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Les Maris et les nominations des idiomes du mari

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Introduction

Selon le recensement de la population 2020, 423 803 Maris vivaient alors sur le territoire de la Fédération de Russie, dont 246 560 dans la République de Mari El dont ils représentent 36,4 % de la population. La République de Mari El est l’une des 21 républiques composant la Fédération de Russie, elle est limitrophe de l’oblast de Nijni Novgorod à l’ouest, de celui de Kirov au nord et à l’est, de la République du Tatarstan au sud-est ainsi que celle de Tchouvachie au sud. Le reste des Maris – 41,9 % de la population totale des Maris dans la Fédération de Russie – vit en groupes compacts, dans les Républiques du Bachkortostan, du Tatarstan, d’Oudmourtie, et dans les oblasts de Kirov, Sverdlovsk, et Nijni Novgorod, ainsi que dans le kraï de Perm, et en groupes dispersés dans de nombreuses autres régions du pays. Toujours selon ce recensement, 60,5 % de la population marie de la Fédération de Russie parle sa langue ethnique.

La langue marie est subdivisée en quatre dialectes : des prairies, des collines, de l’est, et celui du nord-ouest. Aux termes de la Constitution de la République de Mari El (chap. 1, art. 15) (Konstituciâ 1995), ainsi que de la loi Relative aux langues de la République de Mari El (chap. 1, art. 1) (Zakon 1995), la langue marie (celle des collines et des prairies) est, avec le russe, langue officielle d’État fédérale, la langue coofficielle de la République de Mari El. Il convient cependant de préciser ce que signifie l’expression « langue marie (des collines et des prairies) » telle qu’elle est énoncée dans la Loi fondamentale. S’agit-il des normes d’une variante commune, de composantes de la « structure interne de la langue », ou encore de deux langues indépendantes, à tout le moins sociolinguistiquement et légalement ?

Un examen de la littérature de référence, à partir de 1938 (Bolʹšaâ sovetskaâ ènciklopediâ 1938), sur cette question nous informe que la reconnaissance de l’existence d’une langue ou bien de deux langues maries dépendait de la façon de considérer l’idiome des collines, soit comme l’un des dialectes du mari, soit comme une langue à part. La nomination de l’idiome des collines (un dialecte ou bien une langue) est ainsi liée à des raisons historiques et politiques, voire économiques. La reconnaissance juridique de l’idiome des collines, résultat d’une longue lutte politique, avec une formule assez vague, consacrée dans la Loi fondamentale de la République de Mari El en 1995, peut être considérée plutôt comme un compromis. D’autant plus que les nominations données par les locuteurs maris eux-mêmes, au cours d’une enquête sociolinguistique menée au moyen d’entretiens téléphoniques ou en face à face par l’auteure de ce chapitre au sein d’un échantillon d’une centaine de représentants de la communauté marie immigrée dans la région de Moscou, peuvent différer de la nomination officielle. Par exemple, d’après les résultats de cette enquête que nous abordons plus loin en détail, plus de la moitié des enquêtés de l’échantillon (56 %) pensent qu’il existe deux langues maris (mari des collines et mari des prairies), 24 % estiment que les langues maries sont « plusieurs : en tout cas, plus de deux », et seulement 20 % soutiennent l’idée que la langue marie est seule et unique. Ces nominations paraissent à l’évidence davantage dues à l’appartenance ethnique de l’enquêté qu’au statut juridique attribué à tel ou tel idiome.

Les Maris

Ethnonyme et exonyme

L’ethnonyme « mari » (d’origine iranienne) de l’un des plus anciens peuples autochtones finno-ougrien de la région de la Volga moyenne signifie « mari, homme » (Kovedâeva 1976 : 3)1, et cet autonyme a survécu encore aujourd’hui dans les noms traditionnels de petits groupes territoriaux (Nikitina 2002 : 3).

L’exonyme des Maris, « Tchérémisses », est entré en usage en Russie et au-delà à partir du russe mais les Russes empruntèrent cet ethnonyme à un peuple qui était lié aux Maris bien avant les contacts avec eux, probablement les Bulgares de la Volga (Haidu 1985 : 66). Pour la première fois, l’ethnonyme « Tchérémisses » fut mentionné sous le nom de « Tsarmis » dans un essai de Jordanès (Iordan 1997), un historien des Goths, au VIe siècle. Cependant, des témoignages historiques ultérieurs contenant des informations sur les Tchérémisses paraissent plus fiables : la lettre de Joseph, Kagan Khazar, qui donne une liste des peuples soumis aux Khazars, ainsi que l’écrit russe, Povestʹ vremennyh let (Chronique des années passées) (Povestʹ vremennyh let, 1950), datée du XIIe siècle (Kovedâeva 1976 : 4). Les Maris furent également nommés « Tchérémisses » par leurs voisins immédiats : les Tatars et les Tchouvaches.

L’origine de l’ethnonyme « Tchérémisses » n’est toujours pas complètement clarifiée. On peut reconnaître que la deuxième partie du mot, « mis », signifie « homme, personne » (mies en finnois, mees en estonien). Par conséquent, la première partie du mot devrait répondre à la question : quelle personne ? Les réponses des chercheurs divergent (Ivanov & Sanukov 2015 : 14) : « des nomades ou bien des personnes vivant tout près » (à partir du mot « tchéré », d’origine iranienne) (Gordeev 1964 : 207-212) ; « un membre de la tribu tchéré » (mot d’origine finno-ougrienne), par l’intermédiaire des langues des tribus voisines disparues de Muroma et Meria (Ivanov 1978 : 46) ; « un homme du côté du soleil » (dans la langue des Mordves) : les ancêtres des Maris vivaient à l’est des Mordves, c’est-à-dire du côté où le soleil se lève (Kazancev 1985 : 9-10). Parmi les nombreuses explications données, la plus acceptable semble être celle-ci : « les hommes de la forêt » (Ivanov & Sanukov 2015 : 14). Le nom officiel « Tchérémisses » fut attribué aux Maris jusqu’à la Révolution d’Octobre de 1917. Néanmoins, avec l’établissement du pouvoir soviétique, les Maris ont retrouvé leur ethnonyme endogène : en 1920, la région autonome de Mari fut formée, et ensuite transformée en République socialiste soviétique autonome de Mari en 1936. En 1992, elle fut baptisée République de Mari El.

Le territoire de réinstallation des Maris
et la formation de groupes de diasporas

Comme cela a été indiqué plus haut, les Maris se distinguent par leur forte dispersion. Ils occupent la deuxième place parmi tous les peuples finno-ougriens de la Fédération de Russie après les Mordves par le nombre de représentants de groupes ethniques vivant en dehors de leur patrie historique (Kondraškina 2016 : 746). Toutefois, il convient de noter que la patrie historique des Maris ne se situe pas seulement dans la République de Mari El mais aussi dans certains endroits anciens et ancestraux n’en faisant pas partie comme dans les régions de Nijni Novgorod et de Kirov, dans celles frontalières du Tatarstan, dont les habitants forment les restes de la population indigène des Maris dans des zones de colonisation intense s’étant retrouvées au cours des périodes ultérieures entourées par des colons tatars et russes (Sanukov 2000 : 15). On distingue donc deux zones historiques principales de l’ethnie marie : la région primaire de la Volga moyenne et la région secondaire cisouralienne (la région de Kama-Oural) (Sepeev 2006 : 112).

La communauté sur le territoire de la Fédération de Russie, en dehors de la République de Mari El, est formée, d’une part, par des Maris vivant de manière compacte au Bachkortostan, en Oudmourtie, au nord-est du Tatarstan, et dans les régions adjacentes cisouraliennes. Les Maris peuplèrent ces zones autrefois inhabitées du XVIe au XVIIIe siècles. Les migrations des Maris furent provoquées par des répressions qui suivirent la prise de Kazan par Ivan le Terrible au XVIe siècle (une grande partie des Maris des prairies avaient rejoint les Tatars dans leur lutte contre les Russes), du fait du harcèlement par l’administration du tsar, qui fut suivi par les révoltes massives des paysans sous le commandement de Stepan Razin et d’Emelian Pougatchev (XVIIe-XVIIIe siècles), de même que par la politique de christianisation forcée au cours du XVIIIsiècle2. D’autre part, cette dispersion interne est constituée des Maris installés dans un environnement multiethnique dans de nombreuses autres régions du pays. Presque tous ceux-là sont des migrants de la période soviétique (Sepeev 2006 : 144-175). Le groupe qui en est le plus important et le mieux organisé est celui du Bachkortostan (Popov 2013 : 140).

Groupes ethniques des Maris

Comme d’autres peuples de la région de la Volga et de l’Oural, l’ethnie des Maris possède une structure assez complexe qui s’est développée à la suite de changements politiques et socio-économiques sous l’influence des migrations vers de nouveaux lieux de résidence avec, pour conséquence, la nécessité de s’adapter à de nouvelles conditions naturelles, de maîtriser de nouveaux métiers et activités, ainsi que de subir l’influence des populations voisines (Popov 2013 : 131).

Les relations ethnoculturelles avec des populations turciques (les Bulgares de la région de la Volga-Kama, puis les Tchouvaches et les Tatars) jouèrent un grand rôle dans la formation et le développement de l’ethnie marie. En entrant dans la composition de l’État Russe (1551-1552), les Maris subirent une forte influence de la part des Russes (Petrov 1994 : 229). On les classifie en trois grands sous-groupes ethniques : les Maris dits « des collines » (ils habitent principalement la rive droite de la Volga, ainsi que certains lieux de la rive gauche), les Maris dits « des prairies », entre la Volga et la Vetlouga, et les Maris dits « de l’est ». Ces derniers vivent à l’est de la rivière Viatka, principalement sur le territoire du Bachkortostan où ils se sont installés au cours des XVIe-XVIIIe siècles (Petrov 1994 : 229).

