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Le pont transbordeur de Martrou à Rochefort – Échillais,
restauration de l’ouvrage de 2016 à 2020

Le pont transbordeur de Martrou, réalisé par Ferdinand Arnodin1, est construit entre mars 1898 et juillet 19002. Utilisé jusqu’en 1967, il est remplacé par un pont levant puis par le viaduc de l’estuaire en 19913.

Le 30 avril 1976, le pont transbordeur est classé Monument historique pour éviter sa destruction, mais aussi au regard de son importance en tant que seul témoin d’une solution audacieuse de l’art de l’ingénieur de cette époque4. Les autres ponts transbordeurs en France comme à Rouen (Seine-Maritime), Marseille (Bouche-du-Rhône), Brest (Finistère), Nantes (Loire-Atlantique) ont été détruits, et celui de Bordeaux (Gironde), jamais achevé5. Il permet de relier les deux rives de la Charente distantes de 140 m., entre les villes de Rochefort et d’Échillais, sans gêner la navigation. Il se caractérise par quatre pylônes en treillage métallique hauts de 66,05 m composés de six tronçons, prenant appui sur des fûts maçonnés fondés jusqu’au rocher qui supportent à 48,50 m. une poutre treillagée raidissante se développant sur 175,60 m. de long. L’ensemble est maintenu par des câbles à torsion alternative6. Les pylônes en forme de fuseau sont reliés en tête d’ouvrage par trois étages de poutres et deux étages de croix servant de contreventement. À l’intérieur de deux pylônes de part et d’autre de l’ouvrage, sur chaque rive, des escaliers métalliques permettent d’atteindre le tablier. Pour accéder au sommet des têtes du pont l’ascension se poursuit par des crinolines.

Vue générale du pont transbordeur après restauration (© Dominique Abit).
Fig. 1. Vue générale du pont transbordeur après restauration (© Dominique Abit).

En 1933, il est remplacé par une poutre à âme pleine sur laquelle est posé un tablier équipé de rails où circule un chariot. Suspendue à celui-ci par un jeu de câbles, une nacelle permet le passage entre les deux rives de la Charente à 2 m. au-dessus du fleuve. L’importance du trafic routier se développant dans les années 1960-1970 et la lenteur des rotations de la nacelle suspendue contraignent l’administration des Ponts et Chaussées à vouloir détruire ce pont pour le remplacer par un autre. Le 4 février 1967, sa désaffection est prononcée. Derrière cette décision, se profile la démolition de l’ouvrage, qui va engendrer pour de nombreuses années tensions et différends entre les ministères de l’Équipement et de la Culture7. En 1994, il est cédé au ministère de la Culture qui l’entretient régulièrement8. Toutefois, le 31 mars 2010, conséquence de la tempête Xyntia9, un des tirants d’ancrage se brise. Pour pallier différents désordres, un programme de travaux d’envergure est engagé. Dans les deux mois qui suivent, l’entreprise Baudin Chateauneuf10 réalise une campagne de mise en sécurité des câbles de retenue. Toutefois, ces travaux ne sont que provisoires et le risque d’effondrement en cas de tempête ou de température inférieure à 15 °C demeure très important.

Le pont transbordeur et le pont levant, s. d. [avant 1960] 
(© carte postale Archives, Conservation régionale des monuments historiques).
Fig. 2. Le pont transbordeur et le pont levant, s. d. [avant 1960] (© carte postale Archives, Conservation régionale des monuments historiques).

La Conservation régionale des monuments historiques – site de Poitiers (CRMH) commande en juillet 2010 une étude diagnostic pour établir le programme des travaux de restauration générale de l’ouvrage avec sa mise en sécurité définitive. Elle est menée conjointement par Philippe Villeneuve – architecte en chef des Monuments historiques territorialement compétent sur les Monuments historiques du département11 appartenant à l’État et le bureau d’études ARTCAD12. L’histoire et la conception du pont, mais aussi celle de son concepteur, ont incité l’équipe à envisager une restauration tenant compte de l’importance patrimoniale de l’ouvrage dans toutes ses dimensions. Ainsi, l’histoire passionnante des franchissements et celle des prouesses architecturales dans les constructions métalliques influent sur le parti choisi.

