Pour honorer une première fois son citoyen Zosimos, qui était en même temps un citoyen romain, quelques années après 84 a.C., la cité de Priène plaça trois statues – l’une en en bronze, la seconde en or et la dernière en marbre – et une image peinte ἐν τῷ ἐπισημοτάτωι τῆς πόλεως τόπωι1. Pratique que l’on retrouve par ailleurs dans d’autres cités grecques. En revanche, lorsque le Conseil et le peuple honorèrent Zosimos pour les deuxième et troisième fois avec trois statues, toujours en bronze, or et marbre, et une image peinte – ce qui représente au total neuf statues et trois images – on décida de placer les statues ἐν τοῖς ἐπιση̣μοτάτοις τῆς πόλεως τόποις2. Bien évidemment, afin d’éviter qu’il y ait sur un intervalle de moins de dix ans douze représentations du même homme au même endroit, le Conseil et les peuples répartirent les statues de Zosimos sur plusieurs places très représentatives. Dans les cités grecques il n’y avait ainsi pas un seul ἐπισημότατος τόπος – comme pourrait le suggérer le superlatif – mais différents lieux très fréquentés comme les sanctuaires, les agorai ou les acropoles où placer des statues ou des inscriptions, même si l’on pouvait parfois opérer une hiérarchisation de prestige entre les différents lieux. Par ailleurs, cette hiérarchie pouvait changer au cours des siècles, invitant à placer des statues et des inscriptions dans des lieux différents. Ainsi, l’expression ἐπισημότατος τόπος, ou l’équivalent plus courant ἐπιφανέστατος τόπος, à l’exception des inscriptions pour Zosimos et quelques autres inscriptions, ne sont utilisés habituellement qu’au singulier3. Néanmoins, la décision de placer des inscriptions ou des statues semblait influencée par plusieurs facteurs très différents. Par conséquent, il n’y avait pas “un” ἐπιφανέστατος τόπος en général, mais chaque statue ou inscription semblait avoir sa place idéale. Quel était alors l’endroit parfait pour un monument ? Sur quels critères les cités ont-elles choisi les lieux où placer inscriptions et statues ? Et quels étaient les facteurs qui ont influencé ces décisions ?
Ce sont ces réflexions générales qui ont conduit au choix du sujet de cet article intitulé “Le placement des décrets honorifiques dans les cités” et qui a pour vocation d’interroger sur le choix de la place spécifique des inscriptions dans l’environnement monumental des cités grecques. L’analyse du placement des inscriptions donnera aussi une idée de la catégorie de population fréquentant un édifice ou un lieu. L’article posera alors la question de la lisibilité des inscriptions et du lien qu’elles entretenaient avec d’autres monuments, tels des statues ou des temples. Il faudra aussi tenir compte du public auquel s’adressaient les inscriptions. De longs décrets étaient par exemple, au départ, destinés à être lus dans les assemblées et s’adressaient principalement à la population présente4. Toutefois, plusieurs décrets ayant été originellement prévus pour la publication sur stèle, les auteurs incluaient également des groupes qui n’étaient pas présents à l’Assemblée5.
La question du placement des inscriptions en général pose souvent plusieurs problèmes. En premier lieu, la plupart des inscriptions ne sont pas à leur place d’origine. Elles furent réutilisées et déplacées dès l’Antiquité ou aux époques suivantes et se trouvent aujourd’hui dans d’autres bâtiments, des églises par exemple. Heureusement, certaines inscriptions contiennent des informations sur leur place d’origine. Ces indications sur la mise en place des monuments sont souvent très générales et ne précisent pas l’ἐπιφανέστατος τόπος réservé pour les stèles. Ceci s’explique par le fait que, pour les contemporains, l’ἐπιφανέστατος τόπος de la cité n’avait naturellement pas besoin d’être précisé. Il demeure néanmoins quelques inscriptions fournissant des informations très précises sur le placement des monuments. L’analyse suivante examinera ces questions générales avec l’exemple des inscriptions des cités de Priène et d’Athènes et des îles d’Amorgos et d’Astypalaia. Enfin, l’analyse tiendra aussi compte des gymnases – institutions centrales pour la formation de la jeunesse à l’époque hellénistique –, qui, en tant que lieux très fréquentés, étaient significatifs et prestigieux.
