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Monuments et œuvres d’art du Bazadais
L’église Saint-André de Lucmau

Paru dans : Les Cahiers du Bazadais, 7, 1964, 10-21.

Il sera toujours difficile d’éclairer l’histoire des églises bazadaises, après la disparition presque complète des archives de l’évêché de Bazas. Même pour le XIXe siècle, beaucoup de documents ont été d’ailleurs dispersés et, le plus souvent, il ne nous reste que des comptes de fabrique laconiques et incomplets. L’église de Lucmau est cependant une de celles sur lesquelles nous possédons des documents un peu plus précis, et c’est la raison pour laquelle nous lui avons aujourd’hui consacré cette rubrique. Au début du XIXe siècle, le curé de Lucmau, l’abbé J.-B. Latapy, répondit, en effet, à deux enquêtes sur l’état de l’édifice, l’une en date du 27 août 1804 (1), l’autre, de 1811 (2). Il les compléta par deux mémoires (3, 4), dont l’un est intitulé : “Notice sur la fabrique de la paroisse de Lucmau et d’Insos” (4). Or, l’abbé Latapy, qui avait pris possession de son poste le 25 septembre 1803, avait déjà été curé de Lucmau avant la Révolution, et il n’a pas manqué de nous renseigner sur les activités de la fabrique à la fin du XVIIIe siècle. Celles-ci paraissent avoir été considérables puisque, nous le verrons, la construction des bas-côtés, celle de la sacristie et une partie de la décoration datent sans doute de cette époque. Seuls, l’abside romane et le clocher de style gothique furent, semble-t-il, épargnés. Les raisons de ces agrandissements et de ces transformations doivent être recherchées dans l’essor démographique de la paroisse, plus que dans sa richesse ou ses sentiments religieux. Comme nous aurons l’occasion de le voir, la paroisse de Lucmau était beaucoup plus peuplée vers 1750 qu’elle ne l’est aujourd’hui, puisqu’elle atteignait 579 habitants, au lieu de 294 de nos jours. Socialement, il n’y avait alors que des métayers et seulement neuf à dix familles de propriétaires. La fabrique ne vivait que des aumônes des fidèles et de leurs offrandes revendues ensuite aux enchères, qui consistaient en grains, laines, filasses, agneaux, volailles, linges et bougie commune et accessoirement de la générosité des décimateurs (4). Cette fabrique était cependant fort bien organisée, et c’est à cela et au nombre des paroissiens, que l’on doit sans doute ses possibilités financières. L’assemblée de paroisse élisait chaque année deux gardes, chargés de l’entretien et du service de l’église et dont le premier, qualifié de comptable, s’occupait des affaires financières. Cette organisation, déjà centenaire en 1789, avait été établie par un curé de Lucmau et fonctionnait à la satisfaction générale (4). Une fois la Révolution passée, la fabrique fut réorganisée, à la suite du mandement de l’archevêque de Bordeaux du 16 décembre 1803, sur le modèle de la précédente, mais les gardes, au lieu d’être élus par tous les paroissiens, ne le furent plus que par les seuls fabriciens (4). Elle continua au XIXe siècle, parfois avec l’aide de la municipalité, parfois aussi grâce à des dons privés, l’œuvre entreprise avant la Révolution. Il nous en reste des témoignages qui ne correspondent malheureusement plus au goût de notre époque. Il semble, enfin, que depuis un demi-siècle, sauf des réfections de toiture ou de maçonnerie, aucune modification essentielle n’ait été apportée à l’édifice que nous allons décrire et qui a été inscrit à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques, par arrêté du 24 décembre 1925.

Fig. 1.

Plan

Le plan de l’église Saint-André de Lucmau est d’une grande simplicité : une nef flanquée de bas-côtés et terminée par une abside semi-circulaire.

Nef

On entre dans la nef principale par une porte ouverte sous un clocher pignon et donnant sur un couloir de 2,15 m de large, ménagé dans l’épaisseur du mur, et dans une petite pièce lui faisant suite. À gauche se trouve l’escalier donnant accès aux cloches.