Tout d’abord, il faut noter que les anciens Maris, en tant que groupe ethnique, se sont structurés sur la base de deux cultures protohistoriques distinctes : les Maris des collines, sur la base de la culture gorodetskienne3, les Maris des prairies sur la base de la culture azélinskienne4, ce qui a déterminé une « différenciation originelle entre les Maris des collines et des prairies » (Ivanov & Sanukov 2015 : 12). Pour en savoir plus voir Kozlova (1978). Ensuite, la répartition géographique en deux groupes (des collines et des prairies), les conditions naturelles différentes eurent un effet sur leurs activités et leurs cultures : les Maris des collines, habitant la haute rive droite de la Volga, s’occupaient de labourage, tandis que les Maris des prairies, habitants de la rive gauche, boisée, se concentraient plutôt sur des activités de subsistance, telles que la chasse et la pêche, et « se nourrissaient de la guerre » (Bakhtin 1998 : 30). En outre, les anciens Maris firent l’objet d’intérêts géopolitiques et d’aspirations expansionnistes de la part des peuples voisins : les Khazars, les Bulgares du bassin de la Volga-Kama, les Tataro-Mongols. Plus tard, la plupart des terres de Maris firent partie du khanat de Kazan. Les relations des Maris des prairies avec les Tatars de Kazan sont caractérisées par des historiens comme celles d’alliés, de type confédéral : les terres des Maris des prairies servaient à la protection du centre du khanat au nord et à l’ouest, et les habitants eux-mêmes résistèrent aux Russes lors de la prise de Kazan par les troupes d’Ivan IV Le terrible, ayant participé à des batailles aux côtés des Tatars. En revanche, les relations entre les Maris des collines et les Tatars furent contrastées. Leur position géographique contribua à un développement économique réussi de la rive droite de la Volga : la présence de sols fertiles, un climat plus doux, d’importantes voies fluviales, tout cela contribua au développement de l’agriculture et du commerce. En conséquence, le niveau de développement économique des Maris des collines au XVIe siècle était plus élevé que celui des Maris des prairies. La partie vallonnée servit de source fiscale importante, le contrôle de son territoire de la part des Tatars était donc plus strict. Cependant, malgré l’importance de ces terres pour Kazan, politiquement et économiquement, le côté vallonné était associé au Khanat de manière beaucoup plus faible que la rive gauche. Séparé de la Volga, le côté vallonné renforçait de plus en plus ses liens avec les Russes (Bakhtin 1998 : 43-44). En conséquence, au moment de l’entrée du territoire des Maris dans l’État Russe, les Maris des collines soutinrent les troupes d’Ivan le Terrible lors de la prise de Kazan (1552), tandis que les Maris des prairies défendirent Kazan jusqu’au dernier moment. Pour autant, l’entrée finale des Maris des prairies dans l’État russe fut précédée de la longue période des trois guerres tchérémisses (1552-1557, 1571-1574, 1581-1585) (Bakhtin 1998). À cet égard, il convient de noter que :

« jusqu’à présent, les Maris des prairies sont fiers de dire qu’ils ont défendu leur liberté religieuse [religion marla] et nationale. Pour eux, les événements du XVIe siècle ont gardé un écho politique jusqu’à nos jours. Pour beaucoup, la prise de Kazan est un événement plus pertinent et actuel que la Révolution ou la Grande guerre Patriotique » (Filatov & Ŝipkov 1996 : 168).

Par ailleurs, l’opposition entre les Maris des collines et des prairies s’est poursuivie par exemple dans le cadre de la formation de la région autonome de Mari, suite à l’établissement du pouvoir soviétique. Des débats houleux eurent lieu quant à l’endroit où devait se situer la capitale de la région, soit à Kozmodemiansk, une ville sur le côté collines, à l’époque un centre du grand commerce forestier (Sanukov 2013 : 156-157), soit à Tsarévokokchaisk, plus tard renommé Iochkar-Ola (la Ville Rouge), une bourgade située au bord de la rivière Malaia Kokchaga, du côté des Maris des prairies. En outre, il y avait des raisons historiques objectives conditionnant la nécessité de faire un choix : le petit nombre d’habitants de Tsarévokokchaisk, son éloignement des grandes artères, le poids moindre de son commerce et de son industrie, une prédominance de la petite agriculture ont largement déterminé la lenteur du développement socio-économique de cette ville. Dans le même temps, Kozmodemiansk se développait à un rythme plus rapide, étant devenu un carrefour commercial connu bien au-delà de la province. La position géographique favorable de la ville, située à l’intersection de deux fleuves, la Volga et la Vetlouga, ainsi que sur la voie terrestre Moscou-Kazan, le développement de la navigation à vapeur sur la Volga, la croissance économique de sa foire forestière, l’activité de ses entreprises, concoururent au développement de l’industrie, du commerce et de l’artisanat dans cette ville (Ivanov & Sanukov 2015 : 166).

Enfin, les différences de croyances religieuses entre les Maris des collines, des prairies et de l’est sont importantes. À la suite de l’entrée dans l’État russe (1551), les Maris des collines adoptèrent le christianisme, ils perdirent leur attachement à la religion marla et intégrèrent la sphère culturelle chrétienne. Les Maris des prairies, selon des enquêtes sociologiques (Filatov & Ŝipkov 1996 : 167), sont principalement des « bi-croyants » (60 %), ils vont à l’église puis dans les bosquets sacrés des Maris, estimant qu’ils vénèrent un seul Dieu de différentes manières. Les Maris de l’est se considèrent comme des « purs Maris » (on compte 90 % des croyants de religion traditionnelle marla parmi eux), car, après avoir fui la christianisation forcée vers les régions éloignées du Bachkortostan, du Tatarstan et de l’Oural, ils ont ainsi sauvé la pureté de leur foi. En 1991, lors de la cérémonie d’inauguration, Vladislav Zotov, le premier président de la République de Mari El (un Mari des collines) fut ainsi béni en même temps par l’évêque de l’église orthodoxe russe et par le prêtre suprême de la religion traditionnelle marla des Maris, l’« Ochmari-Tchimari » (Union religieuse marla), organisation créée et enregistrée dans la République en 1991 dans le cadre du mouvement de renaissance nationale (idem : 168-174). Il convient également de rappeler que les processus migratoires, intensifiés en particulier dès la seconde moitié du XVIe siècle, ont aggravé la dissociation territoriale des Maris. Ces processus exercèrent une influence significative sur la langue marie, menant, d’une part, à l’intensification des divergences dialectales, l’apparition d’un certain nombre d’innovations sous l’influence des langues des peuples voisins, et d’autre part, perpétrant d’anciens traits de la langue dans des dialectes marginalisés (Kovedâeva 1987 : 146).

La langue marie : composition dialectale
et processus de codification et de normalisation

Des linguistes russes ont donc adopté la division de la langue marie en quatre dialectes : des collines, des prairies, de l’est et du nord-ouest (sur la base de divergences lexicales, et, dans une moindre mesure, phonétiques), alors que leurs homologues, dans les études finno-ougriennes de l’ouest, distinguent traditionnellement les dialectes de l’est et de l’ouest sur des bases phonétiques. L’écriture, y compris pour l’édition de livres en mari à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, s’est développée dans les dialectes des collines et des prairies, ce qui fut l’une des conditions préalables au développement de deux normes de la variété littéraire, des collines, et des prairies et de l’est. Bien que plusieurs tentatives répétées de création d’une langue littéraire unifiée aient été faites dans les années 1920, 1950 et 1990, elles n’aboutirent pas.

Segmentation dialectale de la langue marie

La langue marie, de la branche de la Volga du groupe finno-ougrien de la famille des langues de l’Oural, est une langue agglutinante. La première division des Maris en Maris des collines et des prairies, avec l’indication des territoires qu’ils occupent et la présence de « leurs » langues, fut enregistrée dans les chroniques russes au cours de la seconde moitié du XVIe siècle (Kazanskaâ istoriâ 1954). Le linguiste orientaliste Nikolai Ilminski (1822-1891) fut le premier à répartir la langue marie en variétés des collines, des prairies et de l’est dans la seconde moitié du XIXe siècle : il identifia et désigna, outre ces deux idiomes, un troisième, à part, qu’il nomma le « mari de l’est » sur la base de différences lexicales et, dans une moindre mesure, phonétiques (Kovedâeva 1993 : 149). Depuis la fin des années 1950, des linguistes maris, I. S. Galkin et L. P. Gruzov (Galkin & Gruzov 1960) proposèrent une autre classification en mettant les parlers du nord-ouest dans un groupe à part (Kovedâeva 1987 : 7). Depuis le milieu du XIXe siècle, dans des recherches linguistiques étrangères, la division des dialectes maris en ceux de l’ouest et de l’est a été généralement acceptée (Kovedâeva 1987 : 146). Tout d’abord, cette division fut fondée sur les correspondances des voyelles de la première syllabe dans des mots ayant le même radical et ayant le même sens dans les idiomes des collines et des prairies (Kovedâeva 1993 : 149). En même temps, de nombreuses subdivisions dialectales plus petites furent enregistrées, dont la plupart sont nommées selon les unités administratives correspondant aux lieux de résidence des informateurs (Haidu 1985 : 68 ; Kovedâeva 1987).

