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Les noms d’assonance thrace : des miroirs culturels

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Parmi les phénomènes d’interférence et d’hybridation qu’affectionnent les spécialistes de l’onomastique des domaines qu’on appelle “périphériques”, la notion d’assonance a gagné en visibilité ces dernières décennies non seulement en raison de l’accroissement de la documentation mais également par un renouvellement des perspectives1 qui dépasse les logiques binaires et l’opposition commode entre noms grecs / latins et indigènes. Après une brève introduction consacrée à cette catégorie anthroponymique des “noms d’assonance” et à ses dénominations alternatives, accompagnée d’une présentation de l’historiographie particulière dans le domaine de l’onomastique thrace2, je vais donner un aperçu des noms d’assonance thrace et souligner l’intérêt historique que peut fournir l’analyse de ces choix et fréquences onomastiques, en contexte aussi bien grec que latin. Dans une troisième partie seront présentés trois petits dossiers récemment relevés ou confirmés par les nouveautés épigraphiques d’époque impériale3, qui permettent de progresser aussi bien dans la connaissance des noms antiques que dans leur interprétation historique4.

Les noms d’assonance

Depuis quelques décennies, une attention nouvelle a été accordée dans les études onomastiques aux phénomènes d’assonance et de traduction, principalement dans l’espace celto-germanique – pour lequel on dispose de plusieurs études de Marie-Thérèse Raepsaet‑Charlier –, mais aussi africain5 et syrien6, qui bénéficient en outre d’une solide tradition d’études. On y décèle à juste titre des indices nuancés de la romanisation, plus précisément d’une acculturation comprise comme une action double et réciproque7, puisqu’il convient de dépasser les visions très datées de “volonté de latinisation”, d’une part, et de “résistance indigène” / “résistance à la romanisation”, d’autre part. L’accroissement dans toutes les provinces de la documentation épigraphique d’époque impériale, en particulier grâce aux épitaphes familiales et aux divers catalogues, permet de constater, pour ne donner que l’exemple des régions hellénophones et hellénisées (Thrace, Asie Mineure, espace syrien, Égypte – si privilégiée grâce à la documentation papyrologique), l’existence d’une onomastique profondément mélangée, qui puise à cette époque dans les stocks onomastiques grec, latin et indigènes. L’enrichissement des séries accroît la visibilité des adaptations et des créations locales, au point qu’il serait inutile de séparer et d’opposer, comme on l’a trop souvent fait, les multiples influences “classiques” et la continuité des traditions indigènes.

En plus des aléas de la documentation, il est important de rappeler que l’étude des noms thraces8 a été depuis toujours minée par les nationalismes historiographiques balkaniques9, qui sont encore très présents dans ce champs d’études10, ou par des présentations traditionnelles et des appréciations rapides dans les études occidentales.

Tout comme dans l’ensemble de l’Orient grec, l’espace thrace se caractérise par des phénomènes multiples et concomitants : hellénisation, romanisation – qui se manifestent à travers plusieurs registres (culturel, linguistique, onomastique, juridique, politique)11, régionalisation (à l’échelle provinciale ou locale), et qui superposent des traditions locales d’une diversité étonnante. Ainsi, l’enrichissement de la documentation a permis de reconnaître quatre territoires de l’onomastique thrace12, auxquels j’ai donné des appellatifs conventionnels : des noms panthraces (grosso modo, la Thrace propre) ; des noms thraces occidentaux (Macédoine Orientale, Thasos, Thrace Occidentale, Sud de la Mésie Supérieure) ; des noms daco-mésiens (Dacie, Nord-Est de la Mésie Supérieure, Mésie Inférieure) ; enfin, des noms bithyniens (Bithynie, Mysie)13. L’exploitation des noms thraces que j’envisage ici comme à d’autres occasions n’est déterminée ni par les visées linguistiques et les spéculations étymologiques adjacentes d’autres chercheurs14, ni par la recherche d’une illusoire pureté indigène, dans une vision statique, mais sous un angle historique. L’étude des noms apparaît ainsi comme un miroir de la société et de ses mutations, néanmoins un miroir déformant qu’il convient d’utiliser avec parcimonie et précaution.

Plusieurs appellations ont été proposées pour le phénomène qui fait l’objet de cette étude, qui n’est que l’un des résultats des multiples adaptations indigènes à la romanisation ou bien à l’hellénisation (voir infra). La plus appropriée est celle proposée par Marie-Thérèse Raepsaet-Charlier, de noms “à double entrée” linguistique (entrée latine ou grecque) et phonétique (présentant une référence indigène)15, voire, dans un registre plus concret, de “noms d’assonance”16, qu’il convient de comprendre comme un terme conventionnel. Présent partout où il y a des interférences linguistico-onomastiques à l’œuvre, ce phénomène affecte aussi bien les provinces occidentales que l’Orient hellénophone, bien que les études soient pour l’instant moins nombreuses pour la partie orientale de l’Empire17, en dépit de la richesse des données onomastiques. Ainsi, en Asie Mineure, l’hellénisation des formes indigènes, à partir d’une identification à un radical (quasi)homophone grec, est aisément perceptible. L’exemple le plus manifeste d’une “collision onomastique” entre noms grecs et asianiques est illustré par la vogue des anthroponymes en Ερμ- (dont le très fréquent Ἑρμαῖος) au Sud de l’Asie Mineure, en particulier en Lycie. Cette série de noms théophores inclut aussi bien des formes indigènes que des composés ou des dérivés grecs assonants avec le radical homophone Arma / Erma – en rapport avec le théonyme Arma, le dieu lunaire hittito-louvite18.

La preuve décisive de l’existence19 de ce type de noms est leur fréquence inhabituelle dans une région donnée, qui correspond en réalité à la diffusion sur le même territoire de noms indigènes homophones. L’examen des occurrences – après la vérification des lectures et des restitutions – et la contextualisation des attestations peuvent expliquer une parenté de sonorité (et parfois de sens) avec une racine indigène, puisque les noms d’assonance “colorent pourtant certains noms latins [et grecs] d’une qualification indigène intéressante”20. Les nouvelles perspectives, qui dépassent fort heureusement la logique d’un conflit entre les Romains (ou autres “maîtres”) et les populations sujettes, envisagent ces choix onomastiques sous un autre angle : “loin de prouver une résistance au vainqueur, [ils] manifestent une volonté de latinisation intégrée à des données locales qu’elle n’effaçait pas, un souci d’acquérir une dénomination nouvelle sans rupture avec ses racines culturelles, sans abandon de l’héritage linguistique, au sein d’une identité régionale vivante”21.

Dans cette optique, la présence des noms d’assonance n’est pas le témoignage d’une quelconque résurgence indigène, comme on peut encore le lire, mais bien l’une des manifestations les plus caractéristiques de la romanisation22 – ou de l’hellénisation. Cette nouvelle perspective, plus nuancée, prend en compte les différences de traitement, les enjeux sociaux et les arrière-fonds culturels des provinces de l’Empire.

Les noms d’assonance thrace

Ce constat se vérifie pleinement dans l’espace thrace, où les noms d’assonance ont été remarqués depuis longtemps – et même trop, car les exagérations sont légion23. Qui plus est, cette identification s’opère dans un double registre, concernant à la fois les domaines latin et grec – ce qui constitue une particularité discriminante par rapport à d’autres stocks onomastiques. En effet, pour la connaissance de l’onomastique thrace la documentation est divisée à la fois entre le registre grec et le registre latin, mais aussi, en parties quasi-égales, entre les régions balkaniques et l’ensemble du monde méditerranéen24. Si ces noms d’assonance thrace ne sont pas très nombreux – en tout cas, ils sont moins nombreux que dans les provinces celto-germaniques –, leurs occurrences sont par ensemble très fréquentes25.

C’est toujours un faisceau d’indices convergents qui permet de définir et de reconnaître les noms d’assonance. Dans le domaine thrace, les principes que j’ai adopté sont les suivants : (1) rassembler les attestations particulièrement fréquentes dans les territoires thracophones et dont l’assonance avec des racines indigènes est manifeste ou partielle ; (2) dans ces catalogues, déceler la présence de noms indigènes parmi les membres de la même famille (en particulier des racines assonantes) – en tant que preuve de leur extraction indigène, même plus lointaine –, d’une iconographie caractéristique (ainsi, le motif banal du “Cavalier Thrace”) ou d’une vénération des divinités locales ; (3) étant donné le profil d’une grande partie de la documentation, relever les occurrences dans le milieu militaire en rapport avec une origine géographique de Thrace, et, éventuellement, des patronymes ou des camarades d’armes avec une onomastique thrace26 et / ou une origine balkanique. Dans ce qui suit, je vais illustrer chacun de ces critères, qui s’accordent souvent.

