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Monuments et œuvres d’art du Bazadais
Canton de Grignols

Paru dans : Les Cahiers du Bazadais, n° 15, 1968, 33-52.

Lorsque, il y a huit ans de cela, les Cahiers du Bazadais commencèrent à paraître, nous avions songé à présenter à leurs lecteurs les principales richesses artistiques de notre région. L’ampleur de la tâche ainsi que la nécessité de varier les publications de la revue nous firent renoncer momentanément à un tel projet. Nous n’avons ainsi fait paraître que des monographies consacrées, à dessein, à des monuments peu connus comme les églises de Lucmau, d’Insos ou de Saint-Michel-de-La-Prade, ou menacés de ruine comme les églises d’Auzac ou de Monclaris. À l’occasion de la restauration partielle de l’église de Saint-Léger-de-Balson, M. P. Roudié a, de son côté, consacré un remarquable travail à l’histoire et à la description de ce monument exceptionnel.

La création d’une commission régionale chargée de présider à l’inventaire des monuments et objets d’art de l’Aquitaine vient de redonner vie à notre projet1. Le travail d’inventaire proprement dit, mené par des équipes spécialisées, doit, en effet, être précédé d’un pré-inventaire qui a pour but d’établir une sorte de fiche signalétique de chaque objet ou monument. Ce sont les résultats de ce premier travail de recherche que nous avons réalisé, pour l’instant, dans le cadre du canton de Grignols que nous présentons ici. Comme nous l’avons par ailleurs entrepris dans le domaine proprement archéologique, nous espérons, de la même manière, pouvoir évoquer les richesses artistiques de l’ensemble du Bazadais. C’est, certes, une œuvre de très longue haleine, mais nous ne désespérons pas de la mener à bien. Ainsi, nous essaierons de présenter aux Bazadais un premier guide archéologique et monumental de leur pays2.

Monuments et œuvres d’art
à caractère religieux

Le canton de Grignols compte, de nos jours, dix communes correspondant à autant de paroisses, mais il n’en fut pas toujours ainsi. Jusqu’en 1792, en effet, le territoire que recouvre actuellement ce canton et qui relevait entièrement du diocèse de Bazas ne comportait pas moins de dix-huit paroisses possédant chacune son église. C’étaient, dans la commune actuelle de Grignols, celles de Saint-Pierre de Flaujac, Saint-Jean-Baptiste d’Auzac qui était une annexe de Romestaing, Saint-Loubert-de-Loutrange, Saint-Jean du Mazerol, Saint-Michel de Campin, Notre-Dame de Sadirac et Saint-Martin de Loubens ou de Campot ; dans la commune de Masseilles l’église Saint-Martin et celle de Saint-Hilaire de Thil ; dans celle de Cauvignac l’église Saint-André et celle de Magnac ; puis les églises de Saint-Jean de Sendets, Saint-Etienne de Lavazan et Saint-Pierre de Marions, celles de Saint-Martin de Musset et de Notre-Dame de Lerm, toutes deux dans l’actuelle commune de Lerm-et-Musset, et enfin celles de Notre-Dame de Sillas et de Saint-Martin de Cours. Sur le territoire de la commune de Masseilles se trouvait, d’autre part, l’abbaye cistercienne de Fontguilhem et sur celui de Cours, une commanderie de l’ordre de Malte, ancienne maison de Templiers3 (fig. 1). Il n’est pas inutile, également, de rappeler que la commune de Labescau ne constituait pas, à cette époque, une paroisse, mais seulement une juridiction sur le plan financier et judiciaire ; elle n’a ainsi jamais possédé d’église propre et a, semble-t-il, toujours relevé d’Aillas dans le domaine religieux. Le bourg de Grignols de son côté appartint à la paroisse de Flaujac jusqu’en 1792, date à laquelle il devint le noyau d’une commune. Le service religieux continua d’ailleurs à être assuré dans l’église de Flaujac jusqu’en 1860 et ce n’est qu’à ce moment-là qu’il fut transféré dans l’église de Grignols nouvellement construite. Quant au nom de Grignols c’était, nous le verrons, celui de la famille à laquelle appartint pendant plusieurs siècles le château du même nom. Cette famille s’éteignit au début du XVIIe siècle. À partir de cette époque, ce nom ne servit plus qu’à désigner une seigneurie qualifiée de marquisat de Grignols ou Loutrange dont les limites ont varié du XVIe au XVIIIe siècle.

