C’est pourquoy nous les avons baptisées du nom de mines Royales, ne leur en pouvant donner autre digne d’elles.1
Ainsi s’exprime Jean de Malus moins d’une vingtaine d’années après l’arrêt de toute activité sur le site de Castel-Minier, montrant ainsi l’importance qu’il accorde à ce lieu lors de sa recension des richesses minérales des Pyrénées en 1600. Ces mines sont effectivement exceptionnelles à plus d’un titre. Grâce au procès dont elles ont fait l’objet, une partie de leur histoire nous est parvenue2. Exploitées pour l’argent selon les sources écrites, il s’avère que la production y est bien plus diversifiée, s’appuyant sur un panel de minerais allant de la classique galène argentifère jusqu’aux cuivres gris en passant par la bournonite et la chalcopyrite3. Elles disposent également d’un ensemble d’ateliers établis pour le traitement des métaux non ferreux, mais aussi du fer4. Le tout est surveillé par un castrum édifié à la fin du XIVe siècle, faisant écho aux castelli minerari italiens.
Cette exploitation se niche au fond de la vallée du Garbet sur l’actuelle commune d’Aulus-les-Bains en Ariège (fig. 1). L’extraction a commencé au début du XIIIe siècle et s’est poursuivie jusqu’au tournant du XVIe siècle. Les fouilles en mine se sont organisées autour de deux ensembles que la reprise minière du XIXe siècle a connectés en 18675, mais qui étaient restés autonomes au moment de l’abandon de l’exploitation vers la fin du XVe siècle. Le premier secteur de fouille, à partir de l’entrée +21, fait partie du réseau majeur des Ouels. Le second, un puits colmaté volontairement au XXe siècle, a gardé son nom de “puits des anciens” qui lui a été donné vers 1865 par Mussy, l’ingénieur des mines chargé du district. Ces deux endroits interrogent, car ils présentent une architecture minière inédite.
En recoupant la topographie de surface et le plan de la mine, nous avons identifié une entrée totalement colmatée. Elle se trouve en regard d’une halde qui s’est mise en place dès le XIVe siècle. Après avoir trouvé le toit de cette entrée, il est apparu que le creusement se poursuivait en tranchée montante vers l’extérieur avec une largeur de plus de 1,2 m pour une longueur de 6 m. Il s’agit en fait d’un escalier taillé dans la roche (fig. 2). Cet escalier conserve sa largeur initiale tant qu’il est visible depuis l’extérieur. Il compte douze marches permettant de descendre de 3,5 m. La troisième marche a un giron plus étendu que les autres. Il a été conçu pour recevoir à chaque angle formé par le mur et la contremarche un poteau circulaire d’une quinzaine de centimètres de diamètre s’enfonçant de 20 centimètres dans la roche. Deux systèmes de fermeture à encoches ont été repérés sur les parois de la tranchée. Le premier, mal conservé, est au niveau de la sixième marche. Le second est au niveau de la dixième marche et marque le passage sous terre. Il est complété par les vestiges d’un cadre de bois matérialisant le porche qui devait débuter au niveau des poteaux de la troisième marche. Cette volée d’escaliers se poursuivait encore avec la même orientation sur deux marches réalisées dans un remblai retenu par des rondins dont nous avons retrouvé les extrémités. Le passage des marches en pierre aux marches en bois est marqué par l’arrivée dans le filon du mur d’orientation N40 gr avec un pendage de 62 gr. Une fois dans la veine, une seconde volée y descend. L’escalier se réduit à 50 cm de large, correspondant à la largeur du filon. Il se compose de deux rondins encore intacts dans le remblai. Le plus bas de ces bois, en hêtre, a été prélevé pour datation. Le résultat du C14 donne 1413 cal AD – 1450 cal AD6.
À cette entrée atypique s’ajoute celle du puits des anciens. Lorsque ce puits a été une première fois déblayé vers 1865, l’ingénieur Mussy ne relève aucune particularité. Il s’interroge sur sa fonction et propose d’y voir, avec justesse, un simple ouvrage d’aérage. La reprise minière ayant fait long feu, le puits a été rebouché volontairement par les paysans et les bergers quand ils ont pu réinvestir ces friches minières après 1920. À notre tour, nous l’avons dégagé afin d’assurer la ventilation de la galerie inférieure et de ménager un système d’évacuation de nos déblais. Cette opération très ingrate puisqu’il n’y avait rien à attendre du bouchon de rochers sur ses huit mètres de puissance s’est pourtant révélée riche d’enseignements.