Tout d’abord, voici un tableau des noms d’assonance thrace, bâtis sur des radicaux grecs et latins correspondant formellement à des radicaux thraces : 

Tableau des noms d’assonance thrace, bâtis sur des radicaux grecs et latins correspondant formellement à des radicaux thraces.

Certains de ces noms nécessitent une présentation spéciale ou une actualisation des occurrences.

Le nom d’assonance thrace le plus répandu est de loin Mucianus / Μουκιανός, attesté plus de 240 fois dans les régions thracophones ou parmi les nombreux soldats originaires des provinces balkaniques27. Apparemment bâti sur le gentilice Mucius avec le suffixe de dérivation si banal –anus28, sa popularité exceptionnelle dans l’espace thrace s’explique par la fréquence prodigieuse des noms indigènes appartenant à la famille muca– (d’étymologie inconnue)29, dont les plus fréquents sont Mucapor, Mucatralis (et sa forme courte Mucatra) et Mucazanus – en tout, plus d’une vingtaine de noms différents (OnomThrac 227-256). Le nom d’assonance Mucianus est populaire à partir du milieu du IIe s., étant plus fréquemment attesté en Thrace centrale et septentrionale (Philippopolis et Augusta Traiana) ; il apparaît aussi en Thrace Orientale (Pautalia) et en Mésie Inférieure (où il s’agit presque toujours de militaires30), et sporadiquement en Macédoine Orientale et en Bithynie, car des noms en muca– sont également présents dans ces dernières régions – Μο(υ)κασης, respectivement Μο(υ)καζις. Seule la Dacie fait exception, puisque les noms en muca– y sont absents du stock onomastique local ; dans cette province, les porteurs de ce nom sont toujours des soldats thraces, jamais des indigènes daces31. En dehors de l’espace balkanique, ce nom d’assonance est habituellement porté par les militaires d’origine thrace, Mucianus étant par ailleurs le nom “thrace” le plus fréquent au IIIe s. parmi les soldats de l’armée romaine32. Tel est le cas d’une épitaphe de Rome qui commémore, après quinze ans de service, un prétorien enrôlé en 209 (CIL, VI, 2566 = ILS 2048) : Aurel(io) Muciano, mili(ti) coh(ortis) V pr(aetoriae), (centuria) Barbati. Militare coepit T(ito) Pompeiano et T(ito) Avito co(n)s(ulibus), ann(orum) XV. Vixit ann(is) XLV, natus Tremontiae. Cl(audia) Paulina coiugi karissimo ex testamento fecit. L’origo Tremontia (= Trimontium) fait appel à un nom alternatif, qui plus est latin, de Philippopolis (auj. Plovdiv), qui lui a été donné d’après les trois collines33. Enfin, une attention spéciale doit être accordée aux “faux-amis” : si en Afrique les Muciani portent tout simplement des noms dérivés de Mucius, les Muciani de l’espace syrien (y compris des militaires), en l’absence d’indices sur une origine balkanique34, portent des noms d’assonance sémitique, en rapport avec le nom très fréquent Mocimus / Μοκιμος35.

La plupart des noms d’assonance ont toutefois un caractère régional très prononcé. L’ancrage régional du nom Mestrius et de son dérivé Mestrianus, avec plus de 70 occurrences (OnomThrac 215-218)36, est confirmé par leur association, dans les mêmes familles, avec des noms épichoriques en Macédoine Orientale et dans les régions voisines (sud de la Mésie Supérieure et partie orientale de la Thrace). Dans tous les cas où Mestrius est un idionyme pérégrin ou un cognomen (et non un nomen), il s’agit d’un nom d’assonance typique des Thraces occidentaux, choisi pour l’affinité avec la série épichorique des noms en mest– (OnomThrac 213-220), dont les occurrences sont légèrement supérieures37. Bien qu’il soit un gentilice linguistiquement latin, les familles d’extraction indigène des parties septentrionale et orientale de la Macédoine l’utilisent abondamment soit comme idionyme pérégrin, soit comme cognomen. En revanche, il est important d’observer que le nomen Mestrius se rencontre dans la province de Macédoine plutôt dans les régions touchées par la colonisation italique, où les indigènes sont absents ou peu nombreux38.

Dans toute la région orientale de la Macédoine, avec une très forte concentration dans la vallée du Moyen-Strymon (l’antique Sintique)39[36], est attesté un nom d’assonance grecque extrêmement fréquent, Πύρρος (et son dérivé Πυρρίας)40. Dépassant la soixantaine d’occurrences, il est le résultat évident de la popularité, dans ces mêmes régions, d’une famille onomastique thrace bâtie sur la racine pur/pir-, dont l’exemple le plus répandu est l’hypocoristique Πυρουλας (lat. Purula / Pyrula / Pirula), secondé par le nom féminin composé Pirusala.

Un autre nom d’assonance, Torquatus (en grec Τορκουᾶτος, Τορκᾶτος, fém. Τορκᾶτα), qui plus est un nom latin méritoire, est caractérisé par une forte concentration dans la région de Sirrha (plus de 25 occurrences). Il s’explique par la présence, exactement dans la même région, de toute une série de noms bâtis sur la racine torc– (OnomThrac 374-376)41, dont le nom simple Torcus / Turcus / Τορκος, des dérivés hypocoristiques (Τορκίων, Torcula / Τορκουλας, Τορκους) et le composé Τορκουπαιβης. L’attestation la plus ancienne d’un Torquatus est livrée par un diplôme militaire (voir infra) et montre que ce nom assonant était donné au moins depuis le début du IIe s.

Le cas de Pistus / Πίστος (OnomThrac 273) pourrait paraître peu probant, malgré les quatre occurrences de la forme indigène (?) Πιστους (ou simple calque sur la forme latine ?), sans compter sur le fait qu’il est souvent attesté dans un milieu servile42. Or, sa fréquence inhabituelle dans les régions thracophones, avec plus d’une dizaine d’occurrences, y compris dans le milieu militaire, pourrait bien s’expliquer par l’assonance. On peut verser au dossier un nouvel exemple, grâce à un diplôme militaire fragmentaire du 7 janvier 237 (?) ; il s’agit du cognomen d’un cavalier de la garde impériale originaire du territoire d’une cité inconnue de la province de Thrace : 
[- –‑‑‑-] onis fil(io) Pist[o, — e]x Thracia
43.

Si Mucianus est un nom d’assonance panthrace, et si d’autres noms assonants sont en vogue en Macédoine Orientale et dans les régions adjacentes, un seul anthroponyme de l’espace daco-mésien peut, pour le moment, être inclus parmi les noms d’assonance, malgré ses rares occurrences (au nombre de trois). Tout comme Mucianus dans l’espace thrace, Decianus (OPEL, II, 94) a l’air d’un cognomen latin bâti sur le gentilice Decius. Cependant, l’exemple fourni par le diplôme militaire du 7 janvier 23044 montre que le père du cavalier M. Aur. Decianus portait ce nom comme idionyme, tous les deux étant de condition pérégrine avant l’octroi collectif de la citoyenneté romaine en 212, par la Constitutio Antoniniana45. Le choix de ce nom d’assonance s’explique aisément par la popularité des noms daco-mésiens de la famille deci-, en particulier le “nom historique” dace par excellence, Decibalus/Decebalus (plus de 25 exemples), secondé par Decinaeus (au moins 8 exemples)46.

Parmi ces noms prisés dans les familles d’extraction indigène, fruit de créations onomastiques régionales, on peut remarquer une diversité de situations : non seulement une assonance qui fonctionne dans les territoires thracophones (Mestrius, Pyrrhus, Torquatus), et qui devait être transparente dans ces régions mêmes (mais moins perceptible dans le cas des militaires en service ailleurs), mais aussi une assonance qui fonctionne, si besoin, à l’extérieur, et qui devait être perçue comme telle – comme dans le cas de Mucianus.

