Paru dans : Vigneau, B., Lexique du Gascon parlé dans le Bazadais. 1879,
éd. J. Boisgontier et J. B. Marquette, 1979, V-XVI.
L’ouvrage du Docteur Bernard Vigneau que nous tirons aujourd’hui d’un oubli séculaire et immérité s’inscrit dans un courant d’intérêt pour la recherche lexicographique qui s’est manifesté au siècle dernier dans tous nos pays de langue d’oc. En effet, au mépris dans lequel les “idiomes vulgaires” avaient été tenus par l’âge classique et aux projets d’anéantissement des “patois” imaginés par l’abbé Grégoire et les législateurs révolutionnaires, succèdent au XIXe siècle une curiosité et une sympathie pour les langages régionaux qu’on commence à considérer comme des éléments non négligeables du patrimoine culturel provincial, sinon national.
Ce n’est pas ici le lieu de revenir sur l’analyse des motivations des lexicographes provinciaux de l’époque romantique. La lecture de leurs préfaces nous apprend beaucoup de choses quant aux buts qu’ils poursuivaient et à l’idée qu’ils se faisaient de l’objet et de la portée de leurs recherches. Disons simplement que les préoccupations utilitaires des premiers rédacteurs de glossaires dialectaux, qui voulaient surtout travailler à enseigner le bon français à leurs compatriotes, ont par la suite fait place à un goût plus désintéressé pour la recherche linguistique pure. On rencontre aussi chez nos lexicographes le souci de sauver de l’oubli des formes langagières appelées, croyaient-ils, à disparaître ou à s’altérer rapidement, dans le cadre d’un processus d’uniformisation des mœurs et des parlers provinciaux en cours depuis la Révolution française.
Il convient de noter que ce mouvement d’intérêt pour la lexicologie, précocement amorcé en Provence et en Languedoc (où les premiers ouvrages valables sur cette matière voient le jour dès la seconde moitié du XVIIIe siècle), n’atteint que tardivement la Gascogne. Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle qu’on imprimera ici les premiers dictionnaires dialectaux, dont le meilleur est le Dictionnaire béarnais ancien et moderne, de V. Lespy et P. Raymond, publié en 18871.
Le rôle essentiel des sociétés savantes dans la promotion des recherches dialectologiques a été assez souvent mis en lumière pour qu’il soit inutile d’en refaire ici le bilan. Comme d’autres sociétés savantes méridionales, l’Académie (Royale, puis Nationale et Impériale) des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux a plusieurs fois mis au concours, depuis 1845, l’étude de l’idiome régional gascon. C’est dans le libellé de l’annonce du concours de 1854 que le vœu tendant à la réalisation d’un glossaire dialectal se précise : “Etudier les divers patois en usage dans le département de la Gironde et présenter une grammaire et un vocabulaire des principaux d’entre eux”. Par la suite le sujet est régulièrement remis au concours, comme on peut s’en assurer par l’examen des Actes de l’Académie de Bordeaux. On voit même l’érudit Reinhold Dezeimeris émettre en 1876 un vœu en faveur de “la création d’une chaire d’histoire et de langue méridionales spéciale aux pays de dialectes gascons”. En 1880, enfin, le marquis de La Grange fonde à l’Académie un prix annuel destiné à récompenser alternativement “l’auteur du meilleur livre ou mémoire sur la langue gasconne (…) et l’auteur du meilleur livre ou mémoire sur la numismatique de nos provinces méridionales”.
C’est au concours de 1879 que l’Académie reçut un manuscrit intitule :
Lexique de la langue gasconne parlée dans le Bazadais et dans les communes landaises voisines, joignant à une nomenclature exacte et aussi complète que possible des mots employés dans ces localités, la définition de ces mots, l’explication précise de leurs acceptions et de leur étymologie, mentionnant, avec exemples à l’appui, leur emploi spécial dans les idiotismes, adages, proverbes, dictons agricoles, noëls et vieilles chansons, suivi d’un Supplément renfermant les mots oubliés et contenant un grand nombre d’adages, proverbes, dictons agricoles et autres, noëls et vieilles chansons du Bazadais et des Landes, par***.
Le manuscrit est daté de Bazas, 1879. À la page 3 figure une devise destinée à identifier l’auteur à l’issue du concours : “Cade pahis qu’a sa coustume” (traduite “Chaque pays, chaque usage”).