Agorai et sanctuaires – Le placement des inscriptions à Priène
La cité de Priène, surnommée par T. Wiegand la “Pompéi de l’Asie mineure”, est une des cités les mieux conservées de l’époque hellénistique et offre, outre les vestiges archéologiques, un corpus d’inscriptions très riche6. Plusieurs inscriptions sont toujours à leur place d’origine ou peuvent être replacées dans leur contexte premier. Quelques décrets, comme le décret honorifique des soldats de la Teloneia pour leur commandant Helikon à Priène par exemple, daté des premières décennies du IIIe siècle a.C., donnent ainsi des informations très précises sur leur emplacement7 :
ἵνα δὲ καὶ τὰ ἐ|[ψη]φισμένα ὑπάρχη̣ι διὰ παντὸς ἔν τ[ε] | (40) [τ]ῆ̣ι πόλει καὶ τῆι ἄκραι, ἑλέσθαι πρεσ|[β]ευτὰς ἄνδρας δύο, οἵτινες παραγενό|μ̣ενοι ἐπί τε τὴν βουλὴν καὶ τὸν δῆμο[ν] | [ἐν] τῶι ἐννόμωι χρόνωι ἀξιώσουσιν, ἵνα τε ἡ | (44) ἀ̣ναγραφὴ τοῦδε τοῦ ψηφίσματος γένηται ὑ[π’] | αὐτῶν ἐν τῆι παραστά[δι] τῆς στοᾶς τῆς ἐν | τῶι Ἀσκληπιήωι τῆι ἐνδέξια εἰσπορευομέ|[ν]ων, καὶ ἵνα δοθῆι αὐτοῖς τόπος ἐν τῶι ἱε|(48)ρῶι τοῦ Τήλωνος ὁ παρὰ τὴν στήλην τὴν | Ἀριστίππου τοῦ Φιλίου, ἐν ὧι ἀναθήσουσιν | στήλην λιθίνην, ἀναγράψαντες ἐν αὐτῆ[ι] | [τ]ὸ ψήφισμα τόδε·
“Afin que les décisions votées soit en tout temps visible dans la ville, comme dans le fort, que l’on désigne comme ambassadeurs deux hommes, qui, se présentant devant le Conseil et le peuple, demanderont durant le délai fixé par loi, que la gravure du présent décret soit effectuée par eux sur le montant de la porte du portique qui se trouve à droite dans le sanctuaire d’Asklepios à droite quand on entre, et afin qu’il leur soit accordé l’emplacement dans le sanctuaire de Télôn à côté de la stèle d’Aristippos, fils de Philios, où ils consacreront une stèle de pierre, y ayant fait transcrire le présent décret.”
Comme on ne connaît pas la stèle pour Aristippos, fils de Philios, l’identification de l’emplacement exact des monuments pose problème. Cependant, il est clair que les monuments devaient être placés dans des lieux fréquentés et déjà occupés par d’autres monuments. De plus, les monuments présentant Helikon comme un commandant idéal, qui a gardé le fort avec zèle (7-9) et était en général honnête et juste (15-16), ont vocation à s’adresser à différents publics et sont par la suite placés dans des lieux différents8. L’inscription s’adressant à des commandants en devenir, une stèle est placée dans le sanctuaire de Telon, probablement dans le fort, qui s’appelle Teloneia9. Il faut toutefois remarquer que ce décret honorifique présentant le commandant idéal et les valeurs de la cité – le commandant était toujours un citoyen – était également destiné aux autres citoyens. En conséquence, un deuxième exemplaire de l’inscription était placé au milieu du montant de porte de la stoa du sanctuaire d’Asklépios à droite, qui est situé en plein centre de la cité de Priène10.