Ce puits est installé sur une ligne de fracture non minéralisée d’orientation N170 gr perpendiculairement aux filons principaux. Il présente une surface carrée de 1,32 m par 1,36 m, et dessert une galerie d’exhaure inachevée. Le fer d’une des pointerolles retrouvées dans cette galerie a pu être daté par carbone 14 et indique une période d’activité comprise entre 1445 et 1515. L’architecture générale du puits appelle quelques commentaires. Il s’agit d’un cas unique d’un percement débutant par un escalier large de 60 cm (1019,80 m NGF) dont la descente sur les cinq premiers mètres se fait en ligne droite suivant la fracturation préexistante. Puis, arrivés à la cote 1014,50 m NGF, les mineurs décident de descendre verticalement. Ils n’abandonnent pas pour autant l’idée de l’escalier. En effet, un aménagement en colimaçon autour du puits sur trois faces définit une volte prolongeant la descente en escalier de 4 m jusqu’à la cote 1010,65 m NGF. Il y a donc bien lors du creusement une synergie entre la logique de percement d’un puits et celle d’un accès en escalier. Les mineurs n’ont pas changé brutalement de choix technique. Pour la dernière partie du puits, ils entament alors un percement classiquement vertical aboutissant 9 m plus bas à la galerie des anciens (cote 1001,65 m NGF). Ce changement implique également que la tête du puits soit alors mise en place à l’aplomb du creusement et que les premiers mètres depuis la surface soient percés. La cage d’escalier, de laquelle subsistent de beaux restes sur la paroi sud, montre la hauteur sous plafond que les mineurs avaient choisie. Elle s’établit autour de 1,66 m pour 65 à 70 cm de large. Elle traduit une recherche d’aisance dans le déplacement (augmentation de la hauteur sous plafond), mais limite les croisements. L’escalier dispose d’un système de fermeture. Au niveau de la onzième marche (la partie rectiligne de l’escalier en compte dix-neuf), on trouve de part et d’autre deux encoches verticales larges de 15 cm et hautes d’une trentaine de centimètres. Une troisième est visible sur la paroi ouest, 50 cm au-dessus de la première, mais l’état de conservation de la paroi gauche ne permet pas d’observer cette répétition.
La mise en place de l’entrée +21 et du puits est séparée par plus d’un siècle. L’entrée est conçue dès le XIVe siècle alors que le système d’exhaure que dessert le puits n’est pensé que dans la seconde moitié du XVe siècle. Cela dénote une certaine continuité dans les choix architecturaux, mais des différences existent. La plus emblématique est la largeur de l’escalier. Dans le cas du puits, elle n’excède pas 70 cm alors que pour l’entrée sur filon, elle est de 120 cm dans sa partie aérienne. Nous avons ici un éclairage évident de la fonction des ouvrages. Dans le cas du puits, il s’agit bien d’un escalier de travail, étroit comme peuvent l’être les ouvrages d’assistance. Au contraire, l’entrée à une vocation ostentatoire sûrement à destination de possibles investisseurs qui se contentent d’une vision extérieure des travaux miniers. Il est d’ailleurs caricatural que la largeur de l’escalier de l’entrée se réduise à la même dimension que l’escalier du puits dès la porte franchie. Reste à comprendre la logique propre de l’escalier sur puits. Elle semble traduire une erreur de calcul sur le choix de la localisation de l’attaque de l’escalier en fonction du point bas à atteindre. Ce puits est creusé concomitamment à la galerie d’exhaure ouverte 120 m en aval. Les deux ouvrages devaient se rencontrer pour permettre la ventilation et par là même, la poursuite du percement concourant au dénoyage des travaux profonds. Les mineurs ont bien calculé les positions, mais ils ont sous-estimé la profondeur à atteindre. Après être descendus de cinq mètres, ils savaient leur position correcte, mais trop haute. Une première solution a été de descendre en colimaçon, avant de se résoudre à percer un puits pour atteindre l’altitude de la galerie d’exhaure.
L’usage d’un escalier pour joindre deux espaces miniers est bien connu7. Un des plus beaux exemples de descenderie reste celui des mines antiques de Roşia Montană8. Le cas de Castel-Minier est différent puisqu’il concerne l’accès à la mine depuis l’extérieur. Le choix d’un escalier plutôt qu’un puits peut se comprendre dans l’économie sur l’installation et l’entretien des appareils de levage, mais il oblige alors à considérer un transport des matériaux strictement par portage. Cela apparaît comme une vision à court terme sauf si le percement n’est destiné qu’à l’aérage. Dans le cas du choix entre un travers-banc et un escalier, la descenderie peut également s’avérer être le tracé le plus court en fonction de la topographie de surface.
