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1306 : du château de Meilhan à celui de Villandraut, le pape, le roi, le prince et le seigneur de Lebret

Paru dans : Revue de l’Agenais, 2019, tome 146, n° 1

Les Albret perdent la seigneurie de Meilhan : 1261

Rappelons, tout d’abord, les circonstances dans lesquelles les Albret avaient dû quitter Meilhan dont ils étaient probablement seigneurs depuis la fin du XIIe siècle. Au cours de l’hiver 1250 Amanieu VI (1240-1270) était entré en rébellion contre Simon de Monfort, lieutenant du roi d’Angleterre, Henri III, mais, le 25 mai 1251, à Couthures, il conclut un accord avec lui, en fait une capitulation. Deux jours plus tard, il accepta de faire jurer les bourgeois et chevaliers de Meilhan d’aider loyalement le comte ou le représentant du roi en Gascogne contre sa propre personne. Lors d’une nouvelle révolte d’un certain nombre de seigneurs et de bourgeois, au début de 1253, Amanieu fit d’emblée sa soumission au roi, arrivé en Gascogne le 15 août et se mit à son service. Du mois de janvier au mois de juin 1254, le roi ne cessa de résider à Meilhan. Tirant parti de cette hospitalité, le seigneur de Lebret obtint des lettres de pardon pour les infractions commises par les habitants de Meilhan, depuis le jour où ils l’avaient suivi dans sa révolte jusqu’à la reddition du château et du bourg. La paix générale fut proclamée le 8 août.

Lors d’un séjour impromptu que fit à l’automne 1261 le prince Édouard, fils d’Henri III, fut conclu avec le seigneur de Lebret un échange dont on peut se demander s’il ne fut pas un peu forcé. Le 15 décembre, Amanieu VI céda en effet au prince tous les droits qu’il avait dans le château et la châtellenie de Meilhan et leurs dépendances. Il reçut en échange tous ceux que le roi avait reçus de Gaillard Colom et que ce dernier tenait à titre de gage de P. de Mota sur des biens situés à Hostens, Landiras, Langon et Roquetaillade. S’il advenait que les héritiers de P. de Mota veuillent procéder à son rachat, le prince s’engagea à indemniser le seigneur de Lebret en lui cédant d’autres biens de valeur identique, situés eux aussi en Gascogne. Ces biens ne présentaient pas le même intérêt et n’assuraient peut-être pas des revenus identiques à ceux de Meilhan. On peut le supposer, car le seigneur de Lebret reçut ultérieurement en complément une terre dite de Clar. Il ne s’estima pas pour autant satisfait et finit par obtenir en échange, le 15 avril 1263, la terre de Maremne avec droit d’ost, de chevauchée et de justice, cession de grande importance, point de départ de la mainmise des Albret sur la Grande Lande et la Lande maritime1.

La restitution de Meilhan aux Albret

Telle est la situation au début de l’été 1306 lorsque, au terme d’une intense activité diplomatique entre le 18 juillet et le 26 septembre, le sire d’Albret se retrouve seigneur de Meilhan.

Les acteurs

La pièce se joue entre quatre acteurs: le roi d’Angleterre, Édouard Ier, son fils Édouard, prince de Galles et duc d’Aquitaine, Amanieu VII seigneur de Lebret et Clément V dont la présence est inattendue.

Édouard Ier avait succédé à son père Henri III en 1272. Il est alors âgé de 67 ans. Son règne avait été marqué par l’intégration au royaume du Pays de Galles après une brève guerre (1282-1283) et, depuis 1296, une interminable guerre contre les Écossais. Il s’était intéressé à ses possessions de Gascogne où il s’était rendu en 1286 et où il avait résidé près de trois ans. Bien qu’il eût rendu hommage au nouveau roi de France Philippe IV en 1286, celui-ci ayant cité Édouard à comparaître, à la suite d’un conflit entre marins bayonnais et normands, se fit remettre le duché en 1294. La guerre qui s’ensuivit ne prit fin qu’en 1303 au traité de Montreuil.

Le prince Édouard, quatrième fils d’Édouard Ier, était né le 25 avril 1284 à Caernarvon, un château bâti par son père dans la principauté de Galles, dont il achevait la conquête. Il était comte de Ponthieu et de Montreuil qui lui est associé depuis le 28 novembre 1290, succédant à sa mère, Éléonore de Castille (1241-1290), fille de Ferdinand III, roi de Castille et de Jeanne de Danmartin, comtesse de Ponthieu2.

Héritier du trône à la suite du décès de son frère, Alphonse, le 19 août 1284, il fut, le 7 février 1301, le premier à porter le titre de prince de Galles, par la suite associé à l’héritier du trône. Il reçut en même temps de son père le comté de Chester. Le 7 avril 1306, le roi renouvela en sa faveur la donation que lui avait faite jadis son propre père, Henri III, en lui donnant en apanage le duché d’Aquitaine, l’île d’Oléron et l’Agenais3.

Amanieu, seigneur de Lebret et de Castelnau-de-Cernès, chevalier, est Amanieu VII qui a succédé à son frère Bernardetz IV (1270-1280) en écartant Isabelle, sa nièce, épouse de Bernard VI, comte d’Armagnac. C’est avec l’appui d’Édouard Ier qu’Amanieu, alors simple seigneur de Maremne, a pu recueillir l’héritage de son frère. Fidèle à Édouard Ier, il l’a servi au pays de Galles et en Écosse et soutenu tout au long de la guerre de Guyenne (1294-1303). Il en fut récompensé4.

C’est le 20 juin 1305 que Bertrand de Got, natif de Villandraut, archevêque de Bordeaux depuis 1299, apprit à Lusignan, en Poitou, son élection au souverain pontificat. Il regagna Bordeaux où, le 24 juillet, il prit le nom de Clément V. Parti pour son couronnement à Lyon au début de septembre il ne revint à Bordeaux que le 11 mai 1306. Son retour ne fut pas étranger à la décision prise quelques semaines plus tard par le roi d’Angleterre concernant la seigneurie de Meilhan.

L’autorisation donnée par Édouard Ier à son fils

Le 28 juillet 1306, de Caerlaverock en Écosse, trente quatrième année de son règne, Édouard Ier fait savoir qu’il autorise son fils Édouard, prince de Galles, à faire donation à Amanieu, seigneur de Lebret, du castrum et de la châtellenie de Meilhan. Édouard Ier, qui s’intitule roi d’Angleterre et seigneur d’Irlande, n’est autre que le négociateur de 1261, qui avait succédé à son père Henri III, en 1272. Le 7 avril précédent, il avait fait don du duché d’Aquitaine et de toutes ses dépendances à son fils Édouard, prince de Galles, et à ses descendants, rois d’Angleterre, mais sans qu’il puisse l’aliéner ni en distraire une partie5.

