des cartes et conçoit des globes ingénieux. Nommé à l’Institut de France en même temps que Buache de la Neuville, il est hautement considéré et apprécié par ses contemporains à la fois comme un géographe et comme un professeur. Il enseigne la géographie et l’histoire à la fois de manière privée et au Collège royal militaire, au Lycée républicain, au Lycée des arts, à l’École normale, à l’École centrale du Panthéon et à l’École centrale des Quatre Nations. Un géographe fameux, au moins, Letronne, est fier de proclamer que Mentelle a été son maître et dans la première partie de sa carrière, il signe même ses articles « A. Letronne, élève de M. Mentelle »8. Mentelle est largement connu dans les cercles géographiques. Dans sa discussion sur la possibilité que les îles Canaries aient fait partie un jour d’un continent Atlantique plus étendu, peut-être associé avec l’Atlantide des Anciens9, le géographe du monde physique Bory de Saint-Vincent décrit Mentelle et Voltaire ensemble comme de « distingués » chercheurs modernes. Mentelle se considère lui-même comme au même niveau que d’Anville, et partage, jusqu’à un certain point, en termes de représentation, le domaine avec lui10. Il est connu et apprécié parmi les Philosophes et Idéologues de sa génération, y compris, dans les années révolutionnaires : le marquis Pierre-Simon de Laplace, Jean-Pierre Brissot de Warville, Antoine Laurent Lavoisier, Gaspard Monge et le Comte Joseph-Louis Lagrange11. Dans ces cercles plus larges, il est clair qu’il n’est pas regardé comme un esprit original et créatif, mais qu’il est respecté comme un bon enseignant et un solide chercheur.

Quelle géographie ces deux géographes, sans doute les meilleurs que la France peut offrir en 1794-1795, professent-ils à l’École Normale ? La géographie enseignée par Buache de la Neuville et Mentelle, bien qu’apparemment vaste, est basée sur la description et se restreint à cela ; elle manque de raisonnement, de méthode et de puissance explicative. Ce que la géographie a à offrir à la science moderne, ou même à l’éducation des enfants, est moins clair à la fin du cours qu’à son début. La pauvreté de cette géographie apparaît au lecteur moderne, mais la critique avec lesquelles les classes la reçoivent suggère que c’était tout aussi évident pour les contemporains. Les deux géographes réagissent différemment à cette critique. Ni l’un, ni l’autre ne comprennent toutefois sa nature et sa gravité.

Dans leurs leçons, Buache et Mentelle introduisent la géographie comme un vaste sujet – aussi vaste que l’univers – qui croît tous les jours en détail et en extension grâce aux outils fournis aux explorateurs et aux astronomes à la fois par les sciences physiques et par les sciences pures12. Elle est faite de la description de la terre comme planète, du nom donné à ses traits physiques essentiels et de la présentation des nations du monde. Ils commencent ainsi leur cours en décrivant la place de la terre dans le système solaire, les effets sur les saisons et les climats de sa rotation autour de son axe et de sa rotation autour du soleil. Ils entreprennent alors de décrire les traits physiques principaux de la planète (en gros, la direction, l’extension, la hauteur des grandes chaînes de montagnes et des cours des fleuves principaux), et terminent par une géographie politique qui consiste dans une discussion de l’étendue de la connaissance géographique des Anciens et, comme exemple d’approche correcte du sujet, par un rapide coup d’œil sur les peuples, les événements historiques majeurs, les finances, les tendances militaires, les villes principales et le commerce de la Russie.

Leur description n’est pas la riche description trouvée dans les relations de beaucoup d’explorateurs et voyageurs du XIXe siècle. Ce n’est pas non plus la description érudite et par moment presque littéraire de la géographie universelle de Malte-Brun (voir chapitre 3)13. Bien que limitée à la surface plate de la carte, Mentelle et Buache restreignent le sens et le propos de la description à la peinture verbale de « la surface entière du globe, afin de connaître ses formes et ses grandes divisions »14. Alors que Buache soutient qu’une connaissance première de la manière dont le globe fonctionne est essentielle pour comprendre la nature des divisions de la terre, de son côté, Mentelle, quand il est pressé de questions sur la nature de l’ellipse décrite par la terre lorsqu’elle tourne autour du soleil, répond : « en tant que géographe…, je ne dirais rien d’autre que le fait que la terre est distribuée en parties et régions »15. Pour à la fois Buache et Mentelle, la terre constitue un tableau fixe « de la situation des peuples et de la position des lieux » qu’il convient d’observer sans commentaire ou interprétation16. La géographie enseignée par une méthode nouvelle, ou Application de la synthèse à l’étude de la géographie publiée par Mentelle en 1795 consiste ainsi dans le tracé de cercles concentriques autour d’une localisation centrale sur la carte de France, et dans une description brève et superficielle des phénomènes de chacun de ces cercles (villes, rivières, et types principaux de productions). En décrivant leur approche du monde naturel, et presque par mégarde, Mentelle et Buache suggèrent même que la « description » se situe plus proprement dans le domaine d’autres sciences :

« [La géographie décrit les produits de la terre] non pas, c’est vrai, à la façon d’un naturaliste qui les décrit, ou d’un chimiste qui les analyse, mais en indiquant pour chacune les lieux où ils doivent être recherchés »17.

L’expression peut-être la plus claire du caractère très superficiel et non critique de la nature de leur conception de la géographie est peut-être leur assertion selon laquelle l’histoire et la géographie peuvent être résumées de manière facile et cohérente en une sorte de carte et tableau chronologiques combinés : « une table en images qui révélerait d’un coup tous les peuples et tous les États qui ont existé depuis la plus haute antiquité, leur extension, leur décadence… »18.

Mentelle et Buache n’offrent pas d’exposé raisonné de leur cours ou de l’ambition de la géographie en général. À leurs yeux, la géographie est une connaissance. Elle est composée de faits irréfutables. Pourquoi aurait-elle besoin d’un exposé raisonné ? En enseignant la géographie, leur but premier est de démontrer « les vérités géographiques principales »19. Les faits empruntés aux sciences physiques doivent être considérés comme « avérés vrais »20. Il n’est pas question d’hypothèses, d’arguments, d’interprétations, ou mêmes d’explications :

« Il y a des vérités reconnues, des faits constants, sur lesquels il n’y aura plus bientôt aucun doute. La géographie est heureuse de les énoncer ; les mathématiques et la physique vous donnent leur plus satisfaisante démonstration »21.

Invariablement, lorsqu’on lui demande une explication des phénomènes naturels, Mentelle répond : « la question doit être renvoyée à la physique, qui fournira une explication… »22. Ne disposant pas d’hypothèse pour séparer l’important et le significatif du détail sans importance, Buache et Mentelle trouvent qu’il n’y a pas de critères pour choisir parmi la pléthore des faits concernant le monde physique autour d’eux. Rousseau a convaincu Mentelle que la mémorisation excessive est mauvaise pour les enfants et ceux-ci trouvent eux-mêmes qu’ils ne peuvent pas retenir tous les faits importants de la géographie. La seule façon de procéder est alors de « vraiment saisir le tout »23. Ceci, et peut-être aussi leur formation en cartographie à petite échelle, conduisent Buache et Mentelle à poser en principe la similitude essentielle des phénomènes dans l’ensemble du monde à l’époque où, précisément, l’extrême variété et les variations des phénomènes naturels, des individus et des sociétés commence à être perçue. Après tout affirment-ils,

« ce qui était dit à propos d’une montagne ou du lit d’une rivière peut être dit à propos du lit d’une autre rivière ou d’une autre montagne aussitôt qu’il y a conformité entre ces objets ; mêmes causes, mêmes effets, en ce qui regarde la saison des pluies, en ce qui regarde la nature du terrain et les qualités qu’elle produit. Une première leçon, bien conçue et bien développée, peut ainsi mettre promptement [l’étudiant] en position d’être capable de juger d’un pays d’après un autre, surtout si l’on ne perd pas de vue les variations dépendant de causes accidentelles »24.

En l’absence d’expérience de terrain dans leur recherche, ils ne sont pas en position de comprendre ou de partager la découverte par Bernardin de Saint-Pierre de l’extraordinaire variété des paysages et des différences entre eux.

Pour autant que la géographie de Buache et de Mentelle représente un tout, elle fonctionne sur deux échelles largement séparées d’une manière diamétralement opposée. C’est clair dans l’opposition de Mentelle selon laquelle, alors que la « physique » doit entreprendre l’explication de la variété des espèces humaines et naturelles, et que la « morale » doit analyser l’influence du climat sur les coutumes, c’est la fonction de la géographie « d’indiquer leurs généralités et leurs remarquables variétés »25. Dans la géographie enseignée dans leur cours, la généralisation est limitée à la description de phénomènes naturels d’échelle globale – et parfois régionale – alors que le particulier et l’exceptionnel entrent en jeu lorsque la géographie politique ou les peuples et les nations sont discutés. Le climat et la physiographie sont ainsi discutés dans les termes les plus généraux, alors que les particularités, comme les coutumes des habitants du Kamtchatka ou la hauteur de l’herbe poussant dans cette région, dominent leur géographie politique26. L’intérêt pour « l’homme », pour « l’histoire de l’homme » et les institutions humaines est récent, et les géographes n’ont pas encore greffé adéquatement ce nouvel intérêt sur leur préoccupation traditionnelle de la localisation. Cette coupure entre « l’homme » et la nature en géographie, associée, comme elle l’est, avec deux échelles différentes de conception et d’approches, peut avoir rendu impossible pour les géographes, soit de concevoir des systèmes spatiaux, soit de considérer les interrelations entre les phénomènes naturels et humains comme un champ de recherche propre à leur domaine. Bien que Mentelle et Buache répètent la vue communément acceptée selon laquelle les montagnes ont un impact sur le climat et les coutumes des gens, ils ne discutent pas des montagnes en tant que systèmes écologiques à explorer et à expliquer, mais comme des objets dans l’espace qui mystérieusement influencent les objets autour d’eux.

Le cours est très pauvrement reçu dans les cercles intellectuels. Les chercheurs qui assistent aux classes sont irrités du refus des géographes d’expliquer les phénomènes naturels qu’ils observent ou de leur incapacité à le faire. Une intolérance à l’égard de leur refus de répondre aux questions en invoquant des questions de territorialité intellectuelle se développe rapidement. Au cours des sessions, il y a quelques tentatives de questions pour amener les professeurs sur leur domaine d’intérêt. Il y a aussi beaucoup de questions adressées à Mentelle sur l’enseignement de la géographie aux jeunes enfants, ce qui est le sujet de la plupart de ses publications. Mais, en dehors de quelques rares principes généraux – que l’on doit toujours procéder du familier à l’inconnu, que l’on doit éviter la mémorisation et que l’on ne doit pas enseigner au-dessus du niveau de l’enfant – Mentelle paraît ne pas avoir réfléchi profondément aux problèmes de l’enseignement de la géographie aux enfants. Par exemple, face à un phénomène complexe comme la gravité et la raison pour laquelle les gens vivant aux antipodes ne tombent pas de la terre, il ne sait pas si l’on doit fournir aux élèves des explications incomplètes et erronées, ou si l’on doit leur enseigner les faits corrects sans explication. Quand on le presse sur cette question, il répond, exaspéré « mais dans les premières sessions, personne ne s’est plaint au Citoyen Laplace de ce que l’on ne puisse pas discuter des binômes ou des logarithmes avec un enfant »27.

