Comment rendre hommage au travail de Nathalie ? Il aurait été plus simple de reprendre nos typologies céramiques en Normandie, Hauts-de-France et Champagne, de discuter des pratiques funéraires ou des liens transmanche. Mais nous avons préféré une autre idée, celle de réfléchir autour de la mise en parallèle entre l’Égypte ramesside et l’Europe du Nord-Ouest ! Et oui, qu’importe la distance ou le sujet (l’Égyptologie ? au mieux, un vieux souvenir pour l’une d’entre nous…). Il a donc fallu choisir un pharaon ; c’est ainsi que le grand Ramsès II est apparu, lui et sa légende. Il ne restait plus qu’à regarder ce que le monsieur avait fait, les grands évènements de son règne et de confronter cette histoire méditerranéenne à ce que l’on connaît de la Protohistoire européenne. Bon, il faut bien avouer que le siècle choisi n’est pas anodin : le XIIIe siècle reste un moment charnière de notre histoire de l’Europe entre Bronze D et Hallstatt A1.
Les lecteurs devront se montrer indulgents face à nos connaissances de l’Égypte, bien moins étayées et fournies que ce qui concerne l’âge du Bronze. Nos lacunes créent nécessairement des biais dans notre approche, nous le savons.
Du côté de l’Égypte : le règne de Ramsès II
(1279 à c. 1213 a.C.)
Le règne de Ramsès II a marqué l’histoire. Pharaon de la XIXe dynastie (Nouvel Empire), ce grand roi vécut durant le XIIIe siècle a.C.1. Il s’inscrit, sans rupture notable, dans les pas de ses prédécesseurs de la XVIIIe et surtout de la XIXe dynasties qui lui ont ouvert la voie à de nombreux égards : conquêtes et stabilisation territoriales, pacification des échanges avec les Hittites, adaptation et diffusion de certaines pratiques funéraires (tombes royales, diffusion de la momification, Livre des Morts), constructions et réfections des sanctuaires, goût du monumental…. Plusieurs qualificatifs le caractérisent dans la bibliographie, il est souvent nommé le “bâtisseur”, du fait de ses nombreuses constructions à travers le pays, et il est aussi présenté comme un conquérant. Pourtant, son règne très long (66 ans) a été plutôt prospère et peu menacé par l’ennemi lorsqu’il arrive au pouvoir, puis après la longue paix conclue avec les Hittites. Il est synonyme de prospérité, largement relayé par une historiographie complaisante et la propagande d’une royauté absolue, lui permettant de façonner une image de grand guerrier. Cela étant, si le terme de guerrier est utilisé, il faut probablement voir sous son règne plus de batailles ponctuelles que de vraies guerres d’ampleur.
Les réalisations du pharaon Ramsès II sont nombreuses, qu’il s’agisse de résidences, de temples ou de statues monumentales. Cette monumentalité se veut le reflet de son pouvoir dans la continuité dynastique, une logique que Pascal Vernus nomme “l’impératif de surpassement”, c’est-à-dire l’obligation pour Pharaon d’ajouter au legs de ses prédécesseurs2. Parmi ses travaux, on peut mentionner, par exemple, une résidence royale et un arsenal dans le Delta oriental, où est établie la nouvelle capitale Pi-Ramsès, des temples et des chapelles le long des berges du Nil jusqu’à la Nubie. Il a également repris divers chantiers initiés par son père Séthi Ier. Lors de son règne, il fait réaliser aussi de nombreuses statues. Pour ses multiples constructions, il organise la collecte de matériaux grâce à l’exploitation de carrières de pierres. L’artisanat se développe alors avec de nouvelles techniques de construction (Ramesseum) et de décoration (tombe de Néfertari). Il faut mentionner la grande qualité artistique mise en œuvre sous son règne et plus largement au Nouvel Empire. Cet art permet de mettre en valeur la “divinisation” du pharaon manifestée à travers les statues ou les reliefs des temples, et de permettre à Ramsès II de tenter de se démarquer des autres pharaons et de laisser ainsi son nom dans l’Histoire.
