Identification d’une légende de la vallée
du Rhône sur un quinaire recueilli
en pays helvète

La découverte d’un denier de la vallée du Rhône en Suisse dans l’oppidum tardo-laténien de Sermuz (VD) permet d’identifier définitivement sa légende. Imparfaitement connue à ce jour, elle a suscité de nombreuses interrogations¹. En voici l’étude enrichie du corpus critique des monnaies de même type.

L’oppidum tardo-laténien de Gressy-Sermuz (VD, Suisse) (fig. 1)

À deux kilomètres au sud/sud-est d’Yverdon-les-Bains (VD, Suisse), s’élève un relief bordé de flancs abrupts. À environ 650 mètres au nord-est de l’extrémité du plateau, lieu-dit “Sur-Châtillon”, se trouve un monticule d’une trentaine de mètres de longueur et de plus de cinq mètres de hauteur. Agrémenté d’un parement de pierres sèches et renforcé d’une armature interne de poutres de bois entrecroisées et clouées, il répond exactement à la description que donne Jules César du murus gallicus².

Le mobilier céramique et métallique recueilli à “Sur-Châtillon”, l’oppidum jouxtant le rempart, provient de prospections partielles de surface menées sur autorisation du Service archéologique cantonal. Ainsi, avec des céramiques d’importation, des clous de chaussures typiques de 60-20 a.C., des fibules de type Alésia, 157 monnaies antiques découvertes à Sermuz et 2 flans monétaires en argent sont aujourd’hui conservés³. La monnaie allobroge présentée ici est parvenue en 2010 au Musée monétaire cantonal, accompagnée de 9 nouvelles pièces.

Avec le reste du mobilier archéologique, l’ensemble des monnaies permet de situer l’occupation de l’oppidum entre le milieu du I^er s. a.C. et le début de l’Empire romain. Sans fouille scientifique, ce corpus ne peut pas être rattaché à des horizons successifs. L’occupation de Sermuz demeure donc encore mal connue.

Un faciès monétaire caractéristique d’un camp

militaire tardo-laténien

Néanmoins, le faciès monétaire de Sermuz se distingue parfaitement de celui des agglomérations antérieures à l’épisode historique de Bibracte (57 a.C). Rappelons pour mémoire que selon la tradition écrite, César contraint les Helvètes à retourner sur le Plateau suisse après leur défaite à Bibracte⁴. Leur départ de ce territoire par l’incendie de leurs oppida, ne semble pas avoir laissé de traces tangibles⁵. Si plusieurs de leurs anciens sites présumés ne sont pas occupés à nouveau, comme en atteste par exemple l’homogénéité du faciès monétaire à ce jour identifié au Mont-Vully⁶, d’autres sites témoignent d’occupations postérieures à 58⁷. C’est justement le cas de l’oppidum de Sermuz.

En outre, le faciès de Sermuz diffère de celui des agglomérations contemporaines de la région, composé d’une forte proportion de bronzes gaulois tardifs, comme à Yverdon-les-Bains par exemple⁸ (fig. 2).

Il s’organise en effet principalement autour de 68 deniers ou quinaires gaulois⁹, de 17 bronzes gaulois et de 67 deniers et bronzes républicains et julio-claudiens. L’oppidum de Sermuz illustre parfaitement la large diffusion des types au cavalier, un autre exemplaire à la légende DVRNACOS/AVSCROCOS en provient également¹⁰.

À l’instar d’autres ensembles monétaires de composition analogue (La Chaussée-Tirancourt, Somme, par exemple), celui de Sermuz parle en faveur d’un camp militaire tardo-laténien¹¹. Il se place probablement dans le contexte d’un dispositif de défense créé au moment du retour des Helvètes dans leurs terres et maintenu jusqu’à l’époque postérieure à la guerre des Gaules. Il met enfin en évidence des usages monétaires inconnus jusqu’ici¹².

Description de la monnaie (fig. 3)

Vallée du Rhône, (peuple présumé des Allobroges), I^er s. a.C.,

quinaire au cavalier

Historiographie et corpus

La monnaie recueillie à Sermuz est rarissime. Nous en retrouvons six à sept autres exemplaires en parcourant la littérature ancienne. La lecture des légendes évolue au cours du temps sans toutefois être définitive.

Bouteroue est le premier à faire connaître cette monnaie dans son catalogue de 1666 sous la rubrique PETRVCOR qu’il rapproche du nom “des Pétrucores”, peuple régional du Périgord (fig. 4). Il ne lit pas la légende du revers et ne précise pas où se trouve la pièce qu’il décrit¹³.

