Pour M. J. V. et P. M., les scènes nilotiques ne semblent pas avoir joué de rôle dans la diffusion des cultes isiaques, ni même leur être intimement liées. Ainsi peut se comprendre la présence de scènes nilotiques dans la maison d’Auguste sur le Palatin : des symboles d’Isis, la déesse qui venait d’être vaincue, ou de Cléopâtre, sa personnification sur terre, sembleraient en effet particulièrement mal venus en cet endroit. En outre, le genre semble devenir surtout populaire à partir du IIe siècle de notre ère, date à laquelle le culte d’Isis est déjà installé dans le monde romain depuis longtemps.
Comment faut-il alors reconstruire la signification des scènes nilotiques dans le monde romain ? En fait, ces représentations ne sont pas des images arbitrairement choisies, mais des scènes d’inondations. La crue du Nil, qui donne vie et fertilité à l’Égypte, a frappé les esprits tout au long de l’Antiquité. Au moment où la terre est sèche et stérile, alors que tous les fleuves ont atteint leur niveau le plus bas, le Nil est en crue et donne une période de fêtes et d’abondance. Sur le plan iconologique, les scènes nilotiques semblent d’abord des scènes de fécondité et d’abondance, comme des images du cycle dionysiaque. Ce sont des motifs de ‘truphè’, et de ce point de vue tout à fait aptes à décorer des pièces de détente de la maison romaine. Cette interprétation générale est cependant aussi claire que superficielle. Il semble en effet que ce soit à chaque fois le contexte qui éclaire la fonction spécifique de ce motif de ‘truphè’, qui peut varier en fonction du contexte dans lequel l’image se trouvait : pour un adepte du culte d’Isis, l’image fera penser à la déesse de l’inondation et à son pouvoir suprême ; pour un commerçant de blé romain, l’image symbolisera l’abondance que l’Égypte apporte à lui-même et sa famille ; dans la modeste maison d’un Pompéien, la scène renverra à un sentiment d’abondance et de bienêtre, sans aucun rapport spécifique avec l’Égypte ; dans un nymphée, une mosaïque représentant l’image du Nil en crue sera réellement inondée par l’eau fraîche ; etc. En règle générale, le genre ne peut être mis en rapport avec les dieux égyptiens dans le monde romain, sauf exceptions.
Les scènes nilotiques témoignent donc d’un aspect que l’on ne peut qualifier de strictement religieux de l’influence de la culture égyptienne dans le monde romain. En réalité, les informations que ces images nous donnent de Rome sont celles d’un conquérant colonial face à une culture exotique. En effet, les scènes nilotiques ne montrent pas l’Égypte, mais une image romaine de l’Égypte. Ce genre de représentations nous renseigne souvent davantage sur ceux à qui les images étaient destinées que sur la culture représentée. Cela est dû au fait qu’une culture (exotique) est bien souvent décrite par opposition aux valeurs dominantes de sa propre culture. Pour comprendre la signification des scènes nilotiques, le genre doit donc être étudié et analysé en tant que construction romaine de l’Égypte, comme un reflet du discours des Romains envers le pays du Nil.