À propos de :
Marquette, J. B. (1973) : Le Trésor des chartes d’Albret, tome I, Les Archives de Vayres. Première partie, Le Fonds de Langoiran, Paris.
Marquette, J. B. (1980) : Entrée “Albret” dans le Lexikon.
Marquette, J. B. (2004) : “L’ascension d’un lignage gascon : les Albret”, L’Aquitaine ducale, Histoire Médiévale Hors série 7, 20-29.
Marquette, J. B. (2010a) : “Le prêt de Clément V à Édouard II et le trésor de la Trave (1313-1314)”, Les Cahiers du Bazadais, 168, 49-56.
Marquette, J. B. (2010b) : Les Albret, L’ascension d’un lignage gascon(XIesiècle – 1360), Ausonius Scripta Mediævalia 18, Bordeaux.
Marquette, J. B. (2019a) : “1306 : Du château de Meilhan à celui de Villandraut, le pape, le roi, le prince et le seigneur de Lebret”, Revue de l’Agenais, 146, 1, 45-68.
Marquette, J. B. (2019b) : “Les vassaux du sire d’Albret dans les seigneuries de Cazeneuve et de Castelnau-de-Cernes au début du XIVe siècle”, Les Cahiers du Bazadais, 182, 37-49.
Dès ses premiers travaux de recherche, Jean Bernard Marquette s’est intéressé à la famille des Albret, incontestablement la plus puissante famille de la Haute Lande au Moyen Âge. Malgré la réputation de ces seigneurs, ils avaient fait l’objet de très peu d’études avant lui. En 1873, le célèbre historien Achille Luchaire, qui débutait alors sa carrière comme professeur au lycée de Pau, publia une notice sur Les origines de la maison d’Albret (977-1270)1. Il publia quatre ans plus tard sa thèse, consacrée à Alain, sire d’Albret de 1471 à 15222, puis se détourna définitivement de la Gascogne pour étudier Philippe Auguste et son temps. Puis il y eut deux articles de Gabriel Loirette, qui trouva d’intéressants documents sur les Albret lorsqu’il était bibliothécaire archiviste à Pau, et publia en 1913 et 1931 deux articles sur l’appel d’Arnaud-Amanieu d’Albret au roi de France Charles V en 1368, et sur les rapports qu’entretint par la suite le sire d’Albret avec la monarchie française3. Enfin, en 1947, Robert Boutruche consacra aux Albret de la branche de Vayres-Langoiran plusieurs pages de son ouvrage sur les seigneurs et paysans en Bordelais pendant la Guerre de Cent Ans4.
C’est là le maigre état de la question5 avant que Jean Bernard Marquette ne s’attaque à ce sujet pour sa thèse de 3e cycle, puis son doctorat d’État, soutenu en 1972 à l’Université de Bordeaux, consacré à l’ascension des Albret du XIe siècle à 1360. Le jury de l’époque soulignait la passion d’un auteur “viscéralement attaché à sa Gascogne natale”, qui savait déchiffrer les mentalités des Albret grâce à de “secrètes affinités gasconnes6”. Jean Bernard Marquette racontait pourtant que le sujet lui avait été soufflé par son maître, Charles Higounet, lorsque celui-ci avait appris que son élève venait du Bazadais.
Pour renouveler la question il s’appuya sur un dépouillement très minutieux et exhaustif des archives de ces seigneurs, principalement conservées dans le trésor des chartes de Pau, héritier de l’ancien trésor des Albret à Casteljaloux et Nérac. Il fut si familier de ce dépôt que dès 1973, l’année suivant sa thèse, il publia l’édition de plus de 600 actes du fond des Albret dits de Vayres-Langoiran, branche cadette possessionnée en Bordelais, qui présentait une riche collection de documents des XIIIe-XIVe siècles7. Dans l’introduction, il envisageait alors une édition complète de tout le trésor des chartes d’Albret, mais il ne mena jamais à bien ce projet, pris par d’autres tâches universitaires, et sans doute un peu seul face à l’ampleur du sujet (le premier volume publié se contentait de 17 cotes sur les 890 du trésor des chartes de Pau dont 223 pour les Albret à proprement parler). Cependant, tout au long de sa carrière, il continua d’inlassablement exploiter et transcrire des actes de ce fonds, ou d’autres fonds d’archives locaux. Les articles qui suivent en sont un bon exemple, puisque dans celui sur Cazeneuve, il fournit une analyse d’un inventaire médiéval de Pau et la transcription de trois documents d’archives locales ; dans l’article sur Meilhan, il édite un autre document du trésor des chartes). Dans tout le reste du recueil, on trouvera d’autres transcriptions et documents médiévaux exhumés au fil des articles.
