Les accompagnant au quotidien dans la gestion et les soins relatifs à leur maladie, les soignants occupent une place importante dans la vie des jeunes atteints de cancer. Depuis la fin des années 1990, de nombreuses études ont montré que la mauvaise santé de ces soignants, notamment la survenue du burnout, a un impact significatif sur la prise en charge et sur la qualité des relations entretenues avec leurs patients (Hall et al., 2016 ; Salyers et al., 2017). Pourtant, l’expérience quotidienne des soignants prenant en charge de jeunes patients atteints de cancer, leurs difficultés et besoins sont encore très peu connus. Afin d’améliorer la prise en charge des patients et de leur famille, il est important de mieux cerner le vécu quotidien de ces soignants et d’identifier les facteurs les menant ou les protégeant du burnout. Cette revue narrative de la littérature a donc pour objectif de présenter un état des lieux des recherches ayant été menées sur le burnout chez les soignants en oncologie pédiatrique. Elle apporte une vue générale sur cette thématique, soulève des problématiques négligées et encourage d’autres recherches sur ce sujet.
Le concept de burnout
Définition et mesure du burnout
Le burnout est défini le plus communément comme un syndrome tridimensionnel d’épuisement émotionnel, de dépersonnalisation et de réduction de l’accomplissement personnel consécutif à une exposition prolongée à un environnement exigeant et à un état de stress chronicisé (Maslach et Jackson, 1981). L’épuisement émotionnel se définit par une sensation de vide physique et émotionnel qui se traduit très souvent par une perte de motivation, une baisse des performances ou une difficulté croissante à rentrer en contact avec autrui. La dépersonnalisation renvoie, quant à elle, aux attitudes négatives (détachement, cynisme, négativisme, etc.) développées par le professionnel face à cet épuisement émotionnel, qui impactent de manière évidente les relations qu’il entretient au travail. La réduction d’accomplissement personnel correspond enfin à la dévalorisation de son travail et de ses compétences par le professionnel, qui n’a pas le sentiment de répondre aux attentes.
Ces trois dimensions sont évaluées par l’inventaire du burnout de Maslach (Maslach Burnout Inventory [MBI]) développé par Maslach et Jackson (1981). Outre sa simplicité d’utilisation, sa traduction dans de nombreuses langues, dont le français par Girault (1989), explique qu’il soit le questionnaire le plus utilisé pour mesurer le burnout. Le MBI est composé de vingt-deux items mesurant les trois dimensions du burnout. Neuf items sont consacrés à l’épuisement émotionnel (ex. : « Je me sens émotionnellement vidé(e) par mon travail ») et cinq items à la dépersonnalisation (ex. : « Je suis devenu(e) plus insensible aux gens depuis que j’ai ce travail »). Un score élevé à ces deux dimensions indique un niveau élevé de burnout. Huit items sont consacrés à l’accomplissement personnel (ex. : « Je m’occupe très efficacement des problèmes de mes patients »), un score élevé indiquant cette fois-ci un niveau faible de burnout. Pour qualifier les scores des dimensions, Maslach et Jackson (1981) ont établi trois catégories (« faible », « moyen » et « élevé ») sur la base de la distribution normale de 1 104 médecins et infirmières. Pour ces auteurs, l’atteinte élevée d’une des dimensions (score d’épuisement émotionnel supérieur à 27, ou de dépersonnalisation supérieure à 13, ou d’accomplissement personnel inférieur à 30) suffit pour parler de burnout. Cependant, il n’existe pas de consensus sur les critères permettant de définir les sujets considérés en burnout, ce qui entraîne une variabilité importante des scores de prévalence dans la littérature sur le burnout. La prévalence telle que définie par Maslach et Jackson (au moins une dimension élevée) et les prévalences séparées d’épuisement émotionnel élevé, de dépersonnalisation élevée et de manque d’accomplissement personnel sont les deux indices de prévalence les plus couramment rapportés dans les publications scientifiques.
Burnout et stress
La définition du burnout témoigne de la relation étroite que le burnout entretient avec le stress, ces deux notions possédant cependant des distinctions fondamentales. La première est la temporalité puisque le stress constitue une réaction adaptative de l’individu à son environnement, et n’est pas à l’origine pathologique. Le burnout est la résultante d’un stress persistant, auquel l’individu n’arrive pas à s’adapter (Cooper et al., 2001). De plus, le concept de burnout dépasse celui du stress. En ajoutant les notions de dépersonnalisation et d’accomplissement personnel à l’épuisement professionnel, le burnout ne se limite pas aux réactions de tensions ressenties par l’individu au travail, mais les inclut au sein d’aspects sociaux et autoévaluatifs (Truchot, 2004).