Les éléments de comparaison nous manquent. Signalons simplement que dans le célèbre De Re Metallica (1556), comme dans le Schwazer bergbuch (1556), ce type d’accès n’est pas représenté, pas plus qu’il ne l’est dans les planches de l’atlas de La richesse minérale (1819). Les recherches archéologiques conduites dans l’espace germanique n’ont jamais livré un ouvrage similaire, et les fouilles en mine dans les Pyrénées sont encore trop rares pour espérer offrir des éléments de comparaison. En revanche, une entrée de ce type a été repérée dans la bibliographie9. Il s’agit de la mine del Cardenillo dans la province de Malaga10. Les auteurs l’inscrivent dans le XVIe siècle sur la base des archives, le document le plus ancien remontant à 1565. Parallèlement, ils proposent une datation plus ancienne, médiévale, voire antique11. Une autre entrée en escalier existe dans la province de Cuenca, inscrite cette fois dans le monde antique12. Mais c’est dans le vice-royaume du Pérou qu’il faut se projeter pour constater un usage classique de ce genre d’accès. Il se retrouve tant dans l’iconographie13 que sur le terrain, comme nous avons pu l’observer sur la mine de San-Antonio-de-Lipez (fig. 4). Sur ce dernier site exploité principalement entre 1640 et 1690, plus d’une trentaine d’escaliers d’entrée a pu être inventoriée14. Lorsqu’ils sont encore accessibles, ils se développent sur plusieurs dizaines de mètres avant d’atteindre le filon (fig. 5). Bien évidemment, il y a ici un double hiatus avec Castel-Minier : géographique et temporel. En revanche, ces exploitations andines sont le fait des Espagnols en général, et celle de San Antonio, en particulier, est sous le contrôle d’un entrepreneur basque : Lopez de Quiroga15.
Eu égard à la localisation de l’exploitation de Castel-Minier, le mobilier mis au jour lors des fouilles montre évidemment des relations avec les provinces ibériques voisines, qu’il s’agisse de la céramique, des monnaies ou des armes16. Les textes dont nous disposons pour étudier cette mine ne nous disent rien de l’origine des mineurs, mais la circulation intrapyrénéenne des hommes du métal et de la mine depuis le Pays basque jusqu’en Catalogne a bien été mise en évidence pour les XIVe et XVe siècles par Catherine Verna17. Parallèlement, les exemples d’escaliers d’entrée de mine dont nous disposons nous renvoient dans le monde ibérique, qu’il s’agisse de la péninsule ou de l’espace colonial. Avec prudence et à l’aide du faisceau d’indices que nous avons pu réunir, nous pouvons poser l’hypothèse d’une spécificité pyrénéenne sinon ibérique de ce type d’attaque. Ce choix technique apparaît dès la période antique sur la mine de lapis secularis de la “Mora Encantada”. Il serait resté confiné aux mines de la Couronne d’Espagne et n’aurait fait école que dans les régions limitrophes comme le Couserans pour Castel-Minier. Il est à souhaiter que les travaux d’archéologie minière se développent de part et d’autre des Pyrénées afin de pouvoir mieux caractériser l’existence de ces savoir-faire miniers spécifiques permettant de renouveler notre vision du domaine encore trop conditionnée par le De Re Metallica.
Bibliographie
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- Romero Silva, J. C., Martos Martin, J., Navarro Garcia, J. M., Suarez Padilla, J., Navarro Luengo, I. (2013) : “Las minas de cobre y el yacimiento de época romano-republicana del cerro del Cardenillo, rio Guadalmansa (Benahavís, Málaga)”, Takurunna, 3, Ronda, 9-56.
- Téreygeol, F., Disser, A., Flament, J., Sarah, G. (2019) : “Une dague à oreilles et son fourreau du xve siècle découverts à Castel-Minier (Pyrénées françaises)”, Gladius Estudios sobre armas antiguas, arte militar, y vida cultural en oriente y occidente, 39, Madrid, 109-126.
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- Verna, C. (2017) : L’industrie au village : essai de micro-histoire (Arles-sur-Tech, xive et xve siècles), coll. Histoire, Paris.
- Wise, J. M., Feraud, J. (2005) : “Los mapas históricos de la mina Santa Bárbara, Huancavelica”, Boletín de la Sociedad geológica del Perú, 99, Miraflores, 2005, 23-40.
Notes
- Malus, éd. 1600, 76.
- Verna, éd. 1996.
- Flament et al., éd. 2019.
- Téreygeol 2016.
- Pour les références d’archives, nous renvoyons à la publication de Claude Dubois (Dubois 1999).
- Datation ETH-57613, Age 14C AMS conventionnel : 474 +/- 26 BP (-13C mesuré de –26,1 +/- 1,0 ‰ vs PDB). Date 14C calibre : 1413 cal AD – 1450 cal AD (courbe de calibration “IntCal04”, Reimer et al, 2004, Radiocarbon, 46).
- Héron de Villefosse 1819, 130.
- Cauuet & Tămaş 2012, 231.
- Merci à Emmanuelle Meunier qui nous a signalé ce rare parallèle.
- Romero et al. 2013, 45.
- Romero et al. 2013, 48.
- Bernárdez Gómez et al. 2005.
- Wise & Feraud 2005, 25.
- Téreygeol et al. 2014, 12.
- Bakewell 1988.
- Par exemple : Téreygeol et al. 2019.
- Verna 2017.