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La fabrique du patrimoine local : Labrit et Villandraut

Paru dans : Le pouvoir de protéger : approches, acteurs, enjeux
du patrimoine en Aquitaine
, compilé par Y. Lamy, Travaux de la Maison
des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, 1992, 43-48.

Après l’approche de l’archéologue, voici la double expérience d’un acteur – modeste – du patrimoine, chercheur, conservateur de musée. Ces expériences concernent le site de Labrit dans le département des Landes aux confins du Marsan et de la Grande-Lande et le musée de Villandraut, au sud du département de la Gironde. Dans le premier cas, il s’agit d’un ouvrage de terre d’époque médiévale, dans le second d’une collection d’objets datés du premier âge du Fer au début du XXe siècle provenant du bassin du Ciron, certains confectionnés sur place mais tous utilisés par les habitants de cette région dont ils constituent des témoins de sa culture matérielle. Au départ, le statut du site et celui des objets sont identiques ; ils n’existent que dans leur matérialité : le site n’est pas identifié, les objets sont encore enfouis ou ont été abandonnés. Au terme de la démarche, le monticule de terre anonyme est devenu monument classé, chantier de fouilles programmé et commence à être visité ; dans le second les objets ont été recueillis, identifiés parfois, restaurés et sont exposés. J’évoquerai d’abord les batailles menées depuis plus de trente ans dans le premier cas, poursuivies plus d’un demi-siècle durant dans le second, afin de sauver et de faire connaitre un site ou des objets dont j’ai toujours pensé qu’ils appartenaient au patrimoine de notre région.

C’est en 1960, que j’ai découvert le site de Labrit, lorsque, sur la proposition que m’avait faite Charles Higounet, je m’engageais dans la préparation d’une thèse sur la famille d’Albret. Je commençais mes recherches par une visite aux Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques où je découvris les épaves – impressionnantes – du trésor des chartes d’Albret : quelques centaines de liasses. Je me rendis ensuite à Labrit pour un tête à tête, si l’on peut dire, avec le berceau de la famille. Or ma surprise fut de taille : me fiant à la carte d’état-major je me rendis à un lieu-dit “Vestiges d’Albret”, où, en fait de vestiges, je ne découvris qu’un hameau et une maison bourgeoise. Mais, à la suite d’une rapide enquête orale auprès des habitants du bourg, j’appris qu’au lieu-dit “Aux Rocs” – dans la tradition orale –, face à une maisonnette appeler Tailleur, à 500 m du village, se trouvaient des monticules de terre, recouverts de broussailles, entourés de fossé en eau. Arrivé sur les lieux, je découvris, en effet, en bordure du chemin, un ensemble de retranchements, de monticules et de fossés, que j’identifiais immédiatement comme étant le site du château primitif de la famille d’Albret, ce qui confirma l’examen de la carte de Belleyme qui portait à cet endroit le lieu de “Château”. Lorsqu’on sait, avec quel soin fut établie la carte d’état-major, force est de constater qu’à la fin du XIXe siècle, les habitants de Labrit – ou une partie d’entre eux – n’étaient plus capables de localiser le château d’Albret. Mais l’enquête bibliographique me permis de constater aussi que le site n’avait pas été seulement “oublié” par ceux qui en étaient en quelque sorte les dépositaires ; les historiens et érudits landais ne s’étaient jamais préoccupés de savoir ce qu’était devenu le château des Albret. À cela, une explication fort simple : Labrit se trouve aux confins de la Grande Lande, une région considérée longtemps comme marginale.

Au cours des dix années qui suivirent, je suis revenu à maintes reprises sur le site, surtout en hiver, la végétation étant trop dense durant l’été, afin d’en avoir une vue d’ensemble et de le comprendre. Enfin, m’aidant des plans cadastraux anciens et modernes je parvins, en suivant les fossés et les bas-fonds humides, à me rendre compte que j’étais en présence d’une forteresse de terre de forme annullaire, dont une moitié environ avait été arasée. J’en fis alors un plan à main levée (fig. 1) que le levé définitif n’a que peu modifié : un ensemble de 200 à 250 m de rayon de 850 m de périmètre, couvrant environ 5 ha. Je consacrais alors un chapitre de ma thèse au site de Labrit que je n’hésitais pas à qualifier de “témoignage exceptionnel” de la puissance de la famille d’Albret, au même titre d’ailleurs que les fresques de Lugaut. Le jury n’y prêta guère attention ; c’était, il est vrai, en 1972 et l’archéologie médiévale en était encore à ses débuts.