Une critique dévastatrice vient d’un contributeur anonyme à la Décade philosophique et littéraire, qui après la première leçon enseignée par Buache et Mentelle se plaint de ce que, sur la base de celle-ci, il ne peut pas comprendre qu’elle est la valeur d’un cours de géographie à l’École normale et que, s’il doit y avoir un tel cours, il est évident que « les géographes de profession » ne sont pas qualifiés pour le donner.

Considérant la matière que les professeurs ont à couvrir, le contributeur se demande : lorsque les aires de recouvrement avec les autres domaines auront été éliminées – la géographie mathématique avec les mathématiques ; la géographie physique avec la « physique » générale ; la chimie, l’histoire naturelle et la géographie politique avec « l’histoire politique des nations » – que restera-t-il en propre au domaine de la géographie ? Rien, répond-il, sauf « les détails de la nomenclature »28.

« Si l’on désirait un cours de géographie dans cette école, il aurait été nécessaire d’y présenter, comme dans les autres cours, l’avancement de la science, une revue des méthodes et l’application de l’analyse à la géographie, qui peut aussi facilement se soumettre à l’analyse que n’importe quelle autre science. Pour en arriver à ce point, il nous semble toutefois qu’il n’y a pas de raison de demander cela à des géographes professionnels. Il est facile de comprendre les raisons de cela, et par conséquence, il n’est pas nécessaire de les formuler »29.

Ainsi, et bien que la géographie enseignée à l’École normale soit condamnée par la Décade philosophique,l’article suggère la possibilité d’un autre type de géographie, une géographie réformée travaillant au premier plan de la science avec des méthodes rigoureuses et dominée par l’analyse.

Il est clair que le jugement sur le cours donné par Mentelle et Buache est balancé : lorsque le curriculum et le programme sont établis et fixés pour les écoles centrales le 3 Brumaire, An IV, la géographie ne fait pas partie des sujets. Selon le rapport ministériel, qui exclut la géographie de l’enseignement secondaire en des termes qui rappellent ceux du jugement de la Décade philosophique :

« … les idées géographiques tombent dans le domaine de la seule mémoire et appartiennent à l’école primaire. La géographie physique peut être enseignées dans les écoles centrales par leurs professeurs d’histoire naturelle, et la géographie politique par leurs professeurs de langues anciennes ou par le bibliothécaire. Ces professeurs ont seulement à s’assurer que quelques rudiments sont présentés aux étudiants à leur entrée à l’école »30.

Le futur mathématicien, professeur à l’École Polytechnique, membre de l’expédition d’Égypte et préfet de l’Isère Jean-Baptiste-Joseph Fourier donne son impression générale sur l’École normale dans une lettre à sa ville natale d’Auxerre. Il est critique vis-à-vis de toute l’entreprise, mais prêt à reconnaître sa qualité intellectuelle même si elle est conduite loin des conditions idéales. Il a toutefois peu de choses à dire à propos du cours enseigné par Buache et Mentelle. Prenant en défaut Mentelle à propos de son habitude de recycler ses vieilles publications et cours, Fourier commente :

« Mentelle est connu à Auxerre. Ses leçons sont extrêmement familières et n’ont rien qui leur mérite de figurer dans cette institution [l’École normale]. Il parle assez bien, pour autant que je puisse en juger, car je ne l’ai jamais écouté. Buache est un géographe fameux qui s’exprime très mal et a, occasionnellement, une idée scientifique »31.

En fin de compte, c’est le jugement ministériel qui compte, car il institutionnalise effectivement la vue de la géographie comme non intellectuelle et élémentaire.

La critique suscite des réponses différentes des deux géographes. Mentelle est blessé par elle, en particulier parce que l’article a été publié par un journal et un groupe avec lequel il est associé et pour lequel il a du respect. Il comprend la critique principalement comme un jugement sur son manque de qualification à enseigner la géographie mathématique ou physique et ironiquement, il trouve de plus en plus refuge dans la nomenclature, les listes de latitudes et de longitudes, et plus spécialement dans la méthode convenable pour enseigner la géographie aux enfants, avec le résultat déjà décrit. Buache, qui, en vertu de la longue association de sa famille avec la géographie, et de sa plus longue association avec des institutions comme l’Académie des sciences, y voit peut-être un plus grand enjeu pour la géographie et pour sa réputation, répond avec colère. Il accuse La Décade philosophique de conspiration et maintient de manière obstinée le cours de ses leçons. Sa seule réponse majeure aux critiques semble avoir été la multiplication de références à des spécialistes. Mais c’est aussi Buache, qui regardant par-dessus l’épaule à ce que l’Idéologue Volney enseigne dans son cours d’histoire, note que Volney a démontré « la portée que la géographie peut avoir, les détails qu’elle inclut et les multiples perspectives à partir desquelles on doit considérer un pays en vue de vraiment comprendre les gens qui y vivent »32. C’est dans les leçons de Volney que Buache trouve l’inspiration pour regarder d’un peu plus près les mécanismes du climat. Il le fait moins bien que Volney lui-même, mais il y a chez Buache la reconnaissance de quelque chose d’important et de valeur pour la géographie dans la manière dont son confrère aborde le sujet. Nous explorerons plus complètement le potentiel de Volney en tant que géographe au chapitre 6.

Cassini IV et le déclin de la géographie de terrain

Jacques-Dominique Cassini, connu aussi sous le nom de Cassini IV [1748-1845], le fils de César François Cassini de Thury [1714-1784] et l’arrière-petit-fils de Jaques-Dominique Cassini [1625-1712], nous fournit un autre exemple particulièrement suggestif de la perte de sens et de statut de la géographie à la fin du XVIIIe siècle.

Certains regarderaient le chemin de vie de Cassini comme hautement particulier et ne reflétant rien que la personnalité distinctive de l’homme33. Sans doute est-ce vrai pour Cassini comme pour tout autre être vivant. Cassini répond aussi à des forces – politiques, économiques et intellectuelles qui le dépassent. À l’autre extrême, certains voient Cassini IV davantage comme un académicien de la fin du XVIIIe siècle écrasé par les événements qui bouleversent et perturbent tellement les valeurs et les façons de vivre de sa génération34. Personne jusqu’à aujourd’hui, à ma connaissance, n’a essayé de mettre en rapport les choix de vie et de carrière de Cassini avec son propre sentiment de la nature et de l’importance des « sciences » (y compris la géographie) dans le contexte changeant de réalités qui sont à la fois politiques et intellectuelles. En bref, personne n’a prêté attention à ce que Cassini lui-même considérait comme la dimension la plus importante de la vie publique : la science – ou son antithèse.

Personne non plus n’a cherché à situer son retrait de la recherche dans le contexte de la science de son temps. Il semble pourtant à peine possible d’ignorer l’une ou l’autre dimension lorsque l’on considère la carrière d’un homme qui consacre les premières vingt-huit années de sa vie intellectuelle d’adulte à la « science » puis l’abandonne à l’âge de quarante-six ans pour les vingt-cinq années restantes de son existence. Il déserte non seulement la science, mais il la condamne comme partie d’une idéologie dominante qu’il accuse d’hubris,d’intolérance religieuse et de manque d’humanité à la fois parce qu’elle manque de respect pour les humanités et parce que, à ses yeux, c’est le froid rationalisme scientifique des Lumières qui a conduit au véritable sacrifice d’humains et d’institutions humaines à des idées durant la Révolution. S’il avait eu une chance de reprendre une carrière, Cassini l’aurait fait. Mais après 1795, cette chance ne lui est pas donnée parce que la science (y compris la géographie, l’astronomie, la physique et les relations entre elles) a radicalement changé depuis le commencement de sa vie intellectuelle. Les changements ont été, pour la plupart, graduels, mais ils sont à la fois méthodologiques, conceptuels et profonds. Cassini en a conscience – ce qui ne veut pas dire qu’il les comprend complètement. Cassini est un homme exceptionnel en ce qu’il est préparé à souffrir le ridicule de la part de ses contemporains et le risque de l’opprobre de la part des générations suivantes afin d’éviter un mensonge – ou plusieurs mensonges. Il est semblable aux autres êtres humains en ce sens que certaines des raisons de sa propre aliénation de la société et de la société scientifique dans laquelle il continue de vivre se situent au-delà de ce qu’il est capable de comprendre. Il est en effet possible de ressentir à travers sa vie et sa carrière l’aliénation que beaucoup de géographes doivent avoir ressentie comme résultat de l’attaque de la Révolution contre à la fois la Couronne et l’Église. Sa vie et sa carrière révèlent de plus que la dislocation disciplinaire provient, en partie, des statuts et fonctions changeants occupés par un géographe tel que lui, un géographe de terrain formé essentiellement en astronomie et qui s’attend, jusqu’au milieu du XIXe siècle, à se sentir chez lui à l’Académie des sciences. Et peut-être, et de manière plus décisive, l’exemple de Cassini suggère-t-il que la perte d’orientation et de statut de la géographe résulte en partie de la nature changeante de l’astronomie et de la physique à la fin du XVIIIe siècle.

Cassini IV est né à l’Observatoire de Paris en 1748. Il commence son éducation au Collège du Plessis, mais trouvant la discipline rude sans que cela soit nécessaire, il convainc ses parents, avec quelque difficulté, de le transférer au Collège oratorien de Juilly où il s’épanouit35. Après avoir complété sa formation à Juilly en 1765, il est initié de manière privée à la physique, aux mathématiques et aux sujets voisins par l’Abbé Nollet et Antoine Mauduit, et travaille informellement comme apprenti à l’Observatoire sous la direction de Giovanni Maraldi et J.-B. Chappe d’Auteroche. Il est également, et précocement, formé aux arts comme aux sciences et, nous dit-il, s’il ne s’était pas appelé Cassini, il serait certainement devenu un artiste ou un « homme de lettres ». Son sens de la responsabilité vis-à-vis de son nom de famille et de la tradition de science qu’elle a pratiquée est à la fois fort et sophistiqué. Tout indique qu’il voue les premières quarante-six années de son existence à être un Cassini digne de ce nom.

Cassini IV, un géographe ?

Ironiquement juste comme le travail des Cassini décline en importance pour les astronomes, Cassini IV paraît avoir substitué une identification à l’astronomie à celle de son père à la géographie. Il se réfère en effet constamment à lui comme un astronome, et même plus confortablement, comme un savant, ou, dans des années postérieures, comme un ex-astronome et ex-savant. Il parle rarement de lui comme un géomètre, mais jamais il ne se qualifie de géographe dans les travaux qu’il publie36 et ceci en dépit du fait qu’une bonne partie de son travail soit classiquement géographique : il joue un rôle important en achevant le lever au 1/86 400 de la France ; il cherche à étendre ce lever au-delà des limites de la France ; et il produit nombre d’autres travaux cartographiques importants. D’une perspective du XXe siècle et de notre conception de ces deux sciences, ceci n’a simplement aucun sens. Mais si nous pouvons comprendre que la géographie et l’astronomie subissent alors ensemble des changements, alors cette apparente anomalie s’évanouit.