La poutre treillagée, s.d. [avant 1933] 
(© Archives, carte postale, Conservation régionale des monuments historiques).
Fig. 3. La poutre treillagée, s.d. [avant 1933] (© Archives, carte postale, Conservation régionale des monuments historiques).

L’étude, et plus particulièrement sa partie historique, a permis d’analyser les modifications qu’avait subies le pont depuis son édification. Quand en 1933, on procède à la suppression de la poutre treillagée réalisée par des petites sections métalliques assemblées pour y substituer une poutre à âme pleine, c’est grâce à l’évolution de l’industrie de l’époque en capacité à présent de fournir des pièces de plus grande dimension.

La poutre originelle était non seulement plus transparente mais également plus haute. Les câbles porteurs des haubans et des suspentes descendaient plus bas, passant dans la poutre à treillis. D’autres modifications furent apportées sur les suspentes et les câbles de retenue furent ajoutés et ancrés dans les massifs de maçonnerie complétés par des massifs de béton à l’arrière des culées. La nacelle fut enfin renforcée pour supporter 26 tonnes de charge alors qu’à l’origine elle était prévue pour 10 tonnes.

Vue du pont avec la poutre modifiée, s.d. [après 1933] 
(© Archives, Conservation régionale des monuments historiques).
Fig. 4. Vue du pont avec la poutre modifiée, s.d. [après 1933] (© Archives, Conservation régionale des monuments historiques).

Pour juger de l’authenticité de l’œuvre originelle d’Arnodin, le bureau d’études ARTCAD a établi des documents graphiques permettant de visualiser en trois dimensions la totalité des éléments constitutifs de l’ouvrage. Il est constaté que pylônes et appuis maçonnés, culées, entretoises du tablier, liaisons entre poutres de tablier et pylônes, sont d’origine. Le tablier (poutres latérales pleines, poutres horizontales) remonte à l’intervention de 1933. Les dispositifs de suspentes, câbles et attaches étaient changés régulièrement et datent donc de 1981 à 1993.

L’équipe de maîtrise d’œuvre prévoit dans son étude deux solutions de restauration. La première, maintenant l’état hybride avec la poutre de 1933, la seconde, avec la dépose du tablier et son remplacement en restituant la poutre originelle. Les deux propositions révèlent la présence d’amiante dans la peinture nécessitant des confinements et un coût estimé entre 11 millions et 13 millions d’euros.

La Commission nationale des monuments historiques section travaux est donc saisie13 et se réunit le 3 septembre 2012 pour statuer sur les variantes proposées. Les débats soulignent que l’ouvrage est conservé à 75 % dans son état 1900. Par ailleurs, la poutre à âme pleine existante fait prise au vent et le retour à celle treillagée serait préférable. Les éléments d’archive semblent cependant imprécis pour en retrouver le dessin exact et un travail comparatif avec les ponts réalisés par Ferdinand Arnodin à Bilbao (Espagne) et Newport (Royaume-Uni) est nécessaire14. Le retour à la poutre treillagée permet de revenir à un état où le trafic contraignait moins l’ouvrage. Parallèlement, une étude stratigraphique sur la couleur originale du pont doit être conduite15. Les membres de la commission ne souscrivent pas totalement au remplacement de la poutre. La résistance au vent, la contamination à l’amiante ou au plomb, et le fait que la dépose de la poutre à âme pleine détruirait des parties protégées Monuments historiques effaçant les ajouts réalisés durant l’histoire de l’ouvrage sont les principaux éléments de la discussion.

Toutefois, après débat, la commission vote à l’unanimité moins une voix en faveur de la restitution du pont dans son état 190016. Après ajustements et compléments, la maîtrise d’œuvre dépose une autorisation de travaux le 17 juillet 201417. Elle est instruite par les services de la Direction régionale des Affaires culturelles, mais aussi au titre des Sites qui donne un avis favorable le 27 mars 201518. L’autorisation est accordée le 20 mai suivant.