Cependant, à la requête de Clément V, par faveur et en reconnaissance des agréables services qu’a rendus à maintes reprises à lui-même et à son fils son cher et fidèle Amanieu, seigneur de Lebret, il autorise le prince Édouard et ses héritiers à donner et concéder à Amanieu et à ses successeurs le castrum et la châtellenie de Meilhan, dont il précise les droits qui y sont attachés : hommages, redevances, services, fiefs, avoueries d’églises, libertés, libres coutumes, haute et basse justice et tous autres droits, sans aucune réserve. Le roi précise qu’ Amanieu de Lebret et ses héritiers rendront au prince Édouard et à ses successeurs les services qui devaient et avaient coutume d’être faits, avant l’échange conclu en décembre 1261 entre le seigneur Henri III d’heureuse mémoire, naguère roi d’Angleterre, son père, et celui d’ Amanieu6.

La donation du prince Édouard à Amanieu d’Albret

Onze jours plus tard, du château de Moniebrot, en Écosse, le prince Édouard fait don à Amanieu, seigneur de Lebret, du castrum et de la seigneurie de Meilhan. De cet acte7 nous avons pris le parti d’en présenter la reproduction et d’en donner une édition et une traduction (fig. 1).

ÉditionTraduction
Edwardus illustris regis Anglie filius, princeps Wallie, cornes Cestrie, Pontiui et Montis Trollii, omnibus ad quos presentes littere pervenerint, salutem. Sciatis quod cum predictus pater noster nobis ad statum nostrum melius et honorificencius manutenendum dederit et concesserit totum ducatum Aquitanie, cum omnibus ad eumdem ducatum qualitercumque spectantibus, prout in carta ipsius patris nostri nobis inde confecta plenius continetur. Nos, ad requisitionem sanctissimi patris domini Clementis divina providencia sacrosancte Romane ac universalis ecclesie summi pontificis et pro laudabili et gratuito servicio quod dilectus et fidelis noster Amaneuus dominus de Lebreto eidem patri nostro et nobis hactenus, tam in dicto ducatu quam alibi multipliciter impendit, de voluntate, licentia et pleno assensu predicti patris nostri, damus et concedimus eidem Amaneuo castrum et totam castellaniam de Milhano cum pertinenciis suis in ducatu predicto habenda et tenenda, eidem Amaneuo et heredibus suis de nobis et post nos de regibus in regno Anglie hereditarie regnantibus, cum dominicis, homagiis, libertatibus, redditibus, serviciis, feodis, aduocacionibus ecclesiarum, libertatibus, liberis consuetudinibus, alta iusticia et bassa et aliis iuribus quibuscumque ad predicta castrum et castellaniam pertinentibus sine aliquo retenemento adeo integre, sicut ad manus nostras ex dono et concessione predicti patris nostri deuenerunt in perpetuum faciendo inde de cetera nobis et, post nos, regibus in regno Anglie hereditarie regnantibus seruicia que de eisdem castro et castellania, ante escambium inter celebris memorie dominum Henricum quondam regem Anglie, auum nostrum, et patrem prefati Amaneui inde factum debebantur et fieri consueuerint. Volumus etiam et bona fide promit­ timus quod contra presens factum nostrum futuris temporibus nulla­ tenus veniemus occasione minoris etatis nostre. In cujus rei testimonium has litteras nostras fieri fecimus patentes. Datum apud Moniebrot in Scotia, septimo die augusti anno Domini millesimo trecentesimo sexto.Édouard, fils aîné de l’illustre roi d’Angleterre, prince de Galles, comte de Chester, de Ponthieu et de Montreuil, à tous ceux qui les présentes lettres parviendront, salut8. Sachez que notre père, pour l’amélioration de notre condition et de notre dignité nous a donné et concédé tout le duché d’Aquitaine avec toutes choses s’y rattachant de quelque manière que ce soit, comme cela apparaît plus amplement dans la charte établie à cette occasion. Nous, à la demande du très Saint-Père le seigneur Clé­ ment par la divine providence souverain pontife de la sacro-sainte église romaine et univ rselle, pour le service digne de louange et gra­ cieux que notre très cher et fidèle Amanieu, seigneur de Lebret, a rendu à mon père et à nous même autant dans le duché qu’ailleurs, de la volonté, autorisation et entier consentement de notre père, nous donnons et concédons audit Amanieu le castrum et toute la châtellenie de Meilhan avec ses dépendances que ledit Amanieu et ses héritiers auront et tiendront de nous et après nous des rois qui tiendront par héritage le royaume d’Angleterre, avec les hommages, libertés, revenus, services, fiefs, avoueries d’églises, libertés, libres coutumes, haute et basse justice et tous autres droits appartenant aux­dits castrum et châtellenie sans aucune réserve, tels qu’ils étaient lors du don et de la concession faits par notre père en nous faisant désormais à perpétuité et après nous aux rois régnant héréditairement sur le royaume d’Angleterre, les services qui étaient dus et avaient coutume d’être reçus à raison des dits castrum et châtellenie, avant l’échange fait entre le seigneur Henri d’heureuse mémoire roi d’Angleterre, notre aïeul, et le père dudit Amanieu. Nous voulons aussi et nous promettons que nous ne viendrons pas à l’avenir à l’encontre de cela pour cause de minorité. En foi de quoi nous avons fait rédiger ces lettres patentes. Donné à Monie­ brot en Écosse, le 7 août de l’an du Seigneur 1306.
Original sur parchemin, jadis scellé sur lacs de soie verte et rouge (Arch. Dép. Pyrénées-Atl., E190).
Fig. 1. Original sur parchemin, jadis scellé sur lacs de soie verte et rouge (Arch. Dép. Pyrénées-Atl., E190).

Les mandements du prince Édouard aux officiers du duché et aux habitants de Meilhan

Le même jour, le prince demande à John de Havering, sénéchal d’Aquitaine, premier des officiers du duché et à Richard de Havering, connétable de Bordeaux, son fils, de mettre sans délai Amanieu seigneur de Lebret ou son procureur en possession du castrum et de la châtellenie de Meilhan et de ses dépendances9.

