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Le rôle des prieurés et des sauvetés de La Sauve
dans le peuplement du Bazadais méridional, du Marsan et du Gabardan

Paru dans : L’Entre-deux-Mers et son identité.
L’Abbaye de La Sauve Majeure,
t. I, 1996, 183-214.

Depuis bientôt un demi-siècle les sauvetés ont retenu l’attention des historiens de la Gascogne et du Midi toulousain : de l’étude de Paul Ourliac consacrée aux sauvetés du Comminges1 à celle de Gérard Pradalié sur les sauvetés castrales2, en passant par les recherches de Charles Higounet sur les sauvetés de Moissac, celles du Bordelais ou les chemins de Saint-Jacques et les sauvetés de Gascogne3. On ne dispose pas pour autant d’un répertoire des sauvetés du sud-ouest de la France, pas davantage d’études sur le concept de sauveté et ses applications. L’impression qui prévaut aujourd’hui, c’est que les sauvetés ne furent pas seulement “de petits villages d’hôtes, de création préméditée placés sous la protection de la paix de l’église, protection symbolisée par la plantation de croix délimitant leur territoire”4. Il y eut aussi des sauvetés castrales et même des sauvetés sans peuplement. On s’interroge par ailleurs sur la place que les sauvetés occupent dans le vaste processus de fondation d’habitats groupés ou de regroupement d’habitats qui a si profondément marqué les bassins de la Dordogne, de la Garonne et de l’Adour depuis le milieu du XIe siècle. Or la congrégation de La Sauve a été à l’origine d’un certain nombre d’entre elles, la mieux connue aujourd’hui étant celle qui entourait l’abbaye5. Mais d’autres ont été recensées, en Entre-Deux-Mers : à Tregey sous le pont Saint-Jean de Bordeaux, à Targon, à Aubiac dans Faleyras6, mais aussi à Lagardère en Bazadais, à Gabarret, en Gabardan7, à Bougue en Marsan. Il nous a donc paru intéressant de reprendre l’étude de ces fondations en nous interrogeant sur le rôle qu’elles ont pu jouer dans le peuplement, en particulier dans le processus de regroupement de l’habitat qui peut en découler. Mais, s’agissant d’un problème de peuplement, une telle étude ne saurait être conduite avec quelque chance de succès qu’en respectant deux règles : replacer le phénomène, d’abord dans son cadre institutionnel, l’abbaye de La Sauve, en second lieu dans son cadre géographique et historique sur une période aussi longue que possible. Vaste programme même pour la congrégation qui nous occupe. En effet lorsqu’en 1197, Célestin III confirma les possessions de La Sauve on ne dénombre pas moins de 76 prieurés, deux monastères et au moins 25 églises qui s’ajoutent à la sauveté de La Sauve, ses églises et dépendances immédiates, le tout réparti dans les provinces de Bordeaux – diocèses de Bordeaux, Agen, Périgueux et Saintes –, d’Auch – diocèses d’Auch, Aire et Bazas –, de Toulouse – diocèse de Cahors –, de Sens – Sens et Orléans –, de Reims – Soissons, Laon, Châlons, Cambrai –, en Aragon et dans le diocèse de Lincoln8.

Certes, dans la perspective qui est la nôtre il s’en faut que tous les prieurés et leurs dépendances entrent dans le champ de notre enquête. Probablement la plupart y échappent-ils d’ailleurs. Il est vrai en effet qu’à travers la fondation des prieurés la congrégation visait avant tout à asseoir sa puissance temporelle et son rayonnement spirituel. Nombre de ces prieurés n’étaient donc destinés dans l’esprit des abbés qu’à devenir des centres de gestion foncière, de collecte des revenus ecclésiastiques auxquels était associée parfois une fonction paroissiale. Mais si l’on veut identifier les prieurés auxquels les moines de La Sauve avaient assigné aussi la mission de devenir des noyaux de peuplement et de regroupement de l’habitat, il convient d’examiner les conditions dans lesquelles chaque prieuré a été fondé et ce que furent ses débuts. Une telle démarche est d’autant plus nécessaire que nous ignorons si les prieurés ayant bénéficié du statut de sauveté ont été les seuls à avoir eu une vocation de peuplement et si le statut de sauveté implique cette vocation.

Si l’on veut, d’autre part, essayer de comprendre les raisons qui ont pu conduire les abbés à implanter de tels prieurés et apprécier ensuite les raisons d’un échec, d’une stagnation ou d’un succès, il convient de bien connaître ce que furent dans la région concernée les autres formes de fondation ou de regroupement de l’habitat : présence éventuelle d’autres sauvetés, d’un réseau de bourgs castraux et, plus tard, de bastides. Il y a là matière à des recherches dont la complexité ne peut échapper.

À ne s’en tenir qu’au noyau des possessions de La Sauve et à ses approches cela reviendrait à prendre en compte l’aménagement de l’espace médiéval dans une bonne partie des diocèses de Bordeaux, Bazas, Agen et Périgueux. L’état de nos connaissances, s’agissant tout particulièrement des possessions de La Sauve, nous a fait pour l’instant renoncer à une telle entreprise et à nous cantonner à un espace plus réduit. C’est donc délibérément que nous avons pris le parti de ne retenir aujourd’hui que les prieurés de La Sauve en Gascogne : c’est-à-dire ceux des diocèses, d’Auch, Aire, Dax et de la partie méridionale du diocèse de Bazas, au sud de la Garonne, les prieurés situés au nord du fleuve étant dans l’orbite directe de l’abbaye.

Dans l’aire que nous avons retenue l’abbaye possédait en 1197, 11 prieurés et leurs dépendances9 : dans la partie méridionale du diocèse de Bazas, ceux de Notre-Dame-du-Bourg à Langon, de Niac, à Cazats près de Bazas et de Lagardère dans la commune actuelle de Ruffiac, en Lot-et-Garonne ; dans le diocèse d’Aire, ceux de Gel dans la commune de Labastide-d’Armagnac, de Mauvezin, de Perquie, de Bougue et de Mont-de-Marsan ; dans le diocèse d’Auch ceux de Gabarret et de Lucader dans la commune actuelle de Losse dans les Landes (fig. 1). Or parmi ces prieurés qui représentent en gros le huitième de ceux de la congrégation on en compte trois qui eurent le statut de sauveté : Gabarret, Bougue, et Lagardère.

Le cadre retenu demande quelques éclaircissements. Ceux-ci concernent, tout d’abord, les limites diocésaines : au sud de la Garonne, le diocèse de Bazas s’étendait jusqu’aux rives de la Leyre et à celles de l’Avance, incluant en particulier Casteljaloux. Celui d’Aire lui faisait suite au sud de Captieux et de Maillas jusqu’à la limite avec celui de Lescar aux confins de la Chalosse. À la fin du XIe siècle, dans des circonstances qui n’ont pas encore été élucidées, les paroisses formant le Gabardan à l’exception de celle d’Estigarde en furent détachées au profit de l’archidiaconé de Sos, dans le diocèse d’Auch10. Ainsi le prieuré de Gabarret, fondé vers 1090, a-t-il appartenu successivement aux deux diocèses. Sans doute cette situation est-elle à l’origine d’une erreur dans la bulle de Célestin III qui range ainsi dans le diocèse d’Auch les prieurés de Bougue, Gel, Perquie et Mauvezin qui ont toujours relevé du diocèse d’Aire11.

La géographie politique de la région concernée n’est guère connue pour le XIIe siècle. Ce n’est à vrai dire qu’au milieu du siècle suivant que l’on connaît de manière à peu près satisfaisante les limites des grandes seigneuries qui chevauchent d’ailleurs parfois celles des diocèses. On peut néanmoins affirmer que toutes ces terres ont d’abord relevé du duché de Gascogne définitivement passé en 1065, après vingt-cinq années de crise, dans les mains de la famille des comtes de Poitou, ducs d’Aquitaine en la personne de Guy Geoffroy ou Guillaume VIII – celui qui a accordé les privilèges à La Sauve – puis de ses successeurs directs, Guillaume IX et Guillaume X dont la fille Aliénor devait épouser successivement Louis VII et Henri Plantagenêt. En Bazadais, le XIIe et le XIIIe siècles ont vu l’émergence de plusieurs seigneuries, peut-être en deux générations – l’une avant 1170, la seconde entre cette date et 1240 – comme cela a été démontré pour la partie nord du diocèse12. Il s’agit des seigneuries ecclésiastiques de Bazas et de ses dépendances – l’évêque et le chapitre en paréage avec le roi-duc à partir de 1283 – et de celle de Loutrange appartenant à l’archevêque de Bordeaux sur les hauts de rive droite du Lisos ; de celle de la prévôté de Bazas dépendant depuis une date encore indéterminée du duc d’Aquitaine ; de celles de Langon, Castets-en-Dorthe, Roquetaillade, Auros, Bouglon, Castelnau-de-Mesmes ; enfin de celles de Meilhan, Aillas, Casteljaloux, Cazeneuve aux Albret et de Captieux au vicomte de Marsan puis de Béarn13.

Fig. 1. Le Bazadais méridional et le Marsan occidental (XIIe-XVe siècle) ; carte de situation. 1. Prieuré – cure de La Sauve ; 2. Prieuré de La Sauve ; 3. Sauveté de La Sauve ; 4. Hôpital de La Sauve ; 5. Paroisse dans laquelle La Sauve possède des dîmes ou des biens fonciers ; 6. Château ; 7. Bourg castral ; 8. Bourg prieural ; 9. Prieuré – cure ; 10. Prieuré ; 11. Commanderie ; 12. Sauveté ; 13. Bastide ; 14. Bastide ayant échoué ; 15. Villeneuve ; 16. Villeneuve ayant échoué ; 17. Castelnau ; 18. Autre localité ; 19. Limite du diocèse ; 20. Limite de seigneurie.

À ce Bazadais morcelé s’opposent les vicomtés de Gabardan et de Marsan. La première occupait une partie de la pointe orientale du plateau landais, entre les Lugues agenaises, au nord, rattachées à la seigneurie de Casteljaloux et les terres d’Armagnac au sud : paroisses de Gabarret, Escalans, Herré, Rimbez, Baudiets, Arx, Baudignan, Losse, Lubbon, Estigarde. Les limites de la vicomté de Marsan se confondaient, au nord, avec celles du diocèse d’Aire ; au sud, elles n’atteignaient pas l’Adour en aval, mais elles le franchissaient en amont à Renung et Duhort-Bachen ; à l’ouest, la seigneurie de Labrit mise à part, ses limites se confondaient avec celles des diocèses d’Aire et de Dax ; la situation était infiniment plus complexe à l’est14.

Ainsi, à la fin du XIIIe siècle, un certain nombre de fiefs situés dans la partie orientale de la vicomté, dans les archiprêtrés de Villeneuve et de Mauléon dans le diocèse d’Aire, relevaient directement du roi-duc. Les détenteurs de fiefs tenus directement du vicomte ressortissaient, semble-t-il, à une cour particulière dite cour del Sers. La lumière n’a pas été complètement faite sur ces problèmes de mouvance et de juridiction, le vicomte n’étant que le viguier du duc, au moins jusqu’au milieu du XIIIe siècle. Enfin, parmi les fiefs mouvants directement du roi se trouvait celui des seigneurs de Mauvezin qui, bien qu’ils ne fussent eux aussi que les viguiers du duc sur un territoire qui, en plus de Mauvezin, comprenait aussi les paroisses de Betbezer, Arouille, Créon et Saint-Julien prétendaient, au XIIIe siècle, au titre de vicomtes de Juliac15.

Sur le plan politique deux faits ont revêtu une importance toute particulière pour l’histoire de la région : il s’agit, tout d’abord, de l’alliance entre les maisons de Gabardan et de Béarn, puis entre celle-ci et celle de Marsan. Le quatrième vicomte de Gabarret, Pierre II, surnommé Soriquers (1097-1118), fils de Pierre Ier Roger (v. 1055-1097) épousa, vers 1105, Guiscarde fille et héritière de Gaston IV Centulle, vicomte de Béarn.

Ainsi Pierre III, leur fils, devint-il du chef de sa mère, à la fois vicomte de Gabardan et de Béarn. Son fils Gaston V lui succéda jusqu’en 1170, puis sa fille Marie qui épousa Guillaume de Moncade.

Dans la vicomté voisine de Marsan se succèdent au début du XIIe siècle Loup Aner et son fils Pierre qui épousa vers 1125 Béatrix comtesse de Bigorre. En 1195, leur arrière-petite-fille Pétronille épousa Gaston VI, le fils de Marie et de Guillaume de Moncade puis, en cinquièmes noces, Bosom de Mastat. Leur fille, Mathe de Mastat, héritière du Marsan, en épousant en 1290 Gaston VII Moncade, arrière-petit-fils de Marie et Guillaume, fut à l’origine de l’union du Marsan et du Béarn-Gabardan.

Le cadre de notre enquête ainsi défini nous avons pris le parti de nous pencher dans un premier temps sur la notion de sauveté en examinant les privilèges accordés à l’abbaye par le duc Guillaume VIII et son fils, puis, dans un second, d’étudier les prieurés du Bazadais, du Marsan et du Gabardan, leur origine, la constitution de leur patrimoine, en privilégiant deux aspects, leur rôle comme noyaux de nouveaux peuplements, et l’influence qu’a pu avoir dans cette perspective leur statut éventuel de sauveté. Enfin, tenant compte de ces deux caractéristiques nous avons tenté de comprendre le destin de ces fondations, confrontées aux problèmes internes à l’institution monastique à partir du XIIIe siècle, à la concurrence des habitaux castraux et des bastides et aux vicissitudes du temps.

La notion de sauveté

C’est grâce à quatre actes échelonnés de 1080 à 1090 qu’il est possible de cerner la notion de sauveté telle qu’on la concevait à La Sauve16. Il s’agit tout d’abord, du privilège octroyé par Guillaume VIII, duc d’Aquitaine et de Gascogne, fin 1079 ou début 1080 (1), confirmé par le collège des participants au concile de Bordeaux (3) puis par Pierre vicomte de Gabarret et Guillaume Amanieu, (de Benauge) probablement du vivant de Guillaume VIII, donc avant 1087 (5) ; ensuite, de la confirmation, faite sans doute en 1087 par le duc Guillaume IX, du privilège accordé par son père (6) ; enfin, d’une nouvelle confirmation faite par Guillaume IX vers 1090 (7). Il convient, d’autre part, de noter qu’au lendemain de la concession du privilège par Guillaume VIII, l’archevêque de Bordeaux Goscelin de Parthenay concéda à l’abbaye le bénéfice de l’exemption (2) et que ce privilège fut confirmé par Guillaume VIII et par les participants au concile tenu à Bordeaux à l’automne 1080 (4).

D’un document à l’autre, de celui de l’automne 1079 à celui de 1090 on assiste à la définition d’un concept qui change progressivement de nom et en même temps de contenu, sans que la dénomination nouvelle ne fasse disparaître la précédente et ce qu’elle recouvre. Concrètement on passe de la notion de libertas appelée aussi “sauvement” dans la concession de 1079-80 (1) à celle de securitas déjà esquissée dans cet acte, puis explicitée dans la confirmation du vicomte de Benauge (5), définie dans la première confirmation de Guillaume IX en 1087 (6), expressément nommée et précisée de manière détaillée dans la confirmation de 1090 (7).

La première notion privilégiée est celle de liberté ou sauvement. Elle équivaut pour le bénéficiaire à l’exemption de toute juridiction. C’est le duc qui la concède en tant que dépositaire de la puissance publique. Ainsi aucun “comte, vicomte prévôt, viguier, ou chevalier ou qui que ce soit ne peut se prévaloir d’un droit, d’une avouerie ou d’une domination, faire violence, prendre un tonlieu ou un gage, exercer la justice, ou porter plainte” (1). La raison invoquée est de permettre à l’abbé et aux moines de se consacrer en toute quiétude au service divin. En fait, cette liberté a un nom bien connu, c’est l’immunité dont le duc accorda le bénéfice non seulement à l’alleu d’Auvillars, objet de la concession initiale, mais aussi au territoire de Tregey que Guillaume VIII avait, avec d’autres propriétaires, cédé auparavant à la communauté.

Cette immunité est rappelée dans la confirmation par le jeune Guillaume IX vers 1087 (6). Le duc Guillaume VIII auquel appartenait la justice du lieu d’Auvillars en avait fait don à l’abbé Gérard et à ses compagnons et il avait ainsi exempté le lieu et ses habitants qui viendraient s’y établir de tout pouvoir laïc. Il n’y a aucune différence entre le contenu de la concession et celui de la confirmation. Celle-ci comporte, en revanche, une nouveauté de taille s’agissant de la définition du territoire sur lequel l’abbaye bénéficie de l’immunité : le rédacteur de l’acte ou celui de la notice a ajouté que le duc avait accordé aux moines le jus comitale, la justice, non seulement dans l’alleu d’Auvillars mais encore dans tous les lieux que les moines posséderaient dans le duché. Il s’agit, à notre avis d’une interpolation que le jeune duc aurait donc entérinée, ou bien d’une adjonction introduite après coup par le copiste du cartulaire. On notera, enfin que, lors de la confirmation de 1090, Guillaume IX ne fait plus état de ce salvamentum ou libertas, sans doute parce que la chose était alors reconnue de tous.

Le second aspect du concept de sauveté qui apparaît déjà dans la concession du privilège de 1079 (1) ne cesse de prendre de l’importance : il s’agit de la sécurité ou protection accordée à ceux qui résident dans la sauveté, qui s’y rendent ou en viennent. En 1079 Guillaume VIII précise que si quelqu’un venait un jour s’établir dans l’alleu auquel il vient de concéder le sauvement il sera libéré de tout lien à l’égard de qui que ce soit sauf des moines, mais que si quelqu’un devait être puni il sera remis à ceux auxquels les moines le voudraient. Enfin, si quelqu’un en fuite se réfugiait à l’intérieur des limites de l’alleu il était interdit de l’inquiéter. Ainsi, toute personne venant s’établir dans la sauveté et passant sous la juridiction des moines échappait-elle à ses poursuivants, sauf au cas où les moines en jugeraient autrement, mais les raisons n’en sont pas précisées. Dans l’esprit de Guillaume VIII cette sécurité qu’il ne nomme pas procède de l’immunité. C’est d’ailleurs lui qui la concède et, lorsqu’il étend le privilège d’Auvillars au territoire de Tregey, il parle seulement de libertas.

