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Chapitre 1•
À quel genre appartient El Pasajero ?

par

L’appartenance générique a donné lieu à des analyses tellement contradictoires1 qu’une nouvelle proposition de caractérisation de cette œuvre, éminemment hybride, s’impose.

L’hybridité dans tous ses états

L’hybridité de El Pasajero se décline aussi bien sur le plan formel que thématique conformément aux exigences de varietas que se devaient de satisfaire les œuvres littéraires de l’époque.

Elle est également perceptible dans le nom donné aux chapitres (“alivio”) puisque, par leur entremise, sont convoquées différentes traditions littéraires. L’emploi du terme “alivio” reflète certes une pratique courante à l’époque qui consistait à donner aux chapitres une dénomination originale comme dans El Crotalón où les chapitres recçoivent l’appellation de crisis2. C’est un phénomène observable au sein même de la production didactique de Figueroa qui emploie trois termes différents – “alivio” (El Pasajero), “junta” (Pusílipo), “variedad” (Varias noticias). Mais au-delà d’une pratique courante, cette utilisation trouve indéniablement un écho dans le motif littéraire de l’alivio de caminantes qui prend son origine dans Le Banquet de Platon et qui est passé à la postérité grâce à l’ouvrage éponyme de Juan Timoneda (1569). Cette rémanence était décelable dès l’introduction de l’ouvrage lorsque la voix narrative qui prend en charge cette praeparatio caractéristique du genre dialogué déclarait : “trataron aliviar el cansancio de la ociosidad con diferentes pláticas.” (p.369). En réalité, ce rapprochement avec l’ouvrage de Timoneda ne résulte pas seulement de la reprise du substantif alivio mais provient aussi de l’inclusion de contes. Chez Timoneda, ces derniers sont le cœur même de l’ouvrage, ils en sont la matière essentielle. En revanche, Figueroa comme Arce de Otálora par exemple, fait le choix de les intégrer dans un cadre formel plus ou moins souple. En l’occurrence et conformément à une pratique répandue au Siècle d’Or, il s’agit du dialogue.

Outre cette diversité thématique, El Pasajero se caractérise par une pluralité formelle dont la manifestation la plus évidente est l’alternance prose-vers, observable dans les chapitres III à IX inclus3. Ce n’est qu’une fois que le Docteur a édicté les premiers principes de sa préceptive littéraire que les compositions poétiques font naturellement leur apparition dans le corps de l’œuvre. Ainsi donc, conformément au statut de meneur de l’interaction et de spécialiste ès Lettres qui lui incombent, c’est le personnage du Docteur qui déclame le plus de vers. Ceux-ci ne sont pas répartis équitablement au sein de l’espace textuel. Les compositions poétiques jouissent d’une présence plus massive encore dans les alivios VI à VIII puisqu’il s’agit de chapitres consacrés, en grande partie, au récit de vie du Docteur. À ce titre, le lecteur observe déjà l’une des multiples déclinaisons de l’hybridité à l’œuvre dans El Pasajero dans la mesure où théorie et pratique littéraires semblent se mêler. Mais il y a plus : création littéraire et récit de vie s’alimentent aussi mutuellement.

 Il convient d’interrompre à présent cet excursus pour en revenir à la question de la répartition des vers dans El Pasajero. Ces derniers sont absents du dernier chapitre de El Pasajero pour des raisons, somme toute, assez logiques. Au début de cette dernière section, Isidro, l’homme du peuple, rappelle, en effet, au Docteur qu’il n’a pas honoré sa promesse de lui donner des conseils sur la conduite à tenir pour devenir noble et le prie de bien vouloir accéder à sa demande :

Alivio X :

Isidro. Cerca de Barcelona, ya casi puesto fin al viaje de tierra, deshecha la conversación que ocasionaba el rigor del estío sin haber dado a mi deseo la entera satisfación que tan debida le era de atrás por palabra y promesa, ¿qué sentimiento no podré tener? ¿Qué queja no será razón formar?

Doctor. Cese, os ruego, uno y otro; que por haber gastado algo más tiempo de lo justo en lo que no era de nuestra juridición, se detuvo un breve rato la prosecución de lo que os importa. Mas desde luego pretendo emendar este error con mover en vuestro servicio las tardas ruedas de mi lengua y entendimiento.4

L’écho entre ce passage et la demande formulée par l’orfèvre dès le deuxième chapitre et à laquelle le Docteur apporte une réponse positive, ne saurait, en effet, être contesté :

Alivio II :

Isidro. (…) Quiero ser noble, quiero comer mil de renta sin disgusto. Deseo en particular asegurar la conciencia, puesto que no hay arte de tanto riesgo para ella como la mía, por los engaños frecuentes, por las ganancias ilícitas. Ya os es manifiesta mi intención; resta ahora me apadrinen en este nuevo combate los avisos del Doctor, para que yo, sin nota, salga vitorioso.

Doctor. Sólo puedo emplear mis buenos deseos en serviros. (…).5

La parenté sémantique qui lie ces deux extraits est indéniable. Leur mise en regard permet notamment de constater une utilisation commune du champ lexical de la volonté, du désir qui traverse plus particulièrement la première intervention de l’orfèvre (alivio II). En quelques lignes seulement, sont mobilisés le substantif intención mais aussi les verbes de volonté “querer” et “desear”. Ce désir intense cristallisé par les deux occurrences de “quiero” réunies dans une même phrase entre immanquablement en résonance avec le vocable “mi deseo” que l’on trouve dans la citation tirée de l’alivio X. De la même façon, l’emploi du verbe “servir” qui dit l’obéissance, l’exécution et des substantifs “palabra” et “promesa” qui traduisent un engagement fort permet de mettre en lumière les connexions entre ces deux extraits. Cette rapide étude lexicale établit de manière incontestable les liens entre les deux citations introduites ci-dessus. Dès lors, la formulation des conseils du Docteur censés permettre à Isidro d’atteindre son objectif est posée comme la thématique centrale de l’alivio X et justifie, de plein droit, cette utilisation plus lacunaire du vers dans le dernier chapitre de El Pasajero. De plus, la caractérisation des personnages, conforme en ce sens à la tradition dialoguée, peut expliquer cette utilisation plus restreinte des vers par Isidro : Don Luis, en tant que personnage qui se dérobe à ses obligations militaires mais qui n’en est pas moins un noble est apte à la poésie lyrique et à l’expression de sentiments délicats alors que Isidro, l’artisan, aspire davantage, par effet de miroir, à une noblesse usurpée. Son statut de plébéien le rend moins apte, par nature ou tout au moins socialement, à la poésie. C’est ainsi qu’il faut interpréter les passages qui suivent. La poésie est présentée comme un domaine dénué d’intérêt pour l’orfèvre qui, de fait, se voit exclu textuellement du groupe des poètes. Il est en ce sens remarquable que les compositions qu’Isidro déclame soient toutes présentées comme des emprunts et non comme des créations personnelles6 :

Citation A (alivio VI)

Isidro. Señores poetas, séame lícito, sin serlo yo, servir en mesa de manjares tan dulces un platillo de fruta cogida en los jardines del Parnaso. Tengan por bien adquiera desde hoy título de donado de tan sutiles ingenios, con que se me puedan ir pegando algunos humillos de versificador.7

Citation B (alivio IX)

Doctor. ¿Es posible que aún no desistís de Igual tema? Entendí teníades ya olvidados los versos, y sacáislos al presente en público, para que hagan oficio de montante en lo que pensábamos decir? Convendrá, señor Isidro, si queremos tener quietud en lo de adelante, complacer a Don Luis en lo que pretende. Será, pues, forzoso condenaros en que entréis esta vez (sin serlo) en el número de versificador, diciendo cualquier composición, aunque ajena.8

La double utilisation qui est faite dans ces extraits de l’expression “sin serlo” qui marginalise Isidro par rapport au reste du groupe est, en ce sens, particulièrement éloquente. Il est remarquable que cette expression soit placée entre virgules (cf. citation A) ou entre parenthèses (cf. citation B) ce qui tend à signaler typographiquement une séparation du reste de l’espace textuel. L’expression est mise à la marge de l’énoncé tout comme le personnage est mis à la marge de l’activité poétique. Ces commentaires sont placés dans des alivios qui constituent des climax de l’activité poétique dans l’espace textuel : on les trouve dans le premier et le dernier chapitres où apparaissent des compositions versifiées (alivios III et IX).

L’alternance prose-vers, comme l’hybridité, n’est pas une spécificité de El Pasajero. Une lecture rapide de Pusílipo laisse même entrevoir un usage de cette pratique de l’alternance prose-vers étendu à l’ensemble de l’ouvrage. Les différences dans la nature des relations entre les locuteurs et le cadre même de l’interaction sont susceptibles d’expliquer cette différence de traitement même s’il ne faut pas oublier que le dialogue, dans chacun de ces deux ouvrages, est avant tout un cadre formel. Le choix même du lieu dans lequel se déroule l’interaction dans Pusílipo et qui donne son titre à l’ouvrage configure une fonction différente de la poésie : Pusílipo, en tant que lieu où se trouve la sépulture de Sannazzaro, est érigé en lieu propice à la création poétique. Dans cet ouvrage, les personnages se connaissent déjà puisqu’ils sont liés par une relation d’amitié antérieure à l’interaction ; de ce fait, les passages consacrés aux récits biographiques des locuteurs sont naturellement absents à la différence de ce que l’on observe dans El Pasajero où les locuteurs se rencontrent lors d’un voyage. Le voyage, prétexte à l’établissement de la situation d’interlocution, est certes conventionnel mais justifie néanmoins totalement l’introduction de données biographiques qui permettent de retracer le parcours suivis par les locuteurs jusqu’au moment de leur rencontre. De fait, le contexte de El Pasajero suscite d’emblée des narrations, certes mêlées de compositions poétiques et de développements didactiques alors que dans Pusílipo, le contexte dans lequel se déroule l’échange laisse un espace plus vaste aux compositions poétiques.

L’hybridité formelle de El Pasajero va bien au-delà de cette alternance prose-vers puisque l’architecture de l’ouvrage repose sur des media littéraires variés. Une lecture attentive de El Pasajero fait apparaître la mobilisation de divers matériaux littéraires qui vont des compositions poétiques jusqu’aux contes et récits brefs en passant par la littérature cosmographique ou religieuse comme on peut l’observer dans le tableau ci-après :

Ce relevé propose un état des lieux synthétique des différents matériaux littéraires exploités9 mais vise aussi à montrer comment ceux-ci sont répartis sur l’espace textuel10. Toutefois, il ne permet pas de rendre compte des différents niveaux d’enchâssement11 que présente El Pasajero, lesquels feront l’objet d’une étude plus minutieuse dans la troisième partie de cette étude12.

La présence de ces matériaux littéraires variés a pu complexifier la question de l’identification générique de El Pasajero. Les propositions de rattachement les plus fréquemment rencontrées sont le dialogue et la miscellanée voire la miscellanée dialoguée. En réalité, plutôt que de trancher en faveur d’une interprétation ou d’une autre, il convient de se demander en quoi chacune d’entre elles se vérifie. L’analyse proposée par Carmen Hernández Valcárcel, dans un article sur l’introduction des contes dans les œuvres littéraires du Siècle d’Or, tend à confirmer cette intuition. Celle-ci y signale que :

El encuadre genérico de algunas de estas obras escritas en prosa resulta difícil y hasta cierto punto inútil, porque participan de características mixtas entre el didactismo y el entretenimiento, aunque la voluntad de sus autores en primar el docere sobre el delectare me animan a incluir en este apartado didáctico obras tan heterogéneas y a veces pintorescas. Pese a que la literatura satírico-costumbrista sea un género lúdico, el trasfondo de crítica social la aproxima claramente a la literatura didáctica.13

Au regard de l’éclairage apporté par Carmen Hernández Valcárcel, donner la primauté à un courant précis n’apparaît pas vraiment comme une nécessité. En revanche montrer comment Suárez de Figueroa s’approprie les différents genres et les fait siens s’avère plus porteur car il s’agit, à notre sens, d’un trait fondamental de El Pasajero.Sa richesse et sa complexité proviennent de cette pluralité des influences qui y sont mobilisées. Les observations faites par Ignacio Arellano, dans Historia de la literatura española, au sujet du costumbrismo avant la lettre chez Figueroasont, à ce titre, des plus intéressantes :

El costumbrismo, como la sátira lucianesca se separa de la estructura novelística, al supeditar la trama argumental a la presentación de tipos y costumbres en escenas descriptivas. Por otro lado el ingrediente costumbrista puede aparecer (de hecho es frecuente) en la novela o en otros libros como El viaje entretenido de Rojas Villandrando o El Pasajero de Suárez de Figueroa14

L’usage du substantif assez général “libro” (et non pas un genre littéraire clairement identifié comme le fait Ignacio Arellano juste avant en citant la “novela”) ne serait-il pas l’indice des difficultés à classer cet ouvrage que nous évoquions plus haut ? Mais il y a plus. L’emploi du vocable “ingrediente” sous-entend que le costumbrismo est l’un des éléments qui entrent dans la composition de El Pasajero. Il semblerait que la recette de cet ouvrage – pour filer la métaphore culinaire – repose précisément sur l’association et l’alternance de différents ingrédients.

