UN@ est une plateforme d'édition de livres numériques pour les presses universitaires de Nouvelle-Aquitaine

Un habitat de hauteur fortifié dans les Maures :
le Peigros (Sainte-Maxime, Var)

Comprendre la relation entre habitats de hauteur fortifiés et territoire environnant est un des enjeux majeurs des études micro-régionales. Le statut de l’habitat et les modalités de son emprise sur les terroirs avoisinants sont au cœur des problématiques d’occupation. Habitat d’une élite locale ? Contrôle des passages et/ou contrôle des terres agricoles et des ressources minérales ou surveillance de la côte ? C’est pour répondre à quelques-unes de ces questions qu’il a été décidé en 1990 d’entreprendre la fouille d’un des rares sites mineurs identifiés dans le Var, en parallèle aux prospections et aux analyses environnementales conduites dans le cadre de l’ATP Fréjus-Argens dans les Maures1. Cette recherche se situait donc dans le droit fil des interrogations de P. Arcelin2.

Le choix s’est porté sur le Peigros, un petit site de hauteur proche de la côte dans l’espoir de pouvoir établir une relation entre ce site et les vallons environnants en cours de prospection. Il avait fait l’objet peu de temps auparavant d’un sondage par le Dr. Wallon en 1968 et d’un repérage par G. Congès et G. Sauzade en 1987. Le Dr. Wallon avait identifié un rempart et une occupation du VIe-Ve s. a.C. sur l’étroit sommet du Peigros3. À l’époque de la fouille (été 1990 et printemps et été 1991), les habitats de hauteur du Premier âge du Fer dans les Maures étaient fort mal connus en dehors des deux grands sites fortifiés du Montjean et de Maravielle4. En dépit de prospections pédestres intensives, la relation de l’habitat avec son territoire n’a pu être établie de façon directe. Si 165 lieux de trouvailles (petits habitats, épandages de céramiques, lieux d’extraction minière) ont bien été trouvés lors des prospections menées par M. Gazenbeek et J.-M. Michel, aucun n’a pu être précisément daté du Premier âge du Fer, la céramique commune non tournée ne fournissant la plupart du temps qu’un cadre chronologique préromain sans plus de précision. Si l’appartenance au VIe-Ve s. de tous les sites préromains non datés ne peut être invoquée, la probabilité reste toutefois forte que certains d’entre eux soient antérieurs au IVe s. Les graines carbonisées retrouvées au Peigros ne peuvent y avoir été plantées, cela montre bien qu’il existe une relation du site avec les zones cultivées en contrebas5. De même, la présence de céramique tournée d’importation place le Peigros au sein des circuits d’échange côtiers entre l’Italie, Marseille et son hinterland – fut-ce de façon modeste.

Le contexte géologique et géographique

Les Maures sont un massif primaire, traversé par deux grandes failles de direction nord-sud qui relient la côte à la vallée de l’Argens et qui se rencontrent au Muy. Le Peigros, au sommet duquel se trouve le site, est localisé dans la partie orientale du massif, juste au dessus du col de Gratteloup et surplombe la voie de communication du Muy à Sainte-Maxime qui suit une de ces failles (fig. 1-1). Le gneiss prédomine, c’est la roche qui affleure au sommet du Peigros, accompagnée de quelques zones de granit, liées sans doute à un accident géologique mineur repérable sur les cartes géologiques. Plusieurs vallons qui descendent du Peigros forment autant de voies de communication avec divers points de la côte.