Si le stress et le burnout sont deux concepts différents, ils partagent néanmoins des influences théoriques communes (Truchot, 2004). En effet, actuellement la théorie transactionnelle du stress (Lazarus et Folkman, 1984) et la théorie de la conservation des ressources (Hobfoll et Freedy, 1993) sont deux théories servant fréquemment de cadre conceptuel aux recherches empiriques sur le burnout. Dans la théorie transactionnelle du stress, le stress résulte de la relation particulière entre la personne et l’environnement qui est évaluée par la personne comme éprouvant ou excédant ses ressources et mettant en danger son bien-être (Lazarus et Folkman, 1984). La perception par l’individu des exigences du travail et des ressources disponibles (contrôle perçu) façonne ainsi les stratégies (coping) qu’il va employer pour faire face à une situation problématique. Pour Cooper et al., (2001), il est important d’étudier le burnout dans le cadre théorique du modèle transactionnel du stress, car le burnout « comme les autres manifestations de tension est le produit de l’interaction entre des facteurs environnementaux (des exigences situationnelles) et les perceptions et comportements de l’individu (par exemple le coping) ».
Cependant, certains auteurs jugent le modèle transactionnel trop individualisant, et préfèrent envisager le burnout sous l’angle de la théorie de la conservation des ressources (Truchot, 2004). Dans cette théorie, les individus s’efforcent de conserver, de protéger et de construire des ressources et se sentent menacés lors de la perte potentielle ou réelle de ces ressources estimées (Hobfoll et Freedy, 1993). Le stress est une réaction à l’environnement dans lequel il y a une menace d’une perte nette de ressources, ou un manque de gain de ressource après l’investissement de ressources (Hobfoll et Freedy, 1993). Cette théorie prend davantage en compte les facteurs collectifs et les conditions objectives de l’environnement pour expliquer le stress au travail. Elle présente également une approche plus positiviste de la santé au travail, en ne se focalisant pas sur les contraintes et coûts du travail, mais en s’intéressant plutôt à la manière dont les individus exploitent leurs ressources pour améliorer ou maintenir leur bien-être.
D’autres courants de pensée et modèles peuvent être utilisés pour expliquer le burnout (Zawieja et Guarnieri, 2013). Par exemple, Bria et al., (2012) recensent six études sur le lien entre contrôle perçu du travail et burnout chez les soignants européens, et soulignent que les recherches sur le contrôle perçu au travail s’inscrivent majoritairement dans le cadre théorique du modèle exigence-contrôle de Karasek (1979). Dans ce modèle, le burnout résulterait alors par la répétition de demandes trop élevées au travail alors que le travailleur possède peu de contrôle sur celles-ci.
Le burnout chez les soignants dans le champ de la santé somatique
Manifestations et conséquences du burnout
Conçu initialement pour décrire l’épuisement des professionnels de la relation d’aide, le burnout a été très étudié auprès des soignants (aides-soignants, infirmières, médecins, etc.). Même si les manifestations cliniques des soignants en situation de burnout sont aspécifiques (fatigue chronique, irritabilité, diminution de la concentration, etc.), leurs conséquences influencent les soignants sur un plan personnel, mais aussi professionnel et sociétal (Canouï, 2003). Sur le plan personnel, le burnout a ainsi des conséquences sur la santé du soignant. Outre des manifestations physiques comme les troubles du sommeil ou les maux de tête, le burnout serait un facteur de risque d’affections telles que les maladies coronariennes (Toker et Biron, 2012). Il serait en lien avec des comorbidités psychiatriques, et parmi elles, l’addiction (abus d’alcool, de tabac ou de médicaments) semble être une problématique particulièrement importante chez les soignants atteints de burnout (Soler et al, 2008).
Le burnout engendre également des répercussions au niveau professionnel et sociétal. Il peut notamment entraîner une baisse de la qualité des soins prodigués aux patients. Dans leur revue systématique, Hall et al., (2016) ont analysé 30 études portant sur le lien entre le burnout et les erreurs médicales et ont constaté que 70 % d’entre elles démontraient une association significative entre un niveau élevé de burnout et une perception accrue d’avoir effectué des erreurs médicales. Le burnout a aussi un impact sur la qualité de la relation du soignant avec les patients. Les médecins d’Île-de-France (n=2243) ont évoqué ainsi la dégradation de la relation médecin-patient (84,4 %) comme une des principales conséquences du burnout (Galam, 2008). Enfin, même s’il est difficile d’estimer l’impact financier réel du burnout, plusieurs études ont montré un lien entre burnout et le coût des soins prodigués ou la productivité des médecins (Cebrià et al., 2003; Dewa et al., 2014).
