« Clinics are in part a response to theorists like Freire and Dewey, and others,
who have urged us to rethink radically the goals and methods of education,
and to re-envision the role that our universities play in our societies. »

Catherine F. Klein,
Professor of Law and Director of the Columbus Community Legal Services.
The Catholic University of America. United States of America.

La Clinique du droit de Bordeaux est devenue au cours des dernières années un programme exemplaire d’enseignement juridique clinique (« Clinical Legal Education ») en Europe. Cet ouvrage en est un témoignage exemplaire. J’aimerais évoquer ici brièvement quelques raisons et éléments de cette particularité.

La Clinique du droit de Bordeaux, partie intégrante du mouvement européen de l’enseignement juridique clinique

Comme on peut le lire dans cet ouvrage, le travail en réseau a joué un rôle décisif dans le développement de la Clinique du droit de Bordeaux. Le fait que le mouvement de l’enseignement juridique clinique en France et en Europe ait atteint un nouveau niveau de dynamisme au cours des dernières années (quasiment en même temps que le développement clinique à Bordeaux) a été et reste un facteur favorable. En effet, nous pouvons constater que de nombreuses facultés de droit européennes proposent désormais des programmes de l’enseignement juridique clinique et que ceux-ci se renforcent et s’institutionnalisent de plus en plus.

Cette situation n’est évidemment pas nouvelle. Dans certaines régions européennes, c’est déjà le cas depuis de nombreuses années (comme au Royaume-Uni depuis les années 1970 ou en Europe de l’Est depuis les années 1990). Toutefois, la nouvelle qualité du mouvement de l’enseignement juridique clinique européen réside dans le fait que les programmes des cliniques juridiques sont désormais présents de manière stable dans presque toutes les régions européennes. Ce sont précisément les développements de l’enseignement clinique issus du bloc « historique » classique des États de droit continentaux (comme l’Allemagne, la France, l’Italie ou l’Espagne) au cours des 10-15 dernières années qui ont été d’une grande importance pour cette nouvelle dynamique. À bien des égards, ces États ont eu et exercent une influence sur un certain nombre de pays à l’intérieur et à l’extérieur de l’Europe. Cela ne vaut pas seulement pour le système juridique, mais aussi pour la formation juridique. Le fait que des programmes de l’enseignement juridique clinique, comme celui-ci à Bordeaux, se soient développés peut donc être considéré comme une étape importante pour le développement général de l’enseignement juridique clinique en Europe, qui a et continuera à avoir un effet de rayonnement aussi dans d’autres pays et régions du monde.

Les créations du « European Networks for Clinical Legal Education » (formellement depuis 2013, ENCLE, www.encle.eu) et du Réseau des Cliniques Juridiques Francophones (formellement depuis 2016, RCJF, www.cliniques-juridiques.org) peuvent être considérées comme des signes de cette nouvelle dynamique. Depuis des années, ces deux réseaux organisent entre autres des conférences et des colloques internationaux. Les conférences d’ENCLE, par exemple, réunissent chaque année environ 150 professeurs, superviseurs de cliniques, étudiants et étudiantes d’Europe et d’ailleurs, et leur offrent une plateforme d’échange d’idées, de méthodes et de résultats de recherche sur les cliniques juridiques. L’un des premiers colloques sur le thème de l’enseignement juridique clinique en France a d’ailleurs été organisé par la toute jeune Clinique du droit de Bordeaux dans le cadre du RCJF, qui n’existait alors que de manière informelle (octobre 2014 sur le thème : « Une clinique du droit : Pourquoi ? »).

Tous ces réseaux ne seraient certainement pas imaginables sans le mouvement mondial (Frank Bloch, « The Global Clinical Movement »), qui a également été fortement encouragé par la « Global Alliance for Justice Education » (GAJE, www.gaje.org) depuis sa fondation en 1999. GAJE, en tant qu’organisation d’enseignants de droit et d’autres qui s’engagent pour la justice par l’éducation et qui se concentrent sur la promotion et le soutien d’une formation juridique socialement pertinente, a joué un rôle déterminant dans la création d’une atmosphère et d’une plateforme internationale qui, indépendamment des dynamiques classiques des institutions et des recherches académiques, permet un échange utile et en même temps sympathique entre les acteurs de la Clinique juridique. Ce rayonnement a eu et a certainement des répercussions sur le mouvement clinique en Europe.