Ce manuscrit de 438 pages de grand format (31 x 20 cm), se compose d’une préface, pp. 5-22, précédé d’une “Carte du Bazadais et des communes landaises voisines comprenant le centre du pays où le gascon de ce lexique est en usage”, et suivie, pp. 23-24, d’une lettre d’Émile Littré, datée du 4 mars 1879.
Le lexique gascon-français, sur deux colonnes, occupe les pages 25 à 330 du manuscrit. Il est suivi du Supplément, pp. 331-344.
À la suite du lexique proprement dit figurent diverses annexes :
- pp. 345-392 : Chansons bazadaises et landaises.
- pp. 395-428 : Proverbes et dictons en langue gasconne.
- pp. 431-432 : Musiques notées des chansons.
- pp. 433-435 : Table générale des diverses matières contenues dans cet ouvrage.
- pp. 437-438 : Note de la préface, page 14.
À quoi il faut ajouter 14 pages non foliotées qui ont été reliées entre les pp. 432 et 433, sur lesquelles est copié un Glossaire spécial des titres gascons contenus dans le Livre des Bouillons et le Registre de la Jurade, publiés par la Commission de publication des Archives de Bordeaux.
L’auteur de cet important travail, couronné par l’Académie en cette année 1879, était le Docteur Bernard Vigneau, médecin établi à Bazas, né à Antagnac (Lot-et-Garonne) en 1842. Son ouvrage devait vite être oublié dans les archives non classées et non inventoriées de l’Académie de Bordeaux, d’où il passa, on ne sait trop quand ni pour quelles raisons, à la Bibliothèque Municipale de cette ville, où il est actuellement conservé sous le n° 2077. Et ce n’est qu’en 1972 que l’existence de ce manuscrit devait être révélée au public par l’exposition Le Livre aquitain d’expression occitane, organisée à Bordeaux à l’occasion de l’Année Internationale du Livre.
Quant au Docteur Vigneau, qui devait bientôt quitter le pays bazadais, il ne semble pas s’être soucié par la suite du sort de son manuscrit, ni même de lexicologie gasconne. Et c’est bien dommage, car son premier travail sur le sujet était beaucoup plus que prometteur.
De la préface du Lexique, divisée en trois parties (I. L’auteur ; II. Plan de l’ouvrage ; III. Considérations sur la langue gasconne), nous citerons d’abord in extenso la première partie qui nous fournit quelques renseignements intéressants sur la personnalité de l’auteur : “Le sujet proposé par l’Académie de Bordeaux a été assez longtemps l’objet de mes méditations. Envisagé dans ses détails comme dans son ensemble, le concours pour la linguistique nous paraissait bien ardu, tant à cause du sujet en lui-même que du peu de temps donné pour traiter convenablement une matière si étendue. D’un autre côté, les fatigues d’un travail quotidien appelant l’attention de notre esprit sur des occupations bien différentes, – des enfants en bas âge tourbillonnant autour de nous pendant nos rares moments de repos, – la nécessité de notre labeur pour assurer le bien-être à la famille, – n’étaient guère des motifs favorables à l’entreprise d’un pareil lexique.
“Néanmoins, après mûre réflexion, nous avons pensé qu’en prenant quelques heures sur notre repos, ‒ un peu de temps à la famille, ‒ ni nous ni elle ne s’en ressentiront pas trop, et que, si nous ne laissons pas la fortune à nos enfants, nous devons essayer de leur léguer un nom plus ou moins connu et surtout l’ardent amour du travail. Nos descendants liront peut-être quelque part qu’un de leurs ancêtres, fils de paysan et paysan lui-même, a travaillé à faire passer à la postérité sa langue maternelle, cette langue dont la vraie origine se perd dans la nuit des temps, et ils honoreront leur aïeul et son labeur. Ce sera notre meilleure récompense.
“Nous sommes né dans le département du Lot-et-Garonne, sur les confins de la Gironde ; nous avons habité une vingtaine d’années une petite commune des Landes, près du Lot-et-Garonne et du Gers ; nous habitons depuis longtemps le Bazadais. Nous avons parlé patois une partie de notre vie ; nous avons par conséquent été à même, – aussi bien que n’importe qui, – de profiter de toutes les richesses de la langue gasconne parlée dans cette région. Nos juges décideront si nous avons su tirer un bon parti des innombrables ressources mises à notre disposition par ce grand collaborateur anonyme “Monsieur Tout le Monde.”
