Nous aimerions à présent prendre brièvement en considération ce qui est arrivé à l’idée principale de Vernadsky dans les années qui ont suivi sa mort.
Ce que nous appelons ici le « paradigme Vernadsky » est resté pratiquement inconnu jusqu’à ce jour dans la littérature scientifique. Pour comprendre cela, quelques détails importants doivent être ajoutés à la brève histoire de la renaissance des œuvres de Vernadsky que nous avons déjà présentée dans la préface.
De 1945 à 1954, les idées principales de Vernadsky n’ont pas été prises en compte par la communauté scientifique. La publication intégrale des travaux de Vernadsky a commencé uniquement dans les années 1950-1960 après la condamnation de Staline et la destitution de T.D. Lyssenko des importants postes administratifs et scientifiques qu’il occupait. Selon le décret du Présidium de l’Académie des Sciences, le premier des cinq volumes des œuvres de « La matière vivante » a retrouvé alors tous ses droits.
C’est en 1964 que le concept de « biosphère » a commencé à être reconnu internationalement, et que le livre lui-même a été publié en différentes langues européennes1. Cependant, le concept de l’éternité géologique de la vie n’était toujours pas discuté dans les sciences2. Indépendamment de la diversité des réactions suscitées par l’idée principale de l’éternité de la vie, la science dans son ensemble a continué à se développer conformément aux orientations que lui avait données Vernadsky. Au cours des quarante dernières années, il est devenu évident qu’il existait un écart important entre les faits et leur interprétation. Les faits empiriques eux-mêmes ont témoigné en faveur de l’idée vernadskienne. Plus précisément, il n’y en a pas eu un seul qui ait contredit son concept. Cependant, les interprétations sont restées toujours basées sur l’image habituelle d’un espace sans vie et sur l’idée tenace d’une « origine » chimique de la matière vivante.
En 2003 un colloque a été organisé par le Présidium de l’Académie russe des Sciences à l’occasion du 140eanniversaire de Vernadsky. C’est moi-même, Guennady Aksenov, qui fis une présentation dans laquelle je décrivais les domaines scientifiques dont le développement avait été conforme à l’idée principale de Vernadsky3. Je montrais comment les sciences de la Terre et de l’espace tendaient à créer un champ de problèmes qui ne pourrait être résolu que dans le cadre du paradigme de Vernadsky, comme le savant russe l’avait lui-même prédit.
La maxime est connue depuis longtemps : un scientifique talentueux résout un problème que personne ne peut résoudre. Mais un brillant scientifique pose un problème que personne n’a jamais vu. À présent, une limite a été atteinte dans le développement de la science car des faits entièrement nouveaux restent incompréhensibles et ne peuvent être résolus dans le cadre des anciennes explications. Cela concerne principalement quatre domaines principaux :
- 1) le passé géologique de la Terre ;
- 2) l’étude de la biosphère de la Terre ;
- 3) la découverte de nouvelles planètes ;
- 4) la recherche de la vie dans l’espace.
Le synchronisme de la biosphère et du passé géologique
Vernadsky a montré qu’il n’était pas possible de trouver dans le passé de la Terre (et ceci, pour une période de 1,5 à 2 milliards d’années de l’histoire géologique) des couches exemptes de l’influence de la matière vivante ou, pour mieux dire, de la biosphère.
Ce n’est pas le lieu de présenter, ici, l’histoire de la détermination du temps des roches et des minéraux. Il y a à ce sujet une énorme littérature. Il nous suffira de dire qu’aujourd’hui, l’âge canonique de la Terre n’est plus considéré comme étant d’un milliard et demi d’années, comme cela était le cas à l’époque de Vernadsky. Actuellement, on parle en général partout de 4,5 milliards. Mais, même dans les publications scientifiques, on ne sait pas toujours que la science de la radio-géologie a été créée en Russie par Vernadsky, et que les radiochimistes ont été formés à l’Institut du Radium dont il était lui-même le directeur.
Il est intéressant de rappeler aussi à la communauté scientifique ce que Vernadsky pensait des chiffres qui avaient été alors obtenus. Il considérait ces données comme un indicateur du temps, mais non point comme sa source ou son « générateur » : la source du temps était, pour lui, la matière vivante. Vernadsky considérait les chiffres exacts de l’âge des roches comme un indicateur non seulement du temps géologique, mais aussi du temps biologique. Les deux avaient la même durée. En 1932, lors d’une réunion scientifique de très haut niveau qui eut lieu à Münster, en Allemagne, à l’occasion du 100e anniversaire de l’ouverture de l’analyse spectrale à la société Bunsen (présidée par E. Rutherford), Vernadsky avait déclaré :
Pour la première fois dans l’histoire de la science, on a obtenu un étalon pour mesurer le temps naturel réel et irréversible grâce à la constante absolue de la désintégration radioactive. Et en plus, un tel étalon n’est pas arbitraire. Il correspond aux propriétés des atomes, aux éléments premiers de l’univers, au rythme de leur variabilité, à leur fragilité. La fragilité était la propriété la plus fondamentale de la matière. On peut dire que le temps est une propriété de base inséparable de la substance matérielle elle-même4.
Vernadsky avait alors souligné que, pour la première fois, au lieu du temps indéfini de la mécanique classique, qui n’a pas de direction, on avait obtenu, dans les méthodes de radio-géologie un indice du temps irréversible, qui avait le temps biologique comme source. Le temps de la biosphère et le temps de la fragilité des atomes radioactifs, comme il le disait, coïncidaient dans la durée et devaient toujours coïncider. En d’autres termes, quelles que soient les définitions des roches et des minéraux que nous adopterions et quelles que soient les méthodes spécifiques que nous appliquerions, il considérait que nous découvririons la durée de vie de la biosphère sur la planète. Mais lors de la réunion de Münster, cette indication de Vernadsky sur la connexion des atomes avec le temps réel ne fut pas discutée, car l’attention des scientifiques avait alors été retenue par le rapport de J. Chadwick sur la découverte sensationnelle du neutron. En 1932, le concept du temps était perçu à travers le prisme de la théorie de la relativité, liée à la physique et aux mathématiques, et non pas à la biologie et à la géologie. La nouvelle idée du temps biologique de Bergson et Vernadsky ne fut pas remarquée.
Vernadsky souleva de nouveau le problème du temps géologique, lors de la 17e session du Congrès géologique international qui se tint à Moscou à l’été 1937. Une Commission internationale pour la détermination de l’âge des roches fut alors créée, dans laquelle il occupa la fonction de vice-Président.
En fait, en ce qui concerne la détermination de l’âge de la Terre, nous pouvons dire que Vernadsky introduisit alors plutôt une forme d’interdiction. Il indiqua la raison de ette impossibilité. Partant du concept de temps réel ou biologique, tout chiffrage de l’âge de tout échantillon de roche ou de minerai ne pouvait indiquer que le moment de sa formation dans la biosphère ou dans les roches métamorphiques qui en dérivaient. Il estimait qu’il y avait un grand cercle géologique le long duquel tout complexe d’atomes ou de composés chimiques, commençant son chemin dans la biosphère, se transformait en roches sédimentaires, puis en granite et en roches de gneiss. La dernière station qui pouvait alors être définie le long de ce chemin était une couche métamorphique. À partir de là commençait la désintégration des matières radioactives qui étaient incluses dans la roche.
Selon le concept vernadskien, l’âge de toute roche commence dans la biosphère. Contrairement à ce que l’on pense habituellement, Vernadsky ne dit rien sur l’âge de la planète. Voici ses propres mots à ce sujet :
La géologie, comme Hutton l’a clairement vu, ne peut pas nous donner une idée de la fragilité de la Terre. Elle peut donner – à l’aide de la radio-géologie – un compte rendu quantitatif précis de l’ancienneté des phénomènes géologiques de la partie supérieure de la planète, qui se présente alors sous la forme d’une mosaïque. La croûte terrestre est constituée de parcelles de parties plus anciennes ou plus jeunes qui sont différentes et non synchrones pour un point quelconque d’un même niveau géographique.
Ce point révèle à la limite non pas l’âge de la Terre, mais le plus ancien niveau chronologique de métamorphisme, c’est-à-dire le processus le plus ancien, non relancé, de la désintégration radioactive5.
En fait, en utilisant la méthode radio-géologique, nous ne découvrons que l’âge exact d’un échantillon de roche particulier, mais en aucun cas l’âge de la Terre entière en tant que planète. Le concept même de « l’âge de la Terre » vient du « folklore scientifique » ou du paradigme traditionnel renvoyant à un début des temps, c’est-à-dire des vieilles hypothèses sur la formation de l’Univers, du système solaire et des planètes qui en sont issues. Ces hypothèses ne tenaient pas compte du fait que c’est dans la biosphère que commence le processus cyclique d’ordonnancement du mouvement des matériaux de la surface vers le haut, vers l’atmosphère et vers les géosphères sous-jacentes.
Dans ces sphères, un courant continu d’atomes soutient une certaine structure, mais le nombre de cycles de spin d’atomes nous est inconnu. Nous ne voyons et nous ne mesurons qu’un seul d’entre eux, celui que nous pouvons observer avec nos instruments. Avec les méthodes de radio-géologie nous déterminons la partie du trajet de l’échantillon à partir du moment où il se trouve « engagé » dans la biosphère avec ces isotopes, dont le rapport peut être mesuré jusqu’au moment où a lieu la désintégration (intermédiaire ou finale). Mais la dernière étape ne nous dit encore rien du type de cycle auquel nous avons affaire. Il est possible que les atomes qui composent le minéral se combinent, se rechargent, puis se dissipent, se déchargent, s’accumulent et se rechargent à plusieurs reprises. C’est dans la biosphère qu’ils ont reçu de l’énergie chimique pour de tels processus.
Selon la tradition, le début des temps se rapporte à la période de formation de la planète et devrait être mesuré par l’âge du matériau « initial » à partir duquel elle a été composée. Mais, nous nous en souvenons, dans La Biosphère, Vernadsky dit que nous ne trouverons pas une telle substance matérielle correspondant au stade de la formation de Terre dans le Cosmos. Tout le matériau géologique était recyclé dans la biosphère. C’est de la biosphère que sort le matériau qui reçoit ainsi son aspect final, encore perceptible dans l’échantillon que nous étudions. C’est donc à partir de l’apparition de cet aspect que commence le décompte des années géologiques. Nous ne pouvons toujours pas mesurer combien de cercles ont été effectués dans la croûte terrestre6.
C’est pour cette raison que Vernadsky considérait l’expression « l’âge de la Terre » comme trop figurative, et dans son livre consacré précisément à cette question, il formula sa pensée de façon définitive :
Les roches métamorphiques et granitiques peuvent nous donner l’heure géologique du dernier processus de cristallisation, lorsque les atomes ont pris cette position stable. Nous savons que leur âge géologique est très différent. Mais, évidemment, l’échantillon le plus ancien sera celui qui nous montrera l’âge de formation des granites et des roches métamorphiques profondes. Cet âge n’est en aucun cas l’âge de la planète, contrairement à ce que l’on indique souvent. […] Il s’agit de la manifestation la plus ancienne du processus de métamorphose et de granitisation en un lieu donné. Cependant, il n’y a aucune raison de penser qu’il pourrait s’agir ici de l’hypothétique substance « primordiale » de la planète. De même, rien n’indique qu’il ait pu s’agir ici de la manifestation la plus ancienne du métamorphisme ou de formation du granite. Très probablement, nous ne déterminons ici que l’heure du dernier déplacement (du plus récent, par son âge) des atomes à travers les treillis de l’espace, atomes qui, après cela, n’ont plus changé de place, dans le sens que nous venons d’indiquer. Ce dernier déplacement, qui a eu lieu au cours du processus de métamorphose ou de granitisation, a fait bouger tous les anciens treillis spatiaux et, de ce fait, nous empêche de retrouver, d’une façon ou d’une autre, leur emplacement antérieur, correspondant à leurs différents positionnements par rapport à leur âge7. (§ 66)
Un peu plus loin, dans le même texte, Vernadsky souligne que le nombre d’isotopes différents dans des roches d’âges différents permet d’expliquer pourquoi la croûte terrestre recevait auparavant beaucoup plus de chaleur qu’à notre époque, et pourquoi les processus de métamorphose et de granitisation indiqués par ces isotopes se déroulaient plus rapidement. Voici comment il exprime son idée finale sur l’âge de la planète :
Il n’y a aucun doute qu’il s’agit d’un cas particulier d’un énorme phénomène que l’on vient de découvrir en géologie. Ce sera l’affaire d’un avenir proche que de s’occuper de son examen. Maintenant, cependant, il est nécessaire de souligner que, compte tenu de ces processus, dont la signification géologique est claire, nous augmentons immédiatement ce que l’on appelle l’âge de notre planète de dizaines, voire de centaines de fois, au lieu des milliards qu’a donnés la définition géologique des roches archéennes. Le mirage de la genèse de la planète commence à se dissiper8. (§ 70)
Un auteur plus récent donne, quant à lui, cette conclusion générale :
Les roches les plus anciennes, exposées à la surface de la planète, sont datées par des méthodes isotopiques de 3,7 à 4 milliards d’années. En fait, ces roches ont un âge encore plus ancien, car les valeurs indiquées ne caractérisent pas le moment de leur formation, mais le moment de leur transformation (métamorphose) ; cependant, les roches les plus anciennes, qui ont surgi même pendant la formation de la Terre en tant que planète, sont encore inconnues de manière fiable9.
