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Notaires des champs et administration princière en Dauphiné (XIIIe-XVe siècles) : quelques problèmes

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La société des notaires d’Oisans et de Dauphiné

Samedi 6 décembre 1337, c’est jour de marché à Saint-Laurent du Lac1. Les frimas de l’hiver sont bien là depuis cinq ou six semaines mais, profondément encaissée dans la vallée de la Romanche, la bourgade demeure accessible depuis Grenoble, au prix de deux bonnes journées de marche plein Est2. Sa situation géographique, en ultime palier accessible toute l’année à 750 mètres d’altitude, avant que la route du col du Lautaret qui se prolonge vers ceux du Galibier et du Montgenèvre ne s’élève abruptement en en rendant la viabilité incertaine par temps de neige, est celle, avantageuse, d’un gros village d’étape où rompre la charge. Le site, carrefour au débouché de vallées spectaculaires niché au bord d’un lac croupion qui a laissé, en s’asséchant, une plaine plutôt fertile, est celui d’un fort chef-lieu, central dans ce qui fut une massive châtellenie du XIIIe au XVIIIe siècle. C’est de cette centralité que la place, nantie de son château delphinal, a finalement tiré son toponyme moderne : Bourg d’Oisans. On se représente son marché de décembre où les habitants du mandement ont pu se rendre, qui en luge, qui à dos de mulet, bravant les périls d’une avalanche toujours possible entre novembre et avril sur ces chemins accrochés à des pentes supérieures à 50 %. Peut-être y échangerait-on quelques poules ou des légumes ; sans doute viendrait-on pour compléter les réserves de blé pour l’hiver. Sûrement, un certain nombre de jeunes hommes y feraient relâche avant de s’aventurer dans l’avant-pays, jusqu’à Lyon ou Avignon, où ils se loueraient le temps de la morte saison. Cependant, au milieu de ces jours faussement cycliques, voici que le châtelain du dauphin, le noble Gilles de Moras, flanqué du notaire Jean Richard et du crieur public Aynard Aynard, se présente solennellement sur la place en laissant la parole au héraut3 :

Oyez, oyez ! Que tous ceux qui, en Oisans, souhaiteraient rapporter de quelconques griefs, plaintes ou remontrances à l’encontre du prince-dauphin actuellement régnant ou de ses prédécesseurs, se présentent au châtelain, soit le lundi 15 [s’ils habitent loin], soit au cours de l’Octave de Noël à venir. Il leur sera fait bonne justice et réparation à la suite d’une juste enquête4.

Le samedi suivant, c’est le vi-châtelain, Pierre de La Ville, qui se rend à son tour au cœur du marché accompagné des mêmes, pour diligenter une réitération de l’annonce officielle. La scène se reproduit le samedi d’après, 20 décembre5. Six jours plus tard, après que ces rudes montagnards ont dignement fêté Noël, se présente alors, en une sage file indienne, la troupe de 39 individus, malcontents qui ont une nouvelle fois bravé les intempéries hivernales6. À leurs côtés, une quinzaine d’autres, dont on serait bien en peine de les distinguer, viennent en procureurs de différentes communautés du mandement ; en leur sein, ils sont trois qui représentent même “l’ensemble des habitants d’Oisans”7. Il est difficile de se figurer la manière dont les choses se déroulèrent alors. Tous ne purent être entendus le même jour, c’est avéré. Mais ce que l’on sait aussi, c’est que les trois-quarts d’entre eux n’arrivaient pas les mains vides : de leurs manches ou de coffres plus ou moins rudimentaires, ils tirèrent des actes notariés en bonne et due forme que Jean Richard recopia et consigna in extenso dans le registre qui nous est parvenu8. Certains de ces papiers pouvaient être relativement récents, datant du début de la décennie ; d’autres étaient beaucoup plus anciens, le plus vieux de tous remontant à 12559.

Parmi les plaignants, elles sont quelques femmes, la plupart qualifiées de “très pauvres veuves” dont la moins attachante n’est pas Bertrande Fabre, femme de feu Jean. Bertrande “pleure humblement et dévotement” car elle vit dans la misère, surtout depuis la mort de son mari qui ne lui aurait pas laissé grand-chose d’autre qu’une créance de 13 livres, 1 sou et 12 deniers viennois, une créance dont, précisément, elle réclame l’assouvissement10. La banalité de la situation d’une veuve sans le sou le dispute à sa tristesse… Cependant, les éléments qu’elle verse à son dossier invitent l’historien à dépasser cette apparence anodine. C’est ainsi que, de cette créance, la femme rend à bon droit le dauphin responsable, en arguant du fait qu’elle a été contractée au titre du pain régulièrement fourni par son mari aux ouvriers recrutés pour travailler dans les mines de Brandes au cours de l’année 1327. Pour les historiens de l’extraction minière, qui ont étudié par le menu cette exploitation située à Huez, juste au-dessus de Bourg d’Oisans, cette découverte documentaire constitua une véritable aubaine archivistique11. Pour le sujet qui nous occupe ici, retenons-en la mention assez étonnante de la profession des intéressés. Car si Bertrande informe qu’elle et son époux faisaient ensemble métier, plutôt trivial, de boulangers, par l’acte même dans lequel cette information est donnée, on apprend de sa propre plume que Jean excipait aussi de la qualité de notaire. Ce boulanger-notaire vivait peut-être davantage de son pétrin que de son écritoire mais sa situation économique n’était pas si défavorable que ne le laisse entendre sa veuve12. N’empêche qu’il n’usurpait pas son titre, comme l’atteste sa parfaite maîtrise du latin, du ductus avignonnais comme du formulaire de l’ars notaria ainsi que de la technique comptable la plus élaborée13. Coquetterie du savant ou ironie de l’artisan, il choisit de se désigner, lui et son épouse, par un vocable très soutenu en complet décalage avec sa situation plutôt rustique, celui de pistrices (les “confecteurs de pain” de Cicéron).