El Pasajero dans le panorama littéraire de l’époque

Les liens du texte figuéroen avec la littérature didactique

Voir dans El Pasajero une œuvre de prose didactique est une appréciation fondée mais qui demande à être affinée. En effet, même si, la plus grande partie de l’œuvre est rédigée en prose, Suárez de Figueroa mobilise le vers dans une vingtaine de compositions. Le vers, on le sait, peut lui aussi avoir une fonction didactique dans la littérature de l’époque ; néanmoins, le texte de El Pasajero exploite, indéniablement, une opposition nette entre prose (didactique ou narrative) et poésie lyrique. Ainsi, classer cet ouvrage dans la prose revient à faire la part belle à l’un des deux genres mobilisés par l’auteur, ce qui semble être un raccourci d’autant plus fâcheux que cette alternance vers-prose caractérise également d’autres œuvres de Figueroa comme Pusílipo ou précédemment, La Constante Amarilis. C’est là aussi une spécificité du genre auquel appartient cette dernière œuvre, le roman pastoral. Par ailleurs, le chapeau littérature didactique pourrait constituer une première piste de redéfinition séduisante puisque la gageure didactique apparaît de façon explicite dès l’adresse au lecteur et se manifeste aussi dans les nombreux exposés théoriques qu’enserre El Pasajero. L’ensemble du prologue qui fourmille de termes relevant du champ lexical de l’enseignement et de la connaissance (“desengaños”, “ciencia”, “aprender”, “conocimiento”, “libros”, “avisos”, “enseñanzas”, “documentos”, “razón”, “materias”15), atteste de la gageure pédagogique que prétend relever El Pasajero, ou tout au moins de celle de son texte dans le sens où l’on ne saurait spéculer sur les intentions réelles de Figueroa. Il s’agit peut-être aussi tout simplement d’une démarche d’autojustification. Quoi qu’il en soit, au regard des vocables relevés ci-dessus, il n’est nullement incongru d’affirmer que le texte de El Pasajero affiche une vocation clairement édifiante. Mais pouvait-il en aller autrement à une époque où le docere et prodesse horatien jouissait d’une influence si nette et faisait, pour ainsi dire, partie des topiques et des pré-requis implicites de l’acte littéraire ? Aussi semblerait-il que le qualificatif didactique, même s’il sied parfaitement à El Pasajero, reste trop large. De surcroît, d’aucuns argueraient que cette mention ne s’applique pas exclusivement à El Pasajero mais plutôt à tout un pan de la production littéraire figuéroène qui inclut notamment sa Plaza Universal mais aussi d’autres ouvrages comme Varias noticias et Pusílipo. La critique s’attache souvent à considérer, à juste titre, la triade (El Pasajero, Varias noticias et Pusílipo) comme les œuvres les plus personnelles de Figueroa. La thèse de Manuel Puerta16 a en effet permis de mettre en évidence l’indubitable convergence idéologique entre ces trois compositions. Mais leurs tonalités et natures spécifiques tiennent à la mise en œuvre de procédés formels différents. Il est important de signaler qu’à la différence de El Pasajero et de Pusílipo, Varias noticias ne relève pour ainsi dire pas de la littérature de fiction. Le récit de Laureano situé à la toute fin de Varias noticias constitue, en ce sens, une exception intéressante dans la mesure où elle reflète le processus de transtextualité restreinte qui traverse l’ensemble de l’œuvre de Figueroa en donnant au personnage une identité qui sera reprise dans Pusílipo. Dans El Pasajero comme dans Pusílipo, la personnalisation du propos passe plus particulièrement par l’intégration d’éléments puisés directement dans le vécu de l’auteur. Dans Varias noticias, en revanche, elle tient au fait que Suárez de Figueroa assume ouvertement le “yo”. Figueroa s’exprime à deux reprises depuis sa position d’auteur (fictionnalisé) ; tout d’abord, dès les premières lignes du premier chapitre :

Pide la fachada deste suntuoso edificio, si no pomposo y dilatado, por lo menos algún breve elogio en aclamación de la verdadera gloria, y honor, y en su correspondencia, siquiera un rasguño de invectiva contra sus conocidas contrarias, soberbia y vanagloria; para que descubiertas las calidades de los dos bandos, ame, o aborrezca el Lector, al paso que viere persuadir, o disuadir esto, o aquello; pues si no tuviere vendados los ojos del discurso, es cierto arrojará el caudal de su afición, donde reconociere mayor concurso de méritos.17

Puis, dans les dernières pages du dernier chapitre :

Resplandeciendo pues, en semejantes instrumentos la grande ciencia y sabiduría de la inmensa mano que los fabricó, es justo recojamos en la memoria, y en ella conservemos con tenacidad cuanto de provechoso se ha tratado en las antecedentes variedades, tocante a virtuosas costumbres. Lástima sería, entrar como se suele decir, lo bueno por un oído y salir por otro. Elija el entendimiento de tanta diferencia de documentos como contienen los renglones pasados, la cantidad que más juzgare convenir para su íntima utilidad. Ni es razón dañe la disposición al intento, si por ventura fuere juzgada defetuosa, o molesta, pues estará en mano del lector coger de entre espinas rosas, para deleite y recreo de olfato y vista.18

Par le truchement de ces deux allusions au lecteur, le texte semble s’ouvrir et se fermer sur lui-même grâce à un magistral jeu de miroirs que Figueroa a l’habitude de décliner sous différentes modalités dans ses œuvres. Notons que cette double manœuvre d’ouverture et de fermeture assoit fermement le contrôle auctorial figuéroen.

Dans Varias noticias, Figueroa envisage donc clairement l’impact de ses écrits sur son public19. L’emploi du “yo” reste néanmoins minoritaire dans cet ouvrage où abondent les tours impersonnels (comme “conviene” ou “se suivi de la 3e personne du singulier” pour ne citer que quelques exemples) qui élèvent les prises de position de l’auteur au rang de vérités générales. Il est toutefois possible de repérer quelques occurrences de la première personne qui renvoient explicitement à l’auteur. Il s’agit évidemment d’auteur fictionnalisé puisque ces occurrences se situent dans la variedad primera et ne font donc pas partie du paratexte. C’est notamment le cas dans le passage suivant :

Plinio tratando de los grandes infortunios con que nace el mortal, afirmó no debía nacer, o serle mejor morir en naciendo. Era costumbre entre Citas llorar al nacer los hijos, y alegrarse con solenes fiestas al morir los parientes. Mas yo20 con paz de tan insignes Filósofos, faltos del entero conocimiento de Dios, y del culto y religión verdadera, refuto sus opiniones, por tener sólo por fundamento discursos débiles con que pretendieron aniquilar el género humano. Ni admito el arrojado parecer de otros, que quisieron conducir el hombre a la consideración de su dignidad, como dotado de gracias excelentes.21

À l’inverse, comme El Pasajero et Pusílipo se présentent sous la forme dialoguée, la fonction de sujet parlant circule d’un locuteur à l’autre et le “yo” peut même devenir celui d’un personnage qui n’intervient pas directement dans l’interaction mais dont les propos sont rapportés par l’un des quatre interlocuteurs.

L’appartenance générique de El Pasajero à la prose didactique semble donc évidente mais il est indispensable de s’interroger sur la possibilité d’un rattachement de cette œuvre à la tradition de la miscellanée qui marque de son sceau El Pasajero dès le paratexte où son influence est indiscutablement perceptible.

Présence et influence de la miscellanée dans El Pasajero

À la différence d’autres genres comme le dialogue, on ne dispose pas de texte de cadrage générique pour les miscellanées ce qui explique que des chercheurs comme Asunción Rallo22 ou Jonathan David Bradbury23 en aient proposé des définitions contrastées. Cela étant, des constantes sont observables. Parmi leurs traits définitoires essentiels, on peut signaler l’influence d’Aulu-Gelle et de son œuvre la plus célèbre, Les Nuits Attiques qui constitue, on le sait, l’une des principales sources de la Silva de varia lección (1540)24, qui est l’exemple par antonomase de la miscellanée espagnole. Figueroa avait lui-même connaissance de la production d’Aulu-Gelle ; dans sa traduction de Piazza Universale, il le mentionne à 23 reprises25. Au-delà du seul cas figuéroen, l’exemple le plus éloquent de l’impact des écrits de l’auteur latin sur les miscellanées est sans nul doute celui de Noches de Invierno26 où Eslava revendique explicitement, dès le titre, sa dette envers l’auteur des Noctes Atticae. La référence à la nuit comme moment propice à la réflexion est fréquente dans les œuvres de l’époque comme celle de Faria e Sousa par exemple27. Une fois de plus, Figueroa s’inscrit dans la tradition puisque, dès l’introduction de El Pasajero, le lecteur apprend que les voyageurs vont consacrer le plus clair de leurs temps de repos à échanger :

Los cuatro, pues, habiendo comenzado el viaje en tiempo cuando más aflige el sol, determinaron cambiar los oficios de día y noche, dando a uno el reposo y a otra la fatiga del camino, por poder sufrir mejor con la templanza désta el excesivo calor de aquél. Mas, como regalos de posadas antes obligan a inquietud que a sosiego, por su escasa limpieza y curiosidad, pasados algunos ratos de reposo, dedicados por fuerza al quebrantamiento, trataron aliviar el cansancio de la ociosidad con diferentes pláticas.28

Après cet excursus, il convient de préciser que l’utilisation du terme miscelánea était somme toute assez rare. En cela, les textes des miscellanées se distinguent de la tradition du dialogue. Le vocable “diálogo” (et ses synonymes) jouissait, quant à lui, d’une fréquence d’usage tout à fait élevée. Cet emploi restreint pourrait également expliquer la difficulté à identifier le genre en tant que tel29. Qui plus est, les connotations polémiques sur le plan esthétique portées par le terme miscelánea expliquent totalement que ce vocable n’ait point été employé par les auteurs pour se référer aux œuvres qu’ils composaient. Figueroa offre précisément un exemple de cet a priori négatif dans El Pasajero à travers un passage très critique consacré à la comedia au début de l’alivio III :

Ahora consta la comedia (o sea, como quieren, representación) de cierta miscelánea donde se halla de todo.30

Dans une perspective inverse, la mixité devient varietas et donc qualité à rechercher chez Lope de Vega, créateur et défenseur de la comedia31 :

Lo trágico y lo cómico mezclado,
y Terencio con Séneca, aunque sea
como otro Minotauro de Pasife
harán grave una parte, otra ridícula,
que aquesta variedad deleita mucho;
buen ejemplo nos da naturaleza,
que por tal variedad tiene belleza.32

Afin de resserrer cette question de la miscellanée autour de la production figuéroène, un retour sur Varias noticias, œuvre postérieure à El Pasajero, s’impose car l’appartenance générique de celle-ci semble plus aisément identifiable. Dès le titre, le concept de varietas, cher aux auteurs de la Renaissance, est convoqué : un parti pris idéologique et esthétique confirmé par le titre donné à chaque section du livre (“variedad”). Déjà dans El Pasajero le concept de varietas et la nécessité de diversité étaient très présents comme cela apparaît explicitement dans la citation suivante :

Fuera de que también puede causar hastío el exceso de un solo manjar, conviniendo servir varios platos a varios gustos.33

La réitération de “varios” ne saurait être fortuite. Il faut plutôt y voir une volonté de mettre en exergue un concept esthétique cher à l’auteur et à ses contemporains. Ce souci de variété va de pair avec une tendance à l’accumulation caractéristique de bien des écrits de l’époque34. Cette tendance frôle parfois l’excès dans Varias noticias, ce qui pourrait expliquer en partie l’intérêt moindre porté, pendant très longtemps, à cet ouvrage. Dès le titre, Varias noticias revendique son statut de miscellanée. Qui plus est, dans le prologue de cette œuvre, l’intégration de sources livresques antérieures est clairement revendiquée :

Claro está conseguirán pública nota de malos los libros que de otros buenos, como suelen ciegos de guías, no participaren mucho. Poco se puede ofrecer que ya no se halle dicho, o por lo menos imaginado.35

Par un magistral effet de mise en abyme, Suárez de Figueroa, reprend précisément cet extrait du chapitre II de El Pasajero :

Debéis, pues, considerar no poderse decir rigurosamente haber cosa que ya no esté dicha, o, por lo menos imaginada. Asentado este principio, tan importante para el discurso presente, es cierto ser lo más que pueden hacer cuantos escriben recoger lo principal que se debe contener en los tomos, para escoger después lo que pareciere venir más a propósito. Sin duda, es acto acendradísimo del entendimiento la acertada elección y buena disposición de cualquier cosa.36

De la sorte, Figueroa assure en même temps une forme d’autopromotion de son œuvre qu’il classe dans la catégorie des “libros buenos” puisqu’il reprend dans une composition nouvelle (Varias noticias) un passage qu’il a déjà écrit dans un ouvrage précédent (El Pasajero).

