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Chapitre 8. Une géographie historique rigoureuse

Chapitre 8. Une géographie historique rigoureuse

Loin d’être une simple technique, l’épigraphie est un accès royal au plus solennel et au plus officiel, mais en même temps le plus intime dans toutes les civilisations : les lois, l’administration, la religion et tant de détails de la vie matérielle et quotidienne.

Georges Gusdorf, Les Sciences humaines et la pensée occidentale,
Jean Leclant, « Allocution d’ouverture », 1990, p. 314.

De tous les types de géographie pratiqués au début du XIXe siècle, la géographie historique est sans doute le moins accessible aux modernes. Cette géographie, préoccupée de la re-création de géographies passées à partir des textes anciens (et parfois avec l’aide de relations de voyage) est la descendante immédiate de la géographie de Bourguignon d’Anville et demeure bien ancrée sur la conception de la géographie de celui-ci. Après tout, à partir du moment où les géographes, les cartographes, les géodésistes et les astronomes sont capables de cartographier et de vérifier l’information sur la localisation, les géographes de cabinet comme Jean-Denis Barbié du Bocage, le seul disciple de d’Anville, ne peuvent plus vendre leurs services aux fabricants de cartes modernes que dans des circonstances spéciales : pour les textes historiques ou dans des conditions où l’information géographique est désespérément recherchée et inaccessible par d’autres moyens1. Il y a encore de la place pour des cartographes commerciaux comme Pierre Lapie, qui au cours de sa vie, fabrique un nombre extraordinaire de cartes de haute qualité, en grande partie à partir de sources secondaires2. En dépit de la haute considération dans laquelle son travail est tenu, Lapie n’est jamais considéré comme un « scientifique » ou comme un « érudit ». Il ne peut donc pas espérer avoir accès à l’une ou l’autre des académies scientifiques françaises3. Peut-être est-ce parce que l’érudition apporte une plus grande gloire que Barbié du Bocage passe sa carrière académique à cartographier la Grèce et Rome antiques, recréant le monde tel qu’il devait avoir été connu d’Hérodote, d’Ératosthène, de Strabon, etc., et écrivant une géographie descriptive du monde antique. D’autres formes de la géographie du premier XIXe siècle tombent facilement dans la rubrique de géographie historique : les reproductions et commentaires des cartes du Moyen Âge ou de la Renaissance ; les reproductions, traductions ou nouvelles éditions des travaux d’anciens géographes, et peut-être, la moins attractive de toutes, les analyses des systèmes de mesure des Anciens. Cette géographie historique est « démodée » même en son propre temps parce que sèche, poussiéreuse (voire moisie) comme il est possible de l’être pour les études classiques ; elle est non théorique et ne réfléchit pas les préoccupations et intérêts modernes ; comme elle est très étroitement focalisée sur la carte et la compréhension cartographique de l’ancien monde, elle est superficielle. Si cela décrivait adéquatement le travail de tous les géographes historiques du début du XIXe siècle, cela ne mériterait pas plus que les sept ou huit lignes que lui accorde Robert Butlin4. Il y a pourtant un géographe, Jean-Antoine Letronne, qui se situe à part de ses collègues à la fois pour le contenu de ses travaux et pour la réception de ceux-ci parmi les géographes. La qualité et l’imagination de son travail et son étonnant oubli par les géographes contemporains suffisent à lui mériter notre attention.

Le courant principal de la géographie historique

Pour comprendre au mieux les manières dont le travail de Letronne est différent et novateur, il est nécessaire de s’arrêter un peu et de regarder – brièvement au moins – le courant principal de la géographie historique. Il est principalement occupé par cinq hommes. Barbié du Bocage est connu de ses contemporains comme un disciple de d’Anville, bien qu’à partir d’un certain point de sa carrière, il nie cela5. Pascal-François-Joseph Gosselin écrit les Rapports à l’Empereur sur la géographie ancienne et ainsi, en un sens, définit le domaine6. Le baron Charles Athanase Walckenaer peut être considéré comme un géographe historique par beaucoup de ses travaux et en particulier une édition de la géographie de Dicuil, un texte général sur la géographie ancienne et médiévale, un essai sur un itinéraire datant des Croisades et son histoire des Gaules7. Edme-François Jomard travaille certainement dans la tradition de la géographie historique dans la plus grande partie de son œuvre sur les antiquités égyptiennes et dans celle sur l’histoire de la cartographie (que nous avons discutés au chapitre 4). Finalement, et par opposition à ses innovations en géographie naturelle, le travail d’Alexandre de Humboldt sur l’histoire de la géographie peut aussi être considéré comme faisant partie du courant principal de géographie historique8.

L’érudition cartographique
de Jean-Denis Barbié du Bocage

Il est virtuellement impossible d’être pris par les écrits et la pensée de Barbié du Bocage. Membre de l’Académie des inscriptions, et respecté à son époque, comme le dit le baron Walckenaer, un de ses nécrologues, « pour sa prédilection pour la plus difficile, la plus utile et la moins appréciée de toute les branches de l’érudition »9, il consacre sa vie à établir l’arrière-plan géographique (très étroitement cartographique) des événements anciens afin d’éclairer les travaux des historiens, des voyageurs et des collectionneurs. Son travail le plus connu – en fait le seul travail pour lequel il soit alors largement connu – est un atlas pour le très populaire Voyage du jeune Anacharsis en Grèce10 de l’Abbé Jean-Jacques Barthélémy. Ce travail appartient au genre de ce que nous appellerions aujourd’hui de la « non-fiction créative » ou « non-fiction narrative ». C’est l’histoire d’un personnage inventé, Anacharsis le Scythe, qui visite la Grèce quelques années avant la naissance d’Alexandre le Grand. Il y voyage et rencontre et discute avec tous les grands hommes de la période, dont Épaminondas, Phocion, Xénophon, Platon, Aristote et Démosthène. Barthélémy explique à ses lecteurs qu’il a choisi de présenter son travail sous la forme d’un récit de voyage parce que « dans un voyage, tout est action et qu’il y est permis des détails qui ne le sont pas aux historiens »11. Le personnage principal est fictif, mais Barthélémy utilise toutes les sources à sa disposition pour décrire la géographie, la culture, l’organisation politique, l’architecture et la pensée du IVe siècle avant notre ère aussi correctement que possible dans le contexte de l’époque. Le livre devient, dans le contexte de son temps, ce qui peut être décrit comme un best-seller. Il est accompagné par l’atlas de Barbié du Bocage qui profite de la sorte du charme et de la célébrité gagnés par Barthélémy12.

L’atlas de Barbié du Bocage est composé de 31 planches, dont 26 sont soit des cartes géographiques, soit des plans, et les autres, des paysages, des perspectives de monuments ou des reproductions de médailles. Précédant les planches, une présentation de Barbié du Bocage décrit les décisions prises dans la fabrication des cartes, en particulier la grande carte géographique dont toutes les autres sont tirées. Elles sont basées sur des cartes levées sur le terrain par M. Foucherot, un ingénieur civil, qui les a dessinées pour M. Choiseul-Gouffier lors du voyage de ce dernier en Grèce de 1776 à 1782. Des informations additionnelles sont fournies par des cartes détenues par le Ministère des Affaires étrangères, la Bibliothèque du Roi, la collection privée des héritiers de d’Anville, et par quelques descriptions détaillées de portulans trouvés dans les papiers de Nicolas Fréret. Aucun de ces documents n’est accessible au public. Après cette description très générale de ses sources, le mémoire entre dans les détails sur la manière dont l’auteur a calculé les anciennes mesures, sur son choix de la projection, sur la façon dont il a ajusté celle-ci pour l’adapter aux nouvelles théories sur la forme de la terre (bien que cela n’ait pas fait de différence perceptible), des cheminements selon lesquels il fixe l’information à des points de latitude et longitude, et de la façon dont il traite les différences entre les sources, etc. En bref, c’est un essai un peu comme le Centre Pompidou : avec la plomberie à l’extérieur. Les cartes elles-mêmes ont été joliment gravées et présentées de belle façon. Chacune est référée à la section correspondante du texte et Barbié du Bocage assure ses lecteurs qu’elles ont été construites sur la base de discussions avec Barthélémy.

Ses autres mémoires cartographiques sont dans l’esprit de ce travail. L’essai sur une carte qu’il a composée pour l’Examen des historiens d’Alexandre de M. de Sainte-Croix, qui montre la route prise par Alexandre le Grand durant son expédition jusqu’à l’Indus et son retour en Égypte, reflète peut-être au mieux les forces et les faiblesses du travail de Barbié du Bocage13. Sainte-Croix, bien qu’universitaire relativement populaire, n’a en rien l’impact de Barthélémy. En fait, Sainte-Croix est plus tard critiqué à la fois pour le caractère bâclé de ses recherches et pour son attribution sans discernement d’une série de tracts antireligieux à l’académicien Nicolas Fréret14. Les limitations des mémoires eux-mêmes de Barbié du Bocage sont plus sérieuses que le respect limité que peut lui valoir sa collaboration avec Sainte-Croix. Le livre de Sainte-Croix, écrit sur le sujet choisi pour le prix de l’Académie des inscriptions de 1770, est consacré à la vie et aux activités d’Alexandre le Grand tels que rapportées par des auteurs contemporains ou postérieurs, anciens et médiévaux15. Il cherche à discerner tout ce qui peut être connu, en particulier sur l’expédition d’Alexandre vers l’Est et sur son caractère moral à travers la comparaison critique de ces sources. La structure et la logique du livre sont dictées par la chronologie et l’accord et le désaccord entre les relations des historiens. Il est clair que l’histoire de Sainte-Croix inclut de la géographie et il consacre des sous-sections et des chapitres importants de son livre à des questions géographiques. Il accorde beaucoup d’attention aux noms de lieux et discute parfois du terrain là où il est significatif pour les batailles ou les mouvements de troupes. Il considère ce que les anciens historiens ont à dire sur la vitesse des « marches » d’Alexandre le Grand. Ceci a été étudié par bon nombre de géographes fameux. Sainte-Croix résume leurs arguments et présente ses propres vues sur la question16. Il traite d’autres thèmes géographiques traditionnels, en particulier des divisions de l’Empire d’Alexandre, de l’information géographique erronée ou de valeur qu’Alexandre a ramenée de son expédition et qui a été disséminée par les historiens, et des peuples au sein et autour des régions envahies par Alexandre. Finalement, Sainte-Croix mentionne clairement qu’il y a des descriptions de paysages dans des passages des écrits des historiens qu’il cite – mais il ne les exploite pas pour créer un sentiment de l’environnement dans lequel a voyagé Alexandre. Cela laissait à Barbié du Bocage un espace à remplir. Mais plutôt que de le faire, il consacre sa monographie à une description des sources qu’il a utilisées, à une bibliographie des cartes antérieures et à une vague discussion des limitations de la connaissance géographique moderne. Il n’essaie nulle part de faire participer le lecteur à l’entreprise d’Alexandre, à ses buts, à l’énormité et à la difficulté de ses voyages ou même à explorer la réalité derrière la carte. Tout ceci est supposé ou jugé non-problématique, ce qui rend cet essai très sec pour nous. En un sens, son mémoire n’est rien de plus qu’une note de bas de page de taille exagérée de la publication d’un historien qui, dans son souci de ne pas empiéter sur le territoire du spécialiste de l’histoire, montre peut-être trop de respect pour celui-ci. Qui prendrait le temps de lire un tel essai géographique ? Quelqu’un conduisant une recherche sur cette zone, qui aurait besoin d’être sûr d’une localisation, pourrait le consulter. Quelqu’un d’autre, soucieux de fabriquer la meilleure carte de cette aire, pourrait le lire avec soin, bien qu’avec le rythme auquel le monde est exploré et cartographié, le mémoire comme la carte soient vite devenus datés. Personne ne voudrait le lire pour son intérêt, étant donné que son rythme ne coule pas : il n’y a pas de discussion, pas de point culminant et par conséquent, pas de conclusion. Il n’y a rien d’objectivement faux dans ce type de mémoire. Ce n’est rien qu’un produit intellectuel très limité avec une audience très limitée.

Le seul autre type de travail écrit par Barbié du Bocage est un essai sur la géographie antique pour la géographie universelle de Pinkerton, Walckenaer et Eyriès17. Ce que nous voyons à nouveau dans cette publication, c’est une détermination à rester à la surface des problèmes. Face aux nouvelles découvertes importantes sur les anciennes civilisations du Moyen Orient, Barbié du Bocage décide de restreindre son étude aux civilisations classiques de la Grèce et de Rome. Son essai est une description du monde comme il aurait été connu par eux, mais qui, malgré tout, ne réussit pas à différencier la connaissance des Grecs de celle des Romains, et celle des différentes périodes. Cet essai a une structure régionale ; en dehors d’un unique paragraphe introductif au début de chaque région qui décrit très rapidement les peuples, leur état de civilisation et quelques petites curiosités additionnelles sur le peuple en question, c’est une liste de lieux. La logique de la carte domine si complètement cet essai qu’il est presque illisible en tant que texte.

L’opiniâtre érudition de Pascal-François-Joseph Gosselin

L’œuvre de Gosselin nous est peut-être moins accessible encore que celle de Barbié du Bocage. Les biographes de Gosselin nous laissent l’impression d’un homme méticuleux qui, afin de se concentrer sur son travail, s’est quasiment coupé du reste du monde, pour lequel il a, de toute manière, relativement peu d’intérêt18. Membre respecté de l’Académie des inscriptions, il est cité de manière élogieuse, et occasionnellement avec une aimable critique par les géographes, les érudits et les spécialistes de lettres classiques, par exemple Alexandre de Humboldt, Jean-Antoine Letronne, Conrad Malte-Brun, Bory de Saint-Vincent, le Vicomte M. F. de Santarem, Ernest Carette, Jarry de Mancy et Edme-François Jomard19. Gosselin consacre sa vie à ce que Martin Staum qualifie avec justesse « d’érudition opiniâtre » et à la résolution d’une seule question20. Une question qu’aujourd’hui nous décririons (et que certains de ses contemporains décrivaient) comme mal posée. Gosselin désire connaître la base du système de mesure utilisé par les anciens Grecs. Immédiatement inspiré par la préoccupation de la géographie classique pour les cartes, par la détermination de la localisation par les techniques de comparaison critique de d’Anville et par l’adoption par la Révolution du système métrique, il passe des années à calculer et à concevoir des méthodes pour réconcilier des sources anciennes inconciliables21. Il est convaincu que les Grecs avaient une mesure standard qui était utilisée à travers tout l’empire. Ce système, soutient-il, a été perdu par les civilisations suivantes. Personne n’a encore noté la perfection du système de mesure grec par suite des traductions et des copies erronées des textes anciens sur lesquelles les érudits ont dû travailler. Gosselin est sûr de pouvoir concevoir un système mathématique qui révélera la vérité et effacera toutes les corruptions. Dans son travail de 1813, Gosselin va tellement loin qu’il suggère que les Grecs ont eu une connaissance meilleure de l’ensemble de la région méditerranéenne et, effectivement, de l’astronomie et des mesures terrestres que n’en possèdent les Européens de temps22. Cela reflète à la fois un respect exagéré pour les anciens Grecs et une profonde ignorance des cent cinquante dernières années de l’astronomie, de la physique et de la cartographie européennes. En 1817, une lecture attentive de Strabon (qui lui est imposée en 1801 par la requête que lui fait Napoléon d’éditer une nouvelle traduction de ce travail) le conduit à nuancer son argument. Il explique que dans son travail antérieur, il a eu le souci de ne pas aller au-delà des bornes de la géographie, et qu’il a par conséquent restreint son étude au stade et à sa relation avec la mesure de la circonférence de la terre23. En fait, il y a eu, pense-t-il, un certain nombre de systèmes de mesure dans l’Empire grec. Le stade est cependant le fondement du système utilisé par les astronomes et cartographes grecs. De plus, en dépit de la prolifération de stades de diverses longueurs évidente dans les textes grecs, ils dérivent tous d’un stade unique et d’une seule mesure de l’arc de méridien.