L’imposante thèse de J. B. Marquette fut publiée en cinq volumes par les Cahiers du Bazadais entre 1975 et 1979, mais la diffusion de cette édition resta limitée, et elle ne fut guère accessible au plus grand nombre avant la réédition en un volume par Ausonius en 20108. C’est pour cette raison qu’avant cette date, il s’est attaché à en diffuser les principales conclusions dans de plus petits articles, comme deux qui suivent. Le premier, paru en 1980 dans le Lexikon des Mittelalters, une encyclopédie allemande de référence, vise un public de chercheurs international, mais est très condensé. Le second, paru en 2004 dans un hors-série du magazine Histoire médiévale consacré à l’Aquitaine, vise le grand public. S’il fallait résumer ces principaux acquis du travail de J. B. Marquette sur les Albret, on mettrait à son crédit d’avoir durablement fixé la généalogie et la chronologie des seigneurs du XIe et XIIe siècle, mettant au passage fin à certains mythes forgés au XVIe siècle qui avaient la vie dure, comme la pseudo-ascendance liée aux rois de Navarre. Il a aussi mis en avant l’importance de Casteljaloux, qui fut très tôt la capitale informelle des Albret, bien loin de Labrit, et l’absence – unique pour une seigneurie de cette importante – de toute chancellerie avant la fin du XVe siècle. Enfin, il a clairement exposé les grandes étapes de renforcement de leur pouvoir : au milieu du XIIIe s. Amanieu VI, qui profite du recentrement de l’Aquitaine ducale sur Bordeaux et sa région, devient le premier baron du duché. Le rôle décisif revient à Amanieu VII (1294-1324) et ses fils, qui obtiennent de très nombreuses terres en profitant de la générosité du roi-duc, d’une politique agressive de récupération d’héritages et de mariages heureux. J. B. Marquette a aussi constamment souligné l’importance de la stabilité lignagère des Albret et de la coutume de Casteljaloux, qui favorise la primogéniture.
L’article “1306 : Du château de Meilhan à celui de Villandraut, le Pape, le roi, le prince et le seigneur de Lebret” développe deux autres points chers à J. B. Marquette. Retraçant le jeu des révoltes puis retours en grâce auprès des rois d’Angleterre, il montre que les Albret étaient loin d’être de fidèles sujets “Anglais de cœur”. Au contraire, ils ont alterné entre les phases de fidélité (Amanieu VII participe à des guerres au Pays de Galles ou en Écosse pour Édouard Ier) et le jeu des révoltes contre les rois d’Angleterre (ils perdent sans doute Meilhan pour avoir rejoint la rébellion de Simon de Montfort dans les années 1250) afin d’obtenir plus de gains territoriaux et financiers. Pour avancer leurs pions, les Albret se servent volontiers du roi de France, mais aussi de la Papauté lorsque Clément V, issu d’une famille vassale, accède au pontificat.
Loin de s’enfermer dans la seule histoire du Bazadais, J. B. Marquette élargit dès qu’il le peut à l’histoire globale d’Aquitaine, voire du royaume de France et d’Angleterre. Dans ses travaux, l’histoire locale nourrit et éclaire l’histoire nationale, et vice-versa. L’article sur Meilhan en est un bon exemple, puisqu’il y retrace les relations complexes politiques des rois d’Angleterre avec la Papauté au tournant des années 1300. Il revient un peu plus tard sur le même sujet dans son article sur “Le prêt de Clément V à Édouard II et le trésor de la Trave”. Ici, les Albret ont même quasiment disparu, mais pas le Bazadais, qu’il l’intéresse au premier chef à travers la figure du château de Villandraut.
L’article sur “Les vassaux du sire d’Albret dans les seigneuries de Cazeneuve et Castelnau-de-Cernès au début du XIVe siècle” montre un autre aspect de la recherche que J. B. Marquette dédia aux Albret. Dépouillant avec minutie les inventaires du trésor de Pau et les fonds d’archives locaux, il reconstitue le réseau féodal des Albret et tente de comprendre la nature de leurs seigneuries. La tâche était loin d’être évidente ! En effet, les Albret ont au XIVe siècle plus de 300 vassaux, et possèdent directement des centaines de droits seigneuriaux enchevêtrés (fonciers, banaux, coseigneuries, etc.), d’autant plus complexes à cerner qu’il n’existe aucune structure englobante de type comté qui centralise ces droits avant la création du duché d’Albret par Henri II en 1550. Il n’existe pas plus d’administration centrale, même embryonnaire, avant les années 1400 et la création d’une première chambre des comptes. J. B. Marquette consacra une grande partie de sa thèse et de ses travaux ultérieurs à démêler cet écheveau, en débutant toujours par l’échelon local, avant de fournir une synthèse. Ici, à Cazeneuve, on comprend mieux les rapports qu’entretiennent les Albret avec une noblesse locale appelée à jouer un grand rôle à cause de la mainmise gasconne sur la Papauté et de la Guerre de Cent Ans. Parmi leurs vassaux on note les soudans de la Trau, les Got, de la famille de l’archevêque de Bordeaux devenu Pape, les Durfort et les Noalhan : autant de familles qui ont des relations complexes mais suivies avec les Albret tout au long du Moyen Âge. Notons le soin qu’il prend à détailler la nature et le déroulement des hommages, et à placer le plus exactement possible tous les lieux mentionnés.