Au vu de la complexité du chantier ne pouvant être conduit sous la maîtrise d’ouvrage du service de la CRMH – site de Poitiers, celle-ci est confiée à l’Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la Culture19 par le ministère de la Culture en septembre 201420. Le 12 février 2015, est publié l’avis d’appel public à la concurrence dans le cadre d’une procédure de dialogue compétitif. Cette procédure de passation d’un marché public permet de dialoguer avec la maîtrise d’ouvrage afin de proposer les meilleures solutions de restauration. Le 7 juillet et le 8 octobre 2015 se déroulent les étapes de ce dialogue. Ainsi, Philippe Villeneuve, architecte en chef des Monuments historiques et ARTCAD sont retenus avec Baudin Chateauneuf.

Dépose de la nacelle (© Jean-Dominique Lamy / Baudin Chateauneuf / OPPIC).
Fig. 5. Dépose de la nacelle (© Jean-Dominique Lamy / Baudin Chateauneuf / OPPIC).

En juin 2016, après plusieurs mois de préparation, l’entreprise arrive sur le site pour la mise en place des installations de chantier pendant six mois. Ces aménagements sont nécessaires tant pour la sécurité des ouvriers intervenant en hauteur, que pour la bonne stabilité des pylônes. Ils sont identifiables par la couleur bleu roi qui permet une distinction très claire des éléments rapportés au regard de l’ouvrage historique.

Deux plateformes, constituées de cent tonnes de profilés en acier, sont réalisées au pied de chacun des pylônes pour supporter la charge des différents engins de chantier et des futurs échafaudages. À cela s’ajoutent des ascenseurs donnant accès au tablier à cinquante mètres de hauteur et en tête de pylônes à soixante-six mètres.

Des portiques composés de deux planchers avec garde-corps sont hissés en têtes de pylône à l’aide d’une grue de trois cent cinquante tonnes. Ils permettent aux ouvriers de pouvoir disposer d’un espace de travail sécurisé à soixante-dix mètres de haut. Les deux portiques sont reliés entre eux par deux passerelles à câbles. Ces « ponts de singe » constitués par un ensemble de cages métalliques en forme de U de deux mètres de long sont suspendus entre les deux pylônes. Ils permettent de circuler d’un pylône à l’autre, et de pouvoir être au plus près de la suspension du tablier pour y réaliser les travaux.

Confinement mis en place autour du pylône côté Rochefort (© Jean-Dominique Lamy / Baudin Chateauneuf / OPPIC).
Fig. 6. Confinement mis en place autour du pylône côté Rochefort (© Jean-Dominique Lamy / Baudin Chateauneuf / OPPIC).
« Ponts de singe » reliant les deux pylônes (© Jean-Dominique Lamy / Baudin Chateauneuf / OPPIC).
Fig. 7. « Ponts de singe » reliant les deux pylônes (© Jean-Dominique Lamy / Baudin Chateauneuf / OPPIC).

Des câbles provisoires de retenu sont installés et ancrés aux massifs en béton existants. Composé de vingt-quatre câbles, ce système a pour but de stabiliser l’ouvrage dans son ensemble une fois le tablier déposé. Ils compensent l’effort créé par le poids du tablier et évite ainsi un enfoncement des massifs d’ancrage dû à la réduction des efforts de traction.

À l’occasion des Journées Européennes du Patrimoine, en septembre 2016, le chantier est marqué par la dépose de la nacelle sous les yeux ébahis du public. Elle est conservée côté Rochefort en attente de restauration. En parallèle, des travaux de renforcement de la structure sont menés. Ils consistent dans le remplacement de toutes les barres jugées trop corrodées ou sous-dimensionnées selon les exigences structurelles actuelles. Au total, c’est environ une barre sur dix, représentant plus de onze tonnes d’acier, qui sont déposées ou remplacées.

« Ponts de singe » reliant les deux pylônes (© Jean-Dominique Lamy / Baudin Chateauneuf / OPPIC).
Fig. 8. Dépose du tablier (© Jean-Dominique Lamy / Baudin Chateauneuf / OPPIC).