Facteurs influençant le burnout des soignants
Trois catégories de facteurs influencent le burnout des soignants. Tout d’abord, les facteurs organisationnels ont une place prédominante dans la survenue du burnout. Dans leur revue systématique traitant des soignants européens (médecins, internes et infirmiers), Bria et al., (2012) ont notamment indiqué que la surcharge de travail était le plus fort prédicteur de l’épuisement émotionnel. Ils ont également souligné un lien entre le manque de contrôle perçu du travail et le burnout. Certaines études ont montré par ailleurs que la confrontation à la mort ou à la souffrance sont des facteurs associés au burnout (Garrosa et al., 2008; Payne, 2001; Sundin et al., 2007). D’autres facteurs comme les conflits de rôles, les conflits de valeurs ou les conflits travail/famille constituent aussi des déterminants organisationnels du burnout (Bria et al., 2012).
Le quotidien des soignants étant marqué par ses interactions avec son environnement, les facteurs interindividuels jouent également un rôle dans l’émergence du burnout. Un faible soutien social semble être ainsi un prédicteur du burnout et est présent à trois niveaux : le soutien social de la part des pairs, le soutien social de la part des supérieurs hiérarchiques et le soutien social familial ou amical (Adriaenssens et al., 2015; Bria et al., 2012). Les conflits interpersonnels et une faible qualité de la communication au sein de l’équipe soignante ont une influence sur le burnout des soignants (Embriaco et al., 2007; García-Izquierdo et Ríos-Rísquez, 2012).
De nombreux auteurs se sont intéressés à l’influence des facteurs intra-individuels sur la survenue du burnout. Tandis que, dans leur revue systématique, Bria et al., (2012) ont rapporté une hétérogénéité des résultats concernant le lien entre les caractéristiques sociodémographiques (genre, âge ou statut marital) et le burnout des soignants, des études mettent en lumière une association entre la personnalité et le burnout. Ainsi, le facteur de personnalité le plus fréquemment associé au burnout dans la population soignante est le névrosisme qui se définit par une disposition aux émotions négatives (Bühler et Land, 2003; Imo, 2017). Au contraire, Garrosa et al., (2011) ont montré que les infirmiers rapportant une plus grande disposition à l’optimisme (tendance à avoir des attentes positives face à l’avenir) ont un plus faible score d’épuisement émotionnel. Cette disposition à l’optimisme modère également l’effet du stress sur le burnout. Selon ces auteurs, ce résultat peut être expliqué par le fait que les personnes optimistes entrevoient des perspectives plus positives lors de situations stressantes.
Enfin, certains auteurs se sont intéressés aux liens entre le burnout et les stratégies de coping, c’est-à-dire « l’ensemble des efforts cognitifs et comportementaux, constamment changeants, (déployés) pour gérer des exigences spécifiques internes et/ou externes qui sont évaluées (par la personne) comme consommant ou excédant ses ressources » (Lazarus et Folkman, 1984). Il a été ainsi montré que le burnout est associé principalement à l’utilisation de stratégies de coping centrées sur les émotions, tandis que le coping actif ou centré sur le problème aurait un rôle protecteur (Leiter, 1991; Sharma et al., 2008; Shimizutani et al., 2008).
Une problématique majeure chez les soignants
Il est difficile de quantifier avec exactitude l’ampleur du burnout chez les soignants, la littérature rapportant une grande variabilité de sa prévalence (Karuna et al., 2022; Rotenstein et al., 2018 ; Van Mol et al., 2015). L’utilisation non homogène des outils de mesure et des critères pour définir le burnout explique en grande partie cette variabilité (Karuna et al., 2022; Van Mol et al., 2015). Dans une revue systématique regroupant 30 études traitant de la prévalence du burnout chez les soignants en soins intensifs de diverses nationalités, Van Mol et al., (2015) ont par exemple rapporté une prévalence de burnout variant de 14 % à 70,1 %.
Une certitude est que le burnout est une problématique répandue dans la population soignante, nécessitant une attention particulière et l’implémentation d’initiatives pour améliorer leur santé (Bria et al., 2012; Kansoun et al., 2019; Rotenstein et al., 2018). Sur les 53 études européennes incluses dans leur revue systématique, Bria et al., (2012) estimaient par exemple à environ un tiers le nombre de soignants présentant un niveau de burnout élevé. Kansoun et al., (2019) rapportaient quant à eux une prévalence de burnout, définie par la présence d’au moins une dimension élevée, de 49 % chez les médecins français. Confrontés fréquemment à la mort, à l’urgence ou aux dilemmes éthiques, il semble que le burnout concerne davantage les soignants travaillant aux urgences, en soins intensifs et en oncologie (Bria et al., 2012 ; Kansoun et al., 2019 ; Vargas et al., 2014). Cependant, la grande majorité des publications scientifiques sur le burnout en oncologie concernent les services adultes, et la littérature en oncologie pédiatrique reste extrêmement limitée (Bowden et al., 2015; Mukherjee et al., 2009; Roth et al., 2011). Or, Mukherjee et al., (2009) notent que la généralisation des recherches en oncologie aux soignants des services d’oncologie pédiatriques est questionnable. En effet, la prise en charge des enfants atteints de cancer requiert des connaissances et des compétences différentes de celle de l’adulte.