La notion de securitas faisait néanmoins son chemin. Ne voit-on pas le vicomte de Benauge confirmant le privilège précédent déclarer que l’alleu d’Auvillars devait être considéré comme “une église unique, asile pour les miséreux, refuge des opprimés, abri contre toutes les menaces pour ceux qui s’y trouvent” (5). Cette fois-ci la securitas privilégiée par le vicomte apparaît d’essence religieuse et non plus comme une des manifestations de l’immunité, même si son champ d’action n’est pas celui d’un cimetière mais d’un territoire plus vaste. C’est dans la confirmation faite en 1087 par Guillaume que la securitas prend définitivement forme (6). Après avoir confirmé l’immunité concédée à l’alleu d’Auvillars et l’avoir étendue à toutes les futures possessions des moines dans le duché, le duc aurait précisé le contenu du privilège “ainsi que cela est écrit”, référence explicite à la seconde partie de la concession de 1080 : que personne n’ose faire à qui que ce soit se trouvant à l’intérieur des limites de l’alleu le moindre outrage, même s’il lui a voué une haine mortelle de sorte que ce lieu soit un asile pour les miséreux, un refuge utile a tous et que quiconque s’y rendrait ou en reviendrait pour y prier, aller au marché ou bien y serait convoqué par l’abbé ou les moines ait sa sécurité assurée (securus sit). Par rapport au privilège de 1080 l’accent est mis, cette fois, sur la notion d’asile et sur l’extension de la securitas qui prend la forme d’un sauf-conduit général. Or ce privilège est cette fois qualifié de securitas mais aussi de salvitas dont c’est la première apparition dans les documents de La Sauve.

Ce terme finit par se substituer définitivement à celui de securitas en même temps que l’accent est mis de plus en plus sur la notion de sécurité. Ainsi est-il significatif qu’évoquant l’extension de la libertas et de la securitas au territoire de Tregey, Guillaume IX ne fasse plus référence qu’à la seconde et que le scribe ait seulement porté à la rubrique de la confirmation de 1087 : De salvitate Silve majore. Parmi les documents interpolés par le rédacteur de l’acte ou le copiste, l’un concerne d’ailleurs la concession d’un marché hebdomadaire et de foires à La Sauve et la securitas accordée à cette occasion aux marchands qui s’y rendraient.

Avec la confirmation de 1090 il n’est plus question enfin que de la sauveté concédée et confirmée par Guillaume IX et de son contenu (7). Il s’agit d’un certain nombre de précisions sur le fonctionnement de la securitas à l’intérieur des limites de la sauveté, maintenant présentée comme un territoire bien délimité. Sauf-conduit aux bourgeois du bourg ainsi désignés où qu’ils soient, aux marchands venant à la foire ou au marché ainsi qu’aux pèlerins et à tous ceux qui viendraient prier, à l’aller comme au retour ; définition des personnes pouvant bénéficier du droit de sécurité à l’intérieur de la sauveté : les bourgeois, bien sûr, les chevaliers, les paysans les marchands et tous les hommes. Sont, en revanche exclus : les voleurs publics (fures publicati)et les larrons (latrones) qui, par nature, doivent rester des paysans et travailler la terre mais qui abandonnent leur tâche, prennent les armes et deviennent des malfaiteurs et des guerriers. S’agissant des chevaliers la sécurité s’étend aussi à leurs sergents, mais il leur est interdit de faire la guerre en utilisant la sauveté comme une base de départ et d’y revenir avec le produit de leurs méfaits.

Ces dispositions furent solennellement proclamées devant une cour qui comptait, en plus du duc et du prévôt de Bordeaux pas moins de seize principes castella tenentes et chevaliers dont le comte de Fezensac et Pierre vicomte de Gabarret. Ces dispositions devaient s’appliquer au territoire de l’alleu d’Auvillars dont les limites venaient d’être récemment définies, une centaine d’hectares autour de l’abbaye donc une surface bien inférieure à celle de la juridiction de la fin du Moyen Âge qui se confondit avec celles de la paroisse dont elle suivit les vicissitudes17. À l’intérieur de la sauveté l’abbé exerçait la justice ainsi qu’un certain nombre de droits banaux de caractère économique : fours et tonlieu en particulier. L’extension de l’immunité au territoire paroissial et à celui de la juridiction procède probablement de la clause d’extension figurant dans la confirmation de 1087 et, à notre avis interpolée, par les moines.

Nous savons donc parfaitement ce qu’il convient d’entendre par sauveté dans le cas de La Sauve et de Tregey : il s’agit d’un territoire aux limites bien définies, à l’intérieur duquel par concession ducale et par reconnaissance des autres détenteurs de la haute justice, les habitants qui y résident même temporairement échappent en principe à toute autre juridiction que celle de l’abbé. Ces mêmes personnes bénéficient de cette sécurité en dehors du territoire de la sauveté de manière permanente pour les bourgeois, temporaire pour les voyageurs au cours de leur voyage, à l’intérieur bien sûr, des limites du duché. Tout homme de quelque condition qu’il soit, sauf dans des cas précis – meurtriers, voleurs, brigands – peut trouver refuge et asile à l’intérieur de la sauveté. Mais cette jouissance du droit de sauveté ou de sécurité n’est concevable que dans la mesure où, à l’intérieur des limites et par extension, les personnes concernées dépendent de la justice, de l’abbé qui la détient en vertu de la libertas que lui a concédée le duc.

Si, d’une manière générale, nous sommes assez bien renseigné sur les circonstances dans lesquelles les moines de La Sauve fondèrent des prieurés ou suscitèrent des donations, nous n’avons guère les moyens de connaître la manière dont les prieurés prirent forme et ce que fut leur destinée. Les cartulaires ne s’intéressent en effet qu’aux titres ayant fondé les droits de l’abbaye : donations, achats et confirmations. Or, très tôt – parfois même, on ne dispose que d’un seul acte pour un prieuré –, les cartulaires se font discrets. Ils reflètent en cela la fin de la période d’expansion de l’abbaye dont la bulle de Célestin III de 1197 constitue déjà pour une large part un tableau final. S’agissant des sources écrites susceptibles de nous éclairer sur d’éventuels accroissements du patrimoine des prieurés au cours du XIIIe siècle ou au début du siècle suivant ou sur leur gestion, on se trouve réduit à la portion congrue et, souvent, ce n’est qu’à partir de documents de l’époque moderne que l’on peut tenter d’apprécier l’évolution de la situation.

Une autre catégorie de documents peut heureusement nous aider à apprécier la manière dont les fondations ont été réalisées ou dont elles ont évolué : il s’agit des sources archéologiques sous deux formes, étroitement liées d’ailleurs, la topographie des lieux et les monuments qui s’y trouvent encore aujourd’hui. Les plans cadastraux du début du XIXe siècle sont particulièrement précieux, mais les structures encore en place ou connues grâce à des documents figurés constituent aussi des sources d’autant plus intéressantes qu’elles peuvent être datées avec précision. Mais ces sources doivent être utilisées avec prudence. S’agissant de plans cadastraux s’il y a de fortes chances pour qu’ils soient le reflet d’une situation qui peut remonter au XIIe ou au XIIIe siècle, apprécier leur seuil de fiabilité demeure une entreprise délicate. De même, s’il est relativement facile de dater un édifice religieux en pierre, il l’est beaucoup moins pour une construction en terre en l’absence, encore aujourd’hui en Aquitaine, de tout critère de datation. Qu’il s’agisse donc de sources d’époque moderne, de plans ou de témoignages archéologiques, les informations qu’ils nous apportent doivent être maniées avec prudence, dès lors que l’on envisage de les utiliser de manière rétroactive.

Or, dans la perspective qui est la nôtre viennent s’ajouter deux difficultés complémentaires. Si l’on veut apprécier le rôle qu’a pu jouer un prieuré dans l’établissement d’un habitat nouveau il convient de connaître, d’abord, l’état du peuplement, dans les environs immédiats pour le moins. En d’autres termes, en quoi consistaient les castra de Gabarret, Perquie, Mauvezin et Langon lorsque les moines de La Sauve s’y établirent ? Qu’y avait-il à Lagardère ou à Niac ou autour de l’église de Bougue ? D’autre part, si l’on veut apprécier avec justesse l’évolution ultérieure on doit essayer de faire le point à plusieurs moments significatifs. Pour notre propos les deux plus importants sont, d’une part, les années 1340, date à laquelle l’Aquitaine a atteint son apogée démographique et où elle se trouve dotée d’un réseau de bourgs et de villes qui ne connaîtra guère de modifications par la suite ; puis le milieu du XVe siècle, au lendemain de la crise démographique et des guerres qui ont marqué le siècle écoulé. Mais, en utilisant des informations qui ont trait à des événements ultérieurs tels que les destructions consécutives aux guerres de religion ou à la Révolution on peut aussi glaner des éléments susceptibles d’aider à la restitution des situations antérieures.

Si l’on met à part Gabarret dont la fondation eut lieu du vivant de saint Gérard ou encore le don de l’église de Saint-Barthélemy de La Barde probablement contemporaine, les fondations des autres maisons eurent lieu entre 1108 et 1148 : trois, sous l’abbé Geoffroy Ier (1107-1119) : Perquie en 1108 ; Bougue en 1116-1123 et probablement Lagardère ; cinq, sous l’abbatiat de Pierre Ier d’Amboise, 7e abbé (1126-1155) : Langon en 1126 ; Mauvezin, en 1132 ; Gel, en 1138 ; Niac, en 1155. Il faut ajouter les implantations sans lendemain à Casteljaloux en 113118, Saint-Vincent-de-Xaintes aux environs de 112019, la donation de l’hôpital de Canenx en 114720 et celle de droits sur celui de Saint-Jacques de Mont-de-Marsan21.

Si l’on retient comme critère prioritaire la vocation des prieurés à constituer les noyaux d’un regroupement de l’habitat nous pouvons les répartir en trois groupes. Tout d’abord, ceux qui ont été fondés dans ou à proximité de châteaux, c’est-à-dire de chefs-lieux d’une juridiction susceptibles de donner naissance à un bourg : il s’agit des prieurés de Gabarret, Perquie, Mauvezin et Langon. En second lieu, les prieurés établis hors de chefs-lieux de juridiction et associés à une église paroissiale : c’est le cas des maisons de Gel, Lucader, Bougue. Entre aussi dans cette catégorie, Saint-Vincent-de-Xaintes, sans compter les églises qui ne furent apparemment jamais reconnues comme siège d’un prieuré ni rattachées officiellement à aucun comme Saint-Barthélemy de la Barde, La Couture ou Sillas. Enfin, ceux créés à partir d’une donation foncière ayant pu donner naissance à un oratoire ou une paroisse nouvelle : c’est le cas de Niac et peut-être celui de Lagardère.

En revanche, si l’on retient le critère du statut de sauveté, on s’aperçoit qu’il a été accordé, d’une part, à des prieurés castraux comme Gabarret ou comme l’aurait été Casteljaloux, de l’autre à des églises paroissiales comme Bougue, ou bien encore à de simples dotations foncières comme Lagardère. On dispose donc, dans le cadre de l’enquête, d’un échantillon à peu près complet, semble-t-il, des cas de figure qui peuvent se présenter si l’on souhaite examiner l’incidence du statut de sauveté sur le peuplement.

Gabarret22

Dans les années 1080-1090 Pierre Ier Roger, troisième vicomte de Gabardan, décida de faire don à l’abbaye de La Sauve d’un monastère (monasterium)qu’il avait commencé de fonder en l’honneur du Seigneur et de son saint sépulcre dans son territoire (territorium)de Gabarret (1). Le donateur demandait que l’abbé de La Sauve fût aussi celui du Saint-Sépulcre, qu’il y observât la règle en usage à La Sauve, qu’il eût sur les personnes et les biens les mêmes pouvoirs qu’à La Sauve, enfin que les deux maisons restent unies dans le service divin et la vraie religion et partagent également disette et abondance, sauves bien sûr les juridictions de l’archevêque d’Auch et de l’évêque d’Aire qui donnèrent leur consentement. Cette donation fut faite en présence du duc d’Aquitaine Guillaume IX, du frère du vicomte Arnaud Roger, de son cousin Pierre et de plusieurs seigneurs du voisinage. Cette fondation, car c’est bien de cela qu’il s’agit, fut, de toute évidence, accompagnée d’une dotation dont nous ignorons la nature et l’importance. Seul le duc Guillaume y fait allusion dans sa souscription, lorsqu’il concède la salvitas au monastère en même temps qu’à tout ce qui lui appartient. Mais, quelques années plus tard, Pierre II Soriguers, le fils du donateur, étant venu à La Sauve demander de participer aux bienfaits et prières des moines, confirma les donations faites par son père : le monastère et ses dépendances présentes et à venir, est-il précisé (3). Nous ne pensons pas en tout cas que l’ensemble des dons qu’une notice du cartulaire accorde à Pierre II Soriguers doive lui être attribué, ne serait-ce qu’en raison de leur importance et de leur diversité (8). Pour une part – mais laquelle ? – nous sommes probablement en présence d’une confirmation. Cette donation concerne des droits de nature ecclésiastique et des parts de revenus banaux.

Au moment de la donation le territoire de Gabarret se trouvait dans la paroisse de Saint-Luperc : le vicomte fit don à l’abbaye de l’église ainsi que de la dîme, du moins des parts qu’il en détenait. Les droits banaux sont variés, mais il convient de noter que, sauf dans le cas des fours, expressément cités dans la bulle de Célestin III, il ne s’agit que de parts de revenus dont la plus grande partie restait d’ailleurs dans les mains du vicomte qui, seul, exerçait les droits seigneuriaux.

Les moines de La Sauve devaient percevoir le tiers des revenus de nature judiciaire et des droits d’octroi perçus aux portes. S’agissant des revenus que le vicomte tirait des transactions sur les marchandises il convient de distinguer les ventes faites à l’intérieur de l’enceinte de celles qui avaient lieu sur le marché dénommé Gavardina : en ville, le tiers du produit des taxes ainsi que des “échines” de porc revenant au vicomte ; à Gavardina, selon qu’il s’agissait des jours de marché périodiques ou des foires la part revenant aux moines différait : les jours de marché seulement le dixième du produit des taxes y compris de celles en nature constituées par les échines des porcs ; les jours de foire et lors du marché qui suivait les foires, leur part s’élevait au tiers. À Gavardina, les moines pouvaient aussi prélever du sel sous forme de paumées de trois doigts, mais on en ignore le nombre. Le vicomte avait, en outre, concédé aux moines la totalité des revenus provenant du pesage lorsqu’on utilisait le poids appelé quintal – deux deniers par pesée – ainsi que ceux tirés de l’usage des fours que l’on peut qualifier de banaux. En effet, sauf pour les habitants du lieu de Faurgas qui avaient droit de cuire leur pain dans des fours leur appartenant – mais leur pain seulement sous peine de voir les fours détruits par les moines –, il était fait obligation de cuire la pâte dans les fours des moines ; ceux-ci devaient, en revanche, accepter la pâte venant de l’extérieur de la ville. Pour alimenter ces fours et pour leur chauffage les moines reçurent le droit de se ravitailler dans le “bédat” vicomtal, le bois de chêne étant strictement réservé à la restauration de l’église et des bâtiments du prieuré. Mais le dernier élément de la dotation et non le moindre était constitué par le cens de toute la ville census totius ville, est-il précisé en 1197. Il convient d’entendre par là la redevance à laquelle étaient assujettis dans les bourgs castraux les sols sur lesquels étaient élevées les maisons, un cens en principe identique pour toutes les parcelles. Il semblerait enfin, mais cela serait bien dans l’esprit de la donation faite aux moines, que le vicomte et les chevaliers auraient, de ce fait, été assujettis au versement du cens pour la demeure vicomtale et le castrum, probablement le bourg des chevaliers (Etiam de domo sua et de toto castro vicecomes et milites censum reddunt juxta consuetudinem ville).

Au cours des décennies qui suivirent, le patrimoine du prieuré s’accrut encore à Gabarret, en Gabardan mais aussi jusqu’à Mont-de-Marsan. Tout d’abord, du vivant même de Pierre II, sa mère Agnès demanda à l’abbé Geoffroy (1106-1119) de lui céder un terrain à proximité du prieuré sur lequel elle fit édifier des bâtiments monastiques : elle souhaitait, en effet, se retirer du siècle et, à cette occasion, fonder une communauté de femmes. L’abbé obtint du vicomte Pierre qu’il s’associe à la concession des bâtiments, mais aussi qu’il garantisse les biens que sa mère avait acquis ou pourrait acquérir pour cette fondation (6).

Mais il semble bien que si la fondation du prieuré avait été favorisée par l’évêque d’Aire, le rattachement du Gabardan à l’évêché d’Auch suscita quelques frictions entre les moines et l’archidiacre de Sos dont dépendait désormais le Gabardan : à une date non précisée mais du vivant de Pierre II, un accord intervint entre les moines et l’archidiacre (5). Les termes de l’accord étaient les suivants : d’une part, quiconque oserait porter atteinte à une église située à l’intérieur de l’enceinte de Gabarret serait excommunié par l’archevêque ; moyennant, d’autre part, la cession par les moines d’une maison du bourg exempte de cens, les chanoines ratifièrent la donation faite quelques années plus tôt par l’évêque d’Aire du quart de la dîme de l’église Saint-Luperc (2) ; enfin, s’agissant du desservant de cette église, il sera investi de sa charge par l’archidiacre auquel il sera soumis. Sans doute faut-il voir dans cette affaire la volonté du clergé auscitain d’empêcher une main mise complète des moines sur la paroisse de Gabarret. À la suite du développement du bourg et des difficultés que devait poser l’exercice du culte dans une église probablement éloignée, en 1159, l’archevêque d’Auch Guillaume, jugeant raisonnable la demande qui lui en avait été faite par le prieur Arnaud Raymond accorda à l’église de Gabarret – celle du prieuré – le droit paroissial à l’égard des vivants et des morts, interdisant qu’à l’avenir nulle autre église régulière ou séculière puisse administrer les sacrements, enterrer un paroissien, ou faire bâtir un oratoire dans l’étendue de la paroisse sans avoir l’autorisation de l’abbé de La Sauve (2). Nouvelle reconnaissance de l’essor pris par le bourg de Gabarret.