Ces indications correspondent bien à ce que nous savons de la biographie de Jean-Bernard Vigneau : il était né à Antagnac (Lot-et-Garonne), commune limitrophe de la Gironde, le 4 février 1842, et avait passé une partie de sa jeunesse à Arx (Landes), village d’origine de sa mère. Après avoir fait ses études de médecine à la Faculté de Montpellier, où il reçut son diplôme, le 9 novembre 1866, il vint s’établir à Bazas en 1870. En 1872 il y épousait Marie Victoire Bonfils dont le père était marchand drapier sur la place de la Cathédrale. Probablement en 1878, il quitta le Bazadais pour s’installer dans une station thermale des Pyrénées.
De la seconde partie de cette Préface, intitulée Plan de l’ouvrage, il convient de reproduire ici quelques judicieuses observations de l’auteur sur l’état du vocabulaire gascon, les problèmes qui se sont posés au lexicographe amateur et les solutions qu’il leur a apportées :
“Nous trouvons beaucoup d’archaïsmes dans la langue gasconne, et si nous considérons que l’état social change, les institutions s’en vont, d’autres viennent ; les peuples se mêlant prêtent leurs idiomes, on arrive à une véritable création d’une foule de termes et de mots nouveaux. L’usage contemporain doit nous guider ; nous devons néanmoins éviter autant que possible les néologismes que nous appellerons volontiers gasconismes récents, c’est-à-dire les mots français transcrits en gascon et qui n’ont rien à faire pour le but de cet ouvrage. Nous avons laissé de côté ces mots gascons nouveaux ; si, parfois nous en avons mis quelques-uns, c’est d’abord pour montrer la manière dont ils se créent, et ensuite parce que nous n’étions pas bien certain s’ils venaient du français ou s’ils n’avaient pas servi à le former.”
“Nomenclature des mots. ‒ C’est en essayant de dresser le catalogue des mots gascons employés dans une localité qu’on reconnaît, comme dit M. Littré, “qu’une langue vivante est un domaine flottant qu’il est impossible de limiter avec précision.” Il est impossible de changer de canton, de commune, sans trouver des différences non seulement de mots, de manière de parler, mais encore de prononciation du même mot. Nous nous sommes arrêtés à deux formes que nous avons indiquées par (B.) (= Bazas), ou (L.) (= Landes) ; on verra plus loin quelle est leur limite ; chaque fois que nous n’avons pas donné une désignation spéciale, les mots et les phrases sont bazadais. Nous avons donné les plus usuels concernant l’agriculture et toutes ses branches, certains métiers, etc, etc, tous les mots parlés et tous les mots que l’on a quelque chance de trouver dans les auteurs.
“Signification des mots et leurs diverses acceptions. Les mots gascons qui ont plusieurs significations ont en regard les mots correspondants français. D’abord le mot qui en est la traduction véritable, puis le sens dérivé. Quand le mot a des acceptions diverses très multiples, nous en donnons quelques unes, et souvent nous nous contentons de dire “mêmes acceptions qu’en français”. Il est bien entendu qu’il ne faut pas toujours prendre à la lettre notre remarque et que “mêmes acceptions…” n’est que pour “la plupart des acceptions correspondantes” du mot français. Nous choisissons toujours les acceptions les plus usuelles, et celles que nous trouvons dans les auteurs.
“Citations. Exemples tirés de divers auteurs. – Nous avons donné des phrases usuelles pour bien déterminer la manière dont les mots sont employés et le sens des mots, – et nous avons fait un grand nombre de citations. Un dictionnaire sans citations est un squelette, a dit Voltaire. Nous sommes tout à fait de son avis, que partage aussi M. Alexandre dans la préface de son Dictionnaire grec (11e édition, 2e tirage), où il s’exprime ainsi : “J’aime les exemples, et je ne conçois pas qu’on veuille les remplacer par de sèches indications de constructions ou de régimes. Je trouve qu’ils parlent plus clairement, qu’ils sont plus substantiels, plus instructifs, et qu’ils répandent même sur les articles d’un Dictionnaire un certain intérêt de lecture qu’on ne s’attendait pas à y trouver.”
