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Les résidences de Clément V en Bordelais :
Pessac et Villandraut (1305-1308)

Paru dans : Les Cahiers du Bazadais, 184, 2014, 17-28.

C’est à Lusignan, en Poitou, alors qu’il visite sa province, que Bertrand de Got, archevêque de Bordeaux, apprend, le 20 juin 1305, son élection au souverain pontificat, le 5 juin, à Pérouse. Il regagne alors lentement Bordeaux où, le 24 juillet, dans la cathédrale Saint-André, il choisit le nom de Clément V1.

Il ne quittera définitivement le Bordelais pour Avignon que le 20 novembre 1308, soit près de trois ans et demi plus tard. Ce long séjour fut entrecoupé par deux voyages : le premier, à l’occasion de son couronnement à Lyon, le 14 novembre, se déroule du 8 septembre 1305 au 11 mai 1306 ; le second, à Poitiers où il rencontre à deux reprises Philippe IV ne dure pas moins de seize mois (11 mars 1307-6 octobre 1308). Ainsi le souverain pontife a-t-il résidé en Bordelais que treize mois et à trois reprises : du 24 juillet au 8 septembre 1305, du 11 mai 1306 au 10 mars 1307, enfin, à son retour de Poitiers, du 6 octobre au 20 novembre 13082.

Clément V fit du palais épiscopal de Bordeaux sa résidence lors de ses deux premiers séjours, tandis que les couvents de la ville accueillaient la Chancellerie et les cardinaux3. À son retour de Poitiers, il s’arrêta au château de Lormont, propriété des archevêques sur la rive droite de la Garonne, en raison, semble-t-il, des mauvais souvenirs qu’avait laissés dans la ville la cour pontificale. En fait, le souverain pontife quitta, à plusieurs reprises, Bordeaux pour des séjours plus ou moins longs à Pessac et à Villandraut. Les visites qu’il fit à Villandraut, ne sauraient surprendre, même si, nous le verrons, il avait d’autres ambitions pour le lieu de sa naissance, mais ses séjours à Pessac soulèvent un certain nombre de questions.

La résidence de Pessac

Au début du XIVsiècle, la paroisse de Pessac étaie contiguë, vers l’est, à celle de Sainte-Eulalie de Bordeaux dont relevait alors le territoire de la commune actuelle de Talence. Son église, située en bordure du chemin de Bordeaux à La Teste et au bassin d’Arcachon, étaie distante de 5 km de l’archevêché. C’est à 500 m environ à l’ouest de cette église que se trouvait jusqu’à la Révolution un domaine appartenant aux archevêques de Bordeaux, connu sous le nom de seigneurie de La Mothe. On y trouvait un vignoble appelé, depuis 1560 au moins, et sans doute depuis plus longtemps, Vignes du pape Clément4.

Probablement après le 23 décembre 1299, Gaillard de Got, frère cadet de Bertrand, alors archevêque de Bordeaux, avait acheté aux exécuteurs testamentaires de Guillaume Amanieu de Pessac, qualifié de damoiseau, la seigneurie de la Mothe de Pessac5. Elle comprenait : “la motte et les maisons de Pessac et le bois dans lequel se trouvent ladite motte et les maisons ; un autre bois dépendant de ladite maison ; la vigne et la terre qui se trouvent entre les deux bois ; une vigne qui se trouve à côté du bois dans lequel se trouvent la motte et les maisons, dont elle est séparée par un chemin public. Tous ces biens, délimités par des fossés et des chemins publics, sont contigus à la maison, aux bois et possessions d’Hugues Calhau, citoyen de Bordeaux. Ils sont situés “entre l’église de Pessac, un ormeau à côté duquel se trouve une fontaine aux eaux courantes et le chemin public qui se dirige vers l’église de Pessac”.

Bien que le domaine de Pessac appartienne à son frère, entre sa promotion et son départ pour Avignon, Clément V se rend à Pessac, au lendemain de son arrivée à Bordeaux, le 30 juillet, et y retourne le 2 septembre, quelques jours avant son départ pour Lyon. De retour de Lyon, le 11 mai 1306, le pape s’installe à l’archevêché, mais si l’on se réfère au catalogue de ses lettres, entre mai et la mi-novembre, c’est à quatorze reprises qu’il vient à Pessac pour des séjours d’un ou deux jours. Il réside ensuite à Villandraut deux mois et demi puis, du 10 février au 9 mars 1307, à Pessac où il ne reviendra plus.