L’importance des avantages accordés aux moines en matière de revenus fonciers ou banaux rendait peu vraisemblable un accroissement notable du patrimoine du prieuré. Agnès, du vivant de son fils Pierre II, fit don d’une vigne qu’elle avait fait planter au lieu dit le Chêne de l’évêque, ainsi que d’une couture de terre à la porte de Malburguet, lorsqu’elle partit à Jérusalem (4). Raimond de Poiol céda aussi au prieur Geoffroy la couture de Glairoth (7). Par la suite nous avons affaire à des confirmations assorties parfois de quelques nouveaux dons de la part des vicomtes de Béarn et Gabardan. En 1181, Gaston VI, vicomte de Béarn et de Gabardan et comte de Bigorre du chef de son épouse Pétronille confirma les donations faites par Pierre II Soriquers et ses successeurs23. Seule concession nouvelle, celle d’une chaudière de justice qui devait être la seule de l’archiaconé de Sos. En 1228, c’est Guillaume II de Moncade qui confirme au prieur le droit que son oncle Gaston VI lui avait accordé de prendre le ris de veau, sans doute chez les bouchers ; en 1244, Gaston VII, son fils, confirma à son tour au prieur l’ensemble de ses possessions foncières, puis, en 1282, ses droits sur le péage de Captieux24. Les dons de particuliers semblent aussi s’être maintenus même si ce fut de manière épisodique : deux charges de baudet, de bûches quotidiennes par le seigneur de Cazaubon, en 124525 ; des terres et vignes à Gabarret (1226), des casaux à Losse (1289-1290) par la suite baillés à fief, des dons en espèces (1284) et, encore en 1351, des assignations de rente26.

En outre, entre 1197 et 1258, les moines parvinrent à se faire octroyer un certain nombre d’églises et de dîmes : l’archevêque d’Auch accorda ainsi en 1197 le droit de présentation à l’église de Losse ainsi que le quart de la dîme, moyennant le paiement annuel d’un cens de 5 s. à l’église de Sos et l’obligation pour le desservant et ses paroissiens de se rendre une fois par an à Sos pour y prier et y apporter à cette occasion des oblations (9) ; en 1210, Odon de Cazaubon fit don de son fils Arnaud et de la dîme de Cutxan27 ; puis, en 1231, c’est Amanieu archevêque d’Auch qui renouvelle le geste de son prédécesseur en souvenir de Géraud, archevêque d’Auch, enseveli à La Sauve, et accorde au prieur le droit de présentation à l’église de Saint-Jean d’Escalans ainsi que la moitié des oblations et des autres revenus paroissiaux de cette église, chargeant en outre le prieur du soin de retirer aux laïcs les dîmes qu’ils possédaient encore28. Ce fut grâce à la bienveillance de Gaston VII que cela put se réaliser en 1244 : le vicomte de Béarn avait en effet prêté à Pierre de Ville 1280 s. morlans gagés sur la dîme d’Escalans. Le vicomte céda le gage au prieur, renonçant pour sa part aux droits qu’il pourrait avoir sur cette dîme29. C’est dans des circonstances à peu près identiques que, quelques années plus tard (1258), le prieur put acquérir la dîme d’Estigarde que Seguine de Moncrabeau et Guillaume de Piis son fils, seigneurs de Torrebren et de Moncrabeau avaient engagée pour 2000 s. morlans30. À en juger d’après des baux du début du XIVe siècle le prieuré détenait aussi d’autres parts de dîmes dans les environs à Espérous, Saint-Michel de Bouau, annexe d’Escalans, Saint-Cric “par-devant le Bos” et d’autres non identifiées : Notre-Dame de Saint-Franc, Saint-Laurent de Saint-Franc et Saint-Laurent de Cer31.

Gabarret était au début du XIXe siècle un bourg de 300 habitants. L’examen du plan (1813) révèle un ensemble grossièrement circulaire de 300 m de l’est à l’ouest pour 280 m du nord au sud dont les contours sont parfaitement définis (fig. 2) : dans la moitié occidentale par une route et des jardins occupant l’emplacement d’anciens fossés et reprenant le tracé de l’enceinte du bourg ; dans la partie orientale par l’émissaire d’une petite source située au nord du bourg ; au sud par la morphologie enveloppante du parcellaire. La moitié occidentale de cet ensemble est occupée par le bourg, la moitié orientale par un ouvrage de terre de forme circulaire qualifié de “tourasse” sur le premier plan cadastral (D.75/85 m) et par des prairies et jardins qui le séparent du bourg. À la pointe du quartier sud-est à la jonction entre le bourg et cette zone champêtre, on distingue le prieuré, les restes de l’église et le cimetière. Il ne fait aucun doute que dans ses grandes lignes cette structure comporte des éléments médiévaux, mais il est certain aussi que le plan a connu des modifications au cours des siècles.

Fig. 2. Le bourg de Gabarret d’après le plan cadastral du début du XIXe siècle.

On note, tout d’abord, l’existence d’un noyau central (140 x 125 m) constitué de six îlots répartis également de part et d’autre d’une rue orientée vers Sos au nord, vers Eauze au sud (rue du Fort, au nord, rue d’Armagnac au sud). Deux rues transversales découpent des îlots de forme et de dimension variables, délimités à la périphérie par une rue qui forme un circuit à peu près cohérent de 300 m de périmètre (rues de Lubbon, de la Croix d’Or, Saint-Luperc et Capet). La surface ainsi enclose est d’environ 1,75 ha. Par la suite le bourg s’est développé, d’une part, le long de l’axe nord sud, au nord – rue du Fort – sur 80 m environ, au sud – rue d’Armagnac – sur seulement une vingtaine de mètres, enfin vers l’ouest – rue de Marsan. En revanche, dans la partie orientale, la lecture du plan est plus délicate en raison des bouleversements qu’a connus ce secteur lors des guerres de Religion. À la fin du XVIIIe siècle le bourg de Gabarret atteignait donc une surface de 5,40 ha environ pour un périmètre de 785 m. De l’examen du plan deux points nous semblent devoir être soulignés : la position périphérique du château par rapport au bourg. La vraisemblance d’un développement du bourg en deux temps : le noyau, puis les excroissances le long des voies d’accès. À ces données topographiques on ne peut ajouter que de maigres compléments archéologiques.

La première question qui se pose comme pour tous les prieurés, est de savoir ce qu’était le site de Gabarret lors de la donation de Pierre Ier. Le lieu est qualifié de territorium, mais aucune allusion n’est faite à l’existence d’un castrum ou résidence fortifiée du vicomte. Il est certain, d’autre part, que l’église paroissiale Saint-Luperc se trouvait à quelque distance du lieu d’implantation du prieuré dont il n’y a pas de raison de penser qu’il ait été déplacé par la suite. L’acte de dotation de Pierre II Soriguers pose, on l’a vu, des problèmes de structure et de date, mais on peut y déceler au moins deux strates dans les faits rapportés. La première pourrait s’intituler “avant Gabarret”. Il y avait là sur l’emplacement du bourg futur (locus in quo burgus edificatus est) un groupe d’habitations dont les possesseurs furent indemnisés, car elles furent certainement détruites afin de permettre une organisation rationnelle de l’espace. Ces premiers habitants reçurent en échange (commutacione)sept emplacements dans le bourg et furent exemptés de ventes dans la ville – sans doute de taxes sur les transactions immobilières – et de participation aux travaux d’entretien de la clôture de la ville. D’autre part, non loin de cet emplacement se trouvait le lieu de Faurgas – un autre hameau – dont les habitants conservèrent, on l’a vu, le droit de posséder un four pour leur usage.

Seconde strate : le bourg de Gabarret. Ce bourg a été édifié, c’est-à-dire fondé. Ceux qui ont présidé à sa naissance lui ont donné un plan et découpé des lots à bâtir, probablement de taille identique sur lesquels fut assis un cens. La clôture fut manifestement prévue en même temps et dotée, bien sûr, de portes – dont celle de Malborguet. Gabarret devint ainsi une ville, la villa Gavaretti comme la nomme Pierre II : la clôture, le cens, les habitants sont ceux de la ville. Cependant le marché de Gabardina reste hors les murs, sans doute faute de place à l’intérieur. Si l’on confronte ces données à celles que nous a apportées l’examen du plan cadastral on est tenté d’identifier la ville du XIIe siècle avec ce que nous avons appelé “le noyau”. Le prieuré et la chapelle devaient y être inclus. Il est certain, en effet que la partie orientale du bourg a été sérieusement affectée par les destructions qui accompagnèrent les guerres de Religion : ainsi ne subsistait-il au début du XIXe siècle qu’un moignon d’église. Il s’agit du porche et du clocher qui abritait un portail roman à trois voussures en plein cintre, et qui fut détruit en 1852. Le bâtiment de plan rectangulaire situé au sud serait l’ancien réfectoire du prieuré aménagé en église paroissiale, utilisé jusqu’en 1856. Nous pensons, d’autre part, que l’expression “et inde de domo sua et de toto castro” que l’on trouve dans l’acte attribué à Pierre II, maison et castrum pour lesquels le vicomte, d’une part, les chevaliers de l’autre doivent verser un cens selon les coutumes de la ville désigne la résidence vicomtale et celles des chevaliers incluses probablement dans une seconde enceinte le castrum des milites castri situé à l’est du bourg et incluant probablement la motte. Le cas de Meilhan-sur-Garonne structuré en bourg des bourgeois et bourg des chevaliers pourrait étayer cette interprétation32. Deux questions se posent enfin : l’une concerne l’identité du fondateur, l’autre le rôle que le statut de sauveté a pu jouer dans le succès de la fondation et sa pérennité. En l’absence de repères chronologiques on ne peut qu’avancer des hypothèses. Nous pensons qu’au moment de la concession du monastère il existait dans la paroisse de Saint-Luperc, au lieu-dit Gabarret une résidence vicomtale. Y eut-il fondation simultanée du bourg et du prieuré ? Sinon, laquelle des deux fondations précéda l’autre ? Le fait que la dotation du prieuré soit, pour l’essentiel, constituée des revenus provenant du bourg nous incline à penser que la fondation du bourg fut contemporaine de celle du prieuré sinon antérieure. Nous estimons aussi que l’appel aux moines de La Sauve procède d’un choix politique de la part d’un vicomte qui a assisté personnellement aux débuts de l’abbaye. Au moment de l’arrivée des moines le bourg en est tout au plus à ses débuts et le vicomte Pierre II leur laisse encore escompter quelques années plus tard un accroissement des revenus lié à son développement (“augmenti longe lateque”).

Et la sauveté dans tout cela ? Il convient de rappeler qu’il n’en est question qu’une seule fois dans la documentation du XIIe siècle, mais que le souvenir n’en était pas encore perdu à l’époque moderne, chez les moines du moins. Le duc d’Aquitaine avait concédé la sauveté à ce lieu et à ses dépendances ; sans doute faut-il entendre par lieu, le monastère et le bourg. Quant à la sauveté c’est de la securitas dont il s’agit, telle qu’elle avait été définie en 1090 par Guillaume IX : le droit d’asile dans les termes et avec les restrictions qui y furent apportées pour les habitants du bourg, les chevaliers et leurs sergents, les marchands et les pèlerins ainsi que les miséreux. Mais on ignore si Guillaume IX a concédé la sauveté à la demande du vicomte ou à celle des moines ou des deux. En revanche, nous savons de quelle manière la justice était exercée dans le territoire de cette sauveté. Si le prieur détient une part des revenus de la justice, c’est le vicomte et lui seul qui est juge, à la différence de ce qui s’est produit à La Sauve où la justice est rendue au nom de l’abbé en vertu du privilège d’immunité (libertas). Néanmoins, on peut estimer que le statut de sauveté (securitas)a contribué au développement du bourg de Gabarret.

Perquie

La fondation du prieuré de Perquie, 25 km au sud-ouest de Gabarret, en Marsan, présente avec celle de la maison de Gabarret d’indiscutables similitudes, mais notre information est relativement réduite33 (fig. 3). En 1108, Loup Aner, vicomte de Marsan, et son épouse firent don à l’abbé Geoffroy, dans l’espoir que cela leur accorderait la vie éternelle, du monastère qu’ils avaient décidé d’établir dans le castrum de Perquie. On peut s’interroger sur la réalité du monastère qui devait en être au stade des pieuses intentions. Par la suite, il n’est jamais plus fait allusion à cet établissement ; aussi nous sommes-nous demandé en quel endroit du castrum les moines édifièrent leur prieuré. La réponse est d’autant plus difficile à donner qu’à notre connaissance ils ne reçurent aucun droit sur l’église de Perquie. La seule hypothèse que l’on puisse avancer est fondée sur la donation à l’abbé Geoffroy d’une terre “juxta castrum”que le vicomte lui montra : cette terre pouvait se trouver à côté de la résidence seigneuriale, comme ce fut le cas à Gabarret. En tout cas le vicomte était bien disposé à doter la communauté qui s’y établirait. Comme à Gabarret il s’agissait de parts de droits ainsi que de cens, mais la situation était bien différente. En effet, pour autant que le laisse deviner un document passablement concis et parfois obscur il s’agit, semble-t-il, de revenus assis en dehors de Perquie ou seulement potentiels. Ceux qui sont établis sur les taxes perçues sur le marché ne concernent pas celui de Perquie, mais celui de Maureillan quelque part sur la rive gauche du Midou, peut-être dans Saint-Cricq-de-Maureillan, mais il ne s’agit que du tiers du froment – c’est-à-dire, pensons-nous, des taxes sur le froment –, d’un poisson, du sel qui, jusque-là, était perçu par Raimond de Perquie, et, maigre consolation, de toutes les redevances en oignons. Le vicomte envisageait bien d’établir un mercatum novum et, dans ce cas, de concéder aux moines la moitié des revenus qu’il en tirerait, mais ce n’était qu’un projet. Il leur concédait, en revanche, les fours de Perquie. Comme à Gabarret il laissait aux moines la totalité du cens sur le sol des maisons ainsi que la moitié de tous les autres revenus du castrum ou burgum. S’il fallait des preuves de la médiocrité des ressources que les moines pouvaient immédiatement escompter du burgum de Perquie, nous les trouverions dans le complément de la dotation faite par Loup Aner : la possibilité pour les moines de construire autant de moulins qu’ils voudraient sur l’un des deux étangs proches de Perquie ; la donation de cinq rustici à Perquie ; celle d’un poisson, d’un autre à Flaron, peut-être sur les bords de l’Adour – mais s’agissait-il d’une redevance perçue sur un marché ? –, enfin d’un sol pour édifier une maison à Roquefort. La donation du prieuré de Perquie présente d’indiscutables ressemblances avec celle du monastère de Gabarret par Pierre Ier et sa dotation par Pierre II, mais l’entreprise est plus modeste et le texte laisse une impression d’incertitude.

Fig. 3. Le site de Perquie, d’après le plan cadastral du début du XIXe siècle.

La paroisse de Perquie qu’il ne faut pas confondre avec la commune actuelle s’étendait seulement sur 1000 ha environ sur la rive gauche du Midou, 2 km au sud-est de Villeneuve-de-Marsan. Contrairement à ce que certains ont avancé le site de Perquie n’est pas un camp retranché aménagé. Il s’agit en fait d’un éperon découpé par deux ravins orientés de l’est vers l’ouest où ils convergent : celui du nord parfaitement visible atteint à l’aval de 25 à 30 m de large et 10 m de profondeur. Côté est, un chemin délimite le site du côté du plateau. L’ensemble ainsi défini atteint 350 m de l’est à l’ouest pour 180 m au plus du nord au sud pour une superficie d’un peu plus de 5 ha. Au début du XIXe siècle le site était découpé en trois îlots par deux chemins ; l’un dans le sens de la longueur, de l’ouest à l’est, isolait la partie méridionale de l’enclos sur lequel a été élevé dans l’angle sud-est le château moderne de Ravignan ; la moitié septentrionale était partagée par un autre chemin perpendiculaire au précédent ; dans l’îlot du nord-est se trouvait l’église Notre-Dame et son cimetière. À l’extrémité occidentale s’élèvent encore deux mottes encadrant l’ancien chemin d’accès. À la différence de Gabarret, nous avons la certitude qu’au moment de la donation faite par le vicomte de Marsan il existait à Perquie un castrum à l’intérieur duquel le vicomte souhaitait implanter un prieuré. Il convient donc de voir dans ce castrum une enceinte, ce qui n’exclut pas la présence d’une résidence. Peut-on identifier ce castrum avec le site que nous venons de définir ? L’hypothèse est plausible mais bien des questions restent en suspens. Ainsi, il est pour l’instant impossible de savoir si, en 1108, le castrum avait déjà la forme que nous avons reconnue. S’il existait une résidence seigneuriale faut-il en rechercher l’emplacement à proximité des mottes encadrant l’entrée occidentale ou, au contraire, à l’opposé, là où se trouve aujourd’hui le château de Ravignan ? En quel endroit le prieuré fut-il implanté ? Fut-ce sur cette terre “juxta castrum” que le vicomte montra à l’abbé : selon que l’on entend par castrum, une surface close ou une résidence, le prieuré pouvait se trouver en dehors d’une enceinte ou à l’intérieur, non loin de la résidence. C’est, bien sûr, du côté de l’église que l’on est d’abord tenté de rechercher l’emplacement du prieuré, une église qui, assez curieusement, n’est jamais mentionnée dans les documents se rapportant à Perquie. L’édifice actuel au chevet constitué d’une abside en hémicycle flanquée de deux absidioles ne date, semble-t-il, que du XIXe siècle. Sa dédicace à Notre-Dame conviendrait à une église d’origine castrale, mais il est tout à fait possible qu’à l’occasion d’un transfert du chef-lieu de la paroisse infra castrum, il y ait eut aussi changement de dédicace. Comme pour Gabarret nous ignorons aussi si un bourg existait au moment de la concession à La Sauve ; cependant, la formule “castrum sive burgum jam dictum” renvoyant au “castrum”, et assimilant le bourg au castrum nous incline à penser qu’il existait bien alors à Perquie une enceinte entourant un bourg en gestation. La désertion du site ne permet pas cependant de retrouver sur le parcellaire du début du XIXe siècle la trace d’un lotissement caractéristique ; tout au plus l’existence de deux voies marquant les axes du site suggère un plan d’ensemble relativement ordonné. Il est tout à fait probable, en effet qu’au cours des XIIe et XIIIe siècles Perquie soit devenu un petit bourg. Sans être nombreux les indices sont en effet sans équivoque : en 1141 Perquie est le siège d’un synode des évêques gascons lors du conflit qui oppose le vicomte de Marsan à l’abbé de Saint-Sever à propos du bourg de Mont-de-Marsan34. Par la suite le castrum devint le siège de l’une des baillies du Marsan, mais les maigres informations que l’on possède sur ce castrum posent plus de problèmes qu’elles ne nous éclairent : ainsi, en 1274, Arnaud Seguin d’Estang reconnaît-il tenir du roi-duc tout ce qu’il possède à Perquie ainsi que la motte qui s’y trouve, sauf une salle qu’il tient franche35. Or, cinq ans plus tard, c’est à la vicomtesse de Marsan qu’Arnaud Seguin fait hommage pour une motte dans le détroit de Perquie36. Il ne pouvait s’agir que de deux mottes différentes, mais nous ignorons si elles étaient situées dans le castrum. En revanche, nous sommes assuré qu’à la même époque il existait un bourg : Aymeric de Ravignan, se dit bourgeois de Perquie mais il ne tient rien du roi dans la paroisse37. Dans tout cela en tout cas nulle trace du prieuré, bien attesté par ailleurs dans le premier tiers du XIVe siècle, mais dont nous ignorons le rôle qu’il a pu jouer dans le développement du bourg.