Ces passages ne sont pas sans rappeler El Pasajero compte tenu de la grille de lecture que propose en filigrane l’auteur dans son Al lector dont voici à la suite un extrait :

De las flores sembradas por los jardines de varios libros escogí este ramillete, con deseo de que espire suavísimos olores de virtud enderezados (si ya no es temeridad presumirlo) a alguna reformación de costumbres. (…)

A quien tocare parte deste contagio será forzoso desagraden las materias picantes que fuere encontrando; mas, si repara en la intención, sé cierto templará los enojos y endulzará las iras.15

Par l’entremise d’une métaphore florale filée qui mobilise non seulement l’image de la fleur, du jardin et du bouquet mais aussi celle du parfum et de l’épine, Figueroa convoque explicitement la tradition des miscellanées telle qu’elle se manifeste dans les œuvres aux titres évocateurs que sont Silva de varia lección ou Jardín de flores curiosas. De plus, ces références fleuries se manifestent en concomitance avec une allusion à la pratique de la lecture37 à travers l’emploi du vocable “libros” qui constitue un autre écho à l’œuvre de Mexía puisque comme l’explique Antonio Castro en introduction de son édition critique de la Silva, Mexía joue sur la polysémie du terme “lección” qui renvoie à la fois aux enseignements mais aussi aux différentes lectures dont s’est nourri l’auteur :

El género literario al que pertenece la Silva de varia lección – el género de la miscelánea – queda, aunque concisa, perfectamente definido en el propio título de la obra, que viene a significar lo mismo que ‘compilación o recopilación, elaborada sin método ni orden (silva), de diversas y múltiples lecturas (de varia lección).38

L’influence de Mexía est également perceptible à la fin du récit de l’aubergiste Juan39, quand revenant sur son contenu, le Maître s’exclame :

Maestro. Notable encuentro, y de hombre no menos notable. ¡Válgame Dios! Si se pudiesen escribir los sucesos de muchas vidas, ¡qué silva de varia lección se hallaría en ellas!40

Mais il y a plus encore. La confrontation des titres de ces deux ouvrages de Figueroa laisse entrevoir des ressemblances de construction :

  • Varias noticias importantes a la humana comunicación
  • Advertencias utilísimas a la vida humana

Dans chacun de ces deux titres, on retrouve deux groupes nominaux connectés entre eux par la préposition “a” et qui mettent à profit des éléments assez similaires tant sur le plan de leur nature grammaticale que sur le plan sémantique. Ce phénomène est plus aisément observable dans la deuxième partie de ces titres où l’auteur a exclusivement procédé à une inversion de la place de l’adjectif “humana”. Pour la première partie de ces titres, même si la construction présente des similitudes, la substitution du terme “advertencias” par le terme “noticias” n’est pas dénuée de conséquences : en effet, “advertencias”, qui dit la mise en garde, semble placer d’emblée El Pasajero dans une dimension plus pragmatique, l’oriente vers un faire (voire un faire-faire) comme le confirme, de fait, l’emploi de l’adjectif “útil”, qui plus est sous sa forme superlative, puisque rappelons-le, cet adjectif provient du latin utilis qui désigne quelque chose d’avantageux, de profitable mais aussi qui sert à quelque chose. Toutefois41 on peut rappeler, avec Mercedes Alcalá Galán, que dès la deuxième partie du XVIe siècle :

(…) cada vez hay un grado menor de justificación del tono de divertimento de estas obras; se da un curioso cambio en el concepto “utilidad”: termina siendo “útil” aquello que es simplemente grato.42

Importare, en revanche, se réfère davantage à ce qui suscite l’intérêt. Par ailleurs, “noticias” relève plutôt de la divulgation d’informations puisque l’origine de ce substantif se trouve dans cognitio, l’étude, la connaissance mais aussi dans notitia qui, dans son sens premier, est synonyme de savoir mais qui, dès le VIe siècle après J.-C., voit son sémantisme élargi à “une série d’éléments analogues”. Le contenu même de Varias noticias qui fourmille d’informations sur les Chinois ou sur d’autres peuples43, ainsi que sa composition, semblent corroborer cette interprétation. Varias noticias mobilise une forme d’exotisme qui témoigne de l’évolution de la miscellanée entre le XVIe et le XVIIe siècle44, un peu sur le modèle des cabinets de curiosités. Cette introduction de données relatives à d’autres peuplades était déjà présente, de façon plus anecdotique, dans El Pasajero qui possède également des traits représentatifs des miscellanées du XVIIe. Ces dernières, d’après Jonathan Bradbury, se caractérisent plutôt par une alternance d’érudition et de récits de fiction. L’influence des premières miscellanées est observable dans El Pasajero dans les allusions aux Chinois et aux Perses :

Los chinos obligan a que siga el hijo la ocupación del padre, por la afición que se imagina cobró al gremio con la comunicación; son por eso habilísimos en lo que profesan.45

Los persas no consentían a sus hijos chismes ni mentiras, instruyéndolos de contino en ser callados, honestos, y en decir verdad.46

La présence de ces éléments exotiques associée à la mobilisation de matériaux littéraires variés tend à confirmer l’analyse proposée par Bradbury sur la position de charnière occupée par El Pasajero.

Mais au-delà de ces ressemblances thématiques, les similitudes se manifestent également dans la façon d’agencer le propos, dans une forme d’écriture commune à Mexía et à Figueroa. Le manque de transition entre certains extraits inscrit ainsi El Pasajero dans le prolongement des miscellanées. Par cette absence de transition, l’œuvre de Figueroa s’inscrit, de fait, dans le sillage des Silvas et des Jardines et à leur “variedad desorganizada”47 dont elle reproduit certains procédés d’écriture. Le caractère aléatoire de l’introduction des éléments et la nécessité de respecter le principe de brièveté sont réaffirmés maintes et maintes fois chez Mexía ; autant de traits que l’on retrouve également chez Figueroa.

L’utilisation de passages empruntés à d’autres auteurs est un autre élément commun aux deux auteurs même si on le verra, chez Figueroa, les emprunts jouissent d’un statut spécifique puisqu’ils viennent parfois alimenter la biographie fictionnelle des personnages. Il n’en est pas moins vrai que le développement consacré par Antonio Castro à l’ouvrage fondateur de Mexía s’avère également éclairant pour la lecture et l’analyse qu’il convient de faire de El Pasajero :

La novedad no está, por consiguiente, en las ideas o en el contenido de la obra, sino en la escritura, en el texto, en cómo estas plantas cortadas ‘de muy buenos árboles’ son seleccionadas y sembradas en un nuevo ‘jardín o huerta’, esto es, en cómo las ideas recibidas y los autores copiados son insertados en una obra nueva, en donde las materias prestadas adquieren también una nueva significación. De esta manera, la imitación de los clásicos se nos presenta como principio vertebrador en la composición de la Silva.48

La structuration du propos passe, chez Mexía comme chez Figueroa, par un bref rappel au début de certains chapitres des points abordés dans le chapitre précédent49. Ainsi, observera-t-on aisément les similitudes entre le début du chapitre II de la première partie de la Silva et les lignes initiales de l’alivio VI de El Pasajero :

Citation n°1 : Silva de varia lección

Pareciendo a algunos cosa imposible lo que tenemos dicho en el capítulo pasado, vivir los hombres novecientos años, tales y tan grandes como agora lo son, y no sabiendo o no acertando las razones o causas naturales, que también dijimos, que lo causaban: y no osando negar el número de los años con que contaban entonces, eran menores que ahora lo son: de manera que aunque en el número de los años hubiese tanta ventaja, en la edad y tiempo no fuese tanta: unos dijeron, que diez años de aquellos hacían uno de los nuestros, otros pensaron, que cada Luna hacía un año, y llamaron los años lunares.50

Citation n°2 : El Pasajero

Maestro. Bien será que, pues ayer se trató con tanto aviso de la guerra, no se ponga hoy en olvido el segundo punto, que es de justicia, tan importante en cualquier república bien gobernada para la salud y paz del género humano.51

À noter néanmoins que bien que Mexía rappelle le contenu du chapitre précédent, il aborde dans la deuxième section de son œuvre un point qui s’éloigne considérablement de celui traité dans la première. En revanche, chez Figueroa, l’intervention du Maître entre en résonance directe avec un extrait du chapitre V où le Docteur pointait déjà l’importance de la guerre et de la Justice dans les questions de gouvernement :

Sobre tres puntos se ha de fundar este acto: milicia, justicia y provisión.52

Au-delà de ces points communs, un aspect par lequel les deux œuvres se différencient considérablement est la teneur éminemment critique de la production figuéroène. En ce sens, la mise en regard des dédicaces des deux œuvres est particulièrement éloquente. Ainsi, l’adresse à la République de Lucques se caractérise-t-elle par un propos sévère :

A Vuestra Excelencia, pues, consagro esta pequeña ofrenda (grande por afectuosos deseos), seguro de que la admitirá con la benevolencia que suele a los que se valen de su amparo.53

Une dédicace aux antipodes de l’adresse à Charles Quint qu’enserre la Silva ou tout au moins aux antipodes de son ancrage hispanique :

Finalmente concluyo con que esta escritura esta dedicada a la Magestad del Emperador Nuestro Señor, y cosa ofrecida a tan alto nombre, debese tratar con comedimiento, aunque ella de sí no lo merezca.54

Dès le paratexte, Figueroa mobilise donc un modèle de gouvernement italien et tend à s’écarter du modèle hispanique dont il déplore certains dysfonctionnements. Ce n’est pas le modèle hispanique tel qu’il existait sous Charles Quint qui est repoussé mais bien l’évolution négative de ce modèle. Au-delà de la prégnance des modèles littéraires, le texte figuéroen, de toute évidence, s’inscrit dans une perspective nettement plus désabusée que celle que pouvaient adopter les auteurs de la Renaissance espagnole. Figueroa est, en ce sens, le fils de son époque et le désabusement vient se cristalliser dans le texte de El Pasajero.

Si l’influence du genre miscellanée est indéniable tant au niveau de l’écriture que des thématiques, on ne saurait négligler l’étude des liens qu’entretient El Pasajero avec le genre dialogué.

Du dialogue dans El Pasajero

D’un point de vue purement descriptif, El Pasajero se présente visuellement sous la forme d’un dialogue au sens où c’est un ouvrage qui se constitue d’une succession de répliques prises en charge par différents locuteurs dont les noms sont précisés au début de chaque intervention. Cependant, il convient de distinguer le dialogue-cadre du dialogue-genre puisque les deux sont mobilisés dans El Pasajero. En effet, si l’ensemble de l’ouvrage a un dialogue pour cadre, certains passages sont plus aisément rattachables à la tradition du genre dialogué telle qu’elle a été étudiée par Jacqueline Ferreras. C’est le cas notamment de l’échange que l’on trouve dans l’alivio V au sujet de l’amour55.

En 1617, quand El Pasajero est publié, on dispose donc depuis près de 40 ans d’un texte de cadrage théorique et qui édicte les règles de composition d’un dialogue : l’ouvrage d’Espinosa y Santayana (G. Drouy, 1578). Jacqueline Ferreras rappelle à ce propos, parmi les pré-requis incontournables, que :

La ficción es, pues, de índole retórica (…). En efecto, los personajes de los diálogos no actúan, no tejen relaciones entre sí, sólo se reúnen para hablar de algo y no para hacer algo, ni trabar relación entre sí del tipo que sea. El final inacabado de varios diálogos confirma este carácter retórico de la ficción: una vez agotado el tema de la conversación, desaparecen los interlocutores.56

La deuxième partie de cette citation coïncide avec le modèle du genre dialogué mis en œuvre dans El Pasajero.En effet, à la fin de leur périple, les quatre voyageurs mettent un terme à leur échange et se séparent pour rejoindre leur destination. Suárez de Figueroa mobilise un ensemble de topiques littéraires pour permettre l’instauration de la situation d’interlocution. Le voyage, que l’on retrouve notamment chez Arce de Otálora, dans les Coloquios de Palatino y Pinciano, est le premier d’entre eux57. Le déplacement géographique n’y est qu’un pur prétexte qui vise à permettre l’échange. De la même façon, comme cela a déjà été signalé en introduction58, la pénibilité et l’ennui inhérents à ce périple sont des motifs littéraires communément employés pour justifier l’établissement de la situation d’interlocution. La curiosité suscitée par l’énigmatique personnage du Docteur constitue un autre lieu commun mis à profit par Figueroa. L’auteur joue en outre sur la pluralité des usages du motif du voyage puisque c’est ce même artifice qui va lui permettre d’introduire diverses narrations et contes tout au long du dialogue59, sans oublier que le voyage convoque aussi la peregrinatio de l’Homo Viator mais peut également signifier la progression de l’argumentation, hypothèse d’autant plus séduisante que, conformément à la tradition, le voyage est totalement dématérialisé.

 El Pasajero reprend le patron classique d’un échange sur le modèle puer / senex au sein duquel chacun des deux pôles est représenté par un binôme : Don Luis et Isidro d’une part, le Maître et le Docteur, d’autre part. L’échange proposé est clairement inégalitaire, y compris sur le plan social. Le Docteur, le Maître et Don Luis représentent chacun une branche des activités de la noblesse – le letrado, l’homme d’Église, le militaire- alors qu’Isidro est orfèvre. Il aspire à devenir noble et compte en partie sur son séjour en Italie pour atteindre son but60. L’inégalité de l’interlocution, dans El Pasajero, tient également au fait que l’ensemble des taxèmes61 placent l’un des locuteurs en position haute par rapport aux autres. Pour ce faire, Figueroa a recours encore une fois à l’ensemble des artifices et des marqueurs de place communément utilisés dans le dialogue pour établir une hiérarchie entre les locuteurs : à plusieurs reprises dans le texte, il est fait mention de son expérience de l’Italie et de ses connaissances liées à son âge. C’est également lui qui a les répliques les plus longues et à lui qu’incombe le plus souvent la tâche de lancer ou de clôturer un échange. Ce savoir encyclopédique –tiré des lectures et de l’expérience- constituait une qualité que les théoriciens de la rhétorique considéraient comme indispensable pour tout bon orateur62, ce qui tend à le conforter dans son rôle de personnage à même de déclencher un changement ou, à défaut, une prise de conscience, chez ses interlocuteurs. L’ensemble des points mentionnés permet donc de rattacher d’emblée El Pasajero à la tradition des dialogues qualifiés par Ana Vian Herrero de pédagogiques c’est-à-dire des dialogues où “la doctrina se presenta como una verdad absoluta puesta en boca del maestro”63. Don Luis et l’orfèvre ont vocation à assumer la fonction de domandatori auxquels le Docteur et le Maître vont apporter des réponses. Ce dernier a, du reste, un statut qui relève davantage de celui d’un adjuvant puisque, bien souvent, son rôle consiste à apporter son assentiment aux théories développées par le Docteur qui, faut-il le rappeler, est un letrado. Le Maître et le Docteur représentent deux branches du savoir. Il serait excessif de parler d’une opposition science théologique VS science laïque. En revanche voir dans cette relation l’expression d’une dichotomie entre savoir institutionnel et savoir issu de l’étude et de l’expérience ne nous semble nullement aventureux. En fait El Pasajero motive cette supériorité de grade mais d’un point de vue non institutionnel et fait la part belle à l’expérience, ce qui permet de rattacher l’œuvre de Figueroa à la posture idéologique adoptée par les auteurs de dialogues du XVIe siècle. Effectivement, conformément à la pratique du dialogue à la Renaissance, chaque locuteur traite des questions qui relèvent de sa spécialité. Le domaine de prédilection du Maître étant la théologie, il est la voix de l’institution religieuse ; son statut le rend donc apte à traiter des problématiques plus sérieuses telles que la question des sermons et de leur agencement (alivio IV). Le souci de cohérence entre le contenu de la conversation et la qualité des personnages, imposé par le cadrage théorique du dialogue, est pleinement respecté. Peut être est-il possible de deviner une répartition des thématiques à traiter entre les deux voix du savoir en fonction d’un critère de sérieux ou inversement de légèreté ? Mais ce sont indéniablement ses diplômes, ses lectures mais aussi son vécu qui érigent le Docteur en personnage plus approprié lorsqu’il s’agit d’aborder des thématiques comme l’amour, les Lettres ou encore la vie de courtisan puisqu’il en a fait lui-même l’expérience. Les confessions auxquelles se livre le letrado sur ses amours malheureuses en Andalousie64 lui confèrent une légitimité pour s’exprimer sur cette question. Auparavant, au cœur de l’alivio V, le letrado se voyait déjà en quelque sorte investi d’un statut peu commun de Docteur ès Amours en faisant l’aveu de sa faiblesse pour la gent féminine :

Mas dejémoslo aquí; que pretendo no declararme por su enemigo, respeto de la afición que les tengo.65

Inversement, le triste dénouement des amours du jeune militaire, Don Luis, fait de lui le personnage le plus indiqué pour s’intéresser aux enseignements distillés par le Docteur. Isidro, en revanche, qui est bénéficiaire d’une situation affective stable conférée par le mariage et qui doté d’une formation rudimentaire, élémentaire. Il se voit confiné dans son rôle de récepteur et ne jouera pas de rôle moteur dans l’échange.