Ayant accédé à un certain niveau d’aisance, le ménage fut sans doute plus entreprenant que la moyenne. Bien mal lui en prit, en l’occurrence, puisque ce fut finalement la faillite, des mines comme de tous ceux qui y avaient investi travail et économie14. Cela étant, Bertrande n’avait certes pas dit son dernier mot, capable qu’elle était de se rendre à un ajournement qui pourrait lui être favorable, celui du châtelain en 1337, et surtout, d’y produire en très peu de temps un acte datant de dix ans que le couple avait dû soigneusement conserver, au milieu d’autres archives, à l’abri des rongeurs et de l’humidité.

On eût rêvé de savoir si Bertrande obtint gain de cause. Malheureusement, l’historien en est pour ses frais car le registre ne comporte que les dépositions des plaignants et non pas l’issue des procès engagés. Cependant, pour spectaculaire qu’elle soit, l’histoire de Jean et Bertrande Fabre est loin de représenter la seule découverte qu’autorise ce document. En effet, en recoupant les informations recueillies ici et ailleurs, il s’avère que ce sont près de la moitié (au moins) des individus qui se présentèrent au château de Bourg d’Oisans qui étaient, de la même façon que Jean Fabre, notaires. Dans l’immense majorité des cas, ils sont tout simplement “paysans-notaires”, n’excipant qu’incidemment de leur seconde qualité, sauf lorsque, comme Jean Fabre, ils instrumentent. Mais c’est bien là ce qui explique qu’ils aient, tous, si bien conservé leurs papiers et qu’ils les aient maniés avec autant d’aisance, en particulier au moment inespéré de se faire entendre du prince et de faire valoir leurs droits.

Des notaires sans archives ?

À côté des milliers, voire des dizaines de milliers de registres notariaux contemporains gisant dans les fonds de l’Italie communale, des grandes villes provençales, languedociennes et catalanes, le petit registre consignant les copies des actes uissans15 peut paraître bien modeste, même replacé dans un contexte documentaire plus vaste qui en comporte quatre autres, similaires, dont la confection s’étend, en l’état actuel de nos connaissances, sur 22 ans, de 1315 à 1337 et concerne tous le Dauphiné des montagnes (Oisans, Briançonnais et Matheysine)16. La principauté présente, en effet, la situation paradoxale d’un territoire où, du Rhône à la Doire et à la Durance, les notaires furent spécialement nombreux mais ne laissèrent que bien peu de traces documentaires directes avant le XVe siècle17. De ce point de vue, le cas de l’Oisans que nous venons de détailler est tout à fait exemplaire de ce qui se jouait dans l’ensemble des terres dauphinoises, tant sur le plan sociologique et politique que sur le plan documentaire.

L’historiographie nous enseigne, depuis plus de quarante ans désormais, qu’il n’y a sans doute là rien d’absolument exceptionnel et l’on a établi que, partout en Occident, les paysans savent bien, au début du XIVe siècle, la valeur de l’écrit18. Tout est question, néanmoins, de degré. Voici, en l’espèce, une société qui, dans des proportions qui restent à préciser, investit obstinément dans l’éducation de ceux de ses enfants qu’elle jugeait aptes à tirer profit d’un enseignement de haut niveau mais sans véritable espoir d’une quelconque ascension sociale : les litterati dauphinois demeureraient, dans leur immense majorité, crottés. Contraints de gagner leur pain à la sueur de leur front, ceux-ci n’eurent alors guère loisir de pratiquer leur art et ne laissèrent donc que bien peu d’écrits de leur main. En cela, ils ne se distinguent pas d’une foule de notaires urbains d’Italie du nord, tout aussi démunis économiquement et pour qui la pratique d’une double activité était vitale19. Dans le contexte italien, cependant, les archives sont très riches qui permettent de connaître ce groupe important. Concernant le Dauphiné du XIVe siècle, même si les fonds semblent peut-être moins exceptionnels, ils sont pourtant loin d’être totalement invisibles à l’historien, même si c’est bien d’abord par le prince et grâce au prince que se dévoile, très timidement, cette part de leur histoire, ainsi que le montre l’exemple uissan. En l’occurrence ici, ce fut l’œuvre des trois derniers dauphins indépendants, Jean II (1309-1319) et ses deux fils, Guigues VIII (1319-1333) et Humbert II (1333-1349), qui chacun à leur tour engagèrent ces enquêtes dont est extrait le compte de Jean Fabre.