Or, entre l’été 1305 et le printemps 1306, il s’est produit un événement donc allait dépendre l’avenir du domaine : le décès de Gaillard de Got, frère puiné du souverain pontife et propriétaire de la seigneurie de la Mothe. C’est en tout cas ce que l’on apprend par un acte du 20 novembre 1305, daté de Lyon, quelques jours après le couronnement. Ce jour-là, Clément V confirme le don fait par son frère (suus germanus), Gaillard, d’une partie du domaine que celui-ci possédait à Pessac6. Le don est fait par Gaillard “à l’Église et à notre cher Arnaud, élu archevêque de Bordeaux (c’est le pape qui parle) et à ses successeurs dans ladite église de Bordeaux”. Sur les raisons qui ont pu pousser Gaillard à tant de générosité, la bulle pontificale nous donne quelques indices. Selon un formulaire qui rappelle celui des testaments, c’est par piété, voulant échanger les biens de ce monde contre ceux du ciel et des biens transitoires pour des bien éternels que Gaillard a donné son domaine à l’Église. Clément V précise que le don a été fait “devant lui” (coram nobis) par son frère, “aujourd’hui décédé” (quondam), et c’est en raison du décès de son frère que le souverain pontife confirme solennellement la donation. L’archevêque de Bordeaux est alors Arnaud de Canteloup, qualifié d’élu, nommé mais non consacré ; d’ailleurs, le jour même où le pape confirme la donation de son frère, Arnaud s’intitule camérier, chargé du service personnel du pape, et, le 15 décembre, il est fait cardinal7.

Fig. 1. La seigneurie de la Mothe de Pessac en 1305 reconstituée d’après un plan du XVIIIe siècle.

Or, exactement trois ans plus tard, le 20 novembre 1308, alors qu’il se trouve à Villandraut pour rejoindre Avignon, Clément V, agissant comme si cet acte que nous venons d’évoquer n’avait pas existé, fait donation à Arnaud, archevêque de Bordeaux et à ses successeurs du “manoir de Pessac avec les bois et vignes en dépendant que son frère Gaillard, damoiseau, lui avait donné ou concédé longtemps avant son accession au souverain pontificat8. L’archevêque de Bordeaux est alors Arnaud IV de Canteloup, neveu du cardinal du même nom, nommé le 28 juin 1306. Gaillard aurait ainsi fait don du domaine de Pessac à son frère, alors qu’il n’était qu’archevêque de Bordeaux, après le 23 décembre 1299, date de son transfert de Saint-Bertrand-de-Comminges. Le pape considérait donc la seigneurie de la Mothe comme la sienne. Les deux visites qu’il fit à Pessac au lendemain de son élection, avant son couronnement et la mort de son frère viendraient à l’appui de cette hypothèse. Mais que penser alors de l’acte d’achat par Gaillard à moins qu’il n’ait servi de prête-nom ? Bertrand, alors archevêque de Bordeaux, avait fort bien pu procurer à son frère les fonds nécessaires pour acheter la seigneurie de Pessac.

Fig. 2. Restes de la motte de l’archevêché à Pessac (cl. X Roborel de Climens).
Fig. 3. La Fontaine du Pape à Pessac. Sur la gauche, restes de la motte de l’archevêché (cl. X Roborel de Climens).