Étant donné que l’idée de Vernadsky sur l’éternité géologique de la vie n’est pratiquement pas prise en compte dans la science, les chiffres modernes pour déterminer l’âge des roches s’inscrivent encore dans le cadre des hypothèses adoptées de « l’âge de la Terre » (4,5 milliards d’années) et de « l’origine de la vie ». Comme nous l’avons dit, les conclusions de Vernadsky ne sont pas prises en compte. Si les chiffres parfois obtenus pour l’antiquité des roches sont significativement plus élevés que ceux généralement admis, alors ils sont balayés. Ainsi, par exemple, l’académicien I.A. Kosyguine (1911-1994), spécialisé dans les statistiques sur la détermination de l’âge des roches, indique un grand nombre de définitions, faites de différentes manières, et dépassant significativement l’âge canonique de la planète. Il est vrai que ses données ont été remises en question, et il y a une note de bas de page à l’endroit approprié indiquant que des définitions plus récentes s’inscrivent dans le temps canonique de la Terre10.
Il y a une raison qui peut expliquer la vitalité de ces préjugés, il s’agit de l’idée répandue du Big Bang en physique. Mais cette idée appartient au domaine de la physique et n’a aucun rapport avec la géologie ou la biologie, et encore moins avec le concept de la biosphère. En outre, elle s’inscrit parfaitement dans l’idéologie de la première page de la Bible sur le commencement du monde, qui est maintenant appelé simplement « la formation de l’univers ». Le Big Bang aurait eu lieu il y a 13,5 milliards d’années. Dans cette hypothèse, la nature du concept central très utilisé, le concept de temps, n’est jamais discutée ni prise en compte. Il est considéré comme une variable de nature inconnue. Par conséquent, à la lumière du concept vernadskien de la biosphère et de la nature biologique du temps, l’hypothèse du Big Bang n’a pas à être discutée ici.
Si, en fait, les méthodes les plus avancées pour déterminer l’âge des roches (qui sont apparues ces dernières années) tendent à fixer l’âge canonique de la Terre à 4,5 milliards d’années, cela ne justifie ni l’hypothèse de l’origine cosmique de la planète, ni la découverte d’une matière « primordiale » dans les structures géologiques, ni même l’hypothèse du Big Bang. Dans tous les cas, nous n’avons affaire qu’à des hypothèses, qui plus est purement « spéculatives », n’ayant aucune justification dans les chroniques géologiques de la planète.
Le fait est que les circonstances géochimiques de la formation des minéraux sont restées, pour leur grande majorité, à peu près les mêmes tout au long de cet âge « canonique ». Il y a toujours eu de l’eau, des gaz, de l’atmosphère, indépendamment de sa composition spécifique, des roches et de la matière vivante. C’est ainsi que, au cours du passé géologique, de nombreux minéraux se sont formés dans le cadre de la biosphère, dans des conditions thermodynamiques similaires. Cela a été démontré par le géochimiste A.A. Iarochevsky, qui a établi qu’il n’y avait pas d’écart entre les conditions hypothétiques initiales de l’existence de la Terre et ses structures géologiques. Il y a toujours des traces de la biosphère qui peuvent être découvertes dans les structures matérielles des roches les plus anciennes, et elles sont formées de la même façon tout au long de l’histoire géologique11.
Par exemple, un événement à sensation de ces dernières années fut la découverte du minéral zircon, dont l’âge coïncide presque avec l’âge supposé de la Terre. Il s’est avéré qu’il s’est formé dans une Terre humide et fraîche, comme en témoigne, dans sa composition, le rapport des isotopes. Le minéralogiste John Valley, qui a écrit sur les zircons australiens et les méthodes de leur étude, a été obligé de rappeler sans cesse le point de vue généralement accepté d’une Terre sans vie, chaude, sèche, etc., parce que les résultats ne coïncidaient pas avec ces hypothèses12. Mais ce décalage ne témoignerait-il pas simplement d’une erreur de la science moderne à propos de la Terre primitive, erreur que le concept vernadskien de la biosphère pourrait permettre de dépasser ?
Les géologues qui ont adopté la thèse de Vernadsky surmontent en effet facilement les stéréotypes qui se sont développés sur la base de mythes anciens concernant à la fois l’âge de la planète, l’échelle géochronologique et le matériel géologique. Ainsi, le professeur de géologie et de géographie de l’université de Sakhaline, V.M. Dounitchev, a même amélioré les calculs de Vernadsky, en tenant compte de la gamme complète des cycles géochimiques. Il a écrit à ce sujet :
Le tourbillon de l’énergie de la matière qui se déroule dans la lithosphère indique que le granite se forme lors de la conversion de l’argile à travers l’argilite, l’ardoise cristalline, le gneiss et le granite-gneiss. L’argile se forme lors de la destruction de l’enveloppe de granite (et d’autres roches). Si, à la surface de la lithosphère, lors de la destruction, par exemple, du quartzite, apparaît du sable de quartz, alors, par immersion, il se cimente en grès de quartz, qui ensuite va se recristalliser en grès de quartzite, puis, avec une augmentation de la taille des cristaux, il devient quartzite.
On peut dire que le granite et le quartzite donnent des informations sur les roches qui ont traversé la moitié du tourbillon de la matière dans la lithosphère. Ainsi, les 4 milliards d’années relatives aux granites et aux quartzites les plus anciens renvoient à ce qui reste au maximum encore connu aujourd’hui du mouvement circulaire de l’énergie et de la matière dans la lithosphère : un demi-tourbillon, un tourbillon entier couvrant, dans ce cas, deux fois 4 milliards d’années, soit 8 milliards d’années.
On ne sait pas combien de tourbillons de matière se sont produits dans la lithosphère. De toute évidence, beaucoup, et au moins deux, car le plus ancien granite, vieux de 4 milliards d’années, était formé d’argile, qui à son tour était le résultat de la destruction de granite encore plus ancien. Dans ce cas, la durée de vie du globe serait de deux fois 8 milliards d’années, soit 16 milliards d’années, soit plus que l’âge de l’Univers du Big Bang, estimé à 15 milliards d’années13.
Nous devrions ici apporter quelques corrections à ce qu’écrit V.M. Dounitchev car la date du Big Bang change tout le temps en raison de la méthodologie extrêmement compliquée du calcul de la constante de Hubble. Actuellement, le nombre d’années qui est généralement admis pour désigner le temps qui nous sépare du Big Bang est de 13,5 milliards d’années.
Ainsi, même deux cycles de tourbillon de la matière dans la biosphère (de la chaîne conduisant de l’argile à la surface au granite dans la lithosphère, puis de nouveau du granite à l’argile) donnent pour la Terre, un âge qui dépasse de beaucoup le point du Big Bang. De plus, si ce point est déterminé par des calculs purement théoriques, le chiffre de 16 milliards d’années est, quant à lui, totalement empirique. Il ne dépend même pas d’une éventuelle autre durée de l’année ou de la révolution de la Terre en orbite ou de sa circulation autour de l’axe. Le temps de désintégration des radio-isotopes est calculé dans les années en cours.
Donc, si nous rappelons maintenant que, dans La Biosphère, Vernadsky a posé comme généralisation empirique le fait que nous ne pouvons pas trouver, dans le passé géologique, de périodes sans vie, nous pouvons dire aujourd’hui que cela a été entièrement et complètement confirmé, et que, de plus, cela ne se rapporte pas seulement à l’existence de certaines biocénoses locales ou de certains foyers de vie. Non, géologiquement, la vie a toujours existé, comme aujourd’hui, en tant que système global de la biosphère.
La biosphère fondamentale
La biosphère archéozoïque a été bien décrite par l’éminent microbiologiste russe, l’académicien Gueorgui A. Zavarzine (1933-2011) sur la base d’une approche systématique et holistique de la faune sauvage, contrairement à l’étude habituellement plus réductionniste de la biodiversité. En 2001, lors d’une réunion du Présidium de l’Académie des Sciences de Russie, il a présenté un rapport sur « La formation de la biosphère », dans lequel il soutenait la thèse que la biosphère, dans son ensemble, déterminait le développement durable de la planète tout au long de l’histoire géologique.
C’est avec Carl Linnaeus que commença l’étude biologique de la faune. Son enseignement, qui demeurait cependant réductionniste, fut renforcé ensuite par le concept de Charles Darwin. Quant à l’étude systématique de la nature vivante, elle est apparue avec la biogéographie d’Alexander Humboldt, qui examinait les organismes vivants en prenant en compte l’environnement géographique. Mais c’est avec S.N. Vinogradsky que cette direction systématique connut son plus fort développement, lorsqu’en en 1896, travaillant sur les bactéries du soufre, il formula l’idée que la Terre était un organisme dans lequel les bactéries jouaient un rôle primordial. Et, bien sûr, Vernadsky, à son tour, poursuivit dans cette voie. Dans son ouvrage de 1926 consacré à La biosphère, c’est cette même approche, systémique et holistique, qu’il mit pleinement en œuvre, développant ainsi une tendance non darwinienne dans l’étude de l’évolution. Les organismes vivants n’y étaient pas considérés comme des objets purement biologiques, mais du point de vue de la biogéochimie, c’est-à-dire dans l’unité qu’ils constituaient avec leur environnement, ou, comme Vernadsky le répétait constamment, dans un sens planétaire. Gueorgui A. Zavarzine retrace ainsi l’histoire de la biosphère dans le rapport mentionné :
Les étapes de la formation de la biosphère ont maintenant été élucidées en termes généraux par les géologues et les paléontologues pour 3,8 milliards d’années de l’histoire de la Terre, au cours desquelles une chronique géologique sédimentaire a été tracée. Dans ce laps de temps, trois étapes peuvent être distinguées :
– la biosphère procaryote avant la révolution néoprotérozoïque (il y a environ 1 milliard d’années) ;
– des protistes et des organismes non tissulaires avant le début du Phanérozoïque avec une période de transition vendienne et un ensemble combinatoire de biodiversité protiste due à la symbiogenèse (il y a 1 à 0,8 milliard d’années) ;
– des organismes tissulaires du Phanérozoïque (il y a 0,6 milliard d’années), l’apparition de la végétation terrestre à la fin du Silurien-Dévonien (il y a environ 350 millions d’années), lorsque commence à prévaloir le principe monophylétique du développement de la biodiversité avec des branches de plantes, de champignons et d’animaux.
La biosphère procaryote dans les archives géologiques était clairement marquée par des stromatolites – des roches biogènes en couches, qui sont des communautés cyanobactériennes lithifiées14.
Étant donné que les zircons n’étaient pas encore très largement connus en 2001, G.A. Zavarzine commença les annales de la biosphère à 3,8 milliards d’années (et ceci, malgré le fait que, comme il est maintenant devenu clair, l’âge canonique de la planète allait être élargi à 4,5 milliards d’années). Dans son rapport, il décrivit en détail le rôle géologique des communautés microbiennes, bien tracé par les stromatolithes15. Comme l’avait découvert Vernadsky, l’essentiel était que les communautés microbiennes fussent capables de remplir toutes les fonctions de la biosphère, c’est-à-dire de maintenir son intégrité. Voici par quels mots G.A. Zavarzine conclut son intervention :
Ainsi, la communauté microbienne – le principal acteur (protagoniste) de la microbiologie dans la nature – est constituée d’espèces d’organismes phylogénétiquement éloignés et ne résulte pas de la divergence et de l’acquisition de leurs propriétés. L’évolution de ce type de communautés – le principal moteur de l’évolution biogéochimique de la biosphère – se trouve être l’objet d’études non darwiniennes. La concurrence et, éventuellement, la sélectogenèse agissent à l’intérieur de blocs fonctionnels, tandis que les propriétés nécessaires pour entrer dans la communauté sont déterminées par un système de niveau supérieur qui fixe la direction de la sélection naturelle. Précisément, ainsi, pour une communauté, c’est le « paysage » qui fixe les conditions. Il s’ensuit que, lors de l’étude du système géosphère-biosphère, il faut aller du haut vers le bas, du général au particulier, et non de l’élément au système, comme le suggère l’approche individualiste liée à la théorie du Marché. C’est ainsi que se constitue un domaine d’études de l’évolution, non darwinienne16.
Simultanément, cette conclusion confirme, en lui donnant un contenu concret, la généralisation empirique de Vernadsky sur l’éternité géologique de la vie. Les microbes n’appartiennent pas au schéma évolutif darwinien. Ils se rassemblent simplement en une communauté, mais ils ne sont pas de nouveau synthétisés. Dans le processus du développement de la vie, ils n’acquièrent aucune capacité et aucun indice supplémentaires. Tous les microbes apparaissent au bon endroit au bon moment. La règle de base de la biologie microbienne est de trouver le corps là où il est possible d’extraire de l’énergie et d’agir comme catalyseur d’une réaction géochimique spécifique. Dans l’une de ses monographies, G.A. Zavarzine a calculé le nombre de ces niches écologiques existant pour les micro-organismes, et à partir de ces données, il a construit un tableau17. Ce tableau ressemble à celui de Mendeleïev, mais, dans le tableau de Zavarzine, c’est l’organisme qui doit être à l’intersection de la réaction biogéochimique et de la façon d’alimenter les microbes.