La Clinique du droit de Bordeaux est active dans tous ces réseaux. Dans cet ouvrage, on ne peut probablement qu’imaginer l’importance qu’a eue et qu’a encore l’échange avec les autres collègues des cliniques juridiques au niveau international pour la Clinique de Bordeaux mais aussi pour l’ensemble de la communauté des cliniques de droit. Les auteurs décrivent par exemple dans cet ouvrage comment la collaboration transfrontalière entre l’Universidad del País Vasco (UPV) et l’Université de Bordeaux dans le cadre du programme EUSKAMPUS a été un élément moteur pour engager une véritable réflexion sur les méthodes dans l’enseignement clinique du droit. Dans ce contexte, je me souviens aussi personnellement très bien et avec plaisir de l’intervention des collègues de Bordeaux à Bandung (Indonésie) lors de la conférence GAJE 2019, qui avaient alors mis en discussion la collaboration et les réflexions transdisciplinaires au sein de la Clinique à Bordeaux avec les collègues de la faculté des sciences de l’éducation avec la communauté internationale des cliniques juridiques. La valeur de ces réflexions communes ne doit pas être sous-estimée à cet égard.

La clinique du droit de Bordeaux, un exemple et un moteur d’innovation

L’exemple de l’atelier de Bandung m’amène en même temps aux thèmes pour lesquels la Clinique du droit de Bordeaux doit désormais être considérée comme un exemple et un moteur d’innovation en matière de clinique juridique, et dont cet ouvrage est un témoignage particulier.

Comme beaucoup de programmes de cliniques juridiques, la Clinique du droit de Bordeaux s’occupe des aspects pédagogiques de la formation juridique et tente, avec la méthode clinique, de poser de nouveaux jalons, également dans le domaine pédagogique. La Clinique de Bordeaux va toutefois encore un peu plus loin, comme on le voit si bien dans cet ouvrage. Un ingénieur pédagogique et de formation a été recruté et s’est consacré pendant deux ans à l’analyse des activités cliniques à travers le prisme des théories des sciences de l’éducation. Son intégration dans l’équipe de la Clinique du droit et son immersion dans l’enseignement juridique lui ont permis d’acquérir une connaissance approfondie des activités cliniques et de construire des méthodes d’enseignement clinique en tenant compte des aspects disciplinaires spécifiques.

Par cette collaboration avec les pédagogues comme par d’autres voix, il apparaît clairement que la Clinique du droit accorde une importance décisive à la transdisciplinarité dans l’enseignement universitaire du droit et l’intègre concrètement dans les activités de la Clinique du droit. Cela est cohérent dans la mesure où, dans une clinique juridique, les étudiants et étudiantes travaillent justement sur une situation réelle dans toute sa complexité multidisciplinaire. Pourtant, la mise en œuvre est loin d’être simple dans la pratique. La Clinique du droit de Bordeaux semble avoir trouvé des approches et des dosages intéressants à cet égard que l’on peut découvrir de manière concrète dans cet ouvrage. La clé de cette réussite réside certainement dans le fait que la Clinique a recherché et intégré en permanence dans l’équipe de la Clinique du droit des personnes issues d’autres disciplines et qui portent un regard différent sur les « situations authentiques » (telles qu’elles sont définies de manière intéressante et pertinente dans ce livre).

Ce regard transdisciplinaire a finalement conduit la Clinique du droit de Bordeaux à conceptualiser davantage l’enseignement clinique. Cette partie de l’ouvrage sera très intéressante pour de nombreuses cliniques juridiques. Une telle conceptualisation est en effet d’une importance décisive si l’on veut rendre les cliniques juridiques plus indépendantes des individus (souvent encore tenues par ses fondateurs) et les ancrer plus profondément dans les structures académiques. Cela contribuera de manière décisive à une meilleure institutionnalisation des enseignements juridiques cliniques en Europe.

Conclusion

En bref, cet ouvrage est une réussite et arrive à un moment crucial pour le mouvement français et européen de l’enseignement juridique clinique dont l’objectif sera d’ancrer durablement l’enseignement juridique clinique dans les formations universitaires et de le rendre durablement accessible à une majorité d’étudiants et d’étudiantes. Il permet aux lecteurs de participer à l’évolution constante de la Clinique du droit de Bordeaux de manière très intéressante et concrète. En même temps, il offre de nombreuses idées pratiques pour développer concrètement l’enseignement juridique clinique en général, ce qui sera utile à d’autres cliniques juridiques en Europe (et au-delà).

Il est par ailleurs passionnant de constater que le développement de la Clinique du droit de Bordeaux, mais aussi de cet ouvrage lui-même, est imprégné d’une caractéristique principale de l’enseignement juridique clinique, sans lequel aucun développement fructueux n’est possible : le regard critique et la réflexion critique collective. Je suis convaincu que cet ouvrage contribuera de manière importante à la pérennisation des cliniques juridiques en France et en Europe.

Ulrich Stege,
Directeur du programme des cliniques juridiques de l’International University College of Turin (IUC),
Co-Président du « Global Alliance for Justice Education » (GAJE), Secrétaire exécutive du « European Network for Clinical LegalEducation » (ENCLE).