“Loin d’un centre où l’on puisse se procurer des ouvrages nombreux et divers, si nécessaires pour la confection d’un dictionnaire, nous avons dû nous borner à faire des citations de quelques auteurs gascons que nous avons dans notre modeste bibliothèque de campagne2 : Goudelin (qui est languedocien), Louis Baron, Bedout, Guillaume Ader, d’Astros ; et parmi les contemporains, le curé Lafargue, J. Loubet, Jasmin, etc. Les citations sont textuelles et leur origine toujours indiquée. On remarquera que notre lexique n’est pas le dialecte exact de ces auteurs ; c’est vrai. Mais n’est-il pas certain qu’autrefois il y avait plus d’uniformité dans l’usage du gascon ? N’est-il pas probable que l’on parlait ainsi dans nos contrées ? D’ailleurs nous n’avons pas de poètes anciens dans le Bazadais, si nous en exceptons les auteurs inconnus de nos chansons de noces, de danses, etc, reproduits à la fin de cet ouvrage. Nous avons fait de nombreuses citations de ces chansons avec renvoi à la page où l’on pourra les trouver. Nous avons aussi cité beaucoup de proverbes. Le mot qui a motivé une référence scientifique ou la citation est toujours souligné.
“Définitions. Synonymes. – Nous avons été sobre de definitions ; car en fait de langue et de grammaire, des exemples mettent les choses bien plus nettement sous les yeux que ne font les raisonnements. Nous n’avons donné de définition que pour les mots qui n’ont pas de correspondants en français. Au-dessous de chaque mot patois nous avons donné ses synonymes que l’on trouve à leur place alphabétique dans le corps de ce lexique.
“Remarques. – De temps en temps nous avons eu l’occasion de faire quelques remarques relativement aux verbes, aux divers sens des mots, à des faits cites ; quelquefois aussi nous avons noté des usages qui dépeignent le paysan dans les fêtes (fête de Lubbon, vide biga), dans les foires (foire de Pele-busoc, vide busoc), dans les superstitions (vide nau), etc. – Puisque nous sommes sur le chapitre des remarques nous allons faire la suivante, pour n’avoir pas à y revenir.
“Avons-nous à nous excuser d’avoir été trop libre dans certains passages, d’avoir reproduit des chansons quelque peu légères ? Nous ne le pensons pas. La science est pure ; il faut peindre les paysans tels qu’ils sont. L’obscénité de certaines expressions ne peut être invoquée non plus comme preuve de leur inconduite ; la tradition a perpétué certaines licences qui ne faisaient point rougir nos pères, pas plus que leurs descendants. D’ailleurs en faisant une comparaison dans le même ordre d’idées, qui ne rougirait en lisant en français la traduction textuelle de certains passages de la Bible ? Les citations que nous avons faites peignent une époque déjà loin de nous et des mœurs qui disparaissent tous les jours ; elles sont la meilleure, sinon l’unique preuve, de ce que faisaient et disaient nos pères. Sans vouloir paraître un esprit très original ou chagrin, nous voulons, néanmoins, donner à entendre que, pour notre compte, nous regrettons ce franc rire de nos ancêtres, cette naîveté qui nous laisse parfois rêveur, il est vrai, – mais que nous préférons de beaucoup à l’afféterie, à la mièvrerie à la pruderie de notre époque qui cache tant de noirs pensers sous le manteau de l’hypocrisie des mœurs, – hypocrisie qui a contribué dans les nations modernes de l’Europe, – plus qu’on ne le croit, – à détruire l’énergie du caractère qui distingue les nations antiques.”
Le Docteur Vigneau ouvre ensuite la troisième partie de sa Préface (III. Considérations sur la langue gasconne en general – et sur les dialectes (ou sous-dialectes) bazadais et landais en particulier) par une assez longue dissertation sur les origines ethniques et linguistiques de l’Aquitaine. Puis il en vient à la définition du champ de ses recherches et à la délimitation de l’aire des parlers qu’il étudie :
“Le dialecte ou sous-dialecte gascon (voir pour la classification des dialectes l’ouvrage de M. Luchaire, p. 148 et suivantes3) qui nous occupe d’une manière plus spéciale a toute sa pureté : 1° pour le landais, dans la contrée plate et boisée à peu près sans interruption qui a pour limites, au levant et au sud : Barbaste, Mézin, Sos, Sainte-More, Saint-Pé-Saint-Simon (Lot-et-Garonne), Barbotan (Gers), Gabarret, Saint-Justin, Roquefort (Landes) ; à l’ouest une ligne qui partirait de Roquefort et aboutirait vers Saint-Symphorien, Balizac, Landiras (Gironde) et la Garonne ; – au nord : le bazadais proprement dit. Le landais a toute sa pureté dans presque toute l’étendue du cours du Ciron, et dans les communes voisines. Ainsi dans les communes du département des Landes, d’Arx, Lubbon, Estampon, Maillas, etc, sur la rive gauche du Ciron, le gascon est à bien peu de choses près le même que celui de Saint-Paul, Boussés, Durance, Houeillés, Fargues, Sauméjan, Pompogne, Pindères dans le département du Lot-et-Garonne, – et que celui de Lartigue, Saint-Michel, Goualade, Lerm, Bernos, Cudos, Pompéjac, etc, sur la rive droite du Ciron (Gironde). Un peu plus au sud d’Arx (canton de Gabarret), on trouve le gascon du Gabardan qui se rattache à l’Armagnac et au béarnaise ; en se dirigeant vers Captieux et plus loin on a le pur landais des Grandes Landes, et vers l’embouchure du Ciron dans la Garonne on commence à parler girondin. À l’est, vers Casteljaloux, on trouve la transition entre le gascon de notre dialecte landais et le sous-dialecte de l’Agenais.