La prise en compte des mérites personnels en lieu et place de la naissance et de la lignée pour justifier l’octroi d’une dignité ou d’un poste fait également partie des problématiques traitées de manière récurrente dans la littérature du XVIe siècle et plus particulièrement dans les dialogues comme l’explique Jacqueline Ferreras dans une étude consacrée à López de Vega :

La crítica y reforma de la nobleza aparece como una de las preocupaciones centrales de los Dialoguistas del siglo XVI en su reflexión sobre la sociedad: citemos a D. de Hermosilla y su Diálogo de la vida de los pajes de Palacio, a P. de Medina y su Libro de la Verdad, a A. de Torquemada y a F. de Miranda Villafañe, autores los dos de Diálogos sobre la honra como también a J. Jiménez de Urrea, a Fr. M.A. de Camos, a C. de Castillejo y a F. de Basurto entre otros.

Estos intelectuales coinciden en su deseo de ver a la nobleza reformar su conducta en un sentido acorde con las nuevas necesidades de la sociedad, es decir en un sentido ‘burgués’ según el que el individuo vale lo que valen sus obras.66

Force est de constater néanmoins, que même si le discours sur le mérite est prééminent dans El Pasajero, il n’est pas construit exclusivement sous la modalité d’un échange de questions-réponses comme c’est le cas dans la plupart des œuvres mentionnées dans la citation ci-dessus. Les différents récits et tableaux de mœurs qui fourmillent tout au long des pages de El Pasajero alimentent également cette réflexion, permettant ainsi à Figueroa d’aborder sous une modalité différente une problématique récurrente dès le siècle précédent dans le dialogue.

Dans El Pasajero, c’est le poids de la tradition du dialogue cicéronien qui est la aisément perceptible puisque :

Dans le second [c’est-à-dire dans le dialogue cicréonien en opposition avec le dialogue lucianesque], l’auteur appelle son destinataire à adopter les valeurs, qu’il cautionne explicitement, en désignant par exemple l’un des personnages comme son porte-parole67.

Affirmer que Figueroa reprend servilement une tradition littéraire serait erroné ; il serait plus pertinent de dire qu’il s’approprie cette tradition en s’en émancipant quelque peu dans la mesure où il adapte cette tradition.

Un autre apport au genre dialogué tel qu’il est mis en application par Figueroa se situe précisément dans son contenu miscellanée. On a fait remarquer, à plusieurs reprises, que les thématiques abordées dans El Pasajero ont été pour la plupart déjà amplement traitées dans des dialogues antérieurs comme ceux des frères Valdés, de Castillejo ou encore de Sabuco de Nantes. Cette liste ne prétend pas être exhaustive mais il va sans dire que les thématiques courtisane, amoureuse ou encore militaire font partie des questions amplement traitées au XVIe siècle. La forme dialoguée ne constitue pas, tant s’en faut, une spécificité de El Pasajero. En revanche, le fait de brasser différentes questions très en vogue au siècle précédent dans un seul et même ouvrage constitue une marque supplémentaire d’originalité qui tend à inscrire à nouveau le texte de Figueroa dans le sillage d’un auteur comme Arce de Otálora68, chez qui cette caractéristique apparaissait déjà en germe.

 On signalera également que, dans El Pasajero, l’adéquation entre le cadre de la conversation et le thème qui y est traité, pointée par Jacqueline Ferreras comme un élément caractéristique du genre dialogué, n’est pas respectée.

[Espinosa y Santayana] subraya la necesaria coherencia entre sí del marco conversacional (interlocutor y decorado espacio-temporal) con el tema tratado, confirmando así la supeditación de la ficción conversacional al tema tratado, del que no dice nada, dejando campo libre al autor.56

La confrontation entre un ouvrage tel que Diálogo en alabanzas de Valladolid et El Pasajero, est en ce sens très éclairante. Chez Damasio de Frías, les deux locuteurs, un habitant de Valladolid et un pèlerin qui a parcouru le monde et désireux de connaître cette ville dont on lui a tant chanté les louanges, échangent à son sujet… sur la route de Valladolid précisément. En revanche, dans El Pasajero, les thématiques sont nettement plus variées et n’entretiennent pas de relation directe avec le cadre dans lequel celles-ci sont traitées. Même si les locuteurs partent s’installer en l’Italie et que ses louanges sont chantées de manière réitérée, celle-ci n’est pas pour autant la seule question abordée, puisque les voyageurs abordent des thèmes très différents tels que l’amour et l’amitié. Enfin, Figueroa se démarque de la tradition en ne se référant pas, dans le paratexte, au choix de la forme dialoguée. Or, on le sait, les auteurs de dialogues des XVIe et XVIIe siècles s’y référaient dans le titre et/ou dans le prologue. Comparons la prose figuéroène et le titre de l’œuvre de López de Vega, Heráclito y Demócrito de nuestro siglo : diálogos morales sobre tres materias ou le célèbre passage de la Dedicatoria du Viaje de Turquía. La référence à la forme dialoguée, qui traverse les écrits des dialoguistes de l’ensemble du Siècle d’Or, figure explicitement ici :

(…) he querido pintar al bibo en este comentario a manera de diálogo a Vuestra Magestad el poder, vida, origen y costumbres de su enemigo.69

Chez Figueroa, l’allusion, et non la référence explicite, au dialogue est absente du paratexte et n’apparaît que dans l’introduction :

(…) trataron aliviar el cansancio de la ociosidad con diferentes pláticas. Y como de ordinario acontece apenas soltarse de la lengua aquello a que más incita la inclinación, pareció conveniente siguiese cualquiera la suya en las venideras conversaciones, ya fuese discurriendo, ya preguntando.28

Toutefois, l’interaction revient de façon lancinante dans ce bref extrait puisque cette praeparatio renferme de multiples mentions à l’interlocution. Les termes “pláticas” et “conversaciones”70 de même que l’expression “soltarse de la lengua” ou encore “discurriendo” et “preguntando” se voient complétés, quelques lignes plus bas, par une troisième forme gérondive “solicitando” qui dit le questionnement. L’échange et la forme dialoguée ne sont convoqués qu’une fois que le lecteur a déjà pénétré dans le domaine de la fiction, et comme on l’a dit, de façon allusive seulement.

Toujours chez Figueroa, on observe un procédé sensiblement différent dans Pusílipo où l’échange verbal est certes convoqué dès le titre à travers le terme conversación avant d’être totalement évincé, à son tour, du prologue et de la dédicace. Dans une démarche analogue dans les deux ouvrages, l’accent est mis sur l’échange verbal dans sa dimension sociale comme le laisse pressentir des références explicites au principe aristotélicien de la sociabilité de l’homme que l’on retrouve aussi bien dans El Pasajero que dans Pusílipo :

Citation n°1 : El Pasajero

Maestro. (…) ¿No es el hombre animal sociable.71?

Citation n°2 : Pusílipo

Y siendo propria, y ambiciosa calidad del hombre, el ser sociable; fue, y es antigua costumbre aquella amena soledad, el buscarse los más cercanos, para pasarla menos sola, con discretas conversaciones, a la vida humana utilísimas.72

Mais ce n’est bien évidemment pas là l’apanage de Figueroa. Ainsi la consultation de Guía y aviso de forasteros de Liñán y Verdugo laisse-t-elle entrevoir une pratique comparable dans la mesure où le dialogue reste un cadre formel qui permet l’introduction de nouvelles et la formulation de diverses mises en garde adressées aux nouveaux venus à la Cour. On pourra ajouter à cette liste, avec Jesús Gómez, des œuvres telles que Noches de invierno, ou encore Diálogos de apacible entretenimiento73. Les modalités d’introduction de la forme dialoguée mises en œuvre par Liñán y Verdugo diffèrent néanmoins de celles adoptées par Figueroa puisque les références aux échanges verbaux entre les différents locuteurs dans l’introduction de la Guía se distinguent formellement et visuellement par la présence de parenthèses qui renferment des verbes introducteurs ainsi que le nom du personnage concerné tels que “respondió don Diego” ou “replicó el Maestro”.

Par conséquent, l’on peut dire que chez Figueroa, l’inscription générique programmatique ne se fait pas depuis le hors texte mais depuis la fiction. De ce fait, ce procédé met en fiction le dialogue comme genre ce qui n’est pas sans rappeler le processus de mise en fiction de l’auteur. Bien que le dialogue semble rejeté dans le domaine fictionnel, on ne saurait pour autant nier que El Pasajero est un dialogue et en tant que tel, il a vocation à accueillir en son sein d’autres matériaux littéraires.

L’ensemble des éléments qui viennent d’être étudiés révèlent donc que El Pasajero est un dialogue qui mobilise, conformément aux canons esthétiques de l’époque, des thématiques et des formes très différentes. Si l’œuvre présente des caractéristiques qui relèvent de genres différents (prose didactique, miscellanées, dialogue), El Pasajero n’en est pas moins un dialogue sui generi. Face au cas figuéroen, l’on peut légitimement parler de “genre de travers74”, dans la mesure où la transgénéricité vient alimenter la création littéraire. Cette analyse se propose d’étudier ces différents chemins de traverse dont la résultante est le texte pasajero. Le texte figuéroen, tout en passant d’un genre à l’autre, constitue un ensemble harmonieux qui naît précisément de la combinaison de plusieurs éléments. Il semble d’autant plus indispensable d’étudier la mise en œuvre de cette technique d’écriture afin de montrer en quoi le texte figuéroen est pasajero comme nous invite à le penser le titre même de l’œuvre qui constitue, en ce sens, un véritable programme de lecture.

El Pasajero: advertencias utilísimas a la vida humana. Réflexions autour d’un titre

Avant de mener une étude plus approfondie des rapports entre emprunts, réécriture et création originale, un retour sur le titre, pour le moins, énigmatique de cet ouvrage, s’impose. Cette appellation, quelque peu ambiguë, qui fait intervenir l’article défini sous sa forme masculine suivi d’un substantif, n’est pas sans rappeler, au demeurant, celles d’un ensemble d’œuvres également publiées au Siècle d’Or et qui partagent certaines similitudes de forme ou de contenu avec l’ouvrage de Figueroa. A titre d’exemples, on citera El Scholástico, El Crotalón, El Cortesano, El Galateo español ou encore El héroe, El Discreto et El Criticón dans une liste qui ne prétend nullement à l’exhaustivité.

El Cortesano et El Galateo español se distinguent des autres œuvres citées en exemple car ce sont des adaptations ou des traductions réalisées à partir de compositions rédigées initialement en italien alors que chez Villalón ou Gracián, l’espagnol est la langue originale. La parenté idéologique entre ces œuvres, qu’elles soient italiennes ou espagnoles, n’en reste pas moins vraie. Qui plus est, compte tenu de l’influence de l’Italie dans la pensée de Figueroa, la mise en regard entre la prose figuéroène et ces ouvrages, ne peut que se révéler porteuse.

La première interprétation, couramment reprise par la critique, consiste à voir, dans ce titre, un effet d’annonce sur la position de choix dont jouit le personnage du Docteur dans l’interlocution. Il s’agit, par conséquent, d’un moyen de configurer une première grille de lecture qui vise à singulariser l’un des personnages en l’érigeant en archétype du passager. La réflexion de Michel Camprubi, selon qui, en grammaire, le système des articles repose sur une opposition entre l’article défini et l’article indéfini, tend à confirmer une telle interprétation puisque, rappelons-le, là où l’article indéfini “extrait, d’un Ensemble75 donné, un élément qui est ainsi isolé, individualisé, le recours à l’article défini nous situe “d’emblée au stade de l’unique”76. Ce premier champ interprétatif selon lequel Figueroa prétend, par l’entremise du syntagme titulaire, élever le Docteur au rang de parangon du voyageur, est très séduisant. Une rapide lecture de l’œuvre permet d’identifier de multiples éléments qui viennent corroborer cette thèse. On signalera, en premier lieu, l’aura de mystère qui flotte dès l’introduction autour du personnage du Docteur et qui suscite rapidement la curiosité de ses compagnons. D’emblée, le personnage du Docteur se définit par sa singularité, une singularité que confirme une série d’éléments. Ainsi, son expérience de l’Italie (et du voyage en général) est-elle mentionnée dès la première réplique alors que l’introduction fait état de son absence d’émotion au moment du départ et de l’absence de motivation claire à son exil. La thématique du voyage est, du reste, très subsidiaire dans l’œuvre. Les preuves les plus manifestes de la dématérialisation du voyage sont bien évidemment l’absence quasi-totale de références aux espaces traversés et le fait que les voyageurs n’atteignent jamais l’Italie qui constitue pourtant le but ultime du périple. Dans le parcours du texte, l’Italie est l’espace référé à atteindre mais le lecteur ne l’atteint jamais vraiment puisque celui-ci quitte le texte au moment où les personnages arrivent à Barcelone et s’apprêtent à embarquer. La thématique du voyage n’étant traitée que de manière tangentielle dans l’ouvrage de Figueroa, tout porte à croire que le syntagme titulaire n’entretient que des liens très ténus avec elle et il convient, sans aucun doute, de donner une signification beaucoup plus vaste au titre de l’œuvre.