Le prince de Galles s’adresse aussi le 7 août aux chevaliers, fidèles habitants et tous les autres tenanciers du castrum et de la châtellenie de Meilhan, leur mandant de reconnaître désormais Amanieu seigneur de Lebret comme leur seigneur pour tout ce qu’ils tiennent dans le castrum et la châtellenie de Meilhan et de lui prêter serment de fidélité, hommage et autres devoirs à lui et à ses héritiers, comme ils l’avaient fait à son père et à lui-même10.

La confirmation de la donation par Édouard Ier

Le 14 août, Édouard II, ayant pris connaissance de la donation faite par son fils à Amanieu de Lebret, la confirme solennellement. Il précise qu’il le fait par respect envers le souverain pontife et pour donner à Amanieu toute garantie sur sa qualité de seigneur de Meilhan11. Le même jour, cette donation est annoncée à Clément V12.

Amanieu mis en possession de Meilhan

Il ne reste plus qu’à mettre Amanieu en possession de Meilhan. Nous en avons connaissance, grâce à un acte en forme de procès-verbal établi par un notaire de Bordeaux, le lundi avant la fête de saint Michel archange, le 6 septembre au castrum de Meilhan, diocèse de Bazas, dans le cimetière du prieuré de Saint-Cybard13.

On aurait pu s’attendre à ce que le notaire fasse tout d’abord état de la présence d’Amanieu. Or il rapporte seulement que John de Havering, chevalier, sénéchal du duché d’Aquitaine et Richard, son fils, connétable de Bordeaux, avaient reçu trois lettres du noble seigneur Amanieu, seigneur de Lebret, chevalier, deux sous le sceau du roi d’Angleterre et une sous celui de son fils, prince de Galles, dont la teneur est insérée dans le procès-verbal. La première concerne la donation du castrum et de la châtellenie de Meilhan, faite par le prince de Galles au seigneur de Lebret, la seconde l’approbation donnée par le roi, la dernière le mandement du prince de Galles au sénéchal et au connétable de mettre Amanieu seigneur de Lebret en possession de Meilhan. Lecture est faite de ces lettres publiquement en présence d’Augier Mota, un chevalier, d’autres nobles, de bourgeois et du commun de Meilhan. Le sénéchal et le connétable, en vertu du mandement du prince de Galles, mettent donc Amanieu en possession du castrum et du lieu de Meilhan et de leurs dépendances et ordonnent aux nobles, bourgeois et autres habitants d’être obéissants et fidèles à perpétuité au seigneur Amanieu et à ses héritiers et de lui prêter serment de fidélité.

C’est alors qu’Augier Mota fait savoir que le roi d’Angleterre l’avait naguère pris à son service, s’était montré généreux envers lui et, en particulier, lui avait fait don du péage qu’il collecte et perçoit sur la Garonne à Meilhan ainsi que tout ce qu’il a dans la paroisse de Juzix. Aussi veut-il savoir du sénéchal et du connétable s’il est de l’intention du roi et du prince que la donation faite à Amanieu lui porte préjudice. Le sénéchal et le connétable lui répondent que ce n’est pas du tout l’intention du roi, ni celle du prince, ni la leur. Sur-le-champ, Amanieu déclare à son tour que ce n’est pas non plus son intention, rappelant que du temps de leur jeunesse Augier Mota et lui-même avaient été amis et qu’il veut pour lui et ses héritiers que la donation faite à Augier ait valeur perpétuelle et il en fait solennellement confirmation. À sa demande et à celle du sénéchal, le notaire établit un acte pour conserver le souvenir de ces déclarations14.

À la suite du dispositif le notaire a transcrit les trois lettres dont il avait fait état au début de l’acte. Il reprend dans le protocole final la date et donne une longue liste de témoins qui, par leur nombre et leur qualité, ne pouvaient que garantir davantage les déclarations qui avaient été faites :

  • deux ecclésiastiques : Guillaume, abbé du monastère de Saint­Ferme et Raimond Arnaud de Rama, archidiacre de Bazas ;
  • le noble seigneur Arnaud Garcie de Got, vicomte de Lomagne et Auvillar, chef de la famille de Got, qui n’est autre que le frère de Clément V ;
  • les sénéchaux de deux sénéchaussées secondaires du duché : Arnaud de Caupenne, chevalier, sénéchal de Périgord-Quercy Limousin ; Pons, seigneur de Castillon-Médoc, sénéchal de Saintonge, tous deux nommés par le roi le 1er août 130515 ;
  • un groupe de chevaliers : Amanieu de Sescars, Guitard de Grissac, Saumard Derou, Armand de Paravis, Guillaume Raimond de Villacentut ;
  • Guillaume Raimond de Gensac, seigneur de Pujols et Rauzan ;
  • Bertrand de Sauviac, damoiseau ;
  • les prudentes viri Raimond Marquez et Bemardetz de Ladils de Bazas et Arnaud Calhau de Bordeaux que nous retrouverons tous trois au mois de décembre, à Bordeaux16 ;
  • et, bien sûr, d’autres personnes que le notaire ne cite pas. Par contre, il n’est pas fait mention des chevaliers, jurats et tenanciers de Meilhan présents.

Au bas de cet acte rédigé en latin le notaire a apposé son seing manuel (fig. 2)17.

Seing manuel et souscription du notaire, Arch. Dép. Pyrénées-Atl., E 190
Fig. 2. Seing manuel et souscription du notaire (Arch. Dép. Pyrénées-Atl., E190).

Aux origines de cette donation

La rapidité avec laquelle ont été promulgués au cours de l’été 1306 le mandement du roi d’Angleterre, ceux de son fils et des principaux officiers du duché, l’assistance présente à la remise en possession de Meilhan au sire d’Albret illustrent l’importance de l’événement. Cependant bien des questions se posent sur les raisons de cette restitution. En quoi le souverain pontife était-il concerné ? Quels étaient les services éminents rendus par Amanieu à Édouard Ier et au prince de Galles justifiant leur générosité à son égard ? Pourquoi cette précipitation ?

Amanieu, seigneur de Lebret, Édouard Ier et Clément V

Les relations entre le futur Amanieu VII et Édouard Ier remontent à 1281, au lendemain du décès de son frère Bemardetz IV dont l’héritage fut alors recueilli par l’une de ses filles, Isabelle. De cette époque jusqu’ en 1298, alors qu’il n’était encore que seigneur de Maremne, Amanieu passe au service du roi, participant en 1282 à la conquête du pays de Galles, se mettant en 1288 à la disposition de son suzerain venu en Gascogne. Celui­ ci le remercie par des dons dans les paroisses de Pissos et Luxey dans la Grande Lande. Lors de la guerre de Guyenne (1294-1303), Amanieu se montre particulièrement actif et l’un des chefs de la résistance gasconne à l’occupation française. Seigneur de Lebret en 1298, il devient vassal d’Édouard Ier pour des biens reçus en Angleterre, son conseiller pour les affaires du duché. Il joue un rôle important dans les négociations qui aboutissent à la conclusion de la paix entre Édouard Ier et Philipe IV, en 1303. Les dix années qui viennent de s’écouler lui ont permis de se hisser au premier rang de la noblesse gasconne et de gagner l’estime du roi qui le lui a bien rendu financièrement. Malgré les griefs qu’il peut avoir contre Amanieu, qui a profité de la période de guerre qui venait de s’écouler pour s’emparer dans la Grande Lande d’un certain nombre de droits lui appartenant, le roi-duc fait encore appel à lui pour le règlement de plusieurs litiges18.