Il semble qu’il y ait une conspiration d’approbation – ou du moins, de coexistence pacifique – tant que Gosselin reste en vie. Une conspiration telle que la plupart des critiques de ses arguments géométriques compliqués restent en sourdine ou obliques. Dans un article écrit en 1817 mais publié en 1822, Letronne semble accepter les vues de Gosselin, ou, plus correctement, il les met de côté lorsqu’il discute de l’originalité et de la légitimité de la supposée détermination par Ératosthène d’un arc de méridien. Néanmoins, l’orientation de la discussion de Letronne selon laquelle les estimations de la taille de la terre par Eratosthène aussi bien que par Posidonius sont basées sur des mesures généralement acceptées, plutôt que sur des distances mesurées, s’écartent du sentiment de Gosselin sur la précision des Anciens24. En 1823, Letronne publie des remarques très critiques sur les arguments « métriques » de Gosselin. Il s’arrange néanmoins pour formuler sa critique d’une manière telle qu’elle est parfaitement claire sur ce qu’il critique, tout en laissant une ambiguïté considérable sur le fait de savoir si Gosselin est ou non parmi ceux qui sont critiqués25. Il doit être difficile pour Letronne, en tant que second traducteur assigné de l’édition de Gosselin de Strabon, d’être ouvertement critique. Même après la mort de Gosselin, et même lorsqu’il critique son travail et ses conclusions, Letronne ne manque jamais d’attacher du respect à ses mentions du nom de Gosselin. En 1833, trois ans après la mort de celui-ci, Adrien Balbi (qui n’est pas membre de l’Académie des inscriptions) proclame que Gosselin a « défiguré » les écrits des Grecs avec ses « systèmes »26. En 1839 encore, Walckenaer éprouve le besoin de vanter Gosselin pour sa rigueur, même alors qu’il décrit l’ultime extension de ses arguments comme erronés, insoutenables et non nécessaires27. Aussi tard que 1885, des chercheurs se réfèrent encore à « la science large et profonde de Gosselin »28. Bien que le travail de Gosselin soit respecté par certains de ses contemporains, sinon par tous, Malte-Brun est raisonnablement sûr que c’est cette sorte d’érudition qui vaut à la géographie une mauvaise réputation29. C’est tout à fait possible.

Les vagabondages du baron Charles Athanase Walckenaer

Le Baron Walckenaer est une figure beaucoup plus engageante que celles de Barbié du Bocage ou de Gosselin. Né dix-huit ans avant la Révolution, il devient orphelin et est pris sous l’aile d’un oncle riche, Duclos-Dufresnoy. Sous la protection de son oncle, il est parmi les plus privilégiés de l’aristocratie. Il reçoit une excellente éducation se terminant par un diplôme à Oxford où il rencontre Banks et Solander. La menace de la Révolution à Paris l’oblige à renoncer à un voyage d’exploration proposé en Espagne, Afrique et Asie. Durant les guerres de la Révolution, il sert comme officier dans le transport militaire. En servant, et tout à fait comme Bory de Saint-Vincent et de Férussac, il voit du pays, prend des notes sur la nature et les productions du sol, sur le paysage, sur les monuments et les coutumes locales, et collectionne à la fois plantes et insectes. Une entreprise le met en difficulté : cartographiant au large de la côte en Poitou, il est arrêté par des militaires français qui découvrent qu’il a un équipement anglais. Sur la base de cet équipement et de sa classe sociale, il est arrêté et emprisonné comme espion. Grâce à une combinaison de fuites et d’interventions, il réussit à survivre à la Terreur. Après la Terreur, en raison de la confiscation de son considérable héritage pour une durée indéfinie, il entre à l’École des Ponts-et-Chaussées, passe de là à l’École Polytechnique nouvellement créée et en sort la même année que Jomard et Chabrol de Volvic. Il retrouve sa fortune peu après être sorti de l’École et adopte la vie libre d’un chercheur riche et indépendant.

En raison de la violence de la Révolution, Walckenaer est certainement royaliste, catholique et traditionnaliste. Cette tendance conservatrice, à laquelle sa liberté financière lui permet de donner libre cours, apparaît dans son travail et dans son réseau d’amis et d’associés30. C’est aussi son indépendance financière qui lui permet de refuser des offres d’emploi, d’éviter ou de retarder la publication de beaucoup des travaux qu’il écrit au cours de sa vie, et de choisir ses domaines d’étude comme le lui dictent son goût, ses amitiés et son ambition. En conséquence, il se disperse entre nombre de champs : de l’histoire naturelle, avec une focalisation spéciale sur les insectes31, à l’écriture de fiction populaire et de vulgarisation scientifique32, à l’histoire de France33, et au sujet dans lequel il s’engage finalement et avec lequel il est aujourd’hui identifié, la géographie. Il publie nombre de travaux géographiques jugés importants à l’époque, depuis une édition améliorée et mise à jour de la géographie de Pinkerton34, à une série d’essais sur la géographie de l’ancienne Gaule35, à la première édition du Liber de mensura orbis terrae de Dicuil36, à une analyse de l’anonyme « Itinéraire de Bordeaux à Jérusalem »37, à un essai ressuscitant et restaurant la réputation d’un géographe classique du XVIIIe siècle38, et à un discours prononcé devant la Société de Géographie de Paris39.

Plusieurs choses ressortent clairement de cette combinaison de publications. Dans son approche de la géographie, Walckenaer est à la fois traditionnel et respectueux des autorités établies. Sa richesse pourrait lui donner la liberté d’étudier et de se comporter comme il le veut, mais c’est son goût de travailler sous la protection d’une tradition établie. Il tire ainsi son chapeau à Gosselin et considère que ses calculs métriques sont le cœur et l’âme de l’entreprise géographique. De même, il aime et respecte le type de reconstruction des géographies passées pratiqué par Barbié du Bocage et y contribue à travers sa collection et son étude de cartes anciennes, d’itinéraires anciens ou médiévaux et de géographies médiévales. Son identification à la géographie est particulièrement claire dans sa lamentation sur le déclin perçu de la discipline, qu’il prononce devant la Société de géographie et dans son article sur Nicolas Fréret, le géographe historique du XVIIIe siècle qui publia beaucoup sur des thèmes géographiques. Dans cet article, Walckenaer retrace pour l’Académie des inscriptions et pour un public plus large, la façon selon laquelle la coterie de Voltaire a détourné le nom et la réputation de cet érudit relativement obscur de la fin du XVIIe et du début du XVIIIe siècles. Walckenaer explique que Naigeon a utilisé le nom de Fréret pour la publication de tracts antireligieux fictifs du Xe siècle, soutenant que ce sont des travaux inédits pour lesquels le héros pré-révolutonnaire Fréret a été emprisonné en 1714. En fait, Fréret a été arrêté et détenu sans brutalité pour son jansénisme et pour un essai publié à contretemps sur les origines de la nation française40. Walckenaer souligne de manière convaincante qu’il n’y a aucune relation entre les écrits réels de Fréret et ceux qui lui sont attribués au cours de la période révolutionnaire41. Les tracts antireligieux et les travaux révolutionnaires étaient d’une nature radicalement différente. C’est, selon les vues de Walckenaer, à cause d’un accident bibliographique, et par suite de l’érudition négligente du baron de Sainte-Croix, que quelqu’un a pris au sérieux ce crime politiquement motivé contre l’érudition. Walckenaer est capable de trouver des aveux écrits de Voltaire prouvant que l’auteur de ces travaux est autre que Fréret. C’est une histoire intéressante de fabrication de faux, de réputation et de réfutation. Pour nous, le réel intérêt de l’histoire repose sur la raison pour laquelle Walckenaer éprouve la nécessité d’éclairer cette obscure histoire de tromperie. La méthode et l’approche de Fréret et effectivement les questions que Fréret jugent dignes d’être étudiées sont précisément celles qui plaisent à Walckenaer. Si nous pouvons décrire Barbié du Bocage comme un disciple et émule de d’Anville, Walckenaer suit les pas de Fréret42. Toutefois, alors que les publications réelles de Fréret en géographie, chronologie et histoire de France constituent un ensemble significatif de travaux scientifiques, les écrits de Walckenaer, considérés pour l’ensemble de sa carrière, n’arrivent pas à constituer une masse cohérente et consistante de recherche. Bien que Walckenhaer fasse lui-même partie à bien des points de vue du courant principal de recherche en géographie historique, ses incursions en toute chose depuis l’histoire naturelle jusqu’au roman sentimental laissent une contribution qui, comme Walckenaer le reconnaît lui-même, est éclatée, manque relativement de substance et est pour l’essentiel générée par des questions posées par les autres43.

L’examen critique de Humboldt

Le cœur des intérêts d’Alexandre de Humboldt se situe certainement dans le monde naturel et c’est dans le domaine de la géographie naturelle qu’il apporte ses contributions les plus novatrices à la pensée moderne. Il mène pourtant des recherches dans une branche de la géographie historique, l’histoire de la pensée géographique, et sur un moment clé de cette histoire : la « découverte » par Colomb de l’Amérique. Alors qu’il semble y avoir des éclairs de brillance dans tout ce qu’écrivait Humboldt, il n’est pas, en géographie historique, le maître et le novateur qu’il prouve être en géographie naturelle.

Il y a un trait étonnamment moderne dans l’étude de Colomb par Humboldt : sa nature fortement contextuelle. Humboldt est attiré par bien plus que de raconter la découverte et la cartographie de l’Amérique. Il est intéressé par la pleine compréhension d’un moment qui a si profondément changé la face du monde moderne44. Colomb, selon lui, ne se dresse pas seul, mais charrie avec lui des siècles d’érudition, de compréhension, de mythe et d’incompréhension, qui, tous, ont un profond effet sur ses décisions et sur ses pensées. Humboldt explore au maximum cette tradition, consultant les travaux lus par Colomb et analysant les influences agissant sur ses contemporains, qui auraient pu avoir un impact sur lui. Humboldt est passionné par l’enracinement de la pensée. Quelle que soit sa dimension novatrice, à ses yeux, un homme porte toujours quelques-uns des préjugés de son temps et de sa civilisation. Ces préjugés s’expriment souvent à la fois dans ses forces et dans ses faiblesses. Humboldt cherche à pleinement explorer l’entremêlement complexe de science, de mythe, d’économie, de religion, d’héroïsme individuel, d’intérêt personnel et de tradition au sein de l’histoire des découvertes45. Il voit en particulier la tradition intellectuelle à la fois comme un guide puissant et comme un obstacle limitant46. Dans son travail, Humboldt cherche ainsi à ne pas reconstruire seulement les conditions et la nature de l’entreprise de Colomb, mais à restituer aussi la cosmographie au sein de laquelle Colomb vit et agit. Humboldt essaie d’écrire une histoire vraiment contextuelle : une histoire susceptible d’éclairer un homme tel que Colomb47.

L’intérêt de Humboldt pour Colomb est hautement personnel. Dans les toutes premières pages de son Examen critique de l’histoire de la géographie en cinq volumes, il exprime son intérêt en termes intellectuels plus abstraits : Humboldt espère que sa propre exploration des Amériques lui ouvrira une vue pénétrante sur les expériences et la pensée de Colomb. Il y a peu de distance dans l’admiration de Humboldt pour Colomb. Il s’est si fortement identifié à celui-ci que certaines des descriptions qu’il en donne – où il exalte la nature novatrice de sa pensée et où il note la dette qu’il a à la fois envers ses contemporains et ses prédécesseurs – sont de remarquables autoportraits.

« Colomb ne se limitait pas à la collecte de faits isolés : il les combinait, cherchant la relation entre eux. Parfois, il avançait hardiment jusqu’au niveau de la découverte des lois générales gouvernant le monde physique. Cette tendance à généraliser les résultats de l’observation est d’autant plus digne d’attention qu’avant le quinzième siècle, je dirais avant le Père Acosta, il n’y avait pas eu de telle tentative. Dans son raisonnement sur la géographie physique, dont je fournirai un remarquable fragment, le grand navigateur, contrairement à son habitude, ne s’était pas permis d’être guidé par la philosophie scolastique. Il découvrait les connexions en vertu de ses propres théories et de ses propres observations »48.

Ce sont peut-être aussi des déclarations inconscientes sur la manière dont Humboldt désirait être perçu et mémorisé. Dans le passage suivant, il découvre deux de ses préoccupations majeures chez Colomb : le développement de nouvelles formes d’expression pour traduire de nouveaux modes de pensée et le pouvoir d’une description belle et élégante.

« Chaque terre nouvelle découverte par Colomb lui semblait plus belle que celle qu’il venait juste de décrire. Il pleurait le fait qu’il ne pouvait pas varier les formes de son langage pour faire en sorte que les impressions délicieuses qu’il avait eues lorsqu’il serrait les côtes de Cuba et les parages des petites îles des Bahamas atteignent l’âme de la Reine. Dans ses tableaux de la nature (et pourquoi ne pas donner ce nom à ces passages si pleins de charme et de vérité ?), le vieux marin faisait parfois preuve d’un talent stylistique que ceux qui sont initiés aux secrets de la langue espagnole et qui préfèrent la vigueur de la couleur à la correction sévère et composée, sauront comment apprécier »49.

En un sens, l’étude de Humboldt sur Colomb est surtout révélatrice de Humboldt lui-même. Bien qu’il soit presque certainement inconscient de ce qu’il dresse un autoportrait, Humboldt considère cette étude en cinq volumes, sinon comme auto-complaisante, du moins comme la source d’un plaisir personnel presque illicite50.

La combinaison de ses intérêts pour le langage graphique, la découverte géographique et la transmission des idées conduit presqu’inévitablement Humboldt à l’histoire de la cartographie. C’est une autre des innovations de Humboldt que de s’être engagé dans une analyse vraiment sophistiquée des cartes clés de la découverte et de la dissémination de l’information sur les Amériques51. Il existait un intérêt croissant pour cette ligne d’enquête parmi des chercheurs comme D. Martin Fernandez de Navarete, Marie Armand Pascal d’Avezac-Macaya, Jomard, Walckenaer et Santarem. Humboldt apporte cependant son scepticisme à l’étude de la carte et cherche dans ces documents non seulement la vérité, mais l’erreur de conception et le préjugé.

Nonobstant l’ampleur contextuelle et l’engagement personnel, l’Examen critique de Humboldt est un des moins lisibles de ses travaux. Dans ces cinq volumes, Humboldt donne libre cours à sa tendance à la digression. Les volumes sont entrecoupés de mini-essais sur les erreurs de conception dans l’histoire de la cartographie, sur la représentation de péninsules particulières, sur l’étymologie de tel ou tel nom de lieu… Certains de ces à-côtés sont des perles philosophico/historiques sur la nature de la pensée, sur la coexistence singulière de l’esclavage et de la religion52, sur l’horreur et les contradictions de l’existence moderne53 ou sur la résistance aux nouvelles idées dans la science et dans la société54. Elles sont toutefois cachées dans de gros volumes de détails historiques. À l’occasion, il commence une idée sur une page et ne la complète que des dizaines ou même des centaines de pages plus tard55. Il offre souvent une quantité extraordinaire de détails sur un thème ou un sujet, mais n’informe qu’a posteriori le lecteur de la pertinence de toute cette information56. L’ensemble du texte sinue de manière imprévisible. Le lecteur, ayant appris le contexte, la vie, la science, la vieillesse et le déclin de Colomb, va être soudainement totalement immergé dans une discussion sur les circonstances de sa naissance57. Il y a toujours une logique dans ce flot. Dans ce cas, le destin de l’héritage de Colomb est affecté par les conditions de sa naissance, mais le lecteur aura à suivre une description apparemment sans justification pendant un bon moment avant de saisir cette logique. Dans cette œuvre, Humboldt en demande tant de ses lecteurs et met à telle épreuve leur patience, que s’ils ne sont pas centralement intéressés dans les questions qu’il pose, il y a peu de chances qu’ils aillent au-delà du premier volume. Il n’est pas étonnant que de tous les travaux de Humboldt, celui-ci – le seul qui soit entièrement consacré à une branche de ce qui est aujourd’hui la géographie historique – soit le moins lu de ses travaux. Il est vraisemblable qu’il en allait de même à son époque.