Ces points d’intersection entre les propriétés de l’organisme et la réaction géochimique, l’académicien Zavarzine les appelle : « espaces de possibilités logiques ». Ses calculs ont montré que le nombre de ces possibilités logiques était énorme. En fait, l’évolution, en correspondant à la fermeture de ces niches écologiques dont nous avons parlé, correspond aussi à une diminution de l’espace des possibilités logiques. Les procaryotes, avec leur uniformité morphologique de structure – le nombre de leurs espèces par rapport aux autres règnes n’est pas très grand –, ont la possibilité de jouer un rôle dominateur dans l’ensemble du tableau des éléments chimiques et de leurs composés. Lors de la transition vers les eucaryotes multicellulaires, l’espace se trouve fortement réduit. Morphologiquement, les organismes se diversifient, mais les types de nutrition sont fortement réduits. C’est comme si la richesse de la structure était échangée contre la pauvreté des niches écologiques.
Ainsi, les procaryotes constituent l’intégralité de la vie au sens de l’interaction avec l’environnement. C’est pourquoi les microbes remplissent toutes les fonctions nécessaires au système de la biosphère. Par rapport aux bactéries, dont la présence est permanente, les autres organismes ne s’y intègrent que peu de temps.
La principale observation de Vernadsky sur l’intégralité des fonctions géochimiques exercées par les bactéries se trouve aujourd’hui pleinement confirmée par la recherche. Pendant les 6/7e du temps géologique, la matière vivante de la biosphère terrestre n’a été composée que de bactéries. En outre, les bactéries modernes ne sont pas morphologiquement différentes des archéennes. De plus, elles ne meurent pas, mais se partagent simplement quand elles en ont l’occasion, et, quand elles ne le font pas, elles se transforment en spores. En quelque sorte, chaque espèce est un organisme, vivant un nombre infini et indéfini d’années. Voici ce que G.A. Zavarzine écrit, dans son dernier ouvrage, sur la plénitude biosphérique des bactéries :
Conceptuellement, les bactéries sont le principal moteur du système des cycles biogéochimiques qui catalysent leurs principales réactions dans la biosphère. Du point de vue historique qui explique l’état de la nature à travers l’histoire de l’apparition de ses composants, la microbiologie est d’une importance particulière pour les sciences naturelles, car les microbes ont été les premiers habitants de la Terre, et ils ont formé le système biogéochimique qui est resté le fondement des processus se produisant à la surface de la Terre. Le cycle initial était le cycle du carbone organique et les cycles des autres éléments conjugués avec lui. Les bactéries formaient à la fois la branche de production photosynthétique du cycle et la branche de destruction associée aux cycles d’autres éléments. Ce système a été initial et a déterminé le développement stable de la biosphère, qui n’a pas exclu les réarrangements de succession catastrophiques. Les formes qui ont suivi se sont intégrées évolutivement dans un système existant et ne l’ont transformé que plus tardivement18.
L’académicien G.A. Zavarzine explore le développement de la plupart des composés chimiques les plus importants qui composent les équilibres des cycles biogéochimiques. Nous pouvons renvoyer le lecteur à ses observations et calculs, et nous ne donnerons ici que sa principale conclusion :
Pour les bactéries, l’utilisation de réactions chimiques thermodynamiquement avantageuses représente la principale possibilité d’existence ; elle permet l’apparition d’une niche appropriée. Dans un tel système, déterminé thermodynamiquement, la sélection naturelle comble tous les postes vacants. La pleine utilisation de l’énergie des réactions chimiques est la règle principale dans l’organisation du système trophique de la communauté microbienne. Le système trophique de la communauté microbienne est organisé de telle manière que soit exploitée toute possibilité d’obtenir de l’énergie disponible19.
Cependant, comme cela a été confirmé ces dernières années, les bactéries photosynthétiques qui prospèrent dans les zones éclairées de la planète, et dont l’écologie a été si bien étudiée par l’académicien G.A. Zavarzine, ne représentent qu’une petite partie de la vie bactérienne. La partie la plus puissante de la biosphère, on pourrait même dire que sa partie principale, la plus fondamentale, est construite par des bactéries chémolithotrophes20. Vernadsky avait prédit une telle structure de la biosphère. Il avait rassemblé par morceaux les faits relatifs à leur découverte, et il en a parfois été question dans des publications scientifiques. Par exemple, dans les années 70 du XIXe siècle, lors de la construction du tunnel de Saint-Gottard en Suisse, le géologue F. Stapf avait découvert une flore bactérienne. Comme l’a indiqué Vernadsky, Stapf a d’abord pensé que les bactéries étaient entrées dans le tunnel depuis la troposphère. Mais plus tard, il fut forcé de reconnaître leur origine abyssale21.
Vernadsky a rassemblé une énorme couche d’observations de ce genre. Ce faisant, il a pu révéler l’existence d’un processus planétaire grandiose, qui devait avoir d’innombrables conséquences pour l’ensemble de la science : l’existence d’une vie souterraine à la fois sous les continents et sous les océans. Dans toute la littérature scientifique, on croyait généralement que la vie dans son ensemble n’existait que là où il y avait de l’oxygène. Lorsque des bactéries furent accidentellement trouvées dans la masse des couches rocheuses, dans des carrières ou dans des mines, on crut qu’elles y étaient venues de la troposphère.
Et puis, on savait que la vie en profondeur était limitée à la température de +100°C. En se basant sur la vie quotidienne et sur des expériences faites à la pression atmosphérique normale, tout le monde pensait que les protéines ne pouvaient pas exister à des températures plus élevées. Dans son article de 1937, Vernadsky dit clairement que ces deux points de vue traditionnels devraient désormais appartenir au passé :
Les découvertes scientifiques de ces dernières années nous ont fait changer brusquement et radicalement d’idées. On découvre des processus biogéochimiques imprévus – probablement éternellement géologiques – sans rapport avec la troposphère, développés dans la stratisphère22, dans le domaine des roches sédimentaires, qui peuvent être correctement décrits comme des phénomènes d’érosion éolienne souterraine ou de métamorphisme biogénique et qui, je pense, jouent un rôle énorme dans la chimie de la croûte terrestre, principalement dans la création de gaz naturels et des roches biogéniques […]. En même temps, ils donnent de nouvelles formes d’épaississement de la vie dans la biosphère et rendent probablement nécessaire l’inclusion, dans sa composition, de toute la stratisphère23.
Vernadsky donne des chiffres spécifiques permettant de détecter les bactéries à de grandes profondeurs (des chiffres étaient alors considérés comme grands) : « Il ne fait aucun doute que la vie va bien au-delà de 2-3 km [de profondeur]24 ».
Dans la seconde moitié du XXe et au début du XXIe siècle, les géologues ont découvert de la matière vivante dans la lithosphère, profondément, dans les roches sédimentaires. Elle existe donc sans lumière solaire, à des pressions et des températures élevées. La question se pose alors : les bactéries pénètrent-elles accidentellement dans les horizons profonds de la stratisphère et s’adaptent-elles à des conditions extrêmes ? Ces biogéocénoses25 sont-elles rares ? Ou est-ce, comme le disait Vernadsky, un phénomène planétaire, c’est-à-dire mondial ?
Comme nous l’avons vu dans les travaux de G.A. Zavarzine, les bactéries ne peuvent pas évoluer. Elles ne ressemblent absolument pas à des organismes multicellulaires. Elles ne sont pas capables de s’adapter à l’environnement, c’est-à-dire de changer morphologiquement ou d’adopter de nouvelles façons de s’alimenter. La niche de chaque espèce est extrêmement précise. Chaque réaction biogéochimique a besoin de son propre organisme, il est toujours localisé. Par conséquent, les chémosynthétiques n’ont pas pénétré dans les couches souterraines sans air et lumière. Elles y ont toujours vécu et ont formé leur biosphère. Il semble, à la lumière de ce fait, que nos vues sur la composition, les limites et l’énergie de la biosphère deviennent obsolètes. Et une question nous vient même à l’esprit : la biosphère sur Terre est-elle donc unique ?
Aujourd’hui, on peut dire avec une grande certitude que Vernadsky avait raison lorsqu’il fit ses conclusions sur les bactéries effectuant la chémosynthèse26 : elles constituent un phénomène d’une importance qui reste encore inconnue. Au cours du dernier demi-siècle, dans de nombreux pays, y compris en Russie, des forages ultra-profonds ont eu lieu. Les géologues ont eu de nombreuses surprises. Voici ce que le géologue A.V. Galanine a écrit :
L’une des découvertes les plus étonnantes qui a été faite lors d’un forage, fut celle de la vie présente profondément sous terre. Bien que cette vie ne soit représentée que par des bactéries, ses limites s’étendent à des profondeurs incroyables. Les bactéries sont omniprésentes. Elles se sont approprié l’empire souterrain, apparemment hostile à toute vie. Des pressions énormes, des températures élevées, l’absence d’oxygène et d’espace de vie, rien ne fut un obstacle à la propagation de la vie dans les entrailles de la lithosphère. Selon certaines estimations, la masse des micro-organismes vivant sous terre peut même dépasser la masse de toutes les créatures vivantes qui habitent la surface de notre planète27.
A.V. Galanine parle du trou super-profond bien connu de la péninsule de Kola qui atteint une profondeur record de 12,3 km. Après avoir atteint 7 kilomètres, la température a commencé à monter, jusqu’à 100 ºC. Et contrairement aux attentes, la densité des échantillons de roche remontés à la surface a fortement chuté. Dans ces roches molles, la sonde a été coincée fermement et les géologues ont commencé à forer un autre trou juste à côté.
Des géochimistes ont découvert dans la roche des gaz de nature différente, surtout de l’hydrogène et de l’hélium. Mais la chose la plus intéressante fut la découverte, dans le kern, de bactéries inconnues. Dès qu’elles furent remontées à la surface et se trouvèrent au contact de l’air, elles cessèrent leur segmentation instantanément. Par conséquent, leur mode de vie ne supposait pas la présence de gaz atmosphériques ; ces derniers au contraire leur étaient toxiques. À une profondeur de 8 km, la température atteignit 120 °C, les kerns devinrent poreux, et le nombre de bactéries augmenta fortement.
Une image similaire a été observée dans d’autres trous super-profonds, à différents endroits, à la surface des continents, et sous le fond des mers et des océans. La différence ne portait que sur la profondeur de la détection des bactéries. Mais partout le granite devenait moins dense, poreux, avec un grand nombre de fissures et de pores, dans lesquels l’eau et les bactéries avaient circulé. A.V. Galanine écrit encore un peu plus loin à ce sujet :
Les limites d’endurance des bactéries lithosphériques sont étonnantes, mais il semble que la profondeur limite de leur habitation soit toujours fixée par la température des couches internes. Elles peuvent se reproduire à 110 °C, et même résister, bien que pendant une courte période, à une température de 140 °C. Sous le fond de l’océan, la température n’augmente pas si rapidement et la limite en profondeur, pour la présence de la vie, peut-être de 7 km. […]
Le nombre d’espèces et d’organismes vivants particuliers habitant dans les roches est des milliers et des dizaines de milliers de fois plus élevés que le nombre de bactéries baignant dans les eaux du fond du Pacifique. Une vie aussi abondante ne peut pas être accidentelle. Les sources hydrothermales surgissant du fond océanique ne peuvent prétendre à une telle abondance de vie microscopique, ni à une telle surprenante diversité. La vie dans les roches basaltiques du fond marin pourrait bien être comparable à la vie des micro-organismes vivant dans le sol28.
L’opinion dominante selon laquelle la vie peut s’adapter à toutes les conditions, et, par conséquent, pénétrer dans des couches sans vie, doit maintenant être radicalement modifiée. Au fond des roches poreuses imprégnées d’eau, de solutions et de gaz, vivent des bactéries « non darwiniennes », ayant adopté des conditions de vie inhabituelles pour elles. Nous devons reconnaître que l’habitation profonde n’est pas leur zone de développement, comme le croient aujourd’hui ceux qui ne connaissent pas les œuvres de Vernadsky et de son successeur Zavarzine. Dans tous les ouvrages de géologie de référence, la lithobiosphère est la zone de pénétration des bactéries dans la lithosphère : de 2-3 km à 8,5 km. Mais, à en juger par les faits, rien ne nous empêche d’admettre que nous avons affaire à une autre sphère mondiale de bactéries. Ce n’est pas une zone aléatoire où les bactéries pénètrent, mais des couches de roches remplies de bactéries chémolithotrophes qui extraient l’énergie de la désintégration radioactive, et la nutrition – des composés chimiques environnants. Par rapport à d’autres unités de matière vivante, cette sphère doit être reconnue comme le fondement de la biosphère. Le reste de la vie : dans l’eau, dans le sol, dans et sur la terre, – représente les horizons supérieurs qui se trouvent au-dessus d’une puissante vie lithotrophique. Le nombre et la variété de bactéries vivant sous terre dépassent les environnements microbiens terrestres, aquatiques et du sol. Et la biomasse de matière vivante de la biosphère lithotrophique, probablement, comme le suppose A.V. Galanine dépasse considérablement la biomasse de la biosphère qui nous est familière. Ce n’est plus un « biofilm », mais une couche des plus puissantes.