Au chapitre 1, nous avons vu qu’un certain nombre de géographes entretenaient au début du XVIIIe siècle de forts liens avec l’astronomie. Guillaume Delisle, par exemple, avait été formé à la fois comme astronome et comme géographe, et les géographes de l’Académie des sciences occupèrent des chaires d’astronomes jusque tard au XVIIIe siècle37. Il y avait de façon similaire des chercheurs dont l’affectation primaire étaient l’astronomie et qui, néanmoins, écrivaient quelques travaux géographiques, Joseph-Jérôme Lalande étant parmi eux. Nous voyons maintenant les deux disciplines comme (au moins) séparées, mais elles étaient liées entre elles et ne s’écartèrent que très graduellement au XVIIIe siècle. Fondamentalement, les deux apparaissaient comme des sous-domaines de la cosmographie et étaient engagées dans la description du cosmos. L’astronomie prit comme centre d’intérêt principal les cieux alors que la géographie se concentra davantage sur ce voile de larmes qu’est la terre. Mais il y avait un recouvrement considérable entre elles. Comment un géographe cherchant à décrire correctement surfaces et distances sur le globe, et à n’importe quel niveau possible sur les cartes, n’aurait-il pas été concerné par le fait que la terre est un sphéroïde aplati ou allongé ? Comment un géographe aurait-il pu négliger ce que l’astronomie disait sur les effets du mouvement du soleil et de la lune sur la terre ? Comment, de leur côté, les astronomes auraient-ils pu ignorer l’important champ astronomique et météorologique des observations effectuées par les géographes nautiques et de terrain ?

Le recouvrement des deux disciplines est apparemment – mais apparemment seulement – en train de croître au cours du XVIIIe siècle. Cassini III le voit ainsi : la géographie devient de plus en plus dépendante de l’observation astronomique pour la détermination de la localisation. Au moment où Cassini III compose sa Description géométrique de la France, il y a même quelque chose comme une ambiguïté dans l’usage du terme « géographe »38. Appartient-il plus proprement à Cassini III ou aux ingénieurs travaillant au lever de la carte ? Cassini se réserve largement le titre pour lui-même, avec celui d’astronome, tout en ne déniant en aucune manière que les ingénieurs pratiquent, en fait, la géographie. D’une certaine façon, donc, la géographie et l’astronomie sont inséparables. D’un autre côté et au milieu du XVIIIe siècle déjà comme nous l’avons vu, les astronomes ignorent volontiers la recherche et les démonstrations des géographes de cabinet comme d’Anville. Mais la distance entre l’astronome d’observation et le vrai géographe de terrain n’est simplement pas encore trop grande. Il ne fait aucun doute qu’il existe une distance considérable entre la théorie astronomique newtonienne et post-newtonienne et n’importe quelle sorte de géographie39, mais les Cassini ne sont pas des astronomes théoriques – certainement pas dans la tradition de Newton. Sans doute, durant le XVIIIe siècle peut-on s’appeler astronome sans exclure la géographie comme son domaine d’intérêts ou même comme son domaine primaire d’intérêts.

Il y un glissement entre Cassini III et Cassini IV. Cassini III se réserve le titre de géographe. Les deux Cassini considèrent la géographie comme une grande science à la renaissance de laquelle la famille Cassini a servi de sage-femme40. Mais Cassini IV, dans les rares occasions où il utilise le mot « géographe », en fait presque un terme d’injure visant les cartographes qui ne mettent pas dans le travail de terrain la qualité critique mise en œuvre par les Cassini41. Si les Cassini ont réformé la géographie, qui peut donc mieux représenter le domaine que les Cassini ? Cassini IV ne rejette pas ce rôle, mais il est plus soucieux de prendre ses distances avec les géographes non formés à l’astronomie, d’une part, et avec les ingénieurs de l’autre, que d’assumer le titre de géographe42. Cassini III aussi bien que Cassini IV se voient eux-mêmes comme les superviseurs administratifs et intellectuels de la carte de France. Pour Cassini III, cela le fait astronome et géographe. Pour Cassini IV, soucieux de se distancer des ingénieurs de mieux en mieux formés et compétents, et des géographes de cabinet et des cartographes commerciaux de plus en plus dépassés, le titre d’astronome lui semble mieux convenir.

Le contexte rend cela plus compréhensible. L’intérêt de Cassini IV est fondamentalement centré sur l’Observatoire : il y est né, il y fait son apprentissage, et comme son directeur-adjoint, il passe nombre d’années jusqu’en 1793 à en faire un centre sérieux d’observation régulière – ce qui n’est pas pourquoi il a commencé sa vie. Les montagnes qu’il lui faut déplacer pour arriver à ce résultat ne sont pas petites. Elles incluent de gagner le support du gouvernement pour le financement d’un personnel permanent et suffisamment important à l’Observatoire pour entreprendre des observations régulières (mais pas toujours continues), pour reconstruire l’Observatoire afin qu’il puisse abriter l’instrumentation la plus récente, et s’assurer de l’obtenir. Cela nécessite, à son tour, de libérer un corps d’artisans hautement qualifiés des restrictions corporatives, de former ces artisans en astronomie, d’arranger pour eux le type d’apprentissage qui, en cette dernière moitié du XVIIIe siècle, n’est assuré qu’à Londres43, de construire une fonderie attachée à l’Observatoire, et de s’assurer d’un maître de forge suffisamment instruit pour répondre aux normes exigeantes de l’instrumentation astronomique. Et tout ceci dans une période de sévère contraction fiscale et de réduction des dépenses de la part de la Couronne.

Finalement, comme chef de l’Observatoire et comme agent principal de sa réforme, Cassini IV se voit moins comme le fils de son père que comme le quatrième membre d’une famille distinguée, remontant au grand astronome Jacques-Dominique Cassini (dont il a reçu, soit dit en passant, les prénoms) pour dominer l’Observatoire de Paris44. C’est dans cet esprit qu’il écrit une histoire de l’Observatoire qui intègre l’autobiographie de son grand-père. Cassini I était considéré comme le plus grand des astronomes français, alors qu’à l’époque de Cassini IV, Cassini III est simplement regardé comme un bon astronome et un grand géographe. Il est aussi important de remarquer que le titre d’astronome est alors plus chargé de prestige que celui de « géographe » : comme Chapin l’a noté, l’astronomie apparaît comme la mieux établie et la plus féconde des sciences à l’Académie des sciences au cours des XVIIe et XVIIIe siècles45. Rien de ceci ne suggère que Cassini IV rejette l’œuvre de son père. Après la mort de celui-ci, il assume volontiers la charge de directeur de l’association responsable du lever de la carte de France en 1784. Il est cependant clair que Cassini IV a de nombreuses raisons convergentes de se qualifier lui-même d’astronome. Nous reviendrons sur le thème complexe des relations de plus en plus douloureuses et troublées de Cassini avec l’astronomie plus loin dans ce chapitre.

La nature de la géographie de Cassini

Alors que la description que Cassini donne de lui-même met en question son statut de « géographe », ses activités laissent peu de doute. L’implication de Cassini dans le lever de la carte de France est considérable. Il en est le directeur depuis 1784, négocie avec les Associés qui financent la carte et avec le Roi grâce auquel la permission de la lever a été accordée ; il supervise le travail de terrain qui reste à faire et lutte avec les autorités provinciales qui gênent significativement son travail. Il passe moins de temps sur le terrain que ne l’avait fait son père, mais au moment où il reçoit de celui-ci la responsabilité du lever, tous les ingénieurs ont été formés (c’était la plus importante raison de la présence occasionnelle de Cassini III sur le terrain) et la plus grande partie du travail de terrain a été effectuée. À ce stage de l’histoire du lever, l’implication de Cassini IV se déroule largement à l’Observatoire, où les levers sont vérifiés, compilés, gravés et revérifiés. Mais il est également engagé dans des négociations longues et fatigantes avec la Généralité de Bretagne, une agence intermédiaire. En accord à la fois avec le gouvernement et les Associés, qui depuis 1756 possèdent la carte de France, cette institution est responsable du paiement des levers effectués sur son territoire. Selon la relation qu’en donne Cassini bien après les faits, elle s’est trouvée en défaut de paiement et espère remettre indéfiniment celui-ci en faisant obstruction au lever des cartes grâce à une série de plaintes sur l’information qui manque ou sur la toponymie. En termes de paiement de la carte, cette stratégie marche en fin de compte, grâce à la Révolution. Grâce à Cassini IV, l’obstruction demeure purement financière et administrative, et le lever aussi bien que le travail de bureau progressent en dépit de ces obstacles.

Cassini est aussi impliqué dans bon nombre d’entreprises cartographiques distinctes du lever cartographique de la France, mais qui lui sont liées. En 1775, il discute avec le Grand-Duc de Toscane du projet d’un lever de carte modelé sur la carte de France de Cassini dans l’Italie du Centre-Nord. Cela constituerait un pas dans la direction du rêve de Cassini III selon lequel toute l’Europe serait un jour couverte par un lever de carte topographique Cassini. C’est une offre sérieuse d’expertise, d’orientation et de belle instrumentation. Cassini IV, dont l’enthousiasme pour l’idée est clair dans le plan qu’il compose pour le Grand-Duc, soustrait ainsi une large tranche de son temps à l’observation astronomique. Le biographe de Cassini, Jean-François-Schlister Devic, nous dit qu’il est prêt à aller de l’avant, mais que le Grand-Duc recule après que Cassini lui ait fourni un compte des dépenses prévisibles. Fortement liée aussi au lever cartographique de la France et aux rêves que nourrissait Cassini III de son extension est l’implication de Cassini IV dans l’opération de connexion des méridiens de Paris et de Greenwich par un réseau de triangles. Secondé par Pierre François André Méchain et Adrien Marie Legendre, c’est Cassini qui dirige les opérations, qui maintient les contacts avec les collègues anglais et qui compose et publie le rapport de 1790, lorsque l’opération a été menée à bien des deux côtés de la Manche.

Au-delà de cela, nous savons que Cassini IV commence, juste avant la révolution, un atlas d’itinéraires pour les voyageurs français qui indique non seulement la route    sous la forme d’une carte en bande, mais signale la nature de la campagne telle qu’elle apparaît depuis la route. Ce projet n’est jamais mené à bien même si au moins une de ses planches est imprimée. Un projet cartographique qu’il entreprend et achève dans les années 1790 est la carte indiquant les nouvelles divisions départementales de la France46.

Cassini mentionne une fois, dans une lettre d’amour, une carte métaphorique de la lune47 – mais ce n’est pas la seule preuve de son désir de cartographier les cieux. Dans les archives de l’Observatoire de Paris, il subsiste un atlas manuscrit incomplet des constellations – clairement conçu pour être accessible à ceux dépourvus de formation astronomique48. Chaque double page de l’atlas inclut, sur la feuille de gauche, une carte d’une constellation particulière avec indication des étoiles et constellations alentour. Tout en permettant aux lecteurs de se localiser dans les cieux, si l’on peut dire, la méthode évite aussi de surcharger la figure et de créer ainsi de la confusion pour le lecteur. La page de droite contient une table listant les étoiles par un chiffre (les chiffres correspondant à ceux de la carte en face). De l’information est systématiquement fournie pour chaque étoile, y compris sa désignation par Bayer, sa taille, son ascension droite et sa déclinaison. Cassini indique aussi, lorsque c’est approprié, les nébuleuses et les étoiles doubles – fournissant à la fois leurs nombres de Herschel et de Flamstead. À la fin de l’atlas, il y a aussi une « Situation respective » incomplète qui fournit un guide rapide de la position relative de chaque constellation (relative à ses plus proches voisines). Les constellations apparaissent par ordre alphabétique et la carte de Cassini est clairement prévue pour au moins cinquante constellations. Vingt-neuf planches seulement sont complétées, et six commencées mais inachevées. Ce travail a clairement été commencé lorsque Cassini III était encore en vie puisque le plus âgé des deux mentionne que son fils est en train de travailler à cet atlas dans sa Description géométrique de la France (1783)49. Il est impossible de savoir pourquoi il ne termine et ne publie jamais ce travail. Peut-être que la maladie et la mort de son père, qui signifient qu’il doit reprendre les responsabilités exercées par celui-ci, lui laissent-elles trop peu de temps ?