Les études sur les dialectes maris commencèrent dans les années 1730 avec la collecte de matériaux par V. N. Tatitchev, un historien russe. Ensuite, ces activités scientifiques furent reprises par des chercheurs russes et étrangers, enfin par les représentants de l’intelligentsia d’origine marie à partir de la seconde moitié du XIXe siècle (Ipakova 2013 : 108). À partir des années 1920, lorsque la question de la création d’une seule langue littéraire marie fut soulevée, une étude approfondie des divergences dialectales au sein de la langue marie fut initiée (Kovedâeva 1987 : 12). Des travaux sur la classification des dialectes de la langue marie continuent de nos jours.

Au résultat, quatre dialectes ou variétés (narečie) de la langue marie se décomposent en sous-variétés locales, notamment : la variété des prairies avec le Morkinsko-Sernourski, le Iochkar-Olinski, et le Voljski ; la variété des collines avec le Elassovski, le Kozmodemianski ; celle de l’est avec le Menzelinki, le Kaltasinski, le Michkinski, le Krasnoufimski, et le Koungourski ; celle du nord-ouest avec le Charangski, le Tonchaevski, et le Iaranski (Kondraškina 2016 : 268). Une autre division plus détaillée est proposée par Ipakova (2016 : 108), avec une subdivision des dialectes maris en deux complexus dialectaux : celui de l’est, qui comprend les variétés des prairies et de l’est, et celui de l’ouest, combinant les variétés des collines et du nord-ouest. Dans cette classification, les quatre variétés regroupent vingt-deux sous-variétés. Cependant, il est difficile d’établir des limites précises entre les variétés et les sous-variétés car les caractéristiques dialectales sont parfois à la limite de leurs aires ainsi prédéterminées. Dans des zones intermédiaires entre des variétés principales, il y a généralement des parlers de transition, qui gardent certaines caractéristiques des dialectes adjacents (Kovedâeva 1987 : 146). Il faut néanmoins noter que les différences dialectales sont assez contrastées, elles couvrent non seulement la phonétique, mais aussi la morphologie. Quoi qu’il en soit, malgré ces diversités morphologiques, il n’y a pas de différences marquées en ce qui concerne les catégories grammaticales (Kovedâeva 1987 : 148-149).

Codification et normalisation de la langue marie

Actuellement, la langue marie comporte officiellement deux normes littéraires : celle du mari des prairies et de l’est (lugovo-vostočnaâ), et celle du mari des collines (gorno-marijskaâ). La première est construite sur la base de la sous-variété morkinsko-sernurskij, parlée par la plupart des représentants des Maris des prairies et qui est la plus proche des parlers de l’est. La deuxième prend comme base directrice la sous-variété de la rive droite de la Volga (elasovskij) parlée par la plupart des représentants des Maris des collines. Ces variantes littéraires ont leurs propres normes orthographiques et de ponctuation, ainsi qu’orthoépiques, grammaticales, lexicales et stylistiques, même si ces dernières ne sont pas encore établies d’une manière systématique. La variété littéraire des prairies et de l’est est toutefois utilisée par plus de 90 % de la population marie (Galkin & Sibatrova 2013 : 103-104).

La formation de deux normes littéraires peut être considérée comme historiquement conditionnée. En premier lieu, l’écriture se développa séparément au sein des variétés des collines et des prairies. Les premiers textes maris en vers, liés à la christianisation des peuples de la région de la Volga et aux activités d’écoles dites de chrétiens néophytes au XVIIIe siècle, sont apparus d’abord dans l’idiome des collines (1767), puis dans celui des prairies (1782). C’étaient des discours solennels et apologétiques, adressés à Catherine II et écrits par des jeunes Maris, élèves de ces écoles. Au XIXe siècle, à la suite des activités de la Confrérie de Saint Guri et de la Commission de traduction dirigée par Nikolai Ilminski, des traductions de la littérature religieuse et des abécédaires furent publiés dans les dialectes des collines et des prairies (Kovedâeva 1976 : 15-16). De surcroît, la publication des premiers journaux, magazines, des œuvres littéraires dans différents dialectes, y compris celui de l’est, au début du XXe siècle contribua également à l’émergence des deux normes d’écriture. Cependant, un rôle décisif dans la formation de ces deux normes littéraires par l’activité éditoriale fut lié aux premières années du pouvoir soviétique (Galkin & Sibatrova 2013 : 103).

Pour la première fois, la question de la nécessité de créer une langue littéraire nationale a été posée par les éditeurs du Marla Kalendar’ (Calendrier Marla) (Marla Kalendarʹ 1906-1913), qui fut publié après la première révolution russe par les « Maris vivant à Kazan », qui avaient choisi la variété des prairies étant donné qu’elle était la plus répandue, tout en s’inspirant secondairement de l’autre variété (Ivanov 1975 : 36-38). Dans les années 1920, au cours de la phase d’alphabétisation massive des peuples soviétiques, des conditions favorables pour la construction d’une langue littéraire unifiée furent réunies (Ivanov 1975 : 93) mais ce processus ne put aboutir car les discussions sur la question de la langue unifiée se trouvèrent liées à une lutte politique aiguë pendant la formation de la région autonome de Mari5. Suite à cela, la Commission linguistique prit la décision de développer deux langues écrites sur les bases de deux ensembles dialectaux et son activité se limita à résoudre les problèmes pratiques du développement des alphabets et des normes orthographiques en tâchant de faire se rapprocher les idiomes des prairies et des collines (Ivanov 1975 : 113). En outre, à la différence, par exemple, de la création de la langue tchouvache littéraire6, processus presque exclusivement lié aux activités d’Ivan Iakovlev, dit le « patriarche de la langue tchouvache », des tentatives de créer une langue littéraire marie unifiée furent mises en œuvre avec la participation active d’une pléiade de représentants de l’intelligentsia marie, qui étaient des locuteurs de différents dialectes, la plupart d’entre eux étant des Maris des prairies. Par conséquent, il s’avéra nettement plus difficile d’atteindre un consensus. Les participants ne purent aisément choisir, en effet, une seule et même base dialectale pour la future norme littéraire commune (Ivanov 1975)7.

Enfin, une intervention active dans le processus d’édification linguistique (1921-1937) par les représentants des organes du parti communiste se produisit aussi. Les organes du parti et du gouvernement s’engagèrent directement dans la question de la formation de la langue littéraire : en 1924, une commission spéciale, qui reçut le nom de « Commission de mise en œuvre de la langue marie »8 fut créée au sein du Comité exécutif de l’oblast. Plus tard, en septembre 1927, la question de la possibilité de créer une langue littéraire unique fut abordée lors de la quatrième session plénière du Comité régional du Parti communiste, et discutée plus en détail lors de la dixième conférence régionale du parti en décembre 1927 (Ivanov 1975 : 61-66). À titre d’exemple, en 1937, lors d’un colloque scientifique sur la langue marie, seuls les Maris des collines décidèrent d’introduire les lettres E, Ю, Я dans leur alphabet mais le bureau du Comité régional du parti les introduisit également dans l’alphabet du mari des prairies. De plus, dans sa décision, la Commission régionale précisa que les lettres Ф, Х, Ц, incluses dans l’alphabet mari, « seraient légalisées », et qu’une lettre supplémentaire, Щ serait introduite. Enfin, au cours de ce colloque, des linguistes maris ne purent s’entendre sur le nombre de catégories morphologiques dans la langue marie ; ce problème fut résolu par le bureau du Comité régional du parti : « Le bureau du Comité régional du parti communiste estime qu’il est approprié d’établir cinq cas » (Sanukov 2013 : 2010).

Nominations des idiomes du continuum linguistique
de la langue marie

Rappelons que, conformément à la Constitution de la République de Mari El (chap. 1, art. 15, 1995) et à la loi Relative aux Langues dans la République de Mari El (chap. 1, art. 1, 1995), les langues officielles d’État dans la République de Mari El sont « le mari (des collines et des prairies) et le russe ». Une étude de la littérature de référence (à partir de 1938) montre que la reconnaissance de l’existence d’une ou bien deux langues maries dépendait de la classification de l’idiome des collines soit comme l’un des dialectes de la langue marie, soit comme une langue à part. À son tour, la catégorisation de l’idiome des collines en tant que langue ou bien en tant que dialecte est liée à des raisons historiques (politiques et économiques). La longue lutte pour la reconnaissance de l’idiome des collines comme une langue autonome aboutit à un compromis politique, consacré par la Constitution de la République de Mari El de 1995 sous la formulation assez ambiguë indiquée plus haut.

Actuellement, dans l’enquête sociolinguistique que nous menons auprès de la communauté des Maris de la région de Moscou (cf. supra), l’une des questions concerne les nominations données spontanément pour désigner les idiomes du continuum linguistique mari. D’après les résultats, plus de la moitié des enquêtés de l’échantillon (56 %) estiment qu’il existe deux langues maries (des collines et des prairies), 24 % ont estimé qu’il y avait plusieurs langues maries, plus de deux, tandis que 20 % croient qu’il y a une seule langue marie.

Nominations des idiomes du continuum linguistique
mari dans la littérature scientifique

Avec l’établissement du pouvoir soviétique et la création de la région autonome, les Maris, qui étaient autrefois appelés Tchérémisses, reprirent le nom d’origine de leur ethnie. En conséquence, le terme « langue marie » commença à figurer pour la première fois dans la littérature de référence. Considérons les nominations du continuum linguistique mari en nous servant à titre d’exemple de la Grande encyclopédie soviétique (Bolʹšaâ sovetskaâ ènciklopediâ) dans l’édition de 1938, la langue marie est définie comme suit :

« La langue marie (dite « langue tchérémisse » avant la Révolution d’Octobre), plus précisément les langues maris, distribuées dans la République autonome soviétique de Mari. (…) Une des langues maries s’appelle le mari des prairies, l’autre le mari des collines, l’ensemble des deux ayant 426 000 locuteurs en 1926. Chacune possède une forme littéraire » (Bolʹšaâ sovetskaâ ènciklopediâ 1938 : 138).

