Mes principaux sujets de recherche (les métiers bancaires et la vie financière, les tablettes des villes du Vésuve, les affaires commerciales et la vie économique en général, l’esclavage) m’ont sans cesse incité à m’intéresser aux affranchis. Pourtant, les deux articles de ce chapitre sont les seuls que je leur aie spécifiquement consacrés. Ces deux articles m’ont été proposés par A. Giardina à la fin des années 1980 et, plus récemment, par J. W. Prag ; je les remercie vivement l’un et l’autre de ces propositions. Dans d’autres publications, j’ai eu plus d’une fois l’occasion de parler des affranchis, mais plus ponctuellement, à propos d’autres sujets. J’en ai par exemple parlé dans mon livre sur les tablettes de L. Caecilius Jucundus1, dans celui sur l’esclavage2 et dans plusieurs articles, dont certains se trouvent dans ce recueil (par exemple les articles n° 31 et 33 du recueil)3.
J’ai rédigé mon article sur “L’Affranchi” assez rapidement, mais avec beaucoup de concentration. Le volume, L’Homme romain, dirigé par A. Giardina, fut publié en 1989 en italien, puis en français. Par la suite, à mesure que les études sur le genre ont pris de l’ampleur et exercé de plus en plus d’influence, je me suis dit qu’il y avait une ambiguïté dans le titre et le sujet de mon article. Alors que le titre de l’article ne désignait que l’affranchi homme, il apparaissait clairement, dès qu’on commençait à le lire, que l’étude portait sur l’ensemble des affranchis, hommes et femmes. Pourtant le texte de l’article traitait avant tout des affranchis hommes. Ce que je disais de ces affranchis hommes valait-il aussi pour les femmes affranchies ? Certains passages de l’article, par exemple la section consacrée aux contraintes juridiques du statut d’affranchi, montrent bien, il est vrai, que le sort des affranchies femmes était fort différent de celui des hommes de même statut. Certains passages du livre que R. Descat et moi avons écrit sur l’esclavage essaient eux aussi d’indiquer quelques-unes des différences entre les affranchis des deux sexes4. Maintenant, si je m’occupais de nouveau de ce sujet, j’insisterais davantage sur ces différences entre les hommes affranchis et les femmes affranchies. Bien sûr, cela ne signifie pas que les affranchies femmes aient nécessairement toujours été plus malheureuses que les affranchis hommes, même si, dans la plupart des cas, elles restaient probablement plus dépendantes de leur ancien maître que les affranchis hommes. Parallèlement, je me demanderais aussi ce qui est commun aux hommes et aux femmes dans le statut et la condition d’affranchi(e). Déjà, dans l’article “L’Affranchi”, la question qui m’a le plus intéressé était de savoir en quoi résidait l’unité de tout ce groupe des affranchis et affranchies, et jusqu’à quel point on peut parler d’absence d’unité.
J’ai souvent dit, dans cet article aussi bien qu’ailleurs, tout le bien que je pense de l’article de P. Veyne, “Vie de Trimalcion”5 ; cet article a intellectuellement beaucoup compté pour moi. Pourtant, je ne partage toujours pas l’idée que l’affranchi n’a pas d’avenir dans la société romaine, – idée importante pour P. Veyne, et qui sépare, à son avis, l’affranchi du bourgeois de l’époque moderne. À ce sujet, il faut distinguer clairement le roman de Pétrone et la société romaine. Que Pétrone, dans son récit, dépeigne les affranchis come n’ayant pas d’avenir, c’est exact, et J. Bodel, par exemple, l’a très bien remarqué6. Mais dans la société romaine, l’affranchi avait un avenir, ou, en tout cas, une minorité d’affranchis avait un avenir. Ou, du moins, si les affranchis eux-mêmes n’avaient pas d’avenir, leurs enfants et petits-enfants étaient susceptibles d’en avoir un.
Sur le second article de ce chapitre, “Freedmen in Satyrica”, j’ai une seule observation à faire. En lisant et en relisant le banquet de Trimalcion et en y réfléchissant, je suis en fin de compte parvenu à l’idée que le texte se comprenait mieux si les convives n’étaient pas tous les affranchis et affranchies de la cité, mais tous ceux qu’avait libérés un même maître ou les membres d’une même grande maison de notables. Ai-je eu raison ? Dans mon article, j’ai présenté les éléments qui pouvaient justifier cette interprétation, mais je n’ai visiblement pas convaincu H. Mouritsen7. J’ai bien conscience que je ne suis pas en mesure de la démontrer de façon décisive, même si elle continue à me séduire.
En tout cas, les affranchis, les affranchies et l’institution de l’affranchissement constituent un des très beaux sujets de recherche en histoire sociale du monde romain (sans doute le plus beau), et c’est aussi un beau sujet si l’on s’y intéresse d’un point de vue sociologisant ou anthropologisant.
Il n’est pas étonnant que la bibliographie sur les affranchis soit toujours abondante et souvent stimulante. Parmi les publications récentes, je mentionnerais Boyce 1991, Bell & Ramsby, éd. 2012, Hernández Guerra 2013, et surtout Mouritsen 2011, qui me paraît particulièrement intéressant.