À partir du 17 juin 2017, la phase de dépose du tablier peut alors s’opérer. Les poutres constituant les membrures extérieures du tablier sont prédécoupées en vingt-deux tronçons de huit mètres de long. Pour ce faire, une plateforme de travail mobile sur roulement est mise en place sous le tablier permettant les interventions au droit des différentes zones de travail. Les six éléments de tablier situés aux deux extrémités, de part et d’autre des pylônes, sont déposés à l’aide d’une grue hors-norme positionnée sur la berge. Pour les seize éléments du tablier situés au-dessus du fleuve, l’utilisation d’une grue n’est plus envisageable. Des moyens nautiques sont alors utilisés. La poutre est déposée en partant des pylônes et progressant alternativement de chaque côté, des extrémités vers le centre du pont. Un chariot provisoire équipé de quatre treuils se positionne au-dessus de chaque tronçon grâce à des tireforts hydrauliques implantés en tête des pylônes. Il roule sur des câbles de guidage puis se pose sur les câbles porteurs du pont au droit de la partie à déposer. Une fois prise en charge par les treuils, sa découpe est achevée et elle est désolidarisée du reste. Les suspentes de retenue sont alors coupées et le tronçon est accueilli sur une barge attendant sur le fleuve. L’embarcation est amenée en pied de pylône côté Échillais où il est déchargé, puis acheminé par camion jusqu’à la zone de fabrication du futur tablier.

Durant cette phase extrêmement complexe, un à deux éléments sont déposés par jour. Cette opération est aussi contrainte par la navigation et les conditions météorologiques. Ainsi, au-delà de 40 kilomètres/heure de vent, l’opération de dépose n’est plus envisageable dans des conditions de sécurité acceptables. À cela s’ajoutent les marées, car la barge ne peut manœuvrer qu’à haute mer sur le fleuve. Or c’est précisément aussi par marée haute que les cargos ou autres embarcations peuvent desservir les ports de Tonnay-Charente et de Rochefort. Leurs circulations au niveau du pont sont prioritaires par rapport au chantier.

Mise en place des rivets à chaud (© Jean-Dominique Lamy / Baudin Châteauneuf / OPPIC).
Fig. 9. Mise en place des rivets à chaud (© Jean-Dominique Lamy / Baudin Châteauneuf / OPPIC).

Le 8 juillet 2017, le dernier élément de tablier est déposé devant un public curieux accueilli pour l’occasion. Les tronçons sont ensuite mis bout à bout afin de reconstituer les 175 mètres du tablier. Un belvédère est installé en surplomb permettant au public d’avoir une vue privilégiée sur cette partie du chantier. Une fois le tablier déposé, l’ensemble des câbles de suspension existants sont décrochés et la restauration des pylônes peut continuer. Profitant de cela, l’entreprise met à terre le chariot existant supportant la nacelle qui devait être simplement restauré. Devant son état de dégradation avancé, il est finalement remplacé en totalité. Cette décision prise en cours de chantier n’est pas sans incidence car cet élément mobile répond aux normes sur les remontées mécaniques.

Autour de chaque pylône, 320 tonnes d’échafaudages les encerclent. En raison de la présence de l’amiante et avant son décapage par sablage haute pression, des confinements stricts sont imposés par la réglementation afin d’éviter la dispersion des substances toxiques. Chaque pylône est ainsi divisé en deux zones, une moitié haute et une moitié basse. Cette protection est composée de deux couches de bâches, l’une extérieure et l’autre intérieure permettant le filtrage et la bonne ventilation de l’air du volume créé par des extracteurs. Ces confinements sont toutefois vulnérables en raison leurs prises au vent. Pour y remédier, il est proposé un système d’ouverture évitant de déstabiliser l’ouvrage.

Une procédure d’évacuation des riverains est également rédigée. Elle sera déclenchée trois fois pendant le chantier, obligeant les collectivités à reloger les quinze foyers riverains de l’ouvrage le temps que la météo soit plus clémente. Les trois tempêtes de janvier 2018 n’épargnent pas les bâches qui partent en lambeaux interrompant le chantier le temps de leur réparation.

Mise en place du nouveau tablier du pont (© Jean-Dominique Lamy / Baudin Chateauneuf / OPPIC)
Fig. 10. Mise en place du nouveau tablier du pont (© Jean-Dominique Lamy / Baudin Chateauneuf / OPPIC)

Une fois le sablage réalisé, les barres remplacées sont assemblées à l’aide de 4 000 rivets mis en œuvre par rivetage21. Cette technique très contraignante a permis de respecter les gestes traditionnels de l’époque de la construction de l’ouvrage.