Dans le domaine thrace occidental, à savoir en Macédoine Orientale et dans les régions voisines (île de Thasos, Thrace Occidentale, Sud de la Mésie Supérieure), on constate une présence considérable de noms d’assonance, qui se manifestent plus nettement que dans d’autres régions thracophones. Ils sont bâtis à partir des racines indigènes, dans le registre onomastique grec (Μαντώ47, Πύρρος / Pyrrhus / Purus) et davantage latin – mais très souvent en graphie grecque : Dento / Δέντων ; Mestrius / Μέστριος et son dérivé Mestrianus / Μεστριανός, avec les formes féminines correspondantes Mestria / Μεστρία et Mestriana ; Torquatus / Τορκουᾶτος / Τορκᾶτος et son pendant féminin Τορκᾶτα. Cette profusion des noms d’assonance en Macédoine Orientale exige des explications :

  • par ensemble, ce type d’enquête onomastique y est facilité en raison d’une plus grande richesse épigraphique que par rapport au reste des territoires thracophones, en particulier les nombreuses épitaphes familiales d’époque impériale et quelques catalogues48 ; toutefois, leur datation dans la plupart des cas à l’époque impériale empêche pour la quasi-totalité des noms de faire des comparaisons avec les pratiques onomastiques d’époque hellénistique dans la même région et de constater si des noms d’assonance étaient déjà en usage, dans le registre gréco-macédonien ;
  • il s’agit d’une région massivement habitée par des indigènes, mais où la langue écrite est, depuis des siècles, le grec. Bien que la région soit restée de tradition hellénophone – en raison de la présence d’anciennes colonies grecques sur la côte égéenne, depuis l’époque archaïque et de l’intégration ultérieure dans le royaume macédonien, avec l’installation de colons macédoniens –, l’impact de la domination romaine49 est également manifeste au niveau de l’onomastique, soit au niveau provincial, soit au niveau régional. Il ne suffit pas de mettre cet ascendant graduel du registre latin sur le compte des quelques colonies et des Italiens arrivés dans la province, parfois en masse50 ; il s’explique en réalité par les siècles de domination et d’influence multiforme. Ainsi, la plupart des noms d’assonance de cette région, à l’exception de Μαντώ et de Πύρρος, puisent dans le registre latin : Dento, Mestrius etMestrianus, Mucianus, Torquatus51. En effet, la diffusion des pratiques épigraphiques, même en grec, est contemporaine de la diffusion des noms latins52, qui sont graduellement adoptés dans les stocks onomastiques régionaux de l’ensemble des provinces hellénophones, tels Γάϊος et Μᾶρκος53 ;
  • une autre particularité de cet espace, généralement sous-estimée, est l’empreinte de la tradition macédonienne54, très visible encore à l’époque impériale, et non seulement par l’usage de l’une des deux ères provinciales. C’est cette tradition qui donne à cette région doublement périphérique – car la Macédoine Orientale est en même temps une périphérie du monde hellénophone et du monde thrace – une image d’autant plus complexe. En effet, dans ces régions on compte dans le stock onomastique des populations d’extraction indigène des noms thraces (pan-thraces et épichoriques / régionaux, ces derniers dans une proportion écrasante), grecs, latins mais aussi macédoniens. Prenons l’exemple d’une dédicace à une divinité locale de Melnik (Sintique) (IGBulg, IV, 2319)55 : Κλαυδιανός, Πύρρος καὶ Πύρρος | Λάνδρου καὶ οἱ περὶ αὐτοὺς <σ>αλτάριοι | θεῷ Ασδουλῃ, τῷ ϛμσʹ ἔτι. On trouve ainsi parmi ces saltuarii (gardes forestiers) un nom latin (dérivé), deux noms d’assonance thrace (attestés deux fois) et un beau nom macédonien, Λάνδρος (< Λάανδρος < Λάϝανδρος)56. La composante macédonienne fait donc à l’époque romaine partie intégrante de l’identité culturelle de ces populations57.

La fréquence d’un nom très populaire en Macédoine, Ζώπυρος (LGPN, IV, 147, avec une vingtaine d’occurrences dans les régions thracophones) pourrait même s’expliquer dans certaines régions par l’assonance avec la famille des noms en zipa– et zipyr-, dont les noms suffixés Ζιπυρος et Ζιπυρων (OnomThrac 400-406, avec 120 occurrences). Un autre nom grec extrêmement populaire en Macédoine Orientale, notamment dans les milieux indigènes, est Διοσκουρίδης (LGPN, IV, 106-108), avec 130 occurrences dans les régions thracophones58, mais les raisons de sa popularité ne sont pas transparentes. 

Très instructifs sont les cas de dérivation dans la même famille, entre noms indigènes et formes assonantes ou bien entre formes assonantes et noms thraces :

  • à Alkomena près de Styberra (Derriopos), en Macédoine : Μέστριος fils de Μεστυλ<α>ς Δουλεος (IG, X.2.2, 351) ;
  • dans le catalogue de Pizos, parmi les π̣[ρ]ῶτοι οἰκήτορες : Μουκιανὸς Μουκαπορεος (IGBulg, III.2, 1690, col. e, l. 15) ;
  • à Thessalonique, en Mygdonie, Αὐρ(ήλιος) Ἀλκιδάμας καὶ Α̣ὐρ(ήλιος) Πυρουλας κὲ Αὐρ(ήλιος) Δουλης οἱ πρὶν Πύρρου Ἀλκιδάμου (IG, X.2.1, 564) ;
  • à Neinè (Sintique), en Macédoine Orientale, Αὐρ(ήλιοι) Πύρρος καὶ Ἀρτεμίδωρος, qui érigent l’épitaphe de leur mère Πυρουσαλα (IGBulg, V, 5886) ;
  • sur un diplôme militaire pour la province de Dacie, de l’an 114 (RMD, IV, 225), les cinq enfants du soldat Ti(berius) Claudius [— f(ilius) —], dont l’origoest perdue, s’appellent TorquatusDizalaTertullaTorcus et Quinta59. Deux frères portaient ainsi des noms bâtis sur la même racine torc-, dont un nom assonant, ce qui pourrait indiquer un ascendant porteur d’un nom de cette famille ; quant au nom Dizala, il confirme l’origine thrace du soldat libéré. Même si son origo est perdue, ces renseignements onomastiques indiquent comme origine du soldat la Macédoine Orientale ou la Thrace Occidentale.

On peut aussi parler du phénomène opposé, de l’assonance inversée, dans le sens grec ou latin, par une sorte d’étymologie populaire qui s’opère lorsque les noms sont gravés. Dans cette catégorie on peut citer :

  • l’ajout, par hypercorrection, d’un -h- pour les noms en epta-/επτα- (OnomThrac 176-184), ce qui donne une série HeptacentusHeptaporHeptasa et Heptatralis (OnomThrac 193) ; elle s’explique sans aucun doute par l’assonance spontanée avec le chiffre “sept” en grec (ἑπτά)60 ; 
  • la forme Dolens pour Doles (gr. Δολης), très répandue, est une version latinisée identique au participe présent dolens ;
  • le nom Teres (gr. Τηρης), au génitif et au datif Teri, est identique à l’adjectif teres, “bien tourné”, et donc au cognomen latin Teres (gén. Terentis)61, ce qui en fait un autre anthroponyme assonant en latin62.

Une épitaphe familiale de la seconde moitié du IIe s. de Thessalonique permet de surprendre la dérivation et la variation onomastiques à l’intérieur du même groupe familial63 : Κλευπὼ Τορκου Τορκίωνι τῷ ἀνδρὶ καὶ Μωμω Δέντωνος ἡ μήτηρ αὐτοῦ καὶ Τορκος καὶ Δράκων τῷ πατρὶ αὐτῶν μνήμης χάριν. Ce mélange onomastique, qui n’a rien d’étonnant dans cette région, comporte des noms macédoniens (Δράκων et l’hypocoristique Κλευπώ, du nom de Kleopatra), des noms thraces (le Lallname Μωμω, deux fois Τορκος64, et Τορκίων, bâti avec une suffixation grecque) et un nom latin d’assonance trace (Δέντων).

Accès au livre Comment s'écrit l'autre ? Sources épigraphiques et papyrologues dans le monde méditerranéen antique
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Carte de l’espace thrace et des toponymes mentionnés.
Fig. 1. Carte de l’espace thrace et des toponymes mentionnés.