 Situation du Peigros (étoile) dans la partie orientale des Maures, de Maravielle (1) et du Montjean (2) ; 2. Plan du Mont Peigros ; en grisé le mur et son éboulis (relevé A. Carrier) ; 3. Plan de masse des fouilles (plan SVDL) ; 4. Le mur et l’éboulis vu de l’extérieur ; 5. Le parement interne et la surface du niveau inférieur en T6 ; à gauche, au pied du mur, à 20 cm à gauche de l’écriteau, le ciseau à douille en fer ; 6. Le parement interne en T6 et le sol sur lequel il repose ; 7. Vue de la disposition en rangées plus ou moins régulières des blocs à l’intérieur du mur après dégagement des pierres descellées. À droite, les blocs de la rangée externe sont plus importants que les blocs du centre de la photo ; 8. Le mur avec, en coupe au 2e plan et au fond à droite, le massif de moellons ; au fond vue de l’intérieur du mur en T2 ; 9. Rangée de dalles obliques appartenant très probablement à un bord de case en T16 (montage photo).
Fig. 1. Situation du Peigros (étoile) dans la partie orientale des Maures, de Maravielle (1) et du Montjean (2) ; 2. Plan du Mont Peigros ; en grisé le mur et son éboulis (relevé A. Carrier) ; 3. Plan de masse des fouilles (plan SVDL) ; 4. Le mur et l’éboulis vu de l’extérieur ; 5. Le parement interne et la surface du niveau inférieur en T6 ; à gauche, au pied du mur, à 20 cm à gauche de l’écriteau, le ciseau à douille en fer ; 6. Le parement interne en T6 et le sol sur lequel il repose ; 7. Vue de la disposition en rangées plus ou moins régulières des blocs à l’intérieur du mur après dégagement des pierres descellées. À droite, les blocs de la rangée externe sont plus importants que les blocs du centre de la photo ; 8. Le mur avec, en coupe au 2e plan et au fond à droite, le massif de moellons ; au fond vue de l’intérieur du mur en T2 ; 9. Rangée de dalles obliques appartenant très probablement à un bord de case en T16 (montage photo).

Le site

Il s’agit d’un petit site de hauteur (un des plus hauts dans cette partie des Maures, 532 m) qui domine l’unique voie de communication directe entre Le Muy et le littoral. Le sommet comporte une plateforme d’environ 75 x 35 mètres (correspondant à la courbe de niveau des 526 m). La partie orientale, plus haute de 6 m, forme un petit surplomb de 15 x 10 m (fig. 1-2). Lorsqu’il est dégagé de toute végétation, comme c’était le cas après l’incendie de septembre 1990, la vue s’y déploie sur 360° et inclut la baie de Fréjus, la baie de Saint-Tropez, les Maures orientales, la vallée de l’Argens et les Préalpes. Les faces sud-ouest, nord-ouest et nord-est sont abruptes – les deux dernières dès le sommet. La face sud-est descend en pente plus douce et comprend une fortification de pierres sèches et deux avant-murs, puis de nombreuses restanques modernes en pierres sèches qui retiennent la terre des terrasses plantées de chênes-lièges. Plusieurs vallons comme celui de la Garonette ont leur origine sur un flanc du Peigros. L’un d’entre eux forme un petit bassin interne dont l’utilisation agricole peut avoir commencé tôt. En dépit des destructions, de l’éboulement avancé du mur et des nombreux chênes-lièges qui parsèment la pente sud-ouest ainsi que le versant ouest, il a été possible de fouiller 116 mètres carrés en planigraphie, de suivre le mur sur 20 m et d’ouvrir 3 tranchées mécaniquement afin de l’étudier en coupe (fig. 1-3). Un sondage extérieur a permis d’étudier un des avant-murs et la position des tessons et des pierres qui le composaient.

L’enceinte

L’enceinte du Peigros est un mur de soutènement fortement éboulé qui s’étend de l’enrochement de la limite est jusqu’au chemin d’accès moderne du sud-ouest, au niveau de la cote 526-527 m. Elle n’apparaît plus au promeneur que comme un talus asymétrique d’un dénivelé de 3m par rapport au bas de l’éboulis qui s’étale sur 6,5 m du haut vers l’extérieur (fig. 1-4). Le sommet actuel dépasse à peine de la plateforme mais la quantité et les dimensions des blocs dans l’éboulis, notamment au pied, font penser que sa hauteur pouvait facilement être le double de la hauteur actuelle soit au moins 2 m de haut. Il s’agit d’un mur à double parement en appareil polygonal irrégulier, sans module préférentiel, et dont le parement externe n’est plus discernable que dans les tranchées ouvertes mécaniquement. Le parement interne a été mis en évidence sur 13 m dans 4 sondages répartis sur 30 m de long (fig. 1-5 à 8 et 2-1). Au sein du mur, de très gros blocs en roche locale (gneiss) allant jusqu’à 70 cm de long voisinent avec des pierres de plus petite taille entre lesquelles s’intercalent des plaquettes d’une dizaine de centimètres. Les blocs ont le plus souvent été entassés sans souci d’horizontalité ni d’effet de lits successifs. Les blocs de la première assise sont disposés tantôt sur la roche en place, tantôt sur la roche décomposée qui la surmonte. Dans la coupe ouverte dans la tranchée T2, une grande partie des pierres disposées au sein du mur le sont à l’horizontale, ce qui n’est pas toujours le cas des pierres de la première assise. Elles ne se déchaussent pas facilement, contrairement aux pierres de même taille de la surface de l’éboulis. Il existe une certaine variabilité dans le montage du mur. En T2, les blocs de la première assise du parement interne reposent tous sur la roche en place. En T6 les blocs de la première assise sont horizontaux et calés par de petites pierres (fig. 1-5). De nombreux blocs de l’assise supérieure actuelle sont disposés en boutisse, ce qui contribue à solidifier le mur. En T6, à l’intérieur du mur, une blocaille de petites pierres est contenue par une rangée de blocs plus réguliers disposés sur plusieurs assises (fig. 1-7). On ne le retrouve pas dans la tranchée T2 à un mètre de là. Dans le sondage T12, les blocs à la base du parement interne sont de plus grande taille que les pierres de l’intérieur du mur, ils font jusqu’à 60 cm de haut et sont posés de chant. Dans la rangée suivante, les blocs plus petits sont également disposés en boutisse. Il existe donc une certaine variabilité dans la disposition des blocs.