La nef de 18,55 m de long sur 5,05 m de large est séparée des bas-côtés par trois paires d’arcs plein cintre, à intrados plat et angles chanfreinés, de 4,55 m d’ouverture, reposant sur deux paires de piliers carrés couronnés par une corniche. D’après l’abbé Latapy, piliers et bas-côtés ne dateraient que du début du XVIIIe siècle et non du XVe siècle, comme l’avait pensé Léo Drouyn (4, 6). Cependant, dans le bas des piliers se trouve un décor qui a pu l’amener à avancer cette hypothèse. Les supports ont en effet leurs angles chanfreinés, mais à la partie inférieure le plan redevient carré. Dans le cavet qui permet de rattraper l’angle vif on aperçoit une sorte de pyramide très allongée, constituée par trois ou quatre petits triangles superposés, de dimensions décroissantes vers le haut. Un tel décor pourrait bien être du début du XVIe siècle. Il est donc possible que l’abbé Latapy ait commis une erreur. Peut-être aussi y a-t-il eu plusieurs étapes dans la construction de ces bas-côtés, une au XVIe siècle et l’autre au début du XVIIIe. Il ne faut pas enfin oublier que la chronologie des styles doit être toujours maniée avec prudence dans les campagnes reculées, et qu’on pouvait très bien utiliser au XVIIIe siècle tel élément décoratif du gothique finissant. 

Le carrelage, que l’on retrouve dans les bas-côtés, est certainement celui de “carreaux de huit pouces” dont il est question dans l’enquête de 1804 et celle de 1811 (1, 2). Légèrement avant la seconde rangée de piliers, le sol est exhaussé d’une marche.

La nef est nettement surélevée par rapport aux bas-côtés, mais il ne s’agit là que d’une transformation récente, faite peu avant la Révolution, sous le ministère de l’abbé Latapy (4). On fit à cette époque “hausser l’église de neuf à dix pieds dans la nef” et on y établit “une voûte en plâtre et brique” (4). Celle que l’on voit aujourd’hui, éclairée par trois paires de fenêtres plein cintre, munies de verres colorés, est certainement beaucoup plus récente, mais de même nature. Il s’agit de trois voûtes d’ogive plus une demi-voûte à l’entrée, décorées d’un bandeau dans l’axe de la nef et de bandeaux perpendiculaires le recoupant à chaque clef, et dont les nervures retombent sur des culs-de-lampe. L’ensemble est peint, comme le reste de l’édifice, d’un enduit blanchâtre avec imitation de pierres, dessinées au trait.

Mobilier. – Il est constitué par un élégant bénitier en pierre, sur pied, dont la cuve de plan carré, est circulaire au-dedans, et par une chaire moderne qui a remplacé celle en noyer (1, 2) dont il est fait mention en 1811, et qui provenait d’Insos.

Chœur et abside

La nef se prolonge par un chœur de même largeur et de 2,45 m de long, peut-être raccourci lors de l’ouverture des bas-côtés. Il est séparé par une paire de demi-colonnes d’une abside semi-circulaire profonde de 2,20 m. Nous sommes, ici, en présence de la partie la plus ancienne de l’édifice, de style roman, datant vraisemblablement de la fin du XIIe siècle. En avant du chœur le sol est légèrement surélevé d’une marche qui, en plan, a la forme d’une anse de panier, mais le dallage en carreaux de ciment du XIXe siècle est sans intérêt. Les deux demi-colonnes qui animent le sanctuaire sont plaquées aux murs sans dosseret, et reposent sur une base, elle aussi semi-circulaire, au profil assez élégant constitué par deux parties verticales en retrait l’une par rapport à l’autre et séparées par un quart-de-rond et un cavet. Elles sont couronnées par des chapiteaux identiques : à la base un astragale de type antique constitué par un cavet surmonté d’un tore ; puis une corbeille, décorée aux deux angles par une double volute surmontant une grappe et, sur chacune des trois faces, par une feuille à cinq lobes ; enfin un tailloir rectangulaire, aussi élevé que la corbeille, parfaitement lisse, et constitué par deux parties verticales encadrant une partie incurvée.