Or en très peu de temps, à partir de l’élection de Bertrand de Got au pontificat, au mois de juin 1305, on assiste à un rapprochement entre le sire d’Albret et le souverain pontife et à une détérioration des rapports entre Amanieu et le roi. Le 29 juillet, cinq jours à peine après la proclamation de Clément V à Bordeaux, la manne pontificale commence à se répandre sur la famille d’Albret. Lorsque, à l’automne, le souverain pontife se rend à Lyon pour y être couronné, Amanieu l’accompagne. Venant de Villandraut Clément V passe à Casteljaloux le 12 septembre. Le 1er octobre, Amanieu est encore en sa compagnie à Avignonnet en Lauraguais. Le 2 mars 1306, de Lyon, Clément V le nomme recteur de Toscane et lui confie un droit de regard sur la Marche d’Ancône, le Val de Spolète, la Campanie et les Maremnes ainsi que sur la totalité du patrimoine de Saint­Pierre dans ces régions. Le 22 juillet, de retour à Bordeaux, il lui fait don de tous les revenus provenant des châteaux, possessions et autres droits que la papauté possède en Toscane. Aux dires de l’un de ses ennemis, le sire d’Albret se comporte comme “un roi en Gascogneˮ. Il est, sans conteste, un des hommes les plus puissants du duché. Fort de la protection du pape, il va braver son seigneur, révélant un trait majeur de sa personnalité, sa susceptibilité, qui se manifeste vivement plus tard lors de sa rupture avec le roi.

Détérioration des rapports entre le sire d’Albret et Édouard Ier en 1305 et 1306

Dans le courant de l’année 1305 éclatent deux affaires particulièrement graves : tout d’abord, au printemps, une querelle entre Amanieu et le seigneur de Caumont à propos du château de Montgaillard. Le différend prend une forme violente. Les sénéchaux français du voisinage chez qui se font des levées de troupes en profitent pour s’immiscer dans les affaires du duché. Le sénéchal John de Havering avec une troupe de plus de 600 barons, écuyers et sergents marche sur Casteljaloux et s’empare du sire d’Albret et du sire de Caumont. Leurs châteaux et leurs biens sont saisis et Amanieu est enfermé à Bordeaux. Le prince de Galles, apanagé du duché, félicite son sénéchal19.

La seconde affaire qui se déroule des mois de mars-avril 1305 au printemps 1306 est directement à l’origine de la donation de la seigneurie de Meilhan au sire d’Albret. Il s’agit de l’accusation de meurtre portée par Amanieu d’Albret contre Me Pierre Arnaud de Vic, un clerc fidèle du roi. À l’origine il s’agit d’une rivalité entre le sire d’Albret et le clerc. Amanieu était prévôt de Bayonne avant le 30 mars 1305, date à laquelle le roi nomme à cette fonction Pierre Arnaud de Vic quamdiu regi placuerit. Le conflit qui éclate à cette occasion s’insère dans un imbroglio difficile à démêler, qui aboutit, à l’initiative du sire d’Albret avec l’approbation du pape, à l’arrestation de Pierre Arnaud de Vic. Celui-ci put, de sa prison, dire du sire d’Albret qu’il tenait alors les deux glaives temporel et spirituel et qu’il n’y avait pas d’autre roi en Gascogne20.

L’accession de Bertrand de Got au souverain pontificat, le 5 juin 1305, pèse d’abord sur le règlement des suites du conflit entre Amanieu et le seigneur de Caumont. Au cours de l’été c’est sans aucun doute sur l’intervention du pape qu’Amanieu est élargi. Le 6 avril 1306, poussé par Amanieu, Clément V intervient auprès d’Édouard Ier pour qu’il attribue à son protégé le château et la seigneurie de Meilhan, en récompense de ses services. Le 8 avril, le roi fait savoir au souverain pontife que les Albret avaient perdu cette terre par commise féodale, qu’Henri III leur avait néanmoins cédé d’autres terres en échange. Il rappelle aussi que l’un de ses clercs et non des moindres, comme le pape le savait, Pierre Arnaud de Vic, avait été arrêté après son élection et se trouvait emprisonné. Il en rend le sire d’Albret responsable et rappelle que, malgré les démarches entreprises par les plus importants membres du conseil royal auprès du sire d’Albret, celui-ci n’avait pas voulu modifier son attitude. Le roi priait donc Clément V de se pencher sur ce problème, en tenant compte de ce qui serait acceptable pour lui et convenable pour l’honneur du roi, se déclarant prêt à accomplir ce qui serait agréable au souverain pontife. Édouard Ier ne pouvait heurter de front Clément V ni rompre avec le sire d’Albret. Le pape insista et chargea un de ses clercs, Pierre du Lac, de négocier l’affaire. Un accord fut trouvé, sauvant les apparences : en échangeant Pierre Arnaud de Vic contre plusieurs bourgeois bayonnais qui s’étaient compromis. Le 22 juillet, Édouard Ier annonça au pape qu’Amanieu aura Meilhan. Six jours plus tard, nous l’avons vu, il autorise son fils à effectuer cette aliénation, puis la confirme et en informe le pape le même jour21.

Le clan des gascons

On ne peut que s’étonner de l’étroitesse des relations qu’entre­ tiennent Clément V et Amanieu. Le fait qu’ils étaient gascons ne suffit pas à en rendre compte. Il faut, à notre avis, en rechercher l’origine dans le lien féodal qui existait entre les deux familles et la volonté de Clément V de faire élever un château à Villandraut. La pluie d’honneurs et de bénéfices accordés au sire d’Albret et à ses enfants dans les mois qui suivirent l’élection de Clément V, l’intervention du pape auprès d’Édouard Ier constituent à notre avis les préliminaires de négociations en vue de faire accéder au rang de châtellenie la modeste seigneurie familiale.