 Plan des sondages : en grisé les blocs du parement interne et du parement externe. En T16, l’alignement de petites dalles obliques appartenant sans doute à un bord de case ; en T1 noter le large trou de poteau implantée au milieu du mur en noir les tessons de céramiques ; en contour les pierres ; les cercles représentent les arbres (PAO Maurice Hardy) ; 2. Coupe S-N de la tranchée 2 (en grisé, le sédiment encaissant ; en hachuré, les blocs provenant des parement ; en avant du parement interne, la berme au cailloutis) ; 3. Coupe SSE- NNW de la tranchée 15 (en grisé, le sédiment encaissant ; en hachuré, les blocs provenant des parements) ; 4. Coupe nord-sud de la tranchée 14 (en grisé foncé, le sédiment encaissant ; en grisé clair, le sol superficiel ; en hachuré, les blocs provenant des parements).
Fig. 2. Plan des sondages : en grisé les blocs du parement interne et du parement externe. En T16, l’alignement de petites dalles obliques appartenant sans doute à un bord de case ; en T1 noter le large trou de poteau implantée au milieu du mur en noir les tessons de céramiques ; en contour les pierres ; les cercles représentent les arbres (PAO Maurice Hardy) ; 2. Coupe S-N de la tranchée 2 (en grisé, le sédiment encaissant ; en hachuré, les blocs provenant des parement ; en avant du parement interne, la berme au cailloutis) ; 3. Coupe SSE- NNW de la tranchée 15 (en grisé, le sédiment encaissant ; en hachuré, les blocs provenant des parements) ; 4. Coupe nord-sud de la tranchée 14 (en grisé foncé, le sédiment encaissant ; en grisé clair, le sol superficiel ; en hachuré, les blocs provenant des parements).

Il n’a pas été possible de reconnaître le parement externe à la fouille en raison du délabrement du mur. Les parements interne et externe apparaissent toutefois dans les tranchées T13, T14 et T15 faites à la pelle mécanique, comme dans la section de T2, sous forme d’empilements irréguliers sub-verticaux de blocs plus grands que les pierres de blocaille. La distance entre ces empilements montre que l’épaisseur du mur tourne de façon constante autour de 2,80 m (fig. 2-2 à 4).

On observe à l’intérieur du site, le long du mur, dans la tranchée T2, dans les sondages T6, T8 et T12, un amoncellement de plaquettes de gneiss sur 1,5 m qui s’appuie sur la façade interne du mur (fig. 1. 8). Le même amoncellement de plaquettes et petites pierres est adossé au parement interne dans la tranchée T15. Dans la tranchée T2, il repose sur un massif de terre de 20 à 40 cm de haut, formant une banquette de 50 cm de large le long du parement interne et mis en place avant le nivellement par l’apport de la couche inférieure. S’agit-il d’un éboulis issu de la blocaille interne ou d’un drain ? On retrouve le massif de terre dépourvu de tesson sur les 15 derniers centimètres surmontant la roche décomposée dans le sondage T8.