Le travail scientifique le plus significatif de Cassini IV, à la fois comme astronome et comme géographe, est d’administration et d’organisation plus que conceptuel ou même d’observation. Si l’on se souvient en définitive de Cassini parmi tous les astronomes et les historiens de l’astronomie, c’est pour sa réforme de l’Observatoire. Mais bien que cela puisse paraître loin de la géographie, il existe des liens importants entre ce travail lui-même et les activités de Cassini en tant que géographe. La réforme de l’Observatoire demande la même combinaison de talents et de connaissance qu’il fallait pour gérer et diriger le lever cartographique de la France. En fait ce travail de réforme de l’Observatoire est semblable à celui que Cassini III a dû mener pour le lever cartographique de la France : négocier, par exemple, avec le Roi le maintien permanent de l’organisation du lever, recruter des Associés au sein de l’Académie des sciences, assurer la formation des ingénieurs et la commande et le développement de l’instrumentation, établir un atelier de gravure et une presse, etc. La tâche première de Cassini IV est aussi de convaincre le Roi et sa cour, et l’Académie des Sciences, que rebâtir l’Observatoire, construire et commander de nouveaux instruments, créer une fonderie à cette fin et recruter et former des étudiants d’astronomie est vraiment nécessaire. Des connaissances scientifiques et même artistiques spécialisées sont critiques pour son entreprise50. Cassini fournit à l’architecte Claude Perrault un ensemble détaillé de spécifications de dessin pour chacune des parties fonctionnelles de l’Observatoire51. Son implication active dans la sélection, la conception et la production des instruments est également critique pour l’établissement d’un nouvel Observatoire. Mais Cassini n’est pas seulement un administrateur qui sort de l’ordinaire. La réforme et la reconstruction de l’Observatoire (de 1783 à 1793) n’est pas un but en soi. À partir de 1785, Cassini IV l’utilise pour deux tâches scientifiques d’importance majeure : des observations météorologiques et astronomiques régulières qu’il dirige et partage avec ses étudiants, et (à partir de 1784) le lever au 1/86 400 de la carte de France.

Son autorité scientifique est aussi à défendre face à l’opposition aux réformes qui vient, pour une série de raisons liées à l’esprit de clocher intellectuel, non pas du Roi et de la Cour, mais de l’Académie des sciences et du vieux système des corporations. Nous avons vu que dans le contexte du lever de carte de la Toscane, Cassini cherche à se mettre à distance des « simples ingénieurs ». Néanmoins, et à bien des points de vue, il peut apparaître dans son travail à l’Observatoire comme un de ceux qui démocratisent la science – un mouvement qui a du sens à cette époque et après52. Il défend les intérêts des ingénieurs et des artisans éduqués mais souvent issus des classes moyennes, parce qu’il réalise que l’avancement de l’astronomie comme de la cartographie exige un lien plus étroit entre les artisans et les savants. En ce sens, ce à quoi Cassini IV, et d’une manière plus discrète, Cassini III (dans la formation qu’il fournissait à ses ingénieurs) est en train de travailler revient à l’effacement de barrières jusque-là tranchées. Cassini IV va jusqu’à suggérer que l’Académie des Sciences puisse inclure parmi ses membres des constructeurs qualifiés d’instruments. Ce n’est pas une suggestion bienvenue pour beaucoup des savants du XVIIIe siècle – et en particulier pour son collègue astronome Joseph-Jérôme de Lalande. Dans le contexte de l’astronomie d’observation du XVIIIe siècle, Cassini IV peut être considéré comme un innovateur à la fois radical et important.

La reconstruction de l’Observatoire est achevée en 1793. Le directeur de sa fonderie quitte la France pour des pays prêts à mieux rémunérer son expertise. Et les instruments que désire Cassini n’arrivent jamais de l’atelier de Ramsden – ceci presque certainement à cause de la Révolution et de l’état de guerre constant entre la Grande-Bretagne et la France qui en résulte. Ainsi, en un sens, Cassini n’est jamais en mesure d’utiliser l’instrument qu’il a aidé à créer. Il produit toutefois des séries d’observations régulières de 1784 à 1790.

Si nous voulions comparer les observations et les rapports de Cassini avec ceux qui nourrissent maintenant régulièrement les superordinateurs de la National Oceanic and Atmospheric Administration, nous découvririons qu’elles y manquent en effet. En outre, d’autres observateurs, même à l’époque, recueillaient des relations parfois plus précises et détaillées. Les données météorologiques de Cassini, composées de données barométriques, thermométriques et relatives aux vents, sont très généralisées et mensuelles. Seuls les jours qui différent de manière spectaculaire de la norme sont mentionnés et alors, largement, d’une manière descriptive. Les données astronomiques sont plus complètes et incluent les observations d’étoiles, de constellations, de planètes, de la lune, des éclipses des satellites de Jupiter et des comètes. Mais ces observations sont également loin d’être exhaustives et fonctionnent davantage comme des contrôles ponctuels que cohérents et réguliers. Il est cependant important de se souvenir que Cassini IV est le premier à insister, et à se battre avec succès, pour des observations régulières dans un observatoire national financé par l’État et par l’institution financière primordiale. Il défend cela en s’appuyant sur le principe selon lequel seules des observations régulières peuvent fournir aux théoriciens des données suffisantes pour vérifier leurs hypothèses. Il est convaincu que c’est seulement à travers un contrôle statistique régulier de la nature que les régularités et les lois qui les gouvernent pourront être discernées. Avant la Révolution, il croit, par-dessus tout, en ces lois et en leur importance. Parlant des observations météorologiques, il écrit en 1786 :

« Considérons les observations météorologiques ; si nous les appréhendons comme un tout sans penser à la multiplicité des causes accidentelles, momentanées et locales qui semblent incessamment influencer la constitution de l’atmosphère et causer des changements constants de température, nous sommes alors tentés de croire que le hasard joue le plus grand rôle dans les phénomènes météorologiques ; et que par conséquent, qu’il ne sert à rien, sauf la simple curiosité, de les observer. Mais le Philosophe instruit qui examine chaque chose en profondeur ne pense pas du tout comme cela. Plus il a observé la nature, plus il pénètre dans ses secrets et plus il est persuadé que dans le vaste plan de cet Univers, il n’y a pas d’effet sans cause, pas d’événement dû au hasard et pas de mouvement sans loi »53.

Comme nous verrons plus tard, toutefois, son choix de termes en 1786 est radicalement différent du langage qu’il utilisera après 1793. Il n’y a en particulier pas de référence directe à Dieu dans ce passage et après 1789, il n’emploiera plus le terme de « philosophe » que comme un terme de dérision.

Comme pour beaucoup de scientifiques et de chercheurs, une large proportion de l’œuvre de Cassini n’a jamais été publiée et, pour cette raison, a disparu de notre vue. Dans le cas de Cassini, et grâce en large partie au travail d’un biographe attaché de près à la famille et écrivant peu après sa mort, nous pouvons avoir des aperçus de ce travail. Selon ce biographe, Cassini ne supervise pas seulement le travail de gravure mené à l’Observatoire, mais y participe. Il est très attiré par ce type de talent artistique artisanal qualifié et, avec son père, cherche activement à augmenter les salaires et le respect pour un travail aussi beau et exigeant54. Il ne confond pas la gravure géographique avec la gravure artistique, regardant la première comme quelque peu mécanique55. Nous savons aussi qu’il a construit des plans topographiques en relief et qu’il a été formé à cela « sous un maître hautement expert, l’auteur des magnifiques travaux de ce type que l’on voit aux Invalides »56. Cassini aime particulièrement faire des croquis et dessiner, et nous savons qu’il passe son temps en prison en 1793 et 1794 à esquisser des « paysages » (peut-on supposer de mémoire) et des façades d’immeubles et à apprendre à ses compagnons de détention les principes du dessin. Peu de témoignages de ceci ont survécu dans ses œuvres imprimées. En addition, Cassini IV est un poète et semble avoir composé dès un âge précoce pour ses amis et sa famille, mais il est très humble – bien que sans s’en excuser – en ce qui concerne son goût pour la poésie et son talent en ce domaine. Il se considère lui-même comme un rimeur agréable, mais pas comme un génie poétique57. Ce jugement critique de son talent poétique est fondamentalement sain. Il y a pourtant à la fois du charme et de l’originalité dans certains de ses poèmes.

Cassini banni de la science,
et ce que cela nous dit de la géographie

Le jugement que Cassini IV porte sur lui-même comme poète pourrait être aussi appliqué à sa science. Comme la plupart des gens, Cassini n’est pas un génie, et en compagnie de géants intellectuels, il peut vraiment paraître un peu petit. Une telle compagnie manque en France durant la plus grande partie du XVIIIe siècle, mais commence à se manifester vers la fin du siècle, de la façon la plus notable dans la personne de Pierre-Simon de Laplace. Depuis 1784, Cassini occupe les postes de directeur de l’Observatoire et de directeur de la carte en vertu de son nom et de la manière dont il est attaché à ce nom. Il ne fait pas de doute qu’il serait resté dans cette position jusqu’à sa mort ou à sa retraite s’il n’y avait pas eu la Révolution. On peut toutefois soutenir que le potentiel de sa position le dépasse dans la dernière décennie du XVIIIe siècle.

Une fois que la Révolution a commencé, il est assez inévitable qu’un homme comme Cassini apparaisse comme un affreux aux révolutionnaires. Le nom de Cassini a une longue association avec la Royauté et l’aristocratie françaises ; il faut ajouter que Cassini est un savant et un royaliste bon teint. Pour lui, l’Église est une institution qui mérite le respect et qui est profondément inséparable du tissu social et intellectuel du pays. L’Académie des Sciences est une institution de l’élite intellectuelle flottant sereinement au-dessus de toute dispute politique. La recherche du patronage royal est le cours normal et naturel des événements et n’a rien du tout à voir avec la politique. S’abaisser à la discussion politique, au débat et à la discussion, est, de ce fait inconvenant pour un savant. Un savant peut choisir, ou non, de servir l’État, mais il ne peut en rien être confondu avec un fonctionnaire d’État. Comme Cassini l’a écrit au Grand-Duc de Toscane en 1775, « je suis responsable de mon temps vis-à-vis de la science et de moi-même »58. Son temps lui appartient et son sens des responsabilités en tant que scientifique ne va pas jusqu’à inspecter les prisons. Telles sont ses vues et il les exprime clairement à ceux qui veulent connaître son opinion. En fait, comme secrétaire de l’Académie en 1793, il est dans une position où il doit les rendre claires.