En 1851, La Saussaye illustre le quinaire aujourd’hui conservé à Lyon. Il persiste à l’attribuer aux Petrocorii et observe que Lagoy le classe avec ceux au cavalier de la vallée du Rhône¹⁴. Duchalais refuse de lire autre chose que PIRRVCORI¹⁵. Hucher décrit cet exemplaire dans son catalogue critique des légendes de monnaies gauloises, et restitue ACINCOVEPVS/PETRVCORI ou PERRVCORI (fig. 5). Il précise en outre que l’A initial n’est pas certain et que l’inscription PERRVCORI a des partisans. Il ajoute enfin que “… les Pétrocoriens sont bien éloignés du gisement habituel” des médailles au cavalier et donne raison à Lagoy pour les attribuer à la vallée du Rhône¹⁶.

Barthélémy compte un exemplaire à la légende PETRVCORI dans le trésor de Vernon (Vienne) découvert en 1874 lors du déracinement d’un arbre¹⁷. La céramique mise au jour contenait plus de 2000 pièces mêlant deniers de la République romaine et monnaies gauloises, soit près de 7 kilogrammes d’argent. La datation de ce dépôt est, d’après sa composition, postérieure à la guerre des Gaules. Le même chercheur étudie un lot associant 13 monnaies romaines à plus de 700 monnaies gauloises provenant de Jersey. Suite au glissement d’une falaise dans la baie de Rozel, on découvrit en 1875 un grand nombre de monnaies gauloises contenues probablement dans deux cachettes différentes, dont une à la légende PETRVCORI. L’enfouissement de ce trésor se situe après la guerre des Gaules, vers 40 a.C.¹⁸. Barthélémy partage le point de vue de Hucher en lisant PETRVCORI/ACINCOVEPVS¹⁹.

En 1860 de Saulcy classe cette monnaie avec celles au cavalier qu’il attribue à tort à la ligue gauloise contre Arioviste et les Helvétiens et lit PETRVCORI/ACINCOVEPVS²⁰. En 1896, Serrure l’attribue aux Voconces en proposant d’y reconnaître le nom d’un magistrat divisé en deux mots : ACIN(ius) COVEPVS, ce qui est erroné²¹.

Dans un article de 1961, à la suite de Duchalais qui avait envisagé cette lecture en premier, Colbert de Beaulieu déchiffre désormais PIRRVCORI²². Pour ce faire, il se fonde sur l’exemplaire lyonnais dont la légende est légèrement tronquée et sur celui trouvé dans le trésor de Jersey qui fait l’objet d’une lecture erronée. Il cherche ainsi à prouver qu’il est inutile de vouloir attribuer cette monnaie aux Petrocorii et sur ce point il avait raison. En 1971, il revient néanmoins sur sa lecture grâce à la découverte d’un exemplaire conservé au Musée archéologique de Nîmes où la légende à l’avers est complète²³. Au revers, Colbert de Beaulieu est le premier à proposer la légende SCINCOVEPVS. À sa suite, Scheers, Richard, Deroc et Van der Wielen s’accordent tous sur une légende PETRVCORI/SCINCOVEPVS. Richard va jusqu’à rapprocher SCINCOVEPVS du lieu de SCINGOMAGVS, soit “le point extrême de la Terre de Cottius” d’après Strabon²⁴. Cette interprétation ne peut plus être acceptée aujourd’hui à la lumière du nouvel exemplaire de Gressy/Sermuz.

En 1998, Fischer revient avec prudence sur cette légende en dressant un inventaire précis des différentes interprétations²⁵. Elle rappelle judicieusement que PETRVCORI/CINCOVEPVS fait probablement référence a un simple qualificatif ethnique qui n’apporte aucune information quant à la diffusion géographique de cette monnaie, au même titre que les monnaies TVRONOS/CANTORIX ou GERMANVS/INDVTILLI L. Aujourd’hui, grâce à la découverte de Sermuz, nous sommes en mesure d’affirmer que la légende doit être lue : PETRVCORI/ACIVCOVEPVS.

Voici par ordre de découverte, la description et l’illustration, quand celle-ci existe, du corpus des exemplaires connus avant celui de Sermuz.

Lyon (fig. 6)

[PE]TRVCORI/[ACIV]COVEPVS

AR ; 1,70 g ; 14 mm.

Lyon, Musée Saint-Pierre, 65277 (legs L. de La Saussaye, 25 décembre 1863 – provenance inconnue).