Le burnout en oncologie pédiatrique
Spécificités du travail en oncologie pédiatrique
D’une part, le travail auprès d’enfants et d’adolescents présente des spécificités. Il implique notamment une place prédominante de la famille dans le processus de soin (Granek et al., 2015). Contrairement aux patients adultes qui peuvent être autonomes, les enfants ou adolescents ont toujours besoin d’un parent ou d’un aidant pour les accompagner à l’hôpital ou aux multiples rendez-vous médicaux.
De plus, des questions juridiques, éthiques et morales spécifiques peuvent se poser dans la prise en charge d’enfants malades, notamment à propos des décisions médicales. En effet, il est nécessaire de prendre en compte et de s’adapter au niveau développemental de chaque individu. Freyer (2004) a indiqué ainsi qu’un consensus existe pour donner l’autorité décisionnelle à un adolescent en phase terminale jugé mature cognitivement et émotionnellement, alors que légalement il ne possède pas cette autorité. Cette question de l’autorité décisionnelle peut créer des dissonances entre les patients ou leur famille et les soignants, mais aussi entre les soignants eux-mêmes. AlicePrentice et al., (2016) ont rapporté par exemple que la perception de soins n’étant pas dans l’intérêt de l’enfant est un facteur de stress fréquents chez les soignants travaillant dans le milieu pédiatrique. Ainsi, se plier à la volonté d’une famille qui souhaite continuer les soins malgré les réticences du corps médical peut être très éprouvant pour ces soignants.
Par ailleurs, le décès d’un enfant est un événement bouleversant pour les soignants (Bowden et al., 2015; Emery, 1997; Fanos, 2007; D. Papadatou, 1997). Papadatou (1997) a évoqué ainsi que le décès d’un enfant, généralement survenu après le déploiement d’efforts considérables, peut être vécu comme un « triple échec ». Le premier renvoie au sentiment de ne pas avoir eu les compétences nécessaires pour sauver une vie, le deuxième à la mise en échec du rôle social de protection des enfants que l’on attribue aux adultes, et le troisième à la trahison de la confiance que les parents avaient placé en eux.
Enfin, les soins des enfants en phase terminale soulèvent également des questions éthiques bien spécifiques aux soignants. En effet, Morgan (2009) a indiqué que l’initiation des soins palliatifs est beaucoup moins claire pour les enfants que pour les adultes. Beaucoup d’enfants continuent les soins curatifs alors que leur dégradation clinique est importante et que le décès est une forte probabilité. Les soignants ne savent donc pas toujours comment s’adapter au dilemme entre les soins curatifs ou les soins palliatifs.
D’autre part, les types de cancer diffèrent chez l’enfant par rapport à l’adulte (Therrien et al., 2013). Les cancers pédiatriques ont ainsi une latence beaucoup plus courte que les cancers des adultes, et sont souvent agressifs, infiltrants et métastatiques. De plus, l’aspécificité des premiers signes cliniques et le faible index de suspicion du cancer chez l’enfant retardent souvent le diagnostic. La nécessité d’être réactif à des cancers agressifs, tout en limitant les effets à long terme dommageables pour la vie future de l’enfant, entraîne la mise en place de protocoles thérapeutiques complexes et intensifs.
Ces éléments façonnent l’exercice professionnel des soignants, la confrontation à la souffrance et la violence causée par ces thérapeutiques intenses impactant leur vécu quotidien.
Prévalence du burnout chez les soignants en oncologie pédiatrique
Dans une méta-analyse regroupant six études sur le burnout des infirmiers en oncologie pédiatrique, De La Fuente-Solana et al., (2020) ont rapporté des niveaux d’épuisement émotionnel élevé, de dépersonnalisation élevée et de manque d’accomplissement personnel respectivement de 37 %, 16 % et 27 %. En comparaison, HaGani et al., (2022) ont montré dans leur méta-analyse sur les infirmiers en oncologie adulte des niveaux à ces dimensions de 32 %, 21 % et 26 %.