Les données dans la notice sont précises : malgré le fait que les résultats du recensement de la population de 1926 portent sur le nombre total de locuteurs de la langue marie et malgré le titre de la notice lui-même, « Langue marie » au singulier, on y constate finalement la présence de deux langues. Le fait est qu’en août 1929, Nikolai Marr, qui jouissait à l’époque d’une grande influence et promouvait activement sa « nouvelle doctrine de la langue », a donné à Iochkar-Ola, aux participants à la recherche linguistique de terrain, une conférence sur sa théorie japhétique dans laquelle il affirmait que les idiomes des collines et des prairies étaient deux langues à part. Nikolai Marr a chargé des linguistes maris de développer une langue littéraire « en utilisant de manière égale toutes les variétés de la langue marie considérées comme équivalentes, mais se trouvant à des stades différents de leur développement » (Marr 1935 : 448, 377, cité par Ivanov 1975 : 93). En outre, en 1937, après la tenue d’un colloque sur des problèmes de la langue marie (en particulier, les questions de l’alphabet et de l’orthographe y furent discutées), le bureau du Comité régional du parti communiste nota que, lors de cette rencontre scientifique, « il apparaissait d’importantes lacunes, exprimées dans le fait que le colloque n’était pas sous-tendu par la direction politique appropriée ». Ainsi, les participants du colloque prirent la résolution de reconnaître deux langues littéraires : celles du mari des prairies de l’est, et celle du mari des collines. Cependant, les éditeurs des travaux du colloque retinrent que la formulation « narečie » s’appliquait à « variété/dialecte de mari des collines » dans le protocole. Le bureau du Comité régional du parti rétablit alors la décision initiale des délégués et identifia le terme narečie comme « mauvais et nocif » et décida de : « considérer que, dans la République autonome soviétique marie, il existe deux langues maries : le mari des prairies et de l’est, et le mari des collines » (Sanukov 2013 : 210).

En 1954, la nouvelle édition de la Grande encyclopédie soviétique (Bolʹšaâ sovetskaâ ènciklopediâ) contenait une définition différente :

« La langue marie est la langue du peuple mari (l’ancien nom est tchérémisse), appartenant aux langues finno-ougriennes du groupe de la Volga. Dans la langue marie, il y a trois dialectes principaux : des collines, des prairies, et de l’est, sur la base desquels deux normes littéraires ont été élaborées : une pour le mari des collines, et une pour celui des prairies et de l’est. Le nombre de locuteurs est supérieur à 481 000 personnes (recensement de 1939) » (Bolʹšaâ sovetskaâ ènciklopediâ 1954 : 283).

Au début des années 1950, suite à la célèbre discussion sur les pages de la Pravda l’échec des principales dispositions de la « nouvelle doctrine de la langue » de Nikolai Marr fut démontré9. La doctrine de Nikolai Marr eut une influence négative sur le développement de la langue littéraire, tandis que certaines de ses déclarations servirent à justifier la distinction en deux langues maries. Cependant, à partir des années 1950, sur la proposition du Comité régional du parti, une tendance se fit jour pour unifier les deux normes littéraires10, un nouveau projet d’orthographe fut préparé, et une grande attention fut accordée à la clarification des caractéristiques linguistiques communes et distinctives entre les idiomes des collines et des prairies. La création d’une orthographe commune ouvrirait la voie à une unification linguistique, vers une seule langue littéraire (Ivanov 1975 : 209-210). Une édition postérieure de la Bolʹšaâ sovetskaâ ènciklopediâ (la Grande encyclopédie soviétique) (Bolʹšaâ sovetskaâ ènciklopediâ (1974)) contient l’article « Langue marie » au singulier suivant :

« La langue marie, la langue des Tchérémisses, est la langue des Maris vivant dans la République Autonome Soviétique Socialiste de Mari, la République autonome soviétique socialiste Bachkire, la République autonome soviétique socialiste Oudmourte, la République autonome soviétique socialiste Tatare ainsi que dans certaines autres régions. Plus de 546 000 personnes parlent mari (selon le recensement de 1970). Il y a 4 dialectes : des prairies, de l’est, des collines et du nord-ouest (au sud-ouest de l’oblast de Kirov). Il existe deux variétés de la langue marie écrite : l’une est celle des Maris des prairies et de l’est, l’autre est celle des collines) » (Kovedâeva 1974 : 371)11.

Dans les années 1990, une nouvelle page s’ouvrit dans l’histoire des nominations des idiomes du continuum linguistique mari. Sur la vague de la mobilisation ethnique, il y eut une montée des mouvements nationaux qui balaya les Républiques autonomes de l’ex-URSS. En 1990, « Mari Uchem », l’union des Maris, fit sa réapparition. Le congrès fondateur proclama comme tâche prioritaire le renouveau et le développement de la langue maternelle et de la culture maries. Dans le domaine de la politique linguistique, le congrès incita également à élaborer et à adopter une loi sur les langues, et à établir un statut de la langue marie en tant que langue officielle. De plus, il souligna la nécessité de la reconnaissance de la langue des Maris des collines comme langue littéraire à part entière (Kondraškina 2008 : 76-77). Les médias de la République commencèrent alors à débattre activement d’un projet de loi sur les langues. Une fois de plus, les contradictions entre les Maris des collines et ceux des prairies apparurent au grand jour. La polémique porta d’abord sur la question de savoir combien il y avait de langues maries : une ou bien deux ?

Dans le projet de loi sur les langues, rédigé par le professeur I. G. Ivanov (un Mari des prairies) et publié dans les médias en 1991, le mari des collines fut désigné comme une variante de la langue marie littéraire. En 1992, L. P. Vassikova, une linguiste marie des collines, publia un article affirmant l’existence de deux langues :

« … langues de même valeur, égales du point de vue linguistique », mais « indépendantes dans les zones les plus stables d’un système interne propre de la langue : phonétique, phraséologique, syntaxique (…). Il n’y a pas de langue marie commune (c’est ainsi que l’histoire l’a décidé). Il existe deux langues littéraires maries : le mari des prairies et celui des collines. Si la langue des collines est un dialecte, alors du point de vue linguistique, cela va de soi que la langue des prairies est aussi un dialecte. Pourquoi l’une des variétés (des prairies) se verrait-elle attribuer le statut de langue d’État, et l’autre (des collines) non ? Seulement une langue codifiée et normalisée peut être considérée comme une langue d’État. Outre les différences dans les données en termes de poids démographique (le nombre des locuteurs en langue des Maris des collines est certainement inférieur à celui des Maris des prairies, les Maris de l’est parlent eux aussi la langue des prairies), il n’y a pas d’autres raisons pour lesquelles le mari des collines ne pourrait pas devenir une langue d’État à l’égal du mari des prairies » (Vassikova 1996 : 110-115).

En définitive, le projet fut publié en trois variétés. Compte tenu de la situation aiguë, le gouvernement de la République de Mari El, prévoyant qu’il pourrait y avoir un conflit linguistique ouvert dans la société, prit la décision de reporter l’adoption de la loi sur les langues (Kondraškina 2008 : 84). Ces événements ne pouvaient qu’avoir un impact sur les nominations de la langue marie dans la littérature scientifique. Ainsi, en 1993, un ouvrage, Âzyki mira: Uralʹskie âzyki (1993), fut publié par L’Institut de Linguistique de l’Académie des Sciences de Russie, avec un article intitulé « Marijskij âzyk » (La langue marie) (Kovedâeva 1993). En même temps, dans la partie « Renseignements généraux » de l’article, on constate le renvoi à deux normes littéraires de mari (Kovedâeva 1993 : 148-164). À la suite de l’article sur la langue marie (par-là on se réfère a priori à la norme du mari des prairies et de l’est), il y a une section distincte, intitulée « la variante littéraire du mari des collines » (ibid. : 164-173).

Le débat public sur ces questions brûlantes eut pour résultat la loi Relative aux Langues dans la République de Mari El (Zakon o âzykah v Respublike Marij Èl), adoptée par l’Assemblée d’État de la République le 21 octobre 1995. Conformément à l’article premier du chapitre 1 de ce document officiel, le mari (des collines et des prairies) et le russe furent ainsi établis comme langues d’État de la République de Mari El. L’article 3 du Chapitre 1 indique que l’établissement du statut du mari en tant que langue officielle d’État a pour but de créer une base solide pour la conservation et le développement de l’ethnie marie et de sa culture nationale.

L’encyclopédie Âzyki Rossijskoj Federacii i sosednih gosudarstv (Les Langues de la Fédération de Russie et des États voisins), parue en 2001, contient un article intitulé « Marijskij gornyj âzyk » (Le mari des collines) (Gračeva 2001 : 266-274), puis un article intitulé « Marijskij lugovovostočnyj âzyk » (Le mari des collines et de l’est) (Kovedâeva & Nikolaeva 2001 : 275-276). Il est étonnant que, dans une même publication, le mari des collines est à la fois reconnu comme une langue distincte et comme un dialecte (narečie) :

 « Il a une forme littéraire. Il a le statut de langue d’État dans sa région avec le mari des prairies et le russe. Par rapport à la langue de mari des prairies, le mari des collines a mieux conservé les anciens traits inhérents aux langues finno-ougriennes. Dans le mari des collines, on distingue deux dialectes : l’un est parlé par des Maris de collines habitant la rive droite de la Volga, et l’autre par des Maris vivant sur la rive gauche de la Volga. Ces dialectes se subdivisent en sous-dialectes et parlers (govor), les différences entre eux sont insignifiantes » (Gračeva 2001 : 267)12.