La présence d’une couche jusque-là inconnue, appelée la lithobiosphère, nous conduit à reconsidérer de nombreuses idées reçues. En géologie, le modèle généralement reconnu de la structure de la croûte terrestre avait été établi depuis longtemps. On croyait que la lithosphère était divisée en roches sédimentaires, en couches sous-jacentes de granite et de basalte. Mais lorsque des géologies ont eu foré le trou super-profond de la péninsule de Kola, cette image harmonieuse s’est effondrée. Il s’est avéré qu’il n’existait aucune couche basaltique. Au-dessous de la couche de granite se trouvait une roche granitoïde en plastique visqueuse, moins dense et à une température élevée ; elle était pénétrée par des eaux velues, des fissures et des pores remplis de biogéocénoses, elles-mêmes constituées de bactéries.
Comparons donc ce fait à celui, généralement admis, que sous la couche de granite se trouverait une couche de plastique souple sur laquelle se déplaceraient des plaques lithosphériques plus dures. Cette couche a été appelée l’asthénosphère. Sa puissance d’occurrence est nettement supérieure à celle de la sphère bactérienne. Mais comme personne ne sait où se trouve la limite inférieure de la partie bactérienne nouvellement découverte de la lithosphère de la planète, on peut déjà supposer avec une certaine probabilité que l’asthénosphère est précisément la biosphère souterraine. C’est à la surface de cette couche plastique à température et pression accrues que les plaques plus denses « flottent ». Autrement dit, tous les mouvements tectoniques se produisent sur un substrat formé par la lithobiosphère bactérienne.
Le géographe Nikita Fedorovich Glazovsky (1946-2005) a suggéré que la matière vivante de la biosphère était une cause possible des mouvements tectoniques. Il a pris en compte toutes les hypothèses qui permettaient de résoudre le problème des causes des mouvements tectoniques et du volcanisme29. Selon ses hypothèses et ses calculs, pour ce qui est des mouvements des plaques, du volcanisme et de la construction des montagnes, l’énergie s’accumule dans l’asthénosphère en raison de la matière vivante dans la biosphère. Glazovsky a calculé la quantité de cette énergie en kilocalories.
L’essentiel de l’hypothèse consiste en ceci : tous les mouvements dans la lithosphère se produisent en raison de l’énergie de la matière vivante, obtenue par l’enfouissement des sédiments organiques dans les mers marginales. En effet, sur les cartes du volcanisme et des zones de subduction, les lieux d’accumulation de résidus organiques de haute énergie sont clairement visibles. L’ordre de grandeur avancé par N.F. Glazovsky est de n • 108–9 kcal pour 100 km de front de zone de subduction. Il écrivait :
Si nous acceptons l’hypothèse que, dans les tranchées océaniques, la croûte terrestre est emportée par les arcs insulaires, l’adjonction des volcans à ces tranchées peut être en partie due au fait que c’est ici que la matière organique des roches sédimentaires se transforme. Ce fait est indiqué indirectement par la présence des pétroles dans les produits de l’activité de nombreux volcans30.
Il est même possible que N.F. Glazovsky ait commencé à rechercher comment se formait la couche poreuse et molle qui se trouve sous la géosphère solide, et que nous considérons comme l’asthénosphère. Il a montré que, dans la mesure où le vivant sécrète des liquides et des gaz, cette couche était formée par la pression biogénique. Selon ses calculs, la génération de gaz d’un volume de 6 cm3 crée une pression telle que le volume augmente de 6 %. Cela serait la cause du surgissement de certains volcans de boue. N.F. Glazovsky a également pris en compte cette question du point de vue historique. Il existait déjà des faits et des calculs sur la dynamique de l’accumulation de matière organique dans le passé géologique. Mais Glazovsky s’est contenté de tirer une conclusion prudente :
Ainsi, de notre point de vue, les calculs ci-dessus montrent complètement la validité de l’hypothèse concernant le rôle significatif possible de la matière organique dans certains processus tectoniques et volcaniques31.
Il est possible que nous soyons sur le point de découvrir le véritable volume de la biosphère et de montrer que l’immense couche, maintenant appelée asthénosphère, n’est rien d’autre qu’une couche de la biosphère sous-granitique. La puissance de l’asthénosphère sous les océans est d’environ 100 km et sous les plates-formes continentales, elle va jusqu’à 350 km. On peut imaginer quelle quantité d’énergie est contenue dans cette enveloppe. Il s’avérerait alors que ce serait cette enveloppe bactérienne qui serait l’élément moteur de la construction de la planète, de la même façon qu’une fine couche de liber sous l’écorce d’un arbre construit son tronc. L’expression, initiée par Vernadsky, de matière vivante pourrait donc parfaitement convenir ici pour être appliquée aux bactéries chémololithotropes.
Une enveloppe avec le maximum de chaleur résultant de la désintégration radioactive est également une enveloppe de la vie bactérienne maximale sur la planète. La chaleur de la désintégration radioactive est suffisante pour la vie dans une couche fermée (mais non isolée) sous les granites. Apparemment, les bactéries y prospèrent, et elles forment, à l’échelle planétaire, une enveloppe extrêmement puissante qui donne naissance à tous les phénomènes géologiques de la planète. Vernadsky soulignait déjà à ce propos :
Il me semble qu’un processus apparemment planétaire, qui nous est complètement incompréhensible et étranger, devrait être considéré comme le substrat principal de tous les phénomènes que nous observons sur Terre.
Il s’agit d’un changement spontané et soudain au cours du temps géologique de la composition chimique élémentaire [terme moderne « composition élémentale » – G.A.] de notre planète. Ce processus s’exprime dans la désintégration radioactive de certains (nous semble-t-il) des éléments chimiques, des U, Th, Ra, K, Rb radioactifs, etc.
Ces éléments disparaissent progressivement, continuellement, inévitablement, spontanément et selon un rythme propre à chacun, sur notre planète, et à leur place les atomes de plomb, de calcium, d’hélium, etc. apparaissent en nombre de plus en plus grand. En fin de compte ces processus s’accompagnent d’une libération énorme d’énergie thermique, suffisante pour expliquer à chacun de nous les phénomènes géologiques les plus puissants du volcanisme, des tremblements de terre, de la chaleur interne de la région sous-crustale de notre planète, etc.
En fonction du nombre de ces atomes, la température maximale de la planète ainsi obtenue se situe quelque part en dessous de l’enveloppe de granite dans une lourde enveloppe de sous-granit32.
Cette présentation de Vernadsky devient encore plus évidente si nous comparons ses énoncés sur le processus planétaire principal avec les données contemporaines de la science, selon lesquelles, à des profondeurs de 3,4,7 km et plus profondément, sous l’enveloppe de granite, se trouve une enveloppe plastique de haute température (jusqu’à 120-140ºС) à partir de laquelle on peut trouver des bactéries. Cette biosphère profonde doit donc être découverte.
Les planètes dans le système solaire et au-delà
Comme nous l’avons mentionné plus haut, en 1942, dans un rapport intitulé « Sur les enveloppes géologiques de la Terre en tant que planète », Vernadsky a révélé le problème de la structure de ce corps naturel. Une planète est un corps solide sphérique, composé d’enveloppes concentriques. Cela était généralement compréhensible, et faisait déjà l’objet de discussions en rapport avec différentes « théories de la Terre ». Mais aucun scientifique n’avait jamais posé la question de la signification de la structure hiérarchique d’une planète. L’énigme de la sphéricité des corps célestes solides restait non résolue, dans la mesure où elle procédait de la compréhension mécanique de l’univers. On croyait que les planètes étaient composées de petits astéroïdes, de débris, de poussière due à la gravité, par accrétion et accumulation. Un collaborateur de Vernadsky, B.L. Litchkov, donna une vision d’ensemble de toutes les raisons qui faisaient que les planètes avaient une forme sphérique33.
Vernadsky, quant à lui, n’avait pas voulu soulever la question de l’origine de la planète et de sa sphéricité, mais comme tous les savants qui font de grandes découvertes, il avait commencé à chercher dans cette direction. Vernadsky partait de l’idée principale du caractère non-aléatoire de la vie. Il déduisait de cela le même caractère non-aléatoire de la biosphère en tant qu’enveloppe géologique. La biosphère devait être décrite non pas comme un domaine de la vie (ce qui semblait être impliqué par le contenu du terme lui-même, au sens de Suess), mais comme un phénomène planétaire. Elle était inséparable de la planète, non pas en tant qu’elle serait apparue à la suite d’un « ensemble de circonstances favorables », mais en tant que partie absolument nécessaire. La planète doit avoir une biosphère. Et plus précisément : la biosphère doit construire une planète.
En conséquence, nous devrions avoir une idée cybernétique du système de la planète : la composition des enveloppes et des géosphères, leur emplacement, leurs limites devraient être situés en des lieux déterminés et nécessaires. La biosphère dicte leur composition géochimique, contrôle le mouvement de la matière et de l’énergie. Il n’est donc pas étonnant qu’à la suite de cela, apparaissent des hypothèses sur la Terre en tant qu’organisme cosmique vivant de grande dimension. C’est J. Hatton qui, en son temps, fit surgir cette idée dans l’esprit des naturalistes. Plus récemment, c’est « l’hypothèse Gaia » de J. Lovelock qui a été largement diffusée34. Sur cette base, une nouvelle orientation scientifique a vu le jour, que l’on a appelée la géophysiologie35.
La structure de ces corps de grande dimension peut, bien sûr, présenter certaines spécificités. Ils proviennent de la composition de la biosphère. En lien avec cela, Vernadsky a considéré que l’« individualité » était l’une des principales caractéristiques de chaque planète, car les biosphères pouvaient être très différentes en raison de l’incroyable diversité de la vie. Déjà, à son époque, malgré le faible niveau de développement de l’astronomie et l’insignifiance des statistiques planétologiques, Vernadsky a désigné, avec confiance, les planètes qui devaient appartenir au type terrestre. Tout d’abord, les principales, tournant autour du Soleil étaient Vénus et Mars. Il a soutenu que les grandes planètes, que nous appelons géantes, et leurs satellites, appartenaient à une autre classe de corps. Ainsi a-t-il ouvert un nouveau chapitre dans l’étude des planètes, en se basant non point sur les signes astronomiques, sur la mécanique céleste ou sur la gravité, mais sur les signes biogéochimiques et sur la participation des biosphères à la structure des planètes.
Que s’est-il passé dans l’exploration planétaire au cours du dernier demi-siècle ? Des événements marquants ont été observés autant en astronomie planétaire que dans l’étude et la compréhension de la biosphère. Aujourd’hui, l’astronomie planétaire évolue à pas de géant vers les généralisations empiriques de Vernadsky.
Des confirmations majeures de la nature planétaire ont commencé à apparaître en série à partir de 1977, en rapport avec les résultats obtenus après les lancements des deux sondes spatiales Voyager 1 et Voyager 2. Ces expériences avaient été programmées pour photographier tous les corps visibles du système solaire. Le premier appareil visait à étudier le système de Jupiter et Saturne, le second, celui d’Uranus et de Neptune. Une décennie de découvertes scientifiques s’est alors ouverte. On allait s’apercevoir que les satellites tournant autour de chaque géante répondaient à tous les critères de Vernadsky : il s’agissait, dans chaque cas, de grands corps sphériques et froids tournant sur eux-mêmes. Par conséquent, tous appartenaient à la classe des vraies planètes, conformément à la définition de Vernadsky.
En 1979, Voyager 1 atteignit Jupiter, et l’on put constater que, parmi les nombreux satellites, seuls quatre, les lunes galiléennes, s’avéraient être de vraies planètes. Après trente ans de vol et de recherche, il est devenu clair que les planètes pouvaient être divisées en deux classes. Les planètes géantes, comme l’avait prédit Vernadsky, étaient des corps gazeux de la classe des étoiles. C’était, en fait, des étoiles sous-développées, pas encore brillantes, qui pourraient bien un jour éclater.
Cependant, dans le système solaire, il y a au moins 29 planètes avec un rayon de plus de 400 kilomètres. Ce sont des corps de type terrestre, sphériques et froids, ayant une surface solide, c’est-à-dire faite de pierre, de glace ou du silicate de glace. Beaucoup de ces corps ont une atmosphère, ils sont clairement constitués d’enveloppes sphériques. Mais le plus important est qu’ils sont d’une diversité frappante. Dans son rapport de 1942, Vernadsky avait déclaré avec confiance que les planètes du type terrestre devaient avoir la même structure, c’est-à-dire être des corps sphériques froids, mais il avait fait remarquer que chacune devait posséder des caractéristiques uniques. Maintenant que nous avons de nombreuses photographies de tous les corps du système solaire (SS), la justesse de cette généralisation est devenue claire.
Terre est unique par sa couleur, sa taille, sa densité, sa masse ; elle a un océan liquide et une biosphère terrestre développée.
