Paru dans : Actes de la société des bibliophiles de Guyenne,
Revue française d’histoire du livre, 4.1, 279-282.
Le président donne ensuite la parole à M. Jean Bernard Marquette, docteur en lettres, maître-assistant à l’Université de Bordeaux III, qui présente une communication sur les Archives historiques de La Gironde.
On sait que cette publication est un des monuments de la science historique française de la seconde moitié du XIXe siècle et du premier tiers du XXe. On est redevable de son existence à Jules Delpit, qui prit également la part la plus large à la création de deux autres sociétés savantes girondines, sans compter la Société historique et archéologique du Périgord. En effet, il créa tout d’abord, en 1859, la Société des Archives historiques de la Gironde, qui se proposait de publier les pièces inédites relatives à l’histoire de la Gironde, pour les sauver et les rendre accessibles aux spécialistes. Quelques années plus tard, Jules Delpit complétait cette fondation en créant, le 12 janvier 1865, la Commission des archives municipales, et, le 7 février 1866, la Société des bibliophiles de Guyenne qui, elle, devait publier les livres rares ou inédits dont les historiens de l’Aquitaine avaient également besoin.
La finalité assignée à la Société des Archives historiques de la Gironde imposait un travail de très vaste envergure. En effet, Jules Delpit avait largement conçu la tâche de la nouvelle société : elle devait rechercher, transcrire, annoter et publier les documents inédits, généralement inconnus et très dispersés, relatifs à la Gironde et à tous les pays, personnages et événements qui avaient concouru à la formation du département de la Gironde. Ce programme dépassait singulièrement le cadre local ou même régional. Aussi la Société des archives historiques de la Gironde s’est-elle, dès octobre 1859, mise au travail avec une ardeur et une compétence qui ne se sont jamais démenties pendant quatre-vingts ans.
Jusqu’en 1892, date de sa mort, Jules Delpit la marqua de sa vigoureuse impulsion. Par la suite, elle fut animée par plusieurs personnalités de grande valeur, qui fournirent également une contribution de choix aux travaux de la Société des bibliophiles de Guyenne et d’autres sociétés savantes, et qui constituèrent de ce fait, pour Bordeaux et l’Aquitaine, un milieu savant particulièrement homogène et actif.
Elle fut particulièrement redevable à l’ermite de Gontaud, Philippe Tamizey de Larroque (1828-1898), l’ami et le disciple de Jules Delpit. Tout en collaborant à de nombreuses revues historiques parisiennes et provinciales, en participant activement à la fondation de la Société des bibliophiles de Guyenne, en assurant de très nombreuses publications dont celle de la Correspondance de Peiresc en 7 gros volumes, qui fait toujours autorité, Tamizey de Larroque fournit à lui seul aux Archives historiques de la Gironde plus de 200 pièces, soit plus du quart des documents publiés. Après son nom, il convient de citer celui d’Henri Barckhausen (1834-1914). Professeur éminent, il fut un des fondateurs de la Faculté de Droit de Bordeaux, et il contribua vigoureusement, par son action et ses publications, à la vie savante bordelaise. Président de la Commission des archives municipales de Bordeaux, il en a dirigé les travaux après Jules Delpit. Dans le cadre de la Société des bibliophiles de Guyenne, il a donné, en collaboration avec Reinhold Dezeimeris, la réimpression de l’édition de 1580 des Essais de Montaigne. Dans les Archives historiques de la Gironde, enfin, il a publié deux importants manuscrits inédits : le Registre des grands jours de Bordeaux et le Cartulaire de Henry V.
La Société des Archives historiques de la Gironde a été également marquée par quelques autres personnalités : l’archiviste-poléographe Ariste Ducaunès-Duval (1832-1908), qui en fut deux fois le président, et qui a publié dans sa collection l’important Cartulaire de l’abbaye de Sainte Croix de Bordeaux (1027-1254) ; l’archéologue et aquafortiste Léo Drouyn (1816-1896), à qui l’on doit deux tomes des Archives historiques de la Gironde, sans compter de nombreux ouvrages d’histoire et un très bel ensemble de 1 600 eaux-fortes qui ont apporté, avant la généralisation de la photographie, une contribution essentielle à la connaissance et à la sauvegarde du patrimoine monumental girondin ; le juriste Francisque Habasque (1842-1917), également membre de la Société des bibliophiles de Guyenne, qui a dirigé la publication du très important volume XXX des Archives historiques de la Gironde ; à une date plus récente enfin, Paul Courteault (1867-1950), le disciple et le successeur de Camille Jullian, qui fut un membre actif de toutes les sociétés savantes importantes de Bordeaux, et à qui l’on doit la création, en 1908, de la Revue historique de Bordeaux et du département de la Gironde.
Par ailleurs 162 autres érudits participèrent à l’élaboration des Archives historiques de la Gironde. Cependant 70 % des documents publiés le furent par les 16 principaux collaborateurs de la collection. En fait – l’exemple de Tamizey de Larroque et de Barckhausen suffit à le montrer amplement – cette Société a reposé sur l’effort d’un petit groupe d’excellents travailleurs.
Les résultats furent à la hauteur des ambitions. En effet, de 1869 à 1932, les Archives historiques de la Gironde ont publié près de 8 000 pièces, en 58 volumes in-4° de 480 pages en moyenne. Ces documents proviennent des dépôts d’archives girondins, régionaux, parisiens et même étrangers, notamment britanniques, napolitains et russes. Il convient de noter la part des archives privées qui ont fourni à la collection des documents exceptionnels, voire uniques, tel le cartulaire de La Réole. Cette documentation est d’une extrême diversité puisqu’elle comprend, outre les textes regroupés par dossiers dans chaque volume, aussi bien des glossaires gascons, que les autographes de ceux qui ont marqué dans l’histoire régionale (tome XXX) et que les éléments d’iconographie historique de Bordeaux et de la Gironde.
Le premier conflit mondial et ses conséquences néfastes furent fatals à la poursuite de cette collection. En effet, la structure et les goûts du public avaient profondément change ; celui-ci faisait montre d’une désaffection croissante pour les collections de documents originaux et marquait nettement sa préférence pour la Revue historique de Bordeaux. Cette évolution .générale contraignit la Société des archives historiques de la Gironde à suspendre ses activités en 1932.
Au moment de disparaître elle laissait une collection dont l’intérêt scientifique est de premier ordre. En effet, les Archives historiques de la Gironde ont mis à la disposition des spécialistes une documentation exceptionnelle et, ce faisant, elles ont définitivement sauvé des pièces dont les originaux ont parfois disparu.
Dans sa communication présentée avec une conviction émouvante et une érudition digne du spécialiste bien connu des Albret, M. Marquette a mis en pleine lumière le travail gigantesque dont l’aboutissement fut une collection qui a apporté une contribution de choix à la science historique française. Cette communication, suivie d’un débat animé par MM. Darricau, Hermann et Mgr Laroza, a ouvert de vastes perspectives sur la publication des documents d’archives dont la problématique concerne l’ensemble de la science française.