Ramsès II est élevé dans la discipline militaire. Lorsqu’il accède au trône, les Hittites, dont le cœur du pouvoir se trouve en Anatolie, menacent l’Égypte dont les frontières vont du Proche-Orient au nord du Soudan actuel. Dans les pas de son père, il met sur pied une armée puissante, composée, entre autres, de chars. S’il ne sort pas à proprement parler vainqueur de la bataille de Qadesh, qui correspond au point culminant de l’affrontement avec les Hittites, il parvient à valoriser l’événement et à le faire passer pour une victoire. Il en résulte dans la réalité un statu quo, scellé par un mariage entre Ramsès II et une princesse hittite, annonçant une nouvelle période de stabilité pour l’Égypte3.
Son statut de guerrier et de bâtisseur se retrouve également dans sa politique défensive. Il fait construire une série de forteresses à l’ouest du delta du Nil. Pour exemple, il faut évoquer le site de Zawiyet Umm el-Rakahm, le plus à l’ouest, à 300 km d’Alexandrie4. Ces lieux permettent aussi de réceptionner les marchandises issues d’un commerce maritime non négligeable au sein de la Méditerranée (Crète, Afrique du Nord). De plus, il met en place la construction de forteresses dans le Nord-Sinaï et dans l’est du delta, servant de bases de départ pour les expéditions égyptiennes vers le Levant et de postes frontière contre les intrusions venant du Proche-Orient. Il s’agit des forteresses de Kharrouba (au nord-est d’el-Arich) et de Bir-el-Abd (au sud du lac Bardawil), en activité depuis la XVIIIe dynastie, à Tell el-Borg, à l’ouest de Tell Héboua.
Au sud, en Nubie, les forteresses du Moyen Empire, formant un réseau mis en place sous le règne de Sésostris III, ont été modifiées dès le règne de Ramsès Ier. Ces modifications concernent principalement les temples et les quartiers réservés aux fonctionnaires : des stèles font figurer des décrets royaux imposant des fonctionnements et des approvisionnements des temples, tandis que des jambages sont gravés aux noms du personnel de la forteresse.
Le règne de Ramsès II rayonne aussi du point de vue économique. Sa politique étrangère sert d’abord les intérêts économiques fondamentaux du royaume, en assurant des circuits d’approvisionnement en ressources indispensables à son fonctionnement5. Comme les autres économies de l’âge du Bronze proche-oriental, celle du royaume est largement fondée sur les échanges, en raison de l’extrême inégalité de répartition des ressources employées à cette époque dans cette partie du bassin méditerranéen. Au sud, le contrôle exercé sur la Nubie par la conquête militaire permet une mainmise sur différents types de richesses, notamment les mines d’or, mais aussi le cuir, le bétail et aussi de nombreux hommes qui fourniront les effectifs de ses armées. Au Proche-Orient, ces campagnes militaires, en plus de la valeur économique des butins issus des pillages, permettent certes de contrôler des mines de cuivre et des viviers supplémentaires de main-d’œuvre mais elles relèvent d’abord de la sécurisation des voies commerciales internationales qui assurent l’échange avec des produits venant des empires concurrents et introuvables en territoire égyptien : bois d’œuvre pour la construction navale notamment, et étain. Selon Pierre Grandet, le commerce de l’étain, brut ou déjà allié, joue même un rôle crucial6 dans cette “économie du bronze” ; il justifie entre autres les affrontements menés au Nouvel Empire autour de points névralgiques comme Qadesh ou l’emprise sur les grands ports levantins, importants à contrôler ou du moins à pacifier.
Corollaire de cet objectif primordial, l’entrée régulière de tributs demande la mise en place de solides structures administratives installées aux marges du royaume. Cette économie sous contrôle de l’appareil d’État ne doit pas non plus masquer l’existence et l’importance d’une économie privée et non dirigée, qui fait vivre réellement la base du réseau commercial7.
La prospérité économique influe positivement sur le rayonnement culturel et artistique du règne de Ramsès II. Se perçoit une évolution de la langue et un enrichissement du vocabulaire notamment. Le développement des textes funéraires (Livre des Morts, Livre des Portes, Livre de l’Amdouat…), amorcé sous la XVIIIe dynastie se poursuit contribuant à la démocratisation des pratiques funéraires.
Les points saillants du règne de Ramsès II qui nous intéressent ici sont donc :
- une structuration sociale très forte ;
- des échanges diplomatiques, une économie largement fondée sur les échanges ;
- une spécialisation artisanale et un contrôle des artisans ;
- une politique guerrière ;
- la construction de forteresses.