Fig. 1. Labrit, plan de la forteresse (J. B. Marquette).

Bien convaincu de l’intérêt du site, tant sur le plan archéologique qu’historique, je me servis de la “consécration” qu’il avait reçu pour le faire connaître des habitants de Labrit et de la municipalité. Sur l’invitation du maire, le Dr Laulom, je fis une première conférence dans la salle du conseil municipal en 1973, et, en 1981, j’organisais une visite de la forteresse dans le cadre de l’année du Patrimoine et des manifestations prévues à cette occasion par le Parc Régional. De son côté, la municipalité de Labrit, considérant, désormais que le site appartenait au patrimoine communal, se soucia de le protéger et de le mettre en valeur. La forteresse et ses abords immédiats appartenant à quatre propriétaires différents, l’acquisition par la commune de l’ensemble des parcelles concernées s’imposa comme un préalable à la mise en œuvre d’une politique de conservation. Mais la municipalité dut convaincre les propriétaires de l’intérêt de l’opération, qui ne put d’ailleurs être entièrement menée à bonne fin, l’un des propriétaires ayant cru bon de lotir une parcelle sur laquelle ont été édifiés deux pavillons. Finalement, en deux temps, décembre 1985 pour trois parcelles, février 1988 pour le reste du site, la commune de Labrit devint propriétaire de 11 ha pour un coût total de 343 899 F. Consulté par M. le Maire de Labrit, j’ai approuvé sans réserve la démarche de la municipalité.

Afin de se rassurer et de justifier son choix auprès d’un électorat peu habitué aux investissements de cette nature, la municipalité souhaitait vivement obtenir une reconnaissance officielle de l’importance historique du site. La demande d’inscription à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques introduite en 1987 devant la COREPHAE d’Aquitaine fut très favorablement accueillie et, sur proposition de l’architecte en chef des Monuments Historiques, le dossier fut présenté au conseil supérieur en vue du classement de la forteresse “berceau de la famille d’Albret, exemple particulièrement représentatif des fortifications en terre, l’un des rares vestiges du Moyen Âge dans la Grande Lande”. Par arrêté du 2 juin 1990, le site de Labrit est ainsi devenu monument historique.

Dès 1988, la municipalité entreprit le “nettoyage” du site afin de le rendre accessible aux touristes. Elle avait espéré qu’à l’occasion de l’entrée de la commune dans le Parc régional – accepté dans son principe par le comité syndical le 6 juillet 1987 – elle pourrait accueillir sur le site du château une partie du musée du Temps initialement prévu à Marquèze. Aussi, par délibération du 3 novembre 1987, le conseil municipal de Labrit mit-il les terrains à la disposition du Parc régional. Mais le projet de Musée du Temps fut officiellement enterré en décembre 1988. En 1989, le syndicat d’initiative de Labrit organisa au cours de l’été une visite guidée du site mais cette initiative eut peu de succès, faute en partie d’une publicité suffisante auprès des visiteurs de Marquèze. Soucieuse de ne pas s’engager au hasard dans une exploitation touristique, la municipalité avait sollicité entre temps un diagnostic auprès d’un cabinet spécialisé. Rendu en février 1990, le rapport concluait à l’intérêt touristique du site mais posait un certain nombre de conditions en vue de son exploitation. Les unes étaient de la compétence de la municipalité, mais les “scientifiques” étaient interpelés ; il leur appartenait de “valider” le site par des découvertes archéologiques et une meilleure connaissance de son histoire.

Ce fut alors que, je décidai d’engager dans l’entreprise le Centre de recherche sur l’occupation du sol et de demander à M. Yan Laborie, chercheur rattaché à ce centre, de prendre en charge l’exploration scientifique du site. M. Laborie qui venait d’achever un chantier de fouilles à Auberoche (Dordogne) sur un habitat castral déserté accepta aussitôt cette proposition. Dès l’été 1990, avec l’accord de la Direction des antiquités historiques d’Aquitaine et avec le soutien financier (80 000 F) de la municipalité de Labrit, le site fut soumis à un diagnostic : relevé topographique, étude géophysique, prélèvements dans les fossés de boues dont l’analyse palynologique devrait permettre la reconstitution des paysages végétaux. Au cours de l’été 1991, M. Laborie a ouvert une première campagne de fouilles qui lui a permis de conclure à une occupation du sol de la cour centrale du XIe siècle au moins au XVIIe siècle. Ces fouilles ont aussi révélé la présence d’un mur d’enceinte en brique sur la façade nord (XIIIe siècle) ainsi qu’une forte activité métallurgique à toutes les époques. Le pari est donc en voie d’être gagné : le site de Labrit va nous permettre de connaitre la culture matérielle de la Grande Lande au Moyen Âge et au début de l’époque moderne. Enfin – il n’est pas inutile de le souligner – cette fouille est seulement la seconde en Aquitaine d’un village médiéval déserté.