Fig. 1.  Édifices religieux du canton de Grignols.

Commune de Grignols

Église Saint-Pierre de Flaujac

C’est par un édifice aujourd’hui disparu, mais que certains Grignolais ont connu dans leur enfance, que nous ouvrons l’inventaire en regrettant, comme nous aurons trop souvent l’occasion de le faire, le mépris et l’indifférence manifestés, jusqu’à ce jour, à l’égard des monuments et des œuvres d’art, par la plupart des habitants du Bazadais.

L’église de Flaujac se dressait, à l’est du bourg, dans ce quartier que l’on appelle parfois encore la Vieille-Église. L’édifice, bien orienté, était situé à droite de l’entrée principale du cimetière, sur un terrain en pente vers le nord et vers l’est. Nous avons pu reconstituer sans trop de peine ses grandes lignes grâce à un registre de la fabrique de Grignols (1), aux notes d’Auguste Brutails (2) et à quelques documents conservés dans le fonds communal aux Archives départementales de la Gironde (3). Nous disposons d’autre part, dans le domaine iconographique, des dessins d’Auguste Brutails, d’une vue de la façade occidentale éditée sous forme de carte postale et d’une photographie bien médiocre de la nef et du chœur, reproduite dans l’ouvrage d’André Rebsomen consacré à la Garonne et à ses affluents. Comme on peut le constater (fig. 2), l’église était précédée, sur toute sa largeur, par un vaste porche et comprenait un clocher-mur sous lequel s’ouvrait le portail d’entrée, une nef flanquée de deux bas-côtés aussi longs qu’elle et prolongée par un chœur et peut-être une abside semi-circulaire (2, 3) (fig. 3).

Fig. 2.  Façade occidentale de l’église de Flaujac.

Le clocher bâti en bel appareil, comme presque tous ceux de la région, était un clocher-mur typique coiffé d’un pignon au gable arasé, percé de deux baies en arc plein cintre pour abriter les cloches et d’un portail dont nous ignorons les caractéristiques. On peut noter, d’après la photographie, la présence au-dessus et au-dessous des baies d’un bandeau en très léger relief et surtout l’existence de contreforts en très large saillie surmontés d’un larmier et plaqués aux deux extrémités de la façade. D’après le plan dessiné par A. Brutails, il en existait de semblables, ce qui est assez rare, sur la face ouest (fig. 3). Il est probable, d’autre part, que les baies étaient protégées sur chaque face par des bretèches en bois qui avaient déjà disparu au début du XIXe siècle, mais que Dom R. Biron signale encore dans son Guide (5). À cause de la déclivité du terrain, l’édifice était, sur les deux-tiers de sa longueur environ, en contrebas du sol du cimetière et ce n’était qu’à l’est qu’il se trouvait vraiment de niveau avec le sol environnant. Lorsqu’on pénétrait sous le porche, on commençait donc par descendre cinq marches et, en entrant dans la nef, une sixième, si bien que le sol de celle-ci se trouvait en contrebas d’environ 0,95 m par rapport au terre-plein de la façade. Cette situation avait pour résultat de maintenir dans l’édifice une humidité constante et même une odeur de moisissure qui fut une des raisons de sa désaffection (3).

Fig. 3.  Dessins de l’église de Flaujac, figurant dans le carnet d’A. Brutails (Archives dép. de la Gironde).

La nef et les bas-côtés avaient une longueur intérieure de 21,60 m pour une largeur de 7,25 m pour la nef, 4,60 m pour le bas-côté nord et 3,75 m pour celui du sud (3). La nef était séparée des bas-côtés par des arcades qui avaient été ouvertes dans les murs latéraux. Assez fortement surbaissées, ces arcades reposaient, de chaque côté, sur deux piliers carrés à leur base, mais dont les angles chanfreinés possédaient, dans la partie supérieure, un petit cul-de-lampe prismatique supportant la reprise de l’arête qui se prolongeait le long de l’arcade (2, 5) (fig. 3). Nef et bas-côtés, hauts respectivement de 6,10 m et 4,30 m (3), étaient recouverts par un lambris qui fut restauré vers 1835 (1 : f° 5 v° ; 2, 3, 5). C’est sensiblement à la même époque que l’on prolongea le bas-côté sud, en direction de l’ouest, jusqu’à la hauteur du porche pour y aménager les fonts baptismaux (1 : f° 5 v°, 8 r°, 10 v°, 12 v°). D’après le plan d’A. Brutails et la photographie de la façade, il semble bien d’ailleurs que l’autre bas-côté ait été prolongé de la même manière, ce qui explique la largeur du porche qui borde toute la façade occidentale. Chacun de ces bas-côtés était éclairé par quatre baies en plein cintre, hautes de 1,35 m, larges de 0,89 m et situées à 2,43 m au-dessus du sol de la nef (3). Jusqu’en 1835 pour le mur nord et 1838 pour celui du sud, elles furent fermées par des vitraux que l’on remplaça alors, à cause de leur mauvais état, par un vitrage blanc sur châssis de bois avec grillage de protection (1 : f° 5 v°, 9 r°, v°).