La seigneurie de Villandraut à Saint-Martin-de-Got

Rappelons, tout d’abord, quel était le statut de la seigneurie que la famille de Got possédait, dans la seconde moitié du XIIIe siècle, dans la paroisse de Saint-Martin-de-Got. Cette seigneurie qui recouvrait près de 80 % du territoire de la paroisse, était une seigneurie foncière qui dépendait de celle de Castelnau-de-Cemès, seigneurie haute justicière qui s’étendait sur les paroisses de Saint-Léger où se trouvait le château, Saint-Symphorien, Origne, Balizac et Saint-Martin-de-Got. Elle était mitoyenne, à l’est, de celles de Cazeneuve – paroisses de Préchac, lnsos et Cazalis – et, au sud, de celle de Sore, autres possessions des Albret22 (fig. 3).

La seigneurie de Castelnau-de-Cernès, Cahiers du Bazadais, 2012, p. 30
Fig. 3. La seigneurie de Castelnau-de-Cernès (Cahiers du Bazadais, 2012, p. 30).

En 1268, le chef de la famille de Got était Béraud qui fut père d’au moins dix enfants dont Arnaud Garcie qui devint vicomte de Lomagne et Auvillar, Béraud, son cadet, archevêque de Lyon, cardinal d’ Albano, qui joua un rôle essentiel dans la promotion de son jeune frère Bertrand, le futur Clément V ; Gaillard qui fit don aux archevêques de Bordeaux du domaine de Pessac ; Vitale, épouse, du Soudan de Preyssac23, Marquise, épouse de Bérenger Guilhem de Fargues, mère du cardinal Raymond et de Bernard, évêque d’Agen puis archevêque de Rouen.

On savait, depuis les travaux de Jacques Gardelles, que les Got possédaient au milieu du XIIIe siècle, au lieu de Villandraut, 300 m environ au nord de l’église Saint-Martin, sur l’emplacement de l’église actuelle, une résidence, attestée indirectement à l’occasion de la construction, en 1312, de la collégiale fondée par Clément V (fig. 4).

Le bourg de Villandraut, Cahiers du Bazadais, 2012, p. 31
Fig. 4. Le bourg de Villandraut(Cahiers du Bazadais, 2012, p. 31).

Selon J. Gardelles, la collégiale fut en effet édifiée contre la courtine de cette résidence qu’il qualifie d’ailleurs abusivement “d’ancien château de Gothˮ. Il s’appuie sur la présence d’archères percées dans le mur sud de l’édifice et la présence d’une tour à l’un des angles de la collégiale. Cette résidence familiale est aussi attestée à l’occasion de la reconnaissance que fit, le 9 janvier 1268 (n. st.), Béraud de Got, père du futur Clément V, à Amanieu VI d’Albret, seigneur de Castelnau-de-Cemès. Béraud reconnaît que le lieu appelé “Vignhandrauˮ dans la paroisse Saint­Martin-de-Got ainsi que la maison faite et édifiée en ce lieu se trouvent “dans la justice, le détroit et la châtellenie de Castelnau-de-Cemèsˮ. Elle était probablement inachevée car elle est décrite “avec les travaux qui s’y déroulent ou y auront lieuˮ (ab las obras qui son ni qui s’y faran) ; plus loin, Béraud rappelle qu’il est autorisé à les mener à bonne fin (perfar et forgear). Dans la clause finale de l’acte dont une partie a été oubliée par le copiste qui ignorait tout de la langue gasconne, Béraud reconnaît que, s’il venait à l’encontre de ses engagements, la clause lui permettant de “perfar et forgearˮ la maison serait annulée. Il s’engage à soumettre tout justiciable à la seule justice de Castelnau-de-Cemès et assure, en outre, le sire d’Albret de lui être fidèle sauf contre le roi d’Angleterre24.

Nous pensons que ce fut en raison de la construction d’une nouvelle maison forte, succédant probablement à une résidence édifiée en bois pour l’essentiel, que le sire d’Albret exigea de Béraud de Got cette reconnaissance. En effet, une confusion pouvait s’établir sur le statut de cette demeure que le seigneur de Villandraut avait probablement commencé à édifier sans en avoir demandé l’autorisation. Plus que la maison forte elle­même ce qui inquiéta probablement Amanieu ce fut la crainte que Béraud ne se comporte désormais en châtelain, en particulier en matière de justice.

Il est certain, d’autre part, que les vestiges de la résidence encore visibles au siècle dernier n’appartenaient pas tous à la construction de 1268. Jacques Gardelles avait noté que les archères visibles dans le mur sud de la collégiale et les voûtes de la tour sud-est ne pouvaient appartenir qu’à un édifice de la première décennie du XIVe siècle, pratiquement contemporain de l’élection de Clément V. Des travaux complémentaires avaient donc eu lieu, probablement à l’initiative de Garcie Arnaud, fils aîné de Béraud. Lorsqu’au printemps 1312 Clément V érigea en collégiale l’église de Saint-Martin-de-Got, dont il avait préalablement déplacé le siège dans une partie des bâtiments de l’ancienne maison forte, la construction du château était largement avancée, sinon achevée.

L’érection de la seigneurie de Villandraut en châtellenie

Même s’il s’inscrit dans la tradition architecturale illustrée par l’architecte savoyard, maître Jacques de Saint-Georges, l’architecte du château n’est pas connu. L’initiative de sa construction et son financement reviennent incontestablement à Clément V, mais nous ignorons à quelle date commencèrent les travaux et quelle fut leur durée. Rien ne prouve en effet qu’ils furent commencés dès 1305 comme on l’a souvent avancé. C’est ce que suggère en tout cas la concession faite le 2 décembre 1306 par Amanieu d’Albret à Arnaud Garcie de Got de la haute justice sur la paroisse de Saint-Martin-de-Got.