Nouveautés épigraphiques et nouvelles séries

Des publications récentes permettent de commenter trois dossiers onomastiques manifestement concernés par des phénomènes d’assonance.

Drusus comme reflet de Durisa dans un diplôme militaire

Un exemple inattendu d’assonance est offert par le formulaire onomastique d’un diplôme militaire pour un cavalier de la garde impériale, daté du 18 mars 144 et récemment publié65 :

T•FLAVIO•DVRISAE•F•DRVSO•APRIS

Le soldat libéré avec une honesta missio s’appelait donc T(itus) Flavius Durisae f(ilius) Drusus et était originaire du territoire de la Colonia Claudia Aprensis (fondation de Claude dans la nouvelle province de Thrace), aujourd’hui en Turquie européenne. On constate que le cognomen Drusus, de très bonne facture latine, est assonant avec le patronyme indigène Durisa66, avec lequel il partage les mêmes consonnes (D, R, S). La combinaison du patronyme thrace avec le gentilice impérial Flavius indique une famille dont la citoyenneté romaine est récente, d’époque flavienne. On aurait donc affaire à un fils ou à un petit-fils de vétéran auxiliaire, qui a choisi à son tour le service des armes, dans une aile d’une province inconnue, avant d’être sélectionné dans la garde montée de Rome. En l’absence de ce diplôme et de l’indication du patronyme, qui aurait deviné qu’avant le milieu du IIe s. un eques singularis Augusti nommé T. Flavius Drusus, même originaire d’Apri de Thrace, était issu d’une famille d’extraction indigène ?

Il s’agit toutefois d’un exemple isolé, en l’attente d’attestations similaires. D’autres possibles parallèles pourraient se cacher dans la documentation plus ancienne. Ainsi, dans un catalogue d’equites singulares Augusti originaire de Thrace (cives Thraces), libérés avec une honesta missio en 139 (CIL, VI, 31147 = ILS 2182 = DKR 11), la plupart de la quarantaine de soldats portent des cognomina latins67 ; on compte toutefois trois cognomina thraces (deux fois Bithus, une fois la forme latinisée Seuthens), de possibles cognomina assonnants (deux fois Terentius) et même un P. Aelius Drusianus.

Deux dossiers d’assonance : Δεινίας/Δινίας et Μύστα

L’enrichissement des séries onomastiques permet de nuancer davantage la question des phénomènes d’assonance. Je peux donner ici l’exemple de deux noms dont l’appartenance à cette catégorie semble se dessiner dans les régions thracophones.

§ a. Grâce aux dernières occurrences épigraphiques, la relative fréquence du nom grec Δεινίας/Δινίας dans les régions thracophones (LGPN, IV, 88 et 98) s’explique bien par l’assonance avec les noms thraces (simples, suffixés et composés) de la famille de Δινις (LGPN, IV, 97-98 ; OnomThrac 133-137)68. Voici un catalogue des occurrences que j’estime appartenir à ce dossier :

Δεινίας/Δινίας

Thracia                    
(1) sanct. de Batkun (terr. de Philippopolis), déd. (IGBulg, III.2, 1683) (imp.): Ἀπολλόδωρο[ς κ]αὶ Δεινίας κασίγνητ̣οι̣.

(2) sanct. de Batkun (terr. de Philippopolis), déd. (IGBulg, III.1, 1291) (IIIp) : Αὐρ̣(ήλιος) Δινί̣α̣[ς].

(3) Augusta Traiana, cat. (, 2008, 1216 = SEG, LVIII, 67814) (imp.) : Δινίας Ἀπολλιναρίου.

(4) Păstren (terr. d’Augusta Traiana), déd. (IGBulg, III.1, 1117) (IIp) : Οὔλπιος Δεινίας ὑπὲρ Οὐλπίου Διογενιανοῦ παιδὸς ἰδίου.

(5) Dobri Dol (terr. d’Augusta Traiana), déd. (IGBulg, III.1, 1700 bis) (IIIp) : Αὐ̣ρ̣(ήλιος) Δινίας Ἀσ̣σκλη̣π̣ιάδου.

(6) Opicvet (terr. de Serdica), déd. (IGBulg, III.2, 1782 = IV, 2028) (IIp) : Δ̣ιζᾳ Μουκα[τ]ραλεος (?), Κο[ρν]ήλιος καὶ Διν̣[ί]ας κα̣ὶ οἱ λοιπ̣[οὶ] κ̣λ̣η̣ρονόμοι.

(7) Serdica, déd. hon. (Sharankov 2018, 385-386) (après 212p) : Αὐρ(ήλιον) Μουκιανὸν Δινίου ἔφηβον τῶ̣ν̣ [μεγά]λων ἀγώνων.

(8-9) Serdica, déd. inéd. (cf. Sharankov 2018, 386 n. 74) (imp.) : Δινίας Δινίου.

Moesia Inf.              
(10)
 sanct. de Glava Panega, déd. (IGBulg, II, 521) (imp.) : [—]ος Δεινίας στρ<α>τιώ̣[της].

(11) sanct. de Glava Panega, déd. (IGBulg, II, 517) (imp.) : Δεινίας ὁ τοῦ Ποτάμωνος φυλαρχῶν καὶ τειρωνολογῶν. 

Macedonia             
 (12) Oreskeia (Bisaltia), épit. (SEG, XXX, 611) (imp.) : Πυρουλας Δεινεία.

Ce nom assonant a été récemment mis en évidence par Nikolaj Šarankov, qui en relève trois occurrences à Serdica69. On constate qu’il est présent douze fois dans les régions thracophones – Serdica, Augusta Traiana, un sanctuaire du territoire de Philippopolis et un autre en Mésie Inférieure (tous deux très fréquentés), Macédoine Orientale –, parfois en combinaison avec des noms thraces tels Πυρουλας (12) et Μουκιανόν (6, ce dernier assonant). J’exclue de ce catalogue les occurrences excentrées de Béroia, Abdère, Maronée et Tomis, qui ne relèvent pas d’un phénomène d’assonance70. Alors que la forme (et la prononciation) Δεινίας est habituelle en grec, la graphie (et la prononciation) Δινίας, rencontré sept fois sur douze, certifie le fait que le nom était mis en rapport avec la famille des noms thraces en dini– (OnomThrac 133-137). Bien attesté aux IIe-IIIe s. (cf. les gentilices Vlpius et Aurelius), ce nom Δεινίας/Δινίας est porté, quand le statut est connu, par des membres de l’élite urbaine (7) et des militaires (10, 11, ce dernier à la fois phylarque et recruteur de tirones pour l’armée romaine).

§ b. Si le second dossier est manifestement moins bien fourni, les deux concentrations d’un nom féminin grec en Mygdonie (Macédoine) pourraient bien s’expliquer par un phénomène d’assonance.

Μύστα (f.)

Macedonia
(1-2) Kalindoia (Mygdonia), déd. (SEG, XLII, 588) (ca. 85p) : Φλαουία Μύστα.|| déd. (SEG, LIV, 606 = , 2004, 1329) (87p): Φλάουιοι Μύστα καὶ Εἰσίδωρος καὶ Μύστα νεωτέρα τὰ τέκνα.

(3) Thessalonike (Mygdonia), épit. (IG, X.2.1, 904) (IIp) : Ἀ̣π̣ολ̣λών̣ι̣ο̣ς Εὐπόρου τῇ γυναικὶ κα̣ὶ Μύστα Μαντουνι τῇ μητρί.

(4) Thessalonike (Mygdonia), épit. (IG, X.2.1, 852) (IIp) : Οὐλπία Μύστα Γάμῳ τῷ συντρόφῳ καὶ τοῖς θρέ̣ψασι.

(5) Thessalonike (Mygdonia), épit. (IG, X.2.1, S1, 1179) (IIp) : Μύστα Δημητρίου Εὐτυχίδι τῇ θρεπτῇ.

(6) Thessalonike (Mygdonia), épit. (IG, X.2.1, S1, 1269) (après 212p) : Αὐρηλία Κλεοπάτρα Αὐρηλίᾳ Μ[ύ]στᾳ τῇ γλυκ[υτά]τῃ μητρί.

Μυσταρώ (f.)