À Priène, le placement des inscriptions était en général orchestré par des autorités civiques. À la haute époque hellénistique, le lieu le plus fréquenté – et donc le plus adéquat pour le placement des décrets honorifiques – était le temple d’Athéna11. À la basse époque hellénistique, cet endroit fut remplacé par l’agora, où plusieurs très longs décrets honorifiques étaient inscrits sur les murs de la Stoa Nord12. L’ἐπιφανέστατος τόπος avait donc changé entre-temps. L’arrangement des inscriptions sur les murs était organisé par l’ἀρχιτέκτων de la polis, chargé de choisir l’emplacement pour les décrets qui garantirait une visibilité pour le plus large public possible13. Après la rénovation du lieu et le réarrangement des statues, l’agora à la basse époque hellénistique était le cœur civil de la cité. Elle était alors fréquentée par le public visé par des décrets honorifiques, porteurs de messages idéologiques et de valeurs civiques14. Si l’on observe les inscriptions sur le mur, on distingue très clairement un schéma général pour le placement des décrets, dont on peut même reconstruire la chronologie relative15. Il est difficile de dire si les inscriptions sur ce mur couvert de décrets étaient vraiment lues, mais il semble que les textes aient néanmoins été rédigés pour des destinataires précis. Chaque décret portait un titre avec le nom de la personne honorée et les honneurs reçus en lettres plus grandes. Les dernières sur le mur, dédiées à Zosimos, furent placées très haut au-dessus des autres décrets et comportaient des caractères deux fois plus grands que les autres inscriptions16. La lisibilité des lettres, dont la hauteur atteint seulement 2 cm, pose toutefois question. Cependant, les inscriptions pour Zosimos donnent des informations sur les récepteurs envisagés par les décrets17 :
καὶ ἄρ[ξ]ασθαι πρῶτος τῆς εἰς [τὴν π]όλιν χάριτος, ἐσκέψατο δι’ ὧν <τὸ> πλῆθος τὴν | πρὸς τοὺς εὖ διατιθέντας φυλάσσε̣[ι] μ[ν]ήμην·
“Et étant le premier à commencer de (marquer) sa gratitude envers la cité, il a veillé par cela à ce que le peuple conserve la mémoire envers ceux qui agissent bien.”
Zosimos savait très probablement pourquoi la cité avait décidé d’honorer des citoyens par les autres décrets déjà inscrits sur les murs. Les textes, qui honorent des citoyens exemplaires, s’adressaient principalement au public de la cité qui se rassemblait sur l’agora. L’agora de Priène, à cette époque, était remplie de statues. Ces monuments et les inscriptions formaient ainsi un ensemble honorifique. Les décrets qui faisaient partie de cet ensemble accompagnaient et expliquaient les statues représentant ces citoyens exemplaires. Ils donnaient ainsi des exemples à suivre pour les générations suivantes18. Le Romain qu’était Zosimos n’était probablement pas citoyen de naissance. Le placement des décrets sur le mur d’inscriptions célébrant les grands bienfaiteurs de la cité aux époques précédents était donc pour lui un honneur plus prestigieux encore que pour les autres. Il faut enfin remarquer que ces décrets désignent pour la première fois la Stoa Nord – la ἰερὰ στοά – comme lieu propice à la gravure d’inscriptions19.