Dans l’édition de 2012 de La grande encyclopédie russe (Bolʹšaâ Rossijskaâ ènciklopediâ 2012), prend place aussi un article sur « Les langues maries » (cf. supra). L’auteur donne aussi les dénominations suivantes du continuum linguistique mari s’appliquant aux quatre dialectes et aux deux langues littéraires :

« Les variétés des collines et des prairies ont des normes littéraires : celle du mari des collines (sur la base directrice de la variante de Kozmodemiansk du dialecte des collines) et celle du mari des prairies (à la base directrice de la variante de morkinsko-sernourskij), qui sont deux langues d’État dans la République de Mari El » (Kondraškina 2012 : 125-126).

Ainsi, une étude détaillée de la littérature a montré que le nombre de langues maries (une ou deux) dépendait de la désignation de l’idiome des collines tantôt comme langue autonome, tantôt comme dialecte de la langue marie, et était dû à des raisons politiques.

Les nominations s’appliquant au continuum linguistique mari (d’après les résultats du sondage des représentants de l’immigration marie dans la région de Moscou)

Dans l’enquête sociolinguistique que nous menons parmi les migrants maris de la région de Moscou (cf. supra), qui sont originaires de la République de Mari El ainsi que de lieux de résidence compacts des Maris situés ailleurs sur le territoire de la Fédération de Russie (Républiques du Bachkortostan et du Tatarstan, oblasts de Kirov et de Sverdlovsk), l’une des questions a notamment porté sur les nominations de la langue marie.

Lieu de résidence des enquêtésNombre d’enquêtés de l’échantillon
République de Mari El (territoire d’implantation de la langue marie des prairies)58
République de Mari El (territoire d’implantation de la langue marie des collines)13
Lieux de résidence compacts des Maris en dehors de la République de Mari El (République de Bachkortostan)18
Lieux de résidence compacts des Maris en dehors de la République de Mari El (République du Tatarstan, et oblasts de Kirov et Sverdlovsk)11
Tableau 1. Répartition géographique des enquêtés de l’échantillon.

Selon les résultats de l’enquête, plus de la moitié des enquêtés de l’échantillon (56 %) pensent qu’il existe deux langues maries (mari des collines et mari des prairies), 24 % ont estimé que les langues maries sont « plusieurs : plus de deux », et seulement 20 % pensent que la langue marie est seule et unique. Parmi des personnes interrogées dans ce dernier groupe, 13 sont originaires de la République de Mari El (dans les raïons13 concernés par la langue des Maris des prairies), 7 personnes sont originaires des lieux de résidence compacts des Maris en dehors de Mari El (Républiques du Bachkortostan et du Tatarstan, et oblast de Sverdlovsk). Les Maris de collines ne sont pas représentés dans ce groupe. Dans le même temps, par « une » langue marie, les enquêtés désignent notamment une langue littéraire « unique », en particulier ceux qui ont étudié la langue marie en tant que discipline à l’Université ou à l’Institut pédagogique (Faculté de philologie marie) d’Iochkar-Ola, la capitale :

« Une, je crois. Une langue marie littéraire. Et le reste, donc, ce sont des parlers (govor). Des dialectes. Je connais la langue littéraire depuis que je l’ai étudiée. Mais je suppose que je l’ai un peu oubliée. Il faut la pratiquer. Pratiquer tous les jours. Et en Bachkirie (Bachkortostan), quand nous y arrivons, dans notre petite patrie, nous avons naturellement notre propre dialecte. Là, les mots diffèrent de la langue marie littéraire. Eh bien, parce que nous avons plus d’emprunts à la langue tatare. Voilà pourquoi. Avec mon mari, nous ne parlons pas la langue littéraire, ça c’est sûr, seulement la nôtre ! » (F, 47, E)14.

Ceux qui croient que la langue marie est un seul et unique idiome notent cependant l’existence de variantes dans différentes régions, par exemple, même au sein de la République de Mari El au niveau de certains raïons :

« Une langue. Mais avec plusieurs dialectes, probablement comme ça » (H, 47, P).

« La langue marie est une. Nous avons encore une division par raïons, et chacun a ses propres caractéristiques de langage » (F, 30, P).

« Eh bien, si je dis maintenant que la langue marie est une, je peux me tromper. Parce que des Maris des collines, ils croient que la leur est comme une espèce distincte. Eh bien, une langue marie, mais une langue à part. Juste comme la langue des Maris des prairies. Ils croient aussi que la leur est séparée. Mais je crois que la langue marie est une. Mais c’est en quelque sorte mon opinion. Toutefois, ces espèces sont différentes. Le mari des prairies, des collines. Comme il y a différents accents, eh bien, des mots dans des raïons différents sont pas les mêmes… mais la langue est une pour tout le monde, la langue marie » (F, 27, P).

Il faut cependant noter que la majorité des enquêtés, qui ont exprimé l’opinion que la langue marie est une, sont des Maris des prairies. Les principaux arguments avancés pour étayer leur point de vue sont l’importance de leur groupe ethnique et sa prédominance numérique par rapport aux Maris des collines, d’une part, et, par conséquent, la forte base démographique de la langue marie des prairies :

« La langue marie, elle est une, probablement, il y a des dialectes. Même dans la République de Mari El, il y a des Maris des collines et des prairies. Les principaux sont les Maris de prairies. Le raïon où je suis née est celui des Maris des prairies. Nous avons une langue très littéraire » (F, 34, P).

« Je crois que la langue est toujours une, et tout le monde la comprend. C’est celle des Maris des prairies, probablement. Parce que des gens des collines, quand ils parlent, je les comprends. Et la langue principale, bien sûr, que tout le monde connaît, tout cela… Eh bien, voilà. Eh oui, il y a des accents dans des régions différentes, ils ont leurs propres mots. Tout de même, je crois que la base du mari c’est celle des Maris des prairies. Quant aux Maris des collines, ils ont tout simplement un dialecte » (H, 60, P).

L’existence de plusieurs langues maries, selon l’opinion de certains enquêtés, est directement liée aux sentiments politiques des années 1990 :

« De fait, la langue marie, elle est seule et unique. Disons que dans les années 1990, la langue des Maris des collines a été reconnue par la législation de la République de Mari El. Mais ici, des linguistes peuvent avancer leurs arguments, ils peuvent se disputer. Mais moi, je me réfère à cela comme suit : apparemment, c’est seulement l’avenir qui montrera définitivement, prouvera et mettra un point final à cette dispute, s’il y a une seconde langue ou pas. Franchement, je pense que c’est quand même une période des dialectes [où l’on pense spontanément en termes de dialectes]. Tout comme il y a, disons, cette même impression avec l’idée de dialectes chez des Maris du nord qui vivent dans l’oblast de Kirov, dans l’oblast de Nijni Novgorod, plus loin, disons, chez des Maris qui vivent dans le territoire de Perm, dans la région de Sverdlovsk, en Bachkirie [Bachkortostan]. Ils ont tous leurs propres caractéristiques dialectales, qui sont dues aux circonstances, dans lesquelles ils se trouvent. Par l’environnement qui les entoure » (H, 67, P).

24 % des enquêtés de l’échantillon affirment qu’il y a plusieurs langues maries, en tout cas plus de deux. En ce qui concerne l’appartenance sous-ethnique des enquêtés, il y a 10 Maris des prairies, 5 Maris des collines, 9 originaires des lieux de résidence compacte des Maris (dont 5 d’entre eux sont natifs du Bachkortostan, le reste d’autres régions : Sverdlovsk, Kirov, Tatarstan), 5 sont originaires de la région des Maris des collines de la République de Mari El. L’existence de plusieurs sous-groupes ethniques maris est la raison avancée par certains Maris pour considérer qu’il y a plusieurs langues maries comme dans les deux extraits d’entretien suivants :

« Ici, à Mari El, nous parlons comme ceci : nous avons des Maris des prairies et des Maris des collines. Nous sommes déjà différents. Et nous ne nous comprenons même pas, oui, c’est comme ça. Et on dit toujours « la langue marie ». On va plus loin. Voici des Bachkirs (Maris de Bachkirie), ils parlent aussi différemment. Vous comprenez ? Cela fait que nous obtenons déjà combien de langues maries ? Chacun a son propre dialecte, il s’avère que chacun a sa propre culture. Et dit toujours « mari » ! » (F, 35, P).

« Des Bachkirs ont leur propre langue, il y a aussi des Maris de la Volga : ceux des collines et des prairies. Beaucoup de langues, donc » (F. 53, E).

« Combien de Maris y a-t-il ? Il y a autant de langues ! Par exemple, il y a des Maris des prairies. Nous sommes plus proches des Maris des prairies. Il y a des Maris des collines. Ils ont une langue légèrement différente. Les mots qu’ils utilisent… Ils parlent un peu différemment. Nous sommes ervel15 Maris, cela veut dire “Maris de l’est”. De Bachkirie. Il y a des Maris des collines, il y a des Maris des prairies » (F, 47, E).

En outre, les enquêtés de ce groupe (les Maris des prairies et les Maris de l’est) soulignèrent à plusieurs reprises l’idée de la suprématie de la langue des Maris des prairies parmi les autres idiomes maris :

« Plus, bien sûr, qu’une langue ! Pour moi, la couche la plus fondamentale est celle des Maris des prairies, ce sont nous en fait. Ensuite viennent les gens des collines. Et puis il y a déjà… je ne sais même pas moi-même, donc des Maris, qu’on appelle différemment. Les Maris de Bachkirie. Il y a aussi d’autres Maris quelque part ailleurs. Et nous avons tous des langues légèrement différentes » (F, 30, P).