Dans l’abside proprement dite sont percées trois fenêtres en plein cintre, assez larges, ornées de vitraux du XIXe siècle. Celui du centre représentant le Sacré-Cœur a été offert par Mgr Donnet, archevêque de Bordeaux de 1852 à 1882, dont on reconnaît les armes surmontées du chapeau cardinalice : “D’azur à la bande d’or, accompagnée d’une rose au naturel tigée et feuillée de sinople et en pointe d’une tour d’argent.” Le vitrail du sud, dédié à saint André, est un don de Mgr de La Bouillerie, archevêque de Perga et coadjuteur du cardinal Donnet de 1873 à 1882. On y voit ses armes “De gueules au chevron d’argent surmonté d’un croissant du même et accompagné de trois pommes de pin d’or.” Quant au vitrail du nord, représentant saint André, il semble avoir été offert par la famille de Sabran-Pontevès. On y reconnaît ici aussi les armes de la famille : en un et quatre, celles des Pontevès : “de gueules à un pont de deux arches et au parapet triangulaire d’or maçonné de sable” écartelées avec celles des d’Agoult : “d’or à un loup ravissant d’azur armé et lampassé de gueules” et en deux et trois, celles des Sabran : “de gueule au lion d’or”. Ces trois vitraux ont dû être placés vers 1877, lors de la refonte de la seconde cloche.

Fig. 2.

Mobilier. – Le chœur et l’abside sont décorés d’un tour en bois qui n’est qu’une reconstitution moderne d’un ensemble plus ancien. En 1804, en effet, le chœur était déjà “boisé et garni de bancs tout autour, en bon état” (1) qu’on allait d’ailleurs réparer vers 1811 (3). Le maître-autel actuel n’est qu’un spécimen banal de l’art religieux de la fin du siècle dernier. Il est très regrettable que la fabrique ait cru devoir l’édifier pour remplacer l’autel principal de l’église d’Insos, porté à celle de Lucmau entre 1804 et 1811. Au moment où éclata la Révolution, la fabrique allait en effet terminer les réfections de l’église par la construction d’un autel mais le projet fut alors abandonné si bien qu’en 1804 il n’y avait “qu’un autel volant avec un tableau par-dessus” et orné “d’un tabernacle bien fermé mais dégradé pour la dorure” (1). Dès cette époque, on songea à le remplacer par l’autel d’Insos “fort beau” aux yeux de l’abbé Latapy (1). C’était chose faite en 1811, à la suite d’une visite de l’archevêque et de l’intervention du sous-préfet de Bazas (3). Nous verrons d’ailleurs, que les paroissiens d’Insos, lorsque leur église fut à nouveau affectée au culte quelques années plus tard, réclamèrent en vain sa restitution, ainsi que celle d’autres pièces du mobilier de leur église. L’autel d’Insos comprenait en particulier “un rétable en bois doré avec deux statues d’évêques dorées”, “un tableau représentant une vierge et deux évêques” dont l’un était sans doute saint Martin et “un tabernacle doré” (2). Nous ignorons quel sort il a connu. Espérons qu’il fut alors vendu et que nous aurons un jour la chance de le retrouver.

Bas-côtés

Ce n’est qu’à une époque relativement récente qu’auraient été construits les bas-côtés. D’après la Notice de l’abbé Latapy c’est avant sa venue à Lucmau qu’ils auraient été élevés, donc vers le milieu du XVIIIe siècle, mais nous avons vu qu’en fait ils pourraient être beaucoup plus anciens (4). Il n’y aurait eu au XVIIIe siècle que de simples aménagements. Bien que celui du nord soit plus large que celui du sud (5,37 m au lieu de 4 mètres), il existe entre eux de nombreuses ressemblances : séparation de la nef, éclairement par trois fenêtres, celle de l’ouest à linteau droit, les deux autres en plein cintre, sol en carrelage du pays. Seul par contre, le bas-côté nord possède un portail à l’ouest.