Athènes et les décrets pour Euphrôn de Sicyone
Le placement des inscriptions ne pose pas seulement question à Priène. À Athènes, les décrets honorifiques du IIIe siècle a.C., comme ceux pour Lycurgue, Démosthène, Callias ou Phaidros de Sphettos, étaient, à la manière des statues honorifiques, une partie intégrante des conflits entre les forces démocratiques et les partisans des rois macédoniens20. Un exemple très instructif est le décret pour Euphrôn de Sicyone – premier décret à avoir jamais été publié par la cité d’Athènes en l’honneur d’un citoyen21. Euphrôn, citoyen de Sicyone de naissance, a participé à la guerre contre les Macédoniens en 323/322 a.C. et fut honoré par la cité d’Athènes pour cet acte via l’octroi de la citoyenneté22. Deux stèles avec décrets honorifiques furent placées sur l’Agora et au milieu du temple de Zeus Σωτήρ. Les inscriptions étaient un symbole pour la démocratie et la liberté et montraient l’idéologie et le pouvoir des forces démocratiques23. Pour cette raison, les monuments ne s’adressaient pas seulement aux habitants de la cité, mais constituaient également un défi aux rois macédoniens et à leurs partisans. Par la suite, quand les conditions politiques se transformèrent, l’oligarchie au pouvoir détruisit les monuments pour Euphrôn, tombé à la guerre24. Quand les conditions politiques changèrent à nouveau, les forces démocratiques au pouvoir l’année 318/317 a.C. remirent en place les monuments dans leur lieu d’origine25. À la suite du premier décret, un deuxième récapitulait les évènements. L’inscription parle également de sa propre fonction (62-72) :
νῦν δὲ ἐπειδὴ ὅ τε δῆμος [κατελ]|ήλυθε καὶ τοὺς νόμους καὶ τὴν δημοκρατίαν ἀ[πείλη]|(64)φε, ἀγαθεῖ τύχει δεδόχθαι τῶι δήμωι, εἶναι τὰ[ς δωρε]|ὰς κυρίας Εὔφρονι πάσας, αἷς ἐτίμησεν αὐτὸν ὁ [δῆμο]|ς ὁ Ἀθηναίων, καὶ αὐτῶι καὶ ἐγγόνοις, καὶ τὰς σ[τήλας] | τὰς καθαιρεθείσας, ἐν αἷς αἱ δωρεαὶ ἦσαν γεγ[ραμμέν]|(68)αι καὶ τὸ ψήφισμα, ἀναγράψαι καὶ ἀναθεῖναι τ[ὸν γρα]|μμ̣ατέ<α> τῆς βουλῆς τὴμ μὲν ἐν ἀκροπόλει τὴν δὲ πα[ρὰ τ]|ὸν Δία τὸν Σωτῆρα καθάπερ ὁ δῆμος ἐψηφίσατο [πρότε]|ρ̣ον, προσαναγράψαι δὲ καὶ τόδε τὸ ψήφισμα ἐν ἀ[μφοτ]|(72)έραις ταῖς στήλαις.
“attendu que le peuple est maintenant sauvé et les lois et la démocratie sont rétablies, il a plu au peuple, que soient tous valides les honneurs pour Euphrôn, par lesquels le peuple des Athéniens l’a honoré, lui-même et ses descendants, et que le secrétaire du Conseil fasse transcrire et ériger les stèles, qui furent détruites et sur lesquelles les honneurs et le décret étaient inscrits, l’une sur l’acropole, l’autre à côté de Zeus Sôtèr, comme le peuple l’a voté auparavant, et qu’il inscrive en outre le présent décret sur les deux stèles.”
Les lois et la démocratie étant rétablies, la cité décida donc de restaurer les honneurs d’Euphron. Les stèles devinrent alors un symbole du rétablissement de la démocratie et de la liberté et firent de nouveau office d’encouragements à la force démocratique contre l’oligarchie soutenue par les rois macédoniens26. Le temple de Zeus Σωτήρ comme lieu pour les inscriptions était de plus très symbolique. Le placement des décrets visait donc à véhiculer une valeur idéologique auprès d’un public aussi large que possible.
Le culte d’Athéna Itonia sur l’île d’Amorgos
Outre la valeur politique et symbolique des inscriptions, leur placement pouvait aussi être une façon pour des cités grecques de se livrer concurrence. Amorgos était une petite île comptant trois cités indépendantes. On y trouvait un sanctuaire d’Athéna Itonia, fréquenté par les cités voisines d’Arkesinè et de Minoa27. Chaque année, ces cités élisaient chacune un ἄρχων pour organiser la fête d’Athéna dans le sanctuaire. Après leur mandat, les organisateurs de la fête étaient honorés par les cités pour leur générosité et les dépenses extraordinaires auxquelles ils avaient consenti, comme des aides financières supplémentaires ou l’organisation de concours et de sacrifices28. Les stèles commémorant leurs mérites étaient souvent placées à la fois dans leur cité respective et dans le sanctuaire. Ainsi, le décret pour Lanikos de Minoa29 :
(12) [ἀ]ν[α]γράψαι δὲ τὸ ψήφισμα [τόδε εἰς τὸ] | ἱερὸν τῆς Ἀθηνᾶς τῆς Ἰτωνίας [καὶ εἰς] | [τ]ὴν πόλ[ιν οὗ ἂν β]ούληται Λάνικος.