Lueurs d’innovation : le travail oublié
et l’imagination de Jean-Antoine Letronne

Les géographes historiques actuels sont, pour la plupart, beaucoup plus intéressés par les passés nationaux et les cultures indigènes que par la géographie historique de l’Antiquité. C’est tellement le cas que travailler aujourd’hui sur la géographie de la Grèce ou de la Rome anciennes serait probablement vouer sa carrière à l’oubli. À un oubli maudit en fait : suggérer la moindre parenté intellectuelle de ces civilisations avec les nôtres est devenu, dans certains cercles, symptomatique d’un profond racisme. De plus, « classique » est parfois utilisé dans les corridors des universités nord-américaines comme une façon abrégée de suggérer la non-pertinence, le fait de n’être plus dans le coup et l’absence de prise de position politique. Il est par conséquence facile de rejeter la géographie historique du début du XIXe siècle pour deux raisons : pour la qualité médiocre d’une bonne partie de cette recherche et de son écriture, et pour sa préoccupation dominante pour l’Antiquité. Ces deux façons de raisonner, mais spécialement la dernière, sont profondément antihistoriques. Quelle que soit l’attitude qui prévaut aujourd’hui sur les lettres classiques, il y avait une aura et une passion entourant son étude au début du XIXe siècle qui donnaient à l’étude de la géographie ancienne une résonnance et une importance que pourraient envier la plupart des géographes historiques modernes. Dans les études anciennes, classiques et médiévales, le début du XIXe siècle est une période de découvertes excitantes. L’Égypte est révélée à travers l’expédition napoléonienne et surtout grâce à la publication de la spectaculaire Description de l’Égypte en vingt-deux volumes. Au cours des deux décennies qui suivent l’expédition, les efforts pour déchiffrer les hiéroglyphes commencent à porter leurs fruits, et les monuments de l’Égypte ancienne et classique, muets durant des siècles, se mettent à parler aux Européens. Qu’ont été ces peuples ? Quelle était leur relation avec les peuples plus connus de la Grèce et de Rome ? Y avait-il un héritage égyptien identifiable dans la culture et la pensée européenne ? Qu’est-ce que l’existence de religions anciennes et de l’astronomie ancienne suggérait sur le caractère unique et l’autorité du christianisme et sur l’exactitude de la chronologie biblique ? Pour ne rien dire de la folie pour les représentations de style égyptien, connues comme égyptomanie58.

Mais les Européens redécouvrent d’autres civilisations au cours de cette période, en particulier celles de la Grèce et de Rome. Pompéi, d’abord découvert au XVIe siècle, et identifié comme Pompéi en 1763, est étudié avec une intensité croissante. La Grèce ancienne est popularisée par le travail de Jean-Jacques Barthélémy et les écrits de Johann Wolfgang von Goethe et Friedrich Schiller parmi beaucoup d’autres59. Elle est aussi explorée par Choiseul-Gouffier de 1776 à 1782 et immortalisée par son populaire et somptueusement illustré Voyage pittoresque de la Grèce60.

Elle est re-explorée dans les années 1830 par une expédition scientifique officielle française, modelée sur l’expédition d’Égypte61. Elle devient même la passion et le lieu de repos final de Byron, qui lie les efforts des Grecs modernes pour se libérer de la domination turque aux idéaux démocratiques de la Grèce ancienne. Le monde classique est important au début du XIXe siècle d’une façon plus pragmatique. Les anciens codes juridiques européens comme les nouveaux codes nationaux sont fortement influencés par la loi romaine. En un sens, les nouveaux codes juridiques européens s’éloignent des sources romaines, mais ils sont en partie construits à partir d’elles. Dans une partie de l’Allemagne, le droit romain est la base du système juridique au cours de la fin du XIXe siècle62. À la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe, l’histoire et la littérature de la Grèce sont utilisées comme une source de « préceptes moraux », de « caractères exaltés » et « d’attitudes exemplaires »63.

Les motifs grecs et romains dans La Description de l’Égypte : frontispice. Source : Bnf.

C’est une source de saints non chrétiens et de symboles et de mythes à la fois dans les périodes prérévolutionnaires, révolutionnaires, napoléoniennes et sous la Restauration. Ce discours a moins à voir avec une quelconque étude savante de Rome et de la Grèce qu’avec une méditation sur la nature de la société civile sous la forme de références pseudo-académiques à Athènes ou à Sparte, voire à la Chine, à l’Égypte et aux « peuples primitifs » des Amériques… Comme Nicole Loraux et Pierre Vidal-Naquet nous l’ont si clairement montré, ce discours imprègne les écrits de Cornelius de Pauw, de Pierre-Charles Levesque, du Marquis Marie Jean Antoine Nicolas de Caritat de Condorcet, de Constantin Chassebœuf de Volney, d’Auguste Comte, de Chateaubriand, de Joseph de Maistre et de Benjamin Constant, parmi d’autres64. Une grande partie de l’intérêt qui prévaut pour les anciennes civilisations est romantique et, à nos yeux, à la fois politiquement et historiquement naïf. Il crée néanmoins une atmosphère d’intérêt avide qui signifie que les travaux académiques qui traitent de ces civilisations et de ces thèmes sont lus, et de beaucoup plus largement lus qu’on ne peut l’imaginer. Ainsi, le XIXe siècle, qui est témoin des débuts de l’étude vraiment académique du passé ancien, de la création d’un cadre professionnel d’érudits classiques, de philologues et de médiévistes65, voit aussi l’intensification d’une utilisation plus populaire du passé ancien et médiéval pour donner de la légitimité à une position ou à une discussion politique. C’est donc le contexte intellectuel et social au sens le plus large des travaux de Letronne sur l’Égypte ptolémaïque, la Grèce, Rome et l’Europe médiévale.

Comme nous l’avons suggéré ci-dessus, le travail aujourd’hui presqu’entièrement oublié de Letronne est radicalement différent de celui de ses collègues. Bien qu’il ait été originellement un géographe historique un peu sur le modèle de d’Anville et de Barbié du Bocage, Letronne est un géographe qui a grandi avec son temps et ses recherches ; il dépasse ainsi bientôt les conceptions traditionnalistes de la géographie. Fermement engagé dans les débats intellectuels de son époque, qui tournent autour d’une fascination renouvelée pour les origines anciennes de la science, de la religion et de la pensée philosophique occidentales, chacun de ses articles est une aventure. Tiré par la curiosité intellectuelle et le plaisir d’un argument bien tourné, Letronne abandonne la carte, la conception étroite de la géographie comme information topologique et un mode d’écriture descriptif. Alors que beaucoup de ses contemporains commencent à se poser des questions sur la nature de la société et du gouvernement, Letronne oriente cette curiosité vers le monde ancien. Alors qu’à l’époque, certains cherchent à comprendre et à cartographier les variations infiniment petites dans les mouvements des cieux, Letronne se demande précisément ce que les Anciens avaient compris de tout cela. Insatisfait de simplement relever et reproduire monuments et inscriptions, activité à laquelle la plupart des membres de l’expédition d’Égypte s’étaient restreints, Letronne cherche à contextualiser ces restes d’une ancienne civilisation et à extraire toute l’intelligence historique et géographique qu’ils peuvent contenir. Dans ses tentatives pour comprendre des sociétés et des écrits passés depuis longtemps, il développe des techniques critiques d’analyse historique et linguistique qui sont, par tous leurs aspects, modernes et rigoureuses. Letronne va ainsi bien au-delà des limites des intérêts traditionnels de la géographie mais considère et décrit la plupart de ses travaux comme contribuant à l’avancement du domaine. Il exprime fréquemment son intérêt pour un objet ou un thème particulier comme liés à de plus larges questions en « histoire et géographie ». Et l’histoire et la géographie sont inséparables dans la pensée et les écrits de Letronne. Depuis au moins les années 1820, Letronne est quand même sur les marges du courant principal de la géographie historique et cité superficiellement et rarement par la plupart des géographes. À la fin de sa carrière, il est à peine reconnu comme géographe, comme il ressort clairement du silence total à son égard des historiens de la géographie. Comme nous l’avons vu dans le cas de la géographie sociale proto-scientifique et de la géographie naturelle, c’est précisément sur les marges, à quelque distance des contraintes imposées par la tradition géographique, que l’innovation avait le plus de chance de prendre place.

Un chercheur engagé

Le calme et le dégoût du quotidien dont est empreint toute l’œuvre de Gosselin sont totalement absents de celle de Letronne. Chez Letronne, nous trouvons un homme qui cherche à jouer un rôle actif. En plus d’être un chercheur actif avec bien plus de cinquante publications à son actif, Letronne est un administrateur académique de premier rang. Il semble avoir eu des liens, ou même avoir occupé des postes administratifs, dans la plupart des grandes institutions d’éducation et de recherche avancées (spécialement sur l’Antiquité) de son époque. Il entre à l’Académie des inscriptions (comme employé du gouvernement) en 181666. En 1819, il est nommé inspecteur des écoles militaires, peut-être en raison de la considération dans laquelle son texte de géographie « élémentaire » est tenu67. De 1818 à sa mort, il est un « auteur » du Journal des savants, l’arbitre reconnu des standards scientifiques en France. Nommé Conservateur des Médailles et Antiquités à la Bibliothèque nationale, il devient bientôt directeur général de l’institution. Pendant qu’il est à la Bibliothèque nationale, il veille à ce que la presse de celle-ci développe et commence à utiliser des caractères hiéroglyphiques. Il est parmi les premiers à employer ces caractères68. En 1831, il est nommé à la chaire « d’histoire et morale » du Collège de France et tient cette chaire jusqu’à ce qu’en 1840, il soit nommé à celle d’archéologie, récemment rendue célèbre par Champollion et restée vacante depuis la mort de ce dernier69. Ses cours sont jugés suffisamment importants et couronnés de succès pour assurer la publication de leurs résumés et de leurs notes70. À partir de 1838, il est un des administrateurs séniors du Collège de France. En 1840, il fait aussi partie du comité de supervision des Archives nationales et directeur de l’École des Chartes71. Il donne une nouvelle orientation à cette illustre école d’archivistes et de bibliothécaires et fait de cette institution une pépinière de cadres professionnels – lesquels cadres aident depuis à préserver et interpréter le patrimoine national. Même à l’Académie des inscriptions, sa tournure d’esprit administrative trouve une occupation lorsqu’il propose deux fois une réforme radicale de cette institution72.

Une large interdisciplinarité d’intérêts s’ajoute à ses réalisations savantes et plus encore, administratives. Un peu comme Humboldt, Letronne est prêt à se former dans les domaines nécessaires pour la poursuite de la recherche dans laquelle il est engagé. Ainsi, au cours de sa carrière, il récuse l’évaluation par Cuvier du taux de croissance du delta du Nil73. Il s’informe suffisamment sur la géologie pour comprendre les formations géologiques en Égypte, la manière selon laquelle elles étaient exploitées comme matériaux de construction et les obstacles potentiels rencontrés en opérant ainsi74. Il étudie suffisamment l’astronomie pour comprendre les systèmes zodiacaux, leur antiquité, leur relation à l’agriculture et leurs structures numériques75. En essayant de comprendre les anciennes monnaies, il ne s’arrête pas juste aux travaux de chercheurs sur l’Antiquité comme lui, mais lit et intègre bien des idées d’éminents économistes contemporains comme Adam Smith et Jean-Baptiste Say76. Il observe finalement le champ naissant de l’archéologie et travaille la main dans la main avec des archéologues, voyageurs et artistes de terrain chaque fois que l’opportunité s’offre à lui77.

En général, Letronne semble s’intéresser au travail et aux curiosités de ses contemporains et se soucie de rendre son propre travail intéressant à leurs yeux. Ainsi, et en opposition avec le travail de la plupart des géographes historiques, Letronne lie son travail sur les antiquités aux préoccupations courantes. Les propositions de creuser le canal de Suez, qui animent la France et la Grande-Bretagne de l’expédition d’Égypte à l’ouverture du canal par Ferdinand de Lesseps au milieu du XIXe siècle, lui donnent l’opportunité d’écrire sur l’ancien canal, son cours, l’histoire de ses ouvertures et de ses clôtures, et sur les anxiétés stratégiques qu’il a occasionnées dans le passé. En écrivant sur l’ancien système de calendrier égyptien, il spécule sur ses liens possibles avec le calendrier julien78, transportant ainsi, en un sens, l’ancienne Égypte dans les vies quotidiennes d’Européens liés au calendrier et aux horloges. Capable de prendre la tête et de montrer la direction, Letronne est aussi préparé à participer aux projets des autres. Il écrit volontiers pour le Bulletin général et universel des annonces et des nouvelles scientifiques de de Férussac. Plus significativement, une grande partie de son œuvre est écrite en réaction au travail des autres. La découverte et la reproduction par Walckenaer du De mensura orbis terrae (1807) de Dicuil sont à l’origine de son propre travail sur le sujet79. La Description de l’Égypte et l’Aegyptiaca (1809) d’Hamilton stimulent son intérêt pour l’Égypte80. Enfin, les efforts de déchiffrement de Champollion aiguillonnent sa curiosité déjà croissante pour les inscriptions de 1820 à sa mort. Il reconnaît ces influences et voit moins dans son travail une réalisation personnelle qu’une contribution à une entreprise intellectuelle plus large partagée par une grande partie de sa génération.

Respecté par les spécialistes, Letronne écrit pour intéresser les non-initiés et, à cette fin, il contextualise ses études, allant jusqu’au point de raconter l’aventure de la découverte d’une inscription qu’il reproduit ou interpréte. Comme nous le verrons, Letronne est profondément engagé dans la recherche la plus méticuleuse, en épigraphie par exemple. Pourtant, en dépit de son souci pour la minutie des mots, des orthographes et des lettres, pour Letronne

« … la science des mots n’atteint sa pleine valeur que lorsqu’elle est utilisée pour améliorer la science des choses »81.

Et la valeur des choses dérive de leur association avec une « très haute » civilisation. Letronne est jusqu’au bout des doigts un chercheur très engagé : largement lu, profondément impliqué dans une recherche approfondie et honnête, et ouverte à une large gamme d’influences intellectuelles.

Un géographe par sa formation

La première carrière visée par Letronne était celle d’artiste. Lorsque la mort de son père dans les forces de Napoléon met fin à cette possibilité, Jean-Antoine Letronne a déjà travaillé dans l’atelier de David durant six ans. La seconde carrière de Jean-Antoine va être la géographie. Après la mort de son père en 1801, il réoriente ses études vers le but plus pratique et rémunérateur de réussir l’entrée à l’École polytechnique. En chemin, et en partie comme conséquence du cours de géographie qu’il suit auprès de Mentelle à l’École centrale, Letronne se tourne vers la géographie de l’ancien monde. L’influence qu’exerce Mentelle sur lui doit avoir été considérable : après avoir suivi le cours de Mentelle, Letronne rejoint son maître en tant que collaborateur de son Dictionnaire de géographie en 180682. En 1812, il dédie à Mentelle sa première étude majeure, une géographie de l’ancienne Syracuse. C’est Mentelle qui conseille à Letronne d’éviter l’erreur qu’il a faite : il exhorte Letronne à consacrer sa vie à une recherche qui lui gagnera le respect de la communauté scientifique plutôt qu’à l’éducation et à la composition de géographies populaires83. Letronne suit l’avis de Mentelle. Il étudie le grec avec Gail au Collège de France et commence à travailler sur les textes originaux grecs et latins.

Les premiers travaux de Letronne sont considérés par ses contemporains comme appartenant au courant principal de la géographie traditionnelle. Dans les années 1810 et au début des années 1820, il contribue à un certain nombre de géographies générales et de dictionnaires géographiques et écrit la section sur les Antiquités de la Statistique des départements de Peuchet et Chanlaire (1807)84. Sans surprise et étant donné la focalisation sur la carte d’une grande partie de la géographie de l’époque, le propos du premier mémoire de Letronne, qui porte sur la colonie de Syracuse, est la production d’une carte de Syracuse en 414 avant notre ère. Cette carte, soutient-il, élucidera le récit de Thucydide de la conquête athénienne de la ville sicilienne. Il a assez pris le pouls de la géographie pour s’excuser d’avoir accompagné la carte d’une discussion textuelle85. C’est la dernière fois où Letronne s’excuse d’avoir été au-delà de la carte. En fait, même dans cette étude précoce, la curiosité et la rigueur de Letronne l’amènent au-delà de celles de Barbié du Bocage. Letronne ne localise pas seulement la ville et ses fortifications, il retrace l’évolution de la cité, de ses ports, de ses murs et de ses faubourgs, de l’époque du siège (414 av. J.-C.) à celle de Cicéron (74 av. J.-C.). Ainsi, dans son premier effort majeur, il cherche à éviter l’accusation de témérité et de manque de respect pour les érudits et l’érudition dans le domaine bien établi de l’histoire ancienne, en revendiquant de n’apporter rien de plus qu’une sensibilité géographique. En 1814, Letronne publie une édition critique du De mensura orbis terrae récemment redécouvert de Dicuil86. En 1814 aussi, il publie la première édition d’un texte géographique de base pour les collèges militaires. Cet ouvrage connaît une énorme popularité, atteignant six éditions en 1820 et vingt-sept en 185787. C’est une géographie universelle classique qui a le grand mérite de la concision et de la clarté. À la même période, Letronne publie des comptes-rendus de traductions de textes géographiques anciens88 et tente même une analyse à la mode de Gosselin des mesures anciennes. Ce mémoire vaut à Letronne le prix annuel de L’Académie des inscriptions pour 1816. Finalement, de 1815 à 1819, Letronne travaille pour le gouvernement comme traducteur de l’édition officielle française de la Géographie de Strabon89. À bien des égards, les débuts de la carrière de Letronne sont très typiquement ceux d’un géographe de cabinet focalisé sur le monde antique et il se considère lui-même comme travaillant dans la tradition de Mentelle, Barbié du Bocage, Walckenaer, Malte-Brun, etc. Aux alentours de 1825, il se définit lui-même comme une sorte d’expert de la géographie ancienne.