L’existence des deux actes au contenu contradictoire est à rechercher, nous allons le voir, dans les événements qui se produisirent à Lyon en novembre 1305. En effet, si l’on en croit l’acte de donation de 1305, Gaillard décède dans les jours qui ont immédiatement suivi le couronnement de son frère, le 14 novembre. Le jour du couronnement, après la cérémonie qui s’était déroulée dans l’église Saint-Just hors les murs, selon la Sexta Vita, Clément V est victime d’un accident. Le cortège de grands et d’ecclésiastiques descend de l’église vers la ville lorsqu’un vieux mur sur lequel était, semble-t-il, monté un trop grand nombre de spectateurs s’effondre. Le pape perd sa tiare donc un rubis de grande valeur qui s’en était détaché ne fut jamais rendu par celui qui le trouva. Tous les chevaliers et barons, donc Charles de Valois, frère du roi Philippe IV, qui se trouvent à cheval autour du pape sont renversés, blessés et certains d’encre eux dont le duc Jean de Bretagne et, selon la Sexta vita, Gaillard, frère du pape, décèdent quelques jours plus tard10. Thomas Joyce, chapelain d’Édouard, avait été envoyé par son maître auprès de Clément V qui, le 15 décembre 1305, le créa cardinal. Il était présent à Lyon lors de l’accident du 14 novembre, mais il n’en avait pas informé le souverain. Celui-ci ayant appris que “aucuns ennuis sunt avenu a nostre père le pape” demande à Thomas Joyce de lui en donner les raisons. Dans une lettre du 22 janvier 1306, le nouveau cardinal commente au souverain le drame qui s’est produit le jour du couronnement : “je vous fais a savoir, sire, que le jour de S(acrement), au revenir de (Saint) Just fust ver Lion par une estroite charrere que on mur che(ut) sur plusieurs autres. Là, Dieu merci, il (le pape) n’eust mal, mais li duc de Bretagne et aucun (autre ont) esté mort de la blessure qu’il hy receurent donc le pape a esté mout correciez”. Or, la chose a de quoi surprendre, Thomas Joyce ne mentionne pas le décès du frère du pape. Mais le lendemain, il revient sur ces événements dans une seconde missive : “et, sire de celuy joedy – le 21 janvier, jour ou Thomas Joyce s’est entretenu avec le pape des affaires de son maître – tant que au jour que ceste lettre fut feite – le 23 – demourerent nos besoignes targuées par la mort de un frere le pape, le puisné qui mourut ledit joedy”. Or le seul “frère puiné” que l’on connaisse à Clément V est Gaillard et il est difficile d’envisager que le cardinal anglais fort bien au courant de la vie de la cour pontificale ait pu commettre une grossière erreur s’agissant de l’identité du parent de Clément V qui venait de décéder. La relation de la Sexta Vita qui parle d’un décès survenu quelques jours après le 14 novembre ne saurait être opposé au contenu de la lettre, car il s’agit d’une œuvre de caractère littéraire. Elle est aussi contredite par le testament de Gaillard de Got, “frère et maréchal du saint Père, seigneur du château de Duras en Agenais”, daté du 16 janvier 1306 (n. st.), de Lyon “dans la maison dite de Roanne où il habitait” (in domo vocata de Roana quam habitabat)11. D’après son notaire, bien qu’il ait encore toute sa raison et sa mémoire, Gaillard était souffrant et à l’article de la mort. Le notaire précise d’ailleurs plus loin : “s’il arrive qu’il décède de cette infirmité” (si contingat ipsum dominum Galhardum ex hac infirmitate decederet). Cinq jours plus tard, Gaillard décédait.

Comment peut-il se faire dans ces conditions que, le 20 novembre précédent, le pape ait approuvé et donné un fondement juridique à la donation faite par son frère qui venait, selon lui, de décéder, mais en réalité était, nous en sommes maintenant, certain, toujours de ce monde12. Nous ne voyons qu’une explication : la crainte de Clément V que son frère grièvement blessé ne meure avant d’avoir disposé du domaine de Pessac. Le pape, comme la suite des événements l’a montré, voulait que ce domaine revînt aux archevêques de Bordeaux, probablement parce qu’il avait contribué à son achat. Or Gaillard survécut encore deux mois. Que l’acte du 20 novembre ait été ensuite “oublié” et ne fit jamais l’objet d’une expédition, la chose est certaine. Il suffit alors à Clément V d’affirmer trois ans plus tard que son frère lui avait “naguère” donné le domaine, ce qui est inexact puisque, de l’aveu même du souverain pontife, son frère en avait déjà fait don à l’archevêque de Bordeaux. En tout cas dans son testament, Gaillard ne revient pas sur cette donation. La seule allusion qui soit faite au domaine de Pessac concerne son bayle (bailli), auquel il lègue 20 livres arnaudines (monnaie agenaise). Quant à l’ensemble des biens qu’il possédait dans le diocèse de Bordeaux, Gaillard en fait don à son frère aîné, Arnaud Garcie, le chef de famille, vicomte de Lomagne et Auvillar13.