Ce genre d’études de cas permit à J. B. Marquette de mettre à jour la base de données réunies pendant sa thèse. Si à première vue, il délaissa à partir des années 1980 l’étude de la famille d’Albret pour se concentrer sur la géographie historique de la Gascogne médiévale, avec ses lieux de pouvoirs et droits seigneuriaux enchevêtrés, en réalité, il ne perdait pas de vue le tableau général des terres des Albret au Moyen Âge. Dans la réédition de sa thèse, parue en 2010, les nombreuses études de cas qui avaient suscité ses articles depuis trente ans nourrirent de vastes sections d’addenda, qui résolurent bien des zones d’ombre qui existaient encore en 1972.
J. B. Marquette ne poussa que rarement ses recherches sur les Albret et leurs vassaux au-delà de 1359, date de l’accession au pouvoir d’Arnaud-Amanieu. Les actes des XVe et XVIe siècle l’intéressaient surtout pour ce qu’ils apprenaient sur la période du Moyen Âge central qu’il chérissait. Le triptyque un temps envisagé sur l’histoire des Albret des origines au XVIe siècle9 ne vit jamais le jour, mais d’autres lui ont emboîté le pas pour les périodes qu’il n’avait pas traitées10. Tous repartent immanquablement de sa thèse et de ses nombreux articles, qui fournissent une base incontournable pour tout travail futur sur les Albret, leurs réseaux et leurs terres.
Bibliographie
- Adot Lerga, Á., Chareyre, P. et Harai, D. (à paraître) : Les souverains de Navarre au miroir des actes (XVe-XVIe siècles), Pau.
- Boutruche, R. (1947) : La crise d’une société : seigneurs et paysans en Bordelais pendant la guerre de Cent Ans, Paris.
- Clémens, J. (1973) : “Jean Bernard Marquette : Les Albret. L’ascension d’un lignage gascon (XIe siècle-1360)”, Annales du Midi, 85, 357-360. [URL] https://www.persee.fr/doc/anami_0003-4398_1973_num_85_113_4822_t1_0357_0000_2
- Courroux, P. (2019) : Charles d’Albret, le connétable d’Azincourt, Ausonius Scripta Mediævalia 36, Bordeaux.
- Goulet, A. (2014) : “Les Albret contre Gaston Fébus : de simples seconds couteaux des Armagnac ?”, in : Lamazou-Duplan, V., éd., Signé Fébus, comte de Foix, prince de Béarn. Marques personnelles, écrits et pouvoir autour de Gaston Fébus, Pau.
- Loirette, G. (1913) : “Arnaud Amanieu, sire d’Albret, et l’appel des seigneurs gascons en 1368”, in : Mélanges d’histoire offerts à M. Charles Bémont par ses amis et ses élèves, à l’occasion de sa vingt-cinquième année de son enseignement à l’École pratique des hautes études, Paris.
- Loirette, G. (1931) : “Arnaud Amanieu, sire d’Albret, et ses rapports avec la monarchie française pendant le règne de Charles V (1364-1380)”, Annales du Midi, 43, 5-39. [URL] https://www.persee.fr/doc/anami_0003-4398_1931_num_43_169_5069
- Luchaire, A. (1873) : Les origines de la maison d’Albret (977-1270), Pau.
- Luchaire, A. (1877) : Alain le Grand, sire d’Albret. L’Administration royale et la Féodalité du Midi (1440-1522), Paris.
Notes
- Luchaire 1873.
- Luchaire 1877.
- Loirette 1913, 317-340 ; Loirette 1931, 5-39.
- Boutruche 1947, notamment p. 389-394.
- Nous laissons de côté les études sur Jeanne d’Albret, qui ne concernent pas le Moyen Âge.
- Clémens 1973, 357-360.
- Marquette 1973.
- Marquette 2010b. https://api.nakala.fr/embed/10.34847/nkl.42231z90/5bc8b5738f568010449d0af37336bfd7a951a71e
- Clémens 1973, 357.
- Pour la fin du XIVe siècle, Anne Goulet a étudié le principat d’Arnaud-Amanieu (voir notamment Goulet 2014, 50-59) ; nous avons fourni une biographie de Charles Ier, sire d’Albret de 1401 à 1415 (Courroux 2019), ainsi que plusieurs articles sur la principauté des Albret à la fin du Moyen Âge ; enfin, Alvaro Adot Lerga a étudié les Albret rois de Navarre de 1484 au milieu du XVIe siècle (voir notamment le livre à paraître, Adot Lerga et al. à paraître).