Il est clair que dès dans son premier travail académique majeur – sa traduction et commentaire de la cosmographie de Dicuil en 1814 –, Letronne commence à développer une approche plus critique à l’égard de ses collègues. L’édition de Dicuil de Walckenaer est clairement superficielle, sans rigueur et relativement inintéressante par rapport à la sienne90. Barbié du Bocage connaît beaucoup de critiques, bien au-delà de la géographie, pour sa carte moderne de la Grèce. Néanmoins, bien que Letronne en ait fait un commentaire quelque peu acide dans son panégyrique de Barbié du Bocage91, l’homme semble avoir revendiqué d’être le plus grand spécialiste de la géographie de l’ancienne Grèce. Le travail mené pour la Description de l’Égypte, particulièrement celui de Jomard sur les hiéroglyphes et les mesures anciennes, et celui de Fourier sur les zodiaques, est de plus en plus critiqué, Letronne n’étant pas le dernier. Il accuse rarement ses collègues géographes et évite généralement de donner leurs noms92. Lorsque Letronne mentionne des géographes par leur nom, c’est avec respect et beaucoup de compliments. Le simple fait de refaire leur travail avec une qualité bien supérieure est pourtant la plus accablante de toute critique possible. Son style critique est illustré par sa discussion de la Description de l’Égypte dans sa dédicace et préface aux deux volumes du grand œuvre sur les inscriptions grecques et romaines d’Égypte. On pourrait imaginer à partir d’elle que la Description de l’Égypte aurait été son guide et son inspiration93.

Le travail de Letronne sur les inscriptions grecques rend cependant clair que la copie bâclée des inscriptions par les membres de l’expédition et leur incapacité à voir ce qui était complètement évident a égaré et retardé le travail sur l’Égypte d’au moins deux décennies. En dépit de leur croquis soignés, ces géographes et ingénieurs n’ont pas compris que les hiéroglyphes avaient survécu bien avant dans les périodes grecques ou romaines (puisque de l’écriture grecque était recouverte par de l’écriture hiéroglyphique dans de nombreuses inscriptions) ; que les temples qui contenaient des zodiaques étaient dédiés à des Grecs, ou par des Grecs, et donc ne pouvaient pas remonter à 10 000 ans ; que beaucoup des temples les plus admirés par les membres de l’expédition étaient des temples grecs (ce qui aurait été clair s’ils s’étaient souciés de lire le grec écrit sur les murs de ces temples) ; et qu’il y avait une claire périodisation stylistique de tous les temples qui ne requérait pas un Champollion – ou une manipulation cartographique ou mathématique – pour être déchiffrée. Letronne admire moins les chercheurs intégrés à l’armée française en Égypte que les efforts solitaires de Hamilton94, le travail antérieur de Richard Pococke95, et les croquis récents de voyageurs comme Frédéric Caillaud96 et d’artistes comme Jean Nicolas Huyot et Chrétien Gaud97. Letronne ne s’engage pas dans la même sorte de guerre contre Jomard que Champollion, mais il n’y a aucun amour gâché entre les deux hommes, et Letronne ne désire pas trop fermement attacher son nom au genre de géographie pratiqué par Jomard.

Nouvelles orientations

Ce n’est pas la belle et monumentale Description de l’Égypte qui, en première instance, attire l’attention de Letronne sur l’Égypte et donne une autre orientation à son œuvre. Ce sont, ironiquement, ses essais pour comprendre pleinement le texte d’un moine irlandais du neuvième siècle qui ne quitta probablement jamais l’Irlande. Le De mensura orbis terrae de Dicuil offrait un certain nombre d’énigmes à l’érudit classique. Il contenait des informations sur l’Égypte, le Nord de l’Écosse et l’Islande du milieu du VIIIe siècle. Il témoignait de plus de la connaissance d’une large gamme d’auteurs grecs et romains, tout en étant écrit dans un latin gâché par de nombreuses erreurs particulières qui faisaient que son auteur semblait presque illettré. Letronne jongle avec les faits et analyse l’écriture jusqu’à ce qu’il arrive à une explication plausible de chaque anomalie apparente – explication qui est encore acceptée aujourd’hui. Ce qui fascine particulièrement Letronne est la description que donne Dicuil des pérégrinations du moine « Fidelis » en Égypte. Letronne utilise le compte-rendu par Fidelis de ses voyages pour résoudre deux énigmes laissées sans explication par les expéditions en Égypte : la chronologie de l’ouverture et de la fermeture du canal d’eau douce entre le Nil et Suez, et la divergence entre les descriptions des pyramides de Gizeh au temps d’Hérodote et de Diodore, au cours du Moyen Âge arabe et jusqu’aux temps modernes. Il reconnaît que les mesures de la hauteur et même de la base des pyramides effectuées avant celles prises au cours de l’expédition de Napoléon étaient malheureusement inexactes. Mais la plate-forme sommitale de Chéops, la plus grande des pyramides, était aisément mesurable et a été mesurée de manière répétée au cours des 2 000 dernières années. Utilisant les mesures et les descriptions fournies par les voyageurs anciens, médiévaux et modernes, il est capable de dater et de prouver la perte de la couverture de marbre de la pyramide de Chéops.

Une fois que son attention s’est focalisée sur l’Égypte, Letronne se trouve lui-même face à une pléthore de problèmes à résoudre. L’Égypte est couverte d’inscriptions grecques qui datent certainement de la domination grecque du pays. Ces inscriptions, étant en grec et donc, en un sens, connues, ont très peu attiré l’attention. Alors que certaines ont été copiées, rares sont celles qui ont été lues et interprétées avec un minimum de soin. En dehors de ces inscriptions, que l’on a eu tendance à traiter comme des graffiti d’un quelconque conquérant tardif, il était présumé que les Ptolémée avaient laissé peu de marques dans le pays. Comment cela était-il possible, se demande Letronne, étant donné en particulier la propension des Grecs à mettre en place et à imposer leurs institutions sociales et politiques partout où ils voyageaient ? Un problème en vient rapidement à préoccuper Letronne : l’énigme des zodiaques. Sur la base d’une comparaison de la manière dont le ciel avait dû apparaître il y a approximativement 5 000 ans, Fourier et ses collègues avaient décidé que les représentations offertes par les zodiaques, ceux-ci et donc les temples dans lesquels ils étaient logés, ceux en particulier d’Esne (Latopolis) et de Tentyra, dataient d’approximativement 5 000 ans avant le présent98. Letronne considère le témoignage fourni non pas par Jomard et Fourier, mais par Jollois et Devilliers et des voyageurs postérieurs, et conclut que les zodiaques sont un produit grec exécuté à l’époque romaine. En fait, ces zodiaques n’ont rien à voir avec l’Égypte ancienne, mais sont une importation dans le monde méditerranéen provenant peut-être de l’Inde. Ils semblent avoir été populaires durant l’Empire romain, particulièrement au début de l’ère chrétienne. La preuve qu’il utilise est l’existence de zodiaques grecs trouvés en Grèce et l’écriture grecque à la fois sur les zodiaques et sur les murs extérieurs des temples égyptiens logeant les zodiaques. Sa solution de ce problème confirme une suspicion qui devient la préoccupation principale du reste de sa carrière savante. C’est que les Grecs ont été si étonnés et si respectueux de la civilisation égyptienne, qu’eux – les conquérants – ont adopté bien des aspects de la culture égyptienne, de la religion à la langue et au style architectural99. Ainsi, beaucoup de ce que les Européens ont le plus admiré dans l’ancienne Égypte était le produit, non pas des pharaons, mais d’une symbiose inusuelle et heureuse entre deux grandes cultures méditerranéennes. Les structures construites durant la période grecque incluaient celles de Kalapsché, Dakkeh, Aadon en Nubie ; de nombreuses en Égypte, en particulier celles de Philae et d’Éléphantine ; de Typhonium à Karnak ; et quelques parties des édifices de Meydne Abou et des édifices de Qournah. Les contributions de la période romaine incluaient les sculptures extérieures du temple d’Edfou, du Typhonium de Karnak et toutes celles qui décorent les temples de Esné et Tentyra. Dans cette veine, la pierre de Rosette, qui a tellement attiré l’attention pour la possibilité qu’elle offrait de déchiffrer finalement les hiéroglyphes, était intéressante en elle-même et pour elle-même.

Cela ne retire en rien quoi que ce soit aux résultats de Champollion, pour lequel Letronne a à la fois du respect et de l’amitié, mais il y a tant à apprendre du grec sur la pierre ! Celle-ci révèle que plutôt que d’imposer leur langue à l’Égypte, les Grecs, depuis le temps de l’invasion d’Alexandre, ont pris la peine de traduire chaque décret en hiéroglyphes et de l’afficher dans chaque temple du pays. Cela jette sur la conquête grecque une nouvelle lumière et suggère aussi que la culture égyptienne (religions, langue, art, bureaucratie, etc.) a probablement survécu non seulement à l’invasion perse, mais aussi jusque bien avant dans la période romaine100. La résolution par Letronne de l’énigme du zodiaque le marque de trois façons : cela lui laisse une aversion durable pour les solutions abstraites et apparemment rigoureuses (parce que mathématiques) aux problèmes historiques (discutés plus bas) ; cela le convainc que l’épigraphie et la paléographie jointes offrent les meilleurs moyens de révéler la géographie de l’Égypte ; et cela le conduit des approches traditionnellement géographiques de la cartographie et de la description d’un ancien monde, jusqu’à la nature de la société égyptienne durant les périodes ancienne, grecque et romaine. Letronne trouve ainsi son propre chemin vers l’intérêt, postérieur aux Lumières, pour la nature de la société, si remarquablement absent des écrits de la plupart des géographes conservateurs de cette période.

La lecture de la société égyptienne

Telle est la grande découverte de Letronne : les inscriptions les plus simples peuvent, si elles sont convenablement traduites et si l’on en tire tout leur contenu historique, révéler beaucoup de choses sur la religion, l’administration et la structure sociale durant les périodes de domination grecque et romaine. Letronne travaille fermement sur les inscriptions grecques et romaines d’Égypte d’approximativement de 1817 à sa mort en 1848. Il publie en 1842 les deux premiers volumes de son Recueil des inscriptions, qui est initialement projeté pour en comporter quatre. C’est une collection de toutes les inscriptions grecques et romaines connues en Égypte, de la conquête d’Alexandre à celle des Arabes. Bien que Letronne n’ait jamais voyagé en Égypte ou en Nubie, beaucoup de ces inscriptions ont été découvertes à son instigation. Alors qu’ensemble, Hamilton et les géographes et ingénieurs travaillant sur la Description de l’Égypte avaient recueilli 80 inscriptions, Letronne en présente et interpréte un total de 700101. La contribution de Letronne n’est pas la reproduction, la correction, la publication et la description de ces inscriptions – bien que ce soit une lourde tâche en soi. Son apport majeur se situe dans l’interprétation de ces écrits, qu’il classe9 selon leur fonction : religieuse, administrative ou chrétienne. Il meurt avant que les deux volumes contenant les inscriptions administratives et chrétiennes puissent être publiés. Les inscriptions religieuses qu’il a publiées incluent celles concernant la construction et la consécration des temples égyptiens, les actes sacerdotaux, les consécrations et offrandes religieuses et les actes d’adoration ou « souvenirs de visite » (des graffiti, pour les nommer autrement). Partant, beaucoup de ces inscriptions sont suggestives de l’administration des empires grec et romain.

Letronne est particulièrement intéressé par la survivance des cultes égyptiens jusque bien avant dans la période chrétienne et par le degré de tolérance religieuse et de scepticisme qui règne dans l’Égypte grecque et romaine. Fasciné par un temple d’Isis en Haute Égypte couvert de graffiti de pèlerins religieux grecs, il déclare qu’Isis a gagné beaucoup d’adeptes grecs qui pratiquent leur religion librement et sans se cacher. D’une petite constellation de graffiti de pèlerins sur l’Hydreuma de Panium, Letronne apprend qu’un groupe de marchands grecs voyageait avec deux juifs. Les Grecs s’étaient arrêtés au temple pour rendre hommage à Pan et avaient permis aux juifs d’inscrire aussi leurs noms. Ils avaient même permis aux juifs d’exprimer leur respect pour la déité, sans mentionner le nom de Pan – permettant ainsi aux juifs d’adorer leur Dieu dans un temple de Pan. Cela suggérait un degré de tolérance rare à l’époque de Letronne102. Beaucoup de ces prières pour la protection ou marques de pèlerinage, grâce à la fois au propos de ces inscriptions et à la vanité toujours présente, identifiaient clairement leurs auteurs et tous les membres de la famille pour lesquels la protection était recherchée. Ils offraient ainsi un fond d’information sur des gens qui seraient sans cela restés parfaitement inconnus et parfois – ce qui est plus excitant – étaient décrits ailleurs dans une tombe, sur un papyrus ou sur un édit. Le fait que beaucoup de ces inscriptions dans les temples d’Isis datent approximativement des soixante ans suivant l’édit de Théodose suggère à Letronne que même après le début de la période chrétienne moins tolérante, un plus grand degré de tolérance religieuse régnait dans les étendues du Sud de l’Égypte. Une certaine diversité de religions et de croyances religieuses semble ainsi avoir caractérisé l’Égypte romaine avant la période chrétienne103.

Letronne est également intéressé par les inscriptions qui révèlent les détails de l’administration romaine de l’Égypte, par exemple l’estimation des taxes, leur prélèvement, les litiges et aussi comment cette administration est vécue par les Égyptiens. Une inscription trouvée dans la Grande Oasis suggère qu’au premier siècle de notre ère, l’administration romaine trouve insupportable le nombre des litiges faisant suite à la crue annuelle et cherche à le réduire. Les mesures projetées n’incluent cependant pas un lever cadastral de l’ensemble de la zone pour respecter les anciennes coutumes du pays, comme il est clair dans cette portion d’inscription :

« Comme pour ceux qui deviennent inquiets lorsqu’ils entendent parler d’une mesure des terres dans le territoire d’Alexandrie, dans la mesure où l’ancienne évaluation est maintenue et où jamais la chaîne de l’arpenteur n’a été portée dans cette terre, ils ne nous adresseront pas de supplications. Celles-ci seraient profondément inutiles, puisque personne n’oserait, ni n’aurait la permission, de renouveler la mesure du territoire ; comme vous devez toujours bénéficier des avantages de ce qui a été fait depuis les temps anciens »104.

Cette inscription fournit une information de valeur concernant l’intention romaine d’effectuer un lever cadastral en Égypte. Il suggère aussi leur respect des arrangements locaux concernant les impôts là où une coutume est bien établie. Au-delà de cela, Letronne exploite cette inscription pour l’information qu’elle contient concernant l’efficacité de l’administration romaine. En comparant la date de l’inscription et celle de l’accession au pouvoir de l’Empereur romain, il est capable d’estimer la vitesse à laquelle l’information passe de Rome à Alexandrie au premier siècle de notre ère : vingt-sept jours !

Letronne est particulièrement intéressé par les politiques religieuses et linguistiques de l’Empire Romain en Égypte. L’inscription sur le temple nubien de Thalmis faite par le Roi nubien Silco fournit de précieux détails sur ces aspects de l’administration de cette région à l’époque romaine105. Cette inscription, rédigée en grec, annonce les conquêtes de Silco sur ses ennemis vaincus. De cette notice relativement inintéressante de l’insignifiante victoire d’un roi obscur, Letronne est capable d’apprendre beaucoup. Le style du grec lui permet de dater l’inscription du règne de Justinien. De la nature pauvre et guindée du grec, il détermine que Silco n’est pas un locuteur grec de naissance. De la structure de la phrase, il établit que Silco a appris son grec des Écritures et qu’il est donc probablement un chrétien, probablement depuis une date récente. De plus, Silco est presque certainement un roi chrétien qui représente maintenant la culture gréco-romaine sur les marges de l’Empire. Ceci en dit beaucoup à Letronne sur à la fois l’extension de l’Empire et son influence sur la langue et sur la religion dans cette période. À en juger par le manque d’information sur la Nubie et l’Abyssinie dans Ptolémée et dans les travaux d’autres géographes gréco-romains, peu de Grecs avaient pu voyager vers cette zone. La langue grecque avait certainement été apportée dans les régions côtières par les marins grecs dès le cinquième ou quatrième siècle avant notre ère. Là où le commerce s’était étendu, la langue grecque en avait fait autant. Plus tard, au cours de la période romaine, le christianisme avait trouvé un terreau fertile parmi les locuteurs grecs et s’était répandu relativement vite dans ces régions, stimulant encore la diffusion de la langue grecque. C’était une interprétation ingénieuse et qui suggérait pleinement l’extraordinaire valeur d’inscriptions apparemment sans intérêt.