Macedonia
(1) Apollonia (Mygdonia), épit. (Kinch 17) (oct. 163p) : Ἑρμόνεικος Θεοκούρου καὶ Μυσταρὼ Κοτυος τῷ υἱῷ Παραμόνῳ.

Une trentaine d’occurrences du nom Μύστα sont répertoriées dans LGPN, I-V.C, qui ne semble pas avoir été particulièrement répandu dans le monde grec. Or, avec sept occurrences à l’époque impériale, Μύστα71 et son dérivé Μυσταρώ semblent tirer leur relative fréquence en Mygdonie de l’homophonie avec le nom féminin indigène Mesta/Μεστα, connu par 5 occurrences en Macédoine Orientale (OnomThrac 214), et en général de la fréquence de la famille des noms en mest-. Même si le nom Μύστα est parfaitement grec72, qui plus est à connotation religieuse, l’on constate la présence d’un dérivé par suffixation, Μυσταρώ, qui est son augmentatif73. Ce nom entre, en Macédoine (Lycaro, Ματερώ, Τυχαρώ) comme ailleurs, dans la série des diminutifs féminins bâtis de la même manière. Dans le registre thrace, on peut citer Μεσταρώ (OnomThrac 214, Thessalie, IG, IX.2, 484), diminutif construit sur la racine thrace mest-, si fréquente en Macédoine Orientale (cf. OnomThrac 214, pour la série).

Pour le moment, les occurrences se concentrent à Thessalonique et dans deux petites cités de Mygdonie, Kalindoia (nota bene, dans une famille de notables, 1 et 2, qui participe à la restauration du Sebasteion)74 et Apollonia75. À Thessalonique, l’une des personnes est fille de Μαντώ (3), nom grec mythologique qui est typique de la Macédoine Orientale76, car assonant avec le nom féminin indigène Μαντα / Manta. Quant au patronyme de Μυσταρώ à Apollonia de Mygdonie, Kotys, il est thrace, étant l’un des noms les plus fréquents, y compris en Macédoine Orientale. Comme dans le cas de Δεινίας / Δινίας (supra), les exclusions sont tout aussi importantes que les inclusions pour la définition des phénomènes d’assonance, car les rencontres fortuites ne manquent pas. Il faut exclure de la liste des occurrences en Macédoine, toutes d’époque impériale (cf. les gentilices FlaviusVlpius et Aurelius), une autre épitaphe de Thessalonique, honorant la mémoire de la femme d’un ressortissant de Bithynie (IG, X.2.1, 700) : Φοῦσκος ΧΡΗΤΟΣ Νικομηδεὺς Δομιτίᾳ Μύστᾳ τῇ ἰδίᾳ γυναικὶ μνήμης χάριν. Étant donné que le gentilice Domitius est très fréquent en Bithynie, pour des raisons historiques77, l’épouse du Nicomédéen Fuscus serait plutôt originaire de la même contrée micrasiatique.



Il convient d’inclure ces phénomènes d’assonance parmi les évolutions onomastiques générales des régions thracophones. Alors que la plupart des soldats auxiliaires issus de cet espace portent des noms indigènes encore à la fin du IIe s., et que dans beaucoup de régions le mélange onomastique thrace, grec et latin est d’usage, on constate au IIIe s. p.C. un certain appauvrissement du stock onomastique thrace, ou plutôt sa diminution apparente par rapport à la richesse précédente. En revanche, la popularité d’un groupe restreint de cinq noms, plus grande chez les militaires qui sont encore plus visibles dans la documentation, est indiscutable : BithusDizaMucaporMucatralis (avec sa forme courte Mucatra) et surtout Mucianus, le nom d’assonance le plus populaire. Comme nous l’avons vu, ce sont les noms d’assonance – dans le registre latin (DecianusDentoMestrius,-aMestrianus,-aMucianus,-a,Torquatus,-a), secondé par celui grec (Δ(ε)ινίας, Μαντώ, Πίστος, Πύρρος et Πυρρίας) – qui s’imposent dans l’ensemble des régions au IIIe s., en particulier en Macédoine Orientale. C’est le signe d’une imbrication en profondeur des trois systèmes onomastiques, indigène, grec et latin, avec cependant un ascendant du registre onomastique latin. On dispose ainsi d’un indice de l’intégration des provinces balkaniques dans l’Empire, dépassant les visions antérieures, d’une résistance à la domination romaine, y compris au niveau onomastique, qui aurait été privilégiée à la fois par les Hellènes et les Thraces de ces régions. 

Ces processus d’adaptation concernent des racines et des séries onomastiques thraces très populaires (deci-, dent-, dini-, mest-, muca-, pir-, torc-), dont certaines sont concernées par d’autres enrichissements78. En effet, aux mêmes siècles et durant l’Antiquité tardive, d’autres processus de variation et de création onomastique s’affirment, par une suffixation grecque et latine, en particulier pour les diminutifs79. Ils concernent davantage les régions de longue tradition hellénique et de contact comme la Macédoine Orientale, la Thrace Égéenne, l’île de Thasos, la Propontide et la Bithynie80, dans lesquelles les interactions onomastiques se sont mis en place, en particulier au niveau micro-régional81.

Outre le jeu sur la variation/dérivation onomastique à partir des noms des parents et des autres membres de la famille, ces créations nous renseignent sur la vivacité des cultures locales. On voit bien qu’entre le conservatisme onomastique et l’adoption totale de noms grecs et latins – même si parfois il s’agit de noms d’assonance et de traits régionaux –, il existait d’autres options. La vogue des noms d’assonance, des créations hypocoristiques (par suffixation grecque et latine) ou la présence de noms hybrides marquent la transformation en profondeur du stock onomastique de facture indigène. L’aspect le plus notable est une sorte de banalisation ou de neutralisation de l’onomastique indigène, notamment dans le cas des femmes, manifeste dans la préférence pour des noms simples et, surtout, des Lallnamen. D’un côté, on note des phénomènes d’enrichissement et d’appropriation mutuelle82, illustrés par des catégories de noms qui ont l’avantage d’appartenir en même temps à deux registres onomastiques, avec, en arrière-plan, une vocation à “normaliser” l’onomastique indigène ; de l’autre côté, la faveur des Lallnamen à l’époque impériale éclaire un autre mode d’adaptation du stock anthroponymique indigène, car ces noms paraissent plus neutres, notamment dans les régions de tradition hellénique83.

Si les phénomènes d’assonance sont attestés depuis le début du IIe s. et prennent leur essor au milieu du même siècle – en parallèle avec la généralisation de l’epigraphic habit –, la chronologie nous informe que certains des noms d’assonance restent encore populaires durant l’Antiquité tardive ; ils continuaient d’être perçus comme typiques des régions thraces, en particulier les dérivés en –anus (Mestrianus et Mucianus), l’une des suffixations habituelles pendant ces siècles84. Comme les autres phénomènes d’hybridation dans ces régions multiculturelles par excellence que sont les provinces balkaniques, l’analyse de ces créations anthroponymiques nous fait découvrir des flux et des reflux des modes onomastiques. C’était aussi le cas des noms d’assonance thrace, de véritables miroirs culturels qui, utilisés avec prudence, peuvent refléter des processus d’acculturation sur plusieurs générations et qui ne se laissent entrevoir que par ces témoignages onomastiques.

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  • Sharankov, N. (2017) : “A Verse Epitaph and Other Unpublished Inscriptions from Heraclea Sintica”, Archaeologia Bulgarica, 21, 1, 15‑38.
  • Sharankov, N. (2018) : “The Date of the First Pythian Games in Serdica”, in : Boteva-Bojanova et al., éd. 2018, 373‑391.
  • Slavova, M. (2010) : “The Struma Valley Revisited: Cultural Encounters in Roman Times on the Balkans (The Epigraphic Data)”, Archaeologia Bulgarica, 14, 2, 39‑51.
  • Solin, H. (1994) : “Anthroponymie und Epigraphik. Einheimische und fremde Bevölkerung”, Hyperboreus, 1, 93‑117.
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  • Solin, H. (2001) : “Analecta Epigraphica”, Arctos, 35, 189‑241.
  • Sverkos, I. (2012) : “Statieni: µια οικογένεια απελεύθερων σε λατινική επιγραφική από την περιοχή του ∆ρυµού”, in : Adam-Veleni & Tzanavari, éd. 2012, 643‑652.
  • Tataki, A. V. (2006) : The Roman Presence in Macedonia: Evidence from Personal Names, MELETHMATA 46, Athènes.
  • Yon, J.-B. (2018) : L’histoire par les noms. Histoire et onomastique, de la Palmyrène à la Haute Mésopotamie romaines, Bibliothèque Archéologique et Historique 212, Beyrouth.
  • Zannis, A. (2017) : “Society, Religion and Culture in the Middle Strymon Valley”, in : Nankov, éd. 2017, 87‑105.