Dans le cadre d’un ouvrage dont l’heureux objet consiste à confronter les expériences princières dans l’espace français, il est certain que le Dauphiné des derniers siècles médiévaux présente une situation qui n’est pas sans intérêt. Progressivement intégrée à l’orbe de la monarchie, depuis les premiers séjours à Paris de Jean II dauphin sous Louis X jusqu’à l’installation sur place de Louis II (le futur Louis XI), en passant par le fameux transport de 1349 qui confiait définitivement son “administration” au roi de France, la principauté est sans conteste devenue française même si elle demeure, encore au XVe siècle, partie du royaume d’Arles. J’ai étudié ailleurs la manière dont les Valois jouèrent d’un clavier juridique et symbolique très étendu pour exercer ici une domination très efficiente, faisant même du Dauphiné un véritable laboratoire du gouvernement Marmouset, une gageure eu égard à la profondeur de l’incursion en terre d’Empire que représentait le transport de 134920. C’était là, de ma part, une démarche nécessaire, qui permit de préciser les contours idéologiques des milieux qui entouraient Charles V et Charles VI, tout en mesurant l’influence qu’exercèrent sur eux les réseaux à l’œuvre entre le Rhône et les Alpes. Au fil de cette approche, une sociologie quelque peu impressionniste m’avait aussi conduite à formuler le postulat selon lequel la masse des sujets des dauphins offraient finalement un réservoir inépuisable de personnels tout prêts à servir leur administration, jusqu’au sommet pour les plus brillants (ou les plus serviles). Telle semblait être la domination delphinale au XIVe siècle, alchimie réussie d’un héritage venu de France comme d’Italie, le long de la grande route des Alpes21 : institutionnellement, cela ne fait aucun doute, les rouages étaient bien huilés et les Marmousets pouvaient s’en émerveiller. Qu’au fin fond de l’Oisans cela ait suscité moins d’enthousiasme, c’est à peu près certain également, mais je ne m’y étais, dans cette première approche, point arrêtée. Alors même que la documentation se dérobe sous nos pieds, peut-on néanmoins espérer retourner ce regard très “dominant” pour tenter de saisir un point de vue de biais, ou mieux, d’en bas ? L’enquête est en cours, qui consiste à traquer les signes qu’ont laissés Bertrande et ses semblables en dépit de leur pauvreté. Plus qu’en proposant des conclusions encore bien provisoires, c’est en soulevant la question principielle du lien qui se noue inévitablement entre le pouvoir princier et le notariat que l’on souhaiterait contribuer à la réflexion conduite ici sur le gouvernement des principautés.

Les “origines” du notariat et du pouvoir princier dans les terres delphinales au XIIIe siècle

Les premiers comtes d’Albon, ancêtres des dauphins du XIIIe siècle, gouvernèrent-ils par l’écrit ? Il est très difficile de le dire avec certitude. La documentation qui subsiste aujourd’hui semble plutôt démontrer que ce sont les seuls ecclésiastiques qui recouraient aux services de scribes et c’est sous leur plume, cléricale, que l’on entend parler des premiers dauphins22. À la toute fin du XIIe siècle, voici que paraît le premier notaire laïque dont on a la certitude qu’il n’est pas simple “scribe” mais bien notarius publicus23. Au siècle suivant, on les repère de mieux en mieux et ils sont parfois au service des dauphins24. L’historiographie en tire les conclusions qui semblent s’imposer : d’un côté, le notariat de tradition dite “italienne” se répand, inexorablement, de vallées en plaines, et de mer en rivières, et de l’autre, l’institution princière se développe25. Sur le plan juridique, le phénomène est incontestable : la région est bien entrée dans l’ère du jus commune à la suite de l’arrivée des premiers notaires, au cours du XIIIe siècle. Ainsi que Gérard Giordanengo l’a établi, il serait erroné d’interpréter cette concomitance dans le sens d’une relation de cause à effet26. Certes les dauphins ont utilisé le droit romain, surtout à partir des années 1260, pour affermir leur pouvoir, mais ils sont loin d’avoir été les seuls ! Évêques et abbés ne se privèrent pas non plus d’y recourir et ils le firent de manière plus précoce, vraisemblablement à partir des années 1200. En outre, ce n’est pas au service des futurs dauphins mais bien à celui des ecclésiastiques et des barons méridionaux que se mirent les premiers notaires dotés de l’authentique fides publica notariale : c’est le cas, par exemple, de Jacques Charmier à Romans en 1190 ou, une génération plus tard, de Michel, un rejeton du lignage des Guers, une famille de chevaliers issue des contreforts du massif de Belledonne, que l’on voit instrumenter pour Giraud Adhémar en 121527.