Il est exceptionnel de disposer, au début du XIVsiècle, d’informations aussi précises sur un domaine que celles qui sont contenues dans l’acte de donation de la Mothe de Pessac, de novembre 1305. D’ailleurs, cette description nous ramène facilement aux environs de 1250. Si trente archevêques ont présidé, cinq siècles durant, aux destinées de la Mothe de Pessac, cette seigneurie ne changea pas de propriétaire jusqu’à sa disparition à la Révolution. Ainsi, des documents figurés qui ne datent parfois que du XVIIIsiècle sont susceptibles d’éclairer des informations plus anciennes de plusieurs siècles. Nous avons pu ainsi situer et reconstituer le domaine tel qu’il était en 1305. Il subsiste encore aujourd’hui une des deux mottes élevées par la famille de Pessac, une fontaine dénommée au XVIIIe siècle Fontaine du Pape, alimentée par la fons vivus. À partir de la fin du XVsiècle, les archevêques concédèrent en tenures (baux emphytéotiques) les parties boisées du domaine qui furent alors plantées en vigne. Une chartreuse du XVIIIe, bâtie par l’un des tenanciers à côté de la motte, a remplacé la résidence de Clément V.

Cette résidence comportait plusieurs bâtiments, car le document de 1305 nous dit bien que Gaillard possédait “motam et domos. Mais Clément V fit construire sur leur emplacement une nouvelle résidence comme en témoigne le compte de Jean de Weston, connétable de Bordeaux pour les quatre premières années du règne d’Édouard III (29-l-l 327/28-1-1331)14. Il est question de “la grande maison que le pape Clément fit construire et édifier au-devant de la motte du lieu de Pessac” (magna domus quam papa Clemens construi et edificare fecit ante motam loci de Pessaco). La maison (domus) de 1305 est en effet devenue en 1308, un manoir (manerium), ou une grande maison (magna domus). L’examen des itinéraires du souverain pontife au cours de son séjour en Bordelais en 1306-1307 conforte, à notre avis, la déclaration du connétable. Nous avons vu que Clément V, qui s’était déjà rendu à Pessac peu de temps après son élection, y revient plus de quatorze fois du mois de mai à la mi-novembre 1306. Malade, il se fait transporter à Pessac au mois d’août 1306 et, de là, gagne Villandraut où il séjourne jusqu’au 18 février 1307 avant de s’installer une nouvelle fois à Pessac jusqu’au 8 mars. On imagine mal le pape et sa suite résidant pendant dix-huit jours, à la période la plus froide de l’année, dans la maison achetée par son frère et y tenant même, à la fin du mois, un synode privé. Les visites à répétition faites en 1306 par Clément V ne seraient-elles pas des visites de chantier, la dernière ayant eu lieu le 11 novembre ? C’est à cette époque, verrons-nous, que le souverain pontife se préoccupa de faire construire un château à Villandraut. Mais le chantier de Pessac fut probablement ouvert beaucoup plus tôt au moins au printemps 1306, et il était encore en cours au mois de novembre. La magna domus était, en tout cas, suffisamment avancée pour accueillir le pape en février 130715.

Nous ne disposons par la suite que d’informations fragmentaires sur la destinée de ce “palais”. Si l’on en croit le compte de Jean de Weston, la maison de Pessac, tombée dans les mains des ennemis du roi-duc, fut confisquée. Les Anglo-gascons l’ayant reprise décidèrent de la détruire et les bois de charpente provenant de cette démolition furent utilisés, à l’occasion de travaux au château de Bordeaux. Que faut-il en penser ? Au cours des années 1327-1330 les relations entre Édouard III et le souverain français, Philippe VI, étaient tendues. Mais en l’état actuel de nos informations sur la situation politico-militaire autour de Bordeaux, il ne nous est pas possible d’identifier les ennemis du roi-duc qui s’étaient emparés de la maison de Pessac. Peut-être s’agissait-il d’hommes au service du comte d’Armagnac, fidèle du roi de France et seigneur de Blanquefort par son mariage avec Régine de Got, petite-nièce de Clément V, décédée en 1325. En effet, parmi les dépendances de Blanquefort se trouvait la seigneurie de Veyrines. Si le chef-lieu, la tour de Veyrines, se trouvait dans la paroisse de Mérignac, la seigneurie s’étendait aussi sur la paroisse de Pessac et confinait à celle de la Mothe.