Letronne réalise une lecture également intéressante d’un papyrus gréco-égyptien datant de 146 avant notre ère106. Le manuscrit annonce l’évasion de deux esclaves depuis Alexandrie. Ce document, trouvé au Louvre, est présumé avoir été conservé dans le sarcophage d’une momie. Il fournit une variété informations très précieuses à la fois sur la structure sociale gréco-égyptienne et sur la valeur de l’argent à cette époque. L’annonce décrit les esclaves, ce qu’ils portaient et les conditions sous lesquelles des récompenses particulières seraient offertes. À partir de ces détails relativement épars, Letronne est capable – un peu à la manière de Sherlock Holmes – de reconstruire la scène du crime et de créer un profil des esclaves et de leur condition. Le propriétaire des esclaves était une figure politique bien connue. Cela permet à Letronne de dater la proclamation grâce à laquelle on sait, d’après d’autres sources, qu’il était à Alexandrie pour des négociations. Letronne est aussi capable d’établir qu’un des esclaves s’est échappé du bain, prenant les habits de son maître pour cacher son état (peut-être indiqué par un tatouage sur le torse, un collier, des bracelets ou son manque de vêtements), et la ceinture où il porte dix perles et quelques pièces d’or. Un des esclaves, un homme grand et de bonne apparence avec une fente au menton, a des tatouages sur les mains. Il était traditionnel de marquer les esclaves repris au visage. Letronne suppose que cet esclave est peut-être un des favoris du maître et a été marqué sur les mains pour minimiser la sévérité de la peine requise. Cette fois, le fuyard est assisté par un compagnon de fuite, qui est probablement un surveillant. Le grand favori est un Syrien et Letronne est plutôt sûr qu’il a été fait prisonnier et réduit en esclavage. La récompense promise suggère que ces esclaves étaient hautement appréciés et qu’il y avait un risque considérable que quiconque les découvre ait toutes les raisons de les garder. La différence de récompense entre l’information conduisant à leur découverte dans un temple, ou à l’extérieur de celui-ci, suggère aussi que les temples égyptiens, comme les temples grecs, étaient des asiles pour les esclaves qui ne pouvaient légalement (ou aisément) être appréhendés en de tels lieux. Les récompenses offertes pour les esclaves permettent aussi à Letronne de déterminer, pour la première fois, la valeur relative de trois des pièces de monnaie les plus communes en Égypte à cette époque. L’intérêt de Letronne pour la valeur relative et d’achat des pièces de monnaie, pour les problèmes liés aux pénuries de pièces et pour ce qu’il appelle « économie publique » se démarque nettement des préoccupations de beaucoup de ses contemporains, en particulier de Gosselin et de Garnier qui semblent avoir cru que les pièces frappées avaient une valeur absolue et invariable107. En construisant ce tableau de l’esclavage en Égypte, Letronne utilise le papyrus lui-même, une statue d’esclave détenue par le Musée de Pie-Clémentin [Pius-Clementine], des pièces de monnaie trouvées en Égypte et détenues par le Louvre, et les relations d’évènements fictifs semblables dans les écrits de Xénophon, Artémidore, Lucien, Pétrone, Moschus et Apulée. À nouveau, et à travers un document relativement simple, connu depuis longtemps mais qui n’avait jamais été complètement interprété, Letronne est capable de saisir quelques faits de base relatifs à la structure sociale de l’Égypte sous les Ptolémées.

Nouvelle méthodologie et rigueur

Les historiens modernes de l’épigraphie ont décrit le Recueil des inscriptions comme « un discours de la méthode, un programme pour les générations à venir »108. Ce travail incorpore une méthodologie et une approche développées par Letronne au cours de ses plus de trente ans d’analyse des inscriptions grecques et romaines. C’est une méthodologie extrêmement moderne dans ses éléments essentiels et qui aurait pu offrir un excellent guide non seulement aux étudiants en épigraphie, mais à ceux de la géographie historique naissante si les géographes avaient reconnu sa pertinence. Sa méthodologie peut au mieux être résumée comme suit : jongler avec des sources multiples (avec une valeur spéciale pour celles de terrain) jusqu’à ce que, par une interprétation soigneuse, elles s’alignent en une expression cohérente unique ; l’utilisation de l’analyse philologique pour découvrir les subtilités d’expression et les sens non voulus dans les textes ; être prêt à hasarder une supposition rigoureuse, et à se tromper ; du respect pour les collègues et prédécesseurs qui peuvent n’avoir pas compris le tableau d’ensemble, mais qui ont certainement contribué à sa confection ; une compréhension avisée de la nature et des limitations des documents historiques ; et une intolérance aux systèmes naïfs qui promettent la lumière sans effort et rigueur.

Letronne adapte l’élément central de son approche à partir de la méthode de comparaison critique bien connue de Bourguignon d’Anville pour la construction de cartes à partir de sources multiples. Quand il essaie de résoudre un problème historique ou géographique, Letronne cherche des sources multiples. Étant donné qu’il a généralement un accès limité aux inscriptions qu’il étudie, il travaille à partir de multiples copies établies par différentes mains109. Quand il essaie de reconstruire un événement passé à partir de sources écrites, généralement pour reconstituer le contexte autour d’une inscription, il utilise chaque source possible, depuis des textes rédigés par des personnages vivants à l’époque aux papyrus110, aux pièces de monnaie et médaillons, aux relations de voyage et rapports d’archéologues, aux croquis et peintures de lieux pertinents111, aux relations romancées d’événements semblables et aux écrits des historiens modernes ou moins modernes. Chaque fois que cela est possible, il cherche à lier ces sources. L’usage qu’il en fait est certainement imaginatif. Dans son premier travail, en essayant de reconstruire les fortifications défensives près de Syracuse, il sonde les textes anciens non seulement pour l’information sur Syracuse, mais aussi pour la sagesse des contemporains sur la guerre de siège à l’époque de Thucydide112. Son travail sur les pièces de monnaie est hautement novateur. Il est parmi les premiers à réaliser l’extraordinaire potentiel de ces petites pièces dures de métal non seulement pour la reconstruction des dynasties, mais aussi pour la distribution ou la rareté des ressources, l’extension de l’influence commerciale et l’identification des centres d’activité de commerce113. De la même manière, et alors que c’est juste en train de devenir une pratique standard, lorsqu’il étudie un ancien manuscrit, il essaie d’identifier toutes les copies existantes et commence ses investigations en menant une comparaison critique de toutes les copies et recensions. Cela décrit certainement sa méthodologie pour le De mensura orbis terrae de Dicuil114. C’est sa comparaison de multiples versions manuscrites qui permet à Letronne d’identifier les apparentes erreurs dans l’écriture de Dicuil comme des fautes de copistes et même de composer un guide des erreurs probables de copistes pour les manuscrits de la période.

Bien que, et peut-être parce que, Letronne ne visite jamais la plupart des régions qu’il étudie, la source qu’il valorise est la relation du voyageur informé. Dès ses premières publications, il essaie de vérifier les anciens historiens en les confrontant aux ruines. Parfois, grâce à sa connaissance des Anciens ou grâce aux lumières de la philologie, il peut voir ce qui était sur les lieux plus clairement que ne pouvaient le faire les voyageurs visitant le site115. Cette pénétration ne donne jamais à Letronne un sentiment de supériorité sur les chercheurs de terrain ou les explorateurs. Au contraire, il reconnaît toujours ce qu’ils apportent et décrit leur travail comme vital et même héroïque. Dans cette veine, il dédie son étude des zodiaques égyptiens à Frédéric Caillaud116. Letronne voit son travail comme une partie d’un cycle d’exploration dans lesquels il suggère les régions et les thèmes du plus grand intérêt aux explorateurs ; ceux-ci orientent leurs voyages selon ces indications et collectent des résultats, résultats que Letronne analyse117. Sur la base de son analyse, les chercheurs de terrain et les explorateurs retourneront sur le terrain. De fait, sa relation avec les proto-archéologues et les explorateurs est si étroite que ceux-ci prévoient leurs itinéraires afin de pouvoir recopier pour lui des inscriptions.

L’utilisation de sources multiples et variées n’est pas de la simple pédanterie ou de l’érudition de frime. Letronne croit que si l’on peut trouver une explication qui parvienne à réconcilier tous les faits recueillis à partir d’un grand nombre et une grande diversité de sources, cette explication sera vraisemblablement alors très proche de la vérité. En un sens donc, Letronne est un grand élucideur d’énigmes linguistiques et historiques. Mais au cœur de sa méthodologie se trouve moins une méthode qu’un talent. Letronne a un remarquable instinct pour les interconnexions, ce qui peut être un sous-produit de ses nombreuses lectures, de sa perspicacité linguistique et d’une remarquable mémoire. Son travail sur le manuscrit du moine irlandais le conduit en Égypte. Sa conciliation des preuves multiples et apparemment conflictuelles sur la date de fermeture du canal de Suez lui apprend qui était ce Dicuil, quand il vivait, de qui il tirait parti dans ses études, et beaucoup de choses non seulement sur l’éducation et les études de l’homme, mais aussi sur la profondeur de la civilisation irlandaise à cette époque. Il présente cette idée à son public français dans des termes qu’il peut comprendre :

« Il est vrai que la stimulation de l’étude par Charlemagne n’atteignit pas l’Irlande. Mais cette île n’avait pas besoin de cette stimulation. Elle était, au VIIIe siècle, plus éclairée, c’est-à-dire, moins barbare, que n’importe quelle autre contrée européenne »118.

La source de son instinct des interconnexions peut aussi avoir été une curiosité presqu’enfantine. En étudiant la question de ce que devait être la pierre ornementale qui couvrait autrefois la pyramide de Chéops, Letronne se demande où et comment elle a été extraite. En fait, comment elle a été transportée119. De plus, qui l’a extraite et transportée et dans quelles conditions. Il cherche et trouve, dans les explorations de Sir Gardner Wilkinson, des marques sur les murs de carrière près de la mer Rouge qui

« semblaient indiquer le nombre de pierres taillées par chaque travailleur. Cela suggérerait que les hommes y travaillant étaient condamnés à une masse donnée de travail, en fonction de leurs sentences »120.

Il suspecte qu’une étude soigneuse des pierres taillées des différentes carrières de l’Égypte aiderait à identifier et à distinguer les périodes de construction et que cela fournirait une information capitale sur la vie et la disparition des grandes routes de transport par eau ou par terre121. Il commence ainsi à dévider toute la géographie historique de l’Égypte grecque et romaine, l’intégrant dans les domaines physiques et sociaux de l’existence contemporaine.

L’analyse philologique est au cœur de la méthodologie de Letronne. Son identification de l’influence des textes anciens sur Dicuil lui permet de reconstruire la bibliothèque de cet auteur. Elle le conduit aussi à reconstruire le latin des moines irlandais. Sa fine lecture de l’inscription du roi Silco lui permet de faire remonter jusqu’aux Écritures les modes d’expression de ce récent locuteur du grec mort approximativement il y a 1 300 ans, presque comme les linguistes d’aujourd’hui arrivent à remonter au voisinage ou à la région où une personne a grandi grâce à son accent et à sa façon de parler122. Son analyse de 1824 du grec sur la pierre de Rosette, de sa ponctuation, de son orthographe, de la nature formaliste de son écriture et du système de datation utilisé, le renseigne sur la structure sociale égyptienne, sur sa hiérarchie, sur l’éducation de l’auteur qui la grava, et sur la manière et la régularité avec laquelle l’information était partagée avec le peuple conquis de l’Égypte123. À tous les points de vue, Letronne est un remarquable philologue qui apporte une contribution majeure à la correction et à l’annotation de textes clés latins et grecs. Comme cela est déjà clair, il ne se borne pas à produire un catalogue des inscriptions. C’est sa passion d’interpréter et d’élucider ces mots anciens depuis longtemps oubliés.

Avec des sources aussi vieilles et aussi variées que celles utilisées par Letronne, un chercheur doit oser de se tromper pour arriver à des conclusions significatives. En dépit de son engagement pour une érudition rigoureuse et soigneuse, Letronne est préparé à faire des erreurs124. Il termine fréquemment un article par un haussement d’épaule textuel et la description de la certitude relative qu’il accorde à chaque pièce de sa recherche. Au-delà de l’égotisme du chercheur, ce qui compte est la contribution apportée à une entreprise savante plus large125. Cela compte beaucoup plus que de savoir si Walckenaer a été offensé parce que Letronne a osé publier le premier une édition critique annotée de Dicuil. La négligence, la pédanterie érudite et l’amateurisme dilettante sont de bien plus grands ennemis que l’erreur, comme Letronne le montre clairement dans les comptes rendus qu’il écrit pour le Journal des savants ou pour le Bulletin de de Férussac. Dans ces comptes rendus, Letronne vise sévèrement l’égotisme et le fait de truffer un texte de noms de personnes en vue. La traduction d’Hérodote par Courier est certainement érudite : il détaille « point par point l’opinion de chacun », mais « sans jamais fournir lui-même une solution satisfaisante, son propos principal semblant être de prouver qu’il a beaucoup lu ». Ce dont ce traducteur a besoin, ce n’est pas d’érudition, mais « d’un sentiment plus délicat et d’une utilisation mieux maîtrisée de son propre langage »126. Letronne est également tranchant dans sa rencontre avec Rochette, avec lequel il est en désaccord, entre autres choses, sur la question de savoir si les temples de l’Égypte avaient été peints dans le passé. C’est la position correcte de Letronne qu’ils l’avaient été. Letronne ne se résigne pas au manque de rigueur de beaucoup de ses collègues. Il s’attaque à ce problème à travers ses comptes rendus, que certains de ses contemporains trouvent critiques à l’excès127. Il tente aussi à deux occasions dans sa carrière, à la fin des années 1820 et au milieu des années 1830, de réformer la plus prestigieuse et la plus centrale institution de l’érudition humaniste dans la France des XVIIIe et XIXe siècles : l’Académie des inscriptions et belles lettres.

L’Académie, Letronne en a l’impression, ne réalise pas tout son potentiel. Au lieu de se consacrer en propre aux sciences historiques, elle court après son nom énigmatique et démodé, ce qui la mène à la confusion et à l’oubli. Pourquoi ne pas la restructurer à l’image de l’Académie des sciences ou de l’Académie des Beaux-Arts et même de l’Académie des sciences morales et politiques récemment établie, qui ont des subdivisions fixes et une procédure d’élection beaucoup plus rigoureuse ? Pourquoi ne pas réduire sa taille et accroître sa rigueur ? Un système permettant le jugement et la mise en balance du mérite académique pourrait ainsi débarrasser l’Académie des inscriptions du népotisme et du favoritisme qui ont créé de grands vides dans des domaines d’importance majeure. Ce que demande Letronne est une professionnalisation des sciences historiques et une réforme au sommet même. Avec le sommet réformé, les candidats se multiplieraient et l’Académie pourrait gagner du respect à la fois de la part du gouvernement et du public. Surtout, il veut mettre les « amateurs » à la porte de l’Académie : « des hommes qui, quoique éduqués et pleins d’esprit, n’ont laissé presqu’aucune marque sur la science »128. Ce dont on a besoin, c’est de savants qui, à travers leur travail et leur critique érudite, définiraient les champs qui méritent d’être étudiés. Ce seraient des spécialistes et des chercheurs, et non les pontifes éduqués du passé. Des archivistes en chef et des bibliothécaires étrangers pourraient servir comme membres correspondants. C’était le travail de tels chercheurs et « professionnels » dans le courant des XVIIe et XVIIIe siècles et du début du XIXe qui définirait la structure de départ de la nouvelle Académie des inscriptions, dont Letronne est prêt à garder le nom si cet apparent conservatisme rend possible la réforme de l’institution. Cette nouvelle Académie devrait être structurée autour de six sous-disciplines majeures. À son cœur et son âme (occupant 6 chaires), il devrait y avoir les sciences historiques : chronologie et géographie. Suivant ces sous-disciplines et occupant 5 ou 6 chaires, il devrait y avoir l’histoire de la philosophie, l’histoire de la religion et l’histoire du droit. La philologie et l’archéologie (centrées pour l’essentiel sur la culture grecque et romaine) auraient aussi six chaires chacune129. En vertu de leur importance nationale, les études médiévales et l’étude critique de l’histoire de France occuperaient un nombre de chaires un peu plus grand (quoique non spécifié). Finalement, les études orientales auraient entre 6 et 8 chaires. En bref, Letronne recommande le même développement de structures disciplinaires dures que dans les sciences, les nouvelles sciences sociales et même dans les beaux-arts. Cette disciplinarité engloberait la géographie, mais sa logique ne serait pas dictée par la discipline ou la tradition géographique. Il n’y a pas de claire déclaration dans ce plan de ce que Letronne pense de ses collègues géographes à l’Académie. Beaucoup – mais de loin pas tous – de ces géographes, à la fois dans le passé et dans le présent, ont été des amateurs, singulièrement inintéressés par la « science » telle que Letronne la définit, et n’ont laissé aucune trace dans la connaissance savante. Si Letronne ne les distinguent pas dans son plan, et si ce qu’il pense sur eux n’est pas entièrement clair, ce qu’un géographe pense de ce plan est clair. La mise en œuvre de ce plan aurait requis une réforme radicale de l’Académie. Il ne fait pas de doute que beaucoup de membres auraient perdu leur siège. Dans son obituaire de Letronne écrit pour l’Académie des inscriptions, Walckenaer commente succinctement le plan :

« L’Académie n’adopta pas ce projet. Il ne fut même pas discuté – sauf en comité. Les avantages étaient douteux et les inconvénients réels »130.