De fait, un retour sur l’étymologie du substantif pasajero ouvre des champs interprétatifs nettement plus amples. En effet, Corominas met en avant la parenté sémantique entre “pasajero” et “paso” qui viennent tous deux du latin PASSUS, -ÜS. Corominas précise, au-delà de son évident sens premier de mouvement des pieds, qu’il peut être entendu comme “acción de pasar”, “lugar por donde se pasa”. C’est également ce que vient confirmer le dictionnaire Covarrubias. Dès lors, une seconde interprétation, nettement plus riche, émerge : par le syntagme titulaire, c’est l’ouvrage lui-même qui est érigé en lieu de passage. L’article défini masculin singulier “el” renvoie donc bien au livre et pas au personnage. En ce sens, il est remarquable que le terme pasajero soit presque totalement absent de l’espace textuel après son utilisation dans le syntagme titulaire. On ne le retrouve qu’en deux occasions dans le texte et ces deux occurrences sont situées dans le dernier quart de l’ouvrage. Ainsi réapparaît-il tout d’abord dans l’alivio VIII dans le dernier vers d’une composition poétique déclamée par le Maître sur laquelle se clôt le chapitre :

Lince atalaya, amor, no errante y ciega
eres reinando, y de terribles freno:
hielo y ardor engendras en un seno
donde, si éste perturba, aquél sosiega.
Lloré, sufrí; ya mi venganza llega;
ya saludable antídoto al veneno,
pues Nise amante, por desdén ajeno,
ya el Abril de su rostro turba y riega.
Las alas desplegué de mi deseo;
mansa cordera amé, volviose tigre;
ya gime blanda, cuando elijo Loto.
Amor, pues fulminaste igual Tifeo,
la nave Desengaño no peligre:
tu pasajero soy; sé mi piloto77.

Il est utilisé encore une fois dans le dernier chapitre, sous sa forme plurielle cette fois-ci, dans un contexte d’emploi assez galvaudé. Dans une diatribe contre la malhonnêteté des “abogados, escribanos y procuradores”, il est associé à l’idée de danger que symbolise communément la mer :

Con su saber aseguran los pasajeros de los peligros del mar, ocultas rocas y bajíos.78

Inversement, le verbe “pasar” traverse l’ensemble du texte plaçant dès lors celui-ci dans le domaine de l’action, du faire puisque le verbe dit l’acte dans un énoncé79. Le texte semble par conséquent doté de protagonisme ou tout au moins d’une capacité à agir. La réflexion sur ‘l’entre-deux’ va de pair avec les notions de transition et de passage qui sont, de fait, convoquées explicitement dès le titre de l’œuvre de Figueroa mais aussi par l’emploi de certaines expressions qui permettent également d’instaurer un jeu autour de la notion de passage.

Dans la réflexion qui nous occupe, une comparaison entre ce titre et celui donné à d’autres œuvres qui, comme El Pasajero, combinent la forme dialoguée et des narrations brèves ainsi que des marques d’érudition, s’avère particulièrement éclairante. Un des travaux de Jesús Gómez propose une première liste de titres composée, pour l’essentiel selon le philologue espagnol, du Viaje entretenido, de Diálogos de apacible entretenimiento, de Noches de invierno et de Guía y avisos de forasteros que llegan a la Corte. Il semble légitime d’y ajouter également la dernière œuvre connue de Figueroa, Pusílipo. Des titres de toutes ces œuvres, ne se dégage pas la même sensation énigmatique qui découle naturellement de El Pasajero. Une certaine parenté entre El Viaje entretenido et El Pasajero se dessine autour de la thématique de l’itinérance. Mais dans El Viaje, ce sont surtout des renseignements sur le contexte dans lequel se déroule l’interaction qui sont apportés, comme dans la plupart des œuvres citées, là où chez Figueroa, on le sait, le voyage n’est qu’un prétexte. Outre ces indications spatiales ou temporelles, les syntagmes titulaires soumis ci-dessus fournissent essentiellement des indications sur la forme de l’ouvrage voire sur sa vocation, qu’il s’agisse de renseignements sur le public visé ou sur la fonction de divertissement que l’on retrouve de manière explicite chez Rojas ou chez Hidalgo. Or, rien de cela ne transparaît à travers El Pasajero ; ce type d’informations ne figure que dans le sous-titre, Advertencias utilísimas a la vida humana. Par son entremise, la sensation de trouble tend à se dissiper dans la mesure où celui-ci renseigne, un tant soit peu, le lecteur sur le contenu du texte et sur sa vocation potentielle. À noter toutefois que, jusqu’ici, l’emploi, dans le syntagme titulaire, du suffixe –ero a été négligé. Pourtant, ce suffixe qui porte le sème de celui qui fait quelque chose, qui déclenche une action, a une fonction décisive dans la mesure où il inscrit le texte dans une dimension pragmatique. C’est ce que confirment les travaux de Benjamin García Hernández au sujet du suffixe latin –arius dont dérive justement le suffixe espagnol –ero :

Il n’est pas trop difficile de déduire que le suffixe –arius exprime, en principe, une relation générique (“relatif à”, “qui concerne”) à l’égard du concept de la base lexicale (labrum) aquarium “relatif à” l’eau, (forum) piscarium “relatif au” poisson, (mola) asinaria “relatif à” l’âne, etc. Ce sens primordial semble se rattacher à l’origine génitive qu’on a supposée pour le suffixe ; mais les conditions d’emploi ont très tôt poussé à son développement polysémique. Les adjectifs en –arius se sont appliqués à diverses classes de personnes et d’objets. Si le substantif d’application a une certaine valeur d’agent, comme faber “artisan, ouvrier”, l’adjectif en –arius qui spécifie son activité, par exemple ferrarius (“relatif au fer”), lors de sa substantivation, peut incorporer le signifié du mot intégré ; c’est ainsi que faber ferrarius (“ouvrier qui travaille le fer”) devient simplement ferrarius (“forgeron”). En conséquence, –arius a acquis un sens actif qui lui permet de plus en plus d’alterner avec le suffixe d’agent proprement dit –tor.80

Le potentiel d’action rattaché à ce suffixe vient donc confirmer l’hypothèse de départ, selon laquelle le substantif “pasajero”, se réfère essentiellement au texte. Il semble, de plus, indispensable, de revenir sur le verbe “pasar” dont l’utilisation massive dans l’espace textuel a déjà été signalée mais la réflexion, à ce propos, demande à être complétée. Hormis les usages communs tels que “pasar la vida”, “pasaron seis años”, le texte offre des emplois intéressants du verbe “pasar” puisque celui-ci y est employé comme un verbe synonyme de voyager aussi bien dans le discours de don Luis que dans celui du Maître, comme on peut l’observer dans les citations ci-dessous :

Citation n°1 :

Don Luis. (…) Insistido, pues, de dos desgracias, amar sin dicha y servir sin medra, traté de pasar a Nápoles, negociado antes algún sueldo; que medios suplieron servicios.81

Citation n°2 :

Maestro. (…) Señalé lo en que convenimos para el sustento de mi hermana, y yo, con algún dinero procedido del ahorro antecedente, propuse pasar a Roma, cabeza de la Iglesia, emperatriz del mundo (…).82

Il est intéressant de voir que cette utilisation du verbe “pasar” dans son acception de déplacement géographique se situe précisément dans le récit du parcours respectif de ces deux personnages. En effet, ces passages narratifs font basculer le lecteur dans le domaine du vécu fictionnel des personnages.Toutefois, si les voyageurs se rendent à Barcelone pour partir en Italie, le tronçon italien n’est jamais effectif dans l’espace textuel. Le passage d’un espace italien à un autre s’effectue via le texte et non pas via l’expérience. Or, dans l’espace textuel à proprement parler, le passage vers l’Italie s’effectue seulement par l’entremise d’une citation in extenso d’un ouvrage de cosmographie écrit par l’auteur italien Botero. Ce passage vers l’Italie ne s’effectue donc que via le discours mais là encore, celui-ci propose un jeu intéressant autour du verbe “pasar” lorsque le Maître, désireux d’en savoir plus sur sa destination s’exclame :

Maestro. Conveniente será dejaros por ahora en Milán, para que yo pueda pasar a Roma.83

 Le passage à Rome ne se matérialise qu’au niveau du discours du Docteur et le texte exploite précisément la polysémie du verbe “pasar” qui lui permet de jouer à la fois sur le plan discursif et sur le plan du déplacement. De fait, ce jeu ne se situe pas exclusivement dans l’utilisation qui est faite du verbe “pasar” mais aussi dans celle de “dejaros en Milán”. En ce sens, l’opposition entre les deux expressions “dejaros en Milán” et “pasar [yo] a Roma” est particulièrement bien exploitée. Ce jeu sur progression du discours et déplacement se prolonge dans la suite de l’intervention du Maître qui ajoute :

Estoy deseoso de verme vuelto romano; que aunque Virgilio, en su Eneida, hace tantas veces mención del Latio, de los montes, del Tibre y otras cosas, todas, después acá, por los acidentes del tiempo, habrán cobrado nueva forma y ser.83

Par cette réplique, le Maître anticipe sur son expérience italienne. De plus, l’homme d’Église insiste sur la caducité de la référence virgilienne qui, en réalité dans l’espace textuel, va être substituée par une autre référence littéraire empruntée à Botero. Ce jeu ne se limite pas au seul cas romain mais est également perceptible dans une réplique de don Luis qui souhaite, quant à lui, en apprendre davantage sur Naples et déclare :

Don Luis. Por Dios me saquéis de la mayor congoja que jamás he tenido. Tanto os detenéis en Roma, que tengo por cierto haya de faltar copia de palabras para descrebír a Nápoles. Pues en nada viene a ser inferior su distrito, si se debe dar crédito a relaciones. Todos los que dejan aquel reino ensalzan sus cosas y suspiran por volverle a ver; de donde infiero su bondad y mucha riqueza. Merezca ya oíros tratar de su disposición y partes, porque sirva de consuelo al dolor que forja en mi pecho la ausencia.84

Les connaissances dont disposent le Maître et Don Luis sont le fruit de leurs lectures. À noter toutefois que leurs références varient considérablement puisque là où le Maître évoque Virgile, le jeune soldat cite des récits de voyage. Il est intéressant de remarquer que les deux hommes justifient leur demande en insistant sur les manques éventuels de leurs sources. Le Maître justifie sa requête par l’époque de rédaction lointaine de sa source ; en revanche, don Luis semble douter de la fiabilité de ses références. De manière quelque peu anachronique, on peut donc dire que l’expérience de lecture des deux hommes demande une mise à jour. Les extraits qui viennent d’être commentés permettent donc d’apprécier encore une fois la maestria de Figueroa : en effet, ce qui est présenté comme le fruit d’une expérience, au niveau de la fiction, est en réalité une autre référence textuelle, sur le plan de la composition de l’œuvre. En ce sens, l’utilisation spécifique qui est faite du verbe “pasar” dans l’intervention du Maître permet de réaffirmer la ductilité des frontières réalité-fiction dans l’espace textuel et participe, elle-aussi, de la stratégie globale de ‘l’entre-deux’ dans laquelle s’inscrit l’œuvre. Le texte, en effet, joue ici sur la réalité de ses procédés d’écriture et revendique, par là, son statut pasajero. Une autre considération relative au sens à donner au verbe “pasar” mérite qu’on s’y arrête. Une fois de plus, les écrits de Mexía s’avèrent réellement décisifs pour la bonne appréhension du texte figuéroen dans la mesure où ce verbe apparaît déjà sous la plume de Mexía dans le Proemio y prefacio de la Silva :

(…) habiendo gastado mucha parte de mi vida en leer y pasar muchos libros, y así en varios estudios, pareciome que si desto yo había alcanzado alguna erudición o noticia de cosas (que, cierto, es todo muy poco), tenía obligación a lo comunicar y hacer participantes dello a mis naturales y vecinos, escribiendo yo alguna cosa que fuese común y pública a todos.85

Le verbe “pasar” est dès lors associé au processus de lecture dont on a déjà souligné l’importance dans la composition de l’œuvre de Figueroa, et avant lui, de Mexía. L’utilisation que fait Mexía de “pasar” est donc particulièrement éclairante dans la mesure où ce verbe dit la consultation de plusieurs sources et confirme s’il le fallait l’interprétation selon laquelle c’est bel est bien le texte figuéroen qui est pasajero. Ce n’est pas là le seul mécanisme, utilisé dans le texte, qui fasse intervenir le verbe “pasar”. On retrouve, de manière un peu plus conventionnelle certes, ce même verbe associé à des adverbes de manière ou des adverbes de lieu pour symboliser la progression du discours à travers des expressions telles que “pasar adelante” ou “pasar apriesa” par exemple :

Será forzoso pasar apriesa por todos sus términos, puesto que se podía formar crecido volumen si se hubieran de exprimir por menudo el origen de la comedia antigua, de la mediana, de la nueva (…).86