Mercure a une densité presque aussi élevée que celle de la Terre. Récemment on a découvert que sa couche superficielle était plus dense que celle qui était sous-jacente.
Vénus a une atmosphère lourde. Sa température de surface est la plus élevée du SS.
Mars a la plus haute montagne du SS : un Olympe de 21 kilomètres, en plus des glaces, d’une atmosphère et de la géologie la plus diversifiée du SS.
Europe est couverte d’enveloppes de glace, criblées de fissures.
Des volcans de soufre agissent sur Io. Sa couleur est jaune orangée.
Titan a une atmosphère épaisse et sa surface est constituée de composés liquides et plastiques d’ammoniac et de méthane.
Il existe de nombreux geysers de méthane sur Triton.
La surface d’Encelade est enneigée. Mais de dessous, des geysers d’eau jaillissent à une grande hauteur.
Japet se compose de deux moitiés, l’une claire et l’autre sombre.
Ariel, au contraire, est d’un noir charbon inégalable.
Mimas est minuscule, mais a un cratère étonnamment énorme.
Ganymède, qui est plus grand que la lune, est couvert de longs sillons.
Cérès a un volcan de glace actif.
Miranda, petite mais magnifiquement conçue, a une surface très développée géologiquement, ce qui témoigne d’un passé turbulent.
La différenciation des planètes par leur couleur est saisissante. Chaque planète a sa propre couleur, ne correspondant à aucune autre. Même les planètes grises, proches en nuances, se distinguent principalement par l’albédo, c’est-à-dire par la réflectivité. Mais, bien sûr, ce qui est particulièrement étonnant, c’est la présence des planètes brillantes du type terrestre, avec Terre d’un bleu tirant sur le blanc et Mars d’une teinte rougeâtre. Dans le groupe Jupiter, la couleur est aussi surprenante : Io est jaune-orange, Europe est bronze, Ganymède gris-lilas, Callisto – violette. La plus grande du groupe saturnien, Titan, s’est avérée être orange comme une balle de tennis. La minuscule Encelade est d’une blancheur éclatante, c’est la plus brillante de toutes les planètes, elle reflète la lumière du soleil plus que toute autre. Dans le système d’Uranus, Titania apparaît dans des tons de bronze. Même les planètes les plus éloignées du Soleil ont des couleurs vives. Triton, neptunien, est bleu-violet. Pluton, en y regardant de plus près, est proche en couleur de Mars ; c’est la couleur de l’argile brûlée. Sedna, située derrière Pluton, vue avec des télescopes modernes, est d’un brun rougeâtre.
Qu’indiquent les différences de couleur entre les planètes ? Bien sûr, cela ne peut indiquer que la composition chimique différente des roches de surface.
Puisque la Terre est un corps de référence, nous devons étendre ses propriétés, dont la principale est la structure de l’enveloppe, à tous les autres corps de type terrestre. Cela signifie que, s’il existe, pour la Terre, une biosphère souterraine où les bactéries chémololithotrophes servent de matière vivante, alors nous devons supposer que les mêmes enveloppes servent ou ont servi dans le passé comme centres de construction des autres planètes de la même espèce.
Aujourd’hui, on en est encore à l’étape de préparation pour que des forages en profondeur, comme ce fut le cas pour la Terre, puissent être faits sur les autres planètes, mais nous pouvons supposer que des biosphères y seront découvertes. Dans chaque système il y a des planètes avec des indices très nets d’activité de la biosphère souterraine ou sous-glaciaire. L’indicateur le plus important de la biosphère souterraine est le volcan, quel qu’en soit le type. Une source d’éruption, de quelque nature qu’elle soit, devrait témoigner, comme sur notre planète, de l’activité des bactéries à de grandes profondeurs.
Des indices de la biosphère souterraine se trouvent sur Mars, qui a de l’eau et de l’atmosphère, bien qu’en faible quantité. Sans la biosphère, elles se seraient asséchées il y a longtemps. Même sur la petite Cérès, dans la ceinture des astéroïdes, il y a un volcan de glace actif. Deux planètes du groupe Jupiter montrent clairement des indices de l’existence d’une biosphère souterraine : les volcans sulfuriques actifs de Io et l’océan présumé sur Europe. Titan, dans le groupe de Saturne, a été jusqu’à présent assez bien étudié et sa structure stratiforme ne fait aucun doute.
À ce jour, la planète la plus sensationnelle est Encelade. De toutes les planètes du système solaire, c’est elle qui a le plus grand albédo36. Et pourtant, à son pôle, d’énormes jets de vapeur d’eau ont été découverts, s’échappant par des fissures jusqu’à une hauteur élevée. On peut supposer que cette eau est sous forte pression et que la biosphère travaille à l’intérieur avec une forte production de gaz, dont la composition dépend de celle de sa matière vivante concernée.
Le groupe d’Uranus semble figé. Ses cinq planètes ne montrent aucun signe de vitalité. Et pourtant, sur la plus grande planète, Titania, l’atmosphère reste faible.
On a eu aussi la preuve qu’existaient des geysers à la surface du seul satellite de Neptune, Triton. Leurs ombres sont clairement visibles sur les photos, leur composition a été trouvée. Ils sont constitués d’azote avec des impuretés de monoxyde de carbone et de méthane et s’élèvent jusqu’à une hauteur de 8 km. Certaines photos montrent des nuages. Autrement dit, nous assistons, ici, à une activité qui ne peut avoir aucune autre source que l’activité souterraine de la biosphère bactérienne.
Les planètes trans-neptuniennes, principalement le système binaire Pluton-Charon, sont encore mal étudiées. Mais, selon certaines photos, on peut, aujourd’hui, différencier Pluton par la couleur de l’argile brûlée, perceptible à sa surface. Il y a des zones parsemées de cratères et d’autres, où il n’y en a pas (ils ont été effacés par des mouvements de masse). Cela laisse penser à des forces internes apparaissant à la surface de la planète.
Des traces semblables sont perceptibles à la surface de la plupart des planètes. La nature de leurs surfaces indique la présence de biosphères souterraines, sources de mouvements géologiques. Sur toutes les planètes sans exception, il y a tout ce que nous voyons à la surface de la Terre : des traces de mouvements tectoniques, des phénomènes volcaniques, des gorges et des montagnes, des failles et des vallées, des glaciers et des plaines enneigées, et bon nombre d’autres formations bizarres.
De la principale généralisation empirique faite par Vernadsky sur la synchronicité des histoires biologiques et géologiques, nous pouvons conclure que toutes les planètes du système solaire se sont formées sous l’influence de la matière vivante. La vie, selon le principe de Huygens, est un phénomène cosmique. Mais après les travaux de Vernadsky, on peut dire, avec plus de rigueur scientifique, que c’est la biosphère qui est un phénomène cosmique.
Vernadsky a découvert que la majeure partie de la chaleur des profondeurs de notre planète provient, non point d’une ancienne étoile, mais de la désintégration radioactive. Il y a une quantité de chaleur suffisante pour la création et le fonctionnement de la biosphère bactérienne, et c’est cela qui est à l’origine de phénomènes de surface tels que les tremblements de terre, les volcans et la formation des montagnes.
À la fin du XXe et au début du XXIe siècle, les mêmes processus ont été détectés par des sondes spatiales sur les planètes solides du système solaire – même sur celles qui ne reçoivent pratiquement aucune chaleur du soleil. Leur surface est très froide. Par conséquent, notre étoile n’est pas le corps maternel des planètes solides.
Retenons donc bien ce fait apparemment très banal : que tous les grands corps du SS peuvent être présentés selon des assemblages standards : au centre de chaque groupe, il y a un corps de gaz, et des planètes solides tournent autour de lui. D’un point de vue astronomique, les planètes sont des corps réguliers. C’est un concept précis et une dénomination rigoureuse. Cela signifie que les planètes tournent autour de leur corps central strictement dans le plan de sa rotation et qu’elles ont des orbites régulières, c’est-à-dire presque circulaires. Ce même type d’orbites circulaires caractérise aussi les anneaux présents dans chaque groupe. On pensait qu’il y avait quatre mais c’est en fait cinq unités standards de ce type, qui existent dans le SS, chacune constituée d’un corps gazeux central, de planètes solides et de plusieurs anneaux.
Comment cela est-il possible ? On dit parfois que l’ensemble du système solaire (SS) est similaire au système de Saturne. Mais il existe une grande différence entre ces deux systèmes : SS a des corps gazeux, mais il n’y en a pas près de Saturne. Il ne semble y avoir aucune correspondance. Mais pourtant, malgré la différence d’échelle de grandeur, il s’avère que les normes de la formation restent les mêmes : le grand système solaire est comme une énorme « molécule » cosmique. Il se compose de cinq « atomes » identiques, bien que de tailles différentes (mais nous devons noter que les atomes d’éléments chimiques sont également de taille très différente).
Dans un article écrit en 1994, nous avons proposé le terme de « cosminte » (abréviation de « intégration cosmique ») pour désigner ce groupe standard de corps37, caractérisé par une structure toujours semblable et par un rapport quantitatif exact de la masse et de la densité.
Miranda | Triton | Titan | Io | Terre | |
m du corps central | 86,83 | 102,43 | 568,4 | 1989 | 1 989 100 |
Somme de m des planètes | 0,0091 | 0, 0214 | 0,1519 | 0, 3931 | 11,8873 |
Le rapport des masses | 9 541 | 4 786 | 3 741 | 5 059 | 167 329 |
Dans le rapport des masses une certaine proportion est préservée. La masse de nos géantes dépasse de 4 fois la somme des masses de leurs planètes, la masse du Soleil dépasse la somme des masses des planètes terrestres de six fois. Par conséquent, la formule de la « cosminte » est la suivante :
Mst / Σmp ~ n˖105,
où Mst est la masse de l’étoile, Σmp est la somme des masses des planètes38.
Dans les quatre petites « cosmintes », les rapports sont strictement du même ordre. Ainsi, la masse de Jupiter dépasse la masse de Neptune 19,4 fois, mais la somme des masses de ses quatre satellites dépasse la masse du seul satellite significatif de Neptune, Triton, de façon presque égale : 18,4 fois plus. Il y a donc une régularité : la structure des corps dans l’espace n’est pas accidentelle. Et si le rapport est environ de 4, le corps central est analogue à nos géantes. Si le rapport est de 6, alors nous avons affaire à une étoile. Le rapport indique le développement des systèmes spatiaux, c’est-à-dire que le principe de Huygens fonctionne.
Un grand nombre de faits nouveaux, obtenus par mesure directe, soulèvent désormais de nouvelles questions. La plus importante concerne la structure d’une planète. Elle avait déjà été soulevée par Vernadsky lui-même, lors de sa toute première généralisation empirique dans laquelle il montrait que la Voie Lactée devait être posée scientifiquement comme s’étendant du centre de notre Galaxie jusqu’au centre de notre planète.
À la suite des vols d’engins spatiaux vers tous les corps importants du système solaire, la fin du XXe siècle a été caractérisée, en astronomie, par la découverte d’exoplanètes. Cet événement grandiose eut lieu en 1995. Puis, les planètes ont commencé à se dévoiler à un rythme particulièrement rapide avec le télescope extraterrestre Kepler. Dans le catalogue des exoplanètes actuellement existant, on a enregistré jusqu’à aujourd’hui (juin 2020) 4 269 planètes. Pour nombre d’entre elles, certaines mesures spécifiques ont été réalisées, principalement : la masse, le rayon, la densité, les paramètres orbitaux39.
L’Union internationale des Astronomes (UIA) considère qu’il y a deux types de corps différents dans la classe des planètes. Sous un même nom, on rassemble des corps gazeux et des corps solides40. C’est dire que, dans la définition d’une planète, seules les caractéristiques astronomiques sont prises en compte, c’est-à-dire leur révolution autour du Soleil, mais pas la composition géochimique, pétrographique et géologique des corps. Autrement dit, le concept mécanique des planètes en tant que points sans dimension sur les orbites continue à être privilégié. Et en plus, cette contradiction essentielle dans le domaine de l’astronomie se retrouve aujourd’hui dans les études fondamentales sur l’espace lointain. C’est pourquoi tous les objets trouvés, se rapportant à l’un ou l’autre des deux types, se trouvent affectés à des planètes. Cependant, malgré l’existence de la définition formalisée des planètes, les astronomes, dans leurs communications, distinguent intuitivement deux types de corps dans notre système solaire. Ainsi, dans une grande enquête, nous trouvons les exoplanètes clairement divisées en deux catégories :
1) Le type des Jupiters, saturnes et neptunes. Les premières d’entre elles ressemblent à notre principale géante gazeuse. Elles ont une masse et une taille approximativement égales ou dépassant de peu notre Jupiter. Parfois, elles tournent très rapidement autour de l’étoile à des distances anormalement rapprochées. C’est pourquoi elles sont appelées « hot jupiters ». En taille, elles dépassent la Terre : les jupiters de 10 fois, les saturnes, de 9 fois, les neptunes de 4 fois41.