De fait, ces inconvénients sont précisément ceux contre lesquels luttait Letronne.

Si Letronne se montre critique à l’encontre de la recherche bâclée – ou intolérant vis-à-vis de l’absence complète de recherche de certains de ses collègues à l’Académie des inscriptions – il est généreux pour les chercheurs sérieux. Dès ses premières publications, Letronne cite la recherche de ses prédécesseurs ou collègues. Il commence nombre d’articles par une liste des travaux antérieurs sur le sujet. Même lorsqu’il améliore ou corrige leur recherche, il leur fait la politesse d’une référence et voit d’un mauvais œil ceux qui ne le font pas131. C’est tout à fait inhabituel dans un âge où la citation est considérée comme optionnelle et où elle coûte typographiquement cher. Cela témoigne tout à fait de son sentiment d’une tradition d’érudition, d’honneur entre des professionnels.

Un des défauts de la recherche historique de beaucoup des contemporains de Letronne est ce qui peut être décrit comme une attitude naïve à l’égard des sources. Entre Gosselin, qui était prêt à croire, sur la base de cartes médiévales et de mesures existantes, que les anciens avaient une meilleure connaissance de l’Europe que les modernes, et Garnier, qui pensait que toutes les pièces de monnaie avaient une valeur fixe et absolue, les idées fausses sur le rôle et la nature des documents et des artefacts abondaient. Au contraire, l’approche de Letronne est terre à terre et pleine de bon sens. Il sait, presqu’instinctivement, quelle information peut être tirée du De mensura orbis terrae de Dicuil, et celle qui ne peut pas l’être. Ce sentiment apparaît au mieux dans son travail sur le périple de Scylax. Cette longue liste de noms de lieux et de peuples de la Méditerranée et de la mer Noire était généralement regardée comme un document géographique important qui reflétait la connaissance géographique à la fois de son auteur et de son temps. Il y avait un débat considérable sur le moment précis de sa composition. Certains auteurs le plaçaient juste avant Hérodote, d’autres au temps de Polybe et d’autres enfin à l’époque du père d’Alexandre le Grand, Philippe II de Macédoine. Letronne examine le document et est stupéfié par les assertions de ses collègues.

« Je ne pense pas qu’aucun d’eux se soit sérieusement posé la question de savoir si le périple avait une quelconque unité de composition ; de savoir s’il provenait d’une seule source ou de multiples ; si toutes ses parties dataient de la même période ou d’époques différentes. Il est facile de voir que tout dépend des réponses à ces questions. Mais elles [ces questions] ont moins occupé l’attention du Baron de Sainte-Croix et de M. Gail que de tous les autres chercheurs qui ont parlé de Scylax »132.

Loin d’être une pièce de recherche géographique ou une aide importante à la navigation, ce travail est de toute évidence une compilation, composée pour l’éducation des enfants et ne reflète aucun auteur ou aucune époque en particulier. Quel est le sens de se poser des questions savantes si on n’a pas pensé à elles avant de se lancer dans une recherche détaillée ? En fait, les sources ont-elles la moindre valeur si l’on s’appuie principalement sur de sottes idées préconçues ? Le chercheur doit prendre la source comme guide et adapter sa recherche aux types de questions qu’elle est capable d’éclairer.

Letronne déclare son opposition aux « systèmes » dès 1812 et dans son travail sur la topographie de Syracuse. Dans ce travail, il décrit « l’esprit de système » comme quelque chose qui doit être soigneusement évité, en s’ouvrant aux opinions critiques de ses prédécesseurs133. Le travail hautement spéculatif de Garnier sur la valeur des anciennes monnaies le conduit à affiner davantage son sentiment de ce qui est dangereux dans les notions préconçues de systèmes et à suggérer de les éviter dans la recherche. Il existe, soutient Letronne, une double séduction pour les « systèmes ». La plupart sont basés sur une petite quantité de données que l’on prétend cependant capables d’expliquer bien plus que ce que ces données ne peuvent étayer. Ils apparaissent donc comme offrant des solutions rapides et faciles à des problèmes qui n’ont pas de solution facile. La seconde séduction s’applique aux systèmes qui sont déjà établis, soit dans la communauté académique, soit dans l’esprit du chercheur. La familiarité de la notion préconçue est en elle-même séductrice. Letronne prévient les praticiens de l’histoire qu’ils ont à résister à cette séduction et à mettre de côté leurs propres opinions et leurs propres vues pendant qu’ils cherchent la preuve. Les chercheurs doivent adopter la méthode historique :

« Cette méthode qui consiste à se mouvoir du connu vers l’inconnu, en se laissant diriger par les faits, sans se permettre la moindre hypothèse, est aujourd’hui la seule méthode admissible pour toutes les questions historiques dont la solution dépend de la concordance de données positives. En érudition, comme en physique, afin d’atteindre la vérité, on doit voir seulement les faits, les noter, les collecter et les lier à travers une théorie qui est leur commune expression »134.

Letronne ne défend pas ici le pur empirisme ou quelque chose voisin du positivisme. Le but de la recherche historique est la théorie, mais une théorie qui doit être bâtie à partir de faits, de leur comparaison et de leur concordance. Cela n’empêche pas l’investigation basée sur une appréhension intuitive d’un nombre limitée de sources, aussi longtemps que la base limitée de la conjecture est claire et que son rôle est de stimuler une recherche qui pourrait prouver ou infirmer la conjecture135. La résonance de ses idées avec celles de Champollion et la similitude de l’expression utilisée par Champollion et Letronne suggèrent que la recherche rigoureuse et soigneuse propre à Champollion peut bien avoir renforcé les convictions de Letronne136. Avant 1816, Letronne a lui-même flirté avec le type de système qu’il critique si rondement en 1817. Il obtient son admission à l’Académie des Inscriptions grâce à un essai sur l’extraordinaire précision du système de mesure employé par les Grecs et les Romains en Égypte. Dans cet essai, ses arguments sont plus numériques qu’historiques. Cet essai couronné par un prix lui a sans doute valu l’entrée dans l’Académie, mais Letronne décide de ne jamais le publier. Quelques trente années plus tard, Letronne est approché par un admirateur, qui veut qu’il revisite le fameux essai. Letronne refuse et, montrant un égal dédain pour la flatterie et pour l’essai, il tend le texte original au visiteur avec le commentaire : « Vous le voulez ? Vous pouvez l’avoir ! »137. Letronne en vient à penser qu’il existe une foi fautive dans les chiffres et dans leur apparente exactitude qui pousse certains historiens à s’engager dans des spéculations ridicules et irresponsables. C’est le cas de ceux qui,

« principalement depuis Condorcet, [ont cherché] à appliquer le calcul des probabilités à des questions d’ordre moral, et au-delà du degré de certitude des faits historiques. Ils se sont flattés en pensant qu’’ils pouvaient calculer les chances que tel événement se produise ou ne se produise pas. Il est malheureux qu’ils n’aient pas vu que cette probabilité, reposant comme elle le fait sur une base numérique entièrement arbitraire, ne peut offrir que des résultats chimériques ou illusoires. En aucun cas, cela ne remplace la conviction intime et absolue qui n’admet rien de moins ou rien de plus que ce qui est produit par l’examen de toutes les circonstances diverses accompagnant un événement réel »138.

Pour Letronne, les arguments probabilistes en histoire constituent un « emploi abusif de l’analyse mathématique »139. Les chercheurs qui utilisent cette forme d’argument sont tombés dans le piège de l’anachronisme et ont remplacé le dur travail de contextualisation par une certitude simulée. Écrivant sur l’astronomie des anciens Égyptiens et leur système calendaire, Letronne commente :

« Nous oublions trop souvent, en étudiant des questions de ce type, le rôle que jouait la religion dans la société égyptienne. Nous ne voyons que le côté scientifique de leur calendrier et de leur connaissance en général. Nous cherchons à trouver en eux la précision et la quête d’exactitude, qui sont les traits caractéristiques de l’esprit moderne. Ainsi, nous les voyons prendre des mesures avec la même rigueur que nous appliquerions avec le secours de nos cercles répétiteurs et de nos théodolites, armés avec des verniers et des télescopes. Il n’y a qu’un petit pas à faire que de supposer qu’ils avaient un bureau des longitudes logé dans chacun de leurs grands collèges. Ces rêves séducteurs s’évanouissent avec l’étude réellement historique de leur calendrier. L’astronomie, que les anciens Égyptiens ne distinguaient pas de l’astrologie, était plus une matière de religion que de science pour eux. Ainsi, le mouvement du solstice relativement à la montée hélicoïdale de Sirius qui retournait toujours le même jour était, pour les Égyptiens, un événement indifférent, sans effet, qu’ils expliquaient comme un effet de la volonté d’Osiris ou par un autre type de raisonnement qui paraissait soit bon, soit mauvais en fonction de la vue que l’on avait d’eux »140.

Ce genre de distorsion n’est pas un souci mineur pour Letronne. Ce qui est en jeu est la santé et le bien-être de la recherche dans les humanités et particulièrement dans la recherche historique. C’est donc avec une touche d’humour acerbe et de fierté qu’il annonce le succès de l’École des Chartes dans la formation des futurs archivistes et historiens dans les termes suivants :

« N’est-il pas admirable que cette jeunesse, maintenant totalement libre, ayant passé ses examens, et étant abandonnée à ses propres moyens, ait résisté, par la force du stimulus salutaire qu’elle avait reçu, à toutes les préoccupations des modes passagères ? Elle n’est pas tombée dans ces aberrations littéraires, politiques ou religieuses qui empêtrent tant des plus distingués de nos jeunes esprits. Non, Messieurs, pas un de ces jeunes paléographes n’est entré dans ces conspirations contre le bon sens que nous constatons tous les jours. J’ai attentivement regardé. Je n’ai trouvé aucun d’entre eux qui ait même simplement rêvé d’inventer un système philosophique, ou même la plus minuscule religion »141.

Il y a de l’humour dans l’observation, mais le commentaire de Letronne coïncide avec le développement et la popularisation des idées positivistes d’Auguste Comte et de leur mise en œuvre pratique dans la pseudo-religiosité de Saint-Simon et de ses disciples.

L’aspect final de la méthode de Letronne et peut-être le plus important, c’est la beauté de son œuvre. Il laisse toujours au lecteur un sentiment de découverte, de participation à l’investigation historique, écrivant presque dans le style d’un auteur de roman policier. Les sources sont souvent reproduites en plein format, leurs obscurités progressivement éliminées et leur signification lentement construite. Comme le lecteur ou la lectrice peut le voir de lui-même ou d’elle-même, c’est à partir de détails accessoires que toute une société est ainsi reconstruite. Il y a beaucoup de technique dans l’écriture de Letronne, mais l’aspect technique est mis de côté, laissant ainsi le lecteur libre de le lire ou de ne pas le lire, et seul ce qui est essentiel à son propos est présenté142. Letronne respecte ses lecteurs et a peu d’inclination à leur faire perdre du temps. Tout en présentant les bases techniques de ses assertions, depuis les analyses philologiques jusqu’aux notes de bas de page et aux analyses des autres, il fournit toujours aussi une contextualisation suffisante du problème traité pour permettre au lecteur éduqué, mais non initié, d’entrer pleinement dans la discussion en cours. En outre, il offre souvent le contexte de l’investigation historique dans laquelle il s’est engagé. C’est ainsi qu’en décrivant la consécration d’un temple découvert durant le creusement du canal d’Alexandrie, Letronne rapporte brièvement au lecteur les circonstances du creusement du canal, les tentatives antérieures, le don par Mehemet Ali de la trouvaille à Sir Sidney Smith via M. Salt – en plus que d’offrir la traduction de l’inscription et une explication complète des gens qui y sont mentionnés et la manière dont ils s’intègrent dans l’histoire, la généalogie et les noms de lieux de l’Égypte143. Ainsi, alors que Gosselin donne l’impression qu’aucun lecteur n’aura sans doute l’érudition pour apprécier vraiment ses arguments, Letronne offre à tous ses arguments et cherche à les intéresser en contextualisant pleinement son travail.

La nature géographique du travail de Letronne

On a déjà souligné que Letronne a reçu en quelque sorte une éducation et un apprentissage géographiques et que les géographes ont exercé une influence majeure sur le début de sa carrière. Bien que Letronne soit devenu très critique à l’égard du courant principal de la recherche géographique, on peut soutenir que son travail demeure hautement géographique tout au long de sa carrière – selon les critères modernes, certainement. En 1839, il utilise d’anciennes sources pour résoudre un problème de géographie physique ; à savoir, s’il y avait eu une ancienne connexion entre la mer Rouge et la mer Morte144. À partir de la fin des années 1830, il travaille à la reconstruction de la géographie ptolémaïque de la région de la mer Rouge ; pas seulement sa géographie physique, mais aussi les configurations de son peuplement et les routes utilisées pour les voyages et les transports. En faisant cela, il cite les géographes qui ont travaillé sur des questions liées, en particulier d’Anville, Bruce, Browne, Mannert, de Rozière, Jomard…145. En 1841, il utilise les noms de ville pour dater et délimiter les conquêtes impériales et commerciales de certains rois ptolémaïques146. Il est conscient de ce que la reconstruction de géographies passées peut jeter une lumière précieuse et inattendue sur des phénomènes politiques, économiques et même sociaux. Comme il l’exprime succinctement : « Quand la position géographique d’un point est bien déterminée, il arrive que toutes les circonstances qui pourraient lui être liées tombent en accord avec la position établie »147. En 1845, il cherche à reconstruire le réseau des anciennes routes venant de Carthage en Tunisie en utilisant les marques existantes de routes, les histoires anciennes et les inscriptions148. La similarité entre le travail mené par Ernest Carette sur les routes modernes en Algérie dans les années 1840 est frappante et suggère que la publication de Letronne aurait été prise en considération comme géographique si des géographes l’avaient remarquée149. Sa publication de 1845 sur l’Asie mineure est un essai de reconstituer la géographie de la région (bien que Letronne ne dénie pas la valeur de ce travail pour l’épigraphie, la numismatique et la chronologie). Cet essai contraste nettement avec l’étude de Barbié du Bocage de la géographie de presque la même région. Faisant face au même manque de sources, au lieu de se limiter aux sources anciennes, Letronne explore pleinement les écrits des voyageurs et des proto-archéologues modernes, suggérant ainsi les moyens par lesquels la géographie de l’Asie mineure pourrait être plus complètement élucidée150. Dans un sens beaucoup plus moderne, même le travail de Letronne sur le système calendaire des anciens Égyptiens, qui l’occupe de la fin des années 1830 à 1848, est géographique. Pour Letronne, le système calendaire organise plus que le temps : il incorpore une relation espace/temps complexe qui trouve une expression dans le centre urbain/cérémoniel du système, et dans la relation du calendrier au système agricole et à la géographie naturelle de l’Égypte151. Au-delà de la nature géographique de sa propre recherche, Letronne a promu l’enseignement de la géographie à l’École des Chartes et la considère comme une partie essentielle de la formation de tout archiviste152.