Réf. : La Saussaye 1851, 388-389 et pl. XV.1 (PETRVCORI/CINCONEPVS) ; Hucher 1868, pl. 98.2 (PETRVCORI/CINCOVEPVS) ; Hucher 1873, 137 (PETRVCORI ou PERRVCORI/ ACINCOVEPVS) ; Brenot & Scheers 1996, n°277 (1.70 g) ([PE]TRVCORI/ SCINCOVEPVS) et p. 13 (legs de La Saussaye) ; Colbert de Beaulieu & Fischer 1998, n°222 (PETRVCORI/ [?]SCINCOVEPVS) ; Depeyrot 2002, 115, n° 113 (PETRVCORI/ SCINCOVEPVS) ; Delestrée & Tache 2007, 3169 (PETRVCORI/SCINTOVEPVS).

Trésor de Vernon (Vienne), 1874

VCORI/

AR ; /

Pas d’image.

Réf. : Barthélémy 1874, 524 ([PETR]VCORI/[ACINCOVEPVS].

Trésor de Jersey, Rozel, 1875

PETRVCORI/ACINCOVEPVS ?

AR ; /

Pas d’image.

Réf. : Barthélémy ne lit pas la légende, mais adopte PETRVCORI/ACINCOVEPVS (Barthélémy 1884a, 185) d’après La Saussaye 1851 ; Scheers 1977, 885.

Nîmes (fig. 7)

PETRVCOR/ […]

AR ; / ; 14 mm

Réf. : Colbert de Beaulieu & Fischer 1998, n°222-2.

Nous n’avons pas retrouvé d’autres indications concernant l’exemplaire (ou les exemplaires) nîmois.

Collection privée (fig. 8)

CORI/VCOVEPVS (Fig.)

AR ; 1,65 g ; 14 mm

Le quinaire inédit de Sermuz, avec celui de la collection privée mentionnée ci-dessus, permet une lecture définitive des légendes. Ainsi, il s’agira désormais de décrire ces pièces avec PETRVCORI au droit, et ACIVCOVEPVS au revers.

La plupart des chercheurs s’accordent aujourd’hui pour classer ce type monétaire avec les séries dites “au cavalier” de la vallée du Rhône. Si trois de nos pièces proviennent de dépôts (trésors de Vernon et de Jersey) et d’un oppidum un peu excentré par rapport aux aires de diffusion des monnaies au cavalier, les autres exemplaires connus pourraient provenir des lieux habituels de gisement de ce type (Musées de Lyon et de Nîmes, collection privée).

Les monnaies d’argent au cavalier : un bref état de la question

Comme le souligne Scheers, depuis le XIX^e s. les monnaies d’argent au cavalier ont fait l’objet des attributions les plus diverses notamment à cause de leurs nombreuses légendes interprétées à tort comme des ethnonymes²⁶. Blanchet fut l’un des premiers à replacer ce monnayage en vallée du Rhône.

Répartition géographique et attribution du monnayage

Les monnaies d’argent au cavalier ne sont pas attribuables à un peuple précis, car leur diffusion est particulièrement étendue. La vallée du Rhône est concernée dans sa globalité, bien qu’une concentration plus marquée se discerne dans les départements de l’Ardèche, la Drôme, l’Isère et les deux Savoie, soit en territoire allobroge, voconce et helvien. Les monnaies de ce type se font plus rares à mesure que l’on s’approche de l’embouchure du fleuve.

Les cartes de répartition ne corroborent pas non plus l’hypothèse d’un ou plusieurs magistrats monétaires par cité, réunis autour d’une monnaie commune caractérisée par des légendes distinctes. En effet, comme les quinaires au cavalier se définissent par une légende sur chaque face, un très grand nombre d’associations entre les différents patronymes sont possibles²⁷. La répartition géographique de chaque légende et de chaque association ne semble définir aucune zone précise, aucun peuple particulier. Si ces magistrats monétaires ont réellement existé et frappé monnaie à tour de rôle, comme Serrure en formule l’hypothèse à la fin du XIX^e s., c’était peut-être pour le compte de plusieurs cités réunies²⁸. Dans tous les cas, les données chronologiques actuelles ne nous permettent, ni de dater précisément chaque type, ni d’attribuer à chaque magistrat hypothétique une période de pouvoir.