Roth et al., (2011) ont étudié la prévalence du burnout chez 410 pédiatres oncologues américains et ont montré que 28 % présentent un niveau d’épuisement émotionnel élevé, 7 % un niveau fort de dépersonnalisation et 16 % un niveau faible d’accomplissement personnel. Zanatta et Lucca (2015) ont rapporté quant à eux chez 36 oncologues pédiatriques brésiliens des niveaux respectifs à ces dimensions de 25 %, 25 % et 28 %. À titre de comparaison, dans leur méta-analyse, HaGani et al., (2022) rapportent chez les oncologues adultes des niveaux d’épuisement émotionnel élevé, de dépersonnalisation élevée et de manque d’accomplissement personnel de 32 %, 26 % et 25 %.
Interrogeant également 91 aides-soignants brésiliens en oncohématologie pédiatrique, Zanatta et Lucca (2015) ont retrouvé des prévalences d’épuisement émotionnel élevé de 21 %, de dépersonnalisation élevée de 20 % et de manque d’accomplissement personnel de 26 %. Récemment, réalisant une étude auprès de 481 soignants américains en oncohématologie pédiatrique, Dunn et al., (2021) ont constaté que 34 % des médecins, 33.2 % des infirmiers en soins continus et 20.4 % des infirmiers en soins ambulatoires avaient au moins une des dimensions du burnout élevées, sans donner de précisions sur les prévalences à chaque dimension.
Bien que le nombre d’études interrogeant la prévalence du burnout en oncologie pédiatrique soit trop faible pour en avoir une estimation précise, elle ne semble pas plus importante que dans les services d’oncologie adulte. Les quelques études réalisées ont montré tout de même des niveaux inquiétants de burnout, ce qui justifie d’une part d’approfondir les recherches évaluant sa prévalence, et d’autre part d’identifier ses causes afin de mettre en place des initiatives de santé adaptées améliorant la santé des soignants, et indirectement de leurs patients.
Facteurs associés au stress et au burnout en oncologie pédiatrique
Facteurs organisationnels
Roth et al., (2011) ont montré que les pédiatres oncologues ayant plus de 80 % de leur temps dédié aux soins cliniques, ainsi que ceux passant plus de 12 semaines à gérer un service d’hospitalisation, ont des niveaux de burnout plus élevés. Par ailleurs, ils ont montré que les pédiatres oncologues rapportant moins de contrôle sur leur nombre d’heures de travail présentent des niveaux plus élevés de burnout. Un autre résultat intéressant réside dans l’association entre l’absence de service dédié aux personnes atteintes de burnout et un niveau plus élevé de burnout. Enfin, Roth et al., (2011) ont observé un lien négatif entre la satisfaction de la vie privée et le niveau de burnout. Dunn et al., (2021) ont constaté une association de la frustration au travail, des exigences temporelles, de l’effort au travail et de l’implication dans un événement imprévu lié à la sécurité des patients avec le burnout. Liakopoulou et al., (2008) ont par ailleurs mis en évidence une association positive du manque de clarté des rôles avec l’épuisement émotionnel, et une association négative avec l’accomplissement personnel. Concernant les caractéristiques sociodémographiques, le résultat le plus consistant réside dans l’association entre l’expérience professionnelle et le burnout, les soignants en oncologie pédiatrique moins expérimentés étant plus à risque de burnout (Gallagher et Gormley, 2009; Liakopoulou et al., 2008; Roth et al., 2011).
Dans un milieu hospitalier marqué par une pression constante exercée sur les soignants, ces facteurs organisationnels (surcharge de travail, manque de contrôle perçu, manque de clarté de rôle, etc.) semblent être des problématiques communes au sein des différents services hospitaliers, notamment en oncologie adulte (Bria et al., 2012 ; Yates et Samuel, 2019).
Confrontation à la souffrance et à la mort de jeunes patients
La souffrance et la mort de patients sont des facteurs de stress très communément retrouvés dans la littérature en oncologie pédiatrique (Bowden et al., 2015; Emery, 1993; Fanos, 2007; Danai Papadatou et al., 2002). Dans une étude auprès de 107 soignants australiens travaillant en service d’oncologie pédiatrique, Bowden et al., (2015) ont constaté ainsi que six des dix facteurs de stress les plus rapportés par les soignants concernaient l’enfant et sa maladie (par exemple, regarder la santé d’un enfant se dégrader).
Certaines étapes du processus de la maladie semblent être particulièrement stressantes pour les soignants. Après avoir mené des entretiens auprès de 21 infirmières en service d’oncologie/hématologie pédiatrique, Citak et al., (2013) ont évoqué ainsi que l’annonce d’un pronostic négatif est un moment particulièrement difficile à gérer. La rechute ou la mort d’un patient sont également des évènements bouleversants pour les soignants (Bond, 1994; Bowden et al., 2015; Emery, 1993; Fanos, 2007). Emery (1993) s’est intéressée aux sources de stress perçues par 155 infirmières américaines travaillant en oncologie pédiatrique et a constaté ainsi que les items évoquant les préoccupations liées à la mort et à la fin de vie sont les plus rapportés par les soignants. L’item le plus cité était notamment « mes sentiments quand mon patient préféré rechute ou meurt soudainement ».