Quoi qu’il en soit, on ne voit guère le danger que pouvait présenter pour Bordeaux la présence d’un parti hostile dans la maison de Pessac. Celle-ci reprise, fallait-il la détruire, à moins d’agir par esprit de vengeance ? Plus simplement et bien qu’elle n’ait été construite que depuis une vingtaine d’années, la maison n’aurait-elle pas été abandonnée ? Ce qui expliquerait le prélèvement de bois de charpente. Nous serions d’autant plus enclin à le penser qu’en 1354, il existe toujours une domus de la Mothe de Pessac. Il ne saurait s’agir d’une construction entièrement nouvelle, car à cette date elle avait grand besoin de réparations. Nous pensons donc que si des pièces de bois furent “empruntées” vers 1330 à la magna domus, celle-ci ne fut pas rasée.

La domus était entourée d’une clôture et probablement d’un fossé. En effet, en 1354, d’importants travaux furent entrepris “au pont de Pessac avec l’ensemble du portail” et, en 1383, le pont fut refait à neuf16. La maison proprement dite possédait une grande salle (aula magna) et des chambres. Des réparations y sont attestées dans les comptes de l’archevêché en 1387 et 1389. Fut-elle abandonnée à l’occasion de la guerre qui sévit autour de Bordeaux dans la première moitié du XVsiècle ? C’est tout à fait possible, mais ce n’est qu’une hypothèse. Au XVIIIsiècle au plus tôt, fut élevée, sur son emplacement ou à proximité, la maison du bourdieu de La Mothe appartenant à l’un des tenanciers établis sur le domaine, que l’on peut voir encore aujourd’hui : il s’agit d’une chartreuse, connue sous le nom de “maison Forestier”, qui inclut dans ses murs des parties plus anciennes17.

Résidence de Villandraut

Pessac ne fut pas le seul site pour lequel Clément V manifesta de l’intérêt. Ce fut aussi le cas de celui de Villandraut, lieu de sa naissance, qu’il souhaitait rejoindre lorsque la mort le surprit à Roquemaure, le 20 avril 1314.

Lorsqu’en 1305, il quitte Bordeaux pour se rendre à Lyon, Clément V passe par Villandraut et Bazas, le 8 septembre. De retour, après avoir séjourné à Pessac durant l’été 1306, il se rend dans la résidence familiale où il passe la Noël et ne la quitte qu’au début de février. C’est enfin de Villandraut qu’est datée la donation de la seigneurie de Pessac aux archevêques de Bordeaux, le 20 novembre 1308.