Dans l’axe de la nef se trouvait un chœur qui, d’après les dessins d’A. Brutails, se terminait par une abside semi-circulaire (3). L’ensemble était profond de 8,50 m pour une largeur de 4,30 m et une hauteur de 6,10 m (3). Notons cependant que, sur l’ancien plan cadastral de Grignols, l’église de Flaujac est portée avec un chevet plat. C’est aussi l’impression que l’on retire de la photographie publiée dans l’ouvrage d’André Rebsomen, mais son interprétation n’est pas facile. Comme la nef et les bas-côtés, le chœur était éclairé, de chaque côté, par deux fenêtres en plein cintre et, s’il y en avait eu dans l’axe, elles étaient alors obstruées (1).

Bien qu’il n’en soit fait état nulle part, l’édifice devait posséder au moins une sacristie, sinon deux, de part et d’autre du chœur. Une dissymétrie du plan, figurant sur l’ancien cadastre de la commune et où n’apparaît qu’un seul bas-côté, s’expliquerait ainsi assez facilement par la présence d’une sacristie dans le prolongement du bas-côté nord. Mais, d’après la photographie d’André Rebsomen, il y en aurait, semble-t-il, une autre sur le côté sud (4).

A. Brutails avait eu, d’autre part, l’attention attirée par le raccordement entre la nef et le chœur. Ainsi qu’on peut le constater d’après le dessin qu’il releva, il y avait à cet endroit précis, de part et d’autre du chœur, une sorte de contrefort engagé de manière oblique, ce qui fait dire à Dom Biron, qui n’en voyait que la partie extérieure, qu’il s’agissait de contreforts triangulaires (2, 5). En l’absence d’autres éléments d’appréciation, nous ne nous hasarderons pas à fournir une explication de cette curiosité architecturale. Il serait aussi présomptueux de vouloir établir une chronologie de l’édifice. Tout ce que l’on peut affirmer, c’est que l’église de Flaujac ne possédait, à l’origine, qu’une nef et peut-être même pas de chœur. Les bas-côtés furent, selon toute vraisemblance, ajoutés au XVIIe et au XVIIIe siècle, certainement en deux fois. Quant au clocher, il est impossible de lui attribuer une date, surtout en l’absence de toute description du portail d’entrée.

Sur le mobilier qui se trouvait dans l’église au milieu du XIXe siècle, nous ne savons que bien peu de choses. On pouvait voir, dans les bas-côtés, deux autels dédiés l’un à la Vierge et l’autre à saint Antoine. Celui de la Vierge avait été acheté vers 1835, à la suite d’un legs de six cents francs fait, dans cette intention, à la fabrique (1 : f° 4 r°, 9 r°, v°). Il existait aussi une tribune qui fit l’objet de réparations vers 1847 (1 : f° 25 v°). Dans l’inventaire des objets transportés en 1860 dans l’église de Grignols figurent une chaire, deux confessionnaux, deux bénitiers en marbre, une piscine en marbre pour les fonts baptismaux et deux cloches qui avaient été refondues en 1844 (1 : f° 19) et en 1853 (f° 38 r°), (1 : f° 55 r°). Nous en reparlerons lors de la description de l’église du bourg.