“Qu’on inscrive le présent décret dans le sanctuaire d’Athena Itonia et dans la ville,
là où souhaite Lanikos.”
Un autre exemple est founi par un décret pour un citoyen inconnu d’Arkesinè30 :
τὰ δ[ὲ] | (4) [ἐψηφισμένα ἀναγράψαι ἐν στήλα]ις [δυσὶ] | [καὶ στῆσαι τὴν μὲν εἰς τὸ] ἱερὸν τῆ[ς] | [Ἀθηνᾶς, τὴν δὲ ἑτέραν ε]ἰς τὴν ἀγορὰ[ν] | [οὗ ἂ]ν β[ούληται· ἐπι]μ[εληθῆ]ναι δὲ τῆς ἀναγρα|(8)[φῆς] καὶ [τῆς ἀνασ]τ[ά]σεως Κλεόφαντον Κλεο|[φῶ]ντο[ς].
“Qu’on inscrive les décisions votées sur deux stèles et qu’on les place l’une dans le sanctuaire d’Athéna, l’autre sur l’agora, là où il le souhaite ; que Kleophantos, fils de Kleophôn se charge
de la transcription et de la consécration [ou “de l’érection (des stèles)”].”
Ainsi, ponctuellement, les deux communautés ne se contentèrent pas de publier leurs décrets honorifiques dans leur cité, mais en firent un deuxième exemplaire qu’elles placèrent dans le sanctuaire. Dans ce dernier en particulier, qui était fréquenté par des citoyens des deux cités, les stèles s’adressaient à l’autre cité en commémorant les mérites de leurs propres citoyens – qui étaient évidemment plus grands que ceux des citoyens de la ville voisine –. Dans ces conditions particulières, les stèles avec décrets étaient surtout l’expression de la concurrence entre les deux cités31. Placées dans le sanctuaire, les inscriptions trouvaient un nouveau public visé par les auteurs – même si le lieu, contrairement aux espaces publics de la cité, était probablement seulement fréquenté lors d’occasions particulières.
L’agoranomion d’Astypalaia
Aux alentours de 200 a.C., le Conseil et le peuple d’Astypalaia votèrent deux décrets honorifiques pour les agoranomoi Damoteles et Arkesilas et publièrent les décrets sur la φλιά – probablement le montant de porte – de l’entrée de l’agoranomion, comme spécifié par le décret pour Arkesilas (23-26)32 :
τὸ δὲ ψάφισμα | (24) τόδε ἀναγράψαι ἐς τὰν φλιὰν τοῦ ἀγοραν[ο]|μίου, ἄνδρα δὲ ἑλέσθαι ὅστις ἐπιμεληθη|[σ]εῖ τᾶς ἀναγραφᾶς
“Qu’on inscrive le présent décret sur la φλιά de l’agoranomion ; qu’on désigne un homme, qui se chargera de la transcription.”
Le contenu des inscriptions était quasiment identique et, par conséquent, ne transmettait pas d’informations sur les activités des magistrats, mais la vision de l’agoranomos idéal : Damotelès et Arkesilas se sont occupés chacun des affaires de l’agora d’une manière exemplaire en garantissant des prix justes et en contrôlant la vente des grains33. Dans le contexte de l’uniformisation des textes, rendre des honneurs à des magistrats à la fin de leur mandat était peut-être une pratique habituelle. Toutefois, le contenu de ces inscriptions les fait apparaître comme des honneurs rares et exceptionnels. De plus, le monument et ses deux décrets identiques ne constituaient pas seulement un honneur supplémentaire rendu à Damotelès et Arkesilas, mais servaient aussi de déclaration fondamentale à des agoranomoi en devenir34[34]. Dans ce but, la φλιά à l’entrée de l’agoranomion – certainement pas le lieu le plus prestigieux dans la cité – était l’endroit parfait pour les inscriptions.