« La région des Maris des collines, c’est la langue des Maris des collines. Alors, il y en a trois, probablement, principales. Celle des collines, puis la nôtre, celle des prairies, qui est la principale dans la République de Mari El. Et celle des Maris de Bachkirie » (F, 28, P).

« Le nombre, c’est plus de deux ! Attendez, la principale est celle des prairies. Puis la langue… des Maris de l’est, soi-disant ervel Maris. Nous avons encore des Maris de Sverdlovsk, ils parlent différemment. Voilà ! Chez nous, à l’intérieur même, disons, de la République de Bachkirie, nous avons beaucoup de parlers » (F, 41, E).

Le critère de la compréhension mutuelle ou de l’incompréhension entre les idiomes a également servi de base à la distinction de nombreuses langues ainsi que cela apparaît dans ces trois extraits :

« Nous comprenons parfaitement les Maris des pairies. Si on les écoute attentivement, oui, on peut comprendre des Maris des collines. Une fois, avec eux, on est finalement passé au russe, parce que, malheureusement, d’une manière ou d’une autre, ils ne me comprenaient pas beaucoup. Avec des Maris de l’oblast de Kirov, c’est, apparemment, la cinquième langue. J’ai eu l’occasion de communiquer avec eux. Prenez le territoire de Perm, ils ont deux villages entièrement maris, séparés des autres. Je les ai rencontrés, nous y sommes souvent allés. Et là, ils ont deux villages… de langue marie. Et ils ont déjà un autre discours. Et des Maris de Kirov, c’est aussi un autre discours, mais ils sont plus proches des Maris des prairies, on peut les comprendre » (H, 58, E).

« Avec les Maris des prairies, nous avons une langue similaire. Nous pouvons écrire, nous pouvons parler et nous comprendre facilement. Et il y a des Maris des collines : là, nous avons des langues différentes. Par conséquent, lorsque nous leur parlons et écrivons, nous utilisons parfois la langue russe » (H, 47, E).

« Au moins trois [langues maries]. Des collines, des prairies et de l’est. Parce que je suis une Marie des collines, et, par expérience, je peux dire que les langues des Maris des collines et des prairies sont des langues complètement différentes, bien qu’il y ait quelques mots communs. La différence globale [entre les deux] est que les Maris des prairies ne me comprennent tout simplement pas. En 2008, notre scientifique Vassikova a prouvé que l’idiome des collines est une langue, et pas un dialecte. Une langue, qui existe à part. Après avoir lu ses travaux, je l’ai également compris. Nous avons quatre ou cinq mots communs, c’est tout. Nous avons même des concepts, des pronoms…, qui sont différents. J’ai étudié à l’école, je connais la langue des prairies. Je peux dire la même chose en mari des collines, et cela sera une chose absolument différente. Ils ont un tréma sur deux voyelles, et nous en avons sur toutes [les voyelles, sic]. Ils ont la lettre < ҥ >, et nous n’avons pas une telle lettre. Moi, vous savez, quelle est la principale question qui me tourmente depuis longtemps : comment nous sommes-nous retrouvés dans la même République ? Comment ? » (F, 28, C).

En général, ce groupe privilégie l’idée de la pluralité des langues maries, étant donné que les enquêtés associent chaque idiome avec un sous-groupe mari. La langue littéraire, dont les enquêtés du premier groupe ont parlé, et qui leur a servi de base pour considérer qu’il y avait une seule langue marie devient, dans ce cas-là, une construction artificielle pour les enquêtés du deuxième groupe :

« Je crois généralement qu’il y a une énième quantité. Il y a deux langues littéraires, celle des Maris des prairies et des collines. Et la langue des prairies a encore un nombre incalculable [de sous-variantes]). Dans notre raïon de Kaltassi, par exemple, nous parlons ainsi. Dans le raïon de Michkino, vous verrez là, c’est d’une manière différente. Dans le raïon de Charang, où vivent des Maris, en général, la moitié des mots sont maris, la moitié sont tatars. Et nous ne sommes tous unis que par la langue littéraire. Eh bien, elle essaie de nous unir » (F, 61, E).

Plus de la moitié des personnes interrogées (56 % des personnes interrogées dans l’échantillon) pensent qu’il y a deux langues maries. Ce groupe est ethniquement composé de 35 personnes originaires des régions dans lesquelles sont établis des Maris des prairies (63 % du nombre total de personnes interrogées dans le groupe), 8 personnes enquêtées sont natives de la région des Maris des collines (14 % dans le groupe), 13 personnes sont natives des lieux de résidence compacte de Maris sur le territoire de la Fédération de Russie (notamment, l’oblast de Kirov et la République de Bachkortostan) (23 % dans le groupe) en dehors de la République de Mari El. Certains associent la présence de deux idiomes au statut juridique attribué au mari des collines et au mari des prairies dans la République de Mari El : « Comme on le sait, et il est généralement admis qu’il y en a une des prairies et l’autre des collines. Ce sont les langues d’état de la République de Mari El » (F, 27, P).

Selon d’autres enquêtés, la répartition du mari en deux idiomes est directement corrélée à l’existence de deux groupes sous-ethniques Maris : « Deux. Eh bien, des Maris sont répartis en deux groupes, il y a des Maris des prairies et il y a ceux des collines » (F, 31, P). Également : « Deux langues. Il semble y avoir des Maris des collines et des prairies » (F., 56, P). Et encore : « Pour autant que je sache, il y en a deux. Ce sont les Maris des collines et les Maris des prairies. Nous sommes… des Maris des prairies. La langue en tout cas » (H., 30, P). Un autre critère de la répartition des idiomes maris en deux est celui de la compréhension mutuelle ou, au contraire, de l’incompréhension complète des idiomes entre eux :

« Il en a deux. Il y a des gens des collines, vous savez, dont je ne comprends pratiquement pas de quoi ils parlent. Oui, à cause des mots. Tout simplement de quoi il s’agit ! Il y a, bien sûr, des mots très similaires, si vous écoutez ou communiquez longtemps, vous comprendrez certainement. Pendant une semaine, bien sûr, vous pouvez déjà tout apprendre et comprendre, mais quand cela se produit dans le transport, et qu’un Mari des collines parle rapidement, je ne le comprends pas du tout » (F, 41, P).

« Je comprends peu les Maris des prairies. Ils ont beaucoup de mots, peut-être qu’ils viennent de tatar, je ne sais pas. Certains parlers… Je ne les comprends pas, vraiment. Il y a quelques mots, quand vous les dites, ils comprendront, et tout le reste on ne se comprend plus. C’est-à-dire… il y a une sorte de fragmentation dans les langues, il n’y a pas une telle chose que… un Mari des prairies comprendra tout ce qu’un Mari des collines lui dit et vice versa » (H, 36, C).

« Je sais bien qu’il y en a deux [langues]. Parce qu’ils ne se comprennent pas. Je retiens que… quand des gens des collines et des prairies parlent, ils ne se comprennent pas. Même mon père, il m’a dit que si un Mari des collines et un Mari des prairies, disons de “race pure” du village, se rencontraient, et s’ils n’avaient pas une langue commune, donc le russe, alors plus de la moitié des mots dans la conversation serait perdue… Eh bien, oui, tout de même, ils traduisent généralement, donc la moitié des mots russes, la moitié des mots maris, et voilà la compréhension. Et quand les deux babouchkas maries, l’une d’un village des collines, l’autre d’un village des prairies, se rencontrent, alors… il n’y a pas de compréhension du tout » (H, 41, P).

Ce qui suit fournit des variantes d’autres variantes dans les nominations et, en quelque sorte, des indices de représentations connotées dans ce groupe : « J’ai toujours su depuis l’enfance que le mari était partagé en deux camps. Eh bien, c’est-à-dire que pour moi personnellement, il y avait toujours deux langues maries, c’est juste qu’il y en a une des collines et une autre des prairies » (H, 31, P). « Des prairies et des collines. Parce que la langue des collines est légèrement différente. Et la langue marie est un peu différente » (F, 51, P). Avec plus de détails :

« J’ai vécu dans le raïon de Morki, où la langue est considérée comme une langue littéraire. Moi, on peut me comprendre. Et je comprends. Je ne sais pas, mais voici le dialecte des collines, c’est plus difficile, mais l’essentiel de ce qui est dit, je le comprends. Le dialecte des Maris de Bachkirie, eh bien, en principe, aussi, certains mots peuvent être incompréhensibles pour moi, mais je peux demander des clarifications. Et ainsi de suite, je les comprends. Personnellement, pour moi, le mari des collines est également considéré comme une langue d’État. Mais les dialectes sont beaucoup plus nombreux » (F, 37, P).

Une appréhension relativiste se détache en définitive de ces témoignages, comme cela est également confirmé dans la série des quatre extraits suivants :

« … Parce qu’il y a une langue des Maris des prairies, [et] il y a une langue des Maris des prairies-collines (gornolugovoj). Eh bien, je sais qu’il y a une sorte de mari de l’Oural, mais c’est probablement plutôt comme un dialecte » (F, 32, E).

« Il y a aussi une autre langue, celle des collines, elle diffère de cette langue ordinaire » (F, 27, P).

« Il y a le mari des collines. Franchement, il est extrêmement différent, je ne peux pas dire exactement de quelle manière. Mais à l’oreille, il est généralement différent ! Et aussi le mari » (F, 30, E).