Mauvezin

La fondation des prieurés de Mauvezin et de Notre-Dame-du-Bourg à Langon présente des analogies avec les précédentes mais, cette fois-ci, l’implication des moines s’est faite par l’intermédiaire de nouvelles églises paroissiales qui vont servir de support à l’établissement du prieuré. Mauvezin est une paroisse située sur la rive droite de la Douze à 11 km au sud-ouest de Gabarret38. En 1132, les moines de La Sauve, probablement venus de Perquie, parvinrent à se faire donner par Arnaud Guillaume, sa mère Rama et son fils Gausbert – sans aucun doute les Mauvezin – l’église du lieu (1). L’évêque d’Aire Bonhomme ne pouvait que répondre favorablement à Perquie à la supplique de l’abbé Pierre et confirma la donation faite en présence du prieur du lieu, de celui de La Sauve et de son archidiacre. Les Mauvezin auraient agi pour le salut de leur âme, mais nous soupçonnons les moines de leur avoir fait espérer, en échange de la donation, la transformation de l’église de Mauvezin en église paroissiale. Le jour de la Saint-Jean l’évêque conféra en effet à l’église le droit de baptême, celui de cimetière et la possibilité aux habitants établis dans le castellum de Mauvezin de se faire baptiser ou ensevelir dans cette église désormais paroissiale (2). L’examen du plan cadastral du début du XIXe siècle révèle que Mauvezin est un bourg castral (fig. 4). On distingue parfaitement en bordure de la Douze une motte – encore assez bien conserve – et sa basse-cour (D 120/150 m). Celle-ci est traversée du sud au nord par deux voies convergeant en son centre, l’une permettant d’accéder à la motte au sud-ouest, l’autre au moulin et au gué sur la Douze au sud-est. Puis, le chemin se dirige vers le nord, sort de la basse-cour et dessert l’église. Or on distingue parfaitement sur le plan cadastral l’existence d’un second enclos (125 x 150 m) faisant en quelque sorte le pendant de la basse-cour castrale. Au début du XIXe siècle l’église est le seul bâtiment visible et l’on ne décèle pas la trace d’un parcellaire organisé ; en revanche les limites de l’enclos sont soulignées à l’ouest par deux parcelles en oseraies – bas-fond humide – prolongeant une parcelle identique à hauteur de la basse-cour ; à l’est, en arrière du chevet de l’église, on distingue encore aujourd’hui un profond fossé. L’église possède un chevet roman en bel appareil qui pourrait dater de la fin du XIIe siècle. Il s’agit sans nul doute de l’église prieurale. On pourrait donc se trouver en présence d’un bourg castral, associé à un bourg prieural comme à Langon, mais à une micro échelle. Le silence des sources écrites, l’état du site il y a deux siècles témoignent en tout cas de l’échec de la fondation.

Fig. 4. Le bourg de Mauvezin, d’après le plan cadastral du début du XIXe siècle.

Notre-Dame-du-Bourg à Langon

C’est à l’initiative de l’évêque de Bazas, Geoffroy Ier, ancien abbé de La Sauve (1122-1126), que fut fondé le prieuré de Sainte-Marie de Langon, l’année même où il accéda à l’épiscopat39. Le nouvel évêque dut convaincre Pierre de La Mote, probablement l’un des seigneurs de Langon, de céder à son ancienne abbaye le terrain qu’il détenait en alleu à proximité du bourg castral (3a). Puis, avec l’accord de son chapitre, il ordonna son successeur à l’abbaye Pierre Ier d’Amboise à y édifier une église dédiée à Sainte Marie avec l’eau bénite et tous les autres droits paroissiaux, baptême et cimetière, moyennant une redevance annuelle de 12 d. à la Saint-Jean (1). C’est Raimond d’Ax qui présida à la construction de l’édifice, rapidement achevé, puisqu’un don fait par le fils de Pierre de La Motte eut lieu en présence de l’abbé Pierre Ier et de Raimond d’Ax sur l’autel de Notre-Dame (3).

Au cours des trente années qui suivirent, sous l’abbatiat de Pierre Ier d’Amboise (1126-1148), et celui de son successeur Pierre II de Didonne (1148-1183), la maison de Langon ne reçut pas moins d’une douzaine de dons. À trois exceptions près – la villa de Cabuit (11) et la terre de Labarian et la nasse de Ferragut (13) –, l’identification des lieux ne pose pas de problème. Il s’agit, d’une part, de la paroisse de Langon : à proximité de l’église Notre-Dame (4), au Port (4), au sud de la paroisse, sur les rives du Brion, en deçà de la rivière à la terre d’Arganat (12), mais aussi sur la rive droite entre la rivière et la route de Roquetaillade (10), enfin non loin de Saint-Pierre-de-Mons à Cocoeques (4) ; de l’autre, de la paroisse de Saint-Pierre-de-Mons qui, dès cette époque, dépendait probablement déjà de la juridiction de Langon : aux Postes, au-delà de l’église Saint-Pierre (3) ainsi qu’entre cette église et la Garonne (5), mais aussi, au-delà de l’église Saint-Rémi (7), à côté du moulin de Repassac (3a) et à Bilota (3a). C’est aussi probablement dans l’une ou l’autre de ces paroisses que se trouvaient les padouens cédés aux moines (3). La possession la plus éloignée du prieuré se trouvait hors les murs de Bazas, à l’ouest de la cité, entre la porte et l’église de Saint-Vincent-de-Cabouzits, située en bordure de la route de Langon (9).

Le patrimoine du prieuré fut constitué de terres (sept mentions) de vignes (4 mentions) mais aussi de casals (2 mentions) (3,9) et d’un manse (8). Les casals étaient certainement des parcelles de terre puisque l’un d’entre eux correspond à une surface ensemensable comme une terre (3), tandis que sur l’autre pèse un cens de trois sous (9). Dans ce cas on connaît, en revanche, le tenancier du manse, ce qui laisse supposer qu’il s’agit d’un ensemble plus important. Mais casals, manse, terres et vignes sont localisés par rapport aux villas : celles de Mons, de Bidalag, de Cabuit dont une a donné son nom à une paroisse, tandis que les autres ont été reléguées au rang de simple lieu-dit. On notera que si les redevances tirées de ces biens étaient certainement en argent – un don porte d’ailleurs sur une redevance de 12 d. (14) –, une vigne était faite à moitié fruit (11b). Le reste du patrimoine ne représente que peu de choses : la dîme d’un moulin (3a), celle d’une terre (13), le quart d’une nasse (13), un droit d’usage sur des bois (3). Quant aux donateurs ce sont, selon toute vraisemblance, des alleutiers de la paroisse de Langon tels les La Mote, (3, 8, 12), les Brion (4, 14) ou les Castel (10) ou de celle de Saint-Pierre-de-Mons, tels les Mons (6, 7) ou des environs comme les Maselas (13) ou les Pinh (9). Le plus souvent, ils agissent en famille : le père et le fils (3), un couple et ses enfants (4, 6), des frères (5, 9, 10, 11, 13), des parents (10), plus rarement le donateur agit seul (11a). C’est pour le salut de leurs âmes (5), dans le cadre d’un legs testamentaire (11), mais assez souvent à l’article de la mort (4, 8, 10, 13) que ces Langonnais se séparent de leurs biens terrestres, en profitant parfois pour se faire moines (4, 9, 13) et, s’il s’agit le plus souvent de dons purs et simples, les moines ont à deux reprises utilisé le prêt sur gage – l’un de 150 sous – pour accroître leur patrimoine (12).

Bien que l’histoire des origines de Langon nous échappera certainement toujours, l’examen du plan levé par les Matis au début du XVIIIe siècle nous permet de reconstituer sans difficulté les étapes de son développement40. À la différence de Gabarret et de Perquie, Langon était en effet au début du XIIe siècle, sinon une petite ville, du moins un village autour d’un port. Cette fonction Langon l’exerçait depuis l’antiquité et la fondation de l’église Saint-Gervais, connue depuis le Ve siècle, témoigne de son importance. C’est légèrement en amont que fut édifiée une résidence fortifiée, probablement une motte surveillant le port. Un habitat se structura tout naturellement le long du chemin qui, venant de Bordeaux, passait le long de l’église et, contournant la résidence, aboutissait au Port. Un bourg naquit donc, probablement entouré d’une enceinte dès le début du XIIe siècle. C’est à quelque distance de là, en bordure du chemin se dirigeant vers Bazas et les petites Landes que fut édifié dans les années qui suivirent immédiatement la donation (1126), le prieuré de La Sauve qui s’identifia d’emblée avec une nouvelle église paroissiale, celle de Sainte-Marie, à moins de 200 m de celle de Saint-Gervais. Cette fondation fut sans doute motivée par le désir des moines de La Sauve de s’implanter en un lieu qui commandait depuis un port les routes vers Toulouse, Bordeaux et les Landes mais aussi la Gascogne et sa métropole d’Auch. Mais il faut voir aussi dans cette initiative monastique la volonté de tirer parti de l’accroissement démographique escompté et peut-être déjà sensible de la petite agglomération. Car un nouveau bourg se développa entre l’église Sainte-Marie devenue Notre-Dame-du-Bourg et le bourg du château. De plan triangulaire il présente une structure rayonnante depuis la porte de l’Horloge qui le sépare de celui du château ; il s’ordonne le long de quatre rues qui délimitent cinq îlots, trois rectangulaires et deux triangulaires, l’église Notre-Dame étant rejetée à la périphérie, en bordure de l’enceinte du bourg. Il n’est pas sûr que l’église et le prieuré aient contribué à fixer l’habitat, telle n’était d’ailleurs pas leur mission ; encore moins ont-ils contribué à le structurer. On notera que le choix du lieu d’implantation fut déterminé sans doute en fonction d’opportunités qui nous échappent, mais on peut se demander aussi si les moines n’avaient pas espéré un développement de la ville plus grand que celui qui se produisit.

Au début du XVIIIe siècle on comptait 180 lots dans le bourg Notre-Dame pour 189 dans celui du Château, situation qui remonte probablement au début du XIVe siècle lorsque s’arrêta la croissance de la ville, laquelle s’était d’ailleurs dotée à cette époque de faubourgs. À la différence de Gabarret ou de Perquie les moines de La Sauve ne prélevèrent, semble-t-il, jamais le moindre droit sur le castrum ou le bourg ; tout au plus reçurent-ils des dons de nature foncière qui s’ajoutèrent aux revenus ecclésiaux dont on ignore d’ailleurs la nature exacte. La qualité de l’architecture et celle du décor sculpté de l’église Notre-Dame témoignent de la richesse du prieuré dans les décennies qui suivirent sa fondation, car la suite de son histoire nous échappe. Langon constitue un bon exemple de prieuré établi à proximité d’un bourg castral déjà constitué, mais à partir d’une initiative monastique.

Bougue

À ce premier groupe de fondations, liées d’une manière ou d’une autre à la présence d’un bourg castral, s’opposent les fondations proprement rurales : deux d’entre elles furent établies à partir de la donation d’une église et de droits ecclésiastiques. Il s’agit tout d’abord de celle de Bougue dans le diocèse d’Aire, dédiée à saint Candice, dont le territoire paroissial s’étendait sur 2000 ha environ de part et d’autre du Midou, en aval de Villeneuve-de-Marsan. En 1116, le 2 juin, à Bordeaux, le duc d’Aquitaine Guillaume IX fit don à Geoffroy Ier, 4e abbé de La Sauve (1107-1119) de ce qu’il possédait dans l’église de Bougue, de tout ce qui en dépendait et qui lui appartenait tant à l’intérieur qu’à l’extérieur : “jus comitale, salvitatem, quoscumque redditus et omnem meam dominationem41. On ignore tout des circonstances dans lesquelles eut lieu ce don. Tout au plus peut-on supposer que ce fut à la suite de la demande faite par les moines de La Sauve, alors établis à Perquie depuis huit ans et forcément au courant des opportunités qui pouvaient se présenter dans les environs, Bougue n’étant qu’à 10 km de Perquie. On peut s’interroger sur les raisons qui poussèrent les moines à s’adresser au duc d’Aquitaine car, comme l’a montré la suite des événements, l’église de Bougue était alors “par droit héréditaire” dans les mains de quatre familles. Y aurait-il eu usurpation par leurs ancêtres au détriment de droits ayant appartenu aux prédécesseurs de Guillaume IX, ce qui pourrait justifier l’intervention ducale ? Forts de la donation qui leur en avait été faite par le duc les moines tentèrent de se faire remettre l’église et les droits qui y étaient rattachés, mais ils n’y réussirent que très partiellement puisque dans un premier temps ils n’obtinrent, semble-t-il, de ceux qui sont qualifiés de “tenanciers” de l’église que les terres du sanctuaire. Il leur fallut attendre dix-neuf années et l’intervention de l’évêque d’Aire pour entrer enfin en possession de l’église. Nous ignorons ce qui s’était passé entre temps et pour quelle raison ce ne fut qu’en 1135 que les événements se précipitèrent. L’évêque Bonhomme, sollicité à la fois par le duc Guillaume X et par le vicomte de Marsan et comte de Bigorre, Pierre auprès desquels les moines avaient dû intervenir, fit donc donation solennelle à l’abbé Pierre Ier de l’église sur laquelle il n’avait en fait d’autre droit que ceux afférents à ses fonctions épiscopales, en rappelant la demande qui lui en avait été faite par le duc d’Aquitaine dont le père, pour le salut de son âme, avait donné à La Sauve tout ce qu’il avait dans cette église de droits de nature comtale42. Quant au vicomte de Marsan et aux autres barons du Marsan ils avaient souligné que cette église était célèbre par les reliques des saints qui y étaient conservées et la fréquence des offices divins qui y étaient célébrés. Il restait alors à l’abbé Pierre d’obtenir des “tenanciers” la renonciation à leurs droits en présence du vicomte et de ses barons : le premier et le plus important des tenanciers, Bernard Bougue, ne se fit, semble-t-il, pas trop prier ; en revanche, le second, Bernard de Lamenère qui avait refusé dans un premier temps finit par céder à la “prière” du vicomte et de son entourage. L’abbé Pierre vint alors à Bougue en compagnie de Bernard de Bougue qui le mit en possession de l’église devant l’autel de saint Pierre. L’abbé de La Sauve reçut du tenancier les clefs de l’église, les ornements ainsi que les clefs des reliquaires, en présence des deux prêtres de l’église. Puis, deux autres tenanciers qui avaient encore des droits y renoncèrent à leur tour43[43]. Après quoi, tous les tenanciers confirmèrent la restitution des terres du sanctuaire déjà faite à l’abbé Geoffroy et accordèrent aux moines le droit d’établir un moulin là où ils le voudraient, à condition que cela ne nuise pas à ceux qui existaient déjà44.

Fig. 5. Le bourg de Bougue d’après le plan cadastral du début du XIXe siècle.

Au début du XIXe siècle Bougue n’était qu’un bien modeste village situé sur la rive gauche du Ludon (fig. 5). Le cœur en était constitué par un îlot de forme triangulaire de 100 m de côté dont la pointe, tournée vers le sud, était occupée par l’église et le cimetière. Sur le côté sud-ouest, ainsi qu’à hauteur de la pointe sud le chemin qui faisait le tour de cet îlot était bordé par une douzaine de maisons. En revanche – l’église mise à part –, l’îlot central n’était occupé que par deux bâtiments ; le côté nord était bordé par le chemin allant de Mont-de-Marsan à Villeneuve ; à la pointe orientale le carrefour marqué par une croix était entouré de quelques maisons. En revanche, la boucle du Ludon, à l’est du bourg, un croissant de prairies à l’ouest et au sud dessinent un ensemble de forme ovale de 300 m de l’est à l’ouest et de 150 m du nord au sud ; il y a là l’esquisse d’une petite agglomération appuyée au pont sur le Ludon et structurée par un réseau de chemins.

L’église a été démolie en presque totalité en 1854 ; il n’en reste que le clocher de plan carré, naguère situé au sud du chevet et devenu aujourd’hui le porche d’une église orientée vers le nord. Le bâtiment situé à l’ouest – aujourd’hui la mairie – remonte, selon toute vraisemblance, à la fin du Moyen Âge. Il pourrait bien s’agir de l’ancien prieuré. On connaît la nature des droits cédés par les anciens “tenanciers” à l’abbaye : droit de patronage, dîmes, biens fonciers aussi – terrae sanctuarii – et la possibilité d’établir un moulin. Comme il l’avait fait pour La Sauve, Guillaume IX avait pour sa part concédé aussi bien le jus comitale – la libertas – que la sauveté ou securitas. On était en Marsan, une vicomté dans laquelle le droit de justice appartenait au duc qui en déléguait l’exercice à des viguiers dont le vicomte de Marsan. Bien que nous ignorions la géographie des mouvances en ce début du XIIe siècle, on peut tenir pour probable, comme l’attestent les hommages de 1274, les seuls connus, que Bougue se trouvait dans la directe du duc d’Aquitaine. Nous nous trouverions donc dans un cas de figure proche de celui de La Sauve avec néanmoins une différence, c’est qu’il n’est pas fait état ici d’un territoire sur lequel se serait exercée l’immunité et il n’est jamais question par la suite de droits de justice exercés par les moines.

D’autre part, si les documents de la fin du XVe siècle et les suivants font bien état de rentes foncières dans la paroisse, certaines assises sur des bories, jamais il n’est question de redevances perçues par exemple sur des sols entourant l’église – sauf un jardin. La dispersion et la parcellisation de ce patrimoine foncier font, d’autre part, songer à des dons de particuliers, échelonnés dans le temps45. Plus remarquable encore, à la différence de Gabarret dont les prieurs de l’époque moderne ont conservé en mémoire l’époque à laquelle le prieuré percevait des rentes sur le bourg, pas la moindre allusion n’est faite à des cens dont la maison de Bougue aurait été dépouillée. Enfin, ce que l’on sait pour l’instant de l’histoire de la paroisse s’accorde mal avec l’existence d’une sauveté tant soit peu étendue, en particulier, pour s’en tenir à la rive gauche du Ludon, la présence au sud-est et au sud-ouest de l’église de deux ensembles résidentiels seigneuriaux avec motte et basse-cour. On est néanmoins tenté de voir dans l’esquisse d’une couronne de maisons entourant l’îlot central s’étendant jusqu’au Ludon, la descendance d’un noyau de peuplement plus vaste subordonné à l’église, et peut-être borné par des croix. Mais le silence des textes ne permet pas d’aller au-delà d’une hypothèse et, s’il y eut une sauveté-peuplement, celle-ci a finalement échoué.

