À propos de :
Marquette, J. B. (1982) : Atlas historique de Mont-de-Marsan, Atlas historique des villes de France, Paris.
À la question de l’apport de l’atlas historique de Mont-de-Marsan réalisé par le Professeur Jean Bernard Marquette en 1982, on peut répondre qu’il s’agit de la première synthèse cartographique et écrite retraçant la fondation puis l’extension progressive de la ville à travers les siècles, travail sur lequel les recherches ultérieures ont pu appuyer leurs études.
Dans le cadre du vaste programme de réalisation d’un projet de la Commission Internationale de l’Histoire des Villes (CIHV) en 1955 ce travail est paru début janvier 1982 en même temps que celui de Saint-Sever pour les Landes, ceux de Bazas, Bayonne, la Réole, Pau pour l’Aquitaine. En 1973, les Professeurs Philippe Wolf de l’université de Toulouse et Charles Higounet de l’université de Bordeaux créent la collection des Atlas des villes de France. Moins de neuf après, en 1982, sous l’impulsion du Professeur J. B. Marquette, démarre la publication des premiers atlas de notre région. En tout, 48 fascicules seront produits sous sa direction entre 1982 et 2007. Ces premiers travaux traduisent les étapes de l’occupation du sol grâce à un plan de grandes dimensions qu’accompagnent des feuillets explicatifs.
L’atlas historique de la Ville de Mont-de-Marsan a constitué une référence d’autant plus importante que jusqu’alors aucun ouvrage n’avait posé les principes de l’extension urbaine des origines au début du XIXe siècle – la date butoir choisie étant le premier plan cadastral de la ville paru en 1811.
Le défi était considérable. Si le Professeur Marquette a consulté les archives départementales des Landes et les ouvrages historiques existant, il n’a pas bénéficié de l’apport des 27 sondages et fouilles archéologiques réalisés entre 1983 et 2013 sur l’espace montois. Son travail n’a pu s’appuyer que sur la seule fouille Schmidt de 1975, liée à la restructuration du musée de la ville. Ce rapport de fouilles témoigne de riches découvertes, signalées au début de la synthèse : “L’occupation du site jusqu’au XIe siècle”. Il a malheureusement souffert d’un handicap, l’absence de rigueur scientifique qui caractérise les rapports ultérieurs des années 90-2000. Ces découvertes n’ont donc apporté que des réponses approximatives aux questions que l’on se posait et que l’on se pose encore quant à la nature de l’habitat antique découvert sur la rive droite du Midou. Dans le domaine cartographique, l’étude morphologique du premier plan cadastral était loin de bénéficier des apports de l’informatique et du Système d’Information géographique (SIG) permettant de comprendre les étapes de la fabrique urbaine et d’identifier des aménagements anciens. Enfin, J. B. Marquette a travaillé seul à la collecte des données tandis que les atlas ultérieurs ont bénéficié de l’apport d’une équipe pluridisciplinaire. Le nouvel Atlas historique de Mont-de-Marsan, élaboré dans le cadre du projet région Villes-Têtes (dir. S. Lavaud et É. Jean-Courret) et édité en 2018 s’est appuyé sur une équipe de 14 collaborateurs sous la coordination de Anne Berdoy. Il n’en faut pas moins, la maquette de cette nouvelle collection accorde plus de place à la notice générale (304 p.) et aux 76 “Sites et monuments” (276 p.). Il permet de mesurer à 36 ans d’écart, l’importance des apports de celui de 1982 et ce qu’il en reste aujourd’hui.
En tenant compte de l’ensemble de ces difficiles conditions d’étude, on ne peut que rendre hommage au travail remarquable fourni dans ce premier atlas de la ville, qui a enfin produit une synthèse de l’évolution urbaine et ouvert la voie à tous les chercheurs intéressés par l’histoire montoise.