Or tout au long du XIIIe siècle et jusque dans les années 1350, c’est bien ce que l’on observe partout en Dauphiné, particulièrement dans la zone alpine : la noblesse de rang infra-seigneurial envoie très régulièrement ses enfants se former aux arcanes de l’ars notaria. Certains lignages, comme celui des Guers ou leurs voisins, les Allevard, en firent même une de leurs spécialités et c’est toute une petite troupe de membres de cette famille qui alla s’installer à Suse, en Piémont, pour y prospérer grâce à ce qui, pour eux, put enfin devenir un métier28. D’autres, nombreux, ne purent faire autant fructifier leur savoir-faire et demeurent, de ce fait, infiniment plus difficiles à repérer. Ce sont, par exemple, les ancêtres de Jean Richard, rencontré à Bourg d’Oisans en 1337, qui semblent bien avoir, eux aussi, investi dans les études de leurs rejetons les plus doués pour la plume. En Briançonnais, Henri Falque-Vert repère leurs semblables, notamment au sein des familles de “challains”, ces hobereaux qui terrorisaient leurs contemporains et que le dauphin chercha à soumettre à une plus forte autorité29. Parmi les plus fortunés, un certain nombre devinrent aussi mistraux delphinaux, c’est-à-dire que le dauphin leur délégua définitivement, en échange de lourds droits d’introge et parce que leurs compétences le leur permettaient, la perception d’un assemblage de droits seigneuriaux.

Autrement dit, pour moins d’une dizaine de notaires que l’on repère dans l’entourage des dauphins au tournant du XIIIe et du XIVe siècle, combien sont-ils qui n’ont pas trouvé à s’employer à leur cour et n’y songeaient peut-être même pas ? Nous ne le saurons sans doute jamais. En revanche, les quelques indices que nous avons mentionnés d’une diffusion importante du notariat dans la noblesse tend à prouver que, pas plus que le droit romain dont il fut le principal vecteur, celui-là ne saurait être considéré comme l’instrument d’une puissance princière en plein affermissement : le temps n’était certainement pas advenu, encore, de la mise en œuvre de stratégies lignagères de service du prince et, a fortiori, de stratégies de service de celui-ci “par la plume”. À l’inverse, il est très probable que cette diffusion du notariat au sein de ces lignages participait bien d’une stratégie opposée, par laquelle ils s’échinaient à maintenir et accroître leur propre autonomie, offrant ainsi à l’ambition du prince autant, si ce n’est plus, de résistance qu’à la période précédente. Et si la puissance du prince se renforça indéniablement de son côté, ce fut d’abord par le fait de sa supériorité économique et militaire.

Le développement des communautés, sous la conduite des notaires

Deux à trois générations plus tôt, selon une chronologie que l’on peine à préciser, un autre phénomène se produisit que j’identifie comme celui d’une expansion “verticale” du notariat au sein des couches inférieures de la société. Fruit de la mutation des structures économiques désormais plus franchement monétarisées grâce au développement de l’élevage de transhumance, un soubresaut économique s’observe au sein de la paysannerie roturière qui peut alors, à son tour, envoyer certains de ses enfants aux études. Sans doute l’affaissement simultané des coûts de l’écrit a-t-il aussi joué un rôle important : l’usage du papier se diffusa très rapidement dans les Alpes et c’est bien sur ce matériau que Jean Fabre dressa la comptabilité de ses livraisons de pain aux mineurs de Brandes-en-Oisans30.

C’est alors, au cours de la seconde moitié du XIIIe siècle, que les dauphins se mirent à gouverner plus systématiquement par l’écrit, développant une comptabilité régulière tant au niveau de leur hôtel qu’à celui des offices locaux de bailliage, mettant en œuvre des procédures d’enquête de justice et de gestion. Furent-ils en tout cela “en retard” ou “en avance” sur leurs voisins immédiats ou leurs congénères plus lointains ? D’un côté, ce fut la grande enquête domaniale de 1250 que la tradition intitule “Probus” et qui paraît des plus précoces si l’on considère l’espace français31 ; de l’autre, c’est une comptabilité, à partir des années 1300, et ce sont des enquêtes de réforme, entre 1315 et 1337, plutôt tardives, si on les met en regard de leurs homologues savoyardes ou provençales. C’est là, sans doute, une comparaison un peu vaine. En outre, hormis à Grenoble et dans ses alentours, il est douteux que le “vivier” notarial dauphinois, de plus en plus fourni, ait joué un grand rôle dans cette évolution au niveau central. Parmi ces Grenoblois, j’ai évoqué parmi eux le cas d’Humbert Pilat, qui fut le premier à porter le titre de secrétaire delphinal, sous Humbert II32. Mais pour un Humbert Pilat ou un François de Theys, né à moins d’une journée de cheval de Grenoble, combien de François de Frédulfe, originaire de Parme ? Le prince avait largement les moyens d’aller chercher ailleurs des serviteurs experts en écriture et en droit et il ne s’en privait pas, quand bien même il disposait de “ressources” sur place. Cette tentation de recruter loin du Dauphiné risquait fort de s’amplifier sous les dauphins Valois et, naturellement, c’est bien ce qui se produisit33. Au niveau local, en revanche, il en allait tout différemment : le rôle de ces notaires fut absolument décisif. De fait, comment, sans eux, aurait-on pu espérer obtenir des châtelains, dont la fonction principale était militaire, qu’ils rendissent des comptes réguliers et fiables ? La cristallisation étonnamment rapide de la procédure de reddition de leurs comptes par ces officiers au début des années 1300, dans toute la principauté, ne s’explique pas autrement que par la présence de cette armée de notarii qui n’attendaient pas mieux que de trouver ainsi à employer leur savoir34. Leur contribution fut ici déterminante, bien au-delà de la seule mention explicite qui en est faite dans la concession à ferme, pour trois ans, à l’un d’entre eux, du “notariat” de la châtellenie ; c’est dans les comptes eux-mêmes et ce flot ininterrompu de leur série pendant deux siècles qu’il faut lire leur action de fond35.