Les travaux de réparation des pylônes achevés, la mise en peinture est réalisée, entre décembre 2017 et octobre 2018, également sous confinement, par trois couches appliquées à la main. Ayant un rôle d’anticorrosion, les couches sont de trois couleurs différentes afin de bien vérifier leurs bonnes applications sur l’ensemble des surfaces. La couche de finition est d’un noir profond similaire à la couleur d’origine conformément aux analyses stratigraphiques.

Parallèlement aux travaux sur les pylônes, les éléments composants le nouveau tablier sont fabriqués en atelier puis amenés sur site. La dépose des échafaudages est réalisée à l’été 2018 et permet la mise en place de la suspension neuve. Cette dernière est composée d’environ cent-vingt tonnes de câbles à torsions alternatives fabriqués dans les ateliers de l’entreprise à Châteauneuf-sur-Loire.

Les deux massifs d’ancrage font l’objet de travaux consistant en la démolition des parties arrières en béton ajoutées en 1933, les pierres de taille les plus altérées sont remplacées et l’ensemble est nettoyé et rejointoyé au mortier de chaux. Des carottages dans les chambres d’ancrages sont réalisés pour permettre le passage des 8 tirants des nouveaux câbles de retenue qui sont mis en place à l’automne 2018. Leur lancement est réalisé avec la mise en place de passerelle à câble, avec un câble de traction fixé sur l’extrémité libre des câbles de retenue et des câbles porteurs. Pour cette phase, la peinture est réalisée au gant lors de l’avancement et de la mise en place de chaque élément.

Travaux sur le massif d’ancrage côté Rochefort (© Christophe Bourel le Guilloux).
Fig. 11. Travaux sur le massif d’ancrage côté Rochefort (© Christophe Bourel le Guilloux).

À l’été 2018, le nouveau tablier de 330 tonnes est terminé et prêt à être remonté en vingt-deux tronçons. Ils ont été préalablement assemblés au sol pour un contrôle avant le montage définitif en hauteur. La mise en place des deux premiers tronçons, hissés par grues côté d’Échillais, est organisée lors des Journées Européennes du Patrimoine en septembre 2018. La méthode de mise en place du nouveau tablier est strictement similaire à celle conduite lors de sa dépose et est effectuée tout au long de l’hiver et du printemps 2019 avec les mêmes contraintes climatiques, de marées et de navigation. Le nouveau chariot fabriqué en atelier est levé et intégré au dernier élément de la structure du tablier. Une fois l’ensemble des tronçons en place, ils sont assemblés par rivetage à chaud depuis la plateforme de travail préalablement remontée à cinquante mètres au-dessus de la Charente. Le travail de rééquilibrage de l’ensemble de l’ouvrage est ardu et délicat. Après plusieurs phases successives et minutieuses, il doit reprendre la tension des câbles de retenue et des suspensions afin de garantir la parfaite stabilité de cette construction métallique fragile.

La nacelle, descendue en 2016, est restaurée par décapage et sablage puis remise en peinture avec dépose et repose du plancher en platelage bois. Cette opération est visible du grand public grâce à des fenêtres aménagées dans la palissade de chantier. Les câbles reliant la nacelle au chariot sont remplacés par des neufs fabriqués dans l’atelier de l’entreprise. En novembre 2019, la nacelle est publiquement remise en place achevant ainsi la restauration du pont transbordeur. Pour autant les travaux ne sont pas terminés, il reste encore à effectuer le repli des installations de chantier, la remise en état du site, des retouches de peintures, et la dépose des passerelles à câble effectuée par héliportage avec 45 rotations de trois éléments. Une longue série d’essais imposés par la double réglementation s’appliquant à l’ouvrage (ouvrage d’art et remontée mécanique) est menée de septembre 2018 à décembre 2019 en vue de sa remise en service.

La restauration prévue initialement d’une durée de trois ans, a été menée sur presque quatre ans en raison des difficultés techniques rencontrées et aux six mois d’intempéries. Le coût final de cette opération s’élève à 23,7 millions d’euros toutes dépenses confondues. Pendant toutes les phases de chantier, le contrôle scientifique et technique22 est réalisé par les agents de la Conservation régionale des monuments historiques – site de Poitiers, les représentants de l’Unité départementale de l’architecture et du patrimoine de Charente-Maritime, mais aussi de l’Inspection générale des monuments historiques.