Outre un plan sur lequel figurent les étapes de l’extension urbaine par un jeu de couleurs et de tracés différents (légende), les feuillets explicatifs ont suivi une logique explicative précise : la fondation du castelnau, le castelnau primitif, l’évolution de la ville du Moyen Âge, le bourg, les raisons d’une réussite, le nouvel essor de la ville aux XVIIe et XVIIIe siècles, ensemble que clôt la présentation générale des sources et une bibliographie.
La fondation
Au moment de la constitution de l’atlas, les origines de la ville n’étaient connues que de façon superficielle. Aucun historien ne s’était encore attelé à la tâche d‘analyser les conditions de la fondation dont le récit le plus précis parvenu jusqu’à nous était celui de l’Historiae monasterii Sancti-Severi de Dom Du Buisson. Par la suite, ce texte s’est avéré être une source fidèlement retranscrite1. Il a permis à J. B. Marquette de restituer les conditions de la fondation, accord entre deux seigneurs, l’un laïc, le vicomte, l’autre ecclésiastique, l’abbé de Saint-Sever. L’atlas de 2018 a pu ensuite affiner plusieurs données telles que la longueur des négociations, les enjeux de la fondation, le statut de paroisse matrice de l’église Saint-Genès d’où est sortie, plus tard, celle de Saint-Pierre-du-Mont puis de Mont-de-Marsan.
Le castelnau, le bourg
On peut être surpris de la qualification de “castelnau” pour la ville de Mont-de-Marsan. Il faut accepter l’idée qu’au début des années 80, les médiévistes commençaient à peine à travailler sur les bourgs castraux et que peu d’études de cet ordre avaient été réalisés en Aquitaine. Nous garderons donc, par commodité, le terme de “castelnau” entre guillemets.
Dans la perspective d’une étude sur l’occupation du sol, la localisation des principaux monuments constituant le village fortifié voulu par le vicomte Pierre nécessitait un important développement. L’atlas de 1982 a établi le site initial au confluent, englobant le Château-Vieux tout près de ce lieu stratégique ainsi que l’église-prieuré de La Madeleine proche. Aujourd’hui, demeure en suspens la question du moment de l’édification de ce premier château, antérieur à Pierre de Marsan ou œuvre de ce vicomte ? Le Château-Vieux est un peu sorti de l’ombre grâce à la découverte, aux archives nationales, d’un document de 1607, le procès-verbal de description des châteaux de Navarre, mené à l’initiative du roi Henri IV. Il a permis de cerner les dispositions de l’édifice au tout début du XVIIe siècle, ce qui constitue une avancée. Mais qu’en est-il du château primitif ? Les sondages archéologiques réalisés en 2012, place Charles-de-Gaulle, n’ont rien retrouvé. La question reste donc ouverte.
Cerner l’emprise du “castelnau” d’origine a constitué une autre difficulté. Se posait la question de l’emprise du Bourg dit Bielh et celle du Bourg dit Nau. Grâce à une réflexion minutieuse sur la topographie des lieux, J. B. Marquette a permis de proposer une délimitation confirmée par l’atlas de 2018 : un Bourg Bielh, correspondant au “castelnau” primitif, s’étendant du confluent à l’église de la Madeleine, enserré au nord par un premier rempart probable qui a constitué plus tard la rue du Bourg Nau, principal axe de circulation entre le pont de la porte Campet et la porte du Bourg Nau à l’est de la ville. Ces éléments ont été validés par l’atlas de 2018 grâce à l’étude morphologique du plan et à la mention d’une porte liée à la première enceinte dans un texte du XVIIe siècle. L’accès à l’est du futur bourg par un ancien chemin venant de Roquefort, résidence initiale des vicomtes, est proposé mais son entrée n’est pas mise en relation avec le pont de la May de Diu, situé à l’est. Ce chemin franchissant la Douze par un pont (sans doute longtemps en bois) aboutissait à un premier prieuré de La Sauve Majeure (dont il n’est pas question) auquel a succédé l’hôpital Saint-Jacques dans lequel les clarisses s’installeront en 1275.