Les gymnases – Établissements de formation pour la jeunesse
Le gymnasion à l’époque hellénistique devenait un lieu central pour l’identité des communautés grecques et remplissait, en tant que “seconde agora”, un rôle central dans la vie d’un citoyen35. Établissements pour la formation et l’éducation de la jeunesse, les gymnases transmettaient aussi la morale et les valeurs d’une cité grecque36. Alors que son importance s’accroissait, le Conseil et le peuple – ainsi que d’autres groupes comme des neoi ou des éphèbes – commencèrent à publier des décrets en l’honneur de magistrats, comme des gymnasiarques ou, plus rarement, d’autres personnes37. Les décrets pour les gymnasiarques, en particulier, donnent souvent – par exemple à Pergame, à Érétrie ou à Thémisonion – des aperçus intéressants de la vie quotidienne des institutions38. Dans certaines cités, les gymnases permettaient aussi le culte des rois hellénistiques, on pouvait donc y trouver des statues ou d’autres honneurs pour des rois – dont la réalisation avait effectuée à l’initiative de gymnasiarques39. Les décrets honorifiques pour des gymnasiarques mentionnaient alors l’engagement des magistrats pour les cultes des rois et donc la loyauté de la cité. En dehors de l’honneur personnel, les inscriptions comportaient toujours des messages idéologiques et donnaient des exemples à suivre. À Pergame, les décrets pour les gymnasiarques faisaient partie intégrante de la formation de la communauté après la fin du royaume en 133 a.C. et présentaient de nouvelles valeurs civiques40. En organisant des cortèges funèbres pour tous les citoyens et en faisant accompagner les processions par les éphèbes et les neoi, le gymnasiarque Métrodôros contribua en grand partie à l’intégration des citoyens41. D’autres gymnasiarques des années qui ont suivi 133 a.C., comme Stratôn ou Athénaios, ont surtout réglé la vie quotidienne des institutions, mais constituèrent en même temps de nouveaux modèles pour les gymnasiarques en devenir42. Dans la cité d’Iasos, malgré sa jeunesse, l’éphèbarque Melanion fut honoré comme un grand bienfaiteur par l’attribution d’une couronne d’or, d’une image peinte et de deux statues en bronze et en or43. Le décret, qui fut évidemment disposé dans le gymnase, célébrait les vertus et le comportement exemplaire de Melanion et présentait le jeune homme comme un modèle pour ses camarades44. En tant que lieu d’entraînement et d’éducation de la jeunesse de la cité, les gymnases constituaient l’environnement parfait pour l’affichage des décrets honorifiques représentant des citoyens exemplaires, en montrant dans un même temps les valeurs de la cité. Ici encore, le public envisagé par les cités était un facteur déterminant pour le choix de l’emplacement des inscriptions.
Conclusion
Les décrets honorifiques gravés sur stèle qui, en présentant des citoyens exemplaires, avaient souvent des intentions didactiques, étaient placés dans des lieux associés aux personnes dont ils parlaient. Les décrets pour des gymnasiarques ou les éphébarques se trouvaient ainsi souvent dans les gymnases, ceux pour des agoranomes dans l’agoranomion et ainsi de suite. Ces inscriptions – comme le décret pour Helikon dans le sanctuaire de Telon ou les inscriptions dans les gymnases – n’étaient pas placées dans les lieux les plus fréquentés par la population en général, mais dans les lieux les plus fréquentés par les personnes auxquelles les inscriptions s’adressaient. Par conséquent, l’ἐπιφανέστατος τόπος n’est pas seulement le lieu le plus visible, mais – comme le θεὸς ἐπιφανής – le lieu le plus efficace (“wirkmächtig”)45. En retour, si l’on analyse le contenu des inscriptions et la catégorie de population concernée par celles-ci, on peut en retrouver le contexte d’origine, comme c’est le cas à Amorgos, même si les inscriptions ont été déplacées entre temps.