Cette utilisation, cela va sans dire, n’est pas une spécificité de Figueroa puisqu’on trouvait déjà le verbe “pasar” sous la plume de Mexía et de bien d’autres auteurs. Dans la Silva, il est surtout employé dans sa dimension concrète de déplacement au sein d’un espace, au sens géographique du terme s’entend. Toutefois, chez Mexía aussi, il est également employé sous une acception plus figurée :

Citation n°1 : Silva de varia lección (Mexía)

Ya me parece que me he detenido …quiero passar a otros propósitos.87

Citation n° 2 : Silva de varia lección (Mexía)

Y por tanto no digamos mas de ellos y passemos a otro propósito.88

Chez Mexía, dans la citation n°1 comme dans la citation n°2, cet usage spécifique du verbe pasar est assez aisément repérable. Son emploi est, dans les deux cas, rattaché à la nécessité de satisfaire les exigences de brièveté définitoires des miscellanées. Les transitions semblent moins identifiables dans El Pasajero et pourraient, par conséquent, échapper complètement à la vigilance du lecteur :

Citation n°3 : El Pasajero (Figueroa)

Hállanse (pasando a otro punto) algunos señores fáciles para creer cualquier cosa, y difíciles para remover dellos las impresiones, una vez concebidas en sus entendimientos, sean cuales fueren.89

Citation n°4 : El Pasajero (Figueroa)

Otras veces signifiqué en cuántos peligros me han puesto los ardores de mi juventud, mis ímpetus arrebatados, mi corta prudencia; y así, para referir futuras peregrinaciones es fuerza (bien que contra mi voluntad) pasar por los medios de sus desmanes y distraimientos.90

Compte tenu du caractère assez répandu de l’expression pasar adelante, il n’est pas non plus surprenant de la retrouver dans d’autres œuvres de Figueroa comme Pusílipo :

Citation n°5 : Pusílipo (Figueroa)

Silverio. A los tales coces apriesa, para que pierdan el éxtasis, y apriesa muevan las lenguas en loa de lo que han oído. Pero tendría por mejor, no comunicarles cosa; así por evitar disgustos, como por atajar sus motivos, antes sus envidiosas raterías, y groseros artificios. Mas no perdamos tiempo en esto, y pasemos adelante; pues para menoscabar jamás faltan a los malsines argumentos.91

Les expressions employées par Mexía “me parece que me he detenido (citation n°1) mais aussi “no digamos mas” (citation n°2) s’inscrivent dans une perspective analogue à celle que l’on peut observer dans Pusílipo à travers l’expression “no perdamos tiempo en esto” (citation n°5). En revanche, la confrontation du texte de Mexía et des extraits tirés de El Pasajero permet de percevoir une utilisation plus subtile de ce verbe chez Figueroa, une utilisation qui inscrit, à nouveau, la construction de cette œuvre dans le glissement. La citation n°3 est, sur ce point, particulièrement révélatrice. L’absence de relation avec ce qui vient d’être évoqué est signalée, de manière assez impromptue, dans une phrase qui vient s’insérer au sein d’une réplique assez longue et qui permet d’enchaîner vers une nouvelle thématique. La présence des parenthèses, qui figuraient déjà dans l’édition princeps, tend, de fait, à retranscrire typographiquement le caractère marginal de cet élément. La dimension discursive du verbe pasar est également perceptible dans la citation n°4 mais elle est rattachée, cette fois, à la narration des épisodes de la vie du personnage du Docteur. Ce verbe “pasar” a, de toute évidence, une fonction décisive dans l’œuvre : il est, tout d’abord, celui par lequel on passe d’un texte à un autre. Mais il doit aussi permettre au lecteur de passer d’un stade A à un stade B : du statut de lecteur à éduquer, le lecteur va passer à celui de lecteur avisé et ce, précisément grâce aux avertissements (ou “advertencias” du syntagme titulaire) formulés par le texte. En ce sens, son utilisation dans des expressions qui relèvent de l’argumentation telles que “pasaradelante” dont on dénombre plusieurs occurrences tout au long de l’espace textuel est symptomatique :

Citation n°1 : alivio III

Maestro. Pasad adelante os ruego; que aunque a Isidro y a mí tiene tan poco lisiados la Poesía, gustamos, con todo, de oír a cuánto se alargan las fuerzas de su accidente en los a quien reconoce por súbditos.92

Citation n°2 : alivio VIII

Don Luis. (…) Mas pasad adelante; que no es razón interrumpiros.93

Citation n°3 : alivio X

Maestro. (…) Mas pasad adelante; que es gustosísima la materia que tenéis entre manos, por tratar de costumbres y públicas acciones.94

Outre “Pasaradelante”, le texte figuéroen mobilise d’autres expressions comme “decamino” ou “depaso” qui vont assurer la progression de l’argumentation et qui vont tendre également à mettre en évidence le caractère aléatoire que revêt l’introduction des différents éléments dont se compose le texte figuéroen. On le voit notamment dans les citations suivantes :

Deseo desembarazarme con brevedad; por eso voy saltando velozmente, tocando aquí y allí de paso, sin detenerme como debiera en muchos requisitos.95

Bien será tocar de paso alguna cosa perteneciente al gobierno del cuerpo, individuo tan caro.96

Ofréceseme, de camino, una advertencia que proponer contra la corriente común de caballeria, que es profesar libertad de ánimo en decir su parecer.97

Ces expressions, certes galvaudées, renvoient à la brièveté inhérente aux œuvres miscellanées mais présentent, elles aussi, l’avantage de pouvoir prendre une coloration figurée qui leur permet évidemment de s’appliquer ici au discours et au cours de la parole.

Au regard de tous les éléments qui viennent d’être énoncés, il est tentant d’affirmer que ce pasajero est une allusion au texte lui-même. C’est ce que confirme le sous-titre de l’ouvrage. Le titre de l’autre œuvre de Figueroa qui se présente sous forme dialoguée, Pusílipo. Ratos de conversación en los que dura el paseo, présente quelques similarités mais sans pour autant mobiliser exactement le même système de références car ces deux œuvres répondent, à notre avis, à des objectifs bien différents. L’effort de contextualisation est plus grand même si, dans cette œuvre aussi, le dialogue et la réunion servent de pur cadre fictionnel. Lieu (locus amoenus) et contexte restent conventionnels, topiques mais l’accent n’est pas mis sur les mêmes éléments : c’est le Pusílipo, lieu où est enterré Sannazzaro, nous l’avons dit, qui est mis à l’honneur dans une œuvre qui va accorder une place nettement plus considérable aux compositions versifiées dont le nombre passe quasiment du simple au double…98., la présence du terme “ratos” dans le titre tendrait plutôt à placer Pusílipo, dès le paratexte, du côté de la littérature de divertissement que de celui du didactisme, en convoquant toute une tradition de textes qui mettent l’accent sur ce concept de divertissement99. Cette notion apparaissait du reste déjà dans El Pasajero dans l’introduction mais où elle était davantage associée au repos qu’à l’échange28. L’intuition qui consiste à voir dans le vocable pasajero une référence au texte lui-même se voit, de fait, confirmée par une résolution formulée par Don Luis à l’issue de l’exposé que le Docteur consacre à Naples. La parenté idéologique entre l’intervention du jeune soldat et le sous-titre de l’œuvre ne fait pas l’ombre d’un doute. Le lecteur constate rapidement la présence de deux occurrences du substantif “advertencias”. On y observe aussi aisément une réminiscence de l’expression “vida humana” dans l’emploi des verbes “valerse” et “proceder” ainsi que dans le recours à l’adjectif “prático” qui disent tous les trois l’activité, l’expérience. L’intervention du jeune homme est reproduite ci-après :

No dejaré de conseguir crecida utilidad de tan prudentes advertencias. Dellas me valdré en las ocasiones, procediendo más como soldado prático que nuevo.100

Au-delà de la réutilisation évidente du terme “advertencias”, un écho s’instaure entre ces deux éléments de l’ouvrage par l’entremise de l’expression “crecida utilidad”. En effet, le sème de l’utilité mobilisé dans le sous-titre par le recours à l’adjectif à la forme superlative “utilísimas” trouve son pendant dans l’énoncé prononcé par Don Luis à travers l’emploi du groupe nominal “crecida utilidad” où la disparition du suffixe à valeur superlative est contrebalancée par l’usage du participe passé employé comme adjectif “crecida”. Un commentaire s’impose quant à cet emploi du participe passé : on rappellera avec Bénaben101, que la nature intrinsèque du participe passé est précisément d’exprimer l’accompli. Or, il peut sembler à première vue, étrange que cette notion rétrospective figure ainsi au début de l’œuvre : le texte semble promettre dès son début un accroissement de savoir pratique mais le recours au participe passé semble poser cet accroissement comme déjà réalisé. Cette utilisation tient peut-être au fait que l’expérience et les connaissances que prétend transmettre le personnage du Docteur sont elles déjà acquises, de fait, par ce dernier. C’est pour cela qu’elles vont lui permettre de former ou tout au moins d’informer ses interlocuteurs. Néanmoins, une remarque s’impose à nous : malgré son statut de meneur de l’interaction, le Docteur va aussi être amené à reconsidérer certaines de ses prises de positions102. S’il reste ferme sur la question de la comedia, il finit par encourager Don Luis à réaliser son projet de s’adonner à la littérature :

Así, considerando vuestro talento, no sólo tengo por ocupación loable la de escribir tal vez, sino que me parece os corre obligación de soltar casi jamás la pluma. No por eso dejo de confirmar de nuevo convenir escusar la continuación de componer comedias, por las causas que apunté arriba, y también porque vuestro estilo excede en alteza al común scénico, que es forzoso quedar ratero cuando más se pretendiere remontar.103

En ce sens, c’est la découverte des compositions de Don Luis et par conséquent l’échange qui conduisent le Docteur à remettre en cause sa décision. Le cas du Maître, de Don Luis et d’Isidro est, bien entendu, différent dans la mesure où c’est l’expérience hors texte, à venir car non vécue encore, qui est censée déboucher sur un changement. Pour en revenir au sémantisme de crecida, ce terme, on le sait, dit l’augmentation voire la grandeur, le succès si l’on s’en réfère à son étymologie latine puisque cresco, crescĕre, dans la seconde acception qu’en propose Manuel de Valbuena dans son Diccionario universal latino-español104 signifie “Engrandecerse, ascender, subir á mas alto grado, enriquecerse, crecer en dignidad”. “Crecida”, dans l’intervention de Don Luis, entre donc en résonance avec l’adjectif “utilísimas” qui vient qualifier les recommandations incluses dans le texte. Le sémantisme riche de “crecer” rejaillit sur l’ensemble des conseils adressés à Don Luis, à Isidro et au Maître, bien que dans une moindre mesure, mais aussi et surtout au lecteur. L’agent qui va assurer cette transmission de connaissances est le Docteur certes mais il n’est pas excessif de considérer que c’est le texte dans son ensemble qui joue ce rôle. Le Gaffiot offre un éclairage intéressant sur ce point. Il y est précisé que ce verbe peut également vouloir dire “grandir en considération, en puissance” voire “devoir son élévation à quelqu’un”. Au niveau premier de l’échange ce “quelqu’un” est bien évidemment le Docteur mais au niveau méta-textuel ou peut-être devrions-nous dire intertextuel, se situe un enjeu majeur de la structuration de El Pasajero. En effet, les travaux de Jean-Marc Pelorson ont montré que la présentation de l’Italie est une reprise des écrits du Piémontais Giovanni Botero105. De ce fait, les advertencias renvoient à un savoir textuel, livresque dont El Pasajero se nourrit à l’instar de ce que l’on peut observer notamment dans El viaje entretenido106 de Rojas ou encore chez Collazos107.

Au chapitre IV, un procédé similaire est mis à profit dans une intervention prise en charge cette fois-ci par Isidro qui s’exclame :

¿Qué debo hacer sino darme infinitos parabienes de haber tenido tanta suerte, que en esta junta se tratasen avisos tan importantes a la vida política y se introdujese tan prudente institución para reglar y enderezar bien las costumbres?108

L’expression “para reglar y enderezar bien las costumbres” employée par le personnage de l’artisan trouve indéniablement un écho dans celle qui était utilisée dans l’adresse au lecteur : “reformación de costumbres”. Ces expressions entrent, de plus, en résonance avec d’autres extraits de El Pasajero qui revêtent des accents arbitristas. Le but des arbitrios était précisément et exclusivement, on le sait, d’alerter le monarque et ses conseillers sur la crise que traversait le royaume, d’où leur ton alarmiste. L’œuvre de Figueroa, quant à elle, dénonce certes les travers de la société de l’époque, mais elle n’en reste pas moins une œuvre littéraire. El Pasajero répond en cela à un objectif différent à savoir proposer un mode de vie vertueux là où les arbitristas suggèrent des solutions économiques, juridiques, politiques concrètes qui les poussent à noircir le tableau de départ pour justifier la proposition de solutions souvent radicales et parfois même un peu folles. Le texte de Figueroa est jalonné d’allusions aux saignées qu’effectuent les financiers étrangers dans les bourses nationales109 et au dépeuplement du pays. Le Maître se plaint ouvertement de cet état de fait dans l’alivio I. A la suite d’un commentaire d’Isidro sur le nombre important d’Espagnols qui vivent à l’étranger, il s’exclame :

Y aun ésa es la causa de estar España tan desierta. Tantas y tan remotas empresas como se le ofrecen la van cada día enflaqueciendo, quedándose en las ciudades solamente las mujeres. Salen todos los años muchos millares de hombres en el verdor de la edad, para no volver de ciento diez, y de ésos, casi los más, viejos y estropeados. Así viene a quedar la provincia no sólo huérfana de los mismos, sino también de los que pudieran nacer por su respeto.110