En fait, les jupiters, les saturnes et les neptunes, comme nous l’avons mentionné plus haut, ne sont pas encore des étoiles lumineuses. Ces corps gazeux sont les plus visibles, et ce n’est pas un hasard si les chercheurs découvrent le plus souvent de tels objets. Nous pouvons sans risque supposer que des « géantes chaudes » gazeuses ont, autour d’elles, des planètes solides et sphériques semblables à celles qui tournent autour de Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune dans notre SS. Les moyens techniques modernes n’ont pas encore permis de les détecter mais ce sont de tels systèmes que j’ai appelés des « cosmintes ».
2) Le type des « Super-terres ». Сes corps sont de réelles planètes. Et progressivement, avec l’amélioration de la technologie, on a commencé à les découvrir. Aujourd’hui, elles constituent 65 % de l’ensemble des planètes découvertes. Et elles montrent une diversité beaucoup plus grande que celle représentée par les 29 corps solides sphériques formés dans le cadre du système solaire. Parmi elles, on trouve des planètes en métal, en silicate métallique, en pierre ou en glace, jusqu’à des planètes complètement liquides, les océanides. Ces dernières sont celles qui se rapprochent le plus de la Terre, car il y a des milliards d’années, notre Terre était également complètement recouverte par l’océan (nos montagnes non volcaniques ont un fond marin en couche clairement dénudé, y compris l’Everest).
Avant que l’on ne découvre les télescopes extraterrestres, les astronomes avaient de grandes difficultés à déterminer les propriétés des planètes. Habituellement, elles étaient évaluées sur la base de leur masse spécifique. Les super-terres, comme les chercheurs les appellent, dépassent fondamentalement jusqu’à dix fois les masses de notre planète. Lorsqu’on dépasse ainsi de dix fois, on considère qu’on n’a plus affaire à des super-terres, mais à des mini-neptune, saturne ou jupiter. Cette frontière entre ces deux catégories est l’une des plus importantes de l’Univers. Les corps à moins de 10 masses de notre Terre sont probablement des planètes. Les corps de 12 à 13 fois et plus peuvent déjà être des géantes gazeuses. Cependant, jusqu’à récemment, il était la plupart du temps impossible de déterminer simultanément la masse et le rayon. Et donc, la densité du corps correspondant restait inconnue.
Toutes les planètes découvertes par les astronomes en 1995 et 2009 sont proches en taille et en masse de celles déjà connues dans le système solaire. Un jour on reconnaîtra l’importance de ce fait. À la catégorie des véritables planètes on ne peut rattacher que les super-terres, même les planètes qui sont meubles tout en étant plus de dix fois plus grandes que la Terre. Mais pas des dizaines ou des centaines de fois plus, comme on pourrait le supposer, en regardant la taille et la puissance de certaines étoiles qui dépassent de beaucoup notre Soleil. Parmi les planètes, on n’observe pas de si grandes différences. Par conséquent, il y a peut-être une limite au développement et une limite à la croissance des planètes.
À en juger par l’analyse spectrale, les super-terres ont naturellement une composition chimique des plus diversifiées, et on peut supposer que, par cette richesse minérale, elles se différencient fortement des jupiters et des neptunes, qui sont des corps gazeux.
Les super-terres ont une grande variété de caractéristiques orbitales. Elles sont situées à n’importe quelle distance de leur corps central. Elles pourraient appartenir à la catégorie des jupiters et neptunes, mais cela n’a pas encore été démontré. D’ailleurs, jusqu’à présent, on a découvert peu de satellites des étoiles chaudes et froides. Dans un proche avenir, lorsque des télescopes plus puissants commenceront à fonctionner, de nombreux petits corps sphériques solides seront découverts. Vraisemblablement, il y aura d’un à sept corps sphériques solides autour de chaque corps gazeux non brillant, ou bien, on peut dire aussi que chaque « cosminte » aura de une à sept planètes.
Aujourd’hui, on peut néanmoins affirmer une chose : au cours de ces dernières années, la reconnaissance de l’uniformité des corps gazeux et de la variété des corps sphériques solides nous a permis d’avancer dans la compréhension des phénomènes en question. Dans le SS, les corps d’hydrogène sont uniformes (ils représentent une seule classe) et les corps solides (faits de métal, de pierre ou de glace) sont très diversifiés. Il ne peut y avoir qu’une raison à la différenciation du matériau des planètes : la biosphère.
La découverte en 1995 de planètes en dehors du système solaire est, en soi, une confirmation décisive et définitive de l’idée vernadskienne de la biosphère. Les biosphères, comme nous l’avons déjà vu, ne surgissent pas seulement à un endroit favorable dans le système stellaire ; elles sont un facteur régulier et déterminant dans la formation des planètes et des systèmes planétaires, c’est-à-dire dans la « cosminte ». Les biosphères bactériennes construisent des planètes. Sans biosphères, il n’y aurait pas de gros corps solides sphériques constitués de différentes enveloppes.
Ainsi, de 1995 à 2009, grâce à plusieurs télescopes on a découvert un grand nombre d’exoplanètes. Mais le plus souvent il s’agissait principalement de jupiters, neptunes et saturnes isolés, semblables aux boules de gaz similaires de nos géantes. Dans la zone la plus proche (de 3 à 40 parsecs), avec des télescopes au sol, on a découvert de nombreuses super-terres.
En 2009, tout a changé : une véritable révolution s’est produite lorsque la NASA a lancé le télescope spatial Kepler en orbite proche de la Terre. Les astronomes ont recherché des planètes dans deux constellations plus éloignées (jusqu’à des centaines de parsecs), celles du Cygne et de la Lyre. Grâce aux nouveaux télescopes, il est immédiatement devenu clair que jusqu’en 2009, les astronomes avaient trouvé des corps, tels que Jupiter et Saturne, dans des constellations lointaines simplement en raison du manque de technologies, qui ne permettait pas de voir les petites planètes. « Kepler » n’a fonctionné que trois ans. Mais même pendant ce temps, dans une zone limitée du ciel, une véritable richesse d’exoplanètes est apparue aux astronomes et aux planétologues. À ce jour, le catalogue d’exoplanètes présente des milliers de systèmes que nous avons appelés « cosmintes ».
Notre système se compose de divers corps, mais dans l’espace lointain, la diversité de ces corps augmente énormément. Par exemple, dans les systèmes « Kepler-20 et -32 », il existe des planètes sphériques solides, dont la masse est de dix à vingt fois la masse de la Terre, mais la plupart d’entre elles sont des planètes composées d’un mélange de métaux– silicates ; comme le montre leur densité, ce ne sont pas des géantes gazeuses. Le télescope « Kepler » a trouvé de très petites « cosmintes ». Parfois, des systèmes entiers s’insèrent dans l’orbite de Mercure, et les périodes orbitales des planètes sont étonnamment courtes ; ce sont des systèmes en progression rapide.
Que montrent les abondantes découvertes du télescope « Kepler » ? Avant tout elles correspondent aux représentations cosmiques de Vernadsky. Les vaisseaux spatiaux Voyager 1 et 2 nous ont présenté une nouvelle image de notre système solaire. Mais le même genre de faits est maintenant présenté de manière exhaustive en dehors de celui-ci. Une chose plus importante encore : un télescope extraterrestre a confirmé l’existence de deux classes ou genres de grands corps cosmiques. Certains sont semblables aux planètes terrestres, tandis que d’autres sont en tout semblables aux géantes du SS. Par analogie avec nos quatre gros caillots de gaz, on les appelle maintenant jupiters, saturnes et neptunes. Les astronomes n’ont pas encore découvert d’autres types de planètes dans l’espace. De plus, les deux classes de corps – solides et gazeux – sont situées à proximité de n’importe quel type d’étoiles : naines rouges, naines oranges, étoiles de la séquence principale, étoiles géantes et binaires.
La conclusion la plus importante que nous devons tirer est donc la suivante : notre Terre n’est pas seulement un modèle standard, c’est-à-dire une planète pleinement développée, mais l’ensemble du système solaire dans son ensemble est spécifique. Cinq groupes de planètes, dont SS se compose, donnent une structure assez régulière des systèmes cosmiques. Par conséquent, le Principe de Huygens de la nature cosmique de la vie s’étend sans aucun doute à toutes les planètes sphériques solides, même si beaucoup d’entre elles n’ont déjà plus de vie. De nombreuses planètes sont en mode de température de Mercure ou elles sont même plus chaudes. À en juger par notre expérience limitée, il est difficile d’imaginer comment la biosphère peut exister à une température comprise entre 500 et 1 000 K. Mais il est possible, et très probable, que sur de telles planètes, la biosphère souterraine ait existé dans le passé ou continue d’exister.
Les géantes de gaz sont également peu susceptibles de nous présenter des surprises en termes de taille et de composition. Cependant, il ne fait aucun doute que, lorsque les chercheurs disposeront d’appareils plus puissants, c’est l’étude des planètes qui captera tous les éléments de diversité. Avec une augmentation de la résolution des problèmes grâce à l’amélioration de l’équipement, on trouvera, à l’intérieur de ce type de corps sphériques solides, des très petites planètes, non pas semblables à la terre, mais à Titan ou même à Mirande. C’est là que nous rencontrerons probablement les planètes les plus incroyables, même si parmi nos 29 grands corps solides, nous voyons des corps célestes faits d’eau, de pierre de fer et de glace.
Que signifient les découvertes de la vie dans l’espace ?
La recherche de la vie dans l’espace s’est toujours déroulée sans prendre en compte la découverte des exoplanètes. Elle s’est réalisée grâce à la spectroscopie. Cela fait longtemps, par exemple, que l’on a découvert les acides aminés qui constituent prioritairement les structures germinales. Mais des faits de ce genre continuent encore aujourd’hui à être pris en compte dans le paradigme général d’un cosmos sans vie ; ils ne sont pas considérés comme des preuves de la nature cosmique de la vie, c’est-à-dire de la présence incontestable de la vie dans le cosmos, comme le laissait penser Vernadsky. Tous ceux qui ont reçu une éducation standardisée sont convaincus que la vie n’existe que sur Terre. Selon ce point de vue dominant, la matière vivante provient de la matière brute et, par conséquent, les découvertes des acides aminés dans les nuages cosmiques « confirment » parfaitement l’abiogenèse.
Cependant, il existe maintenant des découvertes qui confirment directement l’exactitude de la conception de Vernadsky. En 2016, un article a paru dans la revue Science, au sujet d’un groupe de radioastronomes ayant découvert dans l’espace une substance chirale, l’oxyde de propylène. Le message dit ceci :
[Notre] travail ouvre la perspective de mesurer l’excédent d’énantiomère dans divers objets astronomiques, y compris dans les régions où se forment les planètes, afin de découvrir comment et pourquoi un tel excédent [d’isomères] est apparu une première fois42.
Ainsi les astronomes découvrent-ils désormais dans l’espace la propriété principale de la matière, que Vernadsky appelait dissymétrie, et que, dans d’autres sciences modernes, en particulier en physique chimique, on appelle structures chirales ou énantiomères. Mais jusqu’à présent, on n’a pas relié ces faits au concept de biosphère. Les chercheurs en physique chimique mènent depuis longtemps des recherches sur les énantiomères. Sous le concept de « pureté chirale de la biosphère », ils désignent des composés qui ont une incompatibilité de type miroir entre les isomères droit et gauche, c’est-à-dire une forte prédominance d’un isomère. Mais ce fait lui-même n’est pas élevé au niveau d’une loi de la nature, dans le sens où l’entendaient Pasteur et Vernadsky. De plus, chimistes et physiciens le considèrent comme une « violation » accidentelle de l’harmonie et de la symétrie inhérentes à la matière en général. Le plus souvent, ils expliquent une telle violation par le fait qu’un être vivant aurait été formé en utilisant cette pureté chirale et que, depuis lors, il se serait estampillé de manière héréditaire, selon les lois de l’hérédité. C’est-à-dire que, du point de vue de l’épistémologie scientifique, nous voyons se répéter la situation d’archéogenèse, décrite par Vernadsky dans son rapport « Le début et l’éternité de la vie » : des molécules vivantes se sont formées une fois, à une époque très ancienne, selon des lois chimiques, mais depuis lors, les organismes se développent selon des lois biologiques.
Les physiciens s’occupant aussi de biochimie expliquent leur position de départ de la façon suivante :
L’asymétrie chirale moléculaire dans la biosphère a été créée au cours de l’évolution biologique, et, dans le monde contemporain, on l’a constatée au niveau génétique et dans la biosynthèse. Sa survenance, selon l’hypothèse des auteurs de cet article, est associée au fractionnement des énantiomères des composés chiraux abiogéniquement formés, qui a été effectué à la frontière océan-atmosphère instable, lors de la nucléation des précurseurs des cellules vivantes43.
Les auteurs sont absolument sûrs de « l’origine de la vie », et ils ne cherchent même pas à discuter sur l’idée de l’éternité de la matière vivante. Ils définissent clairement le concept de biosphère non pas comme une enveloppe géologique, mais comme un terme largement répandu en dehors des sciences de la terre, et signifiant simplement la biote, c’est-à-dire une collection d’organismes. Le processus de formation de la chiralité se produit, selon l’hypothèse des auteurs, à la frontière océan-atmosphère, c’est-à-dire sur une planète qui a déjà à la fois une hydrosphère et une atmosphère ; mais, la biosphère en tant qu’enveloppe géologique avec de la matière vivante semble ne pas exister pour eux. Au lieu de cellules ordinaires de matière vivante, on avance l’idée de l’existence de certains « précurseurs de cellules vivantes » (selon Lyssenko et Lepeshinskaya, de la « matière vivante » sous forme de bouillie organique). Par conséquent, une telle étude est peut-être utile pour certains problèmes techniques, mais pas pour résoudre le mystère de la dissymétrie ou le problème de la chiralité.