“2° Le sous-dialecte bazadais n’est d’après nous qu’une altération du landais, et nous constatons qu’il tend complètement à disparaître par suite de ses emprunts fréquents aux pays voisins et principalement au français. Le vrai bazadais a une étendue très limitée qui ne comprend guère plus d’une quinzaine de communes au nord et au levant de Bazas, et faisant partie des cantons de Bazas, Auros et Grignols ; il pénètre un peu dans le Lot-et-Garonne vers Cocumont et Antagnac.”
L’aire approximative assignée au dialecte bazadais-landais par J.-B. Vigneau paraît assez bien délimitée. Mais il est assez hasardeux de tenter d’établir une frontière entre les deux sous-variétés landaise et bazadaise : il n’existe aucune limite tranchée, et le parler de chaque localité de ce secteur peut être considéré comme une transition entre les parlers en usage au nord et au sud du village envisagé. Les oppositions les plus marquantes sont en fait au niveau de la conservation du vocabulaire (on trouve évidemment plus de pureté linguistique, de richesse et d’archaîsme dans les parlers des cantons landais, plus de gallicismes à mesure qu’on se rapproche de la Garonne, ce que J.-B. Vigneau exprime avec quelque exagération par la formule : “il (le dialecte bazadais) tend complètement à disparaître…”). Au reste, il semble qu’on pourrait élargir du côté du nord et de l’est la zone du dialecte bazadais en y incluant la plus grande partie des cantons de Bouglon et de Casteljaloux (voire même certaines communes des cantons du Mas-d’Agenais et de Damazan), ainsi que toute la vallée de la Garonne, depuis Feugarolles, en amont de Marmande, jusqu’à Cadillac. Car ce n’est guère que sur les coteaux du Nord-Réolais et des Benauges que le langage tend à se différencier du type bazadais normal.
B. Vigneau rappelle ensuite, d’après A. Luchaire, les caractères qui individualisent le dialecte gascon au sein de l’ensemble linguistique occitan : 1° l’absence de v (remplacé par b ou u consonne), 2° la répugnance pour f (remplacée par h aspirée), 3° la répugnance pour r initial (remplacé par arr-), 4° la suppression de n (latin) entre deux voyelles, 5° la mutation de ll médial (latin) en r, 6° la mutation de li (devenant) final en t, 7° la résolution de l final en u.
L’auteur du Lexique termine son exposé par un paragraphe intitulé Les sons, c’est-à-dire une série de remarques sur certains phonèmes du gascon et leur notation graphique. Nous avons remplacé cette partie par une Note sur la prononciation et la graphie du gascon qu’on trouvera ci-après.
Notre travail de présentation de l’ouvrage du Docteur Bernard Vigneau a consisté :
1° à mettre en ordre le texte de l’auteur qui, dans le manuscrit original, se ressent un peu de la hâte avec laquelle il a dû être compose : tous les mots ont été reclassés dans l’ordre alphabétique, y compris ceux du Supplément qui a été fondu dans le corps du Dictionnaire ;
2° à normaliser l’orthographe peu systématique de l’original suivant des principes simples et cohérents ;
3° à régulariser la présentation : le genre grammatical et le régime des verbes sont toujours indiqués, ainsi que les formes de la conjugaison des verbes irréguliers (de même que celle des verbes réguliers types). L’usage des renvois dans les cas de synonymie, a été systématisé.