La fin de l’église de Flaujac s’est jouée en deux temps à un demi-siècle de distance. C’est vers 1852, semble-t-il, que l’on songea à la remplacer par un nouvel édifice plus adapté, par sa situation et sa conception, aux besoins de la paroisse. L’église de Flaujac était, en effet, devenue insalubre, trop petite et excentrique. Elle fut définitivement désaffectée en 1860 malgré le désir formulé par certains de la voir transformée en chapelle funéraire (1 : f° 53 r°), C’est en 1904 que le conseil municipal de Grignols, sur l’initiative de son maire, M. Pouchet, lui donna le coup de grâce. L’édifice menaçant ruine, car on n’y avait fait aucune réparation depuis quarante ans, et sa restauration coûtant trop cher, le conseil municipal proposa sa démolition “puisqu’il ne servait plus à rien”. Transmis à la préfecture, ce vœu y reçut une réponse favorable le 5 septembre suivant. Le maire avait d’ailleurs estimé qu’on ne tirerait pas plus de trois cents francs de la vente, à cause de la nécessité, pour l’adjudicataire, d’enlever les pierres (3). C’est ainsi que disparut l’église de Flaujac.

1. Archives paroissiales de Grignols : Registre du conseil de fabrique de la paroisse (XIXe siècle).
2. Archives départementales de la Gironde, 3 Z 131 (25) : Carnets d’Auguste Brutails, N° 25 f° 31 v°, 32.
3. Archives départementales de la Gironde, O : commune de Grignols, bâtiments publics, églises.
4. A. Rebsomen : La Garonne et ses affluents... 1913, p. 106 et fig. 85.
5. Dom R. Biron : Guide archéologique… 1928, p. 78-79.
6. Carte postale, bromotypie Gautreau, Langon, N° 2770.

Église Saint-Jean-Baptiste d’Auzac

Nous renvoyons nos lecteurs à l’article que nous avons consacré à ce très intéressant édifice, au mois d’avril 1964, dans le N  6 des Cahiers. Peu de choses ont changé depuis. Seul le cimetière a fait l’objet d’un début de nettoyage et a été en partie clôturé. Malheureusement, le travail n’a été réalisé que sur la face méridionale de l’église. De tous les autres côtés, la végétation atteint encore le niveau de la toiture qui est, à l’heure actuelle, presque entièrement effondrée. Il serait donc nécessaire d’achever le débroussaillage du cimetière, d’abattre les parties de la toiture présentant un danger d’effondrement et de débarrasser l’édifice des monticules de débris qu’il contient. Il faudrait ensuite empêcher, même par des moyens de fortune, l’effondrement des murs et du clocher. Nous persistons, en effet, à penser que le clocher d’Auzac est, sans conteste, un des plus beaux clochers-arcades de la Gironde et que sa disparition serait, sur le plan artistique, une chose extrêmement regrettable (fig. 4). Avec le chœur de l’église de Sendets, il reste encore le plus beau morceau d’architecture de tout le canton de Grignols ; mais qui osera le sauver ?

Fig. 4.  Le clocher d’Auzac (état actuel) : façade occidentale.

Ainsi que nous l’avions indiqué dans notre article, les quatre chapiteaux romans qui ornaient le chœur et l’abside furent enlevés en 1962 pour être cédés à la ville de Bordeaux et on a même pu les voir à une exposition illustrant le sauvetage des monuments en péril !

Pour des raisons matérielles, il fut impossible, en 1964, de reproduire les photographies de ces chapiteaux que nous avions fait exécuter alors qu’ils étaient encore en place. Nous pouvons maintenant les présenter.

Ces quatre chapiteaux étaient destinés à soutenir deux arcs triomphaux marquant l’un l’entrée du chœur et l’autre celle de l’abside. On ne sait si les arcs et les voûtes furent jamais terminés, mais en 1960, il n’en restait que le départ et cela, sans doute, depuis fort longtemps, car on avait construit un lambris au-dessous. Les chapiteaux présentent entre eux des traits communs : à la base, un astragale réduit à un simple tore, puis une corbeille très peu évasée, enfin un tailloir rectangulaire dont le profil est celui d’un bandeau chanfreiné. On note aussi, sur chacun d’eux, dans la partie supérieure de la corbeille, un décor identique constitué de dés et de volutes fortement stylisés. À la partie inférieure on peut distinguer :

  • Sur le chapiteau sud-ouest (fig. 5) :
Fig. 5. Auzac : chapiteau sud-ouest du chœur.

Quatre oiseaux, les pattes bien posées sur le sol, non sans une certaine raideur. Ceux de la face centrale sont affrontés par la gorge et, le cou renversé en arrière, ils opposent leurs têtes à celles des oiseaux des faces latérales. Ils tiennent, dans leurs becs énormes, une feuille large et épaisse. Le mauvais état du tailloir empêche d’en distinguer le décor constitué vraisemblablement de rinceaux ou de palmettes.