L’intérieur du site

Les destructions liées à l’installation de plusieurs antennes et d’un transformateur n’ont guère laissé d’espace intérieur à étudier. Elles ont dû porter également sur la zone d’entrée puisqu’on n’a plus aucune trace d’une entrée ou d’une porte. Un long sondage transversal a permis d’étudier la mise en place des sédiments à l’intérieur de l’habitat. Retenus par le mur, ils donnent au sommet du Peigros une apparence de plateforme plus ou moins artificielle. Ils proviennent essentiellement de la décomposition du gneiss local mais sont fortement enrichis en matière organique, en particulier dans la partie supérieure où se trouvent des micro-charbons de bois. Ils ont fait l’objet d’une pédogénèse post-dépositionnelle qui ne permet plus de lire clairement la stratigraphie. Sur la base des observations sédimentaires, et de l’intensité de la pédogénèse, un essai de division en cinq couches avait été tenté puis abandonné au vu des remontages céramiques. Deux couches peuvent finalement être distinguées. La couche supérieure comporte à sa surface un sol d’occupation ou d’abandon caractérisé par de gros fragments de poterie écrasés sur place dans le secteur 7 et le secteur 8, et il apparaît comme une ligne horizontale de tessons sur la coupe ouest de la tranchée médiane (T2). Sous le sol, les deux couches forment des ensembles structurellement homogènes à l’intérieur desquels tessons et plaquettes de gneiss se répartissent irrégulièrement. La couche supérieure, plus riche en restes céramiques, contient beaucoup moins de pierres que la seconde et en est séparée par un cailloutis dont les éléments proches du mur sont plus petits et beaucoup plus abondants que ceux du reste du secteur et font partie du renfort plaqué contre le mur. La disposition des pierres est tout à fait différente dans la couche inférieure avec une raréfaction en descendant et en s’éloignant du mur. Dans cette couche a été trouvé un ciseau à douille en fer (fig. 1-6). Les remontages déjà effectués pour les sondages T6 et T8 montrent que les tessons remontent sur toute la hauteur de la couche supérieure. Par ailleurs, une analyse granulométrique a montré que la composante argileuse du sédiment ne correspondait pas à de l’argile constructible. Les fragments de torchis sont d’ailleurs rares. Le nivellement de la plateforme sommitale du Peigros, naturellement en pente, a été créé par l’apport de remblais prélevés sur les pentes à proximité.

Un trou de poteau de 40 cm de diamètre avec calage de pierres est implanté au milieu du mur dans la tranchée T1. On ne sait rien malheureusement de son contexte immédiat, en raison du passage de clandestins qui ont fortement perturbé le reste de cette tranchée qui faisait suite au sondage Wallon de 1988.

Un alignement de petites dalles plantées à l’oblique et long de 2,50 m a été mis au jour dans le sondage T16, à proximité du chemin carrossable qui traverse le sommet du Peigros dans sa longueur (fig. 1-9). Il s’agit très probablement d’un bord de case disposé parallèlement au mur d’enceinte. Les autres bords n’ont pu être repérés en raison des destructions antérieures et de la présence d’un arbre.

Le mobilier

La céramique est essentiellement composée de poteries indigènes modelées. La pâte, dont la couleur varie du rougeâtre au brun, comprend un dégraissant local souvent grossier, à base de gneiss. Elle représente plus de 90 % des poteries mises au jour (plus de 2000 tessons)6. Cette céramique modelée comprend pour une bonne partie de grandes urnes d’une hauteur de 30 à 45 cm, d’une épaisseur de paroi de 1 à 1,5 cm et d’un diamètre maximal entre 20 et 35 cm. Le profil est simple et comprend de nombreuses formes à profil en S aplati avec un col d’à peu près 2 cm de haut et un bord peu déversé à vertical. Les fonds sont plats et leur diamètre atteint fréquemment 10 à 30 cm (fig. 3-1 à 4). Ces vases rentrent dans les types Bérato d’urnes7, notamment la forme Bérato 1350 (fig. 3-1) que J. Bérato décrit ainsi : ”urnes à bord court bien individualisé et évasé réalisant une forme de passage entre l’urne du premier et du Second âge du Fer. Lèvre simple. Le flanc est oblong… la surface est lissée”8. L’épaule est décorée de motifs en chevrons incisés. J. Bérato identifie également une variante 1372 (fig. 3-6) de la forme 1370 : une urne à bord convexe externe dont la lèvre est simple et amincie, à fond plat, sans décor9. Il existe un certain nombre d’exemplaires plus petits et/ou plus ronds. Ce sont des urnes plus ramassées dont la variante 1411 de la forme 1410 : urne globuleuse, à col peu déversé et lèvre amincie, décorée de chevrons sur l’épaule (fig. 3-3). J. Bérato les date toutes trois du Ve siècle.

