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D’un côté, le delta du Nil, l’Égypte éternelle et la période prédynastique. Ce pays, source des fantasmes de milliers d’archéologues depuis l’Antiquité, avec son lot de découvertes et de monuments extraordinaires, capte de longue date la fascination des savants et du grand public pour cette civilisation brillante. Des chercheurs du monde entier viennent y fouiller, dans une compétition permanente entre missions internationales prestigieuses, avec le souci d’exhumer “le” vestige qui vaudra à son inventeur une reconnaissance planétaire. De l’autre côté, le bassin de la Somme et ses affluents, le nord de la France plutôt austère et deux millénaires d’histoire en Europe du Nord-Ouest. Ici, tout paraît plus sobre, la recherche est moins avancée, les découvertes sont moins flamboyantes et l’archéologue évolue presque anonymement autour de ses découvertes. La Protohistoire est un sujet qui intéresse seulement les chercheurs concernés, et plus on remonte dans le temps, plus on entre dans une sorte d’âge mystérieux, un peu obscur, avec une chronologie encore floue. Les connaissances ont certes beaucoup progressé au cours des dernières décennies, mais on reste très loin de l’abondante littérature et de la médiatisation permanente qui entourent les antiquités égyptiennes. À priori donc, deux mondes très éloignés que rien d’évident ne semble relier.

Pour autant, qui connait Nathalie Buchez sait que ces paradoxes et cette dualité apparente ne l’effrayent pas. Au contraire, devrais-je dire ! Sa détermination est reconnue par ses collègues, ainsi que sa faculté à évoluer en parallèle sur deux ou trois problématiques différentes, avec la curiosité intellectuelle pour passer aisément de l’une à l’autre. Son abondante bibliographie illustre un parcours scientifique inhabituel, puisqu’elle mène de front, depuis au moins 1989, des recherches sur l’Égypte prédynastique et des travaux variés en archéologie préventive métropolitaine, en particulier sur la Protohistoire.

Les premières années où je la connaissais, j’avais du mal à comprendre comment s’articulaient les deux facettes de ma collègue, mais j’ai peu à peu découvert comment elle gérait ses deux univers parallèles. Je connais surtout ses travaux en Métropole ; leur diversité épouse l’évolution de la discipline depuis quatre décennies. Jeune chercheuse, Nathalie débute sur des fouilles en région parisienne, au cœur du Paris historique avant la découverte du contexte rural, sur les grandes surfaces de Marne-la-Vallée puis un dépaysement vers Amiens, sur une grosse fouille proche de la Cathédrale. Déjà des univers différents, avec des allers et retours entre urbain et rural, entre périodes anciennes et périodes historiques. Vient ensuite une incursion sur les tracés linéaires, toujours en Picardie, et son intérêt grandissant pour la Protohistoire, à la fois sous l’angle des structures funéraires et du mobilier céramique. Ce sont ces deux thématiques qui deviendront peu à peu centrales dans son travail et qui feront de notre collègue une spécialiste reconnue dans le nord de la France.

Je connais moins bien ses travaux orientaux, mais on peut en deviner l’intérêt à travers leur diversité et le nombre de ses écrits. Vu d’Amiens, sa “vie égyptienne” prenait corps autour de ses périodes annuelles de mission. Avant le départ, la fébrilité et l’anxiété, les soucis de logistique, la surveillance des injonctions du Ministère des Affaires Étrangères, le calendrier, les conditions météorologiques retenaient toute son attention ; plusieurs semaines avant la date fatidique, on la sentait sur le qui-vive, encore présente en France, mais avec déjà un pied en Égypte. Quant aux retours, c’était plutôt l’inverse : la fatigue de la mission, les regrets du retour, la plongée dans la routine, l’Égypte encore présente pendant plusieurs semaines mais rapidement délaissée, le retour brutal à la réalité post-mission, et pas seulement en raison du décalage climatique. Avec les travaux d’étude et de post-fouille, la parenthèse durait près de trois mois, chaque année, pour une mission sur place de cinq semaines. Je n’ai jamais réussi à savoir si le même effet se produisait dans le sens inverse : le dépaysement de l’arrivée en Égypte, en débarquant d’Amiens en fin d’hiver ou au début du printemps, la fébrilité du retour en métropole. Les fouilleurs qui l’ont accompagnée dans ses recherches lointaines ont-ils perçu les choses de la même façon ?