Le secteur oriental du “castelnau” a fait l’objet d’un paragraphe où apparaissent deux bâtiments : le “donjon” La Cataye et le château de Nolibos. Il est surprenant que J. B. Marquette ait présenté La Cataye comme un donjon alors que ce bâtiment est en réalité constitué de deux maisons médiévales accolées, la partie orientale étant la plus ancienne et la partie occidentale plus basse que sa voisine pendant longtemps, interprétation que l’on peut mettre sur le compte de la faible connaissance, au début des années 80 de l’habitat domestique du Moyen Âge2. Certaines de leurs façades ont été crénelées, faisant “vitrine”. La rénovation du secteur du musée, installé dans ces deux maisons a incité les maîtres d’œuvre à édifier une quatrième façade crénelée et à doter le bâtiment d’une terrasse. Cela explique ce surnom de donjon, qui constitue un anachronisme historique. Ces maisons dédiées à l’habitat aristocratique existaient lorsque le château de Nolibos est édifié dans la seconde moitié du XIVe siècle. Leur fonction défensive et la datation haute (vers 1200-1250) qui leur a été attribuée n’ont pas été confirmées par l’atlas de 2018, en particulier la période de leur construction qu’une étude de bâti éclairerait avec profit.
Le rôle de Nolibos, château attribué à Gaston Fébus (probable malgré l’absence de sources directes), dans la fossilisation des limites Est de la ville jusqu’au XVIIe siècle a bien été souligné par J. B. Marquette qui a pressenti le décrochement d’une vingtaine de mètres entre son emplacement et les limites de l’enceinte présupposée du XIIIe siècle. Deux sondages de 2006 et 2008 ont en effet révélé les fondations d’une possible muraille antérieure sur ce secteur.
Au XVe siècle, l’atlas de 1982 a, pour la première fois, permis de comprendre le développement important de la ville vers plusieurs faubourgs, au sud, au nord-ouest et à l’est grâce à un “sirmanatge” de 1452, rôle de la taxe foncière prélevée par les clarisses sur les maisons du bourg. J. B. Marquette a utilisé avec finesse ce document dont l’analyse, dans l’atlas de 2018, a aidé à préciser le cheminement et l’identification précise des différents faubourgs constitués alors. Son exploitation reste toutefois à terminer.
J. B. Marquette a également compris le glissement topographique du port entre la zone du confluent à l’origine puis un quartier situé en aval, sur la Midouze, à l’issue de la guerre de Cent ans. Les idées qu’il développe à propos de la place du port (actuelle place Joseph Pancaut), dont les fonctions antérieurement au XVIe siècle n’ont jamais été étudiées, elles mériteraient une analyse approfondie qui n’a pas pu être menée jusqu’à présent.
Le bourg, les raisons d’une réussite
Le développement de la ville à la fin du Moyen Âge et au début du XVIe siècle
Un développement a été consacré par J. B. Marquette au bourg de rive gauche, surtout dans la perspective des éléments fortifiés qui l’ont successivement entouré. Les sources manquent cruellement pour qualifier plus précisément cette partie de la ville qui n’a conservé aucune trace de l’habitat antérieur au XVIIIe siècle et n’a bénéficié que d’une seule fouille archéologique. Il ne lui était donc pas possible de mener sur ce secteur une étude aussi détaillée que celle portant sur le “castelnau”. Mais les grands principes de l’extension progressive de diverses enceintes intégrant à un moment le couvent des Cordeliers fondé vers 1260 sont posés. L’atlas de 2018 a permis de les approfondir et de restituer sur le plan les étapes de l’extension urbaine.
Les raisons de la réussite de ce village fortifié qui, au XVe siècle, occupe 15 ha sur lesquels vivent environ 2000 habitants, sont clairement identifiées : l’arrivée de la route venant de Roquefort, l’existence d’échanges au niveau du confluent, point de rupture de charge, la présence de la Midouze navigable, affluent de l’Adour vers Bayonne, ont joué un rôle essentiel.