Ces points saillants constituent autant d’items susceptibles d’être interrogés à l’échelle de l’Europe de l’Ouest, dans une région dépourvue d’archives textuelles, mais dont les sources archéologiques abondent. Une comparaison historique est en partie envisageable, bien qu’audacieuse. À l’inverse, les sources écrites égyptiennes sont aussi empreintes de défaut pour une bonne restitution historique, en raison du poids démesuré pris par les documents et vestiges produits par et pour les élites et plus généralement l’administration étatique et religieuse. L’essentiel de la vie économique, culturelle et sociale du peuple égyptien reste largement méconnu, selon certains chercheurs8.
Il n’est bien entendu pas dans notre propos de comparer ici ces deux territoires distincts mais plutôt d’observer si certaines dynamiques sociales ou économiques transcendent ces mondes qui nous semblent étanches et que tout semble opposer.
En Europe de l’ouest : les élites du XIIIe siècle et la “diplomatie”
Au sein de la société de l’âge du Bronze d’Europe de l’Ouest : est-il possible de reconnaître durant le XIIIe siècle une forme de complexification sociale, très stratifiée, qui serait le témoignage d’une élite en place et d’identifier des réseaux diplomatiques qui lui seraient associés ?
Malgré les difficultés de lecture inhérentes à un échantillon de tombes finalement peu représentatif de la société, il apparaît néanmoins des variations de viatiques dans les sépultures conservées (une part minime du groupe humain) qui montrent des fonctions et des strates sociales différentes. Il semble donc que la société du début du Bronze final était stratifiée avec des individus possédant des objets symboliques à la tête de la chefferie, d’autres détenteurs d’armes (guerriers) ou d’outils particuliers (matériel de pesée, par exemple), et des propriétaires, “hommes libres”, etc. Seules les premières castes devaient avoir un rôle politique, spirituel et actif dans les échanges. Les autres, propriétaires, “hommes non libres”, participaient uniquement au fonctionnement économique local. Ces sociétés ont eu besoin, dès la fin du IIIe millénaire, de tisser des relations économiques à longue distance. Le XIIIe siècle est marqué par le développement de ces réseaux sociaux immatériels déjà mis en place au cours des XVe et XIVe siècles. Ces contacts, constitués dans la durée, entretenus par de nombreuses relations interpersonnelles et des alliances diplomatiques, sont établis et consolidés grâce à l’échange d’objets extraordinaires, à l’image de ce qui existe dans le Bassin méditerranéen9. Ce phénomène de “Diplomacy by Design” proposé par Marian Feldman pour le Proche-Orient, pourrait avoir un parallèle en Europe continentale. C’est ce que proposent Timothy Earle et Kristian Kristiansen à partir de la cartographie de certains objets et de décors en spirales inspirés du monde mycénien10.
Le XIIIe siècle de l’Europe de l’Ouest s’inscrit très probablement dans une dynamique sociale déjà mise en place durant les deux siècles précédents. Aucune rupture nette n’est à noter, si ce n’est peut-être une plus forte centralisation (visible sur les sites protégés11), accompagnée dans certaines régions, de mouvements de population à l’instar de l’abandon des Terramare dans le nord de l’Italie. Les élites s’insèrent donc dans un modèle de société déjà existant dont ils réajustent le réseau diplomatique par endroits. Il en est ainsi de l’Allemagne qui rompt ses liens avec le Danemark, qui reposaient sur des échanges économiques forts (ambre vs métal), pour orienter sa politique de contact vers l’est de l’Europe centrale12. Ces nouvelles relations sont associées à de nouveaux rites avec des pratiques inédites de dépôts d’objets métalliques inspirées de ce qui avait déjà cours dans les Carpates. À la même époque l’apparition de la Culture des champs d’urnes montre aussi ces modifications profondes des pratiques cultuelles en Europe.
En lien avec cette nouvelle forme de complexification de la société, on peut s’interroger sur l’émergence d’une certaine forme de spécialisation guerrière et sur un climat général plus conflictuel qui ferait écho aux guerres conduites par Ramsès II. Un travail bibliographique récent conduit par les auteurs de cet article13 a montré, après un examen de l’armement, des traces de violences interpersonnelles sur les corps et sur les sites, des tendances à l’échelle de l’Europe qui mettent en avant un moment de bascule entre les XIVe et XIIIe siècles.