Au milieu du XIIIsiècle les Got étaient seigneurs de “Vinhandraut” dans la paroisse de Saint-Martin-de-Got. Cette seigneurie éraie constituée d’une résidence sur les bords du Ciron, à quelque distance de l’église, et de onze manses ou tenures dont celui de “Vinhandraut” sur les treize que comprenait la paroisse. Vassaux du sire d’Albret à raison de la seigneurie de Castelnau-de-Cernès, les Got ne possédaient que la basse justice dans leur seigneurie20. Étaient présents : Amanieu VII d’Albret, un fidèle du roi d’Angleterre, bénéficiaire depuis l’été 1305 de la manne pontificale, dont l’un de ses ennemis prétendait qu’il se comportait comme un roi en Gascogne et Arnaud Garcie de Got, vicomte de Lomagne et d’Auvillar, frère aîné du pape. Furent témoins : le cardinal Ruffat des Forges originaire de Cassanet en Gascogne, ancien chanoine de Saint-Seurin, le cardinal Arnaud de Pellegrue, ancien vicaire général de Bertrand de Got en Comminges, puis à Bordeaux, le vice-chancelier, successeur du cardinal Pierre-Arnaud de Pouyanne, ancien abbé de Sainte-Croix ; Arnaud Calhau, maire de Bordeaux, enfin Raimond Marquès et Bernard Ez de Ladils, deux clercs bazadais, membres du conseil du roi-duc en Aquitaine. Le nombre et la qualité des témoins laissent pressentir l’importance de l’acte qui va être passé. Le sire d’Albret, considérant les bons services rendus par Arnaud Garcie de Got et son fils Bertrand, leur concède ainsi qu’à leurs successeurs la haute justice et juridiction qu’il avait sur le château – la maison forte – de Villandraut, la paroisse de Saint-Martin et neuf des onze manses de cette paroisse, moyennant l’hommage d’une paire de gants blancs d’esporle, redevance symbolique rappelant le droit éminent du seigneur sur le fief, à changement de seigneur ou de vassal. Ainsi, le sire d’Albret érigeait la seigneurie de la famille de Got en châtellenie et permettait à leur résidence de devenir un château au sens juridique du terme, mais en restant dans la mouvance du seigneur de Castelnau­de-Cernès. Cet acte nous rappelle aussi que le seigneur de Villandraut, contrairement à une idée fort répandue, n’était pas Clément V, mais son frère aîné, Arnaud Garcie. Avant de partir en Avignon, Clément V passa par Villandraut, le 20 novembre 1308, sans doute afin de s’assurer de l’avancement des travaux, qui avaient probablement commencé depuis près de deux ans. Même s’il s’inscrit dans la tradition architecturale illustrée par l’architecte maître Jacques de Saint-Georges, nous ignorons qui en fut l’architecte. Monument exceptionnel en son temps, il nous en reste l’essentiel.

Fig. 4. La seigneurie de Villandraut en 1307 : 1. Limite de diocèse ; 2. Limite de seigneurie ; 3. Voie de communication ;
4. Chef-lieu de diocèse ; 5. Château ; 6. Collégiale ; 7. Paroisse ; 8. Seigneurie de Villandraut.

À la lumière des informations dont nous disposons aujourd’hui, nous pensons que Clément V qui avait peut-être envisagé de passer son pontificat à Bordeaux, n’abandonna jamais l’idée de revenir un jour en Bordelais et se soucia donc d’y posséder une résidence. Il semble, dans un premier temps, avoir songé à Pessac, où il fit construire un manoir. En 1308, comme en témoigne la donation qu’il fait alors de la seigneurie de Pessac aux archevêques de Bordeaux, il y a renoncé. Mais ce n’est probablement pas un hasard s’il a pris cette décision de Villandraut. L’avancement du chantier lui permit de penser qu’il pourrait, un jour relativement proche, y revenir pour y résider. Il espérait probablement y mourir lorsqu’il quitte Avignon, mais il ne dépassa pas Roquemaure, où il décède le 20 avril 1314.

Fig. 5. Le village de Villandraut au XIXe siècle : emplacement de l’ancienne église Saint-Martin, de la maison forte, de la collégiale et du château.