« Deux. Eh bien, il y en a deux. La langue marie des collines ainsi que le mari » (H, 35, P).

Et avec aussi le russe pour mieux se comprendre :

« Deux langues maries, j’en suis sûr. Officiellement, je pense qu’il y a deux langues maries. C’est-à-dire … il y a des Maris des prairies et des Maris des collines. Moi, je suis un Mari des prairies. Pour la plupart, ce sont des Maris des prairies. Les Maris des collines ce n’est qu’un raïon chez nous, il ne reste qu’un seul raïon. Je les comprends, mais je les comprends très difficilement. Autrement dit, s’ils parlent rapidement, je ne comprends plus. Oui, bien sûr, je leur ai parlé. En russe. Disons que si “Поро кече” [bonjour] est en mari des prairies, c’est “Пуры кечӹ” en mari des collines. Grosso modo, après cela, vous pensez, il vaut mieux en russe ! » (H, 28, P).

Le tableau récapitulatif n° 2, censé contribuer à synthétiser ces différentes informations issues du terrain, indique la région de résidence de l’enquêté et le nombre de personnes interrogées dans le groupe correspondant, et précise les autoperceptions d’un, de deux ou plusieurs idiomes de la langue marie. Compte tenu du nombre important de personnes originaires du Bachkortostan (Bachkirie, auparavant) dans l’échantillon, cette catégorie de Maris résidant en dehors de la République de Mari El, a été présentée sur une ligne distincte dans le tableau n° 2 qui suit.

Lieu de résidence des enquêtésNombre d’enquêtés de l’échantillon1 langue marie2 langues mariesPlusieurs langues maries
République de Mari El (territoire d’implantation de la langue marie des prairies)58133510
République de Mari El (territoire d’implantation de la langue marie des collines)1385
Lieux de résidence compacts des Maris en dehors de la République de Mari El (République de Bachkortostan)18585
Lieux de résidence compacts des Maris en dehors de la République de Mari El (République du Tatarstan, et oblasts de Kirov et Sverdlovsk)11254
Tableau 2. Dénombrement des langues maries perçu par les enquêtés selon leur territoire d’implantation.

Plus de la moitié de Maris des prairies (60 %) ont exprimé l’opinion selon laquelle il y avait deux langues maries, 23 % pensent qu’il y a une seule langue marie (dans ce type de nomination le mari des collines respectivement, devient un dialecte), 17 % pensent qu’il existe plusieurs langues maries. Les Maris des collines dans leur majorité (62 %) croient que les langues maries sont au nombre de deux. 38 % des personnes interrogées (sur le nombre total des Maris des collines dans l’échantillon) ont exprimé l’opinion selon laquelle il existe plus de deux langues maries. Il est à noter qu’aucun Mari des collines de l’échantillon n’a prétendu que la langue marie était une seule langue. Selon les personnes originaires des lieux de résidence compacte de l’ethnie marie sur le territoire du Bachkortostan, il y a deux langues maries (44 %). En ce qui concerne l’existence d’une ou, au contraire, de plusieurs langues, le même nombre d’enquêtés (28 %) a exprimé son opinion, respectivement, dans chaque groupe.

Les autres représentants de l’échantillon, nés en dehors de la République de Mari El, dans les zones de résidence compacte des Maris, et regroupés séparément en raison de leur représentation relativement faible dans l’échantillon, ont indiqué l’existence, selon eux, de deux langues maries (45 %) (en conséquence, leurs propres idiomes sont incorporés à l’intérieur de l’une des langues citées) ou de plusieurs langues (36 %). Ils admettent par là aussi que leurs propres idiomes relèvent du statut sociolinguistique de langue. Seulement 18 % des personnes interrogées pensent que la langue marie est une. Ainsi, sur la base de ce qui précède, on peut conclure que la nomination des idiomes du continuum linguistique mari dans cet échantillon est souvent liée à l’appartenance ethnique des enquêtés.

Conclusion

Les Maris sont l’un des plus anciens peuples autochtones de la région de la moyenne Volga. Pour des raisons historiques, ils se distinguent par une forte émigration : 41,9 % de la population totale marie de la Fédération de Russie vit en dehors de la République de Mari El. Sous l’influence de ces migrations, ainsi que du fait de l’influence des peuples voisins, trois principales composantes de l’ethnie Mari se sont formées : celle des Maris des collines, des prairies, et celle de l’est. La langue marie appartient à la branche de la Volga du groupe finno-ougrien de la famille des langues ouraliennes. Dans la linguistique russe, il est d’usage de distinguer quatre dialectes maris à partir de différences lexicales, et dans une moindre mesure phonétiques : des collines, des prairies, de l’est, et du nord-ouest. Cependant, des linguistes d’autres pays distinguent les dialectes de l’est et de l’ouest sur une base phonétique. L’écriture marie fut développée sur la base des dialectes des collines et des prairies, ce qui a conditionné le développement de deux normes de la langue littéraire : celle des collines et celle des prairies et de l’est. Des tentatives répétées – dans les années 1920, 1950 et 1990 – de créer une langue littéraire unique, n’ont pu aboutir à ce jour.

Le statut juridique attribué à la langue marie en tant qu’une des langues officielles d’État avec le russe dans la République de Mari El répond à une formulation assez vague dans la Constitution : « la langue marie (des collines et des prairies) » (cf. supra). Elle paraît résulter d’un compromis politique, l’aboutissement d’une longue lutte pour la reconnaissance de l’idiome des Maris des collines comme une langue et non comme un dialecte de la langue marie. Comme l’a montré un examen de la littérature scientifique (à partir de 1938), la reconnaissance de l’existence d’une langue marie ou de deux dépendit finalement de la catégorisation de l’idiome des collines, soit comme l’un des dialectes du mari, soit comme une langue autonome. Si cette nomination de l’idiome des collines comme une langue ou comme un dialecte est liée à des raisons historiques (politiques et économiques), les résultats de l’enquête par entretiens téléphoniques et en face à face que nous avons menée dans la région de Moscou (échantillon de 100 personnes, originaires de la République de Mari El ainsi que de zones de résidence compactes ailleurs en Russie), indiquent que plus de la moitié des enquêtés (56 %) estime qu’il existe deux langues maries (des collines et des prairies), 24 % qu’il y a plus de deux langues maries, et que pour 20 % il n’y a qu’une seule langue marie.

Plus de la moitié (65 %) de ceux qui pensent qu’il n’y a qu’une langue marie sont originaires des lieux d’implantation de la langue marie des prairies dans la République de Mari El. 25 % sont originaires de la République du Bachkortostan, 10 % sont d’autres lieux de peuplement de l’ethnie marie en dehors de la République de Mari El. Aucun Mari des collines de l’échantillon n’a estimé qu’il n’y avait qu’une seule langue marie. Plus de la moitié des Maris des prairies de l’échantillon (60 %) soutiennent que les langues maries sont au nombre de deux. Les Maris des collines dans leur majorité (62 %) croient aussi que les langues maries sont au nombre de deux. 38 % des personnes interrogées, toujours par rapport au nombre total de Maris des collines dans l’échantillon, ont estimé qu’il y avait plusieurs langues maries. Pour ceux qui sont originaires des lieux de résidence compacte de l’ethnie marie sur le territoire du Bachkortostan, il y a deux langues maries (44 %). Le reste de représentants, venant d’autres zones de résidence compacte de l’ethnie marie (tels que la République de Tatarstan, les oblasts de Kirov et de Sverdlovsk) et regroupés ensemble en raison de leur relativement faible représentation dans l’échantillon, constate soit l’existence de deux langues maries (45 %) – leur propre idiome, par conséquent, est incorporé à l’intérieur de l’une des langues citées –, soit quelques langues (36 %). Quoi qu’il en soit, leurs propres idiomes sont élevés au statut de langue. Au résultat, la désignation des idiomes du continuum linguistique mari dans l’échantillon est davantage due à l’appartenance sous-ethnique de l’enquêté qu’au statut juridique attribué à tel ou tel idiome.   