Aujourd’hui, l’opinion dominante est que les êtres vivants se sont formés progressivement à partir de composés chimiques qui existaient auparavant et qu’ils sont ainsi passés de synthèses symétriques ou racémiques à des synthèses asymétriques ou dissymétriques. Par exemple, l’auteur de l’une des monographies cite une variété de catastrophes, y compris d’éventuelles catastrophes cosmiques, qui auraient été la cause d’une telle « révolution » biologique de rupture de symétrie44.
Revenons donc à l’oxyde de propylène. Il n’est pas étonnant que cette publication dans la revue Science ait fait sensation et ait provoqué une large discussion. Cette substance est le principal composant de construction des chromosomes des cellules de tout organisme, des bactéries aux animaux multicellulaires. D’autres molécules qui composent les acides aminés se trouvaient dans l’espace depuis longtemps. On considérait que seul le manque de moyen technique aurait empêché de distinguer la gauche de la droite ou de prêter attention à une telle différence. On parlait de l’origine de la vie dans l’espace et de son transfert sur Terre, où elle tombait dans des conditions favorables, etc., c’est-à-dire de la théorie de la panspermie.
L’oxyde de propylène s’avérera probablement être un biomarqueur pour l’identification fiable des vraies exoplanètes. Sur les géantes gazeuses, de telles substances organiques ne peuvent exister, car elles consistent en un mélange d’hydrogène et d’hélium. La matière vivante dans de telles conditions ne peut tout simplement pas être là, tout comme il n’y en a pas sur les géantes du système solaire.
De nombreuses communications sur la matière organique dans l’espace entrent jusqu’à présent dans le champ problématique du paradigme principal de « l’origine de la vie » ou de l’espace sans vie : la présence de la vie sur Terre ne donne pas lieu à de véritables discussions ou, au mieux, elle est considérée comme un accident par défaut. Par exemple, nous pouvons citer la suivante :
Les scientifiques ont découvert des composants de l’ADN et des acides aminés dans un petit fragment de la météorite Murchison, tombée sur Terre en 1969. Des recherches antérieures sur la météorite ont également aidé à détecter de la matière organique. La particularité de cette étude est que les échantillons qui ont été étudiés dans le passé étaient beaucoup plus grands45.
Ou voici les dernières nouvelles du célèbre magazine de vulgarisation scientifique, Science et vie :
Une analyse spectrale du rayonnement provenant de l’espace lointain a permis de détecter 130 types de composés moléculaires dans l’espace interstellaire, y compris des composés plutôt complexes, tels que l’éthanol C2H5OH46.
Cet article rapporte que des scientifiques ont confirmé l’existence d’un simple acide aminé, la glycine, dans la poussière cosmique.
Face à des faits aussi obscurs, les chercheurs se sentent obligés de chercher des explications. C’est pourquoi récemment, en lien avec les découvertes des exoplanètes, l’explication suivante a été développée : dans chaque système de planètes, il existe une « zone habitable » située dans une région où la température se rapproche de celle de notre Terre. C’est-à-dire qu’à une distance optimale de l’étoile maternelle (un autre terme mythique), des conditions se formeraient sous lesquelles la vie pourrait naître. Une « régularité » réaliste se dessinerait donc. Les planètes seraient divisées en habitables et non-habitables, ce qui semble être similaire à ce qui se passe dans notre système solaire. Les faits d’une activité repérés sur d’autres planètes, qui, par ailleurs, pourraient être simplement expliqués par la présence de la biosphère, sont interprétés à partir d’hypothèses tirées des lois de la mécanique céleste.
Bien sûr, le problème de la viabilité du cosmos et de la biosphère en tant que domaine principal de l’existence de la vie n’est pas mentionné dans les rapports scientifiques en question. Pour en venir à cela, il faut d’abord commencer par discuter du concept de la biosphère de Vernadsky.
Expliquer les faits obtenus par la technologie du XXIe siècle à partir d’une vision du monde datant du XIXe siècle est déjà d’un archaïsme évident. Les sciences de la Terre dans leur ensemble, toutes les sciences biologiques, la planétologie, l’astronomie, les sciences purement théoriques dans leurs fondements se développent toutes aujourd’hui dans le sens de la conception de Vernadsky. La contradiction entre les nouvelles données scientifiques et l’ancienneté de leur interprétation ne cesse de croître et doit être résolue.La science moderne est en fait arrivée au point où se concrétise la thèse principale de Vernadsky, ce que lui-même, Vernadsky, appelait le principe de Huygens : la vie est un phénomène cosmique. Et ce n’est pas pour rien que la toute-puissante NASA a placé la détection de la vie sur les planètes du système solaire et au-delà comme la tâche principale des recherches à venir.
Notes
- G.P. Aksenov, A.N. Zemcov, « Neobyčnaja sud’ba knigi akademika V.I. Vernadskij “Biosfera” » [La destinée inhabituelle du livre de l’Académicien V.I. Vernadsky La Biosphère], Vestnik Rossijskoj Akademii Nauk, t. 81, 2011, n° 5, p. 450-455. Vladimir I. Vernadsky, The Biosphere, New York, Copernicus-Springer, 1997.
- « Princip geologičeskoj večnosti žizni V.I. Vernadskogo, ego smysl i istoričeskaja sud’ba » [Le principe de l’éternité géologique de la vie V.I. Vernadsky, sa signification et son destin historique], [en ligne] http://www.chronos.msu.ru/en/relectropublications/avtorskiy-ukazatel/avtorskij-ukazatel/printsip-geologicheskoj-vechnosti-v-i-vernadskogo-ego-smysl-i-istoricheskaya-sudba [consulté le 13/01/2022]
- G.P. Aksenov, « Zakončilos’ li naučnoe odinočestvo V.I. Vernadskogo? » [La solitude scientifique de V.I. Vernadsky est-elle terminée ?] in V.I. Vernadsky i sovremennost’ [V.I. Vernadsky et le monde actuel], M., Noosfera, 2003, p. 74-85.
- V.I. Vernadskij, « Radioaktivnost’ i novye problemy geologii » [Radioactivité et nouveaux problèmes de géologie], Sobranie sočinenij [Œuvres], op. cit., t. 9, p. 380 : « Впервые в истории науки получают в абсолютном неизменномтемпе радиоактивного распада эталон для измерения
необратимого реального природного времени. Еще больше, такой эталон времени не произволен. Он отвечает свойствам атомов, первичным элементам мироздания, темпу их изменчивости, их бренности. Бренность является самым основным свойством материи. Можно сказать, что время есть неотделимое, основное свойство самого вещества ». - V.I. Vernadskij, « O značenii radiogeologii dlja sovremennoj geologii » [Sur l’importance de la radiogéologie pour la géologie modern], Sobraniesočinenij [Œuvres], op. cit., t. 9, p. 470-471 : « Геология, как это ясно видел Геттон, не может дать нам понятия о бренности Земли. Она может дать – с помощью радиогеологии – точный количественный учет древности геологических явлений верхней части планеты, причем в этой области мы наблюдаем для геологического строения планеты в аспекте времени мозаику. Земная кора состоит из участков более древних и более молодых частей, различных и не синхроничных для всякой точки одно и того же географического уровня. // Она выявляет в пределе не возраст Земли, а древнейший хронологический уровень метаморфизма, т.е. древнейший, не оживившийся процесс радиоактивного распада ».
- G.V. Aksenov, « Zapret V.I. Vernadskogo na opredelenie vozrasta Zemli » [Interdiction de V.I. Vernadsky sur la détermination de l’âge de la Terre], Histoire des sciences de la Terre, vol. 1, M., IIET RAN, 2007, p. 9-28.
- « Метаморфические и гранитные породы могут дать нам геологическое время последнего процесса кристаллизации, когда атомы приняли это устойчивое положение. Мы знаем, что их геологический возраст очень различен. Но, очевидно, самый древний будет тот, который покажет нам возраст образования гранитов и глубоких метаморфических пород. Этот возраст отнюдь не является возрастом планеты, как это часто указывают. […] это указывает, что это есть самое древнее проявление процесса метаморфизации и гранитизации в данном месте. Никаких нет, однако, оснований думать, что мы здесь где-нибудь можем встретиться или встречаемся с гипотетическим «первозданным» веществом планеты. Точно также ничто не указывает, чтобы мы встретились здесь с самым древним проявлением метаморфизма или образования гранита. Вероятнее всего, мы определяем здесь лишь время последнего, новейшего по возрасту передвижения атомов в пространственных решетках, атомы которых после того не сдвинулись с места в том смысле, как только что указано. Это передвижение во время процесса метаморфизации или гранитизации смещает с места все прежние пространственные решетки и не дает возможности восстановить каким-нибудь путем их прежнее расположение, отвечающее их разному возрастному положению » (§ 66).
- « Нет никакого сомнения, что это частный случай огромного явления, которое только что вскрывается в геологии. Дело ближайшего будущего – его точное расследование. Сейчас же, однако, я считаю нужным подчеркнуть, что, учитывая эти процессы, геологическое значение которых ясно, мы сразу увеличиваем так называемый возраст нашей планеты в десятки, если не сотни раз, вместо миллиардов, которые давало геологическое определение архейских пород. Мираж генезиса планеты начинает рассеиваться » (§ 70).
- L.I. Salop, « Geologičeskoe razvitie Zemli v dokembrii » [Développement géologique de la Terre au Précambrien], L., Nedra, 1982, p. 5 : « Самые древние породы, обнаженные на поверхности планеты, датированы изотопными методами в 3,7 – 4,0 млрд. лет. В действительности эти породы имеют еще более древний возраст, поскольку указанные значения характеризуют не время их образования, а время их преобразования (метаморфоза), однако самые древние горные породы, возникшие еще в период становления Земли как планеты, пока достоверно неизвестны ».
- Ju.A. Kosygin, « Čelovek. Zemlja. Vselennaja » [L’Homme, la Terre, l’Univers], M., Nauka, 1995, p. 111-113.
- A.A. Jaroševskij, « Krugovorot veščestva zemnoj kory i problemy geohimičeskoj evoljucii biosfery » [Le cycle de la matière de la croûte terrestre et les problèmes de l’évolution géochimique de la biosphère] in Razvitie idej V.I. Vernadskogo v geologičeskih naukah [Développement des idées V.I. Vernadsky en sciences géologiques], M., Nauka, 1991, p. 32.
- J. Valley, « Istorija junoj Zemli » [Histoire de la jeune Terre], V mire nauki, 2006, n° 1 ; M. Kuzmin, « Rannie stadii formirovaniya Zemli » [Les premiers stades de la formation de la Terre], Nauka v Rossii, 2014, n° 6, p. 13-19.
- V.M. Duničev, « Vymysly i realii v estestvoznanii » [Fiction et réalité en sciences naturelles], [en ligne] https://oko-planeT.su/fail/failbook/page,6,132376-vm-dunichev-vymysly-i-realii-v-estestvoznanii.html [consulté le 13/01/2022] : « Происходящий в литосфере круговорот энергии и вещества свидетельствует, что гранит образуется при преобразовании глины через аргиллит, кристаллический сланец, гнейс и гранито-гнейс. Глина же образуется при разрушении на поверхности каменной оболочки гранита (и других пород). Если на поверхности литосферы при разрушении, например, кварцита возникает кварцевый песок, то с погружением он сцементируется до кварцевого песчаника, который ниже начнет перекристаллизовываться до кварцитовидного песчаника, а с увеличением размера кристаллов станет кварцитом. // Гранит и кварцит информируют как бы о горных породах, прошедших половину круговорота вещества в литосфере. Стало быть, 4 млрд. лет древнейших гранитов и кварцитов говорит о максимально известном на сегодня времени половины круговорота энергии и вещества в литосфере. Один целый круговорот охватывает, в этом случае, 4 млрд. лет Х 2 = 8 млрд. лет. // Сколько прошло круговоротов вещества в литосфере, неизвестно. Очевидно, что много, а минимум два, потому что древнейший гранит возраста 4 млрд. лет образовался из глины, которая в свою очередь являлась результатом разрушения еще более древнего гранита. В таком случае, время существования земного шара составит 8 млрд. лет Х 2 = 16 млрд. лет, или больше возраста Вселенной от Большого взрыва, оцениваемой в 15 млрд. Лет ».