 1-4. Urnes dont (1) forme Bérato 1350 ; 3. Variante 1411 de forme Bérato 1410 ; 5. Bol forme Bérato 3420 ; 6. Urne large variante 1372 de la forme Bérato 1370 ; 7-8. Coupes dont (7) variante 3130 ; 9. Fragment de faisselle ; 10. Anse d’amphore étrusque ; 11 et 12. Anses d’amphores massaliètes (dessins J. Chevalier).
Fig. 3. 1-4. Urnes dont (1) forme Bérato 1350 ; 3. Variante 1411 de forme Bérato 1410 ; 5. Bol forme Bérato 3420 ; 6. Urne large variante 1372 de la forme Bérato 1370 ; 7-8. Coupes dont (7) variante 3130 ; 9. Fragment de faisselle ; 10. Anse d’amphore étrusque ; 11 et 12. Anses d’amphores massaliètes (dessins J. Chevalier).

Les petites jattes ou coupes à bord effilé sont beaucoup plus rares. Il semble donc que les vases à provisions dominent. Parmi les quelques bols, on note une forme Bérato 3130 caractérisée par ”un flanc convexe et un bord curviligne nettement rentrant dont la lèvre est simple [et] arrondie”10 ainsi qu’une forme 3420 à flanc convexe et bord très légèrement éversé et lèvre arrondie et épaissie11 que J. Bérato place autour de 500 a.C. (fig. 3-5, 7 et 8). Un fragment de faisselle a également été mis au jour, confirmant le statut d’habitat du lieu (fig. 3-9).

L’étude technologique, entamée et interrompue, a porté sur le remontage et l’étude d’une douzaine de vases en poterie commune du niveau supérieur des tranchées 6 et 8. Les potiers (potières) ont utilisé une argile non épurée qui contient une quantité considérable de granules de mica, de calcite et de granite dont il n’est pas sûr qu’elles aient été ajoutées. La cuisson des pots s’est déroulée en milieu oxydant, probablement à feu ouvert. L’argile et l’absence de traces de cuisson sur place semblent indiquer une provenance locale mais pas sur le site. Les analyses de technologie céramique qui avaient été entreprises pourraient indiquer qu’à côté des montages aux colombins, il pourrait exister quelques exemples de céramique moulée. Certains vases ont servi à la cuisson car ils portent des traces de passage au feu.

On trouve quelques tessons d’une céramique modelée fine, montée au colombin et cuite jusqu’à vitrification. Ce pourrait être une adaptation de la technique locale à des matériaux allochtones. La céramique importée12 est présente en très faible quantité. Il s’agit surtout d’amphores et, occasionnellement, de céramique fine tournée à pâte claire. Parmi les amphores, les productions étrusques sont attestées par 5 fragments à pâte brune et cœur gris-noir sans engobe (fig. 3-10), caractéristiques des formes 3A-B et 413. Les amphores massaliètes, en pâte jaune ou ocre rouge, bien que rares, sont trois fois plus abondantes : deux anses, un bord de type 1 et un fond à bobine creuse ; une anse, un bord de type 3 et un bord de type 5 ainsi que des fragments non identifiables (fig. 3-11 et 12). La céramique tournée à pâte claire est la seule céramique fine. Elle est représentée par quelques fragments dont un bord, une anse et un morceau de panse à rainure qui appartiennent sans doute au même vase : une œnochoé à embouchure ronde et lèvre biseautée.

Datation 

Les formes les plus caractéristiques de la céramique grossière permettent de placer l’occupation du Peigros aux VIe et Ve s. a.C. Un bord de cruche importée en céramique fine ocre jaune portant des traces effacées de peinture noire (?) pourrait être un peu plus tardif. À cette exception près, il n’existe pas de mobilier archéologique local plus récent. La présence d’amphores étrusques associées à des amphores massaliètes situe également l’occupation aux VIe-Ve s. L’absence de bord d’amphore étrusque ne permet pas de préciser davantage (formes 3A-B : 625-525 ; forme 4 : 525-37514). En revanche, les éléments typologiques reconnus dans les amphores massaliètes sont mieux datés :