Mais finalement, est-ce que ces archives archéologiques traduisent un vrai phénomène de violences à large échelle en Europe, avec son corollaire, l’émergence d’une classe de guerriers spécialisée ? Ces deux questions restent toujours délicates à conduire et il est possible que les données collectées, en particulier celles liées à l’armement, ne reflètent qu’une vision partielle ou partiale des réalités du XIIIe siècle. On ne peut en effet écarter l’hypothèse d’un affichage du guerrier (la plupart de l’armement défensif conservé reste des pièces luxueuses) et de la guerre (simulacre) qui n’a pas de prise avec des faits réels mais qui serait plutôt des outils de démonstration de la violence, ayant pour but l’impact psychologique. De fait, entre les XIVe-XIIIe siècles, il existe des témoignages de conflits à des échelles variables, alors qu’il n’y en avait pas lors de la période précédente. Ces conflits peuvent être très locaux comme à Tormarton, en Grande-Bretagne, ou plus régionaux comme à Tollense, en Allemagne, où un groupe plus important est mis à contribution (peut-être sur plusieurs épisodes si on examine de près l’ensemble des dates 14C disponibles)14. Il ne s’agit pas de conflits permanents mais de moments de tensions qui ont sans doute entraîné une professionnalisation du guerrier même si tous les membres adultes sont probablement censés être des guerriers en fonction des besoins de leur communauté comme dans la plupart des sociétés non étatiques (le comitatus germain de Tacite ou le Männerbund de Dumézil). La dynamique militaire du règne de Ramsès II, et plus largement des sociétés de l’est de la Méditerranée à cette époque, trouverait des parallèles avec celle des sociétés de l’Europe de l’Ouest, même si la structuration sociale et politique était probablement très différente.
Plus généralement, les sources écrites des différentes sociétés de l’Est méditerranéen font état d’une “conflictualité” endémique liée d’abord et avant tout au développement du trafic commercial, beaucoup plus qu’à des guerres de conquêtes territoriales ou coloniales. Pirates, nomades, marchands évoluent sur les mêmes routes, partagent les mêmes connaissances et prennent des risques similaires. Avec cette grille de lecture, le développement de l’armement en bronze et de groupes de guerriers spécialisés dans le maniement des armes va de pair avec les tentatives multiples et répétées de chaque entité (du marchand au pharaon) de contrôle des circuits commerciaux. À l’armement ponctuel des caravanes marchandes répond l’établissement, par les grands princes, de places fortifiées aux endroits stratégiques du réseau commercial (ports, nœuds routiers, oasis, etc.).
En Europe de l’Ouest aussi, un nouveau type de site fait sa réapparition dans le paysage.
Au cours du XIIIe siècle, un peu avant dans certaines régions, des sites localisés dans des positions topographiques particulières (sur les hauteurs, les méandres, des confluences …) vont se protéger au moyen de remparts en terre et bois et/ou de larges fossés. La diversité des situations est de règle parce qu’elle ne répond pas à un modèle appliqué de manière uniforme et à grande échelle mais à la forme précise du réseau d’échanges.
Les traces matérielles de combat et de morts violentes au niveau de ces sites fortifiés ne semblent pas correspondre à un état de fait courant. Néanmoins, il faut peut-être considérer cette information comme biaisée du fait du faible nombre de sites fouillés qui ne peut être considéré comme représentatif. En admettant que la carte de ces événements (fig. 1) représente un infime pourcentage de ce qui s’est réellement produit, on constate que la plupart des sites se trouvent en Europe centrale d’une part, entre la mer Baltique et la plaine hongroise, et sur les côtes occidentales (Manche), deux zones particulièrement sensibles au trafic commercial à cette période : route terrestre de l’ambre entre Baltique et Méditerranée, et route maritime occidentale du métal entre Scandinavie et Bretagnes.

(DAO : E. Leroy-Langelin).
Intimement lié aux systèmes d’échanges régionaux et extra-régionaux qui animent l’Europe au début de l’âge du Bronze final, le processus de spécialisation artisanale se renforce, sans pour autant remplacer le tissu d’acteurs peu spécialisés qui continuent de produire une grande part des objets domestiques courants. Tous les domaines d’activité, et pas uniquement la métallurgie et l’orfèvrerie, sont concernés par cette pression accrue sur les procédés techniques et la qualité des produits finis : artisanat céramique, du textile, des matières osseuses, de la meunerie15. D’autres activités plus éloignées de l’artisanat proprement dit sont probablement touchées également mais l’information n’est pas connue parce que la documentation manque (navigation, construction, techniques agraires, chasse, musique, etc.). La localisation des plus spécialisés de ces artisans reste un sujet de recherche. Seul un petit nombre de sites ont fourni des preuves indubitables d’ateliers fournissant une production dépassant le cadre régional. L’absence de fouilles exhaustives sur des sites à statut élevé comme les sites fortifiés est peut-être la cause de ce manque de données exploitables. Mais, du nord au sud de l’Europe16, ce sont bien les sites les plus étendus, fortifiés ou non, qui sont supposés être des nœuds importants dans le réseau d’établissements de chaque chefferie. Ce sont pratiquement les seuls sites à livrer des témoignages de la présence d’artisans : hameau en Europe du Nord, tell dans la plaine hongroise, citadelle de hauteur en Sicile.