Cependant, du point de vue de ces hommes eux-mêmes, il ne pouvait s’agir là que d’un petit appoint. Notaires ou pas, au début du XIVe siècle, le service rendu par ses “humbles” sujets au dauphin prenait plus simplement deux formes : la première était militaire, qu’ils fussent nobles ou pas, et la seconde fiscale, les nobles ayant privilège de moins payer que les roturiers. Point de notariat qui vaille en tout cela, naturellement ! Nul doute cependant qu’il n’y ait eu, là encore, de stratégie dans la persévérance que l’on observe aux XIVe et XVe siècles, dans toute la principauté, à envoyer des enfants étudier au loin pour en revenir avec ce titre de notaire, même si cet investissement substantiel n’avait que peu de chance de produire une quelconque amélioration économique dans le train de vie de l’intéressé ou de ceux qui l’avaient consenti. Nul doute aussi que cela n’ait été fort bien connu du prince. Du point de vue des sujets, c’est la concomitance que l’on repère entre le développement du notariat dans l’ensemble de la population et la mise en place de structures communautaires institutionnelles qui me semble faire sens. Nicolas Carrier et Fabrice Mouthon ont rappelé la force de ces structures dans le monde alpin à la fin du Moyen Âge36. J’ajouterais pour ma part que si le phénomène est spectaculaire dans l’espace alpin, il l’est également dans l’avant-pays, tout au moins dans les zones où aucune ville ne s’est développée au point de polariser la vie économique et sociale locale. Car de fait, même si elles demeurèrent de taille singulièrement réduite, les villes dauphinoises ne semblent pas avoir échappé au lot commun de tous les ensembles urbains occidentaux et plus particulièrement méditerranéens : comme ailleurs, les notaires s’y trouvent nombreux, dès le XIIIe siècle et jouent un rôle majeur dans leur développement institutionnel. Cependant, jamais, on ne les vit gouverner, en tant que tels, ces ensembles urbains ; en général et selon les époques, les juristes, les plus puissants des artisans et / ou des marchands occupent les fonctions, qui de consuls, qui de syndics37. En revanche, dans les campagnes dauphinoises, qu’elles soient alpines ou rhodaniennes, ce sont bel et bien des notaires qui trustent, presque sans partage, les offices consulaires à partir du moment où ils apparaissent, soit un siècle à un siècle et demi après ceux des villes. Ce n’est pas le lieu de développer ici les analyses auxquelles conduit le dépouillement des archives de leurs communautés, des archives qu’ils ont, en bons professionnels, parfaitement conservées. Je me contenterai de signaler que ces communautés n’étaient nullement exemptes de tensions très vives qui opposaient notamment les représentants d’une noblesse de plus en plus résiduelle aux “rustiques” d’un côté et aux clercs, plus ou moins nombreux selon les lieux, de l’autre. En outre, il convient d’insister sur le fait que les notaires étaient bien loin de constituer un “métier” institutionnellement identifié : ils étaient membres d’une communauté rurale donnée et c’est elle, et elle seule, qu’ils représentaient, ni plus ni moins.

On s’interrogera plus longuement, en revanche, sur la manière dont le prince s’accommoda, en Dauphiné, de cette très forte présence notariale, bien au-delà de ce qui était nécessaire à l’administration des châtellenies. Dans l’introduction qu’il fit à son inventaire des fonds notariaux dauphinois Gaston Letonnelier établit une liste fort suggestive des ordonnances par lesquelles invariablement, d’Humbert II à Charles VIII, les dauphins cherchèrent à limiter le nombre des notaires et à en contrôler le recrutement d’une part, à en encadrer les émoluments d’autre part38. Selon Letonnelier, il en allait de la protection des sujets eux-mêmes qui, nous dit-il, se trouvaient toujours soumis à ces nuées de paperassiers nuisibles et avides. Que ces ordonnances fussent empreintes d’une phraséologie réformatrice destinée à sur-jouer la préservation du bien commun, c’est absolument indéniable ; que cette phraséologie ait évolué progressivement en direction d’une expression plus ferme de l’autorité royale, c’est certain également, au point que Louis XI en vint à tenter de casser, du jour au lendemain, l’authenticité de la grande majorité des notaires de la principauté en réduisant leur nombre à trois par châtellenie au maximum39. Qu’enfin, pour la période qui suit le transport de 1349, ces ordonnances s’inscrivent dans le cadre d’une prétention à l’uniformisation systématique du notariat dans l’ensemble des terres méridionales soumises aux Valois, cela est parfaitement établi40. Signalons tout de même que, jusqu’à l’époque de François Ier, toutes ces prescriptions firent long feu en Dauphiné. Mais surtout, par-delà cet échec, se pose une question de fond : sous-jacente à ce cadre normatif sans cesse réitéré pendant un siècle et demi, une profonde méfiance n’aurait-elle pas surgi très tôt et perduré à l’encontre de cette foule de “lettrés-crottés”41 ?