Gel

La fondation du prieuré de Gel posa bien moins de problèmes que celle de la maison de Bougue. Gel ou Geou était une paroisse du Marsan située aux confins orientaux de la vicomté, sur la rive gauche du Midou qui longeait sur l’autre rive la vicomté de Julia46 47. L’église de Geou est à moins de 3 km de celle de Mauvezin donnée à La Sauve en 1132. Sans évoquer les raisons qui avaient pu motiver sa décision, le 28 mai 1138, l’évêque d’Aire, Bonhomme fit don à La Sauve de l’église Saint-Pierre de Gel, réservant, comme à l’accoutumée, les droits de son église48. On peut présumer que le don portait sur le patronage et le casuel peut-être aussi des parts de dîmes encore perçues à l’époque moderne. Apparemment, aucun autre don ne vint compléter le maigre patrimoine de ce prieuré.

Lucader

C’est à la suite de la donation à l’abbaye de l’église Saint-Martin de Lucader, de ses dîmes et oblations que fut fondé le prieuré de ce nom, aujourd’hui identifié avec un lieu-dit de la paroisse de Losse en Gabardan49[49]. L’archevêque d’Auch, Guillaume III (1148-1170) ayant, à la requête de l’abbé Pierre II, confirmé la possession de cette église à l’abbaye de La Sauve, il est probable que la donation en avait été faite par un de ses prédécesseurs (2)50. En tous cas, Lucader était bien un prieuré, comme en témoigne l’acquisition par son prieur Pierre de la moitié de la dîme de Losse, cédée par Pierre del Grezet pour le salut de son âme et moyennant 100 s. de charité (1). On ignore la date de cet achat car les éléments de datation qui figurent dans l’acte ne sont pas exploitables. La vie de cette maison fut éphémère. Si elle figure encore comme telle dans la bulle de confirmation de Célestin III de 119751, l’archevêque Guillaume III ne fait aucune allusion au prieuré dans sa charte de confirmation. D’autre part, en 1197, c’est au prieuré de Gabarret et non à celui de Lucader que l’archevêque d’Auch, Bernard III, fit don de l’église de Losse et du quart de la dîme qui lui appartenait52. On comprendrait mal, si Lucader avait encore été un prieuré, qu’il n’ait pas directement bénéficié de la générosité de l’archevêque.

Niac

Le prieuré de Niac dont on connaît bien aujourd’hui le lieu d’implantation, fut fondé sur le territoire de la paroisse de Cazats, dans le diocèse de Bazas53. L’église de cette paroisse de 750 ha sur les coteaux de rive gauche du Beuve se trouve à moins de 4 km au nord de la cathédrale. C’est probablement à l’initiative de Guillaume Ier, évêque de Bazas que l’on doit la fondation du prieuré. Guillaume reçut, en effet, au nom de l’abbaye, la donation faite par Raymond Furt de Lados, son frère Guillaume Helie, leurs épouses et leurs fils, à Niac du lieu de Font Martin sur lequel devait être construit un oratoire (1). La dotation du futur prieuré se fit en peu de temps, sous l’abbatiat de Pierre II, huitième abbé de 1155 à 1183 et le début de celui de son successeur Raimond (1184-1192). On connaît le nom de l’un de ses prieurs après 1182 (4). Les biens que reçut le prieuré sont en majorité contigus à la maison ou à faible distance. La donation faite par la famille de Lados comprenait des terres labourables, une autre destinée à recevoir de la vigne, un bois ainsi qu’un droit d’usage sur les terres et bois des donateurs – bois mort et glandée (1). À cela s’ajoutèrent quatre prairies, l’une proche de la maison (2), les trois autres contiguës (3, 5a, d), des terres : 4 concades attenantes aux terres de Font Martin (4a, b) et deux autres, ainsi qu’un bois au Pradat et Senza Forta (5a), au voisinage de l’église de Brouqueyran, à 3 km du prieuré ; enfin, le droit d’utiliser l’eau d’un ruisseau pour y aménager un moulin (2). L’évêque y avait ajouté sa part de dîme sur Font Martin (1). Il s’agissait donc d’un ensemble cohérent mais modeste, constitué au profit du prieuré par un groupe de donateurs ayant entre eux des liens de parenté ou de fidélité. Les fils de R. Furt, Arnaud Bernard et Raimond complétèrent le don de leur père (4). Amanieu VI d’Albret intervint à deux reprises pour renoncer à ses droits sur Font Martin et permettre ensuite aux moines de se doter d’un moulin (1, 2). Les autres donateurs appartiennent à des familles de gros alleutiers : les Mames de Saint-Michel-de-Castelnau (3), les Luganac de Bazas (5). C’est le plus souvent sans contrepartie qu’ils font les donations. On notera, cependant, que les Lados sont préoccupés du salut de leurs âmes et que les Luganac se font accorder une charité. En se fondant sur l’identité des donateurs C. Guérinon avait tenté de retrouver le prieuré de Niac et son attention avait été attirée par un certain nombre de lieux-dits dont la présence sur un espace relativement réduit ne pouvait être fortuite : il s’agit de ceux de la Mongie situé sur un éperon qui occupe la partie orientale de la commune de Cazats, entre les ruisseaux de la Grézère au nord et de Carpouleyre au sud ; du moulin de Niac sur le ruisseau de Carpouleyre – qu’elle appelle de Niac ; du lieu dit Prieu et d’un bois de la Charité. On peut considérer que le prieuré se trouvait au hameau de la Mongie, mais il n’en reste aucun vestige ni même le moindre souvenir. Le moulin de Niac n’est plus qu’une ruine. On notera aussi l’existence à mi-chemin de la Mongie et du Moulin d’un vivier aujourd’hui asséché (Le Pesquey) et, à l’entrée du hameau, celle d’une fontaine. Ne serait-ce pas celle de Font-Martin ?

Lagardère

C’est relativement tôt – sous l’abbatiat de saint Gérard – que La Sauve commença à s’implanter dans une des parties les plus reculées du diocèse de Bazas, dans un secteur éloigné des principales voies de communication, la zone d’interfluve et les hautes vallées de deux petites rivières, le Lisos, affluent de la Garonne et le Sérac affluent de rive gauche de l’Avance. On se trouve là dans une région au modelé fortement accusé par des vallées profondes, de moins en moins larges vers l’amont. L’implantation se fit à partir des églises de La Barde et La Couture, peut-être de celle de Lagardère et en lieu connu sous le nom de La Sauveté dont la localisation a longtemps posé des problèmes, en voie cependant d’être résolus (fig. 6, 7).

On ignore les motifs qui poussèrent, tout d’abord, un homme qualifié de noble Raimond Guillaume de Mazerolles à tourner ses regards vers l’abbaye de La Sauve lorsque, atteint par l’âge, il souhaita mettre fin à une vie trop engagée dans le siècle et à se vouer enfin à la prière54. Raimond Guillaume était originaire de la paroisse de Mazerolles, dont les ruines de l’église se trouvent aujourd’hui dans la commune de Romestaing, dominant le vallon du Sérac. Lorsqu’il se rendit à La Sauve pour y recevoir de l’abbé Gérard l’habit monastique il avait auparavant réglé sa succession et fait don à l’abbaye du tiers de la dîme qui lui appartenait dans l’église de Saint-Barthélemy qu’il avait fondée à côté de son château de La Barde (castellum Bardam). II fit aussi don de l’un de ses rustici avec sa tenure (tenancia)et les droits qui pesaient sur elle : un porc, deux conques de froment et un muid de vin dont la moitié pouvait être, un an sur deux, remplacée par du grain (triticum). II y ajouta la moitié d’une vigne ainsi que les vaisseaux vinaires nécessaires, une coupe et un carral (1).

Fig. 6. La Sauvetat de Lagardère. Extrait de la carte de Belleyme, n° 41.

La vie de moine n’ayant pas dû le satisfaire il revint dans sa petite patrie et se retira dans une villa dite de Cramaillac, non identifiée : c’est là qu’avant de mourir il confirma à un moine qui l’avait accompagné la donation précédente et la fit confirmer aussi par son neveu Robert de Loubens. Il y avait autour de lui plus de soixante-dix chevaliers parmi lesquels Thibaud de Meilhan, un autre de ses neveux, qui approuva lui aussi la donation. Mais plus tard, lors d’un passage à Casteljaloux, Thibaud renonça dans les mains de Geoffroy, prieur de La Sauve, à tous les droits auxquels il pouvait prétendre sur l’église de La Barde, à savoir le tiers (1, 2). L’église de Saint-Barthélemy de La Barde (Barta)figure parmi les possessions de l’abbaye dans le diocèse de Bazas dont La Sauve reçut confirmation en 1115 de l’évêque Bertrand de Baslade, mais elle n’est pas qualifiée de prieuré55. Si l’église n’a pas été trouvée, on est à peu près assuré aujourd’hui que la maison forte de La Barde se trouvait dans la partie occidentale de la commune de Romestaing56. Or au moment du décès de Raimond Guillaume de Mazerolles ou peu de temps après, les moines de La Sauve recevaient deux donations dans un rayon de moins de 4 km de La Barde : à l’ouest, l’église de Saint-Pierre de Laroque57 qui figure parmi les possessions de l’abbaye dans le diocèse de Bazas en 1115, au sud, le territoire sur lequel les moines allaient fonder la sauveté de Lagardère, peut-être à proximité d’une église de ce nom58.

Fig. 7. La Sauvetat de Lagardère. Situation d’après la carte IGN au 1.25000e. 1639 Est – 1739 Ouest.

De tous les prieurés que nous avons retenus dans le cadre de cette étude, celui de Lagardère est à bien des égards celui qui nous a posé le plus de problèmes, à commencer par l’identification du lieu de son implantation59. C’est probablement dans le courant des années 1100-1110 que quatre frères Arnaud, Raimond, Augier et Guillaume de Lagardère firent don aux moines de La Sauve d’une terre qui prit le nom de La Sauveté (terra de Salvitate) (1). Par la suite l’un des trois frères, Arnaud, contesta cette donation ; il s’ensuivit une nouvelle délimitation du territoire cédé aux moines qui fut faite en présence des quatre fils d’Arnaud, du prieur de La Sauve, Simon, de Pierre de Laclota, Raimond Macip, Amauvin et de nombreux habitants de la sauveté (habitatores ipsius salvitatis)(1). Cette délimitation fut aussi confirmée par un certain Raimond Guillaume auquel le prieur de La Sauve rendit visite alors qu’il était souffrant : il s’agit probablement d’un autre membre de la famille de Lagardère.

Quelques années passèrent. Arnaud, probablement âgé, se fit moine dans la sauveté et son épouse prit le voile qu’elle reçut de l’abbé Pierre. Peut-être est-ce à cette occasion qu’en présence de l’abbé, les fils d’Arnaud, accompagnés d’une nombreuse parentèle, confirmèrent les délimitations et les donations précédentes et y ajoutèrent deux concades de terre à côté de celle des moines, en présence aussi du prieur de La Sauve, Pierre de Didonne ainsi que de P. de Laclota.

On aurait pu croire que les différends entre les moines et la famille Lagardère étaient terminés. Il n’en était rien. En effet, à la suite du décès de Raimond, l’un des donateurs, il semble bien que ses fils, comme l’avaient fait précédemment ceux d’Arnaud, remirent en cause certains aspects de la donation initiale. L’abbé Pierre Ier envoya alors sur les lieux l’évêque de Bazas, Geoffroy, ancien abbé de La Sauve. Celui-ci se rendit à la sauveté le 25 août 1130 accompagné du prieur de l’abbaye Pierre et de ses trois archidiacres (3). Il obtint des fils de Raimond, Raimond et Amauvin, confirmation des dons faits par leur père et leurs oncles dont un, Raimond de Labatut, apparaît alors pour la première fois. Deux autres parents Arnaud et Augier confirmèrent la donation. L’un des points du litige portrait, comme cela avait été le cas lors du différend qui avait opposé naguère les moines à Arnaud, sur les limites de la sauveté, mais les indications topographiques rapportées par l’auteur de la notice sont difficiles à interpréter. En revanche, Raimond et Amauvin renoncèrent à leur part de dîmes et prémices puis à la justice selon des modalités précises mais tout à fait avantageuses pour le prieur devant lequel ils promettaient de comparaître en cas d’injure faite aux moines, le prieur devenant d’autre part juge des personnes résidant dans la sauveté. Enfin le prieur s’engageait à reconnaître aux deux frères la qualité de bourgeois de la sauveté et, après leur mort, à les associer aux prières de la communauté (3). Notons, enfin que c’est à l’initiative du prieur Geoffroy que Guillaume et son fils firent don de l’église de Sillas, distante de la sauveté de 5 km environ, ainsi que de la terre qu’ils possédaient entre cette église et le ruisseau du Bartos (2). Lagardère est sans conteste une sauveté-peuplement. Que la paroisse Notre-Dame ait été fondée avant l’arrivée des moines ou qu’elle ait créée par eux ne change en rien le caractère de la fondation : celle-ci a suscité pour le moins une restructuration de l’habitat et du terroir à la suite de l’arrivée de nouveaux habitants. Ainsi que l’atteste, d’autre part, la reconnaissance des droits de justice et, plus tard, l’existence d’une juridiction de la sauveté60, Lagardère a bénéficié à la fois de l’immunité et de la securitas ; il n’est pourtant jamais fait illusion à la concession de l’immunité par le duc d’Aquitaine. Faudrait-il alors voir dans cette sauveté une illustration de la concession faite par Guillaume VIII aux moines de La Sauve pour l’ensemble de leurs possessions dans le duché ?L’hypothèse est à prendre en considération car les Lagardère ne jouissaient manifestement que d’un droit de basse justice.

Les difficultés que l’on rencontre encore aujourd’hui pour identifier avec précision le lieu d’implantation de la sauveté de Lagardère témoignent indirectement de l’échec de cette fondation. Néanmoins, on peut tenir pour à peu près certain que cette sauveté fut établie à proximité du lieu-dit Jean Brun dans la commune de Ruffiac, à la limite de la Gironde et du Lot-et-Garonne, mais dans ce département. La sauveté n’est jamais désignée que par l’expression terra de salvitate (1) ou salvitas (2) et le prieur est toujours celui de la sauveté, mais dans le cartulaire on trouve la rubrique De salvitate de Lagardera.

De plus, l’église desservant le nouveau peuplement était connue en 1115 comme celle de Sainte-Marie de Lagardère. De cette église et de la paroisse en qui dépendait comme d’ailleurs de plusieurs autres de la vallée du Lisos et de ses approches attestées aux XIIe et XIIIe siècles, il ne reste même plus le souvenir. Mais en se fondant sur les noms des témoins consignés dans les notices du cartulaire plusieurs chercheurs ont situé la sauveté de Lagardère aux environs de Cours61. Ces témoins appartiennent en effet aux familles de Flaujac – paroisse sur laquelle fut implanté le bourg de Grignols – et du Mazerol, ancienne paroisse. Mais c’est bien sûr le toponyme de Lagardère qui a tout d’abord retenu l’attention. Il existe en effet, un lieu-dit Lagardère dans la commune actuelle de Cours porté sur la carte de Belleyme et le cadastre ancien, à 500 m au nord-est de l’église de Cours. Ce nom était celui d’une ferme, disparue depuis, située en bordure du chemin allant de l’église à Romestaing sur la pente descendant jusqu’au Lisos. Il y existait aussi, en aval sur ce ruisseau, un moulin de Lagardère. La proximité de la commanderie templière implantée une cinquantaine d’années plus tard à 500 m au nord-est ainsi que la topographie des lieux excluent d’emblée cette première hypothèse de localisation de la sauveté.

En revanche, le lieu-dit de La Salvetat, porté par Belleyme dans la paroisse de Cours, correspondant aujourd’hui à celui de Jean Brun dans la commune de Ruffiac a toutes les chances d’être le lieu d’implantation de la sauveté du XIIe siècle. On se trouve là à 2,5 km à l’est de l’église de Cours, sur le rebord d’un promontoire, orienté vers l’ouest, en direction du ruisseau du Trône, affluent de rive droite du Lisos, et découpé au nord et au sud par deux petits ruisseaux, disons plutôt des combes orientées vers ce ruisseau (voir fig. 6, 7).

Nous avons par ailleurs recensé cinq documents appartenant au fonds de la commanderie de Cours dans lesquels une “saubetat” apparaît en confronts, mais tous ne se rapportent pas au même lieu-dit. Trois d’entre eux concernent en effet un lieu situé sur la rive droite du Lisos dans la paroisse Saint-Pierre de Laroque – aujourd’hui disparue –, mais figurant sur la carte de Belleyme : ainsi, en 1287, le bois d’Auzac, paroisse d’Auzac, confronte-t-il au bois de “la Sauvetat de la maison de Cours” ; en 1286, ce sont deux autres bois, situés cette fois paroisse de Laroque, qui sont contigus à l’affar de la Saubetat ; en 1307, le bois de Marnes, paroisse de Laroque, confronte à celui d’Auzac et, sur deux côtés, à la terre et au ruisseau de la Sauvetat62. Il est donc probable que les Templiers tentèrent d’établir une sauveté à moins de 5 km au nord de celle des moines de La Sauve, à la limite des paroisses d’Auzac et de Laroque. Deux autres documents font état d’une sauveté, située cette fois à l’est de Cours, toujours sur la rive droite du Lisos : ainsi, en 1325, une terre, paroisse de Figuès, confronter elle à un affar mouvant de la Saubetat63, d’autre part, en 1350, un vaste vacant constitué de landes, bois et taillis située paroisse de Cours au lieu-dit Doat Gassies et mouvant de l’Hôpital est ainsi confronté : entre la pierre dite Al Tastar située entre les paroisses de Ruffiac et Antagnac et, de là, en descendant vers la Fossa Lobeira (une combe) puis, en descendant vers la segue de Fabrica et la “paroisse de la Sauveté” (parochia de Salvitate) jusqu’au ruisseau du Toron (du Trône) puis, le long de ce ruisseau, jusqu’au moulin du noble homme Amanieu de la Mote, damoiseau, puis, le long du Lisos, jusqu’au moulin neuf et jusqu’au gué du Peyrei, enfin, en remontant jusqu’à ladite Pierre du Castanh (celle citée en premier). Il ne fait aucun doute que le bois de Doat Gassies correspond au secteur boisé entourant la clairière actuelle dite de la Rochelle. La limite méridionale de la paroisse de la Sauveté serait donc constituée par le vallon qui sépare aujourd’hui les communes de Ruffiac et de Cours, le ruisseau du Trône servant de limite occidentale.64

Cette hypothèse est confortée par plusieurs indications fournies par l’arpentement de Cours de 1761 : ainsi la forêt de Cours et sa métairie appartenant alors à l’ordre de Malte – sans doute aujourd’hui le lieu dit Bois Carré –, confrontent-ils au levant aux limites d’Esquerdes, seigneurie de la Saubetat, au midi, au ruisseau du Turon (Trône) qui “sépare Cours d’avec la Sauvetat”, au nord, aux limites de la Couture65. Ainsi la sauveté devait elle correspondre à une quadrilatère de 1 km de côté, occupant le versant de rive gauche du ruisseau du Trône et contigu au nord-ouest et au sud à la paroisse de Cours, à l’est à celle de Ruffiac et au nord à celle de Figuès (fig. 6, 7).