L’expérience de Labrit est donc exemplaire de la manière dont on peut transformer un site non identifié en monument historique et en chantier de fouilles programmé doté probablement un jour – nous l’espérons du moins – d’un musée, en un mot, en faire “un objet patrimonial”.

Je m’étendrai moins sur l’expérience de Villandraut. À l’origine du musée de ce petit chef-lieu de canton se trouve la rencontre vers la fin des années 20, d’un ingénieur des chemins de fer passionné d’archéologie, collectionneur et curieux de toutes choses. Louis Cadis et d’un pionnier du tourisme culturel, Pierre Burau-Sénac, industriel de cette localité. C’est grâce à son concours que L. Cadis installa en 1931 dans une salle louée sur la place principale du village, un musée des arts et traditions populaires de la partie moyenne du bassin du Ciron. Ce musée dont les collections ne cessaient de s’accroitre – uniquement par des dons – devait rester vingt années durant dans ce local. En 1952, à la suite d’une donation faite en 1949 par une institutrice, Mlle Dupeyron, L. Cadis put déménager les collections dans une maison datée de 1753 où elles se trouvent encore. Cette donation fut d’ailleurs l’occasion d’une rocambolesque histoire, l’administration des Beaux-Arts refusant le legs et le Conseil général après l’avoir acceptée au début de l’année 1951 la refusa finalement le 4 décembre afin d’éviter, semble-t-il, d’avoir à sa charge le fonctionnement du musée. Finalement sur proposition de Pierre Burau-Sénac, maire de la commune, celle-ci accepta le don le 22 janvier 1952. Bien que je n’en ai pas l’assurance c’est à la suite de cette décision qu’une démarche fut entreprise qui aboutit au classement de Villandraut parmi les musées contrôlés. Grâce à divers concours, ceux du Touring-Club de France, du Conseil général de la Gironde et de la Direction des musées, Louis Cadis put doubler la surface d’exposition.

C’est en 1956, alors que j’étais étudiant en maîtrise, que je fis connaissance de Louis Cadis qui me fit partager sa connaissance des sites de la région. En raison de son grand âge, il me demanda en 1963 de l’aider dans sa tâche – il avait alors 89 ans – et de présenter ma candidature aux fonctions de conservateur de musée contrôlé, ce qui fut fait en avril 1964. Le 3 février 1969, je succédais à Louis Cadis, décédé le 8 octobre précédent. Louis Cadis s’était inquiété de l’avenir du musée ; il avait envisagé l’éventualité où il serait fermé et souhaitait que ses collections reviennent alors aux donateurs ou soient confiées au musée d’Aquitaine. La nomination d’un nouveau conservateur écarta cette solution. Au cours des années 1970, je pus, grâce au concours du Conseil Général, accroître encore la surface d’exposition de moitié, réorganiser la présentation des collections mais, en raison des moyens modestes mis à ma disposition et des contraintes imposées par le bâtiment, il ne fut pas possible de restructurer l’ensemble. Ainsi par son équipement muséographique qui remonte pour l’essentiel à l’époque de Louis Cadis, le musée de Villandraut est-il devenu un “musée de la muséographie”. Cette situation, l’humidité des lieux l’hiver, la mauvaise conservation des objets qui en résulte, l’impossibilité d’accepter de nouveaux dons faute de place pour les recevoir, les conditions rustiques de l’accueil émurent l’inspection des musées de province. Aussi, lorsque en 1988 dans le cadre d’un contrat de pays d’accueil l’animateur de ce programme suggéra le transfert du musée dans un immeuble plus vaste, situé sur la place du village, cette suggestion recueillit l’adhésion de la municipalité et celles du conservateur et de la Direction des musées. Un projet fut alors élaboré d’acquisition et de rénovation de l’immeuble et de son équipement muséographique pour un coût de 3 MF, la Direction des Musées intervenant pour plus de 1 MF. L’immeuble fut acheté et dans un second temps la municipalité fit l’acquisition d’un bâtiment voisin qui pourrait être utilisé par un gardien. Or malgré la notification faite en 1991 par la D.M.F. d’une première tranche de la subvention portée à 1,30 MF, le projet est à ce jour arrêté.