Pour sortir l’Espagne de l’impasse, certaines mesures spécifiques ou techniques sont prodiguées dans El Pasajero111 sans pour autant jouir de la même présence dont elles bénéficient chez un Liñán y Verdugo par exemple et chez bien d’autres auteurs de l’époque112. Mais chez Figueroa, au-delà de ces considérations plus techniques, une solution semble primer : renouer avec un modèle de vie plus vertueux et attribuer les postes en fonction des mérites de chacun sont, de toute évidence, des propositions qui reviennent de façon presque obsessionnelle dans l’espace textuel. Ainsi, dans les propos du Docteur introduits ci-dessous, retrouve-t-on une opposition récurrente dans le texte figuéroen entre faveur et mérite :

Doctor. No me desagrada ese conocimiento; mas, por otra parte, réplica tiene vuestra proposición. Al cómo se puede sacar a luz historia acertada sin los requisitos de arriba y sin papeles, respondo que como la sacan otros muchos: sin ellos. ¿Hállase cosa tan estéril como casi todas las de España, y, en particular, modernas? Parece andan buscando aposta para este fin los que menos saben, los menos graves y suficientes, los a quien presenta sólo el favor, no sus letras y capacidad.113

La convergence des problématiques et des perspectives entre l’œuvre de Figueroa et les mémoires des arbitristas est aisément observable. Ces écrits sont, à l’instar de bien des dialogues du XVIe siècle, fortement imprégnés d’une conscience de crise. La prégnance de cette thématique est plus particulièrement perceptible sur le plan lexical à travers l’emploi commun de termes tels que “advertencias” et “avisos” comme dans les Remedios y advertencias formulés par Lope de Deza dans la troisième partie de son Gobierno político (1618) ou antérieurement (1583) chez Luis Valle de la Cerda et ses Avisos en materia de Estado y Guerra. Or, comme on vient de le voir, on retrouve justement chez Figueroa ces mêmes vocables. Ainsi, le lecteur perçoit-il inévitablement une réminiscence du sous-titre “advertencias utilísimas a la vida humana” dans le groupe nominal “avisos tan importantes a la vida política”, “avisos” étant un synonyme du substantif “advertencias” avec lequel il apparaît en concomitance dans la définition qu’en propose Covarrubias :

ADVERTIR Del verbo Latino, advertere, ad aliquem locum vertere: volverse hazia algun lugar: transfierese al animo, quando con la consideración nos volvemos a considerar alguna cosa, y a discurrir sobre ella. Advertir a otro es avisarle para que pare mientes en alguna cosa (…) Advertencia, el aviso que se da.114

Du fait du sémantisme beaucoup plus riche dont jouissait l’adjectif “política” à l’époque, son usage entre indiscutablement en résonance avec celui de l’adjectif “humana”présent dans le sous-titre115. Il est intéressant que dans les deux cas, ce soient les personnages qui reçoivent les savoirs et qui sont consacrés dans un statut de réceptacles des connaissances, qui prononcent de tels énoncés. De plus, cette utilisation commune du terme “advertencia” est probablement intentionnelle : on le trouve à la fois dans le texte littéraire et dans le paratexte, soit au seuil de la fiction. Ainsi, El Pasajero met-il en place une sorte d’identification voire de va-et-vient entre les personnages récepteurs des enseignements exposés dans le discours pris en charge par les meneurs de l’interaction et le récepteur de l’œuvre littéraire, à savoir le lecteur.

Ce jeu – voire ce passage – est en partie assuré par la répétition de “advertencia” qui est un terme essentiel présent dans le titre et dans les dernières lignes de l’ouvrage :

Habiéndome, pues (lejos de toda presunción, sólo con intento de obedecer), tocado el apuntar las precedentes advertencias, será forzoso ponerles fin, por la presteza con que se ordena nuestra partida, pidiendo se escusen las faltas y se admitan los deseos de acertar, siquiera en alguna cosa.116

Sa prééminence est également perceptible dans sa fréquence d’utilisation. On ne dénombre certes que 20 occurrences du substantif “advertencia” mais ce n’est pas tant la quantité en elle-même qui importe ici mais plutôt la façon dont ces 20 occurrences traversent l’espace textuel. En effet, non seulement advertencia figure dans le syntagme titulaire mais il est de plus employé dans tous les chapitres. Le tableau suivant ne recense cependant que les occurrences qui font l’objet d’un commentaire dans la suite de notre raisonnement :

L’ensemble des passages recensés font intervenir le terme “advertencia” dans un sens voisin de celui qu’il a dans le titre et renvoient donc à la matière textuelle. Deux exemples méritent plus particulièrement qu’on s’y arrête car ils jouissent d’un statut particulier. Il s’agit des citations tirées des alivios VI et VII car elles concernent deux personnages qui n’interviennent pas directement dans l’interaction : l’ermite et l’aubergiste Juan. Ces deux témoignages configurent deux postures bien différentes à l’égard des conseils et mises en garde. Juan fait fi des conseils formulés par le Docteur contrairement à l’ermite qui sait tirer profit des enseignements. Mais dans le cas de l’anachorète, il ne s’agit pas de n’importe quelles recommandations puisque ces advertencias proviennent de ses lectures comme cela apparaît de manière explicite dans la phrase qui précède immédiatement le passage qui nous intéresse ici :

Tal vez entretengo algunas horas con la provechosa lección de buenos autores, leales compañeros y verdaderos amigos.117

Cet extrait constitue donc en quelque sorte une mise en abyme du processus que cherche à mettre en œuvre Figueroa en mettant à la portée de ces lecteurs des extraits d’ouvrages dont sa création littéraire se nourrit. Il y a donc un passage perpétuel entre oralité et écrit, inhérent aux œuvres dialoguées, qui est assuré notamment – nous y reviendrons – par des mises en abyme en cascade118. Cet extrait tend donc à confirmer que c’est bien le texte en lui-même qui est pasajero : pensé comme une somme d’avertissements, il remotive le sens étymologique de “advertir” (“ADVERTIR Del verbo Latino, advertere, ad aliquem locum vertere : volverse hazia algun lugar”). Il est aussi pensé comme une somme d’extraits livresques dont un lecteur averti saura bien évidemment tirer bénéfice en passant de l’un à l’autre, comme sur les pierres d’un gué.

L’acte de lecture et sa mise à contribution dans le processus de création littéraire sous-tendent la composition de l’ouvrage de Figueroa. L’influence d’autres œuvres, de lectures antérieures étant posée clairement dès le paratexte, il convient de se demander comment ces lectures configurent la structuration de El Pasajero puisqu’au-delà des questions purement génériques, la pratique généralisée de l’imitatio et de l’emprunt est un autre ressort mis en pratique par Figueroa.