Même si on avait précédemment établi des autels, ce n’est que vers 1770-1780 qu’on acheva la décoration de ces bas-côtés. On y refit alors les plafonds en “terre et plâtre” (1) qui, en 1804, étaient en si mauvais état qu’on songeait à les remplacer par des plafonds en bois (1). C’était chose faite en 1811, époque où on pouvait voir des lambris peints faits à neuf (2). Au cours du XIXe siècle on revint cependant à la première solution, fort peu heureuse d’ailleurs. C’est aussi quelques années avant la Révolution que les bas-côtés furent ornés de deux rétables néo-classiques, en plâtre, malheureusement défigurés de nos jours (4).

Celui du nord se présente, en plan, sous la forme d’une anse de panier encadrée par deux parties planes. Dans celle de droite se trouve percée une ouverture donnant accès à la sacristie. Au centre du rétable on voyait à l’origine un tableau représentant saint Antoine qui, dès 1804, était en mauvais état (1). C’est la raison pour laquelle on le remplaça plus tard, par une statue en plâtre du même saint logée dans une niche aménagée pour la circonstance. On dut en même temps, supprimer l’autel à “tombeau” et le “tabernacle en bois” (1). Il ne reste donc plus du XVIIIe siècle que la partie en plâtre encadrant la niche. On y voit encore deux pilastres cannelés, surmontés d’une corniche et dans les deux parties cintrées, deux consoles à décor de palmes croisées et de chutes de rose. L’ensemble a reçu un enduit gris et verdâtre d’un effet douteux. Les vitraux qui ornent les fenêtres latérales de ce bas-côté représentent, à l’ouest, saint Pierre, à l’est, saint Michel. Nous n’avons pu identifier le donateur du premier malgré nos recherches sur les armoiries qui le décorent. Le second, par contre, a été offert en 1881 par le marquis de Lur-Saluces. Il existe enfin, dans ce bas-côté, en plus du petit bénitier que l’on trouve encastré près de l’entrée, dans le mur de droite, deux pièces qui méritent d’être signalées. Il s’agit de deux stalles en bois, à cinq places, dont les douze séparations ont chacune une décoration particulière, le plus souvent une tête humaine ou une volute. Difficiles à dater, ces stalles datent au moins du XVIIIe siècle et nous sommes enclins à penser qu’il s’agit des “bancs pour la fabrique et les corps constitués” dont parle l’abbé Latapy dans son rapport de 1804 (1).

Le bas-côté sud ne présente guère de différences avec le précédent, sinon dans ses dimensions et dans son décor. Le rétable en plâtre se réduit, en plan, à une anse de panier. Le tableau central qui était dédié à Notre-Dame de l’Assomption (1), a été remplacé par une statue en plâtre, logée dans une niche. Si on retrouve, comme au rétable nord, l’encadrement de pilastres cannelés, surmontés par une corniche, les consoles d’angle ne sont décorées que par deux palmes entrecroisées. Elles supportent deux vases en plâtre au col lobé très curieux, mais nous ignorons s’ils sont du XVIIIe siècle. On voit aussi accroché au mur latéral un tableau représentant l’Annonciation qui, par ses dimensions, pourrait bien être celui qui, à l’origine, décorait le rétable. Il est cependant trop noirci et trop mal placé pour pouvoir être étudié commodément. Les vitraux du XIXe siècle représentent, celui de l’est, une vierge à l’enfant donnée par l’abbé Mora, desservant de Lucmau en 1891, et celui de l’ouest, une sainte Anne, en assez mauvais état, offerte par une dame Labat née Roumazeille. Ce bas-côté comporte enfin deux pièces de mobilier assez anciennes : le confessionnal et les fonts baptismaux. Lors de l’enquête de 1804 il n’y avait pas de confessionnal car, nous dit l’abbé Latapy : “le curé a, jusqu’à présent confessé dans la sacristie, sans grille” mais “il lui a été enjoint de s’empresser de demander le confessionnal de l’église d’Ensos pour celle de Lucmau (1)”. C’était chose faite en 1811, où, sur le rapport de cette année il est fait mention d’un confessionnal en bois de “biule”, que les paroissiens d’Insos devaient plus tard réclamer en même temps que l’autel (2). Quant aux fonts baptismaux, ils paraissent dater de la fin du XVIIIe siècle, du moins pour la fermeture, très originale sinon unique en Bazadais. Elle est constituée par quatre colonnes, reposant sur une partie pleine de 82 centimètres de haut et surmontées par une belle corniche. Il s’agit, sans doute, “du grillage en bois” du rapport de 1804 (1) et de la “balustrade en bois peint” de celui de 1811 (2). Il est probable, par contre, que la piscine actuelle de dimensions assez exceptionnelles soit de date récente, car l’abbé Latapy se plaignait de ce qu’elle fût trop petite (2). Notons aussi la présence d’un petit bénitier encastré, semblable à celui du bas­ côté nord.