Le pont restauré (© Dominique Abit).
Fig. 12. Le pont restauré (© Dominique Abit).

L’ouvrage est restitué par l’OPPIC à la Direction régionale des Affaires culturelles de Nouvelle-Aquitaine au printemps 2020. L’État – ministère de la Culture signe le 22 mai suivant, une convention d’exploitation et de maintenance de l’ouvrage avec la Communauté d’Agglomération de Rochefort Océan. Le nouveau pont transbordeur est inauguré le 29 juillet 2020 et remis en service pour transporter lors de cette saison plus de 84 000 visiteurs23.

Notes

  1. Voir l’article de Florence Dubois et Fréderic Chasseboeuf dans le présent volume.
  2. Ferdinand Arnodin, Notice sur le pont à transbordeur pour la traversée des passes maritimes, Orléans, 1894, Imprimerie G. Jacob, Paul Pigelet, successeur.
  3. Le pont levant de Martrou est construit en béton et acier à partir de 1964 à 250 m. en aval du pont transbordeur. Il est inauguré le 5 février 1967. Le chantier se déroule sous la direction de A. Boileau et Buraud, ingénieurs des Ponts et Chaussées et suivant une esquisse de l’architecte Raymond Rivaud. Les travaux de génie civil sont dus à l’Entreprise de Travaux publics de l’Ouest (ETPO) de Nantes (Loire-Atlantique). La travée levante suspendue grâce à des câbles à contrepoids d’équilibrage, longue de 92,40 m., et son dispositif de manœuvre sont de la Compagnie des travaux métalliques (CTM). Les quatre pylônes mesurent 80 m. de haut et sont fondés à 25 m. de profondeur. Voir Boileau, A., « Pont levant de Martrou », dans Travaux, n°392, novembre 1967, pp. 469. Aujourd’hui, il en reste quelques vestiges. Il sera remplacé par le viaduc de l’estuaire de la Charente, positionné à 200 m. en aval du pont levant. Cet ouvrage en béton précontraint, long de 1 042 m. et culminant à 42 m. de haut, est mis en service en 1991. Il est construit par les entreprises Bouygues et Quillery, sur les plans du cabinet d’architectes SEPRA (Johanna Fourquier, Charles Lavigne), la maîtrise d’œuvre était quant à elle confiée au cabinet d’études parisien SETEC tpi. Il appartient au conseil départemental de la Charente-Maritime.
  4. Un nouvel arrêté de classement est pris le 30 septembre 2019 visant à harmoniser la protection et inclure des parcelles qui avaient été omises dans le précédent arrêté ; voir aussi Luc Fournier « Les différentes formes de patrimonialisation des ouvrages d’art », Monumental, semestriel 2, décembre 2022, p. 26-31.
  5. Coll., Le pont transbordeur et la vision moderniste, Paris, Réunion des musées nationaux, 1991 et Marc Fardet, « Le pont de Martrou, dernier transbordeur de France », dans Connaissance des ouvrages d’art, n°2, 1987, pp. 18-26.
  6. Le câble à torsion alternative est réalisé par l’enroulement de plusieurs couches de fils alternativement dans un sens et dans l’autre, autour d’un premier fil rectiligne.
  7. Voir les courriers conservés aux archives de la Conservation régionale des monuments historiques – site de Poitiers.
  8. Philippe Oudin, « Restauration du pont transbordeur de Martrou à Rochefort », Monumental, n°5, 1994, p. 57-59.
  9. La tempête Xynthia, dépression météorologique majeure qui a frappé les côtes françaises du 26 février et le 1er mars 2010 voir Coll., Xynthia, ou la mémoire réveillée. Des villages charentais et vendéens face à l’océan (XVIIe-XXIesiècle), La Crèche, Geste éditions, 2014.
  10. L’entreprise Baudin et compagnie est fondée en 1919 par Basile Baudin, Georges-Camille Imbault, Georges Arnodin et les frères Thuillier. En 1952, la société prend le nom de Baudin Chateauneuf dont l’activité principale est la construction de ponts, elle se diversifie aussi avec la construction de charpentes. Elle est basée à Châteauneuf-sur-Loire (Loiret).
  11. [en ligne] https://www.compagnie-acmh.fr/villeneuve [consulté le 29/08/2023], Philippe Villeneuve « La restauration du dernier transbordeur français » Monumental, semestriel 2, décembre 2022, p. 62-65 et voir aussi Luc Fournier « Le pont transbordeur du Martrou, Rochefort, Échillais, Charente-Maritime », Monumental, semestriel 2, décembre 2022, p. 60-61.