Finalement, ces deux mondes qu’apparemment tout oppose, si éloignés au premier abord, le sont-ils réellement ? Nathalie a réussi à les réunir dans une seule vie d’archéologue, riche et pleine de découvertes, de passions également, car personne ne peut nier le caractère entier de notre collègue et ses qualités : travailleuse acharnée, tenante d’une grande rigueur scientifique pour tout ce qu’elle entreprend, avec une curiosité toujours intacte et une volonté affirmée. Presque un catalogue des qualités indispensables à l’accomplissement d’une brillante carrière !

Et en filigrane, cette dualité dans la pratique archéologique, d’évoluer au milieu de paradoxes apparents qui n’en sont pas. Sur le volet égyptien, le prestige des missions internationales, s’appuyant sur une recherche ancienne et où tout est émerveillement. Sur la version picarde et nordiste, le quotidien de l’archéologue préventif qui compose avec des délais raccourcis, une archéologie où tout est à construire en termes de référentiels et de bibliographie. Et ce fossé existentiel entre la recherche poussée et l’archéologie préventive, parfois frustrante, jugée réductrice par certains et qui se pratique toute l’année, par tous les temps. Encore que c’est bien l’expérience du préventif, de son urgence, de ses méthodes parfois décriées, qui a été à la base de sa participation à ses premières missions à Tell-el-Iswid : on trouve enfin un fil rouge dans ce parcours et dans cette carrière de plus de quatre décennies.

Je lui connaissais un peu moins son souci de transmission des savoirs et des méthodes de travail éprouvées. Je l’ai découvert ces dernières années et c’est vrai pour les deux facettes de son activité de recherche : passer le flambeau de la mission Tell-el-Iswid à un successeur qu’elle a formé au cours de longues années, comme elle-même avait pris la suite de son mentor, et élaborer plusieurs publications de haut niveau sur la céramique du Ier mill. a.C. dans le Nord, pour laisser son empreinte dans la recherche sur ce sujet pour les prochaines décennies.

Je m’adresse enfin directement à toi, chère Nathalie, pour te dire combien j’ai apprécié de pouvoir travailler avec toi et de t’accompagner dans ce travail de recherche depuis près de 25 ans. Tout d’abord, sache que je suis honoré de participer à ce volume de mélanges qui, je pense, rend parfaitement compte de tes centres d’intérêt si variés. Je connais peu tes travaux en égyptologie, davantage ceux portant sur la Protohistoire ; ils sont des références dans le nord de la France et sont utilisés au quotidien par nos collègues.

Ta carrière de chercheur approche de son terme, puisse la période d’éméritat qui s’annonce te permettre d’achever ce qui te tient tant à cœur : une publication synthétique sur la céramique du Bronze/premier âge du Fer dans le nord de la France, très attendue, accompagnée par un référentiel amené à devenir un outil de travail indispensable pour les céramologues de la région. Et la poursuite de ta mission à Tell-el-Iswid, que tu portes en tant que directrice depuis 2015, pour en passer les rênes à ton successeur. Je serai très heureux d’échanger encore avec toi, après ta date officielle de retraite, puisqu’en tant qu’émérite, tu fréquenteras encore notre Centre de recherches archéologiques d’Amiens-Glisy, que je dirige, et qui te restera grand ouvert.

Richard Rougier,
Inrap – Directeur-adjoint Scientifique et Technique Hauts-de-France

ISBN html : 978-2-35613-663-3
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Chapitre de livre
Posté le 15/12/2025
EAN html : 9782356136633
ISBN html : 978-2-35613-663-3
ISBN pdf : 978-2-35613-664-0
ISSN : 2741-1508
2 p.
Code CLIL : 4117; 3494;
licence CC by SA

Comment citer

Rougier, Richard, “Préface”, in : Bajeot, Jade, Guérin, Samuel, Minotti, Mathilde, éd. (2025), L’archéologie au-delà des frontières. Sur les pas de Nathalie Buchez, Pessac, Ausonius Éditions, collection DAN@ 14, 2025, 19-20. [URL] https://una-editions.fr/preface-buchez-rougier
Illustration de couverture • Montage constitué d’une vue générale de Tell el-Iswid (R. El hajaoui) et d’une vue aérienne du cercle funéraire de Jaulne, Le Bas des Haut de Champs (photo : R. Peack). Création du visuel par Francesco Stefanini.
Publié le 15/12/2025
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