Comme résultat de ses prises de position et par suite de la puissance et de l’influence de sa position, Cassini est attaqué : il est tour à tour privé de son appartenance, comme tous les autres membres, à l’Académie des Sciences (9 août 1793) ; de la direction de l’Observatoire (le 21 août 1793) ; du contrôle et d’une partie de la propriété de la carte de France de Cassini et de tout l’équipement associé à sa production (21 septembre 1793) ; de l’appartement dans lequel lui, sa mère et sa famille vivent à l’Observatoire (22 septembre 1793) ; et de son domaine de Thury59. Finalement, le 14 février 1794, il est jeté en prison avec l’une de ses cousines, Mlle de Forceville, qui vient juste visiter sa famille, et qui, son biographe nous le dit, est finalement guillotinée pour une remarque sarcastique mal accueillie en prison.

Pour la géographie comme entreprise intellectuelle, le plus sérieux de ces événements fut la confiscation de la carte de Cassini. Que ce soit Cassini qui soit privé de son poste de directeur des Associés et de son investissement personnel en temps, effort et argent ne constitue pas le point critique. Ce qui importe pour la géographie, c’est que la confiscation de la carte à Cassini et le refus des gouvernement successifs de la lui restituer signifie la non-reconnaissance de la carte comme propriété intellectuelle d’un membre de l’Académie des Sciences. Il ne fait pas de doute que Cassini considère la carte comme sa propriété intellectuelle.

« Ils me l’ont pris avant même que je l’ai eu complètement achevée et que je lui ai ajouté les touches finales. Ceci, aucun autre auteur ne l’a souffert avant moi. Y-a-t-il un peintre qui ait vu son tableau saisi avant qu’il n’y ait apporté sa touche finale ? Quel poète a vu son poème saisi avant qu’il n’en ait complété la dernière scène ? Ce sort m’a été réservé »60.

Il est intéressant d’opposer ce sens de la propriété personnelle à l’accent sur « les intérêts nationaux » que comporte l’arbitrage de Pierre Jacotin sur la rémunération que Cassini est en droit d’attendre du gouvernement.

Pierre Jacotin est typique des « géographes » qui au cours du XIXe siècle produisent le nouveau lever d’une carte de France. Né dans une famille de petits et pauvres propriétaires en 1765, il est recruté comme cartographe du cadastre par son oncle, Testevuide, qui est un des directeurs du lever du cadastre de la Corse61. Il travaille sur le cadastre durant quinze ans, apprenant à la fois les aspects de bureau et de terrain de la cartographie dans un terrain difficile et dans un contexte politique éprouvant. Juste après avoir abandonné la Corse aux troupes britanniques, Jacotin est affecté comme géographe militaire à l’expédition secrète de Napoléon en Égypte et Syrie. Après la mort de son oncle lors de la révolte du Caire, Jacotin est fait chef des ingénieurs-géographes et devient ainsi responsable des opérations de cartographie de l’Égypte. Au cours de son séjour en Égypte, il a sous ses ordres quelques-uns des anciens élèves de la prestigieuse École polytechnique, en particulier le jeune Edme-François Jomard. C’est pour Jomard qu’il doit écrire plus tard sa description critique de la cartographie de l’Égypte, le seul texte qu’il publie. Dans le cours de sa carrière militaire, il sert dans l’expédition d’Égypte, dans la tentative de conquête de la Syrie, comme directeur de bureau et chef de l’école de gravure du Dépôt de la guerre et comme un des responsables du lever de la carte d’Espagne de 182362. En 1817, Jacotin est l’un des six colonels nommés au Comité consultatif chargé de la conceptualisation et du format de la nouvelle Carte de France au 1/80 000. Toutefois la monarchie, plus soucieuse de démolir les structures napoléoniennes que de construire un nouvel État, a dissous le corps des ingénieurs-géographes en 1817. Cela constitue un défi considérable pour ceux qui sont en charge de la direction de la nouvelle Carte de France. Jacotin dirige la branche topographique du Dépôt de la Guerre de 1817 à 1827 et est directeur du Dépôt lui-même de 1822 à sa mort en 1827. Jacotin est à la fois représentatif, et l’un de ceux dont la carrière est couronnée par le plus de succès, des centaines d’ingénieurs-géographes qui consacrent leur vie à cartographier pour le compte de l’État en temps de guerre et de paix. Après des années de service sur le terrain comme membre d’une équipe de cartographes, il devient un bureaucrate cartographe militaire qui se confond virtuellement avec les intérêts qu’il sert. Il est typique de la plupart des ingénieurs-géographes en ceci qu’il laisse à la postérité peu de chose en dehors de son travail de cartographe. Que sa personnalité ou ses idées aient marqué son travail, ce n’est en rien évident dans ce qui nous reste de lui. Son mémoire détaillant les décisions prises en compilant la carte d’Égypte reproduit l’état dominant de l’idéologie d’État selon laquelle c’est la mission et le devoir de la France de conquérir l’Égypte pour la science63. Le mémoire révèle la compétence soigneuse de son auteur, mais il n’y a rien en lui qui soit, en quelque façon, intellectuellement personnel. La vie de Jacotin est une existence de service avec peu, ou pas du tout, de sentiment de propriété sur le produit de son très considérable travail.

Il est donc convenable que ce soit Jacotin que le Ministre de la guerre choisisse pour évaluer ce que l’État doit à la famille Cassini pour avoir utilisé sa carte durant plus de vingt ans. On peut aussi prévoir que Jacotin ne veut pas (ou peut-être ne peut pas) comprendre le sentiment de propriété de Cassini IV. Il est en fait choqué par ce concept. Une carte de France est un « monument national » au-dessus des intérêts et des revendications des individus. En dépit du fait que Jacotin reconnaisse les Cassini comme les « anciens propriétaires » de la carte et en dépit de sa reconnaissance de l’énorme et permanente valeur de la carte pour la France (étant donné la faible vitesse avec laquelle son remplacement est effectué), il a le sentiment que l’État doit peu aux Cassini64. Jacotin calcule ce que l’on doit à la famille en évaluant le changement de valeur des planches de 1790 à 1818 et en soustrayant ensuite les coûts de maintenance et de retouches des plaques lorsque l’État les imprime. Outragé par le manque de compréhension par Jacotin de la nature très personnelle et intellectuelle de l’investissement des Cassini dans les cartes, Cassini IV fulmine : « Pourquoi n’a-t-il pas juste pesé le cuivre et comparé sa valeur aujourd’hui et alors ? »65. Loin de comprendre l’attachement personnel d’un scientifique aux produits de sa pensée et de ses efforts, Jacotin considère que les sentiments de Cassini IV à l’égard de l’investissement consenti par sa famille ne sont que des « prétentions exagérées ».

Il y quelque ambivalence dans les relations historiques modernes au sujet des confiscations. Cela tient à ce que les géographes et les cartographes d’aujourd’hui reconnaissent que la confiscation opérée par l’État était un pas fondamentalement important dans l’établissement de levers de cartes topographiques réguliers, systématiques et bien financés66. Pour la communauté des géographes, toutefois, la confiscation constituait un recul. Le lever à grande échelle de cartes ne pouvait plus désormais être considéré comme le résultat d’une activité intellectuelle se situant au niveau de l’art ou de la science. C’était, à la place, une activité bureaucratique d’intérêt primaire pour l’État et qui n’était pas contrôlée par l’Académie des Sciences ou l’Observatoire, mais soit par les militaires, soit par les bureaucrates.

L’action du gouvernement représentait mieux l’état actuel des affaires dans la cartographie à grande échelle que ne le faisait la qualité d’auteur revendiquée par Cassini. Si la carte avait effectivement été la propriété intellectuelle d’un homme ou même d’une famille, sa confiscation aurait entraîné la fin du lever ou l’aurait pour le moins fait vaciller ou stagner. Mais la carte est complétée sans l’aide de Cassini. Le lever de la nouvelle carte (la carte dite « d’état-major ») repose sur la connaissance et l’expérience gagnées au cours des premiers et seconds levers des Cassini et, peut-être de manière plus importante, sur l’expérience acquise dans la réalisation de cartes durant les guerres de la Révolution et de Napoléon à la fois par les militaires et par les Ponts-et-Chaussées. Pour son plus grand chagrin, ces levers n’ont pas été exécutés sous la direction de Cassini IV ou même sous celle d’un autre Cassini, mais sous la direction de l’état-major, discrètement supervisé par un Comité qui n’est pas présidé par un géographe ou même par un astronome d’observation, mais par Laplace, l’homme qui a bloqué avec succès le retour de Cassini au Bureau des longitudes entre 1799 et 180367.

Le fait qu’à peu près au milieu de la carrière de Cassini III, la cartographie à grande échelle se soit métamorphosée en quelque chose de très différent de sa nature originelle, lorsqu’elle apparaissait comme le spectacle assuré par une seule famille lors du premier lever, ou même jusqu’à un certain point, lors du second. Cassini III en avait le sentiment. Cassini IV le sait. Quelle autre conclusion est-elle possible si nous prenons au pied de la lettre l’assertion de ce dernier concernant le futur de la géographie à grande échelle :

« Il n’est pas possible de dénier à la France l’honneur d’avoir effectué une grande réforme en géographie, en ayant créé, en réalité, une science entièrement neuve par l’association si intime à la géométrie et à l’astronomie. Avant cette association, sur quelles bases les géographes s’appuyaient-ils ? Sur le bouche à oreille, sur des souvenirs, des dessins ou des relations de voyages qui s’accordaient rarement. Si les relations de voyage sont quelquefois dictées par le mensonge, l’ignorance a aussi quelquefois guidé leurs itinéraires. Laissez-nous avoir pitié de la condition des géographes quand ils ne disposaient que d’un tel matériel pour étayer leur travail et lorsqu’ils étaient obligés de s’en arrêter là. La critique la plus avisée et la plus délicate ne peut toujours mettre à l’abri des erreurs les plus grossières. Pour y échapper, il fallait être doté de cette sorte d’instinct, avec ce sens de la divination qui semble avoir guidé les Delisle, les d’Anville, les Buache, auxquels nous remplissons ici nos obligations en leur rendant l’hommage qui leur est dû. Mais en louant leur utile et infatigable labeur, nous sommes très heureux pour leurs successeurs qui, plus chanceux, ont moins de recherche à faire en construisant des cartes infiniment plus précises que les leurs. Grâce aux multiples voyages entrepris par des gens instruits68 partout dans le monde ; grâce aux méthodes faciles et rigoureuses pour déterminer la position des lieux de l’astronomie, de la géométrie et de l’horlogerie, les géographes trouveront bientôt qu’ils n’ont ni incertitude, ni choix, ni besoin de faculté critique pour fixer les positions principales des quatre parties du monde. La toile se remplira d’elle-même morceau par morceau avec le temps, selon la procédure que nous suivîmes pour la production de la carte générale de la France »69.

Une géographie qui n’a « ni incertitude, ni choix, ni besoin d’une faculté critique » n’est plus, selon les critères les plus basiques, une science.