Notes

  1. Pour citer Raepsaet-Charlier 2012, 16 : “As in many fields of history, regardless of the period studied, epistemological obstacles are more intractable than the gaps in documentation”.
  2. J’ai analysé une partie de ces noms afin de saisir l’impact de l’onomastique latine sur les noms indigènes de l’espace thrace (Dana 2011a), en dressant des cartes de distribution pour MestriusMestrianus et Torquatus. Cette catégorie est plus brièvement traitée dans mon répertoire OnomThrac (Dana 2014, CII-CIV), avec des cartes de distribution : noms en mest-Mestrius et Mestrianus (CIII, fig. 9) ; noms en torc- et Torquatus (CV, fig. 10) ; noms en deci- (115, fig. 19) ; Mucianus (248, fig. 34) ; Pyrula et Pyrrhus (284, fig. 37-38).
  3. Sauf mention contraire, toutes les dates sont de notre ère. Les mots indigènes ne seront pas accentués dans cet article, à l’exception de ceux munis d’un suffixe grec.
  4. Sur des exemples d’ “histoire par les noms” (l’expression est de Louis Robert), voir Hatzopoulos 2000 (domaine macédonien), Dana 2011b (Thraces à l’époque hellénistique), Coşkun 2013 (Galatie), Yon 2018 (espace syrien oriental).
  5. Sur l’expression onomastique de l’identité autochtone en Afrique du Nord antique, voir Dondin-Payre 2005a ; voir aussi Dondin-Payre 2005b, sur le rapport entre dénomination et romanisation dans les mêmes régions.
  6. Voir les études de Rey-Coquais 1979 ; et en particulier Sartre 1985, 141-152, Sartre 1998 et Sartre 2007.
  7. Cf. Raepsaet-Charlier 2008, 208.
  8. Quelques titres, dans une liste pléthorique : Detschew 1957 ; Russu 1969 ; Beševliev 1970 ; Georgiev 1983 ; Duridanov 1995.
  9. Sur les usages idéologiques des Thraces dans les historiographies bulgare, roumaine et grecque, voir l’excellente analyse de Marinov 2016.
  10. Ainsi, le nombre et le poids des noms thraces est exagéré par nombre d’historiens bulgares et roumains ou, au contraire, réduit par nombre d’historiens grecs ; alors que l’accroissement de la documentation demande la réévaluation critique des thèses traditionnelles, les analyses onomastiques restent souvent prisonnières de l’héritage historiographique. Ainsi, l’obsession de l’hellénisation domine la monographie de Samsaris 1993 ; parmi les études récentes qui perpétuent des théories désuètes, pour des raisons de fidélité (culte de Fanoula Papazoglou) ou des visées identitaires, on peut citer l’approche confuse de Proeva 2017.
  11. Malgré les simplifications abusives ou les dérapages qui ont été parfois suscités par l’emploi de ces termes, je préfère les utiliser, tout en insistant sur leur sens conventionnel.
  12. Dana 2014, LXIII-LXXXII.
  13. Dana 2012a ; Dana 2014, LXIII-LXXXII.
  14. Étude et recueil maximalistes de Mateescu 1923 et de Detschew 1957 (sur ce dernier, voir Dana 2014, XVII-XX) et monographie très problématique de Dimitrov 2009 (voir mon c.r., Dana 2012b).
  15. Raepsaet-Charlier 2005 ; Raepsaet-Charlier 2008, 289-290 ; Raepsaet-Charlier 2012, sur les “Decknamen” (“noms de couverture”) et les phénomènes d’homophonie et d’assonance ; Raepsaet-Charlier 2005a, 228.
  16. Expression forgée par L. Weisgerber ; voir Dondin-Payre & Raepsaet-Charlier 2001, VI. Ainsi, le nom latin Verecundus (“discret”, évoquant la modestie et la tempérance) est très fréquent dans les provinces occidentales (OPEL, IV, 157-158), puisqu’il était perçu comme une association de deux éléments gaulois, ver– (“très”) et condo– (“intelligent”) ; voir l’étude exhaustive de Lefebvre 2011, qui en voit le “nom d’assonance le plus spectaculaire à cause de son homophonie latine et celte”.
  17. Voir Solin 1994-1995 (en partic. sur les noms syriens). Cette situation promet de changer, comme il ressort des recueils récents édités par Matthews 2007 (sur les “mondes nouveaux” de l’onomastique grecque, en partic. la prudence méthodologique de Sartre 2007 et l’étude de Schmitt 2007 sur la reinterprétation grecque des noms iraniens, par étymologie populaire) et Parker 2013 (en partic. les articles de C. Brixhe, M. Adak et A. Coşkun).
  18. Brixhe 1991 ; O. Masson, , 1991, 194 ; en dernier lieu, l’analyse de Balzat 2014, avec l’ensemble des occurrences (LGPN, V.B, 144-155 et V.C, 141-150).
  19. Existence parfois contestée par certains historiens traditionnels, prisonniers de leurs logiques rassurantes.
  20. Raepsaet-Charlier 2017, 217.
  21. Raepsaet-Charlier 2005, 228.
  22. Dondin-Payre & Raepsaet-Charlier 2001, VI.
  23. À titre d’exemple : Mateescu 1923, 109 (BassusCastusDecianusGermanusMestrius et MestrianusTerentiusTorquatusVitalis) ; Beševliev 1970, 63 (Mestrius), qui cite encore, 40-41 (Montanus) et 44 (BassusCastusCelsusGermanus) ; Mihailov 1977, 345-347 (BassusCelsusGermanusMarcus et MarcianusMucianusTorquatus) ; Raepsaet-Charlier 2005, 227 (BassusCelsusMucianus). Parmi les noms inclus dans cette catégorie, certains ne sont pas des noms d’assonance thrace, étant en réalité des noms fréquents à l’époque impériale, en particulier dans le milieu militaire (BassusCelsusGermanusVitalis) – milieu dans lequel les soldats d’origine thrace sont sur-representés. Voir déjà I. I. Russu (dans Mihailov 1977, 352), selon lequel il est plus prudent de considérer BassusCelsus et Germanus uniquement comme des noms latins.
  24. En effet, beaucoup de noms thraces sont attestés ailleurs que dans les provinces balkaniques, car de très nombreux Thraces et Daces sont recrutés dans tous les corps de l’armée romaine : unités auxiliaires, légions, flottes prétoriennes, unités d’élite de Rome (cohortes prétoriennes et equites singulares Augusti). De l’époque hellénistique jusqu’à la fin de l’Antiquité tardive, environ la moitié des occurrences de noms thraces sont hors des Balkans.
  25. Par rapport aux domaines celtique, germanique, sémitique et africain, il est encore plus difficile de reconnaître les noms de traduction dans le domaine thrace.
  26. Ainsi, une épitaphe d’Albanum (, 1919, 72), après 212 : Aurelius (sic) Paibaeequiti leg(ionis) II Parth(icae), qui vixit ann(is) XXVIII, mil(itavit) ann(is) VIII. Aurel(ius) Zypyr et Aurel(ius) Mestrius, heredes et cont(ubernales) ; Paiba (gr. Παιβης) et Zypyr (gr. Ζιπυρος) sont des noms typiques pour la Macédoine Orientale. Et une autre épitaphe, de Rome, du IIIe s. avancé (, 2004, 308) : Aur(elius) Siṭa, mil(es) coh(ortis) I pr(aetoriae), vixi{it}t an(nis) XXXII ; posuerunt contubernales sui de suo et Mucianus et Zinama Sita et Zinama sont des noms thraces.
  27. Beševliev 1970, 38-40 ; Mihailov 1977, 347 ; curieusement absent chez Detschew 1957. Une partie des attestations : OPEL, III, 89 ; LGPN, IV, 242-243 (78 ex.) ; Tataki 2006, 501-502 (cognomen n° 102, 6 ex.). Voir à présent OnomThrac 246-255, avec la carte des occurrences fig. 34 (et OnomThracSuppl, s.v.).