  • le fond en bobine creuse est caractéristique de la forme 1 de ces amphores15 attestée entre 550 et 475 a.C.16
  • Il en est de même du bord de type 117 (550-500 a.C.).
  • Le bord de type 3 date plutôt de la première moitié du Ve s. (Py 1978 ; 1993, 62, 550-500 a.C.)
  • le bord de type 5 apparaît au milieu du Ve s. et se rencontre jusqu’à la fin du IVe, mais plutôt dans la seconde moitié du Ve s.18 (550-500 a.C.). Une forme intermédiaire 3/5 apparaît dès 475 a.C.19

Ces datations, établies dans la région de Nîmes, peuvent être corrigées par comparaison avec le site plus proche du Mont-Garou (Sanary, Var) qui a révélé une stratigraphie fine pour cette période20. Des documents tout à fait comparables aux nôtres s’y rencontrent aux périodes 3, 4 et 5, datées entre 520 et 380 a.C. L’association des bords d’amphore massaliète de type 1 et 5 y est attestée dès la période 3 (520-480 a.C.). Par ailleurs, si le sondage stratigraphique du Mont-Garou n’a pas livré de bord de type 3 en amphore massaliète, il en existe dans les fouilles anciennes21.

En outre, les niveaux de la période 3 ont livré des fragments d’œnochoé tout à fait semblables à ceux du Peigros22 ; c’est une forme qui disparaît au Mont-Garou avant 40023. Elle correspond à la cruche 543 en pâte claire massaliète, datée entre 525 et 35024. Sur les sites de l’Ouest varois, on a noté la forte progression de l’amphore massaliète qui se fait au détriment de l’amphore étrusque au cours du Ve s. et qui atteint son maximum vers 400 a.C. Ainsi, malgré le peu d’indices de datation, on peut inscrire les occupations du Peigros dans le Ve s. a.C.

Les seuls objets métalliques mis au jour : un ciseau à douille et un anneau de fer, n’apportent pas d’indications chronologiques complémentaires. Le matériel de mouture est absent alors qu’il est présent dans plusieurs habitats de hauteur contemporains : Le Montjean sur la commune de La Môle25, Castel-Diol aux Arcs26 – mais il est également absent d’habitats fortifiés pauvres en mobilier tel Maravielle27. Le bord de case subsistant, le fragment de faisselle, l’abondance de la céramique commune, dont de grands vases, et le dépôt de graines carbonisées témoignent en faveur d’un habitat.

Le Peigros dans le contexte régional

En dépit des dégradations, le Peigros présente bien les caractéristiques des habitats de hauteur de la fin du VIe et du Ve s. connus dans les Maures et dans le Var. Il est implanté en bord d’un à-pic et bordé d’un mur de soutènement à double parement. Le sol à l’intérieur a été nivelé et il a sans doute contenu des cases à soubassement en pierres au moins dans sa phase récente. On peut le comparer à l’habitat du Montjean ou à celui de Thèmes-Ouest à Rocbaron28 pour leur mur à double parement d’épaisseur comparable. Comme au Montjean et aux Cugulons à Moissac-Bellevue29, des avant-murs protègent l’accès le moins abrupt. Sa superficie de 2500 mètres carrés le place plutôt dans les habitats de taille modeste. Enfin le mobilier céramique qui y a été trouvé conforte cette datation. Elément d’un habitat dispersé ou habitat d’une élite locale au centre d’un petit territoire ? L’abondance de la céramique dont même la poterie commune ne semble pas avoir été produite sur place, la présence, rare en général, d’objets métalliques et la présence de ressources végétales alimentaires qui n’ont pu pousser que dans les bassins agricoles plus bas, l’existence d’un mur dont la construction a requis un travail collectif, témoignent d’une prééminence du site sur son territoire. L’abondance des urnes et l’absence de dolia renvoient sans doute à un stockage de consommation domestique, à la différence, par exemple, de l’habitat de plaine de Touar aux Arcs-sur-Argens, plus ancien, dont l’abondance des récipients de stockage souligne le caractère agricole30. La présence de céramique d’importation insère le Peigros dans un réseau plus vaste que sa micro-région. On manque malheureusement d’éléments pour déterminer si le groupe familial qui y habitait cultivait lui-même les champs alentours ou s’il appartenait à une petite élite locale qui pouvait tirer des surplus des petits bassins cultivés environnants et des ressources minières proches31.