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Notes

  1. Le mot « mari » existe actuellement avec deux significations : celles de mari et d’homme, mais pas d’une personne de façon abstraite. À cet égard, la question se pose : pourquoi n’exprime-t-il pas aussi le concept de femme. Le fait est que, pendant une période de patriarcat, dont le processus a été présent chez les anciens Maris, l’homme occupait certes une position dominante dans la vie publique. Ainsi, de façon a priori évidente, seulement une personne « forte » pouvait-elle être considérée à l’époque comme une (vraie) personne. Ainsi, le mot « mari », qui exprimait à l’origine le concept d’homme abstrait, comme on le voit dans les langues iraniennes, a commencé à apparaître avec un nouveau sens, celui de « mari, homme » (Gordeev 1964 : 64).
  2. Pour plus de détails sur l’histoire des Maris du XVe au XVIe siècles, d’abord dans la composition du khanat de Kazan, puis au cours de la période de leur entrée dans la composition de l’État de Moscou (cf. l’époque des guerres tchérémisses), voir Bakhtin (1998) ; pour l’histoire de la colonisation des Maris, voir Sepeev (2006).
  3. La culture de l’âge du Fer (VII-IIe siècles av. J.-C.) de cette région est appelée ainsi d’après le site archéologique de Gorodeckoe, près de la ville Spassk-Râzanskij (région de Riazan). Les vestiges de cette culture se trouvent dans les territoires des oblasts de Penza, Riazan, Samara, Saratov, Tambov, Lipetsk, Voronež, et des Républiques de Mari El, Mordovie, Tchouvachie.
  4. Du nom de la culture des III-Ve siècles de la région située entre la Volga et la Viatka. Le nom remonte à la sépulture dite d’Azelino, près du village de ce nom, dans le raïon de Malmyž (oblast de Kirov).
  5. Des chercheurs notent que, déjà au stade de la préparation de la création de l’autonomie, il y avait une grande activité sociopolitique des Maris des prairies et leur prédominance écrasante parmi ces dirigeants. Dans les années qui suivirent, les Maris des collines n’étaient pratiquement pas représentés au gouvernement régional, malgré le fait que l’activité publique de l’intelligentsia des Maris des collines prenait de l’importance. D’une part, cela a conduit à un certain inconfort moral et psychologique de ces derniers. D’autre part, cette situation indiquait que les besoins de la population des Maris des collines n’étaient pas suffisamment pris en compte dans la vie politique, économique, culturelle, éducative et linguistique. Un groupe de communistes, représentant les Maris des collines, déposa à plusieurs reprises des plaintes auprès de commissions spéciales (en juillet 1928, en février 1929) en pointant des erreurs dans le travail du parti régional et de la direction soviétique à l’égard de leur communauté. En 1929, au cours des débats occasionnés par la création du kraï de Nijni-Novgorod, des communistes maris des collines soulevèrent la question de l’intégration du territoire des Maris des collines directement dans le kraï de Nijni-Novgorod. D’autres communistes, toujours, soutinrent l’idée de la formation du raïon des Maris des collines au sein de la République autonome Mari avec un statut particulier (Sanukov 2013 : 155-160). En 1931, le « soi-disant groupe des Maris des collines » fut écrasé et les « séparatistes » les plus actifs furent durement réprimés (Sanukov 2000 : 46).
  6. Pour des détails, voir Kutsaeva 2020 : 272-289.
  7. Au fil du temps, les opinions des linguistes eux-mêmes changèrent. En 1925, lors de la 2e réunion des travailleurs de l’éducation sur la proposition de V. A. Mukhin, il fut décidé qu’il était nécessaire de se mettre à travailler à la création d’une langue littéraire unique sur la base de l’idiome des Maris des prairies. Le linguiste mari le plus connu, V. M. Vassiliev, qui avait écrit en 1917 qu’il était impossible de créer une langue littéraire commune (« moyenne ») pour les Maris des prairies et des collines (dans un article du journal Ujara, datant du 25 août 1917), dut faire œuvre de justification scientifique et théorique d’une nouvelle ligne dans la politique linguistique. Il publia notamment l’article « Sur la question de l’unification des dialectes (narečie) et des parlers (govor) de la langue marie » dans la revue L’économie de Mari (n° 5-6, 1926), ainsi qu’un article contenant un texte expérimental composé dans une langue artificiellement unifiée (Sanukov 2013 : 157-158).
  8. Komissiâ o realizacii marijskogo âzyka (КРМЯ).
  9. Soudain, en 1950, un débat sur des problèmes de linguistique fut annoncé. Dans ces années, les soi-disant discussions étaient nombreuses, mais pour les marristes, cette méthode de lutte était superflue, car ils étaient déjà dominants dans la linguistique soviétique. En outre, la forme de cette discussion-là était inhabituelle. D’autres discussions eurent lieu oralement, dans le cercle des spécialistes, et les textes furent publiés lorsque le résultat fut obtenu. Puis les problèmes linguistiques furent discutés devant des millions de personnes qui n’avaient jamais entendu parler de la linguistique auparavant. La discussion dura près de deux mois, du 9 mai au 4 juillet 1950. Chaque mardi, deux pages de la Pravda étaient consacrées à la linguistique. La discussion fut ouverte par A. P. Tchikobava. Après son article, la rédaction reçut plus de deux cents articles, dont moins d’un dixième fut publié. Diplômé de l’université de Tbilisi, l’auteur de nombreux travaux sur la linguistique caucasienne et des problèmes linguistiques généraux ayant embrassé les idées du jeune Marr, y compris l’hypothèse d’une famille japhétique des langues (la famille ibéro-caucasienne, selon les termes de Tchikobava), il passa plusieurs décennies à prouver l’existence de cette famille, cette tentative échoua d’ailleurs. Dans son article, A. S. Tchikobava tempéra les critiques de Marr en soulignant des aspects positifs de sa théorie. L’article de Tchikobava fut suivi de celui de B.A. Serebrennikov mais les déclarations de ce dernier étaient plus vives et une critique intransigeante de la « nouvelle théorie de la langue » y fut proposée. D’autres linguistes éminents participèrent à la discussion. Le septième mardi de la discussion, le 20 juin 1950, deux articles furent imprimés sur les pages de la Pravda. L’un d’eux était de P.Chernyh, spécialiste de linguistique russe, le nom d’un autre auteur fit frémir tous les lecteurs. Il s’agissait d’I. V. Staline. Qu’est-ce qui l’avait amené à prêter attention à des questions de linguistique ? Les circonstances de l’affaire ne sont pas complètement claires. Il ne fait aucun doute que quelqu’un avait dû l’intéresser à ces problèmes. Le rôle décisif fut joué par A. S. Tchikobava, qui avait écrit à Staline sur l’état de la linguistique soviétique dans une lettre d’avril 1949. Un an plus tard, Tchikobava fut informé qu’il devait se rendre à Moscou, où il fut reçu avec un autre linguiste, Tcharkviani, et trois dirigeants géorgiens, à la datcha de Staline. La raison officielle était la présentation à Staline du premier volume du Dictionnaire explicatif géorgien qui venait de paraître, mais il s’agissait également de la lettre de Tchikobava que Staline avait déjà lue. Tchikobava fut chargé d’écrire un article pour la Pravda à propos duquel, selon les souvenirs de Tchikobava, Staline aurait déclaré : « Écrivez, et puis on regardera. Si cela nous convient, nous imprimerons ». En ce qui concerne la paternité de l’article de Staline, il existe une version selon laquelle le véritable auteur du travail aurait été A. S. Tchikobava. Cependant, le texte publié de la lettre initiale de Tchikobava au dirigeant soviétique ne ressemble pas du tout à un écrit de Staline. Tous les intérêts de Tchikobava se trouvaient dans le domaine de la linguistique, tandis que Staline mettait l’accent sur des questions tenant à la théorie marxiste. Le 20 juin 1950, le mythe de Marr fut annihilé (Alpatov 2011 : 168-185).
  10. Mais une décennie plus tard, dans l’ouvrage collectif Âzyki narodov SSSR. T.III Finno-ugorskie i samodijskie âzyki [Les langues des peuples de l’URSS. Volume III. Les langues finno-ougriennes et samoyèdes] (Kovedâeva 1966), un chapitre intitulé « Les langues maries », la langue des Maris des prairies et de l’est y apparaît en premier (apparemment, en raison de son poids démographique), tandis que la langue des Maris des collines y apparaît en second (Kovedâeva 1966).
  11. La même auteure, E. I. Kovedâeva, dans l’ouvrage Osnovy finno-ugorskogo âzykoznaniâ. Marijskij, permskie i ugorskie âzyki [Les Bases de la Linguistique finno-ougrienne. Langue marie, Langues de Perm et Ougrienne] (Kovedâeva 1976), publia un chapitre intitulé « La langue marie », dans lequel elle précise, dans une note de bas de page : « L’expression “langues maries” est également tout à fait acceptable, lorsqu’il s’agit de langues littéraires, car il existe deux langues littéraires différentes : le mari des collines et le mari des prairies et de l’est » (Kovedâeva 1976 : 3).
  12. Et pour continuer dans ces variations : « Dans la langue marie moderne, on distingue quatre dialectes : des prairies, de l’est, des collines, et du nord-ouest. La distinction est principalement basée sur les correspondances intra-dialectales des voyelles, ainsi que sur certains phonèmes consonantiques de la première syllabe, sur le système d’accentuation, l’harmonie des voyelles et certaines différences morphologiques » (Kovedâeva & Nikolaeva 2001 : 277).
  13. Subdivision administrative de deuxième niveau correspondant plus ou moins à un arrondissement en France.
  14. Ici et ailleurs entre parenthèses sont indiqués le sexe, l’âge et l’appartenance subethnique de l’enquêté (E : de l’est, P : des prairies, C : des collines).
  15. « Ervel » veut dire « de l’est » en mari.
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Pessac
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EAN html : 9791030008395
ISBN html : 979-10-300-0839-5
ISBN pdf : 979-10-300-0840-1
ISSN : 3000-3563
28 p.
Code CLIL : 3153
licence CC by SA

Comment citer

Kutsaeva, Marina V.., « Les Maris et les nominations des idiomes du mari », in : Moskvitcheva, Svetlana, Viaut, Alain, éd., Les noms des variantes de langue minoritaire. Études de cas en France et en Russie, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux , collection Diglossi@ 2, 2024, 267-293 [en ligne] https://una-editions.fr/les-maris-et-les-nominations-des-idiomes-du-mari [consulté le 15/04/2024].

http://dx.doi.org/10.46608/diglossia2.9791030008395.14
Illustration de couverture • L'illustration de la première de couverture a été réalisée par Ekaterina Kaeta (École académique des Beaux-Arts de Moscou - Département de Création graphique). Deux textes y apparaissent en arrière-plan : à gauche, un extrait d'une poésie en mordve de Čislav Žuravlev (1935-2018), recopié manuellement par l'illustratrice à partir de Žuravlev Č. (2000), Večkemanʹ teše [Étoile d’amour] (tome 2, Sarans, Tipografiâ Krasnyj Oktâbrʹ, p. 139), et, à droite, un extrait d'un poème inédit en occitan de l'écrivain Bernard Manciet (1923-2005), avec l'aimable autorisation de sa famille.
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