  28. On compte également deux dérivés féminins, Muciana et Mucianilla ; le meilleur exemple est offert par une épitaphe du territoire de Nicopolis ad Istrum (en Mésie Inférieure), érigée par M. Aurel. Mucianus, vet(eranus) ex b(ene)f(iciario) leg(ati) leg(ionis) I Ital(icae), pour sa fille [Aurel(ia)?] Muciana et son frère vétérain, Aurel. Dizza (CIL, III, 12408 = ILBulg 430).
  29. La plupart des étymologies proposées pour des noms thraces sont très spéculatives et reflètent l’imaginaire des linguistes.
  30. Province inermis, sans aucune légion et une très faible présence d’unités auxiliaires, la Thrace continue de constituer un réservoir de recrutement, en particulier pour les provinces danubiennes, y compris dans les légions, à partir de la fin du IIe s.
  31. Dana 2004, 442.
  32. La popularité de Licinianus et des noms de la même famille en Dalmatie (Alföldy 1969, 231) est en rapport direct d’assonance avec les noms indigènes de facture illyrienne (Lic-/Licc-).
  33. Aujourd’hui encore, les trois collines conservent leur anciens noms turcs Nebet-tepe, Džambaz-tepe et Taksim-tepe (Danov 1979, 245-246). Ce nom, évoqué par Pline l’Ancien, Nat., 4.11 (nunc a situ Trimontium dicta) et Ptolémée, Geogr. 3.11.12 (Φιλιππόπολις ἡ καὶ Τριμόντιον), est en outre attesté par une inscription et un diplôme militaire : M. Aur. Dines, Trim(ontio), licencié en 195 de la legio VII Claudia de Viminacium, en Mésie Supérieure (CIL, III, 14507 = IMS, II, 53 col. I b 53) ; diplôme du 7 janvier 221 du prétorien M. Septimius M. f. Vlp(ia) Maeticus Trimontio (CIL, XVI, 139).
  34. Cf. l’épitaphe d’Apamée de Syrie de Aur. Moucianos (sic), miles leg(ionis) II Part(hicae), érigée par son héritier Aur. Dizza (AE, 1993, 1579).
  35. Grassi 2012, 231-232 (transcriptions de Muqīm) ; Yon 2018, 58, sur Mucianus comme possible transcription/adaptation de mqymw. Tel est le cas de [Μου]κιανὸ[ς] Μαλχου τοῦ Μοκιμ[ου] (Palmyre, SEG, XXXVIII, 1578). Pour ces raisons, Mucianus optio Pal(myrenorum) qui est l’auteur d’une dédicace à Silvanus Domesticus à Porolissum (ILD, I, 690) doit être un Palmyrénien en service dans le numerus Palmyrenorum en garnison au Nord de la Dacie Porolissensis.
  36. Listes partielles de ce nom : OPEL, III, 79 ; LGPN, IV, 232 (Μέστριος : 7 ex. ; Μέστρις : 1 ex.). Dans la liste des Mestrii (gentilice) donnée par Tataki 2006, 313-315 (n° 359), on compte en réalité beaucoup de noms pérégrins. Solin 2001, 208-209 note l’exemple intéressant d’un Μέστριος Μεστριανός en Pélagonie (IG, X.2.2, 254), gentilice et surnom formé sur le gentilice. Sur les Mestriani, voir Tataki 2006, 500 (cognomen n° 99, 2 ex.).
  37. Detschew 1957, 296-300 ; OPEL, III, 79 ; LGPN, IV, 232-233. On ignore le rapport de cet anthroponyme avec le nom du fleuve Νέστος et sa variante Μέστος/Mestus (qui, en grec, a toutefois le sens de « plein, rempli »), d’où dérive le nom bulgare du fleuve, Mesta.
  38. Une vingtaine d’exemples chez Tataki 2006, 313-315 (gentilice n° 359) : 7 à Dion ; 4 à Thessalonique (ville cosmopolite) ; 2 à Beroia, à Stobi et en Pélagonie ; 1 à Edessa, Pella et en Péonie. Dion, Stobi et Pella étaient des colonies romaines.
  39. Cette région se caractérise par ailleurs par une forte production épigraphique.
  40. Mihailov 1977, 346. Occurrences : LGPN, IV, 296 (Πύρος) et 297 (Πύρρος, Πυρρίας).
  41. Detschew 1957, 513 ; Mihailov 1977, 347 ; LGPN, IV, 334, s.vv. Τορκᾶτος (4 ex.), Τορκουᾶτος (15 ex.) ; Tataki 2006, 518-519 (cognomenn° 169, 15 ex.).
  42. À ce propos, il convient de supprimer de la liste de possibles noms d’assonance un exemple provenant du territoire d’Hadrianopolis, car la lecture habituelle Πείστος Υκονοηος (IGBulg, III.2, 1817) a été opportunément corrigée en ὐκονό<μ>ος (= οἰκονόμος) par Sharankov 2016, 332.
  43. Nadvirnjak et al. 2016, 183, n° UA-022 ; la découverte de ce fragment en Ukraine occidentale (région de Vinnycja), à l’instar d’une vingtaine d’autres diplômes militaires fragmentaires, s’explique par les raïds et les spolia des porteurs de la culture de Chernyakhov au Sud du Danube, sur le territoire des anciennes provinces de Mésie Inférieure et de Thrace.
  44. M. Aurelius Deciani fil(ius) Decianus, Colonia Malve(n)se ex Dacia (CIL, XVI, 144 = ILS 2009 = DKR 76 = IDRE, I, 166 ; diplôme conservé au musée de Naples).
  45. Petolescu 2007, 153-154 (cf. déjà dans IDRE, I, 1996, p. 169), qui avait pensé à tort que le cognomen Decianus “ne semble pas être romain”, n’hésite pas à en voir un “anthroponyme dace sûr, qui comporte le radical Dec-” ; en cela, il suivait Mateescu 1923, 189, sans comprendre réellement la portée de ses explications.
  46. Cf. OnomThrac 115 et OnomThracSuppl. Sur ces noms : Dana 2003, 175 ; Dana 2007. Quant au duumvir de Napoca C. Numerius Decianus (CIL, III, 14465 = ILS 7150), sur lequel on ne dispose d’aucun autre renseignement, l’assonance est peu probable.
  47. Μαντώ (OnomThrac 209-210) est un nom grec mythologique, choisi pour l’assonance avec le nom féminin Manta / Μαντα (et ses dérivés), qui est très fréquent en Macédoine Orientale (OnomThrac 206-210) ; voir Mihailov 1987, 89-103.
  48. En Thrace et en Mésie Inférieure, les dédicaces – dont la plupart sont individuelles – restent majoritaires dans la documentation épigraphique.
  49. La Macédoine est une province romaine depuis le milieu du IIe s. a.C.
  50. Voir l’étude de Brélaz 2015 sur les usages épigraphiques des indigènes du territoire de la colonie de Philippes (enclave latinophone en Macédoine), qui utilisent plutôt le latin que le grec. 
  51. Cf. la popularité exceptionnelle dans les régions centrales de l’Asie Mineure de Δόμνος et Δόμνα (LGPN, V.C, 125-128) ; voir, entre autres, Coşkun 2013, 89 (“More interestingly, the highly popular Domnos can be understood as Phrygian, Celtic and Roman, so that one may wonder if the Roman reinterpretation of this name prompted the frequency of Greek Kyrios”) et 103 n. 74 ; la meilleure explication, en partic. en Galatie, est l’assonance de ce nom latin méritoire avec la racine celtique dubn-.
  52. Des praenominanomina (gentilices) et cognomina furent utilisés comme idionymes (ce phénomène est tout aussi banal dans les provinces occidentales), et comme cognomina dans le cas des citoyens romains.
  53. Ces noms latins sont néanmoins moins prisés dans les familles de notables et restent l’apanage des couches moyens et des milieux plus populaires – ce qui, de nos jours, évoque les enquêtes sociologiques au sujet des noms anglo-saxons en France (les fameux Kévin et Jennifer).
  54. Cette tradition est moins analysée dans l’étude de Slavova 2010 sur la vallée du Moyen-Strymon à l’époque impériale, qui parle uniquement d’une influence grecque, voire d’Asie Mineure. Pour la complexité culturelle et onomastique de cette région, voir Sharankov 2013 ; Zannis 2017 ; Dana 2018 (en partic. à Kalindoia).