De nos jours, il n’existe sur l’emplacement présumé de la sauveté qu’une ancienne ferme avec des bâtiments d’exploitation, entourés de champs, constituant une clairière au milieu d’un bois de feuillus. On ne saurait douter néanmoins de l’existence au XIIe siècle d’un peuplement en cet endroit : la remise en question de la donation par les membres de la famille de Lagardère, la présence de nombreux habitants de la sauveté (multi alii habitatores salvitatis)lors de la visitedu prieur de La Sauve, le déplacement de l’évêque de Bazas et de ses archidiacres en 1130 en sont autant de témoignages.

La destinée des prieurés depuis la fin du Moyen Âge

En 1307, Clément V avait uni à la mense abbatiale les prieurés de Bougue et de Perquie66attestés par ailleurs par un pouillé du diocèse d’Aire du premier quart du XIVe siècle67. Mais il y a tout lieu de penser que ceux de Geou et de Mauvezin étaient devenus à cette date des dépendances de Gabarret, comme cela avait été précédemment le cas pour celui de Lucader. Au cours du XIVe et du XVe siècle on assiste à une dégradation du temporel de l’abbaye résultant pour une part d’une mauvaise gestion déjà perceptible dès le XIIIe siècle et qui va s’accentuant à l’occasion des guerres et des épidémies. Si les populations furent touchées et par voie de conséquence les bourgs qui avaient pu s’établir à Bougue, à Perquie, à Mauvezin ou à Lagardère, l’abbaye dut faire face aux contestations des tenanciers et aux usurpations de toute sorte. Il en résulta une nouvelle diminution du nombre des prieurés : à la fin du XVe siècle Perquie est rattaché à Bougue de même que l’hôpital de Canenx et La Sauve ne possédera désormais que deux prieurés en pays landais Gabarret et Bougue, et deux autres en Bazadais ceux de Notre-Dame-du-Bourg à Langon dont dépend Niac et de Lagardère. Mais nous ne disposons de quelques informations que pour les prieurés landais68.

En 1474, l’abbé Benoît de Guiton (1463-1485) décidé, semble-t-il, à remettre de l’ordre dans le temporel de sa maison obtint du juge du Marsan un mandement en faveur d’un notaire de Roquefort le chargeant de procéder à la confection d’un nouveau terrier pour Bougue et ses dépendances, selon un procédé bien connu au lendemain d’une crise grave : l’enquête orale69. On constate que les rentes foncières perçues par l’abbé étaient alors assises sur des biens situés dans les paroisses de Bougue, Canenx, Saint-Martin-de-Noët et Perquie. À Bougue, trois bories ainsi que des parts de quatre autres, dix lots de terre, d’autres associés à des vignes, des “arribères” et des “lanes”, l’une portant même un “hostau”, une barthe, enfin un jardin (casau)proche de l’église. À Canenx : deux terres et bories, ainsi que onze lots de terre d’une ou deux parcelles – l’une dite de l’Espitau, une autre de l’hôpital de Sengues ou Seugues dans la paroisse de Réaup ; à Perquie, quatre bories ainsi que des terres avec barre ou vigne ; enfin, à Saint-Martin-de-Noët : deux terres et une vigne. Tout cela ne rapportant que 4 l. 13 s. 3 d. au prieur.

Au début du XVIe siècle la situation avait quelque peu évolué70. Si les recettes de Bougue et de Canenx sont quasiment identiques, à Canenx les bories sont maintenant au nombre de douze. Il n’est plus question de rentes perçues à Perquie, mais de nouvelles le sont à Arthez portant uniquement sur des parcelles de vigne. De tous ces biens le prieur de Bougue ne recueille que 8 l. 5 s. et 6 d.

La situation n’était guère plus brillante s’agissant des dîmes. À Bougue elles étaient au début du XVIIe siècle partagées entre le curé, l’évêque d’Aire, trois prébendiers et l’abbé de La Sauve – deux quartiers étant exclus : celui du commandeur de Malte et celui du grangier de Pietat71. À l’occasion d’un conflit qui opposa vers 1662-1667 l’abbé aux habitants de Bougue nous apprenons qu’au terme d’un accord conclu en 1340 les habitants se seraient engagés à payer au prieur 12 gerbes de froment, autant de seigle et un carton de mil – probablement par exploitation – contre une messe de Requiem le lundi pour les âmes des “habitants du prieuré”72, mais vers 1660 cet accord n’était plus observé car il n’est alors question que d’une redevance de 12 gerbes de seigle par bouvier et six par brassier que les paroissiens refusaient d’ailleurs de verser. Une fois prélevée la part du curé, l’abbé prenait une gerbe sur huit et le huitième du vin73. Il percevait aussi des dîmes à Gaussies (1/5) et à Gossias (1/2) ainsi que sur un quartier de Villeneuve-de-Marsan74. À Perquie, au début du XIVe siècle, le prieur versait à l’évêque d’Aire 30 sous pour les dîmes qu’il prélevait dans la paroisse75. En 1460, le vicaire de Perquie versait 10 mesures de blé76 pour la dîme d’une pièce de terre, mais par la suite il semble bien que le seigneur de Ravignan ait fait main basse sur ces dîmes, de même que sur les rentes foncières que les moines prélevaient encore dans cette paroisse. Certes dans un premier temps, probablement à la suite d’une cession que les moines avaient dû lui consentir, le seigneur de Ravignan leur donnait 60 l. par an puis “par succession du temps” il les avait ramenées à 30, puis il cessa tout simplement de les payer77.

Le prieuré de Gabarret disposait on l’a vu au début du XIVe siècle d’un patrimoine important qui avait continué à s’accroître tout au long du siècle précédent. À la différence du prieuré de Bougue, nous ignorons ce qu’il devint jusqu’au milieu du XVIe siècle. Mais ce fut désormais le prieur qui en assura seul la gestion et en perçut les revenus moyennant le versement au monastère d’une rente annuelle de 3 escartes et demie de froment faisant 39 boisseaux 3/4 mesure de Bordeaux78.

Les guerres de Religion furent fatales au prieuré de Perquie comme à celui de Gabarret alors qu’elles paraissent avoir moins affecté celui de Bougue. À Perquie l’église fut détruite. D’après un procès-verbal de visite de 1629 les lieux réguliers de Gabarret étaient “tous démolis au ras du sol, le monastère par terre, sans qu’il y ait aucun religieux. Les habitants disaient que le sieur de Brossier, sous le nom de prieur, avait pris depuis trente ans le revenu tant du prieuré que des portions dues pour la nourriture des religieux”79.

Les moines de La Sauve ne parvinrent pas à se faire restituer leurs droits usurpés. Lors de la déclaration faite en 1730 à l’assemblée du clergé de France nous apprenons que les “droits seigneuriaux de fiefs et de domains” qualifiés de “très considérables dans Gabarret ou les lieux circonvoisins ont été usurpés par les seigneurs des environs et les habitants” et qu’il n’en reste rien80. Les seuls revenus que l’abbaye retire de ce prieuré sont désormais constitués par des dîmes.

Il s’agissait de toute la dîme de Gabarret “ancienne et nouvelle” sauf celle des casaux ; à Losse et Estigarde des trois quarts de l’ancienne, à Mauvezin de la moitié ; à Betbezer ainsi qu’à Geu de celle d’un parsan ; à Cuxan des 3/8e ; à Escalans du 1/8e ; à Sarran du 1/16e ; à Espérous, Saint-Cricq et Laballe du 1/32e81. Même si certaines de ces dîmes avaient peut-être été acquises au début de l’époque moderne, d’autres qui avaient fait l’objet d’un bail à ferme en 132682 avaient entre-temps été perdues. Ce qui frappe c’est la difficulté à laquelle les moines furent confrontés en Marsan et Gabardan, dès les crises des XIVe et XVe siècles, plus encore au cours des guerres de Religion et même encore au début du XVIIe siècle, pour conserver leur patrimoine : mauvaise volonté des tenanciers, usurpation des hommes forts du voisinage, perte des archives, négligences dans la gestion ont ainsi fait fondre un temporel patiemment constitué au cours des XIIe et XIIIe siècles. S’agissant des prieurés du Bazadais – Notre-Dame-du-Bourg, Niac, Lagardère –, la disparition complète de leurs archives pour l’époque moderne ne permet pas de jalonner les étapes d’une décadence perceptible seulement dans le cas de Lagardère83.

Cette incursion sur la destinée du patrimoine de La Sauve au cours de l’époque moderne ne doit pas nous faire perdre de vue la double interrogation qui a été la nôtre au début de notre enquête : dans quelle mesure les prieurés de La Sauve ont-ils contribué à une restructuration de l’habitat ? Ceux d’entre eux ayant bénéficié du statut de sauveté ont-ils plus que les autres réussi à faire naître autour d’eux un habitat groupé ? Si l’on met à part le projet, avorté, semble-t-il, d’implantation d’un prieuré à Casteljaloux, on constate que seulement deux fondations ont réussi, l’une à faire naître une petite agglomération, celle de Gabarret, l’autre à favoriser son développement – probablement d’ailleurs dans une faible mesure –, celle du bourg de Langon et cela de manière quasiment certaine dès le début du XIVe siècle. Le cas de Gabarret est d’ailleurs d’autant plus intéressant que la destruction du prieuré au XVIe siècle, ne porta pas tort au village.

Or, si dans le cas de Lucader, de Gel ou de Niac véritables prieurés ruraux on peut être assuré que les moines de la Sauve n’y voyaient que des centres de formation puis de gestion de leur patrimoine, tel ne paraît pas avoir été le cas de Perquie, peut-être de Mauvezin, encore moins de Bougue et de Lagardère qui bénéficièrent tous deux du statut de sauveté : les circonstances de leur fondation et ce que nous savons de leurs débuts prouvent que les moines songeaient bien à en faire des lieux de peuplement. En cela ils partageaient la préoccupation des maîtres du ban avec lesquels ils s’étaient associés à Perquie et Gabarret lorsqu’eux-mêmes ne détenaient pas l’immunité. Il convient donc de s’interroger sur les raisons des succès et des échecs des fondations de La Sauve en les replaçant dans le cadre géographique et chronologique qui furent ceux de leurs débuts.

Il est bon de rappeler, tout d’abord, qu’aux environs de l’an 1050, aussi bien en Bazadais qu’en Marsan ou Gabardan l’habitat est dispersé : pas de ville, tout au plus quelques bourgs embryonnaires, mais nous en doutons (voir fig. 1). Au cours des deux siècles et demi qui vont suivre ces petits pays connaissent, en revanche, une évolution différente pour des raisons géographiques – la lande n’est pas le pays mêlé – et historiques que nous avons déjà évoquées. Cette différence se traduit déjà dans la densité du réseau paroissial, plus forte en Bazadais, sans que la différence soit considérable, mais aussi par celle des prieurés. Ainsi en Bazadais on n’en compte pas moins de six, de Langon à l’Avance et des bords de la Garonne aux confins de la lande84. Proche de Langon, celui de Saint-Loubert et le prieuré fontevriste de La Rame ; à l’ouest de la cathédrale celui de Saint-Vivien-lès-Bazas ; dans la partie orientale du diocèse, ceux de Saint-Cybard de Meilhan (1126) dépendant du prieuré de La Réole, de la Madeleine de Bonnefon à Montpouillan, enfin de Saint-Raphaël à Casteljaloux. En Marsan, dans les archiprêtrés de Roquefort, du Plan et de Mauléon, Bougue et Perquie sont les seules fondations notables et la situation est identique dans la partie occidentale de l’archiprêtré de Sos. Mais les principales différences entre Marsan et Bazadais résident, d’une part, dans la réussite, même si elle fut parfois modeste, des bourgs castraux du Bazadais, alors qu’en Marsan et Gabardan ils sont presque absents ; de l’autre, dans l’échec des bastides en Bazadais, alors que dans le Marsan et la vicomté de Juliac elles furent relativement nombreuses.

En Bazadais, l’histoire de Notre-Dame-du-Bourg est étroitement liée au développement de la ville de Langon qui participe à l’essor économique et démographique de la vallée de la Garonne. Le prieuré a été en quelque sorte porté. À Niac, de la même manière, la stagnation du prieuré est due autant au voisinage d’une cité épiscopale en plein essor jusqu’au milieu du XIVe siècle, qu’à son implantation loin de tout axe de communication. Reste le cas de Lagardère, manifestement conçu pour être une sauveté-peuplement qui connut un début, semble-t-il, prometteur. Or, ce fut un échec sans qu’on puisse dire avec précision de quelle manière et selon quel rythme il se produisit.

La sauveté était établie sur un plateau découpé par les vallons de trois ruisseaux et leurs affluents – le Lisos qui se dirige vers la Garonne et le Sérac et la Moulie qui se jettent dans l’Avance –, et de ce fait difficile d’accès sauf par le sud (voir fig. 5, 6). Les paroisses qui l’entouraient étaient nombreuses et petites : Bachac, Ruffiac, Esquerdes, Figuès, La Couture, Auzac, Cours. Pour autant que les limites des juridictions aient été établies lors de la fondation de la sauveté on se trouve au point de rencontre de trois d’entre elles : celle de Casteljaloux, au sud-est ; celle de Bouglon à l’est ; enfin celle de Loutrange appartenant à l’archevêque de Bordeaux, au nord. Il est difficile de rattacher le site de Lagardère à l’une d’elles85.

C’est un demi-siècle après l’arrivée des moines de La Sauve à Lagardère que les templiers s’installèrent dans les paroisses de Cours et Romestaing dont les églises se trouvaient respectivement à 3 et 4 km de celle de la sauveté. À Cours, dont ils devinrent rapidement, semble-t-il, les principaux seigneurs du sol en même temps que les maîtres de l’église, les templiers accaparèrent le ban, comme d’ailleurs à Romestaing au détriment dans cette paroisse de l’archevêque de Bordeaux. Voisins encombrants, disposant pour l’époque de moyens considérables les templiers étouffèrent la sauveté de Lagardère. Non contents de s’imposer à Cours, ils établirent selon toute vraisemblance une sauveté à Auzac, avec l’intention – à notre avis – de contrer la sauveté de Lagardère86. Plus tard, sans doute faute d’avoir réussi dans leur entreprise, ils songèrent vers 1297 à établir une bastide, au sud de la paroisse de Cours cette fois87. Trois projets ou tentatives de fondation de nouveaux peuplements sur un espace aussi réduit ont de quoi surprendre.

Certes, le Bazadais méridional se dota au cours des XIIe et XIIIe siècles de neuf bourgs castraux – Castets-en-Dorthe et Meilhan sur les bords de la Garonne, Roquetaillade, Auros, Aillas vers l’intérieur, Casteljaloux et Bouglon dans la vallée de l’Avance, Cazeneuve et Captieux en bordure de la Lande. La densité de ce réseau mis en place avant le début du XIIIe siècle peut rendre compte de l’échec des tentatives de fondation des bastides de Montpouillan en 1265, de Lados en 1281 ou de Saint-Sauveur en 1318-1323, beaucoup moins de celui de la villeneuve de Cocumont par le prince Édouard en 1255 et certainement pas de celui de la sauveté de Lagardère88 89. La sauveté se trouvait, en effet à 7 km du bourg castral de Bouglon, à huit de celui de Casteljaloux, à douze de celui d’Aillas. En revanche, la sauveté était à 4 km au nord du chemin reliant Bazas à Casteljaloux et Nérac, en d’autres termes le chemin de Bordeaux à Toulouse par l’intérieur. À notre avis cet éloignement fut fatal à l’essor d’une fondation qui ne pouvait, d’autre part, comme les bourgs castraux s’appuyer sur le territoire d’une juridiction regroupant plusieurs paroisses. Les Templiers avaient, semble-t-il, bien jugé de la situation lorsqu’ils songèrent à établir une bastide sur le chemin. Mais il fallut attendre le début du XVIIe siècle pour que, les circonstances politiques aidant, un bourg castral soit fondé à mi-chemin de Bazas et de Casteljaloux, celui de Grignols avec création d’une juridiction, de foires et marchés, lotissement et finalement captage de la route90. Ainsi l’échec du peuplement de Lagardère résulterait pour une large part d’une erreur d’implantation. Le statut de sauveté n’y changea rien.

C’est, avons-nous vu, dans le cadre de trois seigneuries distinctes – Gabardan, Marsan, Juliac – mais non sans liens entre elles que furent fondés les prieurés landais de La Sauve. Compte tenu d’un milieu géographique dont les faibles ressources n’ont jamais suscité de fortes densités de population, en raison aussi de la situation politique de ces pays, les prieurés de La Sauve se sont trouvés sans concurrence apparente et cela pendant près de deux siècles, pour autant, bien entendu qu’ils aient été conçus comme des noyaux de peuplement et de regroupement de l’habitat. Point d’autre prieuré, de sauveté ni de commanderie, peu de bourgs castraux : un en Gabardan : Gabarret, deux en Marsan : Roquefort le plus ancien puis, Mont-de-Marsan, deux réussites indiscutables. Comment expliquer alors les échecs du castrum de Perquie, de la sauveté de Bougue ou encore celui du bourg de Mauvezin.