Chronologie

Par leurs inscriptions et leur métrologie, les monnaies d’argent au cavalier renvoient à une inspiration romaine. Les chercheurs s’accordent aujourd’hui sur un prototype : il s’agit d’un denier de Q. Marcius Philippus, monétaire vers 129 a.C. où COMA, qui est présent sur certains exemplaires, pourrait simuler le nom de ROMA²⁹. Même si l’on sait qu’une monnaie peut circuler pendant plusieurs décennies voire plusieurs siècles, il est difficile d’envisager qu’une monnaie frappée vers 129 soit copiée près de 60 ans après. En outre, les contextes archéologiques les plus précoces, comme ceux de l’oppidum de Jastres par exemple (Ardèche), sont datés du début du I^er s. a.C. Une datation entre 75 et 50 ne peut donc plus être retenue. Sachant que le quinaire au cavalier s’inspire directement du monnayage romain par son style et son poids, il est tentant de voir dans cette politique monétaire affirmée le résultat d’un événement tel que celui de la conquête de la Transalpine.

Une première date de frappe aux alentours de la fin du II^e et du début du I^er s. a.C. est une hypothèse à prendre désormais en considération.

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Notes

1. Voir bibliographie. C’est grâce à la ténacité de Jean-Pierre Capt que fut découverte cette monnaie sur autorisation des Monuments historiques, Section archéologie du canton de Vaud. Nous tenons à l’en remercier, de même que F. Planet, conservateur du Médaillier du Musée des Beaux-Arts de Lyon et J.-C. Bedel pour leur gentillesse et leur disponibilité.
2. En 1983 et 1984, il fait l’objet d’une première investigation par le Service archéologique cantonal vaudois qui permet de comprendre sa fonction. Ce type de rempart qui se rencontre surtout en Europe occidentale est le seul actuellement mis en évidence sur le Plateau suisse. Au moment de la création de l’oppidum de Sermuz, le site voisin d’Yverdon-les-Bains n’est plus fortifié, mais continuerait à se développer. Gal., 7. 23 ; Brunetti & Curdy 2007, 542-591.
3. Outre 54 pièces publiées en 1998, 78 nouvelles trouvailles, recueillies par P.-A. Capt principalement, ont rejoint la collection cantonale ; en dernier lieu voir A. Geiser dans Brunetti & Curdy 2007, 570-571 et 589-570. 21 autres affèrent à une collection privée. Geiser 1998 ; Geiser 2007. En outre, un coin pour la frappe du denier républicain de C. Naevius Balbus (79 a.C.) vient d’y être découvert.
4. Caes., Gal., 1.23-28.
5. Müller et al. 1999, 319.
6. Daté d’après la céramique entre 120/110 et 90/80 a.C. : Auberson & Geiser 2001, 59-97 et pl. 7-11.
7. Également constitué de prospections de surface autorisées par le Service archéologique du canton de Fribourg. Voir aussi Kaenel et al. 2004.
8. Brunetti & Curdy 2007, 531-539 ; Geiser 2007, 14-15.
9. La recherche française parle de denier gaulois, faisant référence à une imitation typologique du denier romain, dont le poids correspond au quinaire. La recherche allemande et suisse utilise plus volontiers l’appellation de quinaire, pour les mêmes pièces et d’autres dont la relation typologique avec le denier romain est plus difficile à établir (par exemple, les quinaires au rameau). Nous utilisons l’appellation quinaire.
10. D’autres pièces au cavalier, au nombre compté, proviennent de Nyon (VD), La Chaux (VD), Lausanne-Vidy (VD), Martigny (VS) et du Grand-Saint-Bernard.
11. Présence majoritaire de monnaies d’argent. Delestrée et al. 2006, 7-25 ; Geiser 2007, 14-15, fig. 6-7.
12. Production probable sur place pour payer les soldats. Plusieurs flans “boule” d’argent au poids du quinaire, de nombreuses liaisons de coins entre types locaux : Geiser 2007, 16 et trouvaille d’un coin monétaire républicain.
13. Bouteroue 1666, 57.
14. La Saussaye 1851, 388-389 et pl. XV.1 ; Lagoy 1847, 22.
15. Duchalais 1847, 263.
16. Hucher 1868, 98 ; Hucher 1873, 137-138.
17. Barthélémy 1874, 524.
18. Barthélémy 1884a, 181 ; Scheers 1977, 885.
19. Barthélémy 1884a, 185.
20. Saulcy 1860, 417, n°55.
21. Serrure 1896, 430-431.
22. Colbert de Beaulieu 1961, 488-490.
23. Colbert de Beaulieu 1971, 124.
24. Richard 1979, 209.
25. Colbert de Beaulieu & Fischer 1998, 347-349.
26. Brenot & Scheers 1996, 68.
27. Van der Wielen etal. 1999, 92-93.
28. L’auteur attribue à chaque magistrat voconce une période de frappe de cinq ans en se fondant sur des critères “purement numismatiques”. Serrure 1896, 234.
29. Crawford 1974, n°259/1.