Sacristies

Il ne faudrait pas enfin terminer cette description sans parler des sacristies auxquelles on accède par une porte ouvrant dans le rétable du bas-côté nord. La première, qui n’est plus qu’un débarras, était autrefois celle des marguilliers. On y remarque un fragment du bandeau à trois rangs de billettes qui court autour de l’abside. C’est de là aussi qu’on peut manœuvrer une petite cloche logée dans un clocheton bâti sur le mur nord de l’abside. On pénètre ensuite dans la sacristie proprement dite, de plan carré, et voûtée en plein cintre. Elle fut construite dans la première moitié du dix-huitième siècle en même temps que les bas-côtés (4) et possède encore ses portes d’origine ; celle donnant dans la première sacristie a le même décor que celle ouvrant dans le rétable, celle du dehors est cloutée. Le meuble principal, l’évier, sont eux aussi de la même époque.

Extérieur, clocher

À l’extérieur, l’intérêt se porte sur le clocher et sur l’abside. Ce clocher massif, large, qui s’ouvre à la partie ouest de la nef est du type classique en Bazadais, du clocher-pignon. Il présente cependant deux particularités. Sur son flanc nord une tourelle pentagonale abrite un escalier à vis, restauré à neuf au XVIIIe siècle, qui s’ouvre à gauche du couloir d’entrée et permet d’accéder à l’étage des cloches. Les clochers de Gans, de Goualade et d’Insos possèdent une tourelle assez semblable (9). Sur la face ouest, on note enfin la présence de deux puissants contreforts à larmiers, comme à Marimbault, Masseilles et Saint-Germains-d’Auros (9). Étant donné la pérennité du modèle il est cependant difficile d’assigner une date à ce clocher, mais, si l’on considère l’ouverture du bas, on peut l’attribuer au début du XIVe siècle.

Fig. 3.

Sur la face ouest s’ouvre en effet un beau portail, encadré par trois voussures en arc brisé, reposant sur trois paires de colonnes cylindriques de même grosseur et couronnées par une archivolte d’extrados (fig. 3, 4). Le profil des voussures est un tore et elles sont séparées par des gorges assez prononcées aux contours mouvementés. Quant aux colonnes, elles sont surmontées d’un chapiteau lisse, cylindrique, et reposent sur des bases polygonales. Malgré sa sobriété l’ensemble est assez élégant (fig. 5).

Fig. 4.