Néanmoins, lorsque les préoccupations de Letronne deviennent moins classiquement géographiques, c’est-à-dire une fois qu’il commence à utiliser l’épigraphie, l’archéologie, la numismatique, l’interprétation historique et l’exploration du terrain (même par l’entremise des autres) pour reconstruire non seulement les localisations du passé, mais la nature de leurs sociétés et leur relation à l’espace, il sort du domaine de la géographie de son époque. Cela ne veut pas dire qu’il soit ostracisé. Simplement, les géographes n’enregistrent plus son travail comme géographique. Il existe quelque preuve de ceci. Alors que Letronne cite ses collègues géographes, eux, pour la plupart153, ignorent son travail. De plus, comme le commente Louis Robert, un géographe enseignant la géographie au collège de France dans les années 1930, bien que le travail épigraphique de Letronne ait été hautement géographique et bien qu’il ait développé une méthode, il ne laisse pas d’étudiants et n’a pas de disciples154. C’est peut-être l’obituaire académique lu devant l’Académie des inscriptions en 1850 par le Baron Walckenaer qui est le plus parlant. Dans ce compte rendu des réalisations considérables de Letronne, au lieu de revendiquer celui-ci pour la géographie, Walckenaer commente qu’il a contribué à beaucoup de domaines sans se consacrer à un champ particulier155. Cela rappelle l’intersdisciplinarité dans le domaine des sciences naturelles d’une autre grande figure sur une autre frange de la tradition géographique du XIXe siècle : Alexandre de Humboldt.

Conclusion

On peut soutenir qu’il n’y a pas de sujet ou de thème historique qui soit de manière inhérente plus intéressant qu’un autre. C’est le degré avec lequel il entre en résonnance avec les préoccupations modernes, ou bien avec lequel il est estimé le faire, qui lui donne de l’intérêt. Au début du XIXe siècle, aux premières étapes de la redécouverte des cultures indigènes, c’était les anciennes civilisations, jugées ancestrales pour la culture européenne, qui étaient pour beaucoup une source de fascination. Les géographes contribuaient à l’étude des cultures anciennes et médiévales à la fois à travers l’étude des vieilles cartes et des relations de voyage, à travers la production d’éditions critiques d’anciennes géographies et, avec une préoccupation propre au début du XIXe siècle, à travers l’étude et l’analyse des anciens systèmes de mesure. Cette géographie, bien que parfois inspirée, était souvent étroitement basée sur la carte, non théorique et descriptive, et inutilement détaillée et érudite. Le travail de ces géographes, considéré comme savant et digne de reconnaissance à l’Académie des inscriptions, avait peu d’intérêt à la fois dans le monde académique au sens large et pour les générations de géographes qui suivirent. Au milieu d’un corps d’écrits largement sans attrait, le travail et les activités de Jean-Antoine Letronne ressort comme quelque chose de tout-à-fait différent. Originellement formé comme géographe, Letronne commence sa vie académique comme un géographe axé sur précisément les questions qui préoccupent d’autres géographes de son époque : la réédition d’anciennes géographies ; la cartographie d’importants événements de l’histoire ancienne ; l’évaluation des anciens systèmes de mesure et de frappe des monnaies. En une décennie d’initiation à sa carrière académique, Letronne se trouve captivé par la civilisation de l’ancienne Égypte et, particulièrement, par les interactions entre les cultures égyptienne, grecque et romaine le long des rives du Nil. Sa connaissance du grec et du latin, ses contacts avec Champollion, son intérêt pour les courants et préoccupations intellectuelles plus larges de l’époque l’éloignent bientôt des soucis plus étroits de ses collègues géographes. Dans le cours d’une vie intellectuelle et administrative active – tout-à-fait sur les marges du courant principal de la géographie – Letronne se confirme comme un chercheur novateur et imaginatif.

Répondant peut-être à l’intérêt croissant pour la société, Letronne développe une curiosité pour la nature des anciennes sociétés couvrant la vie économique, l’administration, la vie religieuse et même à certains égards, la vie de tous les jours de ceux vivant dans les Empires grec et romain. Utilisant l’épigraphie comme moyen d’accès, il explore aussi la réalité spatiale du pouvoir grec et romain, y compris ce qui peut être révélé des systèmes commerciaux et de transport. De manière plus importante, dans le cours de sa vie, Letronne raffine une approche de l’étude du passé qui doit beaucoup à Nicolas Fréret et à Jean-Baptiste Bourguignon d’Anville. Leur approche avait été de comparer de manière critique des sources multiples. Letronne conduit plus loin cette technique, et allant au-delà des sources spatiales traditionnelles d’information, il interroge les monnaies, les inscriptions, les relations de voyage (anciennes ou récentes), des textes anciens de toute sorte, des dessins et des cartes, à la recherche d’une consonance de voix. Letronne a un esprit attentif aux interconnexions et est souvent capable de saisir la relation entre des événements apparemment obscurs et sans liens. Son approche consiste à lire entre les lignes et, surtout, à regarder d’un œil critique la manière dont la langue, la langue grecque en particulier, est utilisée. Letronne montre qu’un simple mot peut révéler des dimensions entières de la réalité sociale s’il est interprété en profondeur.

L’approche de Letronne à l’étude du passé est hautement disciplinée, et comme le montre clairement son essai de réformer l’Académie des inscriptions, il désire fortement rationaliser les critères établis de recherche dans le domaine des humanités. Son approche est aussi interdisciplinaire et au cours de sa seconde décennie de recherche active, il s’aventure loin des préoccupations des géographes du courant principal par le contenu, la portée, l’approche et le détail de son travail. Même son attitude finement équilibrée à l’égard de la théorie, qui rejette les systèmes prédéterminés mais fait place à l’hypothèse et à la conjecture informée, est immensément distante de la pensée de Jean-Denis Barbié du Bocage et de ses collègues. Letronne est en faveur de la discipline et de disciplines fondées sur des traditions confirmées de recherche. Il y a peu de doute, vu son intérêt respectueux pour les questions géographiques et son soutien à l’enseignement de la géographie à l’École des Chartes, que Letronne voit dans cette discipline une de ces traditions confirmées. Il semble toutefois clair que les géographes de sa génération ne reconnaissent pas en Letronne une partie de cette tradition.

Notes

        