Parmi les multiples domaines d’activité en ébullition à cette période, l’un d’eux requiert une attention plus particulière en raison de son rôle dans les systèmes d’échanges régionaux et extra-régionaux. Dès l’âge du Bronze ancien, un système de pesée se répand réellement dans l’ensemble des régions européennes à partir de 1400/1350 a.C.17. Ce système de mesure “pan-Européen” fondé sur le poids met en relation différentes normes régionales, qui ont évolué manifestement de façon indépendante. On considère que l’adoption du modèle de mesure pondérale s’est faite progressivement depuis le Proche-Orient et/ou l’Égypte, via les colons grecs installés en péninsule italique. Elle signe l’intégration de l’Europe dans un ensemble plus vaste18. Les recherches se sont focalisées sur les outils de pesée employés pour les mesures de faible poids, les plus visibles dans les vestiges archéologiques, et souvent sollicités dans l’économie des biens de prestige (métaux et pierres précieuses ou semi-précieuses). Les contextes de découverte de cet outillage de précision (poids, balances aptes au calcul par décigramme) sont, somme toute, relativement rares et toujours associés à des marqueurs élitaires19.
Si les “peseurs” manipulant les balances de précision se situent au sommet de la hiérarchie sociale, cela ne nous dit rien sur les autres acteurs du système de mesure “pan-Européen”. Tout le système métrique relatif au commerce de gros reste à explorer20, celui-ci ayant été nécessairement actif en parallèle du commerce de détail et de luxe : bétail, bois d’œuvre, productions agricoles et textiles, etc.
Conclusion
Ce court papier, qui se veut avant tout un hommage aux régions étudiées par Nathalie (même si pour l’Égypte, le XIIIe siècle doit lui paraître bien éloigné de sa période de prédilection), avait pour ambition d’examiner, à grands traits, le parcours social de deux mondes que l’on oppose souvent : un monde “civilisé”, aux nombreux témoignages textuels, et un monde “barbare”, sans dynamique historique visible ou “l’homme […] n’est pas assez entré dans l’Histoire” pour presque paraphraser un de nos grands philosophes actuels. Les quelques sujets que nous avons extraits ici, à partir de ce que l’on connaît du règne de Ramsès II, font apparaître toutefois des convergences, des lignes directrices similaires (toutes proportions gardées) entre ces deux schémas sociaux très différents.
On ne va bien sûr pas conclure sur une vision géohistorique globale, pour sûr très caricaturale et entachée de nombreux biais, mais ces quelques similarités de trajectoire historique sont peut-être à mettre en relation avec un phénomène de globalisation économique qui unit les territoires à l’âge du Bronze. Le bronze n’y est pas pour rien (notamment l’étain), mais le verre, l’ambre, l’argent, le sel et probablement la servitude participent de ces liens à larges échelles géographiques qui nous font rentrer dans l’Histoire.
Note des auteurs
Nous souhaitons remercier nos relecteurs pour leurs remarques pertinentes ayant servi à améliorer notre propos. Les approximations ou erreurs restantes sont le fait de notre unique responsabilité.
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Notes
- Vandersleyen 1995.
- Vernus 1995, 108-110.
- Servajean 2012.
- Snape 2023.
- Grandet 2008.
- Grandet 2008.
- Moreno García 2014.
- Moreno García 2014.
- Feldman 2006.
- Earle & Kristiansen 2010.
- Milcent et al. 2021.
- Kristiansen & Suchowska-Ducke 2015.
- Marcigny et al. 2023.
- Jantzen et al. 2014.
- Earle & Kristiansen 2010.
- Op. cit.
- Ialongo & Rahmstorf 2019.
- Ialongo et al. 2021.
- Poigt 2021.
- Brandherm et al. 2018.