À l’inverse, n’est-il n’est pas assuré que ces notaires auraient fort bien pu rendre à tout le gouvernement de leur très “redouté seigneur” la sourde hostilité qu’éprouvait certainement cette masse des sujets taillables du Dauphiné qu’ils représentaient ? La tension est palpable dès avant le transport, notamment dans la démarche de personnalités comme celle de Bertrande Fabre. Elle l’est encore davantage dans les révisions de feux du XVe siècle. Car contrairement à ce que l’on observe dans le royaume à la même époque, le Dauphiné bénéficia sous le règne de Charles VII et celui de Louis XI d’un régime fiscal particulier résultant à la fois d’une négociation entreprise au niveau central avec le gouverneur par les trois états et, plus encore, d’un dialogue très systématique au niveau local avec les représentants du dauphin sur lequel se fondait l’assiette de la taille42. De ce dialogue qu’instituèrent les révisions de feux, les notaires furent à la fois les instigateurs, les interlocuteurs et, au moins temporairement, les vainqueurs, puisque la province parvint à stabiliser le niveau de la pression fiscale monarchique alors même que le montant de l’impôt s’envolait dans le royaume.

Conclusion : le problème historiographique de l’institutionnalité du notariat

Au-delà, c’est aussi l’inextricable question du “régime” notarial en vigueur en Dauphiné qui se trouve posée et que l’on peut tenter d’articuler à celle, moins inextricable sans doute, du “régime” princier observable en ces terres. Les diplomatistes le disent, avec raison : jusqu’en 1349, les dauphins ont gouverné par l’entremise d’écrits qui prirent la forme presque exclusive d’instruments publics. En cela, les princes procédaient de la même façon que les communes du nord de l’Italie toute proche. Guigues VIII, le premier, désigna bien un chancelier mais celui-ci fut en fait un simple juge. Son frère, Humbert II, tenta ensuite avec conviction d’instituer une véritable chancellerie dotée d’un formulaire très élaboré ; ce fut un nouveau coup d’épée dans l’eau43. Sur le plan archivistique, le contraste est saisissant entre l’unique et bien maigre registre de chancellerie datant de cette période qui nous soit parvenu et le fonds exceptionnel de protocoles notariés établis par ses secrétaires, lesquels représentent à l’évidence le cœur de la mémoire du gouvernement princier44. Même si socialement, la distance demeurerait incommensurable entre le prince et ses secrétaires d’un côté et les petits notaires des champs de l’autre, qu’ils fussent nobles ou roturiers ; même si, entre eux, la méfiance ou le mépris réciproques ne pouvaient qu’être alimentés, perpétuellement, par un jeu d’intérêts opposés, il est notable cependant que tous étaient bel et bien familiers des termes de l’instrument public notarié authentique. Que le Statut delphinal de 1349, les fameuses “libertés” de la principauté, ait été rédigé en en suivant le formulaire ne saurait donc surprendre, et c’est aussi cela qui lui confère sa force, durable45 : un langage de gouvernement commun avait vu le jour, sous la plume des notarii publici, un langage qui, sous peu, mériterait le qualificatif de politique. C’est aussi ce langage qui servait, au quotidien, à la tenue de comptes vétilleux que l’on demandait aux châtelains delphinaux de rendre chaque année et qui empêchaient ces derniers de se transmuer en tyranneaux de village. Si l’on veut bien considérer que, très rapidement, ce sont ces comptes “domaniaux” qui servirent d’arguments au prince pour obtenir des états qu’ils concédassent sans trop barguigner des impôts “extraordinaires”, alors il faut en conclure que la boucle du politique était bien bouclée, qui faisait de cette armée de notaires des champs, un maillon essentiel d’une société que l’on peut tout entière qualifier elle-même de “politique”.

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  • Viallet, L (2002) : Bourgeois, prêtres et cordeliers à Romans, Saint-Étienne.