La rétrogradation de la géographie est totale lorsque le dernier membre de la grande dynastie des Cassini se voit refuser la réincorporation dans le Bureau des Longitudes, et est ainsi banni d’une participation active à la science post-révolutionnaire. Il a été réintégré à l’Institut et, plus tard, à l’Académie des Sciences. Mais il réagit par une pique à la rétrogradation apparente que comporte sa réintégration au Bureau des Longitudes : il l’aurait été juste comme n’importe quel autre astronome qui y était présent en 1795 ! Cela lui fait refuser cette proposition ! Après s’être acquitté de l’éducation de ses fils, il trouve que la vie à l’Observatoire lui manque et refait une demande au Bureau des Longitudes. Son admission est bloquée – non pas une fois, mais deux, par Laplace. Il est impossible de savoir précisément ce que Laplace a en tête quand il vote contre Cassini IV. Mais comme des indications le font supposer, deux facteurs, qui sont l’un et l’autre significatifs pour la géographie, peuvent avoir joué un rôle important : le fort attachement de Cassini à la fois à la tradition Cassini et à l’Ancien Régime, et le fait que Cassini n’est plus respecté en tant que savant. Ces facteurs sont, à leur tour, fortement corrélés avec les attaques de Cassini contre la science post-révolutionnaire : son athéisme, son rôle plus manifeste de servante de l’État et son manque de respect pour la science des Cassini.

Il y a peu d’indications dans les écrits pré-révolutionnaires de Cassini qui témoignent d’une profonde conviction religieuse. Il n’y a pas davantage de signes de manque de respect ou même de critique à l’égard des ordres religieux. Mais Cassini est un homme de science et pas de religion. La science post-révolutionnaire est, pourtant, d’un autre style. La science se déclare capable de réformer la société et, de fait, même de la révolutionner. Il n’y a pas de limite au sentiment qu’elle a de sa propre puissance. Elle n’est même pas redevable à Dieu. C’est incompréhensible pour Cassini.

« … que le “géomètre” dont l’étude sublime est la vérité, dont la pratique est de raisonner clairement et de jamais perdre la chaîne des conséquences ; que le physicien et le naturaliste qui s’occupent sans cesse des grandes opérations de la nature, rassemblent ses richesses, prennent en considération ses beautés, pénètrent ses mystères ; que l’astronome, qui passe ses jours et ses nuits à contempler l’harmonie des corps célestes tout en suivant les règles immuables de leur mouvement (…), qu’ils puissent pour un seul moment douter de l’existence d’un être supérieur à tout, l’auteur de toutes ces sublimes réalisations, c’est ce que je ne peux concevoir. Je dirais plus, c’est ce qui me semble absurde »70.

Qu’y a-t-il comme explication possible pour les hommes de science qui étudient le cosmos, développent des théories mathématiques sophistiquées à propos de son fonctionnement et qui pourtant ne croient pas en Dieu ? Dans une discussion fictive avec un non-croyant, Cassini prête à son opposant le commentaire suivant :

« En effet, gentilhommes chercheurs, je commence à croire que vous n’êtes pas tous très honnêtes avec vos systèmes, et je ne sais pas si les inventeurs des atomes crochus, des vortex et autres idées similaires croient eux-mêmes à ce qu’ils nous disent »71.

Ce à quoi Cassini répond :

« En commençant, non. Mais en le répétant, ils se persuadaient finalement eux-mêmes, spécialement lorsque la contradiction et l’argumentation aiguisaient leur orgueil à un point extrême et provoquait leur entêtement »72.

La science sans Dieu est donc un mensonge et une hubris intellectuelle dangereuse. Mais Cassini va au-delà en soutenant, en opposition directe avec l’esprit qui a inspiré la création de l’École normale et des écoles centrales, que la science, avec ou sans Dieu, est superflue en ce qui concerne la marche quotidienne de la société. Ce n’est que de l’écume, et la société a besoin de quelque chose de plus substantiel pour qu’elle continue à marcher sans à-coups.

« Il semble que ces brillants créateurs de nouveaux établissements (d’éducation) ne pensent à l’instruction publique que d’un seul point de vue, celui de la science. Ils séparent par-là l’instruction de l’éducation. On ne peut qu’être choqué de voir qu’à la naissance de la République française, ils ne pensèrent qu’à peupler le pays de savants au lieu de former des citoyens. Les mathématiques, la chimie, l’histoire naturelle, le dessin étaient les préoccupations principales des écoles centrales. Les langues et la littérature n’étaient que secondaires. Enfin, et comme un après-coup, venaient la législation et la moralité »73.

Pour Cassini, le dommage infligé à la société par la disparition de l’éducation religieuse est irréparable.

« Pour moi, il faut l’admettre, non, jamais, ils ne seront capables de remplacer ces hommes valables et respectables qui durant de nombreux siècles ont préservé le dépôt des humanités, qui l’ont répandu à travers l’Europe, qui ont maintenu haut l’utilité et la gloire de nos vieilles écoles, et qui sont les hommes auxquels nous devons ce que nous sommes »74.

De nombreux autres géographes, qui ont longuement reçu l’éducation des Jésuites et des Oratoriens, doivent avoir alors les mêmes sentiments. Mais cette attitude ne vaut pas à Cassini des amis et du respect parmi les puissants dans le monde de la science. De Lalande aime adresser ses lettres à son collègue avec un ton moqueur « Du Citoyen Lalande au Cher Ami de Dieu et de l’Astronomie, Cassini ». Et Cassini sait qu’il est la cible des plaisanteries de ses anciens collègues75.   

Les géographes ont eu longtemps une relation proche à la royauté. Philippe Buache a servi de précepteur à trois rois – Louis XVI, Louis XVIII et Charles X76. Les géographes qui ont le plus de succès bénéficient directement du privilège royal. Les ingénieurs-topographes travaillent pour la Couronne comme membres d’expéditions militaires ou cartographiques au-delà des frontières de la France ou le long de ses frontières. Mais le meilleur exemple de l’importance de la faveur royale est celui de la famille Cassini. Cassini I (Jacques-Dominique) est attiré en France par Colbert pour le roi Louis XIV en1669 et par la suite, la famille Cassini bénéficie durant quatre générations de la faveur et du soutien royal. Il y a un conservatisme inhérent dans la structure sociale de l’Ancien Régime qui signifie qu’un grand succès, une fois obtenu, peut assurer la position professionnelle et scientifique des générations suivantes d’une famille scientifique à la condition qu’elle fasse preuve, non pas de génie, mais de simple application et de loyauté. Tel est le cas des trois Cassini suivants, Cassini III étant le plus créatif et productif des descendants de Jacques-Dominique (et aussi le plus important pour la géographie). De plus, on peut soutenir que, de toutes les sciences, la géographie, et en particulier sa branche de cartographie à grande échelle, est la plus dépendante du soutien royal. La carte de Cassini et une grande partie du travail scientifique dans lesquels les Cassini III et IV sont engagés au cours de leur vie sont inconcevables sans un tel support.

Il fait peu de doute que Cassini IV ait dû, dans une large mesure, sa position à l’Académie des Sciences, à l’Observatoire et comme tête de la Société des Associés chargée de la production de la carte de France, à son nom et aux privilèges qui allaient avec lui. L’ordre ancien était un ordre dont il avait beaucoup bénéficié et qu’il avait tout espoir de voir bénéficier à ses fils et à la protection de ses filles. La Révolution met une fin brutale à cet ordre de choses : Cassini a toutes les raisons de regretter profondément cette perte. Aussi longtemps que l’État assurait un ordre compréhensible, et d’un point de vue cynique, favorable à Cassini, il n’avait pas pris conscience de la nature de service public de son rôle scientifique qui, en fait, était exercé d’une main si légère qu’il lui laissait l’impression d’une liberté intellectuelle77.

« Personne, je pense, n’a plus que moi d’enthousiasme pour la science et de désir soutenir la gloire de son nom. Personne plus que moi, certainement, n’a fondé ses intérêts, sa tranquillité et son bonheur sur l’étude des sciences et sur la profession de chercheur. Enfermé dans l’Observatoire, je pensais que c’était un port abrité de tous les orages, au-delà de la sphère des jalousies et des intrigues que nous appelons le monde. Je ne voyais dans le mouvement des étoiles que la noble et douce contemplation des merveilles de l’univers et de la grandeur du créateur. En élevant aussi haut mes pensées, je trouvais l’avantage de perdre de vue, ou d’oublier, la terre, les hommes, leurs erreurs et leurs misères »78.

La souveraineté des nouveaux régimes qui suivent est moins bien établie et par voie de conséquence, ils exigent des hommes de science plus de loyauté, et avec plus d’insistance et de manière plus ouverte. Ayant servi le roi en lui affirmant de nombreuses fois sa fidélité, Cassini dénie logiquement le droit aux régimes suivants de demander la loyauté aux hommes de science.

« Est-il possible qu’ils regardent l’exercice de la science comme un office public, et que la liberté de pensée et de connaissance soit quelque peu limitée par ces serments ? »79.

C’est donc quelqu’un qui se tient régulièrement à l’écart de ses semblables, qui estime peu la science contemporaine et moins encore les gouvernements contemporains, et qui le dit. Est-il imaginable qu’un tel homme soit le bienvenu dans un bureau du gouvernement qui sert comme centre nerveux de la connaissance à la fois de la France et du monde ?

La plus grande difficulté de Cassini avec la science post-révolutionnaire (et la plus grande difficulté de la science post-révolutionnaire avec Cassini) est l’importance même de la famille Cassini. Nous avons déjà vu que Cassini IV avait consacré sa vie à se mettre au niveau du nom de sa famille. Son arrière-grand-père avait été un astronome dont on se rappelait surtout la découverte et l’observation des lunes de Jupiter, qui, à leur tour, avaient servi la géographie en aidant à la détermination de la longitude. L’astronomie, pour Cassini IV et à l’image de Cassini I, était une matière d’observation : il fallait faciliter et régulariser l’observation et développer l’utilisation pratique auxquelles les observations pourraient contribuer (c’est-à-dire la géographie et la navigation). Après quatre générations, toutefois, l’astronomie était en train de changer grâce, en partie, au travail de Newton (auquel Cassini II s’était opposé dans le débat sur la forme de la terre ; voir chapitre 1), mais grâce, plus récemment et de manière plus importante, au travail de Laplace. Les Cassini avaient cherché à retracer et à suivre l’emplacement et les mouvements des planètes et des constellations. Newton et Laplace cherchaient à comprendre les forces physiques qui se trouvaient derrière ces mouvements.Ils voulaient être capables d’expliquer le système entier. Celaimpliquait une astronomie hautement mathématisée et théorique dont les Cassini semblaient rejeter le principe. Parlant en termes généraux et ne se référant ni à l’astronomie, ni à la géographie, Cassini décrivait les systèmes – un terme contemporain et légèrement dépréciatif pour une théorie – avec les mots suivants :

« En ce qui concerne l’esprit de système, qui n’est rien qu’un préjugé plus réfléchi et par là-même plus dangereux, il est important de s’en protéger autant que possible. L’observateur devient le plus souvent superflu… pour quelqu’un soucieux d’un système. Il ne voit plus les choses telles qu’elles sont, mais seulement comme elles devraient être pour favoriser l’opinion qu’il a déjà adoptée. Les faits qui s’opposent trop directement à son système, il les rejette ou les ignore. Un système doit être un résultat ; il doit être le fruit d’une observation de longue durée et profonde »80.