  55. La date “246” d’une ère non-spécifiée est généralement interprétée comme celle de l’an 214/215 de notre ère (selon l’ère actiaque ou auguste), mais l’absence des gentilices pourrait indiquer l’an 98/99 de notre ère (selon l’ère “nationale”, l’autre ère en cours dans la province de Macédoine).
  56. Cf. LGPN, IV, 206.
  57. Ainsi, à Héraclée Sintique, on connaît des stèles funéraires d’époque hellénistique, en particulier des colons macédoniens et, à l’époque impériale, un mélange onomastique macédonien, thrace (y compris par des noms d’assonance) et latin (voir les nouveautés épigraphiques de l’article de Sharankov 2017).
  58. Voir Loukopoulou 1996, 247-248.
  59. Même si sur le diplôme les noms des garçons (tous de facture thrace) sont inscrits avant les noms des filles, selon l’usage, les noms de facture latine donnés aux filles du soldat indiquent avec certitude l’ordre des naissances.
  60. Dana 2014, XCVII.
  61. Voir Kajanto 1965, 233 ; Solin 1995, 436 ; Dana 2014, CI-CII. Pour d’autres rencontres phonétiques, cette fois entre le grec et le thrace (Τηρης/Τηρεύς, cf. Thucydide 2.29.2-3), voir Hatzopoulos 1988, 53.
  62. Ce type de contaminations a occasionné des graphies rarissimes d’autres noms thraces : Bizens (pour Bisa/Biza, gr. Βιζας/Βιζης), Bubens (pour Bubas ?), Dinens (pour Dinis/Δινης) et Seuthens [pour Seut(h)es]. En effet, derrière ces phénomènes on entrevoit une assonance qui n’est pas fortuite avec des noms latins très prisés dans le milieu militaire (Crescens, Potens, Pudens, Valens) ; inversement, dans le latin parlé, les formes participiales étaient souvent simplifiées, ce qui explique les graphies banales Cresces, Vales, etc., ou bien doles au lieu de dolens.
  63. SEG, LVI, 777 = IG, X.2.1, S1, 1212 ; la stèle figure, en relief, les quatre membres de la famille.
  64. Un fils qui porte le même nom que son grand-père maternel, en même temps en rapport avec le nom assonant de son père, Τορκίων.
  65. Eck & Pangerl 2015, 257-260 (, 2015, 1904).
  66. Ce nom thrace est connu sous plusieurs graphies (Durisses, Durises, Dorisis, Doritses, Δοριζης), avec sept autres occurrences, surtout pour des soldats auxiliaires (OnomThrac 170).
  67. La plupart sont des P. Aelii, et un quart des M. Vlpii.
  68. Sharankov 2018, 386. Abréviations : cat(alogue), déd(icace), épit(aphe), hon(orifique), imp(érial), inéd(it), sanct(uaire), terr(itoire).
  69. Sharankov 2013, 394-395 et Sharankov 2018, 386 ; cf. déjà une suggestion chez Beševliev 1970, 17 (alors que Detschew 1957, 138, le prenait à tort pour un nom thrace).
  70. Parissaki 2007, 157. Dans la notice Δινίας (LGPN, IV, 98), il convient d’exclure le n° 5, car le patronyme au gén. Δινίο[υ] (d’après Mihailov, IGBulg, IV, 2214, dans le territoire de Pautalia : Δεῖος Δινίο[υ]) doit être en réalité le génitif Δινιο[ς], du nom thrace Δινις. 
  71. Nom inclus par Loukopoulou 1996, 293 dans l’anthroponymie macédonienne “par la désinence dialectale ionienne non-attique”, comme “forme féminine d’un radical hellénique largement répandu”.
  72. Sur cette famille de noms, voir les commentaires de Sverkos 2012, 647 (Μύστα, Μύστης / Μύστος, Μύστιον), à l’occasion de l’édition d’une épitaphe collective de la région de Létè (en Mygdonie), dans laquelle apparaît un nom de la même série, attesté par deux fois dans une famille d’affranchis : [S]tatiena C(ai) li(berta) Mystale et sa fille [St]atiena C(ai) f(ilia) Mystale (, 2009, 1272 = , 2012, 1374).
  73. Voir M. B. Hatzopoulos, , 2015, 446 ; Dana 2017, 208 (comme élargissement du suffixe -ώ ou comme féminisation du suffixe masculin -αρος).
  74. L’une des Μύστα de Thessalonique érige la tombe d’une dépendante, Eutychis (5).
  75. M. Hatzopoulos, , 2006, 253.
  76. Avec 17 occurrences (LGPN, IV, 220 et OnomThrac 209-210), alors que seulement deux ou trois autres sont attestées dans le reste du monde grec (voir note 48).
  77. Comme gentilice mais aussi comme cognomen et idionyme pérégrin ; voir J. et L. Robert, , 1953, 194 ; 1958, 476 ; 1963, 263-265 ; LGPN, V.A, 147. La fréquence des Domitii en Bithynie s’explique par la citoyenneté romaine accordée à plusieurs familles par le gouverneur Cn. Domitius Ahenobarbus, sous Marc-Antoine (40-34 a.C.).
  78. De manière similaire, les noms thraces enrichis par suffixation grecque comptent parmi les plus populaires en général (Βιθυς, Διζας, Σευθης) ou dans une région donnée, comme la Macédoine Orientale, qui fournit la moitié des exemples (Δουλης, Μαντα, Τορκος).
  79. Les noms féminins semblent avoir été plus affectés par les créations hypocoristiques par suffixation grecque et latine.
  80. Βενδοῦς, Δινταρίων, *Διζαρίων, Δουλαρίων, Μανταροῦς, Μαντοῦς, Μαντώ, Μεσταρώ, Σουσαρίων, Σουσίων, Syrio / Συρίων, Τορκίων.
  81. Voir Dana 2017.
  82. Comme les noms d’assonance, ces créations régionales par suffixation appartiennent par leurs éléments à deux registres onomastiques à la fois, jouent un rôle de passerelle entre des groupes qui coexistent et se mélangent, témoignant ainsi d’acculturations en cours ou plus généralement de modes régionales et d’évolutions sur la longue durée.
  83. Des noms de femme, comme Μωμω (en Macédoine Orientale) et Nene ; sur la côte orientale de la Mésie Inférieure, on remarque la fréquence des noms Αττας et Dada (masc.) et Mama (f.) ; en Bithynie, les trois noms de femme les plus fréquents sont Ια, Λαλα et Τιτθα. En Anatolie gréco-romaine, Brixhe 2013 parle d’une “koinéfication” du stock onomastique indigène.
  84. Certains noms concernent d’autres registres, ainsi, dans l’espace thrace, Sebastianus/Σεβαστιανός/Σαβαστιανός, avec les variantes théophores Σεβαζιανός / *Σαβαζιανός (voir Dana 2010). En raison de la présence de deux noms caractéristiques, une épitaphe du IIIe s. d’Olympos (en Lycie) doit concerner la famille d’un prétorien originaire de Thrace : Αὐρ(ήλιος) Μουκιανὸς πραιτωριανὸς κατεσκε̣ύασα τὸν τύμβον ἑαυτῷ καὶ γυναικί μου Αὐρ(ηλίᾳ) Σεβαζίᾳ καὶ τέκνοις ἡμῶν (TAM, II, 949).
ISBN html : 978-2-38149-001-4
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EAN html : 9782381490014
ISBN html : 978-2-38149-001-4
ISBN pdf : 978-2-38149-001-4
ISSN : 2741-1818
Posté le 02/03/2020
19 p.
Code CLIL : 3147
licence CC by SA
Licence ouverte Etalab

Comment citer

Dana, Dan, “Les noms d’assonance Thrace : des miroirs culturels”, in : Ruiz Darasse, Coline, Comment s’écrit l’autre ? Sources épigraphiques et papyrologues dans le monde méditerranéen antiques, Pessac, Ausonius éditions, collection PrimaLun@ 1, 2020, 61-80, [En ligne] https://una-editions.fr/les-noms-dassonance-thrace-des-miroirs-culturels [consulté le 15 juin 2020].
doi.org/http://dx.doi.org/10.46608/UNA1.9782381490007.5
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