De Lyon où il a passé l’hiver, Clément V, on l’a vu, rejoint Bordeaux le 11 mai 1306. À la mi-novembre il se transporte à Villandraut où il réside jusqu’au 9 février 1307. C’est pendant ce séjour que fut conclu avec le sire d’Albret l’accord qui permit, selon nous, la construction d’un château reconnaissable à l’importance de la construction et celle de son appareil défensif – tours, douves, meurtrières. La scène a lieu le 2 décembre, à Bordeaux, probablement au palais archiépiscopal, dans la chambre du cardinal Raimond de Got, en présence d’Arnaud, notaire public du duché d’Aquitaine et de plusieurs témoins25. Sont présents :

Arnaud Garcie, seigneur de Villandraut, frère aîné du pape qui a reçu de Philippe le Bel les vicomtés de Lomagne et d’Auvillar, le 14 décembre 1305, donation confirmée le 20 décembre suivant ;

  • quatre cardinaux, le vice-chancelier, le maire de Bordeaux et deux clercs appartenant à l’administration du duché ;
  • le cardinal Raimond de Goth qui les accueille, un des fils d’Arnaud Garcie. C’est un neveu de Clément V et de Béraud de Got, naguère archevêque de Lyon, cardinal-évêque d’Albano (1294) mort en 1297. Archidiacre de Sens et doyen d’York (1305), prieur d’Ogboume (22 décembre 1305), Raimond a été nommé cardinal-diacre de Sainte-Marie Nouvelle au consistoire du 15 décembre 1305, tenu à Lyon.
  • “Le révérend père, le seigneur Arnaud par la divine providence du titre de Saint-Marcelˮ.26
  • “Le révérend père et seigneur, le seigneur Guillaume du titre de
  • Sainte Pudenziana, cardinal-prêtreˮ27.
  • “Le révérend père, le seigneur Arnaud, par la divine providence cardinal-diacre de Sainte-Marie in Porticoˮ28.
  • “Le révérend père, le seigneur Pierre, élu Palatin, vice-chancelier de la sainte Église romaineˮ.29
  • Arnaud Calhau, maire de Bordeaux30.
  • Raimond Marquez et Bernard Etz de Ladius (Ladils) que nous avons déjà croisés à Meilhan, au mois de septembre31.

Le rang occupé par les parties, le nombre et la qualité des témoins laissent pressentir l’importance de l’acte qui va être passé. En voici la teneur :

Considérant les bons services qui lui ont été rendus gracieusement de nombreuses fois, par Arnaud Garcie du Got, vicomte de Lomagne et Auvillar et seigneur de Villandraut, “frère de notre seigneur, le seigneur Clément cinquième, par la divine providence, pape de la sainte Église romaine et universelleˮ et par “le seigneur Bertrand deu Goth, fils dudit seigneur Arnaud, chevalierˮ, le “seigneur Amanieu, seigneur de Lebret et de Castelnau de Cernèsˮ donne, concède et remet en fief en tant que donation entre vifs, faite de manière irrévocable pour lui et les siens, avec esporle et hommage à Arnaud Garcie et, après sa mort, à Bertrand, son fils, et à ses héritiers et successeurs et leurs ayants droit “les mère et mixte impère, haute et basse justice et juridiction entière qu’il avait ou devait avoir dans le castrum de Vinhendraud et la paroisse de Goth, à savoir dans les lieux ou manses de Fraissis, de Artiguaviridi, deu Goth, de la Guteyra, de La Lana, de La Vatroma, de Pinsola, de Faullete et du Moliar, qui se trouvent paroisse du Goth ainsi que l’affirmèrent lesdits Amanieu, Arnaud et Bertrand et dans tous les droits et dépendances des lieux (vici) sus­dits et de manière générale dans toute la paroisse susdite avec tous droits, devoirs, services et prestations de fidélité et hommage de ladite mère et mixte impère, haute et basse justice, tant sur les hommes que les lieux, terres et toutes choses dans lesdits castrum, lieux et paroisse32

La concession en fief est faite moyennant l’hommage d’une paire de gants blancs d’esporle à mouvance de seigneur et de vassal à Castelnau-de-Cernès33.

Le sire d’Albret retient pour lui et les siens tous les droits de supériorité, appel et ressort, fief et hommage et, en outre, les hommes qu’il a à Quouquos et Puchpeyros et les terres et autres biens que lesdits hommes tiennent à présent en ces lieux et mère et mixte impère, haute et basse jus­ tice qu’il a sur lesdits hommes et terres. Il ordonne à tous les habitants de la paroisse, à l’exception de ceux de Quouquos et de Puchpeyros, de prêter serment de fidélité à Arnaud Garcie de Got et, à sa mort, à son fils Bertrand. Au cas où Bertrand décéderait sans héritier, il est convenu que tous ses droits seront transférés aux héritiers d’Arnaud Garcie de Got, mais ils sont réputés inaliénables par la famille.

En renonçant à l’exercice de la haute justice sur la paroisse de Saint-Martin-de-Got sauf sur les habitants et les lieux de Quouquos et Puchpeyros, le sire d’Albret érige la seigneurie de la famille de Got en châtellenie et permet à la résidence des Got de devenir un “châteauˮ au sens juridique du terme, tout en restant dans la mouvance du seigneur de Castelnau-de-Cemès. Mais cet acte est intéressant à bien d’autres titres. Tout d’abord, il nous rappelle que le seigneur de Villandraut, contrairement à une idée fort répandue, n’est pas Clément V mais son frère aîné, Arnaud Garcie de Got et par voie de succession son fils Bertrand. On peut être assuré, en revanche, que c’est à la demande de Clément V que le sire d’Albret, dont le père avait en 1268 rappelé au père du futur pape que sa maison forte n’était pas un château, a finalement consenti à renoncer à la haute justice sur Villandraut. Amanieu VII d’Albret ne perdait pas au change, nous l’avons vu, mais Arnaud Garcie en tant que seigneur et son frère comme mécène ne pouvaient envisager la construction d’une nouvelle résidence qui ne soit pas chef-lieu d’une juridiction. Lorsque la paroisse de Saint-Martin-de-Got est devenue commune, elle prit le nom de Villandraut, celui du château et de sa juridiction, comme ce fut aussi le cas à Auros (Saint-Germain), Aillas (Notre-Dame de Mouchac), Captieux (Saint-Martin), ou Grignols (Flaujac).

Au moment où fut passé cet acte Clément V se trouvait à Villandraut dans la vieille maison familiale où, souffrant, entouré seulement de quelques proches, il séjourna deux mois et demi. Mais il y a de bonnes raisons de mettre son séjour en relation avec la construction du château. Nous ignorons où en était le projet, mais la construction ne pouvait se faire, à notre avis, sans que fût réglé auparavant le statut juridique de la nouvelle résidence. Nous sommes donc enclins à penser qu’elle commença au cours de l’hiver 1306-1307.

En route pour Avignon, Clément V s’arrêta, le 20 novembre 1308, à Villandraut. Même si le pape aurait probablement fait en d’autres temps le détour avant de quitter la Gascogne, il est probable qu’il souhaitait surtout se rendre compte de l’avancement du chantier. Son vœu le plus cher était sans aucun doute de finir ses jours à Villandraut, mais il décéda en chemin, à Roquemaure, le 20 avril 1314.