Bibliographie

  • Arcelin, P. (1999) : “L’habitat dans l’image sociale des Gaulois du Midi. La question des résidences aristocratiques”, in : Braemer et al., dir. 1999, 439-479.
  • Arcelin, P., C. Arcelin-Pradelle et Y. Gasco (1982) : “Le village protohistorique du Mont-Garou (Sanary, Var). Les premières manifestations de l’impérialisme marseillais sur la côte provençale”, DAM, 5, 53-137.
  • Association archéologique Aristide Fabre (1996) : Oppidum de Maravielle (commune de la Môle), http://www.fabrearcheo-var.fr/marav.htm
  • Braemer, F., S. Cleuziou et A. Coudart, dir. (1999) : Habitat et société. Actes des XIXe rencontres internationales d’archéologie et d’histoire d’Antibes, octobre 1998, Antibes.
  • Bérato, J., J.-L. Demontes et V. Krol (1999) : “Occupation du VIe-Ve s. av. J.-C., Le Touar, Les Arcs-sur-Argens (Var)”, Annales de la Société des sciences naturelles et d’archéologie de Toulon et du Var, 51, 24-33.
  • Bérato, J. et M. Borréani (2000) : “Les formes de l’habitat protohistorique dans le Var”, in : Chausserie-Laprée 2000, 113-116.
  • Bérato, J. (2002) : “Territoire et faciès culturel à l’âge du Fer dans le Var : bilan de vingt ans de recherches” in : Garcia & Verdin, dir. 2002, 160-172.
  • Verdin, dir. (2008) : “La céramique modelée de l’âge du Fer dans le Var”, in : Brochier et al., dir. 2008, 371-398.
  • Bertoncello, F. et M. Gazenbeek (1997) : “Dynamique du peuplement en moyenne montagne : le massif des Maures (Var) entre le deuxième âge du fer et la fin de l’Antiquité”, in : Burnouf et al., dir. 1996, 601-620.
  • Bertucchi, G. (1990) : “Les amphores massaliètes à Marseille : les différentes productions”, Les amphores grecques de Marseille, Études massaliètes, 2, 1990, 15-20.
  • Bertucchi, G. (1992) : Les amphores et le vin de Marseille, VIe s. avant J.-C.-IIe s. après J.-C., Paris.
  • Borréani, M., J. Bérato, C. Gébara et J.-M. Michel (1995) : “L’âge du Fer dans la dépression permienne, et dans les massifs des Maures et de l’Estérel (Var)”, DAM, 18, 45-77.
  • Burnouf, J., J.-P. Bravard et G. Chouquer, dir. (1996) : La Dynamique des paysages protohistoriques, antiques, médiévaux et modernes : XVIIIe Rencontres internationales d’archéologie et d’histoire d’Antibes, actes des rencontres, 19-20-21 octobre 1996, Sophia Antipolis.
  • Brochier, J.-E., A. Guilcher et M. Pagni, dir. (2008) : Archéologies de Provence et d’ailleurs – Mélanges offerts à Gaëtan Congès et Gérard Sauzade, Bulletin d’Archéologie de Provence Suppl. 5, Aix-en-Provence.
  • Brun, J.-P. (1999) : Var, CAG 83/1 et 83/2, Paris.
  • Chausserie-Laprée, J. (2000) : Le Temps des Gaulois en Provence, Martigues, Ville de Martigues, Musée Ziem.
  • Garcia, D. et Fl. Verdin, dir. (2002) : Territoires celtiques : espaces ethniques et territoires des agglomérations protohistoriques d’Europe occidentale, Actes du XXIVe Colloque de l’AFEAF, Martigues, 1-4 juin 2000, Paris.
  • Py, M. (1978) : “Quatre siècles d’amphores masssaliètes, essai de classification des bords”, Figlina, 3, 1-23.
  • Py, M. (1990) : Culture, économie et société protohistoriques dans la région nîmoise, CollEFR 131, Rome.
  • Py, M., dir. (1993) : DICOCER, Dictionnaire des Céramiques antiques (VIIe s. av. n. è.-VIIe s. de n. è.) en Méditerranée Nord-Occidentale (Provence, Languedoc, Ampurdan), Lattara 6, Lattes.
  • Trevillers, B. de et D. Wallon (1965) : “L’enceinte protohistorique du Montjean (commune de la Mole, Var)”, BSPF, 62, n°7, 228-230.
  • Wallon, D. (1969) : “Les fouilles de Montjean, commune de la Môle (Var)”, Annales de la Société des sciences naturelles et d’archéologie de Toulon et du Var, 21, 42-49.
  • Wallon, D. (1979) : “Les cols d’amphores ”massaliètes” de l’oppidum de Montjean, La Môle, (Var)”, RAN, 12, 43-54.
  • Wallon, D. (1984) : Un Oppidum côtier du Massif des Maures : le Montjean, le problème de ses relations avec Marseille, Mémoire de maîtrise, Université Paris I.
  • Wallon, D. (1991) : “Sainte-Maxime : Peigros”, Gallia Informations, 1990, 1 et 2, 235.