Une rapide évocation des autres tentatives de fondations de peuplements nouveaux ou des regroupements apparemment spontanés de l’habitat est ici nécessaire. Disons, tout d’abord, que le couple motte-église paroissiale sauf peut-être dans un cas, celui de Pujo, n’a pas suscité de regroupement dans cette région du Marsan91. À Hontanx, en revanche, un petit bourg probablement entouré d’une enceinte se développa à proximité d’une maison forte : il connut une relative réussite puisque le siège paroissial fut déplacé à la chapelle de la résidence, mais il s’agit là d’un phénomène tardif de la fin du XIIIe ou du début du XIVe siècle ressortissant au phénomène des castelnaux92.

Or, c’est à cette même époque – de 1275 à 1320 – que l’on assiste en Marsan et en Juliac, mais non en Gabardan, sans doute en raison du petit nombre d’agglomérations d’origine castrale, à une série impressionnante de tentatives de fondations de bastide : sept entre Adour et Midou, une au nord de cette rivière93. Il s’agit de celles de Saint-Gein (1284) et Rondeboeuf (c. 1315) d’une part, de Grenade (1289) et Cazères (1315) de l’autre, les deux premières fondées à l’initiative du roi-duc, les deux autres à celle des vicomtes de Marsan, mais celles-ci sont trop éloignées de Bougue et de Perquie pour qu’on s’y attache. En revanche, il n’en est pas de même de celles de Saint-Gein, Rondeboeuf, Castetcrabe, Arthez-Gaston, Montégut et Monguilhem. La bastide de Castetcrabe fut fondée en 1275-1276 par le sénéchal Luc de Thanay sur le territoire de Bougue, les trois autres en 1319, Arthez à l’initiative de Jeanne d’Artois, vicomtesse de Béarn, Montégut et Monguilhem à celle du sénéchal Guillaume de Montégut. Ce furent six échecs, le plus net étant celui de Castetcrabe dont la fondation fut pourtant relancée par le roi-duc en 1283.

Ces échecs, s’ajoutant à ceux du bourg castral de Perquie et de la sauveté de Bougue, pourraient être perçus comme une manifestation de plus de la vanité qu’il y aurait eu en Marsan à vouloir fonder sinon de petites villes du moins des bourgs. Or tel ne fut pas le cas : car en plus de Roquefort et de Mont-de-Marsan on note une autre réussite, modeste certes mais réelle, celle de Villeneuve-de-Marsan94. Située à deux kilomètres au nord-ouest de Perquie et à 7 km à l’ouest de Bougue sur la même rive du Midou, Villeneuve n’a apparemment jamais possédé de charte de fondation ni de coutume et son plan ne rappelle en rien celui d’un village de fondation. Ce n’est ni un bourg castral, ni une bastide, ni un castelnau. Ce dont on est certain, en revanche, c’est que la paroisse dont l’église était dédiée à saint Hyppolite était en 137595 – avec celles des bastides de Cazères et Grenade – la plus riche de l’archiprêtré du Plan. Bien que le bourg ne soit qualifié que de “loc” nous pensons que Villeneuve fut une fondation vicomtale : le fait que les vicomtes de Marsan y percevaient un firmenatge – comme à Mont-de-Marsan, ou Roquefort et probablement Perquie – dont Gaston VII et son épouse firent don en 1270 aux clarisses de Beyries, ne laisse subsister aucun doute96. Dès le début du XIVe siècle et probablement plus tôt, Villeneuve a donc réussi alors que les fondations voisines de La Sauve, l’une patronnée par le vicomte de Marsan, l’autre par le duc d’Aquitaine ont échoué. À notre avis il faut en chercher la raison dans la situation de Villeneuve, étape entre Roquefort et Aire sur la route du Béarn et de la Bigorre, à proximité d’un pont sur le Midou. Si les fondateurs de Perquie et Bougue n’ont pu attirer ou retenir un peuplement ce fut bien parce que les activités des habitants étaient exclusivement agricoles. On se trouve ici dans un cas de figure identique à celui que nous avons évoqué à propos de l’échec de la sauveté de Lagardère en Bazadais, aggravé par le fait qu’à la différence des templiers de Cours, le vicomte avait su encourager un peuplement nouveau sur le grand chemin. L’antériorité de Villeneuve rend compte enfin de l’échec des six bastides de Saint-Gein, Rondeboeuf, Castetcrabe, Arthez-Gaston et Montégut situées pour la plupart à moins de 10 km de ce bourg et, sauf Saint-Gein, à l’écart d’un axe de circulation.

Le rôle joué par les voies de communication dans la réussite des tentatives de peuplement et de regroupement de l’habitat est aussi manifeste au nord du Midou, dans la vicomté de Juliac et ses approches. On se souvient du médiocre succès des seigneurs de Mauvezin à développer un bourg autour de leur motte et cela malgré la présence des moines de La Sauve. Ce fut sans doute pour profiter du courant de fondation des bastides qui fleurissaient tout autour de leur “vicomté” qu’ils s’associèrent, soitavec le roi-duc à Arouille (1289) et Betbezer (avant 1325), soitavec le comte d’Armagnac à la Bastide (1291), bénéficiant dans le premiercas de la sollicitude des sénéchaux anglais soucieux de surveiller une famille ambitieuse, dans l’autre de l’hostilité entre les vicomtes de Marsan et les Armagnac. On ne saura jamais ce qui serait advenu de la bastide d’Arouille si elle n’avait été détruite en 1356 par le Prince Noir. Mais la bastide ne fut pas un échec pas plus que Saint-Justin (1288), fondé par la vicomtesse de Marsan et les Hospitaliers de Caubin. Or, ces deux bastides se trouvent, la première au débouché de deux voies reliant le Marsan à la Garonne, soit par Casteljaloux et Marmande, soitpar la vallée de la Baïse, la seconde sur le chemin de Saint-Justin à Eauze. Quant à Gabarret une autre fondation réussie, par ailleurs chef-lieu d’une vicomté, il était établi sur la route de Port-Sainte-Marie à Mont-de-Marsan, par Saint-Justin connue aussi sous le nom de route de Bayonne à Lyon. Ainsi les succès ou les échecs que les moines de La Sauve rencontrèrent dans leurs tentatives de fondation de nouveaux noyaux de peuplement ne doivent rien au fait que certaines de ces fondations eurent le statut de sauveté. À notre avis, on s’est d’ailleurs mépris sur le sens de ce terme ambivalent. À Lagardère, toutes les conditions semblaient apparemment réunies pour que ce fût une réussite : un territoire, probablement l’immunité et sans aucun doute la securitas ; mais on ne peut en dire autant à Bougue ou le statut d’immunité dont jouissait le prieur ne fut, semble-t-il, jamais accompagné d’un territoire pour l’exercer ; à Gabarret, enfin, si les moines furent largement dotés au point qu’on peut parler d’une seigneurie foncière ecclésiastique, la sauveté accordée par le duc d’Aquitaine resta sans effet, car le véritable détenteur des droits banaux était le vicomte de Gabardan. L’usurpation de leurs droits fonciers dont furent victimes les moines en fut plus tard largement facilitée.

Le succès de Gabarret, fausse sauveté, rapproché de l’échec de Lagardère, sauveté-peuplement, l’échec de Bougue – sauveté n’en ayant guère que le nom – et celui de Perquie, bourg castral, face au succès du village routier de Villeneuve, l’échec du bourg castral de Mauvezin, face au relatif succès des bastides de Saint-Justin et de la Bastide, de même que la réussite des bourgs castraux de Roquefort, Mont-de-Marsan, Langon, Meilhan ou Casteljaloux illustrent le rôle prééminent de la route de terre ou d’eau dans la réussite des bourgs et des petites villes de ces pays.