L’intérêt de l’acte du 2 décembre 1306 ne réside pas seulement dans les informations qu’il nous apporte sur la fondation de la châtellenie de Villandraut. Il nous fait connaître en effet la structure géographique de la paroisse de Saint-Martin-de-Got. Celle-ci est constituée de onze manses : “de Fraissis, de Artigua viridi, deu Goth, de La Guteyre, de La Lana, de La Vatroma, de Pinsola, de Faulleta et deu Moliar, de Quouquos et de Puchpeyrosˮ. Le notaire a fait appel à trois termes pour désigner ces lieux habités : locus seu mansus et vicus. Par mansus il faut entendre tenure, centre d’exploitation rurale avec la terre labourable qui s’y rattache, vicus évoque davantage le village ou dans le cas de Saint-Martin de Got un hameau. Mis à part le lieu-dit Lartigue, situé au sud de la commune actuelle et celui de Got, qui correspond au bourg actuel, aucun de ces lieux-dits ne figure sur le plan cadastral ancien, ce qui suggère au fil des siècles d’importants changements au sein de la population de la paroisse à la suite de guerres ou d’épidémies. Mais nous avons, désormais, une idée précise de la manière dont se présentait le paysage de la paroisse en ce début du XIVe siècle : une demi-douzaine de hameaux répartis dans un rayon de 700 m au plus autour de la résidence des Got à Villandraut.

Toutes ces informations sur une modeste paroisse des landes de Gascogne en bordure du Ciron nous le devons au règlement d’une affaire commencée quarante années auparavant sur les bords de la Garonne.