  • Sur le chapiteau sud-est (fig. 6) :
Fig. 6. Auzac : chapiteau sud-est du chœur.

Une rangée de feuilles d’acanthe très stylisées. Le tailloir comporte trois rangs de billettes.

  • Sur le chapiteau nord-ouest (fig. 7) :
Fig. 7. Auzac : chapiteau nord-ouest du chœur.

Quatre animaux sans du centre s’opposent doute des lions. Ceux par l’arrière-train et, de leur poitrail, s’affrontent avec ceux des faces latérales ; les têtes sont tournées vers l’arrière. Le tailloir est orné de rinceaux.

  • Sur le chapiteau nord-est (fig. 8) :
Fig. 8. Auzac : chapiteau nord-est du chœur.

Un personnage central à la tête énorme et barbue enserrant dans ses bras, comme s’il voulait les étouffer, deux autres corps à tête humaine. Sur les faces latérales, on distingue deux monstres, la tête renversée en arrière. Ils sont difficilement identifiables. Le tailloir est décoré de trois rangs de billettes.

Les thèmes, oiseaux affrontés (sans doute des basilics), feuilles d’acanthe, lions sont assez fréquents dans l’art roman, mais la disposition des chapiteaux dans l’édifice leur confère une valeur nouvelle. En effet, les chapiteaux qui marquent l’entrée du chœur et se font ainsi vis-à-vis, possèdent un décor sinon identique, du moins procédant de la même inspiration : lions ou oiseaux affrontés et leurs tailloirs sont tous deux décorés de rinceaux et de palmettes. De même, les tailloirs surmontant les chapiteaux de l’entrée de l’abside sont ornés d’un décor de billettes. On ne peut donc que regretter davantage le démontage des chapiteaux d’Auzac qui, placés dans un musée, ont perdu beaucoup de leur valeur plastique, mais n’en est-il pas de même pour toute sculpture romane présentée hors du cadre pour lequel elle a été conçue.

Comme il s’agit d’une œuvre destinée à un monument modeste et sur lequel on ne possède aucune documentation, il est très difficile de lui attribuer une date précise. Elle pourrait appartenir à la seconde moitié du XIIe siècle, mais c’est sous toute réserve que nous avançons cette datation.

Église de Saint-Loubert-de-Loutrange

Cette église est bâtie au milieu d’un vaste cimetière précédé d’un très vieux porche en assez piteux état (fig. 9).

Fig. 9.  Église de Saint-Loubert-de-Loutrange : vue générale.

Elle est convenablement orientée et, de plan très classique, se compose d’une nef précédée d’un clocher-mur et se terminant par un chœur à chevet plat.

La nef, longue de 14 m et large de 5,47 m, ne présente pas intérieurement de traits bien particuliers, sinon dans ses ouvertures. Le sol est, en effet, recouvert de carreaux en terre du pays de 16 ou 20 cm de côté et sans doute anciens ; l’ensemble de la nef est recouvert d’un lambris moderne à trois pans épousant la forme d’une anse de panier.

Fig. 10. Saint-Loubert-de-Loutrange : détail de la façade sud.

Les murs sont revêtus intérieurement par un enduit badigeonné mais, à l’extérieur, ils sont d’une indiscutable beauté pour qui aime les vieilles murailles. Sur la face sud, la pierre n’apparaît pas toujours mais certaines parties révèlent un petit appareil caractéristique (fig. 10). Par contre, sur la face nord, les intempéries ont dégagé complètement les moellons (fig. 11). Ils sont noyés dans un mortier de couleur rougeâtre rappelant la terre forte du pays et, bien que de calibre plus inégal, constituent un ensemble assez bien ordonné. Ce même mur sud présente, d’ailleurs, des particularités qui méritent de retenir l’attention. On note, en effet, aussi bien au-dedans de la nef qu’au-dehors, la présence de deux ouvertures en plein cintre actuellement murées. L’une est située à 3,10 m du clocher, l’autre à proximité du chœur. L’arc est constitué de moellons assez mal appareillés au-dehors, de manière plus soigneuse au-dedans. La hauteur, par rapport au sol de la nef, est de 1,60 m pour l’arc de l’ouest et de 1,40 m pour celui de l’est. Il n’est pas douteux, qu’à l’origine, ces arcs couronnaient des portes ouvertes dans les murs de la nef mais dont le seuil était au-dessous du sol actuel de la nef et de celui du cimetière. On remarque, d’autre part, sur ce même mur sud, deux arrachements hauts de 2,20 m dont on ne sait s’ils correspondent à d’anciens contreforts ou, plus vraisemblablement, à des murs.