Notes

  1. Le récit qui suit est issu du registre des Archives Départementales de l’Isère (désormais AD 38), B 3333, qui consigne l’enquête de réforme conduite en Oisans en 1337. Ce registre a été partiellement édité par André Allix et certains de ses actes, non publiés par Allix, ont été édités dans Pelloux et al. 2015.
  2. L’Oisans a tôt suscité l’intérêt de l’historiographie. Les monographies d’André Allix demeurent à son sujet des références indispensables : Allix 1923 et Allix 1978.
  3. AD 38, B 3333, fol. 2.
  4. Je synthétise en le passant du style indirect au style direct les propos mis en forme par le notaire Jean Richard (AD 38, B 3333, fol. 2).
  5. AD 38, B 3333, fol. 2v et 3.
  6. Nous ne disposons de la déposition que de ceux de la partie occidentale de la châtellenie : AD 38, B 3333, fol. 5 et suivants. Ceux de la partie orientale sont, en effet, invités à se rendre à Arêne (aujourd’hui Villar d’Arêne, Briançon, Hautes-Alpes) le 15, 16 et 17 décembre, car le châtelain ou son lieutenant s’y trouverait alors (ils sont mentionnés dans l’ajournement au fol. 2v du registre).
  7. AD 38, B 3333, fol. 58.
  8. Certain de ces papiers ont été adjoints au registre, par une simple couture, d’autres ont été copiés par Jean Richard.
  9. Ce sont Lantelme et Hugues Richard qui se plaignent de ce qu’un droit de garde leur a été confisqué indûment par le châtelain ; l’acte de 1255 leur permet de prouver qu’alors, leurs ancêtres percevaient bien cette redevance (AD 38, B 3333, fol. 58v).
  10. AD 38, B 3333, fol. 55.
  11. Le document est publié, transcrit et commenté dans cette perspective dans Pelloux et al. 2015, 92 et 102-105.
  12. En 1323, il est qualifié “d’homme parmi les plus riche de la châtellenie” (AD 38, B 3165, fol. 5).
  13. Voir la reproduction et la transcription qu’en donnent Pelloux et al. 2015, 92 et 102-105.
  14. Pelloux et al. 2015, passim.
  15. C’est là le gentilé des habitants de l’Oisans.
  16. Ce corpus est en cours d’analyse par mes soins dans le cadre d’une recherche plus vaste que je conduis sur le notariat en Dauphiné. Comme le registre B 3333, ces documents sont conservés aux AD 38, sous les cotes B 3285, B 3329, B 3704 et B 3705. J’en avais commencé l’étude en 2000 ; celle-ci a été partiellement poursuivie par Levasseur 2009.
  17. En dépit de quelques notables exceptions, notamment en Valentinois-Diois, les fonds notariaux dauphinois, même méridionaux (région de Gap et Embrun) sont particulièrement indigents avant le XVe siècle bien avancé ainsi que le montre Gaston Letonnelier dans Letonnelier 1930 et Robert-Henri Bautier dans Bautier 1968, t. 2, 1141-1147. La substantielle introduction que Gaston Letonnelier a faite à son inventaire demeure essentielle pour étudier le notariat dans la région. La situation d’ensemble contraste particulièrement avec celle de la Provence voisine où les séries sont massives, dès le XIIIe siècle.
  18. Je ne m’étendrai pas ici sur la longue tradition historiographique inaugurée par nos collègues anglais depuis l’ouvrage fondateur de Michael Clanchy, Clanchy [2012] 1979.
  19. Tamba 1997 et 1998.
  20. Sur la question du “gouvernement” princier, je me permets de renvoyer à la plus étendue de mes études parues à ce jour : Lemonde 2002, 13-200.
  21. Sur cette “alchimie” franco-italienne, voir notamment Lemonde 2014.
  22. À ce sujet, il convient de se référer à Giordanengo 1970, Giordanengo 1971 et Giordanengo 1988 (en particulier aux p. 50-51).
  23. La question de l’introduction du notariat en Dauphiné, soulevée au siècle dernier par Robert Latouche et Gaston Letonnelier (Latouche 1928 et Letonnelier 1930), ne saurait s’abstraire de l’ensemble des travaux conduits depuis fort longtemps sur la genèse ou “renaissance” de cette profession. La bibliographie est immense et ce n’est pas le lieu ici de la rappeler de manière exhaustive. Seuls seront mentionnés les ouvrages qui ont été directement utilisés. Pour une liste exhaustive, et régulièrement mise à jour, des travaux portant sur ce sujet, voir le site collaboratif remarquable mis au point par nos collègues médiévistes italiens spécialistes de ces questions et qui traite du notariat à l’échelle européenne : URL : https://notariorumitinera.eu/ consulté le 31 décembre 2019. Pour le Dauphiné, j’ai pu préciser les données initialement établies par Gaston Letonnelier (Letonnelier 1930, VIII) en repérant un certain Jacques Charmerii, notaire à Romans qui est mentionné le 10 janvier 1190 dans le cartulaire de Saint-Robert (répertorié dans Chevalier 1913, t. 1, notice 5129). Je ne prends pas en compte les mentions de Jean Aubépin et Maître Hugues, intitulés “notaires du comte” (Chevalier 1913, t. 1, notices 5058 et 5023) dans la mesure où il n’est pas assuré qu’il s’agissait de notaires publics. Pour ce qui concerne les ecclésiastiques, les prétendus “notaires” épiscopaux sont en fait, dans les actes, désignés par le vocable indéterminé de “scribes” (voir par exemple en 1184, pour l’évêque de Grenoble, le scritptor Arnulphe dans Chevalier 1913, t. 1, notice 4882). Je me contente ici d’esquisser une chronologie en cours de reconstitution (et de réactualisation, une entreprise réalisable grâce aux outils numériques indexés dont on dispose aujourd’hui) dans le cadre de la recherche que je conduis sur les notaires dauphinois.