- G.A. Zavarzin, « Stanovlenie biosfery » [Le devenir de la biosphère], Vestnik RAN, 2001, v. 7, n° 11, p. 988 : « Этапы становления биосферы сейчас выяснены в общих чертах геологами и палеонтологами для 3.8 млрд. лет истории Земли, на протяжении которых прослежена геологическая осадочная летопись. В этих временных рамках можно выделить три этапа: • прокариотная биосфера до неопротерозойской революции (около 1 млрд. лет назад); • протисты и нетканевые организмы до начала фанерозоя с вендом как переходным периодом и комбинаторным множеством биоразнообразия протист, обусловленным симбиогенезом (1-0.8 млрд. лет назад); • тканевые организмы фанерозоя (0.6 млрд. лет назад), появление наземной растительности в конце силура – девоне (около 350 млн. лет назад), когда начинает господствовать монофилетический принцип развития биоразнообразия с ветвями растений, грибов, животных. // Прокариотная биосфера в геологической летописи отчетливо маркируется строматолитами – биогенными слоистыми породами, представляющими собой литифицированные циано-бактериальные сообщества ».
- NdT : « Stromatolithes », traduction du russe « строматолиты » (du grec : στρῶμα « couche » et λίθος « pierre, roche »). Il s’agit d’amas spongieux solidifiés formés par les bactéries.
- Ibid., p. 1000 : « Итак, микробное сообщество – главный актор (действующее лицо) природоведческой микробиологии – собирается из филогенетически удаленных видов организмов, а не возникает путем дивергенции и приобретения способностей. Эволюция микробных сообществ – основная движущая сила биогеохимической эволюции биосферы – находится в области недарвиновских представлений. Конкуренция и, возможно, селектогенез действуют внутри функциональных блоков, в то время как свойства, необходимые для вхождения в сообщество, задаются системой более высокого уровня, которая определяет направление естественного отбора. Точно так же для сообщества условия задаются ландшафтом. В результате при исследовании геосферно-биосферной системы приходится двигаться сверху вниз, от общего к частному, а не от элемента к системе, как предлагается в индивидуалистическом подходе, связанном с теорией Рынка. Вот так и формируется недарвиновская область эволюции ».
- G.A. Zavarzin, Fenotipičeskaja sistematika bakterij. Prostranstvo logičeskih vozmožnostej [Taxonomie phénotypique des bactéries. L’espace des possibilités logiques], M., Nauka, 1974.
- G.A. Zavarzin, Lekcii po prirodovedčeskoj mikrobiologii [Conférences sur la microbiologie naturelle], M., Nauka, 2003, p. 8 : « Вконцептуальном отношении бактерии оказываются основным двигателем биосферной системы биогеохимических циклов, катализируя ихключевые реакции. В отношении исторического аспекта, объясняющего состояние природы через историю возникновения ее компонентов, микробиология имеет особое значение для естествознания, потому что микробы были первыми обитателями Земли, и они сформировали ту биогеохимическую систему, которая осталась основой процессов, происходящих на поверхности Земли. Исходными послужили циклорганического углерода и сопряженные с ним циклы других элементов. Бактерии сформировали и продукционную фотосинтетическую ветвь цикла, и деструкционную, сопряженную с циклами других элементов. Эта система была первоначальной и обусловила устойчивое развитие биосферы, не исключающее катастрофические сукцессионные перестройки. Последующие формы эволюционно вписывались в уже существующую систему, и лишь затем трансформировали ее ».
- Ibid., p. 30 : « Для бактерий использование термодинамически выгодных химических реакций представляет главную возможность существования и обеспечивает соответствующую нишу. Естественный отбор заполняет все вакансии в такой термодинамически детерминированной системе. Полнота использования энергии химических реакций и есть главнейшее правило в организации трофической системы микробного сообщества. Трофическая система микробного сообщества организуется таким образом, чтобы любая возможность получения доступной энергии была использована ».
- NdT : « Chémolilothotrophes », trad. du russe « хемолитотрофные ». Les bactéries chémolithotrophes sont des bactéries qui retirent l’énergie nécessaire à leur survie non des rayons du soleil mais du processus d’oxydation produite par l’union des matières inorganiques (vs. minéraux).
- V.I. Vernadskij, « O predelah biosfery » [Aux limites de la biosphère] Sobranie sočinenij [Œuvres], op. cit, t. 8, p. 456.
- NdT : « Stratisphère », trad. du russe « стратисфера » : partie supérieure de l’écorce terrestre composée de roches sédimentaires.
- Ibid., p. 454 : « Научные открытия последних лет заставляют резко и коренным образом менять наши представления. Открываются негаданные – вероятно, геологически вечные – биогеохимические процессы, не связанные с тропосферой, развитые в стратисфере, в области осадочных пород, которые могут быть правильно охарактеризованы как явления подземного выветривания или биогенного метаморфизма и которые, мне думается, играют огромную роль в химии земной коры, главным образом в создании природных газов и биогенных пород […]. Они вместе с тем дают новые формы сгущения жизни в биосфере, заставляют включать в ее состав, вероятно, всю стратисферу ».
- Ibid., p. 455 : « Едва ли можно сомневаться, что жизнь далеко заходит за 2-3 км ».
- NdT : « Biogéocénose » trad. du russe « биогеоценоз ». La « biogéocénose » est un système écologique stable, dans lequel les composants organiques (plantes, animaux) se trouvent en lien étroit avec les composants non organiques (eau, terre).
- NdT : trad. du russe « хемоcинтезирующие », de « chémosynthèse » (russe : « хемосинтез ») voir plus haut note 53.
- A.V. Galanin, « Litobiosfera Zemli » [Lithobiosphère de la Terre].URL : http://ukhtoma.ru/litobiosphere.htm : « Одно из самых удивительных открытий, которое сделали с помощью бурения, – это наличие жизни глубоко под землей. И хотя жизнь эта представлена лишь бактериями, ее пределы простираются до невероятных глубин. Бактерии вездесущи. Они освоили подземное царство, казалось бы, совершенно непригодное для существования. Огромные давления, высокие температуры, отсутствие кислорода и жизненного пространства – ничто не смогло стать препятствием на пути распространения жизни в недрах литосферы. По некоторым подсчетам, масса микроорганизмов, обитающих под землей, может даже превышать массу всех живых существ, населяющих поверхность нашей планеты ».
- Ibid. : « Пределы выносливости литосферных бактерий изумляют, но, похоже, что нижнюю границу их обитания все-таки устанавливает температура недр. Они могут размножаться при 110°С и выдерживать, хоть и короткое время, температуру в 140°С. Под океанским дном температура растет не так быстро, и нижняя граница жизни там может пролегать на глубине 7 км. […] Количество видов и особей живых организмов, населяющих горные породы, в тысячи и десятки тысяч раз превысило количество бактерий в водах, непосредственно омывающих тихоокеанское дно. Такая обильная жизнь не может быть случайной. Удивительным оказался и тот факт, что гидротермальные источники, бьющие сквозь трещины в океаническом дне, не могут похвастаться ни таким обилием микроскопической жизни, ни таким ее разнообразием. Жизнь в базальтовых породах морского дна вполне может быть сопоставима с жизнью микроорганизмов, обитающих в почве ».
- N.F. Glazovskij, « Vozmožnaja rol’ organičeskogo veščestva v tektoničeskih i vulkaničeskih processah » [Le rôle possible de la matière organique dans les processus tectoniques et volcaniques], Izbrannye sočinenija, t. 1, Geohimičeskie potoki v biosfere [Flux géochimiques dans la biosphère], M., KMK, 2006, p. 520-525.
- Ibid., p. 523 : « Если принять гипотезу о том, что в океанических желобах земная кора увлекается под островные дуги, приуроченность вулканов именно к ним может быть отчасти связана с тем, что именно здесь происходит преобразование органического вещества осадочных пород. На это косвенно указывает и присутствие нефтей в продуктах деятельности многих вулканов ».
- Ibid., p. 524 : « Таким образом, на наш взгляд, приведенные расчеты вполне показывают допустимость гипотезы о возможной существенной роли органического вещества в некоторых тектонических и вулканических процессах ».
- V.I. Vernadskij, « O sostojanijah prostranstva…» [Sur les états de l’espace …], Problemy biogeohimii… [Problèmes de biogéochimie…], op. cit., p. 120-121 : « I. Мне кажется, что один, по-видимому, планетный процесс, нам совершенно непонятный и чуждый, должен быть принят как основной субстрат всех явлений, нами на Земле наблюдаемых. // Это стихийное изменение в ходе геологического времени химического элементарного (сейчас говорят элементного – Г.А.) состава нашей планеты. Этот процесс выражается в радиоактивном распаде некоторых, как нам кажется, химических элементов, радиоактивных U, Th, Ra, K, Rb и т.д. // Эти элементы постепенно, непрерывно, неотвратимо, стихийно, с определенным для каждого темпом исчезают на нашей планете и вместо этого создаются, увеличиваются в количестве атомы свинца, кальция, гелия и т.д. Процессы эти сопровождаются огромным, в конце концов, выделением тепловой энергии, достаточном для объяснения всех нам известных самых мощных геологических явлений вулканизма, землетрясений, внутренней теплоты подкоровой области нашей планеты и т.д. // В зависимости от количества этих атомов максимум температуры планеты, таким образом получаемый, лежит где-то ниже гранитной оболочки в тяжелой подгранитной оболочке ».
- B.L. Ličkov, K osnovam sovremennoj teorii Zemli [Aux bases de la théorie moderne de la Terre]. L., LSU, 1965.
- J. Lovelock, « The Gaia Hypoyhesis » [L’hypothèse de Gaia] in Gaia en action, Édimbourg, Floris Books, 1996, p. 15-33.
- W.E. Krumbein, A.V. Lapo, Vernadsky’s Biosphere as a Basis of Geophysiology [La Biosphère de Vernadsky comme base de géophysiologie], op. cit., p. 115-134.
- NdT : Pouvoir réfléchissant d’une planète. L’albédo du système Terre-atmosphère est la fraction de l’énergie solaire qui est réfléchie vers l’espace.
- G.P. Aksenov, « Kosminta: Biosfery v kosmose » [Cosminte : Biosphères dans l’espace]. M., URSS, 2018.
- Ibid, p. 104-105.
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- « Novye opredelenija dlja tel Solnečnoj sistemy: vosem’ planet » [Nouvelles définitions pour les corps du système solaire: huit planètes], [en ligne] http://www.astroneT.ru/db/msg/1215442 [consulté le 13/01/2022] Le message fait référence à la décision de l’ICA de 2005, [en ligne] http://www.iau2006.org/mirror/www.iau.org/iau0601/iau0601_resolution.html [consulté le 13/01/2022]
- S. Popov, « Ekzoplanety. 12 lekcij ob issledovanijah planet, obraščayuščihsja vokrug drugih zvezd » [Exoplanètes. 12 conférences sur l’exploration des planètes en orbite autour d’autres étoiles]. [en ligne] https://postnauka.ru/courses/46100#id46113\ [consulté le 13/01/2022]
- B.A. McGuire, P.B. Carroll, R.A. Loomis, J.A. Finneran, P.R. Jewell, A.J. Remijan, « Discovery of the interstellar chiral molecule propylene oxide (CH3CHCH2O) », Science 17 Jun 2016, Vol. 352, Issue 6292, p. 1449, [en ligne] http://science.sciencemag.org/content/352/6292/1449 [consulté le 13/01/2022], « [Наша] работа открывает перспективу измерения избытка энантиомера в различных астрономических объектах, в том числе в регионах, где формируются планеты, чтобы узнать, как и почему впервые появился избыток [изомеров] ».
- V.A. Tverdislov, L.V. Jakovenko, A.A. Žavoronkov, « Hiral’nost’ kak problema biohimičeskoj fiziki » [La chiralité comme problème de physiquebiochimique], Rossijskij himičeskij žurnal, 2007, t. LI, n° 1, p. 13 : « Молекулярная хиральная асимметрия в биосфере создавалась в ходе биологической эволюции и в современном мире однозначно реализуется на генетическом уровне и в биосинтезе. Ее возникновение, согласно гипотезе авторов данной статьи, связано с фракционированием энантиомеров абиогенно образовавшихся хиральных соединений, которое осуществлялось на неравновесной границе океан-атмосфера в процессе зарождения предшественников живых клеток ».
- V.A. Kizel, « Fizičeskie faktory dissimetrii živyh system » [ Facteurs physiques de la dissymétrie des systèmes vivants], M., Nauka, 1985.
- « Učenye smogli obnaružit’ aminokisloty i DNK v krošečnom fragmente meteorite » [Les scientifiques ont pu détecter des acides aminés et de l’ADN dans un minuscule fragment d’une meteorite], Journal of Chromatography, [en ligne] http://www.astronews.ru/cgi-bin/mng.cgi?page=news&news=5470 [consulté le 13/01/2022] : « Ученые обнаружили компоненты ДНК и аминокислот в небольшом фрагменте мурчисонского метеорита, который упал на Землю в 1969 году. Прежние исследования метеорита так же помогли обнаружить органические вещества. Особенность данного исследования – в том, что образцы, которые исследовались в прошлом, были намного больше ».
- « Aminokisloty v glubokom kosmose » [Les acides aminés dans l’espace lointain], Nauka i žizn’, 2017, n° 7, [en ligne] http://www.nkj.ru/archive/articles/4985/ [consulté le 13/01/2022] : « Спектральный анализ излучений, приходящих из дальнего космоса, позволил обнаружить в межзвездном пространстве 130 видов молекулярных соединений, в том числе довольно сложных, например этанол C2H5OH ».