Fig. 11.  Saint-Loubert-de-Loutrange : façade nord.

Il n’y a qu’une seule baie sur cette face (fig. 11) ; étroite, peu élevée, elle est couronnée, au-dehors, par un arc plein cintre taillé dans une seule pierre et légèrement ébrasée. Elle l’est plus largement au-dedans.

Fig. 12.  Saint-Loubert-de-Loutrange : fenêtre de la façade sud de la nef.

La muraille sud est, par contre, percée de trois ouvertures (fig. 14). Deux d’entre elles placées vers l’est ont été ouvertes en 1866 par les soins d’un maçon de Romestaing qui fit le travail pour 96 francs (1). Hautes de 1,55 m, larges de 0,75 m, couvertes par un arc plein cintre, elles sont très ébrasées au-dedans sur toutes leurs faces et possèdent, au-dehors, un arc constitué de claveaux. Cet arc et les arêtes des pieds-droits sont chanfreinés (fig. 13 et 14). Quant à la troisième baie, ouverte à proximité du clocher, elle se caractérise par son étroitesse, car elle n’est large que de 18 cm pour une hauteur de 39 cm. Son linteau est droit et elle est ébrasée aussi bien au-dedans qu’au-dehors mais, au-dedans, l’ébrasement supérieur se termine en anse de panier, tandis qu’extérieurement, l’ouverture est couronnée par un arc plein cintre taillé dans une seule pierre et sur lequel on peut lire la date 1747 (fig. 12).

Fig. 13.  Église de Saint-Loubert-de-Loutrange façade sud de la nef : fenêtre ouverte en 1866 et fenêtre en arc brisé obstruée.
Fig. 14.  Église de Saint-Loubert-de-Loutrange : vue générale, façades sud et est.

Les trois ouvertures actuelles en ont remplacé d’autres, aujourd’hui obstruées, mais dont l’emplacement est encore visible de l’extérieur. L’une, proche du chœur, large de 0,42 m et haute de 1,20 m, était surmontée d’un arc brisé taillé dans une seule pierre (fig. 13). La seconde, placée entre les deux grandes baies actuelles, large de 0,50 m et haute d’environ 1,40 m possédait un linteau plat et des arêtes chanfreinées.

L’entrée dans le chœur n’est marquée, au-dedans, que par un léger rétrécissement qui réduit sa largeur à 4,75 m pour une profondeur de 7,83 m. Le sol est toujours constitué de carreaux du pays et le plafond est en plâtre. Les murs, enduits au-dedans, présentent, au-dehors, un grand appareil de 28 à 36 cm de haut. Les intempéries ont d’ailleurs tellement rongé les pierres au niveau des joints qu’on a l’impression d’un appareil à bossage (fig. 14). Le niveau de la toiture qui prolonge celle de la nef n’est marqué par aucune corniche, ce qui laisse une impression d’inachèvement. On peut remarquer, d’autre part, que l’appareil du chœur se prolonge au début de la nef, preuve que l’on avait envisagé la poursuite du chantier en direction de l’ouest. Intérieurement, le chœur est éclairé au nord et au sud par deux baies très étroites, larges seulement de 0,20 m et très largement ébrasées sur toutes leurs faces. On retrouve ces baies au-dehors, mais au nombre de trois. À une époque récente, on a cru bon, en effet, de doubler intérieurement le mur oriental du chœur afin d’y ménager une niche pour loger une statue et on a ainsi aveuglé l’ouverture de l’axe. L’église de Campin a subi, verrons-nous, la même opération et l’on ne peut que souhaiter la disparition de cette inutile cloison. Signalons aussi l’existence d’une sacristie moderne attenante au mur septentrional du chœur.