Notes

  1. Marquette J. B., art. cité, p. 34-37.
  2. Le Ponthieu dont le chef-lieu est Abbeville s’étend en bordure de la Manche et dans la vallée de la Canche.
  3. Trabut-Cussac J.-P., L’administration anglaise en Gascogne sous Henry III et Édouard Ier de 1254 à 1307, 1972, p.132.
  4. Marquette J. B., LesAlbret.L’ascensiond’unlignagegascon(XIe siècle-1360),2012, p. 77, 214-218.
  5. Trabut-Cussac J.-P., op. cit., p. 132.
  6. Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques, E190, original sur parchemin, 202 x 343 mm, repli 50 mm, jadis scellé sur lacs de soie. Il existe un second original identique.
  7. Original : Al : Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques, El90. Original sur parchemin, jadis scellé sur lacs de soie verte et rouge, 225 x 360 mm, repli 57 mm. Il a fait l’objet d’une première édition dans les Archives historiques du département de la Gironde, t. XXV, n° XLIX, p. 134-135, E190. Il existe aussi de ce document un autre original (A2) et deux copies (B1, B2) :
    A2 : E190. Original sur parchemin, 218 x 335 mm, repli 50 mm, jadis scellé sur lacs de soie.
    BI : E190 : Copie insérée dans un acte du 26 septembre 1306. Cf. infra.
    B2: E191 : Copie en forme de vidimus du 29 novembre 1323.
  8. Bien que le prince Édouard soit apanagé du duché d’Aquitaine depuis le 7 avril, il ne prend pas le titre de duc d’Aquitaine (Trabut-Cussac J.-P., op. cit., p.133, n.126).
  9. Arch. dép. Pyrénées-Atl., E190 : Al. Original sur parchemin, 210 x 290 mm, jadis scellé sur simple queue de parchemin ; B1 E190. Copie dans acte du 26 septembre 1306. Cf. infra. John de Havering, nommé par le roi le 24 mars 1305, était arrivé à Bordeaux à la fin de mai et demeura sénéchal sous le prince de Galles, comme le prouve ce mandement. Trabut-Cussac J.-P, op. cit., p. 120, n° 63. Le connétable Richard de Havering avait été nommé en même temps que son père et avait pris ses fonctions le 22 septembre suivant. (Trabut – Cussac J.-P., op. cit.,n° 64. Sa biographie a été esquissée par Bémont Ch., Rôles gascons, III, p. C.)
  10. Arch. dép. Pyrénées-Atl., E190. Al. Original sur parchemin, jadis scellé sur simple queue de parchemin, 190 x 294 mm. A2. E190. Original sur parchemin jadis scellé sur simple queue, 236 x 290 mm.
  11. Arch. dép. Pyrénées-Ad., E190 :
    A1. original sur parchemin, 240 x 342 mm, repli 53 mm, jadis scellé sur sceau pendant. A2. Original sur parchemin 212 x 337 mm, repli 48 mm, jadis scellé sur sceau pendant. E 191. B1. Copie insérée dans l’acte du 26 septembre 1306, Cf. infra.
    B2. Copie de l’acte précédent en forme de vidimus du 29 novembre 1323.
  12. TheNationalArchives,C70/1, m.4 ; Rymer, I (2), p. 997) ; Trabut-Cussac J.-P., op.cit., p. 135, n.132).
  13. Arch. dép. Pyrénées-Atl., E190. A. Original sur parchemin, 610 x 570 mm. Quelques trous. E191. B. Copie en fonne de vidimus du 27 novembre 1323.
  14. Augier Mota, à moins que ce ne soit son fils, fit un double hommage à Amanieu VII les 9 janvier et 20 novembre 1319 pour trois mailles de péage au port de Saubion et ce qu’il tenait à Juzix et aux Angols. LesAlbret, p. 392 et Pour l’histoire de Meilhan, art. cité.
  15. Augier Mota, à moins que ce ne soit son fils, fit un double hommage à Amanieu VII les 9 janvier et 20 novembre 1319 pour trois mailles de péage au port de Saubion et ce qu’il tenait à Juzix et aux Angols. Les Albret, p. 392 et Pour l’histoire de Meilhan, art. cité.
  16. Raimond Marquez était un bourgeois de Bazas, “vieux routier de l’administration du duchéˮ, ancien trésorier d’Agenais (1303-1305), ancien lieutenant du sénéchal outre Landes, ancien remplaçant du trésorier d’Agenais faisant fonction de sénéchal d’Agenais du 21 juin au 2 août 1305. Il fut nommé par le sénéchal J. de Hastings membre du conseil du roi en Aquitaine, à dater du 14 août 1305, Trabut-Cussac J.-P., op. cit., p. 380, 381, 384. 
  17. Traduction de la souscription : “Et moi Raimond Fauconier, clerc, de Bordeaux, notaire public du duché d’Aquitaine qui ai été présent aux actes susdits, lesdits lundi, année et lieu susdits avec les témoins susdits et d’autres et qui, du mandement du susdit sénéchal, de la volonté du seigneur Amanieu et à la requête et demande du seigneur Augier, ai reçu, écrit et mis en forme publique le présent document et y ai apposé mon seing habituel, à ce requis.”
  18. Sur les relations entre Amanieu et Édouard Ier, voir Marquette J. B., op. cit., p. 215-221.
  19. Trabut-Cussac J.-P., op. cit., p. 128.
  20. Sur cette affaire voir Marquette J.-B., op.cit.,p. 222-223 et Trabut-Cussac J.-P., op. cit. p. 234-235.
  21. Sur ces négociations, voir Trabut-Cussac J. -P., op.cit.,p. 134, note 132.
  22. Pour tout ce qui suit, voir Gardelles J., “Recherches sur l’ancienne collégiale de Villandraut”, LesCahiers du Bazadais,n° 20-21, p. 49-55 et Marquette J. B., “Villandraut, de la maison forte au château (1268-1357)”, Les Cahiers du Bazadais, n° 177, 2012, p. 21-42.
  23. Soudan, titre porté par la famille de Preyssac, voir Pépin G., “Les Soudans de Preissac ou de la Trau : de Clément V à l’ordre de la Jarretière”, Les Cahiers du Bazadais, n° 187, Décembre 2014.
  24. Ce document est transcrit avec sept autres dans un cahier conservé aux archives du château de Cazeneuve (commune de Préchac, Gironde). Trois actes concernent Villandraut datés de 1268 (celui-ci), 1306 (cf. infra) et 1357.
  25. Il s’agit de la copie figurant dans le cahier de Cazeneuve sous le n° 3 d’un original qui se trouvait conservé au début du XVIIe siècle au Trésor des titres de Sa Majesté en son château de Nérac. Nous avons retrouvé mention de ce document dans l’inventaire des archives du château de Casteljaloux, établi en 1460 (Arch. dép. Pyrénées-Atl., E 140).
  26. Il s’agit du cardinal Arnaud de Canteloup. Prieur de La Réole, archidiacre de Brulhois au diocèse d’Agen, il avait été élu archevêque de Bordeaux au mois de juillet 1305 (Arnaud II) et le resta jusqu’au 15 décembre, date de sa promotion au cardinalat. Il dirige la Chambre apostolique, c’est-à-dire les services financiers. On peut se reporter au site The cardinals of the Holy Roman Church, [en ligne] https://cardinals.fiu.edu/cardinals.htm [consulté le 10/05/2022].
  27. Il s’agit du cardinal GuillaumeAruffat des Forges. Originaire de Cassanet en Gascogne, chanoine du chapitre cathédral de Lyon et de l’église Saint-Seurin de Bordeaux depuis 1301, il fut lui aussi créé cardinal-diacre des Saints Cosme et Damien au consistoire du 15 décembre 1305. En 1306 il opta pour l’ordre des cardinaux-prêtres et le titre de Sainte Pudenziana. Son prédécesseur à ce titre, le cardinal Robert de Pontigny, était décédé alors qu’il se rendait à Lyon pour le couronnement de Clément V.
  28. Il s’agit du cardinal Arnaud de Pellegrue, parent du pape. Archidiacre du chapitre cathédral de Chartres, il devint, en 1295, vicaire général de Bertrand de Got en Comminges et plus tard à Bordeaux et fut, lui aussi, créé cardinal lors du consistoire du 15 décembre 1305.
  29. Il venait de succéder à Pierre Arnaud de Pouyanne, ancien moine de Saint-Sever, abbé de Sainte-Croix de Bordeaux et chapelain de Clément V, créé cardinal-prêtre du titre de Saint Prisque au consistoire du 15 décembre 1305, nommé vice-chancelier le 8 août précédent. Selon le nécrologe de Saint-Sever il serait mort peu après, le 3 septembre 1306.
  30. Il l’avait été une première fois du 15 janvier 1303 au 26 janvier 1304 puis, à nouveau, du 16 janvier au 28 juin 1306, pour laisser alors la place à Guitard Dissenta, le 22 juillet 1306. Il était déjà présent à Meilhan le 26 septembre. Il aurait exercé une troisième fois cette fonction du 11 février 1307 au 3 mars 1308. On doit donc faire commencer cette troisième magistrature beaucoup plus tôt, au moins au 2 décembre 1306.
  31. Le notaire n’a pas précisé d’où ils étaient originaires, mais il s’agit de deux citoyens de Bazas au service du roi ou du prince de Galles. Ils furent tous deux membres du conseil du roi en Aquitaine. Bernard Etz de Ladils bénéficia plus tard de la sollicitude de Clément V qui, en 1310, confirma son privilège de clergie, bien qu’il intervienne comme juge dans des affaires criminelles. Il l’autorisa, le même jour, à faire aménager un lieu de sépulture pour lui et ses frères, leurs épouses et leurs enfants à l’intérieur de l’église Saint-Martin de Bazas. En 1311, l’abbé de Saint-Florent de Saumur, pour le remercier des services qu’il lui avait rendus, lui concéda sa vie durant une pension de 100 livres tournois assignée sur le prieuré de Saint-Vivien, aux portes de Bazas. Raimond Marquez fut, de son côté, trésorier d’Agenais.
  32. Celui qui détient lemerumimperiuma la capacité de juger des crimes et de prononcer la peine de mort (haute justice) ; le détenteur du mixtum imperium juge les autres affaires pénales et les affaires civiles (moyenne justice). La basse justice concerne les affaires relatives aux droits dus au seigneur, à la police champêtre et aux petits délits.
  33. Lors de l’hommage prêté à mouvance (changement) de seigneur ou de tenancier, le vassal remet en effet au seigneur un objet symbolique (gants, fer de lance, plus rarement une somme d’argent), rappelant le droit éminent du seigneur sur la seigneurie du vassal. Si le vassal n’a pas d’héritier ses biens reviennent à son seigneur.
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EAN html : 9782356135094
ISBN html : 978-2-35613-509-4
ISBN pdf : 978-2-35613-511-7
16 p.
Code CLIL : 3385
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Comment citer

Marquette, Jean Bernard, “1306 : du château de Meilhan à celui de Villandraut, le pape, le roi, le prince et le seigneur de Lebret”, in : Boutoulle, F., éd., Jean Bernard Marquette et la Haute Lande, Pessac, Ausonius éditions, collection B@sic 4, 2022 [1ère éd. 2019], [bientôt en ligne] https://una-editions.fr/jean-bernard-marquette-et-la-haute-lande [consulté le 10/05/2022].
Illustration de couverture • Revue de l'Agenais, volume 146, 1 (2019)
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