Certaines études ont évoqué l’épuisement engendré par la confrontation à la mort et à la souffrance d’enfants. Granek et al., (2015) se sont intéressés aux réactions de deuil et à l’impact de la mort d’enfants chez 21 pédiatres oncologues canadiens. Certains médecins décrivaient ainsi un sentiment d’épuisement et une sensation d’être vidé en réponse à la mort de leurs patients. Kaplan (2000) a réalisé des entretiens auprès de 15 infirmières travaillant avec des enfants en phase terminale. Celles-ci expérimentaient une forme de « tension émotionnelle » qui résultait d’une lutte intérieure pour équilibrer les émotions intenses émergeant du travail auprès d’enfants mourants et le besoin d’être compétentes dans les soins. Ces études suggèrent donc que la confrontation à la souffrance et aux deuils répétés pourrait être un facteur influençant le burnout.
Les difficultés relationnelles
Dans une étude qualitative réalisée auprès de 27 soignants travaillant en oncologie pédiatrique, Klassen et al., (2012) ont relevé que les soignants trouvent difficile de travailler avec des familles « complexes », des parents exigeants, impolis ou en colère, ou encore des parents qui ont des opinions divergentes sur les traitements et soins palliatifs. Ce dernier élément souligne le stress engendré par les dilemmes moraux et éthiques que peuvent se poser les soignants, à propos des choix thérapeutiques ou de la fin de vie des patients notamment. Emery (1993) a mis en évidence l’importance de ces questionnements chez les soignants, en montrant que ces dilemmes moraux et éthiques sont la deuxième catégorie de stress la plus rapportée par les infirmières travaillant en oncologie pédiatrique. Klassen et al., (2012) évoquaient par ailleurs, comme Emery (1993) ou Bowden et al., (2015), la difficulté pour les soignants d’annoncer de mauvaises nouvelles aux parents.
Concernant les relations avec l’équipe de soin, Pye (2013) a exploré la question de la détresse morale1 chez les soignants en oncologie pédiatrique, en interrogeant huit soignants (médecins et infirmières) anglais. Il a relevé ainsi qu’une communication et dynamique d’équipe pauvre est un des facteurs de détresse morale les plus évoqués par ces soignants. Ces difficultés concernent notamment la dynamique relationnelle entre les infirmières et les médecins. Les infirmières de cette étude évoquaient ainsi leur frustration de ne pas être impliquées totalement dans le processus de soins, ce que reconnaissaient les médecins (Pye, 2013). Ce sentiment de ne pas avoir d’incidence sur les décisions médicales peut provoquer du stress chez les infirmières et renforcer leurs dilemmes moraux. Emery (1993) a rapporté ainsi que les espoirs irréalistes donnés par le médecin aux parents sont un facteur de stress important chez les infirmières en oncologie pédiatrique.
Les difficultés de communication avec les patients, les familles et l’équipe de soin peuvent conduire les soignants à un sentiment d’incompétence, d’épuisement et des difficultés à faire face (Citak et al, 2013).
Les récompenses perçues
Bien que le milieu de l’oncologie pédiatrique soit particulièrement stressant, Bowden et al., (2015) ont montré qu’il apportait également des gratifications pour les soignants. Ils ont évalué ainsi les récompenses non financières perçues par 107 soignants australiens travaillant en oncologie pédiatrique. Les récompenses les plus rapportées par les soignants étaient liées à la relation avec l’enfant malade (par exemple, « voir un enfant aller mieux » ou « être capable d’amener un enfant à interagir avec soi »). Cette étude suggère que les sources de stress et les récompenses ne sont pas mutuellement exclusives puisque la relation avec l’enfant est un des aspects les plus stressants du travail des soignants en oncologie pédiatrique, mais aussi un des aspects les plus valorisants. Klassen et al., (2012) indiquaient également que les soignants interrogés ont trouvé gratifiant d’établir des relations étroites et pérennes avec les parents, et d’aider les familles à traverser toutes les étapes de la maladie, y compris les soins palliatifs. Il semble donc tout à fait intéressant de prendre en compte les récompenses, en complément des aspects stressants, dans l’étude du burnout des soignants.