Nous avons en outre complété, – parfois de façon très détaillée –, les définitions fournies par l’auteur, chaque fois que celles-ci nous paraissaient insuffisantes ou peu claires. Le mérite de cette révision revient principalement à J. B. Marquette qui a pris la peine de rechercher sur le terrain des informations concernant une infinité de mots et d’usages locaux. Tous nos ajouts figurent entre crochets droits ; ils se différencient toujours nettement du texte de J.-B. Vigneau.
Quant à l’abondante iconographie qui agrémente cette publication, sa présence était absolument indispensable ici. La dialectologie est inséparable de l’ethnographie, et il est inconcevable qu’un dictionnaire dialectal ne mette sous les yeux de ses lecteurs les realia, la représentation des objets correspondant aux mots recensés par le linguiste.
Voici enfin livré au public, après un siècle d’injuste oubli, l’ouvrage du bon médecin bazadais auquel nous devons être reconnaissants d’avoir consigné pour nous tous ces mots du langage ancestral qui font revivre toute la vie populaire traditionnelle de notre terroir. Mais c’est à nos lecteurs, linguistes avertis ou simples et fidèles amis du parler gascon toujours vivant sur le sol bazadais, qu’il appartiendra de dire les mérites d’un linguiste et d’une œuvre trop longtemps ignorés. Et c’est eux qui diront si les Amis du Bazadais ont eu raison de mener à son terme, malgré les difficultés rencontrées, l’édition de ce travail et la restitution aux gens de ce pays de cette pièce de leur patrimoine culturel4.
Note sur la prononciation et la graphie du Gascon
On trouvera ci-après une brève description du système graphique employé dans le Dictionnaire, autrement dit quelques principes très simples de lecture et d’écriture du gascon. En fait, nous nous sommes borné à régulariser le système usité par J.-B. Vigneau d’une façon hésitante et peu cohérente dans son manuscrit original.
A) Voyelles
– E fermé, tonique ou protonique, a le même son que é fermé en français dans pré, pied, etc. Ainsi : ‒ de, de (préposition), mes, mois, coudene, couenne, pene, peine, boulé, vouloir, caucarré, quelque chose, qu’auré, il aurait, qu’aurés, tu aurais, qu’aurén, ils auraient.
Remarque : E porte l’accent aigu chaque fois qu’il est nécessaire de marquer la place de l’accent tonique dans le mot, comme dans les cinq derniers exemples de la liste qui précède.
– E ouvert ne se trouve en gascon qu’en position tonique. Il sonne comme en français dans père, maître, et porte toujours l’accent grave. Ainsi : ‒ bère, belle, qu’ère, il (elle) était, qu’èrem, nous étions, qu’èrets, vous étiez, betèt, veau, pensèuets, vous pensiez, pè, pied, lè, laid, lèse, laide.
– E, atone et bref à la finale, a la même valeur qu’en français méridional dans patte, il pense, etc. Exemples : ‒ pate, patte, paste, pâte, que parles, tu parles, que pague, il paie, que càntem, nous chantons, que bàlets, vous voulez, que disen, ils disent.
Remarque : Nous comparons le son de cette voyelle gasconne à celui qu’elle a en français méridional. Cette précision est nécessaire : en effet, cette voyelle ne s’efface jamais dans la prononciation, tant en gascon qu’en français du Sud-Ouest, à la différence du français du Nord où patte se prononce normalement patt, etc.
– I. en syllabe finale, peut être soit tonique, soit atone. Aussi, dans le premier cas, est-il régulièrement surmonté de l’accent circonflexe, afin d’éviter toute incertitude dans la lecture des mots. Ainsi : ‒ acî, ici, que harî, je ferais, legî, lire, etc.
Par contre on ai bref atone dans : ‒ que disi, je dis, bèrmi, ver, que legissi, je lis, que legiui, je lisais, etc.