Cela aurait pu être un bon conseil pour la géographie qui était à moitié tombée dans le piège de Buache, mais elle avait pris une direction diamétralement opposée à celle de l’astronomie. Cassini IV est jusqu’à un certain point conscient de cela et n’est pas plus à l’aise avec l’astronomie moderne qu’il ne l’est avec lui-même. À nouveau, écrivant à un collègue à propos de son éloignement vis-à-vis de la science,

« Comment puis-je même me reconnaître dans le renversement de nos vieux calculs, de nos vieilles mesures, de ces jours qui n’ont que 10 heures au lieu de 24 ; de ces cercles composés de 400 degrés. Tout a changé : et je suis un peu trop vieux pour perdre l’habitude de mes vieilles méthodes et de mes vieilles notions… Si Galilée, Newton ou Kepler tombaient du ciel au milieu de l’Institut, ils ne comprendraient rien… Que diraient-ils quand on leur expliquerait qu’une conception aussi profonde, une langue aussi sublime est le chef-d’œuvre de nos propres chercheurs qui, au milieu de la Révolution, n’ont pas voulu être laissés en arrière et se sont octroyés eux-mêmes l’honneur de bouleverser toute chose, de changer toute chose sans besoin et pour le seul plaisir de détruire ou de dire les choses différemment de ceux qui les ont précédés »81.

Il y a bien plus qu’un dégoût des méthodes pour les mesures uniformes basées sur une régularité observable dans la nature (en faveur de laquelle il s’était prononcé dès 1775), ou même de la passion révolutionnaire de renommer et de rationaliser les aspects les plus banaux de la vie (bien que cela le mit clairement en rage). Cassini exprime ici son désaccord avec le sol qui bouge sous ses pieds, bien qu’il ne soit probablement pas capable d’identifier précisément ce qui bouge et pourquoi.

Nous trouvons un aperçu final de ce divorce entre deux sciences dans le jugement que porte Delambre sur la contribution de la famille Cassini à l’astronomie dans son Histoire de l’astronomie au XVIIIe siècle et dans la réaction tranchante de Cassini IV. Dans son histoire, Delambre passe méthodiquement en revue le travail des Cassini et trouve qu’il comporte des lacunes sur quelques aspects importants. Il voit en cela un manque de rigueur, un manque de compréhension de la signification des découvertes et de l’œuvre de savants comme Kepler, Newton et même Halley, et une tendance à dessiner de belles et satisfaisantes images cartésiennes plutôt que de chercher les explications des anomalies dans les observations. Il résume le problème de manière dévastatrice :

« Ces divers mémoires démontrent bien les conséquences des préjugés de la famille ou de la secte, qu’il serait, en fait, aisé d’exclure de la science, vu que la science ne devrait procéder que de mesures rigoureuses. Mais en général, l’école des Cassini calcule très peu. À la place, elle ramène tout à des constructions graphiques, dont même J. [Jacques] Cassini se dispensait d’habitude. Ils traitent le matériel d’une façon dont le seul but est de le rendre compatible avec les idées de Dominique et de défendre le système de Descartes »82.

L’approche cartésienne, que Delambre regarde clairement comme non mathématique, non explicative et simplement descriptive en raison de son essai de trouver des solutions géométriques et graphiques aux problèmes, était démodée et ne convenait pas à la tâche à accomplir. Il y a toute raison de croire que la vue qu’a Delambre des Cassini lorsqu’il écrit le livre (un peu avant sa mort en 1821) est similaire à celle de Laplace, dont la Mécanique céleste révolutionne l’astronomie. Ce que cette vue sur les Cassini et leur travail représente est une rupture définitive de la part de l’astronomie moderne avec sa vieille sœur-en-cosmologie, la géographie. Où cela laisse-t-il la géographie, qui est sans question l’entreprise qui a le plus gagné des tendances à l’observation et à l’interprétation graphique de la famille Cassini ? Peut-être là où cela laisse Cassini : fulminant de rage à la désacralisation de tout ce qu’il tient pour cher.

Avec une autre personnalité et dans d’autres circonstances, Cassini aurait traîné les pieds, un vieil homme de science respecté comme de Rossel, parmi les gymnastes mathématiques sautants et bondissants de son temps. La Révolution et la réaction qu’elle provoque conduisent à une cassure brusque avec l’astronomie démodée des Cassini. Mais, comme je l’ai soutenu, Cassini IV (et en fait Cassini III) comptent plus pour la géographie qu’ils ne l’ont jamais fait pour l’astronomie, et avec le retrait de la science de Cassini IV et spécialement avec le refus de sa réadmission au Bureau des longitudes, se confirme la perte de statut et d’orientation de la géographie. Si ceux qui étaient à l’origine des plus grandes réalisations de la géographie ne méritaient pas le respect des autres savants, où se situait la géographie ?

Conclusion

Nous avons vu au chapitre 1 que traditionnellement, et certainement au XVIIIe siècle, le but essentiel de la géographie était la réflexion sur l’unité et la cohérence du monde. De plus, que cette unité et cette cohérence devaient être exprimées et célébrées de deux manières : le texte et la cartographie. À la fin du XVIIIe siècle, le mode de pensée qui justifie cette conception est en train de passer de mode. D’un côté, de grands pas ont été effectués dans l’élaboration de l’image du monde, en partie grâce au travail des géographes. L’image révèle aussi les interactions complexes entre les phénomènes d’échelle variée et de nature diverse. Comment une description, qu’elle soit du type textuel ou du type cartographique, peut-elle possiblement élucider cette complexité ? Les relations descriptives du monde fournies par Mentelle et Buache de Neuville aux jeunes esprits critiques de l’École normale paraissent inutiles, sans liens avec les découvertes récentes. Qu’elles soient formulées par Mentelle et Buache ou par Cassini, les assertions relatives à l’unité et à la cohérence du cosmos résonnent davantage comme la récitation d’un article de foi que comme un problème à étudier et semblent en conséquence appartenir à un autre mode de pensée plus primitif. Ironiquement, c’est au moment où l’on peut dire que la géographie a vraiment progressé sous l’influence des développements des mathématiques, de l’optique et de la physique, c’est-à-dire dans le domaine de la cartographie à grande échelle, que ce progrès rend la géographie faite par une famille de grande notoriété, étrangère à la science moderne, et la rejette. La nouvelle direction prédominante de recherche semble (dans les domaines les plus liés à la cartographie à grande échelle) s’éloigner du type de la science reposant sur l’observation et la description graphique pratiquées par les Cassini, et aller vers une explication mathématique complexe de forces, conduite davantage grâce à des hypothèses sophistiquées cautionnées par des données que par celles-ci mobilisées à l’état brut. Dans ce contexte, la carte géographique, et même sa sœur plus sophistiquée, la carte topographique, commencent à paraître dépassées, ou tout au moins, à ne plus constituer un défi scientifique.

Notes

        