  12. [en ligne] http://www.artcad-etudes.fr [consulté le 29/08/2023]
  13. La Commission nationale des monuments historiques est placée sous l’autorité du ministre de la Culture. Elle est créée par décret 2007-612 du 25 avril 2007, maintenant codifié aux articles R.611-1 à R.611-16 du code du patrimoine.
  14. N. N. Forbes, Transporter bridges, Cardiff, s.d. [1970 ?], tiré à part de Modern tramway – The light railway transport league, 1970.
  15. Cette étude stratigraphique réalisée, en 2017, par le laboratoire A-CORROS expertise identifie quatre couches de peinture très altérées : un primaire rouge, un brai noir bitumineux (goudron naturel) et deux couches de ton gris peint en gris basalte (RAL 7012), l’autre sur un gris poussière (RAL 7037). Une des couches de gris avait été mise en œuvre, entre 1990 et 1993, lors des travaux de Philippe Oudin – ACMH pour « marier en Charente-Maritime le ciel et l’eau », op. cit. Pour la campagne de restauration actuelle, il a été décidé de revenir à la couleur noir d’origine. 
  16. Archives CRMH – Site de Poitiers.
  17. Elle porte le n°AC 017 299 14 00003, Archives CRMH – site de Poitiers.
  18. Le site classé, de l’estuaire de la Charente, géré par le code de l’environnement, est en vigueur depuis le 22 août 2013 reconnaissant « la valeur d’un ensemble paysager singulier et remarquable, alliant nature et culture ».
  19. Opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la Culture (OPPIC) est un établissement public de maîtrise d’ouvrage, travaillant pour le compte de l’État et de ses établissements publics. Il est spécialisé dans la construction ou la réhabilitation d’équipements culturels mais aussi dans la restauration et la valorisation de Monuments historiques. Ses statuts sont régis par le décret n°98-387 du 19 mai 1998, modifié le 17 juillet 2017.
  20. Voir http://www.oppic.fr/article68.html [consulté le 29/08/2023]
  21. Ce mode d’assemblage, très utilisé dans les charpentes métalliques au XIXe siècle, avant l’apparition de la soudure oxy-acétylénique, permet un assemblage très résistant et de faible encombrement. Pour sa mise en œuvre, il demande la présence de trois ouvriers : le « chauffeur » qui chauffe le rivet et l’introduit dans le trou, le « teneur de tas » qui maintient le rivet et le « riveur » qui frappe la partie chaude avec une bouterolle afin de former la tête.
  22. Le contrôle scientifique et technique de l’État sur les Monuments historiques permet de s’assurer que les interventions, de quelque nature qu’elles soient, garantiront leur conservation et leur transmission aux générations futures tout en préservant l’intérêt qui a justifié leur protection.
  23. Un ouvrage sur l’histoire du chantier et de la restauration du Pont de Martrou est en cours de préparation par la Direction régionale des Affaires culturelles / service de la Conservation régionale des monuments historiques – site de Poitiers.
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Chapitre de livre
EAN html : 9791030008333
ISBN html : 979-10-300-0833-3
ISBN pdf : 979-10-300-0834-0
ISSN : 2741-1818
15 p.
Code CLIL : 3385
licence CC by SA

Comment citer

Bourel Le Guilloux, Christophe, “Le pont transbordeur de Martrou à Rochefort – Échillais, restauration de l’ouvrage de 2016 à 2020”, in : Schoonbaert, Sylvain, coord., Des ponts et des villes : histoires d’un patrimoine urbain, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, collection PrimaLun@ 28, 2023, 221-232, [en ligne] https://una-editions.fr/restauration-du-transbordeur-de-martrou [consulté le 17/10/2023].
doi.org/10.46608/primaluna28.9791030008333.20
Illustration de couverture • Vue de la ville et du pont de Bordeaux, Ambroise Louis Garneray, ca. 1823 (Archives de Bordeaux Métropole, Bordeaux XL B 99).
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