Notes

  1. Bordeaux sous les rois d’Angleterre, sous la direction de Y. Renouard, Bordeaux, 1965, p. 292-303.
  2. Regestum Clementis pape V Anno MDCCCLXXXVI, Romae. Grâce au Regestum on peut suivre avec précision les déplacements du souverain pontife. Tables des registres de Clément V, établies par Y. Lanhers sous la direction de Robert Fawtier, Paris, 1968.
  3. Le pape avait nommé pour lui succéder un de ses cousins, Arnaud (III) de Canteloup, mais il en fit son camérier et le créa cardinal (15 décembre 1305). Son choix se porta, six mois plus tard, sur un chanoine de Saint-André, neveu du cardinal, nommé lui aussi Arnaud (IV) de Canteloup (16 juin 1306).
  4. Marquette (J. B.), “Les origines de la seigneurie des archevêques de Bordeaux à Pessac”, dans Revue archéologique de Bordeaux, tome C, année 2009, p. 83-99.
  5. Regestum Clementis papa V…, Regestum anni quarti litterarum communium, n° 4977. La seigneurie comprenait aussi des “honmmes, moulins et autres revenus, terres, eaux, pâturages, questes, tailles ou collectes, cens, agrières et autres choses” mais, nous le verrons, ces biens-là ne figurent pas dans la donation faite par Gaillard de Got aux archevêques de Bordeaux.
  6. Regestum Clementis papa V…, n° 4977.
  7. Bordeaux sous les rois d’Angleterre, sous la dir. de Yves Renouard, p. 302, n. 43.
  8. Regestum Clementis papa V, n° 3999. Archibo segreto vaticane, Reg. Vat. 56, f° 69 v° : “manerium de Pessaco, Burdegalensis diocesis, ad personam nostram diu ante ipsam promotionem, ex donatione seu concessione quondam Galhardi del God, domicelli, germani nostri, pertinens cum nemoribus et vineis ad ipsum pertinentibus tibi (Arnaldo archiepiscopo Burdegalensi) et successoribus tuis archiepiscopis Burdegalensibus qui erunt pro tempore auctoritate presentium in perpetuum concedimus et donamus.
  9. Stephanus Baluzius, Vitae paparum Avenionensium, Nlle édition par G. Mollat, t. I, Paris, 1914. L’événement est rapporté dans la Prima Vita, mais il n’est pas fait mention du frère du pape parmi les victimes (p. 1). La Secunda Vita donne des détails sur les circonstances et les conséquences de la chute du mur, mais ne cite pas le nom de Gaillard (p. 25). La Quarta Vita précise que les personnes blessées décédèrent peu de jours après (infra paucos dies obierunt) (p. 61). C’est seulement dans la Sexta Vita que l’on apprend le décès de Gaillard : Johannes, dux Britanie et Galhardus de Goto, fraer dicti Clementis pape post paucos dies decesserunt (p. 91).[/efn_note.

    Deux lettres de frère Thomas Joyce au roi Édouard Ier nous apportent d’intéressantes précisions, et soulèvent aussi un problème9Langlois (Ch.), “Notice et documents relatifs à l’histoire des XIIIe et XIVsiècles”, dans Revue Historique, t. LXXXVII, 1905, p. 68-71. Ancient correspondance, XVI, n° 117, XXI, n° 149.