Soutien social et stratégies de coping
Le soutien des collègues de travail semble être peu sollicité par les médecins en oncologie pédiatrique. Dans une étude qualitative réalisée auprès de 21 pédiatres oncologues canadiens, Granek et al., (2015) ont constaté par exemple que certains médecins reconnaissaient avoir vécu des « émotions fortes » à la suite de décès de jeunes patients, mais qu’ils n’étaient pas à l’aise pour discuter de ces sentiments avec leurs collègues. Le constat est identique pour Fanos (2007) lors de ces entretiens auprès de 30 pédiatres oncologues américains. Plusieurs médecins pensaient notamment que montrer ses émotions aux patients ou collègues risquait de les faire paraître non professionnels et faibles.
Fanos (2007) a souligné par ailleurs l’importance du soutien social des proches chez les pédiatres oncologues. Ainsi, parmi les répondants mariés, 72 % ont cité leur conjoint comme source majeure de soutien émotionnel. Par ailleurs, plusieurs pédiatres interrogés évoquaient l’importance des passe-temps et de l’exercice physique pour leur équilibre quotidien. Enfin, certains pédiatres oncologues trouvaient utile de se concentrer sur les jeunes patients en rémission pour rétablir un équilibre encourageant au travail. Ils appréciaient particulièrement les visites des patients étant en rémission depuis plusieurs années.
L’utilisation de stratégies centrées sur l’émotion pour faire face aux situations stressantes semblent être associées à des niveaux plus élevés de burnout chez les soignants en oncologie pédiatrique. Liakopoulou et al., (2008) ont analysé le lien entre burnout et stratégies de coping, avec un autoquestionnaire mesurant deux types de coping, le coping pratique et les pensées irréalistes. Ces auteurs montrent que l’épuisement émotionnel est corrélé positivement à l’utilisation de pensées irréalistes. Lors d’entretiens auprès de 30 soignants grecs travaillant en oncologie pédiatrique, Papadatou et al., (2002) ont rapporté que certains soignants décrivant des symptômes élevés de burnout utilisaient des stratégies d’évitement pour se protéger de la souffrance causée par la mort d’un enfant.
Limites des études sur le burnout en oncologie pédiatrique
Une littérature quantitativement et qualitativement limitée
La littérature dédiée au burnout chez les soignants en oncologie pédiatrique reste actuellement quantitativement et qualitativement limitée. Outre le faible nombre d’études, la généralisation des résultats relatifs au burnout en pédiatrie est également freinée par la petite taille des échantillons, le faible taux de réponse et le nombre limité de lieux d’études (les études étant souvent monocentriques). Dans une revue de littérature comprenant dix études sur le burnout et le stress en oncologie pédiatrique effectuée par Mukherjee et al., (2009), la majorité des échantillons était composée de moins de 100 individus, avec un taux de réponse (proportion de personnes ayant répondu à l’enquête par rapport au nombre total de protocoles envoyés), généralement inférieur à 70 %. Depuis que cette revue a été réalisée, les quelques recherches publiées sur le burnout en oncologie pédiatrique souffrent également d’un faible taux de réponse ou d’un faible échantillon (Mukherjee et al., 2014). L’étude de Roth et al., (2011) a inclus par exemple un nombre important de pédiatres oncologues (N=410), mais avec un taux de réponse faible (TR=40 %). Au contraire, l’étude de Liakopoulou et al., (2008) a un taux de réponse élevé (TR=89 %), mais un faible échantillon de professionnels grecs travaillant en oncologie pédiatrique (N=58). Le faible taux de réponse pourrait être particulièrement problématique pour estimer la prévalence du burnout et minimiser son importance. Papadatou (1997) montrant notamment que beaucoup de soignants ne prenaient pas part à l’étude, car ils se sentaient submergés et incapables de partager leurs difficultés. Un moyen de réduire ce biais de non-réponses serait par exemple d’utiliser les supérieurs ou superviseurs pour diffuser le questionnaire (Matsuishi et al., 2021). Mukherjee et al., (2009) ont également souligné le nombre limité de lieux de recherche investigués au sein de chaque étude, la plupart n’effectuant pas leur recueil de données dans plus de deux services différents. Ainsi, parmi les dix études incluses dans leur revue de littérature, cinq se déroulaient dans un seul et même centre de cancérologie, deux dans deux centres, et trois ont été réalisées au sein d’associations professionnelles (e.g., Association des infirmiers en oncologie pédiatrique).