Notes

  1. Ourliac (P.), Les sauvetés du Comminges. Études et documents sur les villages fondés par les Hospitaliers dans la région des coteaux commingeois, Toulouse, 1947 ; Les villages de la région toulousaine au XIIe siècle, Annales, économie, Société, Civilisation, 1949, 268-277.
  2. Pradalié (G.), Les sauvetés castrales, dans Cadres de vie et société dans le Midi médiéval. Hommage à Charles Higounet, Annales du Midi, t. CII, 1990, 21-28.
  3. Higounet (C.), Les Chemins de Saint-Jacques et les sauvetés de Gascogne, Annales du Midi, t. LXIII, 1951, 293-304 ; La plus ancienne sauveté de l’abbaye de Moissac : la salvetat de Belmont, dans Xe Congrès d’études régionales de la Fédération des sociétés académiques savants de Languedoc, Pyrénées, Gascogne, Montauban, 1954 (1956), 102-109 ; Les sauvetés de Moissac, Annales du Midi, t. LXXV, 1963, 505-513 ; Les sauvetés bordelaises, dans Bordeaux pendant le haut Moyen Âge (Histoire de Bordeaux, t. II), Bordeaux, FHSO, 1963, 240-246. Ces articles ont été réédités dans Paysages et villages neufs du Moyen Âge, FHSO, Bordeaux, 1975, 207-234.
  4. Higounet (C.), Les sauvetés bordelaises, rééd., 229.
  5. Cirot de la Ville (abbé), Histoire de l’abbaye et congrégation de Notre-Dame de la Grande-Sauve ordre de Saint-Benoît, en Guienne, Paris-Bordeaux, 1845, 2 t. ; Guiet (H.), Histoire de deux fondations du Moyen Âge, le bourg abbatial de La Sauve-Majeure et de la bastide de Créon, mémoire de maîtrise sous la direction de J-B Marquette, Université Michel de Montaigne-Bordeaux III, 1993.
  6. Higounet (C.), Les sauvetés bordelaises, rééd., 231.
  7. Courchinoux (M.), Les prieurés de La Sauve-Majeure en pays landais, sous la direction de C. Higounet, Université de Bordeaux, Faculté des Lettres et Science Humaines, 1970.
  8. Gallia christiana, t. II, Instrumenta, col. 316-319 ; Cirot de la Ville, op. cit., t. II, 133-141, 402-406.
  9. In Vasatensi diocesi… prioratus de La Gardera, de Niaco, de Lingone cum omnibus pertinentiis eorum ; in Auxitanensi diocesi prioratum Gavarreti cum decima et censu totius villae, furnis et aliis possessionibus suis ; prioratus de Lucader, de Malvesin, de Gilo, de Perquerio, de Bogla, del Mont, de Caneins” (Bulle de confirmation de Célestin III de 1197) (Cirot de la Ville, op. cit., t. II p. 403-404). Le rédacteur de la bulle a omis de mentionner le diocèse d’Aire avant Mauvezin. À une date ultérieure on trouve dans la liste du cens à l’infirmerie pour la Toussaint (G.C., p. 198) : Gavarretum V s. morl. ; Malus vicinus : XII morl. : Gel : XII morl. ; Peschers III sol. morl. ; Boga II sol. morl. ; Lagardela : XII morl. ; Niacum : XII morl. ; Lingonis : XII morl.
  10. Sur ces problèmes de frontière, cf. J-B Marquette, Habitats fortifiés en Bordelais, Bazadais pays landais du XIe au XVe siècle : état de la recherche, dans Aquitania, suppl. n° 4,1990, p. 30-32.
  11. Cf. n. 9.
  12. Faravel (S.), Occupation du sol et peuplement de l’Entre-deux-Mers Bazadais, de la Préhistoire à 1550, thèse de doctorat de l’Université de Bordeaux III, 1991, t. II, p. 247-250.
  13. Cf. Marquette (J.-B.), Approche sur les castelnaux du Bazadais, dans Géographie historique du village et de la maison rurale, Actes du colloque tenu à Bazas (Gironde) les 19-21 octobre 1978, CNRS, Paris, 1980, en particulier fig. 1, p. 68.
  14. On trouvera des renseignements utiles et une bonne approche cartographique de ces problèmes dans la mémoire de DEA de Jeanne-Marie Fritz, Vers un inventaire des mottes de la vicomté de Marsan du XIe au XIVe siècle, sous la direction de J.-B. Marquette, Université Michel de Montaigne – Bordeaux III, 1992, en particulier annexe 11.
  15. Romieu (M.), Histoire de la vicomté de Juliac, Romorantin, 1894, 2 vol. Cf. aussi Recogniciones feodorum. Éd. Ch. Bémont, n° 27, 73, 100, 110, 113, 118, 122.
  16. Nous allons faire fréquemment référence aux cartulaires de La Sauve conservés à la Bibliothèque de Bordeaux, le Grand (Ms. 769) et le Petit (Ms. 770). Plutôt que de procéder à de multiples renvois en note qui n’auraient apporté que de la confusion à une tradition des sources parfois complexe nous avons préféré proposer un bref catalogue des documents auxquels nous avons eu recours. Les numéros entre parenthèses figurant dans le texte renvoient à ce catalogue.
    1. 1080. Bordeaux. Concession par le duc d’Aquitaine Guillaume VIII du privilège de liberté ou sauvement à l’alleu d’Auvillars et au territoire de Tregey. Le duc autorise aussi les moines de La Sauve à faire transiter 10 muids de sel par an sur la Gironde et leur fait don de la curtis de Bruges. Ayquem Guilhem de Blanquefort et Guillaume Helie, viguier de Bordeaux, fait don d’un droit de pêche (piscatura).
    B. Copie précédant la confirmation faite par les membres du concile de Bordeaux (acte 3). Acte daté de l’an 1079, ép. 15, ind. 2, 7e année du pontificat de Grégoire VII, Philippe, roi de France, le 12 des calendes de juillet (20 juin). Mais Gérard ne serait arrivé que le 28 octobre 1079.
    2. 1080. Bordeaux. Concession du privilège de liberté ou exemption faite en faveur de l’abbaye de La Sauve par Goscelin archevêque de Bordeaux.
    B. Copie précédant la confirmation faite par les membres du concile de Bordeaux (acte 4).
    3. 1080, probablement en octobre. Bordeaux, in concilio. Confirmation par le collège des participants au concile de Bordeaux de la concession du privilège de liberté ou sauvement par Guillaume VIII.
    B1 : Grand cart., p. 8-9 : De libertate et salvitate confirmata in Burdegalensi concilio.
    B2 : Petit cart., p. 4. Cf. acte n°4.
    4. 1080, 6 octobre. Bordeaux, in concilio. Confirmation par le duc Guillaume VIII et le collège des participants au concile de Bordeaux de la concession de la liberté ecclésiastique par l’archevêque Goscelin de Parthenay et du rattachement de l’abbaye à Rome proprosé par le légat Amat.
    BI : Grand cartulaire p. 3. Petit cartulaire, p. 1-2 : De libertate quam dedit dompnus Goscelinus archiepiscopus loco Silvae Maioris.
    a. Gallia Christiana, t. II, Instr. col. 274-275. Acte daté de 1080, ind. 3. épacte 26, le 2 des nones d’octobre, 8e année du pontificat de Grégoire VII, Philippe roi de France. Tous les éléments concordent. Le début de cet acte n’est conservé que dans le petit cartulaire.
    5. Entre 1080 et 1086, Confirmation par Guillaume Amanieu, (de Benauge) des privilèges accordés par le duc Guillaume VIII (acte n° 1).
    B1 : Grand cart., t. I, p. 10-11 : De salvitate.
    B2 : Petit cart., p. 6-7. Il est fait mention de la confirmation perdue de Pierre vicomte de Gabarret. On peut ainsi dater ces confirmations de la période 1080-1086.
    6. 1087. Bordeaux. Confirmation par Guillaume IX des privilèges de liberté et sauveté concédés par son père à l’abbaye de La Sauve et confirmés par le concile de Bordeaux.
    B1 : Grand cart., p. 11-13.
    B2 : Petit cart., p. 5.
    Cette rénovation est datée de 1087, indication 10, Philippe roi de France.
    Il s’agit manifestement d’une fabrique. On peut se demander si le document transcrit dans les cartulaires est bien celui établi par les moines pour être soumis au jeune duc ou si ce document a été ultérieurement manipulé, par exemple lors de sa transcription.
    Sont successivement énumérés :
    – le privilège de Guillaume VIII (acte 1) dont le contenu a été modifié ;
    – les confirmations par Guillaume Amanie et Pierre vicomte de Gabarret ;
    – la confirmation par le concile de Bordeaux avec adjonction d’une clause : amende de 500 sous (acte 3) ;
    – les autres privilèges concédés par Guillaume VIII (acte 1) : Tregey, sel, Bruges ;
    la concession de marchés et foires à La Sauve.
    7. 1090. De Salvitate Silve Maioris. Confirmation par Guillaume IX, Gaillard, prévôt de Bordeaux et les principes castella tenentes ainsi que les nobles et chevaliers de la région des privilèges de sauveté concédés à l’abbaye de La Sauve par Guillaume VIII et précisés à cette occasion.
    B1 : Grand cart., t. I, p. 13-14.
    B2 : Petit cart., p. 6. Acte non daté. Guillaume IX vint à Bordeaux de 1086 à 1090 puis en 1096. On peut dater ce document de 1089-1090.
  17. S’agissant plus particulièrement de l’alleu d’Auvillars, du privilège de sauveté dont il bénéficie et des limites de la sauveté de La Sauve, nous renvoyons au mémoire de Hervé Guiet, op. cit., p. 29-31 et p. 46-49.
  18. Nous ne reviendrons pas sur les origines de Casteljaloux et le rôle que les moines de la Sauve ont pu jouer dans le développement de la ville à la suite du don fait à l’abbaye d’une terre hors les murs de Casteljaloux afin qu’elle y établisse une ville et une église, moyennant le partage des cens, de la justice et de divers revenus (Grand cartulaire, t. I, p. 180 ; Petit cartulaire, p. 95). Cirot de la Ville (abbé), op. cit., t. I, p. 372. Nous renvoyons à notre étude Les Albret, L’ascension d’un lignage gascon, (XIe siècle-1360), dans Les Cahiers du Bazadais, n° 30-31, 3e-4e trim. 1975, p. 74-80.
  19. L’église de Saint-Vincent-de-Xaintes aux portes de Dax avec ce qui dépendait de l’autel et la terre dite du sanctuaire, ainsi que le tiers des oblations de l’église de Saint-Jean-de-Marsacq avaient été donnés aux moines de La Sauve, selon toute probabilité par l’évêque Jean de Heugas qui revint, semble-t-il, sur cette donation (donation confirmée en 1124 par le pape Calixte II, cf. U. Robert, Bullaire du pape Calixte II, 1891, n° 501). Sur la plainte de l’abbé Pierre Ier le légat Girard, évêque d’Angoulême, obligea l’évêque à accepter l’investiture de l’abbé, non sans mal d’ailleurs (en 1128, lors d’un concile tenu à Bordeaux) (Grand cart., t. II, p. 360-1 et Gallia Christiana, t. II, Instrumenta, n° LVII, col. 320). Cf. Cirot de la Ville (abbé), op. cit., t. II, p. 35-36. Courchinoux (M.), op. cit., p. 71-78. On ne sait finalement pas dans quelles conditions les moines renoncèrent à cette possession.
  20. En 1147, Pierre d’Arlenx fit don dans les mains de Bonhomme, évêque d’Aire et celle d’un prêtre Raimond, à l’intention des pèlerins et des pauvres de la terre sur laquelle se trouve l’hôpital de la maison de Canenx, puis d’un manse, le tout libre de cens, chargeant, semble-t-il, de ce cens, deux autres manses proches que le donateur avait conservés. P. d’Arlenx ajouta par la suite une terre qu’il tenait en gage pour 40 sous, libre aussi de tout cens, en précisant que si le gage était levé la moitié de la somme reviendrait à l’hôpital (Arch. dép. Gironde, H. 244-4). On ignore en fait de quelle manière cet hôpital passa aux mains de La Sauve (cf. Courchinoux (M.). op. cit., p. 112-113). Canenx figure à tort comme prieuré dans la bulle de confirmation de Célestin III de 1197 (cf. n. 9). Selon Bernadette Suau (Contribution à l’histoire topographique de Mont-de-Marsan, dans Bull. Soc. de Borda, 3e trim. 1986, p. 323, n. 55) cet hôpital aurait cessé de fonctionner assez tôt. Au XVe siècle l’hôpital dépendait du prieuré de Bougue.
  21. Dans la bulle de confirmation de Célestin III de 1197 il est fait mention d’un prieuré du Mont. Nous pensons qu’il s’agit de l’hôpital de Mont-de-Marsan qui fit l’objet, le 5 mai 1308, d’un accord conclu entre le prieur de Gabarret et les clarisses de Beyries (Arch. dép. Landes, H. 172 H). Celles-ci avaient quitté leur maison de Beyrie lorsque l’évêque d’Aire, après avoir mis fin aux activités de la communauté mixte qui gérait l’hôpital Saint-Jacques-hors-les-murs sur la route de Roquefort, leur en avait fait don (31 août 1275) (Arch. dép. Landes, H. 172 G, 170-5 et 16). Lors de l’accord de 1308 le prieur renonça aux douze derniers et à tous les droits qu’il percevait sur cet ancien hôpital tandis que les clarisses qui avaient contesté les prétentions du prieur lui abandonnaient les 20 s. de revenus qu’un vicomte de Béarn – sans doute Gaston VII – leur avait concédés sur le péage du castrum et de la ville de Gabarret, les clarisses acceptant néanmoins de continuer à célébrer l’anniversaire du décès du donateur. Il ne fait aucun doute que l’intérêt porté par La Sauve à certains hôpitaux (Canenx et Mont-de-Marsan) est lié à leur situation sur des voies utilisées par des pèlerins allant à Saint-Jacques. On peut consulter Suau (B.), Contribution à l’histoire topographique de Mont-de-Marsan, dans Bull. Soc. de Borda, 3e trim. 1986, p. 312-313.
  22. Les numéros figurant dans le texte entre parenthèses renvoient à ceux du catalogue qui suit : (1) vers 1090, Grand cart. (G.C.) t. I, p. 215-1 ; (2) av. 1092, G.C., t. I, p. 215-2 ; (3) 1107-1118, G.C., t. I, p. 215-3 ; (4) 1107-1118, G.C., p. 215-216 ; (5) 1097-1118, G.C., t. I p. 216-2 ; (6) 1107-1118, G.C., t. I, p. 216-3 ; (7) 1097-1118, G.C., t. I p. 216-3 ; (8) av. 1095, G.C., t. I, p. 217-1 ; (9) 1197, jeudi 13 nov., Agen, G.C., t. II, p. 347-2. Sur Gabarret on peut aussi consulter Cirot de la Ville, op. cit., p. 13-31 p. 103-105 ; Abbé M. Devert, Recherches sur la vicomté de Gabardan et la Maison de Gabarret du IXe au XIIe siècles, À compte d’auteur, Herré, 1974.
  23. Ce document a été publié dans Gallia Christiana, t. I, Instrumenta, p. 165 (texte tronqué) ; P. de Marca, Histoire de Béarn, p. 442 ; Monlezun, Histoire de la Gascogne, t. VI, p. 426-27.
  24. Arch. dép. Gironde, H. 69-21, acte analysé n° 7.
  25. Arch. dép. Gironde, H. 69-21, actes analysés, n° 8, 10, 14.
  26. Arch. dép. Gironde, H. 69-21, acte analysé n° 11.
  27. Arch. dép. Gironde, H. 69-21, inventaire de titres, n° 9-16. Cutxan, comm. de Cazaubon, Gers.
  28. Arch. dép. Gironde, H. 69-21, acte analysé n° 3 ; Escalans, arr. de Mont-de-Marsan, cant. de Gabarret.
  29. Arch. dép. Gironde, H. 69-21, acte analysé n° 5.
  30. Arch. dép. Gironde, H. 69-21, acte analysé n° 9 ; Estigarde cant. de Gabarret ; Moncrabeau arr. de Nérac, cant. de Francescas, Lot-et-Garonne.
  31. Arch. dép. Gironde, H. 69-21, acte analysé n° 12. Le territoire des anciennes paroisses d’Espérous, Saint-Michel-de-Bouau et Saint-Cricq d’Armagnac est aujourd’hui inclus avec ceux de Laballe, Mauras, Mura et Sarran dans celui de la commune de Parlebsocq, cant. de Gabarret. La disparition des trois autres paroisses témoigne de la pulvérisation du réseau paroissial de la Gascogne intérieure avant les crises des XIVe et XVe siècles qui provoquèrent la disparition de nombre d’entre elles. Arch. dép. Lande, H. 170, 5 et 6, 172 G.
  32. Le site de Gabarret nous pose encore bien des questions : ainsi l’abbé Degert estime que la résidence du vicomte se trouvait dans l’axe de la rue du Fort, au nord du bourg, et il n’hésite pas à parler de “l’énorme masse du château fort”. Il n’en reste rien, dit-il, sinon d’énormes fondations de 8 m d’épaisseur dans le sous-sol de la maison de M. Gardère et le nom de rue du Fort op. cit., n. 37. Compte tenu de la disposition du parcellaire une telle hypothèse paraît peu vraisemblable. Par ailleurs, l’abbé Degert fait état d’une tour carrée située “à l’est”, démolie en 1824 sans préciser son emplacement (p. 40).
  33. G.C., t. I, p. 219-I ; P.C., p. 223. Cf. Cursente (B.), Les castelnaux en Béarn, Marsan et Gabardan (XIe, XIIe et début du XIIIe siècle). TER, Faculté des lettres de Bordeaux, 1968, p. 88 ; Courchinoux (M.), op. cit., p. 46-60 ; Inchauspe Inaki, Occupation du sol et peuplement entre Adour et Midou des origines au XIVe siècle, mémoire de maîtrise sous la direction de J.-B. Marquette, Université Michel de Montaigne-Bordeaux III, 1991, t. I, p. 59-77, t. II p. 8, p. 126.
  34. Pierre de Marca, Histoire de Béarn, 2e éd. Pau 1894-1912, t. II, p. 649.
  35. Recogniciones feodorum, n° 72.
  36. Foix (abbé), Quelques documents relatifs à la cour des Sers : hommage des seigneurs de la cour des Sers à la vicomtesse de Marsan, dans Bulletin de la Société de Borda, 1908, 2e trim. p. 223.
  37. Rec. Feodorum, n° 112.
  38. Mauvezin : (1) 1132, 5 mars (a. st.), Perquie, G.C., t. II, p. 355-2 ; (2) 1132, 24 juin, G.C., t. I, p. 335-3. Cet acte daté du 8 des Kal. de juillet 1132, jour de la Saint-Jean-Baptiste débute par Super hec. Il serait donc postérieur au précédent, daté du 3 des nones de mars 1132 (a. st.). Il semblerait donc qu’à cette date le style utilisé soit celui de Noël, mais le rédacteur du cartulaire a pu tout simplement faire cette liaison en ne prenant en considération que les millésimes figurant dans les actes. Le premier qui concerne la confirmation du don de l’église de Mauvezin aux moines de La Sauve pourrait donc tout aussi bien être postérieur à l’érection de la chapelle en église paroissiale.
  39. Langon : (1) 1126, G.C., t. I, p. 173-5 ; (2) G.C., t. I, p. 175-1 ; (3 a, b) 1126-1148, G.C., t. I, p. 174-1 ; (4) G.C., t. I, p. 174-2 ; (5) G.C., t. I, p. 174-3 ; (6) 1126-1148, G.C., p. 174-4 ; (7) G.C., p. 174-5 ; (8) G.C., p. 174-6 (9) G.C., p. 175-1 ; (10) G.C., p. 175-2 ; (11) G.C., t. I, p. 175-3 ; (12) G.C., t. I, p. 175-4 ; (13) G.C., p. 175-5 ; (14) G.C., p. 175-6 ; (15) G.C., p. 175-7 ; (16) G.C., p. 254-2 ; Guérinon (C.), Les prieurés de La Sauve-Maujeure dans la partie nord de l’ancien diocèse de Bazas, TER, Université de Bordeaux III, 1971, p. 75-82. En l’absence d’une étude sur les abbés de La Sauve les dates des abbatiats n’ont qu’une valeur indicative.
  40. Sur le développement topographique de Langon voir J-B. Marquette, La ville de Langon au début du XVIIIe siècle, dans Les Cahiers du Bazadais, n° 24, mai 1973, p. 322, en particulier les plans hors-texte ; n° 25, sept. 1973, p. 17-41 ; n° 28, 1er trim. 1975, p. 5-29, ou Approche sur les castelnaux du Bazadais, art. cité, n° 13.
  41. Arch. dép. Gironde, H. 244, original sur parchemin, daté de Bordeaux.
  42. G.C., t. II, p. 335, daté de Perquie.
  43. G.C., t. I, p. 224.
  44. Cf. Cirot de la Ville (abbé), op. cit., t. II, p. 45-47 ; Courchinoux (M.), op. cit., t. II, p. 61-70.
  45. Cf. infra, note 65.
  46. Cf. Fritz (J.-M.), op. cit., p. 127-136 et annexes n° 34-35.
  47. On notera qu’en 1274 Geou (Sanctus Johannes de Yoi) est dit en Juliac (Recogniciones feodorum, n° 108).
  48. G.C., t. II, p. 356-2 (samedi 28 mai 1138). On notera le changement de patron de l’église entre 1138 et 1274.
  49. Cf. Courchinoux (M.), op. cit., p. 32-36.
  50. Lucader : (1) s.d., super turrem de Rocafort, G.C., t. I, p. 221-1 ; (2) 1148-1170, G.C., t. II, p. 347-1, P.C, p. 218.
  51. Cf. n. 9.
  52. Sources : Gabarret n° 9 (Cf. n. 22).
  53. Niac : (1) 1155, In ecclesia Beati Johannis Baptiste, G.C., t. I, p. 172 ; (2) 1155-1183, G.C., t. I, p. 173-1, p. 91 ; (3) 1155, Langon, prieuré Sainte-Marie, G.C, t ; I, p. 173-3 ; (4 a, b) 1183-1192, Niac, G.C., t. I, p. 173-4 ; (5 a, b, c (1155), d) G.C., t. I, p. 182-1. Cf. Cirot de la Ville (abbé), op. cit., t. II, p. 95. C. Guérinon, op. cit., p. 83-89.
  54. Saint-Barthélemy de la Barbe : (1) av. 1095, G.C., t. I, p. 180 ; (2) G.C., t. I, p. 178-5. Cf. Courchinoux (M.), op. cit., p. 92-96.
  55. G.C., t. I, p. 167-1.
  56. Le problème de la localisation de La Barde a été abordé par M. Courchinoux, op. cit., p. 95-97, B. Duffau, L’occupation du sol et le peuplement de la région de Bouglon, TER, Université de Bordeaux III, 1974, p. 95 et D. Ferrand, La commanderie de Cours et Romestaing de 1255 à 1360, mémoire de maîtrisesous la direction de J-B. Marquette, Université Michel de Montaigne Bordeaux III, 1995, p. 60 (n° 64), 77-79.
  57. G.C., t. I, p. 167-1. Cf. Courchinoux (M.), op. cit., p. 98, Duffau (B.), op. cit., p. 90.
  58. Nous ignorons, en effet, si l’église de Sainte-Marie de Gardela, qui figure dans la confirmation faite en 1115 par Bertrand évêque de Bazas des possessions de l’abbaye dans son diocèse existait avant la fondation de la sauveté ou bien lui est consécutive : G.C., t. I, p. 167-1.
  59. Lagardère. Sources : (1) 1126-1148, G.C., t. I, p. 179-1 ; (2) 1107-11, G.C., t. I, p. 179-2 ; (3) 1130, 25 août, G.C., t. I, p. 179-3. Cf. Courchinoux (M.) op. cit., p. 79-84.
  60. En 1661 il est encore fait mention du “détroit” de la “sauvetat”. Arch. dép. Gironde, E supp. 1905.
  61. Il s’agit de Elisabeth Traissac, Le peuplement et la vie rurale du Bazadais jusqu’à la guerre de Cent ans. D.E.S, Bordeaux, 1954, p. 112 ; Courchinoux (M.), op. cit., p. 79-83 et Présence de l’abbaye de La Sauve dans le Bazadais méridional, dans Les Cahiers du Bazadais, n° 19 déc. 1970, p. 3-4 ; Duffau (B.), L’occupation du sol et le peuplement de la région de Bouglon, TER, Université de Bordeaux III, 1974, p. 82, 95-96, 109. Elisabeth Traissac voit dans la Sauvetat une fondation templière – mais s’il est vraisemblable qu’il y eut de la part des templiers fondation d’une sauveté, celle-ci n’a rien à voir avec celle de La Sauve (Cf. Infra) ; M. Courchinoux reste dans l’expectative, comme B. Duffau.
  62. Ferrand (D.), op. cit., t. II, n° 43, 38 ,99.
  63. Ibid., n° 117.
  64. Ibid., n° 125.
  65. Arch. comm. de Cours ; registre d’arpentement de la paroisse (XVIIe s.), non coté.
  66. Regesta Clementis papae V, n° 2069.
  67. Pouillés des provinces d’Auch, de Narbonne et de Toulouse par Ch. Edmond Perrin et Jacques de Font-Réaux, Paris, 1972, p. 419.
  68. En 1308, Clément V avait rattaché le prieuré de la Sauveté (de salvitate) à la mense abbatiale (Regesta, n° 2069). En 1311 ce rattachement fut confirmé (n° 6844). Nous pensons qu’il s’agit du prieuré de Lagardère.
  69. Arch. dép. Gironde, H. 248-16. Ce document a été publié par Millardet dans Arch. hist. de la Gironde, t. XLV, p. 52-59. Cf. Inchauspé (I.), Occupation du sol et peuplement entre Adour et Midou des origines au XVIe siècle, mémoire de maîtrise sous la direction de J-B. Marquette, Université Michel de Montaigne-Bordeaux III, 1991.
  70. Arch. dép. Gironde, H. 248-5.
  71. Arch. dép. Gironde, H. 244-6.
  72. Arch. dép. Gironde, H. 61-9.
  73. Arch. dép Gironde, H. 244-6. Mais il n’était pas le seul décimateur.
  74. Ibid.
  75. Pouillés…, p. 433.
  76. Arch. dép. Gironde, H. 244-12.
  77. Arch. dép. Gironde, H. 224-6.
  78. Arch. dép. Gironde, H. 24.
  79. Pour les dommages occasionnés par les Huguenots, voir le procès-verbal envoyé à Charle IX en 1572 publié par Cazauran dans le Bull. de la société de Borda, 1889 ; Arch. dép. Gironde, H. 27.
  80. Arch. dép. Gironde, H. 69-6.
  81. Arch. dép. Gironde, H. 69-21. Cf. aussi H. 71 (baux à ferme).
  82. Cf. 1326.
  83. Si le prieur de la Sauveté figure dans la levée du bon gratuit de 1533-1537 ; rector d’Esquerdes et Salvitatis (dans Arch. hist. de la Gironde, t. XXVIII, p. 363) en revanche, le 22 octobre 1681 on inhume à Cours Antoine Ducorm décédé à la Sauvetat lieu “où il n’y a aucune église ni curé pour faire le service audit destroit” (Arch. dép. Gironde, E suppl. 1905).
  84. On peut se reporter à Dom R. Biron, Précis de l’histoire religieuse des diocèses de Bordeaux et de Bazas, Bordeaux, 1925, p. 123 sq.
  85. Ruffiac au sud-est de la sauveté appartenant à la juridiction de Casteljaloux, Bachac et Figuès à l’est de celle de Bouglon. La Couture au nord de celle de Loutrange comme probablement Cours avant l’arrivée des templiers.
  86. Cf. note 55.
  87. Cf. Ferrand (D.), op. cit., t. I, p. 190 et t. II, n° 77.
  88. Cf. J-B. Marquette, Approche sur les Castelnaux du Bazadais, art. cité, p. 65.
  89. Fig. 1, Ferrand (D.), op. cit., p. 36.
  90. J.-B. Marquette, art. cité, fig. p. 1.
  91. Cf. Inchauspe (I.), op. cit., p. 124.
  92. Ibid., p. 120-123.
  93. Ibid., p. 140-172.
  94. Ibid., p. 116-120.
  95. Pouillés…, p. 426.
  96. Arch. dép. Landes, H. 172, 170-16, 174-22.
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Pessac
Chapitre de livre
EAN html : 9782356135094
ISBN html : 978-2-35613-509-4
ISBN pdf : 978-2-35613-511-7
Volume : 4
ISSN : 2827-1912
Posté le 15/11/2025
40 p.
Code CLIL : 3385
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Licence ouverte Etalab

Comment citer

Marquette, J. B., “Le rôle des prieurés et des sauvetés de La Sauve dans le peuplement du Bazadais méridional, du Marsan et du Gabardan”, in : Boutoulle, F., Tanneur, A., Vincent Guionneau, S., coord., Jean Bernard Marquette : historien de la Haute Lande, vol. 1, Pessac, Ausonius éditions, collection B@sic 4, 2025, 595-634, [URL] https://una-editions.fr/le-role-des-prieures-et-des-sauvetes-de-la-sauve
Illustration de couverture • d'après “Atlas de Trudaine pour la ‘Généralité de Bordeaux n° 6. Grande route de Bordeaux à Bayonne. Les douze premières cartes du plan de cette route. Cy 15 cartes’.
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