Notes

  1. Ce travail a été entrepris dans le cadre de l’ATP CNRS Fréjus-Argens (Histoire de l’occupation humaine du bassin de l’Argens et des Maures orientales). Bertoncello & Gazenbeek 1997.
  2. Arcelin 1982 ; Arcelin 1999.
  3. Wallon 1991.
  4. Depuis les connaissances ont progressé grâce notamment aux travaux de Borreani et al. 1995 ; Brun 1999, 514-516 ; Bérato et al. 1999 ; Bérato 2002 ; Bérato 2008 ; Bertoncello & Gazenbeek 1997 ; Wallon 1984, 1986, 476-477.
  5. L’analyse carpologique effectuée par Ph. Marinval indique la présence de céréales et de légumineuses ne pouvant croître sur les sédiments acides du sommet du Peigros. L’analyse palynologique de Bui-Thi-Maï témoigne également de champs et de pacages proches (article en préparation).
  6. La mort prématurée de Tinekke Struijke n’a pas permis de mener l’étude de la céramique à son terme.
  7. Bérato 2008, 375-378.
  8. Bérato 2008, 375.
  9. Bérato 2008, 376.
  10. Bérato 2008, 385.
  11. Bérato 2008, 387.
  12. L’étude de la céramique importée a été effectuée par J.-L. Fiches.
  13. Py 1990, 531-532 ; Py 1993, 29.
  14. Selon Py 1993, 29.
  15. Bertucchi 1990 ; Bertucchi 1992.
  16. Py 1990, 557-558 ; Py 1993, 61.
  17. Py 1978 ; 1993, 62.
  18. Py 1978 ; Py 1993, 62.
  19. Py 1993, 62.
  20. Arcelin et al. 1982.
  21. Arcelin et al. 1982, 99.
  22. Arcelin et al. 1982, fig. 20, n°120-121.
  23. Arcelin et al. 1982, 90.
  24. Py 1993, 217.
  25. Trevillers & Wallon 1965, 230 ; Wallon 1969 ; Wallon 1979.
  26. Brun 1999, 109 et 215.
  27. Wallon 1986, 277 et 1981, 538-539 ; Assoc. Arch. Aristide Fabre 1996.
  28. Brun 1999, 514-515 ; 606.
  29. Brun 1999, 514-515 et 513.
  30. Bérato et al. 1999.
  31. Nous exprimons notre gratitude à Bui-Thi-Maï, Jean-Luc Fiches et Philippe Marinval pour leur aide précieuse. Les résultats palynologiques et carpologiques feront l’objet d’une publication prochaine. Nous adressons également nos remerciements à Jacques Bérato, Jean-Pierre Brun et Gérard Sauzade pour les conseils qu’ils ont bien voulu nous donner durant la fouille.
Rechercher
Pessac
Chapitre de livre
EAN html : 9782356134929
ISBN html : 978-2-35613-492-9
ISBN pdf : 978-2-35613-493-6
Volume : 1
ISSN : 2827-1912
Posté le 08/05/2024
Publié initialement le 01/02/2013
8 p.
Code CLIL : 4117 ; 3385
licence CC by SA
Licence ouverte Etalab

Comment citer

Audouze, Françoise, van der Leeuw, Sander, “Un habitat de hauteur dans les Maures : le Peigros”, in : Krausz, Sophie, Colin, Anne, Gruel, Katherine, Ralston, Ian, Dechezleprêtre, Thierry, dir., L’âge du Fer en Europe. Mélanges offerts à Olivier Buchsenschutz, Pessac, Ausonius éditions, collection B@sic 1, 2024, 147-155, [en ligne] https://una-editions.fr/habitat-de-hauteur-fortifie-dans-les-maures-le-peigros [consulté le 08/05/2024].
doi.org/10.46608/basic1.9782356134929.15
Illustration de couverture • D'après la couverture originale de l'ouvrage édité dans la collection Mémoires aux éditions Ausonius (murus gallicus, Bibracte ; mise en lumière SVG).
Retour en haut
Aller au contenu principal