Immédiatement au-dessus des voussures on aperçoit des corbeaux ayant servi à supporter des poutres, puis, une légère saillie formant bandeau (fig. 4). L’excellent état du portail et l’existence de ces corbeaux de cette moulure ne s’expliquent que par la présence, jusqu’à une époque récente, d’un porche aujourd’hui détruit. Mentionné en 1804 (1), il était encore visible lors de la visite faite par Léo Drouyn le 31 mai 1869 (6). Celui-ci notait d’ailleurs que la façade était complètement défigurée par ce porche, sous lequel on entrait “au nord et au sud, par deux portes ogivales qui ont le caractère de celles qu’on construisait au quatorzième siècle mais qui, cependant, pourraient n’être que du quinzième siècle”. Il précisait enfin “Une autre grande porte à l’ouest porte la date de 1782.” Il s’agissait donc d’un porche assez largement ouvert et relativement ancien. Quoi qu’en eût pensé Léo Drouyn, on ne peut que regretter sa destruction, survenue sans doute à la fin du XIXe siècle, car il ne reste plus guère de telles constructions en Bazadais.

Fig. 5.

À la partie supérieure du clocher apparaît une rangée de trous et au-dessous de l’un, un corbeau est encore visible. Il ne fait aucun doute qu’on y avait établi autrefois des hourds en bois, car sur l’autre face se trouve au même niveau un balcon en pierre. Légèrement au-dessus, se trouve l’étage des cloches, logées dans deux ouvertures en arc brisé, et abritées par un pittoresque auvent qui, si l’on en juge par un trou dans le mur était autrefois plus long. Une moulure horizontale court légèrement en dessous de la naissance du pignon, dont le galbe est percé d’une troisième ouverture, elle aussi en art brisé (fig. 3).

L’escalier à vis, logé dans la tourelle, débouche sur la face est, au niveau d’un balcon en pierre. Ce balcon, aujourd’hui désaffecté, est constitué dans sa largeur par un rétrécissement dans l’épaisseur du clocher et par des plaques de pierre reposant sur des consoles à double moulure en quart-de-rond. Il correspondait, nous l’avons vu, à un hourd en bois sur la façade ouest, mais, étant donné sa position, il n’a jamais pu jouer le rôle d’un mâchicoulis (fig. 1).

Au niveau des baies, abritant les cloches, se trouve un auvent symétrique de celui de la face ouest. Ce double auvent a dû toujours exister, en même temps semble-t-il que le balcon et le hourd situés en dessous. Si l’on en croit les registres paroissiaux, c’est en 1638 qu’on l’aurait construit (7). Mais, étant donné son exposition, il a été périodiquement refait. Il le fut ainsi vers le milieu du XVIIIe siècle, au dire de l’abbé Latapy (4), et nous avons relevé sur une barre d’appui l’inscription : “FINI le 19 août 1854.”

Il est certain aussi que le pignon a subi des réfections assez nombreuses. Vers 1811 l’abbé Latapy déclare ainsi : 

La plus urgente réparation qu’il y ait à faire est au clocher, dont la flèche fut endommagée en l’an huit par la foudre, réparation qui est d’autant plus urgente que deux pierres énormes qui penchent sur le devant, et ne sont retenues que par des crampons en fer, qui les tiennent à d’autres pierres, que la solidité du simen lie à la masse, et qui ne sont pas moins dans une situation bien menassante, se trouvant perpendiculairement sur la principale entrée de l’église” (3). 

La fabrique n’était pas en mesure d’assurer cette réparation car il fallait établir un échafaudage de 72 pieds soit 25 mètres environ. Ce fut la municipalité qui s’en chargea quelque temps plus tard (4). D’autres réparations ont été faites vers 1930. Les seuls ornements qui restent sont un bandeau à mi-hauteur des baies des cloches et un larmier dans le prolongement des pentes du pignon (fig. 1).

Le clocher de Lucmau abrite deux cloches datant du XIXe siècle. Bien que nous n’ayons de preuve que pour une, il semble bien qu’elles aient remplacé deux cloches fondues à la fin du XVIIIe siècle, sous le ministère de l’abbé Latapy. Dans sa Notice, celui-ci précise en effet que la fabrique fit alors “établir des cloches” et nous ne pensons pas que l’une d’entre elles puisse être la petite cloche du clocher latéral (4). Nous n’avons malheureusement pu le vérifier. Ce qui est certain par contre, c’est que la Révolution ne fit pas la réquisition des cloches et seule l’argenterie fut prise (4). Lorsqu’en mai 1869 Léo Drouyn monta au clocher, il n’y avait plus cependant qu’une seule cloche ancienne, qui devait d’ailleurs être refondue en 1877. L’autre datait de 1863, mais sans doute avait-elle remplacé alors une cloche plus ancienne. Voici l’inscription relevée par Léo Drouyn :