Les autres voyelles ne donnent lieu à aucune remarque particulière. O atone n’existe pas dans notre parler; il faut aller plus à l’est, dans le Lot-et-Garonne, pour le rencontrer, et J.-B. Vigneau fait à ce sujet l’observation suivante, qui méritait d’être reproduite ici : “L’o atone dont parle M. Luchaire et qui, d’après lui, jouant le même rôle que l’e muet français, remplace les finales latines en a dans ero, elle (= illa), crabo, chèvre (= capra), peut bien exister pour certains dialectes gascons, mais nous pouvons certifier que du côté de Sos, Mézin, Nérac (Lot-et-Garonne), actuellement cet o se prononce comme o tonique, et même certains paysans le prononcent très long. C’est même ce qui différencie le plus le patois des Landes du côté d’Arx, Lubbon, etc. Le dialecte qui prononce avec l’o long ou simplement tonique est très dur à l’oreille et pénible à entendre pour les personnes qui n’y sont pas habituées. La même remarque s’applique à l’o qui se trouve dans les verbes que canto, que cantos, il chante, tu chantes, que croumpon, ils achètent…”
B) Diphtongues
Pour les diphtongues composées de voyelle + U semi-consonne, B. Vigneau hésitait entre les notations à la française aou, éou, iou, etc, et les graphies traditionnelles occitanes au, eu, iu, etc. Ce sont ces dernières que nous avons généralisées. Ainsi on lira à la gasconne :
– AU dans aulhèy, berger, ausèt, oiseau, mau, mal ;
– EU dans beu ou boueu, bœuf, eu, œuf, seu, suif, teule, tuile ;
– ÈU dans cèu, ciel, lèu, tôt, bientôt, nèu, neige ;
– IU dans biu, vif, arriu, ruisseau ;
– ÒU dans dòu, deuil, hòu, fou ;
– ÙU dans bùu, bœuf, ùu, œuf.
Les diphtongues composées de voyelles + Y semi-consonne ne posent aucun problème de lecture ou d’écriture :
– AY dans pay, père ;
– EY dans rey, roi ;
– ÈY dans que hèy, il fait ;
– OY dans broy, joli ;
– OUY dans couyre, cuivre ;
– UY dans bruyt, bruit.
C) Consonnes
U consonne ou semi-consonne a en gascon la même valeur que le w anglais : ‒ auan, avant, caue, cave, que cantèue, il chantait, iuèrn, hiver.
N, finale de syllabe, est susceptible d’avoir deux valeurs différentes en gascon :
a) elle est vélaire (c’est-à-dire qu’elle a le même son que dans les syllabes nasales telles qu’elles sont articulées en français du Sud-Ouest), à la fin de mots comme ben, bien, pan, pain, san, sain, groun, grain, bin, vin, ) un, jonc, etc. De même, dans le corps des mots, chaque fois que la syllabe suivante commence par l’une des consonnes cou g durs ou n : blanque, blanche, manca, manquer, ungle, ongle, annade, année, sanna, saigner.
b) elle est dentale (comme dans le mot français ‒ ou latin ‒ abdomen) à la fin de mots comme : gran, grand, pan, pan, dibés san, vendredi saint, ben, vent, bin, vingt, etc. Et de même, dans le corps des mots, quand la syllabe suivante commence par une consonne autre que cou g durs ou n. Ainsi : bende, vendre, enhourna, enfourner, cansoun, chanson, canta, chanter, etc.
Remarque : Cette distinction, très nettement observée dans le Bazadais central et la Lande, est moins marquée au nord et à l’est de la zone. Vers La Réole, Bouglon, Casteljaloux, les deux phonèmes tendent à se confondre en n vélaire à la finale.
– H est toujours fortement aspirée (ou plus exactement soufflée) en gascon : ‒ ha ou hèse, faire, hami, faim, hilh, fils, etc.
– LH note le son de l mouillée, articulé avec netteté en gascon et non confondu avec y comme en français. Ainsi : ‒ balha, donner, trabalh, travail, pesoulh, pou, agulhe, aiguille, agulhade, aiguillon, etc.
– R est en gascon le son produit par les battements de la langue contre les alvéoles supérieurs. Elle peut avoir deux valeurs :
a) douce lorsqu’elle est placée entre deux voyelles ou dans un groupe consonantique. Ainsi : ‒ aray, charrue, barat, fossé, sère, selle, tros, morceau, etc.
b) forte (à battements muitiples ou si l’on veut roulement prolongé) à l’initiale de mot : rey, roi, roc, rocher, etc ; ou intervocalique, quand elle est redoublée dans l’écriture : arrat, rat, barra, fermer, que barré, il vaudrait, tarroc, motte, tourra, geler, etc.
– TCH représente un son chuintant sans équivalent en français et produit par l’application de l’extrémité de la langue contre les alvéoles supérieurs d’où elle est vivement retirée. Ainsi : ‒ tchapa, dévorer, tchic, peu, tchot, hibou, tchuc, jus, etc.