  10. BnF, Coll. Doat, t. 42, p.1-18. Il s’agit d’un vidimus établi par l’official d’Agen, le dimanche après la fête de sainte Foi 1307. Le testament a été reçu par Raymond de Ortho (Dujardin), notaire apostolique du diocèse de Clermont. Gaillard est qualifié de damoiseau. Doat a retrouvé ce document dans “les papiers meslés des archives des titres de sa Majesté en la ville de Rodez”.
  11. C’est tout récemment que nous avons pris connaissance du testament de Gaillard qui met fin aux interrogations que l’on avait sur la date de son décès.
  12. Gaillard n’avait pas eu d’enfant légitime et seulement un bâtard reconnu, Raimond Arnaud, auquel il lègue 4000 gros tournois vieux d’argent et tout son équipement et son armement. Il le recommande à son frère, le saint père et à Arnaud, cardinal du titre de Saint-Marcel. Il s’agit d’Arnaud de Canteloup, archevêque nommé de Bordeaux, créé cardinal-prêtre de Saint-Pierre et Saint-Marcel au consistoire du 13 décembre 1305, et nommé camerlingue de la Sainte-Église.
  13. Gardelles (J.), Les châteaux du Moyen Âge dans la France du sud-ouest, Paris, 1972, p. 194-195. D’après P.R.O. E 372/185 : compte des bois de charpente provenant de la démolition et consacrés à des travaux au château de Bordeaux.
  14. Notons au passage que les recettes et dépenses de la chambre apostolique qui auraient pu nous renseigner sur la vie quotidienne du souverain pontife et de sa suite lors de son séjour à Bordeaux, Pessac et Villandraut, n’ont pas encore été retrouvées. En ce qui concerne la période juillet 1305-novembre 1308, seuls les comptes de la Chambre apostolique allant du 11 mars au 17 novembre 1307, correspondant à une partie du séjour de Clément V à Poitiers, ont été publiés par les Bénédictins dans un appendice au Regestum. B. Guillemain a publié, de son côté, les comptes de novembre 1308 à novembre 1309. Les recettes et les dépenses de la chambre apostolique pour la quatrième année du pontificat de Clément V (1308-1309), Collection de l’École française de Rome, 39, 1978.
  15. Comptes de l’archevêché de Bordeaux. Ils ont été publiés pour le XIVsiècle par Léo Drouyn, Archives historiques de la Gironde, t. XXI et XXII. En ce qui concerne la domus de Pessac : 1354 : t. XXI, p. 337 ; 1383 : t. XXII, p. 356 ; 1387 : t. XXII, p. 414-415 ; 1389 : t. XXII, p. 454.
  16. 25 rue Larouillat 33600 Pessac.
  17. Marquette (J. B.), “Villandraut : la naissance d’un bourg”, dans Les Cahiers du Bazadais, n° 135, 4e trim. 2001, p. 11-12. Villandraut, chef-lieu de canton, arr. de Langon, Gironde. Le château de Castelnau­de-Cernès, aujourd’hui en ruines, se trouve dans la commune de Saint-Léger-de-Balson, canton de Saint-Symphorien, Gironde.[/efn_note. Béraud de Got, père du futur souverain pontife, avait eu un différend avec Amanieu VI d’Albret pour ne pas avoir sollicité l’autorisation de son seigneur pour construire une nouvelle résidence. L’affaire avait été réglée en 1268, mais Béraut dut reconnaître que la maison construite et encore en cours de construction se trouvait bien dans la justice de la châtellenie de Castelnau-de-Cernès18La copie de cet acte est conservée aux archives du château de Cazeneuve, commune de Préchac, Gironde.[/efn_note. Il existait encore à la fin du XIXsiècle, sur l’emplacement de l’église actuelle, des restes de cette résidence qui avait connu des remaniements vers 1300 : une tour et une grande salle dans laquelle avait été aménagée, en 1312, la collégiale fondée par Clément V. Un petit bourg était probablement apparu vers la même époque.

    C’est dans cette résidence que Clément V séjourna durant l’hiver 1306-1307, un séjour à mettre, selon nous, en relation avec la construction du château de Villandraut. Même si l’on n’en a pas la preuve formelle, il est certain que c’est le souverain pontife qui en eut l’initiative et en assura le financement. Nous sommes d’ailleurs enclin à penser que c’est afin de régler les problèmes liés à sa construction que Clément V s’était rendu à Villandraut. En effet, Villandraut étant une simple seigneurie, il fallait pour édifier un château obtenir auparavant l’autorisation du sire d’Albret ou, mieux encore, la concession de la haute justice et transformer ainsi la seigneurie rurale en seigneurie banale. Clément V confia au cardinal Raimond de Got, son neveu, cardinal depuis le consistoire du 15 décembre 1305, le soin de traiter avec le sire d’Albret. La cession de la haute justice eut lieu le 2 décembre 1306, à Bordeaux et fit l’objet d’un acte reçu par un notaire bordelais dans la chambre du cardinal19La copie de ce, acte est conservée aux archives du château de Cazeneuve, commune de Préchac, Gironde.

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Pessac
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EAN html : 9782356135094
ISBN html : 978-2-35613-509-4
ISBN pdf : 978-2-35613-511-7
Volume : 4
ISSN : 2827-1912
Posté le 15/11/2025
11 p.
Code CLIL : 3385
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Licence ouverte Etalab

Comment citer

Marquette, J. B., “Les résidences de Clément V en bordelais : Pessac et Villandraut (1305-1308)”, in : Boutoulle, F., Tanneur, A., Vincent Guionneau, S., coord., Jean Bernard Marquette : historien de la Haute Lande, vol. 1, Pessac, Ausonius éditions, collection B@sic 4, 2025, 117-128, [URL] https://una-editions.fr/les-residences-de-clement-v-en-bordelais
Illustration de couverture • d'après “Atlas de Trudaine pour la ‘Généralité de Bordeaux n° 6. Grande route de Bordeaux à Bayonne. Les douze premières cartes du plan de cette route. Cy 15 cartes’.
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