Étudier le lien entre les facteurs de stress et le burnout
Trop peu d’études se sont intéressées aux liens entre les différents facteurs de stress et les dimensions du burnout. Pourtant, pour développer des initiatives améliorant le bien-être des soignants, il est important d’identifier les sources de stress spécifiques qui peuvent mener au burnout (Bowden et al., 2015). Il est donc essentiel de mettre en place des méthodologies comprenant une mesure du burnout avec des mesures des facteurs de stress spécifiques des soignants en pédiatrie. Pour cela, encore faut-il avoir des outils de mesure des facteurs de stress spécifiques et fiables. La grande variabilité des questionnaires utilisés actuellement dans les recherches en oncologie pédiatrique dessert la généralisation des résultats. De plus, la majorité des questionnaires utilisés sont soit standardisés, mais ont le défaut de ne pas être spécifiques à la population étudiée, comme le « Job Stress Scale » (Hinshaw et Atwood, 1983) qui est une échelle de stress professionnel général ; soit ils sont spécifiques à la population ciblée, mais souffrent de limites ou du manque de partage de leurs qualités psychométriques, ou visent exclusivement les infirmiers comme le « Stressor Scale for Paediatric Oncology Nurses » ou le « Paediatric Oncology Nurse Stressor Questionnaire » (Mukherjee et al., 2009). Mukherjee et al., (2012) ont développé le « Work Stressors Scale. Paediatric Oncology », un outil s’intéressant aux différents soignants en oncologie pédiatrique, mais il est uniquement disponible en anglais et a encore été très peu utilisé. Le développement d’outils standardisés et traduits en plusieurs langues qui s’intéressent à ces facteurs de stress paraît donc pertinent pour mieux appréhender le quotidien des soignants, identifier les facteurs impliqués dans la survenue des issues de santé comme le burnout et développer des initiatives de santé ciblant ces facteurs.
Identifier les facteurs protecteurs
Par ailleurs, l’identification des facteurs protecteurs du burnout semble également intéressante pour la compréhension du burnout et pour la mise en place de stratégies de prévention (Crowe et al., 2021). En effet, les recherches sur le burnout se sont focalisées principalement sur l’impact négatif de facteurs liés au travail, mais il paraît légitime de se poser la question de comprendre comment des soignants, dans un environnement très difficile et stressant, réussissent à rester engagés dans leur travail et à maintenir une bonne santé mentale et physique. Cela peut passer par la prise en compte des récompenses perçues par les soignants en oncologie pédiatrique (Bowden et al., 2015).
De même, peu d’études se sont intéressées à la manière dont les soignants s’adaptaient à cet environnement. Une meilleure compréhension et une identification plus précise des stratégies de coping employées pour faire face aux stresseurs quotidiens rencontrés par ces soignants pourraient aider à prévenir leur burnout et à favoriser leur bien-être ainsi que celui de leurs patients (Pradas-Hernández et al., 2018).
Un besoin d’études longitudinales
Enfin, une limite importante réside dans l’absence d’études longitudinales sur le burnout en oncologie pédiatrique. Roth et al., (2011) notent qu’il est probable que le burnout soit un phénomène progressif résultant de facteurs de stress cumulés et de facteurs environnementaux. Les études longitudinales permettraient, par l’observation de l’évolution du burnout dans le temps en fonction des facteurs de stress et des facteurs protecteurs, de déterminer les conditions favorables à la protection, à l’émergence ou au maintien du burnout chez les soignants en pédiatrie (Pradas-Hernández et al., 2018; Roth et al., 2011).
Conclusion
Le burnout constitue un problème majeur chez les soignants et entraîne des conséquences de taille au niveau personnel, professionnel et sociétal. Bien qu’il ait été relativement étudié dans les services prenant en charge des patients adultes, la littérature en oncologie pédiatrique reste très limitée à ce jour. Pourtant, la prise en charge de jeunes patients atteints de cancer implique des spécificités (particularités des cancers pédiatriques, contexte familial fort, question de l’autorité décisionnelle, vécu de la souffrance d’un enfant, etc.) façonnant l’expérience quotidienne des soignants et pouvant être perçues comme très stressantes pour les équipes de soin. Plusieurs revues systématiques ont souligné l’importance d’étudier la prévalence du burnout et ses facteurs de risques dans le cadre de domaines de soins spécifiques, en raison de la particularité de chaque service hospitalier (Adriaenssens et al., 2015). Les connaissances actuelles sur le burnout et les facteurs de stress spécifiques sont cependant trop réduites pour bien cerner le vécu des soignants en oncologie pédiatrique. Afin de développer des initiatives améliorant non seulement le bien-être des soignants, mais aussi par conséquent celui des jeunes patients et de leur famille, il apparaît aujourd’hui essentiel de développer des études permettant d’identifier les facteurs spécifiques qui peuvent mener au, ou au contraire, protéger du burnout. Cela doit passer par la mise en place d’études longitudinales larges et rigoureuses, incluant à la fois la mesure des sources de stress, mais aussi des récompenses perçues par les soignants.