  24. Lemonde 2000, vol. 1, 33-38.
  25. Lemonde 2000 et Giordanengo 1988. Nous n’entrons pas ici dans le débat ancien autour de l’itinéraire par lequel le notariat se répandit : la bibliographie est fleuve. Outre les références mentionnées dans Cancian 2004, voir Bautier 1991.
  26. Giordanengo 1988.
  27. Chevalier 1913, t. 2, notice 6315, 22 avril 1215.
  28. Cancian 2004, 259.
  29. Falque-Vert 1997, 415.
  30. AD 38, B 3333, fol. 62bis.
  31. Falque-Vert 1997, 9-14.
  32. Lemonde 2017 et 2019.
  33. Lemonde 2002, 109-200.
  34. Lemonde 2000. C’est sans doute ce qui explique, plus que toute autre chose et en dépit d’une tentative avortée en 1360, la résistance durable du Dauphiné au régime de la ferme des offices locaux qui avait le plus souvent cours dans le domaine royal, notamment en Ile-de-France.
  35. C’est cette ferme qu’évoque C. Thévenaz-Modestin dans Thévenaz-Modestin 2008, 230-231. C’est la raison pour laquelle Jean Richard se transforme aussi en plaignant dans la procédure de réforme de 1337 en Oisans, considérant qu’il a été spolié du privilège exceptionnel qu’avait représenté la cession à vie de cette ferme sous le principat de Guigues : AD 38, B 3333, fol. 54v et 55. À Pau, au cours des discussions qui ont suivi l’exposé oral de cette communication, la question m’a été posée de savoir si ces notaires, si nombreux, étaient bien de “vrais notaires”, c’est-à-dire des hommes qui avaient effectivement suivi le cursus approprié jusqu’à son terme et qui, de ce fait, pouvaient exciper d’une authentique fides publica. L’existence même de cette procédure de reddition des comptes de châtellenies et donc des comptes qui la constituent, parfaitement formalisés, me paraît sans conteste confirmer que ces hommes étaient bel et bien d’authentiques notaires. La question m’a été posée par Guido Castelnuovo, que je remercie chaleureusement pour l’intérêt qu’il a bien voulu porter à mon travail.
  36. Carrier & Mouthon 2010.
  37. Il serait oiseux de rendre compte ici d’une bibliographie absolument colossale et que l’on trouvera, régulièrement mise à jour sur le site Notariorum itinera déjà cité. Ont été plus spécifiquement consultés dans le cadre de la confection de cet article Menant & Redon 2004, Cancian 2004, Faggion et al. 2008, Piergiovanni 2009, Arnoux & Guyotjeannin 2011, Buffo 2012, Dewez & Tryoen 2015. Concernant les villes dauphinoises, on consultera notamment Lemonde 2017 et Viallet 2002. Une mise en perspective à l’échelle occidentale serait à effectuer, notamment en comparant ces quelques données à celles, infiniment plus substantielles qu’a établies Dominique Bidot-Germa pour le Béarn (Bidot-Germa 2008).
  38. Letonnelier 1930, VIII-XV.
  39. Letonnelier 1930, XIV-XV.
  40. Bautier 1991.
  41. C’est bien ce que j’ai établi assez longuement, à propos d’Humbert II dans : Lemonde 2019, notamment aux p. 404-406. Le dauphin enjoignit en 1340 le chancelier nouvellement institué de “convoquer tous les notaires de la principauté, pour inventorier en ‘rubriques sommaires’ les instruments publics qu’ils détenaient” (voir ibid., p. 419). Les ordonnances de ses successeurs rendirent cette hostilité de plus en plus patente jusqu’au coup de force de Louis XI. Cependant, ce dernier échoua complètement, y compris dans sa fugace tentative de réduire finalement le notariat dauphinois à un corps de tabellions royaux (Letonnelier 1930, XV).
  42. À ce sujet, il convient de se référer à l’ensemble des travaux d’Isabelle Vernus et en dernier lieu, Vernus 2000.
  43. Lemonde 2019.
  44. Sur ces spécificités dauphinoises, voir Lemonde 2019. Ces protocoles n’ont jamais été considérés par l’historiographie et par les conservateurs successifs des archives départementales de l’Isère, où ils sont conservés, comme des fonds “notariaux”. Par le fait, ils sont conservés dans la série des fonds issus de la chambre des comptes de la principauté, la série B (voir Bautier 1968, vol. 1, 109-110).
  45. Sur ce Statut, je me permets à nouveau de renvoyer à mes travaux, notamment Lemonde 2011.
ISBN html : 978-2-35613-543-8
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Pessac
Chapitre de livre
EAN html : 9782356135438
ISBN html : 978-2-35613-543-8
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ISSN : 2741-1818
274 p.
Code CLIL : 3385
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Comment citer

Lemonde, Anne, “Notaires des champs et administration princière en Dauphiné (XIIIe-XVe siècles) : quelques problèmes”, in : Bidot-Germa, Dominique, Courroux, Pierre, Lamazou-Duplan, Véronique, dir., Gouverner et administrer les principautés des Alpes aux Pyrénées (XIIIe-début XVIe siècle), Pessac, Ausonius éditions, collection PrimaLun@ 20, 2023, 229-240, [en ligne] https://una-editions.fr/notaires-des-champs-et-administration-princiere-en-dauphine [consulté le 22/12/2023].
doi.org/10.46608/primaluna20.9782356135438.15
Illustration de couverture • Édouard III accorde la Guyenne à son fils Édouard de Woodstock, dit le Prince noir, 1362 (British Library, Londres, ms. latin Cotton Nero D. VI fo 31, fin du XIVe siècle).
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