Il reste enfin à parler du Clocher-pignon qui couronne le portail d’entrée. Large de 7,35 m, épais à la base de 1,07 m, il dresse son élégante silhouette au-dessus des champs et des prairies (fig. 15). Son originalité est certaine, malgré les apparences. De face, on peut distinguer trois retraits soulignés par des larmiers et correspondant à un contrefort, un rétrécissement, puis au pignon proprement dit. Deux bandeaux rythment la façade : l’un, entre le niveau des contreforts et celui du rétrécissement, correspond à un amincissement du clocher, l’autre souligne la base des baies en arc plein cintre qui abritent chacune une cloche (2). Quant au portail, lui aussi en arc plein cintre, il est encadré par une élégante moulure qui se prolonge dans les pieds-droits et est surmonté par un cartouche sur lequel on a maladroitement gravé, dans le coin supérieur gauche, la date 1631 (fig. 16). Si l’on se place à l’intérieur de la nef, on constate d’autre part que le mur du clocher est doublé, jusqu’à hauteur du toit, par un autre mur, ce qui porte à 1,65 m la longueur du couloir donnant accès à la nef. Au niveau de ce second mur, le couloir n’est d’ailleurs couronné que par un simple voile de pierre. Il semble donc que le clocher actuel ait été plaqué, au XVIIe siècle, contre le mur occidental de la nef.

Fig. 15.  Église de Saint-Loubert-de-Loutrange : le clocher.
Fig. 16.   Église de St-Loubert-de-Loutrange : détail du portail.

Il y a bien peu de choses à dire sur le mobilier de cet édifice qui ne vaut que par son architecture. Notons, cependant, enchâssé à droite de la porte, un bénitier à décor de feuilles d’acanthe, dont on ne peut savoir s’il s’agit ou non d’un matériau de remploi, un confessionnal en bois et un autel en marbre, moderne. Il y a encore une tribune qui fut désaffectée en 1866, époque où l’on supprima l’escalier qui y donnait accès ; actuellement, elle est entièrement fermée (1). On remarque aussi le long du mur nord, au-dessous du lambris actuel, une rangée de corbeaux qui supportaient soit un ancien lambris, soit une galerie. Notons enfin, à droite de l’entrée, la présence, dans le sol, d’une partie en pierre qui est sans doute la base des fonts baptismaux supprimés en 1866 (1).

L’église de Saint-Loubert, malgré son apparente simplicité, est un monument complexe et certainement fort ancien. Nous pensons que, comme à Saint-Michel-de-la-Prade, la nef, avec son petit appareil et ses ouvertures obstruées, remonte aux débuts de la période romane, certainement au XIe siècle. Le chœur, bâti en bel appareil, roman lui aussi, pourrait bien dater seulement du XIIIe siècle. Quant au clocher, son inscription nous donne sans discussion la date de son érection, et c’est une date très récente.

Saint-Loubert, église tout à fait méconnue, est un beau livre de pierre.

1. Archives départementales, O série communale : Grignols, bâtiments publics, églises.
2. À notre grand regret, il nous a été impossible de relever les inscriptions de ces cloches. Cette opération nécessiterait des moyens matériels exceptionnels.

Notes

  1. Cette commission a été instituée par arrêté ministériel, en date du 13 février 1967. Placée sous la présidence de M. le Préfet de la région d’Aquitaine et sous la vice-présidence de M. C. Higounet, professeur à la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Bordeaux, elle a été installée le 21 avril 1967.
  2. Cette étude comporte deux grandes parties, l’une consacrée aux monuments à caractère religieux : églises, chapelles, abbayes, prieurés, commanderies, croix de carrefour ou de cimetière ; la seconde aux édifices civils et militaires : châteaux, maisons particulières, halles, moulins, fontaines, monuments commémoratifs. Les objets et mobiliers sont étudiés, en principe, dans le cadre du monument qui les abrite.
  3. Cf. Dom Biron, Précis d’histoire religieuse des anciens diocèses de Bordeaux et de Bazas, 1925, p. 124, 143-145.
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EAN html : 9782356136572
ISBN html : 978-2-35613-657-2
ISBN pdf : 978-2-35613-658-9
Volume : 4
ISSN : 2827-1912
Posté le 15/11/2025
16 p.
Code CLIL : 3385
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Comment citer

Marquette, Jean Bernard, “Monuments et œuvres d’art du Bazadais. Canton de Grignols”, in : Boutoulle, F., Tanneur, A., Vincent Guionneau, S., coord., Jean Bernard Marquette : historien de la Haute Lande, vol. 2, Pessac, Ausonius éditions, collection B@sic 4, 2025, 1161-1176 [URL] https://una-editions.fr/monuments-et-oeuvres-dart-canton-de-grignols
Illustration de couverture • D’après Villandraut : ruine de la tour située à l’angle sud-est de l’ancienne collégiale
(dessin, 1re moitié du XIXe siècle. Arch. dép. Gironde 162 T 4).
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