  1. Cela prend la forme de fréquentes références à l’état précaire du domaine et au discrédit dans lequel il était tombé. Ce sens du déclin est fortement exprimé dans les écrits de Malte-Brun, comme cela est clair au chapitre 3. Mais beaucoup d’autres géographes exprimaient des préoccupations similaires. En fait, les explications du « dégoût de cette science » qui dominait alors abondent, et il était populairement attribué à la mauvaise manière dont la géographie avait été enseignée. Voir en particulier Barbié du Bocage, « Proposition d’une nouvelle méthode » (1795), p. 483-491. Pour des échos de ce sentiment chez les géographes britanniques de la période, voir Bowen, Empiricism and Geographical Thought (1981). Un fort sentiment de la mollesse intellectuelle de la géographie dans la France du début du XIXe siècle est aussi clair dans la discussion de Staum sur la géographie pratiquée dans la Classe des Études morales et politiques de l’Institut national. Voir Staum, « Human Geography in the French Institute » (1987), p. 332-340.
  2. C’est une partie de ce à quoi se réfère Brian comme un échange beaucoup plus commun et généralisé entre les administrateurs et les académiciens à la fin de l’Ancien Régime : « C’était le rythme d’un échange dans lequel les derniers (les savants) fournissaient aux premiers (les administrateurs) des instruments utiles au gouvernement en échange de l’institutionnalisation d’une partie de leurs activités ». Brian, La Mesure de l’État (1994).
  3. Pour une lecture radicalement différente, et je dirais erronée, du cours de géographie de l’École, voir Sergio Moravia, « Philosophie et géographie » (1967), p. 949-953.
  4. L’information sur l’École normale vient principalement de Fayet, La Révolution française (1960), p. 329-354 ; et de Nordman, Leçons d’histoire, de géographie (1994), quand elle n’est pas directement dérivée des cours eux-mêmes.
  5. Parmi les instructeurs se trouvaient Lagrange, Monge, Haüy, Berthollet, Thouin, Volney, Sicard, Bernardin de Saint-Pierre et Garat.
  6. Voir en particulier Nordman, « Buache de La Neuville » (1984), p. 105-110 ; Lagarde, « Le passage du Nord-Ouest » (1989), p. 19-43 ; Gaziello, L’Expédition de Lapérouse (1984), spécialement p. 22 et 83 ; Drapeyron, « Projet d’établissement » (1887), p. 241-255 ; et Nordman, Leçons d’histoire, de géographie (1994), p. 135-341.
  7. Pastoureau, « Histoire de la bibliothèque nationale » (1989), p. 62-69.
  8. Malte-Brun, dir, Annales des Voyages (1810), 5, p. 209.
  9. Bory de Saint-Vincent, Essais sur les Isles Fortunées (1803), p. 443.
  10. Archives nationales, F17 1541, Paris 12 prairial an XII, Lettre au Ministre de l’Intérieur.
  11. Nordman, Leçons d’histoire, de géographie (1994), p. 142.
  12. Séances des Écoles normales, 1 [1802].
  13. Malte-Brun, Précis de la géographie universelle (1810-1829).
  14. Séances des Écoles normales, 1, p. 65.
  15. « Débats », Séances des Écoles normales (n.d.), p. 183.
  16. Séances des Écoles normales, 1, p. 69.
  17. Séances des Écoles normales, 1, p. 67.
  18. « Débats », Séances des Écoles normales, p. 398.
  19. Séances des Écoles normales, 2, p. 74.
  20. Séances des Écoles normales, 2, p. 422.
  21. « Débats », Séances des Écoles normales, p. 74.
  22. « Débats », Séances des Écoles normales, p. 88.
  23. Séances des Écoles normales, 1, p. 69.
  24. Séances des Écoles normales, 1, p. 60-70.
  25. Séances des Écoles normales, 1, p. 67.
  26. Séances des Écoles normales, 2, p. 5, 279-308.
  27. « Débats », Séances des Écoles normales, p. 165-175, 183-185, 288.
  28. La Décade philosophique, littéraire et politique 30 (30 Pluviôse, an III), p. 351-353.
  29. La Décade philosophique, littéraire et politique 30 (30 Pluviose, an III), p. 352.
  30. Nordman, Leçons d’histoire, de géographie (1994), p. 6.
  31. A. Challe, « Lettres de Joseph Fourier » (1958), p. 105-134.
  32. « Débats », Séances des Écoles normales, p. 439.
  33. Pour une approche équilibrée de Cassini IV, voir Konvitz, Cartography in France (1987), p. 26-31. Gillespie considère comme limité l’engagement de Cassini pour la science et son talent. Gillespie, Science and Polity (1980), p. 90-91, 95, et 125.
  34. Dans cette veine, voir l’excellent travail d’Outram « The Ordeal of Vocation » (1983), p. 251-273.
  35. L’école, qu’incidemment, Delambre fréquentait. Voir Cohen, « Jean Joseph Delambre » (1971), 4, p. 14-18.
  36. Il considérait son travail comme bénéficiant à la géographie. Il écrivait en 1784, à propos de ses efforts pour réformer l’Observatoire : « J’ai aussi projeté d’établir une école d’astronomie pratique à l’Observatoire où les marins et ceux qui se proposent d’entreprendre des voyages lointains pourraient venir et s’entraîner eux-mêmes aux observations astronomiques. La géographie en aurait tiré un grand profit ». Jacques-Dominique Cassini (IV), Mémoires pour servir à l’histoire des sciences (1810), p. 9.
  37. D’après la préface, « Éloge de Monsieur Delisle », dans Guillaume Delisle, Introduction à la géographie… volume 1 : Géographie (1746), p. xxxj : « M. Delisle entra à l’Académie en 1700. Élève de M. Cassini, bien qu’il ne se soit jamais engagé dans des observations, ni n’eut eu envie de le faire. Toutefois, on estimait que l’usage qu’il connaissait de comment faire des observations compenserait celles qu’il n’avait pas faites. Comme dans le plan de l’Académie, il n’y avait pas de place pour la géographie, ils lui laissèrent en prendre une, qui, apparemment, reviendrait à un astronome en l’absence d’un géographe comme lui ».
  38. César-François Cassini de Thury (Cassini III), Description géométrique de la France (1783).
  39. Il y avait pourtant sans doute moins de distance entre l’astronomie théorique cartésienne et la géographie au XVIIe siècle.
  40. Jacques-Dominique Cassini (IV), dossier D 5 33 intitulé « Magnétisme, températures des caves, etc. : Projet d’un lever géométrique de la Carte de Toscane, Avant-propos », Cassini IV Manuscrits, Observatoire de Paris.
  41. Jacques-Dominique Cassini (IV), « Lettre à Mr. Sevatti », sans date, attachée au « Projet d’un lever géométrique de la Carte de Toscane », Cassini IV Manuscrits, dossier 5 33.
  42. Jacques-Dominique Cassini (IV), « Projet d’une Carte Générale de La Toscane », Cassini IV Manuscrits, dossier D 5 33 (section sur la triangulation primaire).
  43. Jacques-Dominique Cassini (IV), Mémoires pour servir à l’histoire des sciences (1810), p. 4-5.
  44. Il y a une référence récurrente à ce lignage exprimée exactement de cette manière dans les écrits de Cassini IV.
  45. Chapin, « The Academy of Sciences » (1967), p. 371-404.
  46. Jacques-Dominique Cassini (IV), Mémoires pour servir à l’histoire des sciences (1810), p. 116-117.
  47. Jacques-Dominique Cassini (IV), « A Madame de Cambry » (1842), n2, Lettres en vers et prose, p. 39-40.
  48. Jacques-Dominique Cassini (IV), « Atlas céleste et catalogue » (ca. 1784).
  49. Cassini de Thury, Description géométrique de la France (1783), p. 193.
  50. Jacques-Dominique Cassini (IV), « Troisième Mémoire : Projet et Description d’un Nouvel Observatoire. Exposé des principes qui doivent diriger les architectes dans la construction et la distribution des édifices destinés aux observations », dans Mémoires pour servir à l’histoire des sciences (1810), p. 63.
  51. Sur l’importance sur le long terme du travail de Cassini pour l’Observatoire, voir Fayet, La Révolution française (1960), p. 139-141 et 409-410.
  52. Ceci est longuement discuté dans Gillespie, Science and Polity (1980), p. 118-123.
  53. Jacques-Dominique Cassini (IV), Extrait des observations astronomiques (1786), p. 1.
  54. Cassini III écrivait à propos de la gravure géographique : « Tout art qui n’assure pas aux artistes une récompense proportionnelle à leur talent sera pour toujours négligé ». Cassini de Thury, Description géométrique de la France (1783).
  55. Jacques-Dominique Cassini (IV), « Objets économiques » (sans date).
  56. Devic, Histoire de la vie (1851), p. 263.
  57. Jacques-Dominique Cassini (IV), Collection de riens qui vaillent (1842), p. 65-66.
  58. Jacques-Dominique Cassini (IV), copie manuscrite grossière d’une lettre probablement envoyée à M. Sevatti qui demande un clair engagement de la part du Grand-Duc de Toscane, classée dans le « Projet d’un lever géométrique de la Carte de Toscane » dans l’Observatoire de Paris, Cassini IV Manuscrits, dossier D 5 33.
  59. Jacques-Dominique Cassini (IV), Lettre de Jean-Dominique Cassini à ses coassociés (1840).
  60. Jacques-Dominique Cassini (IV), Mémoires pour servir à l’histoire des sciences (1810), p. 135.
  61. Sur le lever cadastral de la Corse, voir Albitreccia, Le plan terrier de la Corse (1942) ; Huguenin, « French Cartography of Corsica » (1970), p. 123-137 ; Konvitz, Cartography in France (1987), p. 42 n. 29 ; Huguenin, « La cartographie ancienne de la Corse » (juillet 1962 et juillet 1963), 23, p. 85-98 et 26, p. 33-55, respectivement ; et Kain et Baigent, « The Cadastral Map » (1992), p. 221-224.
  62. Sur la carrière et les activités de Jacotin en Égypte, voir Godlewska, The Napoleonic Survey of Egypt (1988).
  63. Jacotin, « Mémoire sur la carte de l’Egypte » (1822), État moderne 2, p. 1-118.
  64. Les commentaires de Jacotin dans ce paragraphe sont tirés d’un rapport daté du 20 juin 1818 des Archives de l’ancien Dépôt de la guerre, Service historique de l’armée de terre, Vincennes. Cité dans Berthaut, La Carte de France (1898), 1, p. 64-65.
  65. Berthaut, La Carte de France (1898), 1, p. 65.
  66. La confiscation était aussi tout-à-fait typique de l’époque et allait dans la même direction que la militarisation de la société par Napoléon. Napoléon, surtout, ne pouvait pas concevoir la cartographie à grande échelle comme une activité séculière civile. Son potentiel militaire était tout simplement trop grand. En conséquence, ce ne fut pas le seul lever à subir une confiscation et une militarisation. La même chose arriva exactement au lever cartographique de l’Égypte, qui avait été originellement associé aux activités de la Commission des Arts et des Sciences, mais qui fut aussi pris en charge par le Dépôt de la guerre, à la suite des plaintes vociférantes et insistantes de l’éditeur de la Description de l’Égypte, Edme-François Jomard.
  67. Delambre, Histoire de l’astronomie (1827), p. 308. Voir aussi Devic, Histoire de la vie (1851), p. 378. Selon Fayet, Lakanal était prêt à réintroduire Cassini à l’Observatoire en 1795. Voir Fayet, La Révolution française (1960), p. 151, 410.
  68. L’infatigable et savant voyageur M. Humboldt a de sa part déjà déterminé plus de 250 localisations en Amérique du Sud (note infra-paginale de Cassini).
  69. Jacques-Dominique Cassini (IV), Mémoires pour servir à l’histoire des sciences (1810), p. 98-99.
  70. Jacques-Dominique Cassini (IV), « Dialogue entre deux détenus » (1842), n° 3, Mélanges, p. 12.
  71. Jacques-Dominique Cassini (IV), « Dialogue entre deux détenus » (1842), p. 15.
  72. Jacques-Dominique Cassini (IV), « Dialogue entre deux détenus » (1842), p. 15-16.
  73. Jacques-Dominique Cassini (IV), Quelques idées sur l’instruction publique (1802), p. 4-5.
  74. Jacques-Dominique Cassini (IV), Quelques idées sur l’instruction publique (1802), p. 11-12.
  75. Devic, Histoire de la vie (1851), p. 402.
  76. Drapeyron, Les deux Buaches (1888). Voir Gille, Les Sources statistiques ([1964] 1980), p. 29 ; et Bourguet, Déchiffrer la France (1989), p. 23-30.
  77. Pour être juste envers Cassini, et comme Jules Simon le souligne, le statut de fonctionnaire des membres de l’Institut était beaucoup plus clair et beaucoup plus onéreux qu’il ne l’avait été pour l’Académie des Sciences. Simon, Une académie sous le Directoire (1885), p. 101-113.
  78. Jacques-Dominique Cassini (IV), « Sur le choix d’un État » (1842), p. 73.
  79. Jacques-Dominique Cassini (IV), « Au secrétaire de la classe des sciences » (1842), n° 3, Mélanges, p. 77-80.
  80. Jacques-Dominique Cassini (IV), Manuel de l’étranger qui voyage en Italie (1778), p. 21.
  81. Jacques-Dominique Cassini (IV), « Mon Apologie » (1842), n° 3, Mélanges, p. 75.
  82. Delambre, Histoire de l’astronomie (1827), p. 253-254 ; voir aussi la réponse de Cassini IV à la version de Delambre de l’histoire de l’astronomie du XVIIIe siècle : Cassini IV, Réflexions présentées aux éditeurs (sans date).
Rechercher
Rechercher
Pau
Chapitre de livre
EAN html : 9782353111633
ISBN html : 2-35311-163-7
ISBN pdf : 2-35311-164-5
ISSN : 2827-1882
31 p.
Code CLIL : 3396
licence CC by SA
Licence ouverte Etalab

Comment citer

Godlewska, Anne Marie Claire, « La perte d’orientation et de statut de la géographie », in : Godlewska, Anne Marie Claire, La science géographique en France de Cassini à Humboldt. Une mutation hésitante, Pau, PUPPA, Collection Sp@tialités 3, 2023, 81-111 [en ligne] https://una-editions.fr/la-perte-dorientation-et-de-statut-de-la-geographie/ [consulté le 26/02/2024].
doi.org/10.46608/spatialites3.9782353111633.5
Illustration de couverture • peinture d'Izabella Godlewska de Aranda.

Dans la collection papier

L’imaginaire géographique.
Entre géographie, langue et littérature
,
par Lionel Dupuy, Jean-Yves Puyo, 2015
ISBN : 978-2-35311-060-5
Prix : 25 €

De l’imaginaire géographique aux géographies de l’imaginaire.
Écritures de l’espace
,
par Lionel Dupuy, Jean-Yves Puyo, 2015
ISBN : 978-2-353110-68-1
Prix : 15 €

Aménager pour s’adapter au changement climatique.
Un rapport à la nature à reconstruire ?
,
par Vincent Berdoulay, Olivier Soubeyran, 2015
ISBN : 978-2-35311-071-1
Prix : 18 €

De la spatialité des acteurs politiques locaux.
Territorialités & réticularités
,
par Frédéric Tesson, 2018
ISBN : 978-2-35311-087-2
Prix : 18 €

L’imaginaire géographique.
Essai de géographie littéraire
,
par Lionel Dupuy, 2019
ISBN : 978-2-35311-097-1
Prix : 18 €

Poésie des mondes scientifiques,
par Sonia Dheur, Jean-Baptiste Maudet, 2020
ISBN : 978-2-35311-115-2
Prix : 20 €

Retour en haut
Aller au contenu principal