FAICTE L’AN 1775 PR L’ÉGLISE St ANDRÉ DE LUMO, ÉTANT CURÉ M. JOSEPH LATAPY, PARRAIN M. GUILLAUME FOREST, MARRAINE MADAME MARGUERITE DE LONDEIX DE LA BROSSE, SA BELLE SŒUR, ÉPOUSE DU Sr FOREST DE LOULON, SON FRÈRE. POULANGE FECIT.

Léo Drouyn pense qu’il faut lire Coulon au lieu de Loulon. Voici d’autre part l’inscription de la cloche de 1877 qui l’a remplacée :

PIRRE HENRI + MARIE ANTOINETTE REFONDUE EN 1877 POUR L’ÉGLISE St ANDRÉ DE LUCMAU AU POIDS / DE 320 KILOGS DES AUMÔNES DES FIDÈLES SOUS LE PONTIFICAT DE S.S. PIE IX. S.E. LE CARD. DONNET / ARCH. DE BORDEAUX S.G. Mgr DE LA BOUILLERIE ARCH. DE BERGA (IN PARTIBVS) COADJUTEUR. J. MALSANG CURÉ / PARRAIN P.H. MARQUIS DE LALANDE. MARRAINE MARIE ANTOINETTE CÉCILE HUBERTE MAISSIAT DE PLOENNIES /. MARQUISE DE PONTEVES SABRAN. FABRICIENS. J. JEANTY PRÉSIDENT. E. COURREGELONGUE. MAIRE P. CASENAVE / P. DUPRAT. P. BORDESSOULES. J. COSTEDOAT. (CHEVALIER DE LA LÉGION D’HONNEUR OFFICIER D’ARTILLERIE EN RETRAITE) / H. DEYRES FILS A BORDEAUX.

Quant à la seconde cloche, légèrement antérieure et qui coûta 2400 francs (5), voici l’inscription qu’on peut y lire :

FONDUE POUR L’ÉGLISE DE SAINT ANDRÉ DE LUCMAU EN 1863 SOUS LE PONTIFICAT DE SON ÉMINENCE LE * * / * * CARDINAL DONNET ARCHEVÊQUE DE BORDEAUX JULIEN BOURBON ÉTANT CURÉ. J’AI EU POUR PARRAIN JEAN / BALAUZE MAIRE ET POUR MARRAINE SUSANNE MAURIN ÉPOUSE MONGUILLEM Mbres du Ceil DUBOURG. ÉTIENNE CAUBIT * */ BORDESSOULES COURREGELONGUE BUBOURDIEU DESCAT BOUIC ROUMAZEILLES MOGUILLEM FILS HABITANTS DE LUCMAU / E DEYRES FILS BORDEAUX.

Remarquons que les noms de Bordessoules, Bouic et Roumazeilles sont seulement gravés. Nous ne voudrions pas enfin terminer cette rubrique sans signaler une grave erreur commise en 1942. Même s’il y eut à l’époque un excès de zèle bien compréhensible pour sauver les vieux monuments en bronze de notre pays, elle ne nous semble pas volontaire, car on ne l’a pas réparée depuis. Par arrêté en date du 12 octobre 1942, on classa en effet parmi les objets mobiliers la cloche de 1775, alors que, nous l’avons vu, elle avait été refondue dès 1877.

Abside (fig. 6-7)

Si les murs des bas-côtés ne présentent qu’un médiocre intérêt, il n’en est pas de même de ceux de l’abside, bâtis en moyen appareil, mais sans marque de tâcherons. L’ensemble est animé par trois fenêtres en plein cintre sans aucun encadrement, dont celle du milieu est légèrement désaxée vers le Nord, et par quatre contreforts plats dont les larmiers ont été refaits. L’originalité de cette abside réside cependant dans le bandeau en fort relief, décoré de trois rangs de billettes, qui ceinture l’édifice à 1,50 m de hauteur et enveloppe même les contreforts. Remarquons enfin, que si la première sacristie n’est que le prolongement du bas-côté nord, la seconde est un édifice indépendant.