– TG ou TJ notent à peu près le même phonème, mais celui-ci est rangé dans la catégorie des phonèmes sonores par les phonéticiens, alors que le précédent est sourd. Ainsi : bilatge, village, saubatge, sauvage, qu’on prononce à peu près (bilàd-ye, saoubàd-ye).
Les autres consonnes ont la même valeur qu’en français et ne feront l’objet d’aucune observation particulière.
Les photographies anciennes illustrant le lexique proviennent :
– de la collection que nous avons pu constituer grâce au concours de M. Guy Dunesme de Bergerac, Mme A. Blanchard de Baulac-Bernos, M. N … de Grignols, M. J. Lartigaut de Catus (Lot), M. J.-C. Drouin. Nous tenons à leur renouveler nos vifs remerciements.
Collection Dunesme : 1, 5, 6, 7, 9, 11, 15, 16, 18, 26, 33, 34, 35, 42, 43, 44, 45, 48, 50, 52, 54, 55, 59, 65, 77, 78, 83, 84.
Collection Blanchard : 41, 51, 74.
Collection N… : 10, 17·, 25, 53.
Collection Lartigaut : 32.
Collection personnelle : 80.
– de l’ouvrage de Félix Arnaudin, Au temps des échasses, 1928 : 22, 38, 40, 47, 57, 69, 70, 79, 88, 89.
Les objets reproduits dans le Lexique. sont conservés pour la plupart au Musée municipal de Villandraut.
D’autres nous ont été aimablement prêtés par Mmes L. Gilles, N. Clavé et M.-E. Darcos de Baulac.
Photographies Pointis de Bazas, sauf n° 63, photographie Grafoulière, Langon.
Certains des commentaires faits par le Dr B. Vigneau sur des sujets tels que la flore, la faune, la géologie avaient considérablement vieilli ; d’autres manquaient de claret – ceux à caractère technique en particulier. Aussi avons-nous procédé à des corrections et apporté des compléments qui figurent dans l’édition entre crochets [ ]. Nous nous sommes entouré pour ce travail des conseils de spécialistes et de chercheurs ainsi que de ceux de Bazadais connaissant bien la langue gasconne et les usages et traditions du pays dans les domaines les plus variés. Qu’ils en soient tous remerciés.
M. Jacques Bernard, d’Arcachon : pêche ;
Mme H. Darcos (†), M.E. Darcos, Mme L. Gilles, de Baulac-Bernos ;
M. J.-P. Gardère, de Pauillac : viticulture ;
M. P. Legigan, de Bordeaux : géologie ;
M. P. Méaule, d’Escource ;
M. H. Pariaud, de Bordeaux : botanique ;
ainsi que l’équipe du Groupe d’études et de recherches en écologie appliquée (G.E.R.E.A.) de l’Université de Botdeaux I : M. J.-Y. Boutet, C. Maizeret, A. Camby
et le Groupe de recherches bazadais sur le gascon : MM. Bibes, B. Cazauvieilh, J. Despujols., G. Dulau, C. Duclerc, H. Martin, B. Tresarieu.
Notes
- Voir sur toutes ces questions l’ouvrage de Walther Von Wartburg, Hans-Erich Keller et Robert Geujans, Bibliographie des Dictionnaires patois gallo-romans (1550-1957), 2e édition, 1969.
- On a cru bon de supprimer dans la présente édition tout ce fatras de citations d’auteurs au langage décrit par le Lexique. On a par contre maintenu toutes les citations titrées de textes de la littérature orale (chansons, proverbes, etc.), qui, à la différence des premières, présentent un intérêt linguistique et documentaire réel.
- Il s’agit de l’ouvrage d’Achille Luchaire, Les Origines linguistiques de l’Aquitaine, paru en 1877.
- Les travaux de linguistique, et les glossaires en particulier, ne sont jamais achevés. Le Dictionnaire de B. Vigneau n’est pas l’alpha et l’omega de la langue bazadaise. Il y a encore beaucoup de matière linguistique vivante à recueillir dans nos villes, nos bourgs et nos campagnes. Il serait souhaitable que Beaucoup “Amis du Bazadais” acceptent de collaborer à des enquêtes en vue de la constitution d’un fichier linguistique et ethnographique, et plus tard de la publication d’un ou plusieurs suppléments au présent dictionnaire. Un appel à ce sujet et des directives de travail seront prochainement diffusées par les Cahiers du Bazadais.