Mont-de-Marsan place forte (1560-1630) et ville de couvents (1580-1790)
Nouvel essor de la ville aux XVIIe et XVIIIe siècles
La ville ne semble pas avoir connu de combats notables qui auraient entravé son développement. Telle est la conclusion à laquelle parvient J. B. Marquette. Les recherches ultérieures n’ont pas infirmé ce constat.
La période des guerres de religion puis la reprise du XVIIe siècle connaissent comme aménagement majeur la partie orientale de la ville, près de la porte du Bourg Nau qui mène à la paroisse de Saint-Médard : les deux bastions ou tenailles édifiés dans les fossés de la ville, à la demande d’Henri de Navarre, le débouché du pont de la May de Diu à l’arrivée de la route des Petites Landes venant de Roquefort, l’abandon du premier couvent des Clarisses réfugiées dès 1561, à l’intérieur des murs de la ville. Mais le quartier du Bourg Nau à l’extérieur des remparts demeure encore freiné par les tenailles qui ne seront détruites qu’au cours du XVIIIe siècle.
Le développement du port vers l’aval, sur la Midouze, est concomitant de l’essor du commerce des céréales puis des eaux-de-vie d’armagnac et va conférer à la ville une prospérité que seules la construction de routes modernes et l’arrivée du chemin de fer freineront.
L’installation du couvent des Barnabites puis celui des Ursulines ne modifient pas sensiblement l’urbanisme du bourg lors de leur installation au XVIIe siècle. En revanche, la démolition du couvent des Cordeliers à la fin des années 1790 va aérer le quartier du bourg de la Grande fontaine et lui conférer l’allure générale qu’il va désormais conserver.
J. B. Marquette s’est attaché à étudier l’extension des faubourgs de la Porte d’Aire et de Saint-Jean-d’Août durant cette période, sans toutefois aborder l’évolution du faubourg vers le sud en direction de Saint-Sever avec ses portes successives. Il note le début de la démolition du château de Nolibos, des murailles sur ordre du cardinal de Richelieu, début de l’aération de l’espace urbain.
Si les transformations urbaines liées à la Révolution n’apparaissent pas dans l’atlas, c’est peut-être parce que la construction des bâtiments “napoléoniens” – qui vont grandement modifier la structure de l’ancien “castelnau” entre Douze et Midou, Préfecture, Tribunal, Caserne et écurie de gendarmerie, prisons-, ne sera entreprise qu’après 1811, date du cadastre, retenue comme terme de l’atlas. Il revient à l’édition de 2018, avec des outils que l’on n’avait pas en 1982 (plan cadastral vectorisé et géoréférencé) et un parti pris éditorial plus ambitieux, de compléter l’ensemble des travaux remarquables qu’on doit à J. B. Marquette, pionnier dans ce domaine.
Bibliographie
- Berdoy, A., dir. (2018) : Atlas historique de Mont-de-Marsan, Ausonius Atlas historique des villes de France 52, Bordeaux.
- Bordes, F., Fritz, J. M., avec la collab. de Lainé, F. (2025) : Liber Rubeus de l’évêché d’Aire. La découverte d’un “trésor” médiéval disparu depuis la Révolution, Pessac, Ausonius éditions, collection Textes @quitains 3, [URL] https://una-editions.fr/liber-rubeus-de-l-eveche-d-aire.
Notes
- L’œuvre de Dom Du Buisson a été éditée par J.-F. Pédegert et A. Lugat, Aire-sur-Adour, 1876. La redécouverte, dans les années 2000, du Livre Rouge de l’évêché d’Aire, contenant la copie de la charte de fondation a permis de confirmer la qualité du récit transcrit par Dom du Buisson.
- Le mur commun aux deux maisons est percé de deux fenêtres à ébrasement tourné vers l’intérieur de la maison orientale. Sur la vue de Mont-de-Marsan par Joachim Duviert en 1612 les deux maisons sont bien de hauteur différente. Des cartes postales du début du XXe siècle laissent voir le toit à deux pentes à l’intérieur des façades crénelées.