  1. C’était le cas pour la carte de la Grèce que Barbié du Bocage produisit pour le Département de la Guerre en 1808. Le Département de la Guerre avait reconnu la mauvaise qualité de son information et, étant donné les voyages récents de Choiseul-Gouffier et d’autres en Morée, avait demandé à Barbié du Bocage de compiler une carte à partir de ces sources. Voir Berthaut, Les Ingénieurs-géographes (1902), 1, p. 277-278. Sur la mauvaise qualité de la carte et d’autres faites à partir d’elle par Barbié du Bocage, voir Bory de Saint-Vincent, Relation (1836), p. 48 ; Walckenaer, Géographie ancienne (1839), p. lix ; et dans les manuscrits de la Société de géographie, Doc 3126 Colis 19, lettre de Lapie au Président de la Commission (qui n’est pas personnellement nommé), Paris, 15 septembre 1826.
  2. Pour une petite sélection de ceux-ci, consulter ma bibliographie. Le Département des cartes et plans à la Bibliothèque nationale à Paris possède un grand nombre des cartes de Lapie.
  3. De fait, c’est précisément le manque « d’érudition » de Lapie qui, aux yeux des géographes contemporains et postérieurs, limitait sa stature professionnelle. Voir en particulier les mots de son biographe Maury, « Lapie » (1834), 23, p. 228-229.
  4. Butlin, Historical Geography (1993), p. 12.
  5. Barbié du Bocage, « Proposition d’une nouvelle méthode » (1795), p. 483-491. Noter spécialement la dernière page, dans laquelle il se réfère à lui-même comme ayant appris la géographie « seul et sans maître ».
  6. Gosselin, « Géographie ancienne » (1810).
  7. Walckenaer, Dicuili Liber de Mensura (1807) ; Recherches sur la géographie ancienne (1822) ; « Notice bibliographique » (1825) ; Géographie ancienne historique et comparée des Gaules (1839).
  8. Humboldt, Examen critique (1836), 5 volumes.
  9. Jomard, Discours prononcés (1826), p. 2.
  10. Barthélémy, Voyage du jeune Anacharsis (1788).
  11. Barthélémy, Voyage du jeune Anacharsis (1788), p. vii.
  12. Barbié du Bocage, Recueil de cartes géographiques (1788).
  13. Barbié du Bocage, « Carte des marches et de l’Empire d’Alexandre-le-Grand » (1804).
  14. Sur le drame entourant la paternité des tracts antireligieux de Fréret, voir Walckenaer : Walckenaer, Rapport fait à l’Académie des inscriptions (s.d. [mais après 1842]). Sur le rôle de Sainte-Croix, voir p. 45 ; une expression soigneuse et en sourdine de la réserve avec laquelle la recherche de Sainte-Croix était accueillie se trouve dans Letronne, « Observations historiques et géographiques sur le périple » (1825), p. 4.
  15. Sainte-Croix, Examen critique des anciens (1775). Cet ouvrage remporta le prix de l’Académie des inscriptions pour 1770. Le sujet avait été choisi par l’Académie.
  16. Sainte-Croix, Examen critique des anciens (1775), p. 101-106.
  17. Barbié du Bocage, « Précis de géographie ancienne » (1828), p. 609-734.
  18. Le monde politique ne manifesta pas, non plus, un grand intérêt pour lui. Jules Simon commentait en 1855 : « Même la Terreur ne parvint pas à le distraire de ses habitudes… Et quelque chose de remarquable lui arriva : il ne fut jamais ni proscrit, ni arrêté, ni accusé ». Il fut simplement réquisitionné par le Département de la Guerre en 1794, avec la plupart des autres géographes qui ne travaillaient pas encore pour l’État. C’est après que lui et ses manuscrits eurent été jugés de peu de valeur pour l’effort de guerre qu’il fut affecté à l’édition de la Géographie de Strabon. Simon, Une Académie sous le Directoire (1885), p. 404 ; sur les activités de ces géographes au Dépôt de la guerre, voir Berthaut, Les Ingénieurs-géographes (1902), p. 138, 152-153.
  19. Voir Humboldt, Examen critique (1836), 1, p. 140, 144-145 ; Letronne, Recueil des inscriptions (1842), 1, p. 174-175, 188 ; Malte-Brun, Précis de la géographie universelle (1810), 1, p. 17. Mais voir aussi beaucoup d’autres références dans ce travail et dans d’autres ; Bory de Saint-Vincent, Géographie (1834), p. 5 ; Santarem, Essai sur l’histoire de la cosmographie (1848-1852), p. xv-xvi. Référence aux bases du travail de Carette dans Ravoisier, Beaux-Arts, Architecture et Sculpture (1846-53), p. 2-5 ; Jarry de Mancy, Atlas historique et chronologique (1831) ; et Jomard, Introduction à l’atlas (1879).
  20. Staum, « The Class of Moral and Political Sciences » (1980), p. 394.
  21. En plus des mémoires discutés ici, Gosselin produisit plus de soixante-quinze cartes qui ou bien reproduisaient le monde tel qu’il était connu par certains penseurs grecs (Eratosthène ; Hipparque ; Polybe ; Strabon ; Marin de Tyr ; Ptolémée ; Hérodote ; Pythéas ; Hécatée ; Philémon ; Timée ; Xénophon de Lampsaque ; Pline ; Aviénus ; Tacite ; Mégasthène ; Deimaque ; Patrocles ; Artémidore ; Diodore ; Agrippa ; Onésicrite ; Pomponius Méla ; Solin ; Aethicus ; Paul Orise ; Martianus Capella; le cosmographe anonyme de Ravenne ; Isidore de Séville), ou bien fournissaient des informations cartographiques pour ceux qui lisaient sur ces périodes. Pour les cartes qu’il a produites jusqu’en 1814, voir Gosselin, Atlas ou recueil des cartes (1814).
  22. Gosselin, De l’évaluation et de l’emploi des mesures (1813). Lu devant l’Institut de France, 29 juillet 1804.
  23. Gosselin, Recherches sur le principe (1817), 1, p. 501.
  24. Letronne, « Mémoire sur cette question » (1822).
  25. Letronne, Notice sur la traduction d’Hérodote (1823), p. 12. Que ce fut tout à fait dans le style de Letronne est suggéré par une description de celui-ci dans la notice que Walckenaer lui a consacrée et qui a été écrite pour l’Institut peu après sa mort. Dans cette notice, Walckenaer dit qu’une des raisons pour lesquelles il était apprécié dans le monde académique, c’était pour « ces critiques indirectes, faites avec une malicieuse modestie… » Walckenaer, « Notice historique sur la vie et les ouvrages de M. Letronne » (1850), p. 60.
  26. Balbi, Abrégé de géographie (1833), p. xx.
  27. Walckenaer, Géographie ancienne historique et comparée des Gaules (1839), p. xvii-xx. Walckenaer critiquait non pas la méthode numérique employée par Gosselin ou les arguments selon lesquels les anciens avaient une information topographique incroyablement exacte, mais le fait qu’ils auraient acquis cette information auprès de civilisations orientales. « Cette conjecture, qu’aucun texte ancien n’étaye, n’est pas du tout nécessaire pour rendre compte des faits que M. Gosselin a si bien discernés », p. xviii-xix.
  28. Simon, Une Académie sous le Directoire (1885), p. 393.
  29. Malte-Brun, Précis de la géographie universelle (1810), 1, p. 525.
  30. Humboldt, Examen critique (1836), 1, p. xxiii-xxiv.
  31. Walckenaer, Faune parisienne (1802).
  32. Voir en particulier Walckenaer, L’Ile de Wight (1813), un roman romantique tout-à-fait dans le style de Paul et Virginie (1823) de Bernardin de Saint-Pierre par son intrigue moralisante et son attention au paysage et à la beauté naturelle. Le conservatisme social et politique de Walckenaer n’est nullement plus clair que dans ce travail. Voir aussi Walckenaer, Essai sur l’histoire de l’espèce humaine (1798). Comme Bory de Saint-Vincent, il éprouva le besoin de s’engager dans le débat alors en cours sur la nature et la spécificité de l’espèce humaine. Au lieu de défendre, comme le faisait Bory de Saint-Vincent, la polygénèse, Walckenaer défendait la spécificité de l’espèce humaine comme un ensemble découlant de l’art, de la loi, de la religion, de l’industrie et de l’intelligence humaine. C’était un essai très général, trop abstrait et contradictoire pour apporter une contribution aussi bien au débat scientifique qu’à la critique sociale. C’est peut-être dans le style de ses notes de bas de page que cela est le plus clair. Ainsi, son assertion selon laquelle les peuples vivant dans de vastes territoires ouverts seraient, en fin de compte contrôlés par des gouvernements despotiques, est étayée par la note infrapaginale suivante : « Lire l’histoire de la Chine, celle des Assyriens, des Babyloniens, etc. et de tous les grands Empires de l’Asie » (p. 195).
  33. La plus grande partie de son travail était aussi géographique et est par conséquent discutée sous cette rubrique.
  34. Pinkerton, Abrégé de géographie moderne (1827).
  35. Walckenaer, Introduction à l’analyse géographique des itinéraires (1839) ; Walckenaer, Recherches sur la géographie ancienne (1822).
  36. Walckenaer, Dicuili Liber de mensura (1807).
  37. Walckenaer, « Notice bibliographique » (1825).
  38. Walckenaer, Rapport fait à l’Académie des inscriptions (s.l., s.d.).
  39. Walckenaer, Paroles prononcées à la Société de géographie (1847).
  40. Un sujet qui, apparemment, est encore l’objet de quelque controverse. Voir Gopnik, « The First Frenchman » (1996), p. 44-53.
  41. Walckenaer, Rapport fait à l’Académie des inscriptions (s.l., s.d.), p. 32.
  42. Les vingt-neuf publications géographiques de Fréret incluent des études des anciennes mesures et distances ; des analyses de cartes anciennes ; des descriptions et interprétations historiques d’inscriptions géographiques découvertes en France ; des comptes rendus sur d’anciennes routes ; quelques descriptions de changements dramatiques de la géographie physique dans le passé ; des études sur les localisations des peuples anciens ; des études identifiant certaines anciennes villes, des rivières… ; des études sur le sens particulier de mots en usage dans les sources gauloises ; des revues de travaux de géographes clés ; des extraits de voyages, etc.
  43. Walckenaer écrivait, dans l’introduction à son travail plus substantiel sur la géographie de l’ancienne Gaule en 1839 (il avait alors soixante-huit ans) : « Parmi les études, peut-être trop variées, auxquelles je me suis consacré, aucune n’a occupé davantage mes moments de loisir que la géographie. J’ose dire que j’ai toujours suivi, avec une studieuse constance, le grand progrès que cette science a connu jusqu’à nos jours. J’ai essayé de contribuer à ce progrès personnellement et en aidant le travail des autres. Je n’ai pourtant encore rien publié sur l’une des branches de la science géographique qui a été l’axe principal de mon effort ». Walckenaer, Introduction à l’analyse géographique des itinéraires (1839), p. i.
  44. Humboldt, Examen critique (1836), 1, préface.
  45. Humboldt, Examen critique (1836). C’est le propos primordial du livre entier. Il est plus succinctement exposé dans le volume 3 aux pages 12-14 et 248-249.
  46. Humboldt, Examen critique (1836), 4, p. 108.
  47. Humboldt, Examen critique (1836), 3, p. 352.
  48. Humboldt, Examen critique (1836), 3, p. 25.
  49. Humboldt, Examen critique (1836), 3, p. 228-231.
  50. Humboldt, Examen critique (1836), 1, p. x.
  51. Humboldt, Examen critique (1836). Voir en particulier 1, p. 326-327 ; 3, p. 175 et suiv. et 214 et suiv.
  52. Humboldt, Examen critique (1836), 3, p. 262-319 et spécialement 307-309.
  53. Humboldt, Examen critique (1836), 3, p. 317-318. « La complexité de l’histoire humaine est telle que les cruelles atrocités qui ensanglantèrent la conquête des deux Amériques sont réapparues dans ces temps que nous considérons, avec les Lumières, comme caractérisés par un adoucissement général des mœurs. Un individu au milieu de sa carrière peut donc, à lui seul, avoir vu la terreur en France, l’inhumaine expédition à Saint-Domingue, les réactions politiques et les guerres civiles continentales en Amérique… Les passions ont coïncidé avec un même irrésistible effort dans les mêmes circonstances aussi bien au XIXe siècle qu’au XVIe ».
  54. Humboldt, Examen critique (1836), 1, p. 254.
  55. Humboldt, Examen critique (1836), 1, p. 73-75, 97, et 272 et suiv. (influences historiques et contemporaines sur Colomb) ; 4, p. 28-30, 187, 273 et suiv. (sur le point de savoir si Amerigo Vespucci essayait de voler son retentissement à Colomb).
  56. Humboldt, Examen critique (1836), 2, p. 50-56.
  57. Humboldt, Examen critique (1836), 3, p. 352-398.
  58. Humbert, Pantazzi, et Ziegler, Egyptomania (1994).
  59. Barthélémy, Voyage du jeune Anacharsis (1788) ; Goethe, Iphigenie auf Tauris (1901 [1787]). Sur l’importance de l’idéal grec dans l’œuvre de Goethe et de Schiller, voir Gelzer, « Die Bedeutung der Klassischen Vorbilder » (1979).
  60. Choiseul-Gouffier, Voyage pittoresque de la Grèce (1782-1822). Un autre ouvrage similaire de l’époque et celui de Melling, Voyage pittoresque de Constantinople (1819).
  61. France, Ministère de l’Éducation nationale, Expédition scientifique de Morée (1831-1838).
  62. Coing, « Roman Law and the National Legal Systems » (1979), p. 29-37.
  63. Leigh, « Jean-Jacques Rousseau » (1979), p. 157 [155-168].
  64. Loraux et Vidal-Naquet, « La Formation de l’Athènes bourgeoise » (1979), p. 169-222.
  65. Sandys, A History of Classical Scholarship (1967).
  66. Barthélémy-Saint-Hilaire, « Letronne » [1859], p. 365-373.
  67. Mentionné dans de Ferussac, Bulletin général et universel des annonces (1822), sixième section, troisième livraison.
  68. Il utilisait des hiéroglyphes typographiques dans Letronne, Inscription grecque accompagnée des noms hiéroglyphiques (1843).
  69. Robert, L’Épigraphie grecque [1939].
  70. Letronne, Recueil des inscriptions grecques et latines (1842), 1, p. XXI.
  71. Voir Barthélémy Saint-Hilaire, « Letronne » [1859], p. 365-373 ; et Letronne, Discours prononcé à l’inauguration de l’école (1847).
  72. Walckenaer, « Notice historique sur la vie et les ouvrages de M. Letronne » (1850).
  73. Letronne, L’Isthme de Suez (s. d.), p. 5-6.
  74. Letronne, Recueil des inscriptions grecques et latines (1842) 1, p. 147.
  75. Letronne, Recherches pour servir à l’histoire de l’Égypte (1823), p. xvi ; et Letronne, Nouvelles recherches sur le calendrier (1863), p. 2.
  76. Letronne, Considérations générales sur l’évaluation des monnaies grecques et romaines (1817), p. 8-11 et chapitre 5.
  77. Voir par exemple Letronne, Extrait d’une note écrite par M. Letronne (1863).
  78. Letronne, Nouvelles recherches sur le calendrier (1863), p. 2.
  79. Letronne, Recherches géographiques et critiques sur le livre (1814), p. v.
  80. Letronne, Recueil des inscriptions grecques et latines (1842), p. iv-vii.
  81. Letronne, Recueil des inscriptions grecques et latines (1842), 1, p. xli.
  82. Voir Barthélémy Saint-Hilaire, « Letronne » [1859] et Walckenaer, « Notice historique sur la vie » (1850).
  83. Le philologue français Ernest Renan écrivit plusieurs décennies plus tard sur les dangers de subordonner la philologie à l’éducation dans les termes suivants « Supposez que la valeur de la philologie soit dérivée de sa valeur dans l’éducation. Cela la priverait de sa dignité. Cela la réduirait à la pédagogie. Cela serait la pire des humiliations. La valeur de la connaissance doit être fondée en elle-même, et non dans l’utilisation que l’on peut en faire pour l’éducation des enfants… Quel étrange cercle vicieux ! Si les choses ne sont bonnes qu’à être professées, et si seuls ceux qui les enseignent les étudient, quel est l’intérêt de les enseigner » ? Cité par Seznec, « Renan et la philologie classique » (1879), p. 356 [349-362].
  84. Walckenaer, « Notice historique sur la vie et les ouvrages de M. Letronne » (1850).
  85. Letronne, Essai critique sur la topographie de Syracuse (1812), p. 5.
  86. Letronne, Recherches géographiques et critiques sur le livre (1814).
  87. J’ai consulté la seconde édition : Letronne, Cours élémentaire de géographie (1820). Sur la popularité de ce travail, voir Barthélémy Saint-Hilaire, « Letronne » [1859].
  88. Voir le Journal des savants de l’année 1820.
  89. Strabon, Géographie (1805-1819).
  90. Walckenaer, Dicuili Liber de Mensura (1807).
  91. Jomard, « Discours prononcé aux funérailles » (1826), p. 4.
  92. Tout comme il censura les « géographes » pour leur incapacité à incorporer les résultats de l’expédition de Wilkinson en Égypte dans les cartes et traités géographiques, Letronne, Recueil des inscriptions grecques et latines (1842), 1, p. 136.
  93. Letronne, Recueil des inscriptions grecques et latines (1842), 1, dédicace.
  94. Hamilton [pseud.], Mathew Carey, Aegyptiaca (1810).
  95. Pococke, Aegypti ac nobilissimi (1746).
  96. Caillaud, Voyage à l’oasis de Thèbes (1821).
  97. Gau, Antiquités de la Nubie (1822-1827).
  98. Fourier, « Premier mémoire sur les monuments astronomiques », Vol., Antiquités, Mémoires, 2, p. 71-87 (1818). Jollois et Devilliers, « Description des monuments astronomiques », Vol. Antiquités, Description, 1, p. 1-16 (1809).
  99. Letronne, Observations critiques et archéologiques (1824).
  100. Letronne, Recueil des inscriptions grecques et latines (1842), 1, p. vi-vii et xi-xiii.
  101. Letronne, Recueil des inscriptions grecques et latines (1842), 1, p. xxx. Sur le respect dans lequel le travail de Letronne est encore tenu aujourd’hui, voir Pouilloux, « L’épigraphie grecque » (1990) p. 319-324.
  102. Letronne, Recueil des inscriptions grecques et latines (1842), 2, p. 245-255.
  103. Letronne, Recueil des inscriptions grecques et latines (1842), 2, p. 205-210.
  104. Letronne, Deux inscriptions grecques gravées sur le Pylône (s. d.), p. 28-29.
  105. Letronne, Matériaux pour l’histoire du christianisme en Égypte (1832), voir spécialement p. 40-55.
  106. Letronne, Récompense pour qui découvrira (1833).
  107. Letronne, Considérations générales sur l’évolution des monnaies (1817), p. 14.
  108. Pouilloux, « L’épigraphie grecque » (1990), p. 320-321.
  109. Voir spécialement Letronne, Matériaux pour l’histoire du christianisme en Égypte (1832) et Letronne, « Explication d’une inscription grecque en vers » (1825).
  110. Pour le sentiment de l’importance de lier inscriptions et papyrus, voir Letronne, Recueil des inscriptions grecques et latines (1842), 1, p. xxxiii.
  111. Letronne, Recherches géographiques et critiques sur le livre (1814), p. 86-90 ; voir aussi Letronne, Examen du texte de Clément d’Alexandrie (1828).
  112. Letronne, Essai critique sur la topographie de Syracuse (1812), p. 78.
  113. Picard, « Numismatique et épigraphie » (1990), p. 252-253.
  114. Letronne, Recherches géographiques et critiques sur le livre (1814), p. 31.
  115. Letronne, Mémoire sur le tombeau d’Osymandyas (1822), p. 1-24.
  116. Letronne, Observations critiques et archéologiques (1824), p. 6 et dédicace.
  117. Sur ceci, voir Letronne, Recueil des inscriptions grecques et latines (1842), 1, p. iii-iv, xiii-xvi, xxix, xxxi-xxxii, xxxii-xxxiii ; Letronne, Recherches pour servir à l’histoire de l’Égypte (1823) ; Letronne, Matériaux pour l’histoire du christianisme en Égypte (1832) ; Letronne, Sur la séparation primitive des bassins (1839).
  118. Letronne, Recherches géographiques et critiques sur le livre (1814), p. 35.
  119. Letronne, Recherches géographiques et critiques sur le livre (1814), p. 110.
  120. Letronne, Recueil des inscriptions grecques et latines (1842), 1, p. 147.
  121. Letronne, Recueil des inscriptions grecques et latines (1842), 1, p. 138 et 174-199.
  122. Letronne, Matériaux pour l’histoire du christianisme en Égypte (1832), 9 et suiv.
  123. Lesourne, Inscription grecque de Rosette (1840).
  124. Cela vaut la peine de citer Louis Robert sur ce point : « Même après un siècle, le travail de Letronne est de première importance. Une aura de jeunesse en émane. C’est non seulement sa méthode que nous employons dans nos études, mais beaucoup des interprétations qu’il développa, des conjectures et corrections qu’il proposa ont été confirmées par le travail postérieur. Il a justement été dit de lui : ‘il défendait le droit de faire des erreurs, mais il a rarement usé de ce droit’. On peut ajouter que même ses erreurs étaient instructives ». Robert, L’Épigraphie grecque [1939], p. 8.
  125. Pour de claires déclarations sur ce point, voir Letronne, Recherches géographiques et critiques sur le livre (1814), p. i, vi, 31.
  126. Letronne, Sur la traduction d’Hérodote (1823), p. 3.
  127. Voir Robert, L’Épigraphie grecque [1939], p. 12 ; et Letronne, Matériaux pour l’histoire du christianisme en Égypte (1832), p. 26.
  128. Letronne, Projet de diviser en sections (1834), p. 2-3.
  129. Letronne avait une profonde prévention à l’encontre de ce qui était alors considéré comme étant des cultures non lettrées. Il écrivit à propos de l’exclusion des cultures de l’Afrique et de l’Amérique du Nord de son plan dans les termes suivants : « Tout ce qui, dans cette partie du monde, est non asiatique ou européen, appartient à des peuples qui, n’étant pas entrés dans le domaine de l’histoire, sont au-delà du champ de recherche de l’Académie. Cela peut être dit aussi des Amériques, qui n’entrèrent pas dans le domaine de l’histoire avant le XVe siècle. Les langues des Amériques, n’étant pas liées à la littérature, et étant donné le petit nombre de leurs monuments dont les dates ne sont pas connues et qui ne sont attachés à aucune histoire, peuvent certainement être d’intérêt pour un philosophe mais ne pourront jamais être l’objet d’une recherche vraiment historique ou littéraire ». Letronne, Projet de diviser (1834), p. 26-27.
  130. Walckenaer, « Notice historique sur la vie et les ouvrages de M. Letronne » (1850), p. 101.
  131. Letronne, « Observations historiques et géographiques sur le périple » (1825), p. 20.
  132. Letronne, « Observations historiques et géographiques sur le périple » (1825), p. 5.
  133. Letronne, Essai critique sur la topographie de Syracuse (1812), p. 92.
  134. Letronne, Considérations générales sur l’évolution des monnaies (1817), p. viii.
  135. Letronne, Sur la séparation primitive des bassins (1839), p. 3-4.
  136. Lacouture, Champollion (1988), p. 230.
  137. Letronne, Recherches critiques, historiques et géographiques sur les fragments de Héron d’Alexandrie (1851), p. v.
  138. Letronne, Recueil des inscriptions grecques et latines (1842), 1, p. xliii.
  139. Letronne, Recueil des inscriptions grecques et latines (1842), 1, p. xliii.
  140. Letronne, Nouvelles recherches sur le calendrier (1863), p. 120.
  141. Letronne, Discours prononcé à l’inauguration de l’école (1847), p. 11.
  142. Letronne, « Premier mémoire : inscription grecque » 1832, p. 9.
  143. Letronne, Recueil des inscriptions grecques et latines (1842), 1, p. 1.
  144. Letronne, Sur la séparation primitive des bassins (1839).
  145. Letronne, Recueil des inscriptions grecques et latines (1842), 1, p. 137 et 174-188.
  146. Letronne, L’Isthme de Suez (s. d.) [1841].
  147. Letronne, Recueil des inscriptions grecques et latines (1842), 1, p. 187.
  148. Letronne, Observations historiques et géographiques sur l’inscription d’une borne militaire [1844-1845].
  149. Voir Carette, « Recherches sur la géographie et le commerce de l’Algérie » (1844) et Carette « Étude sur les routes suives par les Arabes » (1844).
  150. Letronne, Sur quelques points de la géographie ancienne (1845).
  151. Letronne, Nouvelles recherches sur le calendrier des anciens Égyptiens (1863), p. 144.
  152. Letronne, Discours prononcé (1847).
  153. Humboldt citait l’article de 1831 de Letronne sur l’Atlas et semble avoir eu un grand respect pour l’érudition et les vues de celui-ci. De fait, il se réfère à Letronne comme « mon savant et illustre ami. » Voir Letronne, « Essai sur les idées cosmographiques » [1831], section 7 ; et Humboldt, Examen critique (1836), 1, p. 30, 37, 174-175, 179, 193 ; 2, p. 90 ; 3, p. 118-129. Walckenaer citait également Letronne, mais seulement parce qu’il était en désaccord avec lui ; voir Walckenaer, Géographie ancienne (1839), p. 30.
  154. Robert, L’Épigraphie grecque [1939], p. 6, 15 et 228.
  155. Walckenaer, « Notice historique sur la vie et les ouvrages de M. Letronne » (1850), p. 61.
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Pau
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EAN html : 9782353111633
ISBN html : 2-35311-163-7
ISBN pdf : 2-35311-164-5
ISSN : 2827-1882
40 p.
Code CLIL : 3396
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Comment citer

Godlewska, Anne Marie Claire, « Une géographie historique rigoureuse », in : Godlewska, Anne Marie Claire, La science géographique en France de Cassini à Humboldt. Une mutation hésitante, Pau, PUPPA, Collection Sp@tialités 3, 2023, 303-342 [en ligne] https://una-editions.fr/une-geographie-historique-rigoureuse/ [consulté le 26/02/2024].
doi.org/10.46608/spatialites3.9782353111633.11
Illustration de couverture • peinture d'Izabella Godlewska de Aranda.

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