Notes

  1. À titre d’exemple, on citera le débat entre partisans et détracteurs d’une parenté entre El Pasajero et El viaje entretenido Sur ce point, voir Arce Menéndez, 1983, p.561-586.
  2. Sur ce point, voir Suárez de Figueroa, EP [1617], 1988, p.60.
  3. Pour un état des lieux plus détaillé des compositions poétiques incluses dans El Pasajero, nous renvoyons le lecteur à l’annexe n°1.
  4. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p. 620.
  5. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.397.
  6. Outre les deux citations analysées dans le corps du texte, on trouve trois autres passages qui permettent d’observer ce phénomène dans les alivios III et IX (Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.105, 119 & 339).
  7. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.531.
  8. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.592.
  9. Une étude détaillée de l’ensemble de ces matériaux dépasserait largement le cadre de la réflexion menée dans le présent travail mais un resserrement autour de ce seul aspect n’est pas à exclure de nos futurs travaux de recherche. La primauté va être donnée aux rapports que la veine didactique, le dialogue et les miscellanées entretiennent avec El Pasajero car ils font partie des influences qui se manifestent le plus largement dans le texte figuéroen.
  10. Un relevé exhaustif, chapitre par chapitre, est intégré en annexe à la fin du présent travail (cf. Annexe n°7, p.349 et ss). Insérer un tel relevé dans le corps de cette étude aurait considérablement nuit à la lisibilité de notre propos.
  11. A titre d’exemple, on citera le cas de l’alivio I où un conte – celui du Génois qui a berné Isidro – vient s’intégrer au cœur des descriptions des différentes destinations italiennes. De la même façon, dans l’alivio VII, le récit du passé du Docteur accueille en son sein celui de Juan qui s’inspire amplement d’une nouvelle de Boccace. Ces exemples ne sont pas développés plus longuement ici car ils feront l’objet d’une analyse plus approfondie plus loin. Cf. infra, Première partie, chapitre 2, “De l’emprunt à la réécriture : le récit de Juan”
  12. Sur ce point, cf. infra, Troisième partie, chapitre 9, “Les enchâssements et mises en abyme : une autre manifestation de ‘l’entre-deux’
  13. Hernández Valcárcel, 2011, p.113.
  14. L’analyse avisée du professeur Arellano se poursuit comme suit : “[El] cuadro de costumbres surge cuando la estructura narrativa envolvente se quiebra, y ‘aunque a veces sea difícil distinguir entre cuadro costumbrista y narración frustrada, es lo cierto que en el cuadro de costumbres domina la fragmentación – con valor más o menos autónomo de los cuadros – y la sustitución del hilo narrativo por otros recursos formales o intencionales de unidad. Característica general del costumbrismo español del siglo XVII es la preocupación docente que se manifiesta en el enfoque satírico-moral de sus descripciones.”. Menéndez Peláez, 2005, p.772.
  15. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.368.
  16. Puerta, 1975; voir Introduction, étape 2.
  17. Suárez de Figueroa, VN [1621], 2005b, p.16.
  18. Suárez de Figueroa, VN [1621], 2005b, p.464.
  19. Pour comparaison, on observera le prologue de El Pasajero et de Pusílipo, seul espace où l’auteur puisse s’exprimer depuis son statut d’auteur. “A quien tocare parte deste contagio será forzoso desagraden las materias picantes que fuere encontrando; mas, si repara en la intención, sé cierto templará los enojos y endulzará las iras.” (“Al lector”, Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.368) “Desto hará mejor juicio quien con atención leyere” (Suárez de Figueroa, Pusil [1629], 2005a, p.10).
  20. La mise en relief en caractères gras dans la citation est nôtre. A partir de maintenant et sauf mention expresse de notre part, ce sera toujours le cas.
  21. Suárez de Figueroa, VN [1621], 2005b, p.33.
  22. Manuel Borrego Pérez expose d’ailleurs dans un travail sur l’exemplum la pertinente réflexion d’Asunción Rallo sur ce point : “Asunción Rallo ilustra perfectamente la dificultad de hallar señas de identidad genérica dentro del diálogo en su confluencia con la epístola y la miscelánea, hibridismo o permeabilidad que no impiden sin embargo la investigación de determinados resortes que determinen ‘la esencia dialéctica de cada obra’”. Borrego Pérez , 2002, p.196.
  23. La thèse de Bradbury porte plus précisément sur Varias noticias et Pusílipo. Selon lui, et c’est là un point de vue auquel nous souscrivons totalement, Varias noticias est une somme de connaissances alors que dans Pusílipo, les savoirs sont distillés de manière plus amène. Autrement dit, ces deux œuvres appartiennent au genre des miscellanées mais selon des modalités différentes.
  24. García Jurado, 2012.
  25. Suárez de Figueroa, VN [1621], 2005b, p.364 : “Divídese la Historia por Aulo Gelio en dos especies; la una llaman los Griegos Efemérides, y los Latinos Diario, que es una narración (o sea descripción) día por día de cuantos sucesos quiere explicar un autor, como hace Constancio Felice, que trata de las cosas sucedidas día por día, en todos los del año.”
  26. À l’instar d’une pratique présente dans certains ouvrages du XVIe siècle tels que le Diálogo del Capón, Eslava, en introduction, emploie le terme de dialogue pour se référer à son ouvrage mais en réalité Noches de invierno n’appartient pas au genre dialogué tel qu’il a été étudié par Jacqueline Ferreras.
  27. Ménager, 2005 et Silva Pereira, 2015.
  28. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.369.
  29. Sur ce point, on consultera avec profit la réflexion de Bradbury sur l’instabilité du concept de miscellanée. Bradbury, 2010.
  30. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.427.
  31. Tirso de Molina glose le vers 176 de l’Arte Nuevo de Lope dans Cigarrales de Toledo et écrit que : “Pues si” en lo artificial ˶, cuyo ser consiste sólo en la mudable imposición de los hombres, puede el uso mudar los trajes y oficios hasta la sustancia, y “en lo natural” se producen, por medio de los injertos, cada día diferentes frutos, ¿qué mucho que la comedia, á imitación de entrambas cosas varíe las leyes de sus antepasados e injiera industriosamente lo trágico con lo cómico, sacando una mezcla apacible de estos dos encontrados poemas, y que, participando de entrambos, introduzca ya personas graves como la una y ya jocosas y ridículas como la otra ?”, Tirso de Molina, C de T, [1621], 1996, p.228. De fait, les défenseurs de la comedia répondaient qu’elle était varia à ceux qui la taxaient de mixité comme le fait par exemple le personnage de Castalio chez Cascales : “Castalio.- Apretáisme de manera que no os puedo negar esso. En fin, son tragedias dobles, que es tanto como dezir malas tragedias”, Cascales, [1617], 2003, p.84.
  32. Lope de Vega AN, [1609], v.174-180.
  33. Suárez de Figueroa EP, [1617], 2018, p.400.
  34. Silva Pereira, 2015.
  35. Suárez de Figueroa, VN [1621], 2005b, p.14.
  36. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.411.
  37. Dans la production de Mexía, l’utilisation de sources extérieures n’est pas circonscrite à la Silva mais traverse plutôt son œuvre comme en apporte notamment la preuve son Historia imperia y cesárea ; sur cette œuvre et la mobilisation de sources antiques, cf. Chaulet, 2010.
  38. Mexía [1540], 1989, Introducción, p.59.
  39. Cette parenté n’avait pas échappé à Arce Menéndez qui l’évoque d’ailleurs dans sa thèse ; cf. Arce Menéndez, n. 36 p.580.
  40. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.567.
  41. Il convient de rappeler qu’un objectif de contrôle était sous-jacent à cette volonté de distraire le peuple. Grâce au plaisir ainsi suscité, le peuple ne se révolte pas. En distrayant le peuple, on évite précisément qu’il ne le fasse comme l’atteste la citation suivante : “Mis en série, ces textes signalent que le XVIIe siècle n’ignore pas que l’expérience théâtrale excède la fiction rhétorique (modèle #1) qui, elle, occulte les effets de propagation propres à la dimension publique de la représentation. Deux compréhensions de la communauté théâtrale se concurrencent alors au sein d’une conception similaire d’un public pluriel assemblé par ses émotions. Tandis que pour les adversaires du théâtre, le collectif créé menace l’ordre politique, les partisans y voient un ensemble harmonieux, doté d’une vertu consensuelle et créateur de valeur esthétique.” Guyot & Thouret, 2009, p.225.
  42. Alcalá Galán, 1996, p18.
  43. Suárez de Figueroa, VN [1621], 2005b, p.49 : “Los Chinos gente remotísima de nuestro hemisferio, insignes en policía, admirables en riquezas, ejemplares en documentos, cuyo gobierno en todo lo que no es religión, debría ser imitado de todos; tanto resplandecen allí las obras de caridad, tanto las operaciones del bien público; con estar envueltos en infinidad de errores en razón de sus falsos ídolos, todo se atropella, todo se postra en llegando a nombrar a Dios.”
  44. Au XVIe siècle, on le sait, les miscellanées faisaient plutôt la part belle aux éléments qui relevaient du curioso voire du fantastique.
  45. Suárez de Figueroa EP, [1617], 2018, p.395.
  46. Suárez de Figueroa EP, [1617], 2018, p.598.
  47. Alcalá Galán, 1996, p.12.
  48. Mexía, [1540], 1989, “Introduction critique”, p.77.
  49. Les différents éléments qui, selon Antonio Castro, assurent la cohésion de la Silva sont d’ailleurs tous présents chez Figueroa : la variété, la brièveté, l’enchaînement, l’interconnexion, la simplicité, le didactisme et le recours à la rhétorique. Mexía, [1540], 1989, “Introduction critique”, p.65-69.
  50. Mexía, [1540], 1989, I, 2.
  51. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.515.
  52. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.509.
  53. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.367.
  54. Mexía, [1540], 1989, p.165.
  55. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.490 et ss.
  56. Ferreras, 2011, p.82.
  57. À noter que dans sa deuxième œuvre dialoguée, Figueroa optera pour l’un des autres artifices les plus amplement utilisés pour faciliter l’instauration d’interlocution, en l’occurrence la rencontre entre amis, dont on retrouve un écho explicite dans le choix du titre donné aux différentes sections composant l’œuvre : les Juntas.
  58. Cf. supra.
  59. Selon Mª Pilar Palomo, le voyage est un cadre qui permet de juxtaposer les novelas cortas insérées. La philologue distingue deux autres catégories comme le rappelle Evangelina Rodríguez Cuadros dans l’état de la question de son étude consacrée à la novela cortesana : “marco coordinativo o coordinativo forjado por una narración extensa, en la que el usual sistema del marco + narraciones es sustituido por unas acciones insertas en una trama general. Sería el caso de Los Cigarrales de Toledo de Tirso de Molina o incluso, lejanamente, las muchas historias de las Primera Parte del Quijote. El sistema o marco sintagmático: las historias o relatos están subordinados a una trama general, es decir, que aquellos apoyan o determinan la acción que los desarrolla. Palomo cita el ejemplo de las historias de El Bandolero de Tirso. Pero sería también el caso de las colecciones de María de Zayas, Novelas ejemplares y amorosas y Desengaños de amor en las cuales los narradores usa de las historias para decirse e interpretarse en su evolución psicológico-moral.” ; Rodríguez Cuadros, 1985, p.33-35.
  60. Suárez de Figueroa ne reprendra pas la même configuration dans Pusílipo où tous les locuteurs font partie de la noblesse.
  61. Les taxèmes sont des “faits sémiotiques pertinents” qui possèdent un double statut : ils indiquent quelle est la place occupée par les différents locuteurs mais ils attribuent aussi des places provisoires puisque les locuteurs ne vont pas toujours occuper la même place au cours de l’interaction. Kerbrat-Orecchioni, 1988, p.186. Catherine Kerbrat-Orecchioni, centre la plupart de ses recherches sur la conversation non-fictionnelle ; compte tenu de cette spécificité de ses travaux il nous a fallu adapter les outils élaborés par cette linguiste à notre corpus d’étude.
  62. López Navía, 1997, p.XXXII : “El orador debe ser persona instruida en casi todos los ámbitos del saber : conocerá profundamente la filosofía, las distintas formas de practicar el gobierno, el derecho, la costumbres y la religión, la gramática y las virtudes, de las que no sólo tiene que ser transmisor sino también ejemplo.”
  63. La typologie du dialogue telle que la conçoit Ana Vian Herrero comprend deux autres modèles : les dialogues dits polémiques d’une part et les dialogues heuristiques, d’autre part. Ce qui définit la première catégorie c’est l’impossibilité d’arriver à un accord final. L’autre ensemble regroupe des ouvrages où le lecteur assiste à la construction progressive d’une vérité par l’apport des différents points de vue des locuteurs. Ana Vian Herrero précise que même si une telle classification suppose un certain confort, il n’est pas rare de trouver des dialogues dont la caractérisation ne soit pas si évidente car ils réunissent des traits propres à l’une ou l’autre des catégories établies. Vian Herrero, 2010, p.CXXXVI- CXXXVIII.
  64. Le personnage du Docteur développe cette thématique amoureuse dans l’alivio VIII ; Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.569 et ss.
  65. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.491.
  66. Ferreras, 1988, p.284.
  67. Perona, 2009 ; URL http://panurge.org/spip.php?article353 ; consulté le 20 novembre 2020
  68. En ce sens, le titre de la communication prononcée par Fabrice Quero au colloque qui s’est tenu à l’Institut Cervantes à Bordeaux (11 et 12 mai 2017) est on ne peut plus éloquent : “Savoirs miscellanés et régime dialogique dans les Coloquios de Palatino y Pinciano de Juan de Arce de Otálora.”
  69. [Anón.], V. de T., [1557], 1986, p.88-89.
  70. Il convient de rappeler avec Jacqueline Ferreras que l’on peut recenser jusqu’à 44 synonymes du terme conversación. Cf. Ferreras, 2001, p.211 : “Esta diversidad formal se refleja a través de la serie de sinónimos que responden a modalidades distintas de la conversación con sus correspondientes normas de comunicación. A modo de ejemplo, citaré algunos de los 44 sinónimos que recoge el diccionario de Casares: ‘plática’, ‘charla’, ‘comentarios’, ‘discusión’, ‘razonamiento’, ‘conferencia’, ‘consultación’, ‘visita’, ‘encuentro’, ‘entrevista’…que dan muestra de la variedad de relaciones, según domine la noción de sociabilidad acostumbrada y recíproca, sin más justificación que el placer de compartir impresiones, o la noción de intercambio/ discusión de reflexiones u opiniones, o la de consulta y transmisión de conocimientos e ideas.”.
  71. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.423 ; dans cet extrait, le Docteur semble néanmoins remettre en question la validité du précepte aristotélicien.
  72. Suárez de Figueroa, Pusil [1629], 2005a, p.14.
  73. Gómez, 1993, p.75.
  74. Moncond’huy & Scepi, 2007.
  75. Michel Camprubi orthographie systématiquement ce terme avec une majuscule dans cette partie.
  76. Camprubi, 2001, p.12.
  77. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.594.
  78. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.628.
  79. Sauvé, 1997, p.84.
  80. García Hernández, 2006, p. 223.
  81. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.406.
  82. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.452.
  83. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.380.
  84. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.383.
  85. Mexía, [1540], 1989, p.161.
  86. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.408.
  87. Mexía, [1540], 1989, p.329.
  88. Mexía, [1540], 1989, Cuarta parte, Capítulo X.
  89. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.637.
  90. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.540.
  91. Suárez de Figueroa, Pusíl, [1629], 2005a, p.153.
  92. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.435.
  93. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.577.
  94. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.629.
  95. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.429.
  96. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.602.
  97. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.612.
  98. Ayala, 1985, p.355 : “Il convient toutefois d’ajouter une remarque à ce décompte. Pusílipo alterne les instants de conversation sérieuse et les moments de détente. Ces derniers sont représentés par de nombreux poèmes qui sont l’œuvre des 4 personnages ou qu’ils répètent lorsque leur chant parvient jusqu’à eux depuis les felouques où dames et gentilshommes se délassent. Cela aboutit à un total de 1869 vers recouvrant des genres variés, où les sonnets, –qui sont les plus nombreux (58) –, voisinent avec des romances (824 vers), des octavas, liras et décimas. On ne comptera pas ici 7 strophes de Góngora citées par Rosardo dans sa louange du poète de Cordoue.”
  99. Laspéras, 1987, p.66 : “En Espagne, de la fin du XVe au milieu du Vie, le public de lecteurs espagnols fut avant tout nourri de la truculence des Facéties du Pogge et du Décaméron. A partir de la seconde moitié du XVIe, l’influence italienne qui s’étendait aux domaines commerciaux et culturels accéléra le phénomène des traductions jusque vers 1590. (…) Comme le signifient les titres des ouvrages traduits, les termes relevant de l’activité ludique qui consiste à raconter des récits plaisants ont été conservés : “entretenimiento”, “ratos”, “horas de recreación.”
  100. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.387.
  101. Bénaben, 2002, p.157 : “Avec le participe passé l’événement est entièrement achevé, accompli. Contrairement au gérondif, il est homogène. Il ne comporte aucune part d’accomplissement. Aucune perspective, aucun devenir ne s’offrent à l’action. L’action ayant pris fin, le participe passé a une valeur perfective et il sera apte à dire l’antériorité : Pasado el puente verá Ud. Una casa muy grande”.
  102. On reviendra d’ailleurs sur cette question dans la troisième partie de la présente étude. Cf. infra, Troisième partie, chapitre 9, “El Pasajero : une œuvre littéraire de ‘l’entre-deux’”, “Le passage vers de nouvelles formules littéraires”, p.239 et ss.
  103. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.443-444.
  104. Valbuena, 1822, p.199 ; URL https://books.google.fr/books?id=L6xFAQAAMAAJ ; consulté le 13 octobre 2020.
  105. Pelorson, 1980, p.356 : “Or, nous avons découvert que la majeure partie des indications de Suárez de Figueroa est empruntée … à une géographie universelle : aux Relazioni Universali du Piémontais Botero.”
  106. Malpartida Tirado, 2005, n.68 p.122-123 : “J.B Avalle Arce ha confirmado lo que Ressot intuía: la descripción de ciudades que realiza Rojas se apoya fundamentalmente en material libresco, ya que incluye pasajes casi idénticos de Libro de grandezas y cosas memorables de España (1548) de Pedro de Medina.”
  107. Une nuance demande à être apportée néanmoins : chez Rojas et chez Collazos, les descriptions qui sont faites concernent les villes dans lesquelles interagissent les locuteurs alors que chez Figueroa, l’Italie décrite n’est pas un espace traversé. Conformément à la tradition du dialogue, le lecteur assiste à un périple dématérialisé qui n’a, bien évidemment, rien de commun avec la littérature de voyage.
  108. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.470.
  109. On citera à titre d’exemple un extrait de l’alivio I qui montre que, dès les premières pages de l’ouvrage, l’évocation des commerçants étrangers donne lieu à une mise en accusation : “Los portugueses llevan conocidas ventajas a todos los hombres de negocios que residen en España; y si se cumpliese con ellos, no tiene duda sino que parecerían superfluas las inteligencias de cualesquier estraños, con utilidad, por lo menos, de que todo el dinero se quedaría en nuestra patria.” Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.378.
  110. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.389.
  111. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.426 : “Doctor. Si se alentaran los libreros españoles y se diera cumplido favor a las emprentas, en ninguna parte de Europa se hicieran impresiones de menos erratas, ni más lucidas. Así se escusaran las venidas de estranjeros, que, codiciosos sobremanera, introducen cuantos libros les piden, sean o no prohibidos; con que se seguiría también el ahorro de mucho dinero que se saca de España para jamás volver a ella.”
  112. González Ramírez, 2010b.
  113. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.413.
  114. Covarrubias, [1611], 2006, p.71.
  115. C’est particulièrement vrai dans le cas de la pensée aristotélicienne dont l’influence dans l’idéologie figuéroène (et du Siècle d’Or) a été démontrée en bien des occasions par la communauté scientifique notamment par Isabel López Bascuñana à qui l’on doit l’heureuse expression de preceptista aristotélico a la deriva. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 1988, Introducción, t.1, p.27.
  116. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.647.
  117. Suárez de Figueroa, EP, [1617], 2018, p.548.
  118. Sur l’utilisation massive des mises en abyme dans El Pasajero, cf. infra, Troisième partie, chapitre 9, “Les enchâssements et mises en abyme : une autre manifestation de ‘l’entre-deux’”, p.234 et ss.
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Pau
Chapitre de livre
EAN html : 9782353111220
ISBN html : 978-2-35311-122-0
ISBN pdf : 978-2-35311-123-7
ISSN : 2741-1818
Posté le 24/12/2020
312 p.
Code CLIL : 4027
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Licence ouverte Etalab

Comment citer

Daguerre, Blandine, « À quel genre appartient El Pasajero ? », in : Daguerre, Blandine, Passage et écriture de l’entre-deux dans El Pasajero de Cristóbal Suárez de Figueroa, Pessac, PUPPA, collection PrimaLun@ 3, 2020, 23-54 [en ligne] https://una-editions.fr/a-quel-genre-appartient-el-pasajero [consulté le 25 novembre 2020].
http://dx.doi.org/10.46608/primaluna3.9782353111220.3
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