De ces deux expériences quelles leçons tirer ?

La première c’est qu’il était et qu’il reste toujours possible de “fabriquer du patrimoine”. S’agissant d’un site il convient d’abord de lui conférer une carte d’identité scientifique – dans le cas de Labrit ce fut le chapitre que je lui consacrais dans la thèse sur la famille d’Albret – puis, de faire reconnaître son intérêt historique et archéologique par les Monuments historiques, l’idéal étant le classement. Mais, dès que l’invention est faite, l’identification acquise, il se pose le problème de la conservation, voire de la restauration du site : il est clair aujourd’hui que dans certains cas, tel celui des ouvrages de terre, la meilleure solution consiste à le faire acheter par une collectivité. La dernière étape est celle de la valorisation du site en le transformant en objet culturel : il faut alors que le site se justifie pleinement par ce que l’on va apprendre de lui et par l’appréciation dont il a fait l’objet. C’est la fouille qui permet d’apporter une réponse et, en même temps, d’alimenter le musée de site, complément indispensable du monument. Il apparaît aussi clairement que si le chercheur ne trouve pas un interlocuteur ou des interlocuteurs – collectivités de toutes sortes et administrations – son “invention” est condamnée au mieux à l’oubli, au pire à la destruction.

Dans le cas d’un musée comme celui de Villandraut on retrouve les mêmes étapes : une initiative individuelle, la collecte d’objets, leur identification et leur exposition puis, comme à Labrit, l’intervention d’une collectivité qui accepte un legs et se charge, donc de gérer le musée ; la même demande de reconnaissance officielle, ici le classement comme musée contrôlé à mettre en parallèle avec le classement comme monument historique. Comme à Labrit aussi, parce que la commune a perçu l’intérêt que le musée peut présenter sur le plan touristique, la mise sur pied d’un vaste programme destiné à mieux présenter les objets et à mieux accueillir des visiteurs, Or, alors que dans le cas de Labrit, l’opération s’est jusqu’à ce jour déroulée dans les meilleures conditions, à Villandraut tout laisse penser que l’on se trouve dans une impasse. Les raisons – que l’on retrouverait sous-jacentes dans le cas de Labrit – en sont parfaitement claires. Il n’est pas facile de faire admettre à tous les habitants d’une commune la notion de patrimoine ; plus de trente années d’activités dans le cadre associatif m’en ont convaincu. Les réticences deviennent encore plus fortes lorsqu’une politique patrimoniale entraîne pour la commune des investissements et plus encore des frais de fonctionnement dont il n’est pas sûr qu’ils soient couverts par les recettes apportées par le tourisme. Si la commune de Labrit qui possède un communal n’a en charge qu’un site dont l’entretien n’entraîne pour l’instant que des frais réduits, celle de Villandraut est confrontée à des problèmes autrement difficiles à maîtriser : la mise en place d’un musée et son fonctionnement. Il est donc vrai que les chances de promotion et même de conservation d’un objet patrimonial – site ou musée – tiennent donc bien davantage aux capacités financières de la commune qui en est le dépositaire qu’à l’intérêt scientifique ou culturel qu’il peut présenter.

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EAN html : 9782356136572
ISBN html : 978-2-35613-657-2
ISBN pdf : 978-2-35613-658-9
Volume : 4
ISSN : 2827-1912
Posté le 15/11/2025
6 p.
Code CLIL : 3385
licence CC by SA
Licence ouverte Etalab

Comment citer

Marquette, Jean Bernard, “La fabrique du patrimoine local : Labrit et Villandraut”, in : Boutoulle, F., Tanneur, A., Vincent Guionneau, S., coord., Jean Bernard Marquette : historien de la Haute Lande, vol. 2, Pessac, Ausonius éditions, collection B@sic 4, 2025, 1255-1260 [URL] https://una-editions.fr/la-fabrique-du-patrimoine-local-labrit-et-villandraut
Illustration de couverture • D’après Villandraut : ruine de la tour située à l’angle sud-est de l’ancienne collégiale
(dessin, 1re moitié du XIXe siècle. Arch. dép. Gironde 162 T 4).
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