L’église de Lucmau était autrefois entourée de son cimetière clôturé d’un mur qui existait encore au début du XIXe siècle (1, 2, 3). Il possédait une croix auprès de laquelle fut enseveli, en 1763, J. Dupoy curé de la paroisse, mais il n’en reste aucun souvenir (7). 

Fig. 6.
Fig. 7.

Cette première étude sur l’église de Lucmau est loin d’être complète. Sans compter les points que nous n’avons pu élucider parfaitement, il resterait encore à étudier tout ce qui concerne plus spécialement les objets du culte, dont certains datent vraisemblablement du XVIIIe ou du début du XIXe siècle. Signalons cependant que nous n’avons pu retrouver aucun des ouvrages religieux d’origine bazadaise mentionnés dans les inventaires de 1804 et 1811, sauf un. Il y avait alors deux missels dont l’un bazadais, un vespéral pour le chant neuf, et un rituel bazadais en mauvais état ; nous n’avons découvert que l’Antiphonaire ou vespéral, dépouillé de sa reliure et en fort mauvais état. Nous en reparlerons à propos d’un article sur les vieux livres du Bazadais.


Bibliographie

  • Arch. dép. de la Gironde, T II V 125 : en particulier : Enquête du 27 août 1804 (1) ; Procès-verbal de 1811 (2) ; Mémoire (non daté) (3) ; Notice sur la fabrique de la paroisse de Lucmau et Insos (4) ; Divers documents.
  • Arch. dép. de la Gironde, T II V 207 : Comptes de la fabrique (5).
  • Arch. mun. de Bordeaux : L. Drouyn. ‒ Notes archéologiques : t. XLIX, n° 1032, p. 104-105, 31 mai 1869 (6).
  • Arch. mun. de Lucmau : E supplément : 2101. ‒ Registres paroissiaux : G.G. 1, G.G. 5 (7).
  • E. Féret. ‒ Essai sur l’arrondissement de Bazas, 1893, p. 62 (7 bis).
  • E. Piganeau. ‒ “Essai de répertoire archéologique du département de la Gironde”, dans Bull. Soc. Arch. de Bordeaux, 1897, t. XXII, p. 74 (8).
  • Brutails (A.). ‒ Les Vieilles Églises de la Gironde, 1912, p. 151, 153, 212, 213, 263, fig. 250 bis (9).
  • Rebsomen (E.). ‒ La Garonne et ses affluents…, 1913, p. 206 (10).
  • Biron (Dom. R.). ‒ Guide archéologique illustré du touriste en Gironde, 1928, p. 102 (11).
  • Renseignements fournis par M. Duru, directeur de l’Agence des bâtiments de France à Bordeaux (12).
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EAN html : 9782356136572
ISBN html : 978-2-35613-657-2
ISBN pdf : 978-2-35613-658-9
Volume : 4
ISSN : 2827-1912
Posté le 15/11/2025
10 p.
Code CLIL : 3385
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Licence ouverte Etalab

Comment citer

Marquette, Jean Bernard, “Monuments et œuvres d’art du Bazadais. L’église Saint-André de Lucmau”, in : Boutoulle, F., Tanneur, A., Vincent Guionneau, S., coord., Jean Bernard Marquette : historien de la Haute Lande, vol. 2, Pessac, Ausonius éditions, collection B@sic 4, 2025, 1023-1032. [URL] https://una-editions.fr/leglise-saint-andre-de-lucmau
Illustration de couverture • D’après Villandraut : ruine de la tour située à l’angle sud-est de l’ancienne collégiale
(dessin, 1re moitié du XIXe siècle. Arch. dép. Gironde 162 T 4).
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