En relation avec d’autres monuments, comme des statues ou des bâtiments publics, les inscriptions modelaient – comme l’illustre le cas de Priène – l’espace public des cités grecques et en faisaient des lieux à fort pouvoir symbolique. Le placement des stèles était souvent orchestré par les autorités et tenait aussi très probablement compte de la lisibilité – même si on ne peut pas dire combien de personnes ont vraiment lu les longs décrets inscrits en très petits caractères sur des stèles ou des murs. Toutefois, il est certain que plusieurs inscriptions, tels les décrets pour Zosimos, étaient faites pour un grand public. Il semble en effet que l’on ait cherché à aider à comprendre en structurant les inscriptions, notamment grâce à des espaces entre les différents paragraphes ou via des intitulés écrits en plus grandes lettres.
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Notes
- I. Priene 112 = I. Priene B – M 68, 136-140 ; pour les origines de Zosimos cf. Kah 2012, 62 ; Kah 2015, 393 ; pour la date des honneurs cf. Fröhlich 2005, 228 ; Grandinetti 2007, 17 ; Kah 2012, 63-66 ; Curty 2015, 147 ; Kah 2015, 393 ; Forster 2018, 302.
- I. Priene 113 = I. Priene B – M 69, 99-101 ; I. Priene 114 = I. Priene B – M 70, 35-37. Pour les honneurs de Zosimos et les statues en particulier cf. Bresson 2012, 214 ; Kah 2015, 392.
- Cf. aussi IG XII 7, 228 ; I. Labraunda 8 B ; Paris & Holleaux 1885 n° 15 ; I. Estremo Oriente 271 ; 278 ; 453 ; IGLS 3, 2, 992 ; Reynolds 1973/1974.
- Samons 2013, 269-272 ; pour l’adoption des décrets cf. en général Rhodes & Lewis 1997, 11-34 ; 491-527 ; Bielfeldt 2012, 113-119 ; Forster 2018, 36-38.
- Chaniotis 2014, 134 ; 143-147 ; pour l’enregistrement et la publication des décrets cf. aussi Wilhelm 1909, 229-299 ; Klaffenbach 1966, 52-55 ; Robert 1961, 459 ; Thomas 1992, 132-144 ; Rhodes & Lewis 1997, 3 ; 525-527 ; McLean 2002, 9 ; 215 ; Migeotte 2014, 74-82 ; Forster 2018, 37f.
- Pour les vestiges archéologiques cf. Rumscheid 1998 ; Raeck 2003 ; 2009 ; Bielfeldt 2012 ; pour la société cf. aussi Fröhlich 2005 ; Kah 2012 ; 2014 ; 2015.
- I. Priene 19 = I. Priene B – M 25, 39-51.
- Pour les qualités d’Helikon cf. en général Quaß 1993, 88 ; Hamon 2012, 61 ; Boulay 2014, 53-55 ; Forster 2018, 107.
- Pour le sanctuaire de Telon cf. le commentaire par Blümel & Merkelbach 2014.
- Pour la publication dans le sanctuaire d’Asklepios cf. Kah 2014, 159 n. 72.
- Bielfeldt 2012, 101 ; Kah 2015, 388.
- I. Priene 107-130 = I. Priene B – M 63-85 ; pour l’agora de Priene cf. en général Von Kienlin 2004.
- Voir par exemple I. Priene 108 = I. Priene B – M 64, 377-379 : [ὅπως ἀναγρα]|φῆι τῆς ἀγορᾶς ἐν τῶι ἐπιφανεστάτ[ω]ι τόπωι [εἰς ὃν] | ἂν [σ]υ[νκρίνηι ὁ] ἀρχιτέκτων – “qu’on inscrive (le décret) sur l’agora sur la place la plus connue, où l’architecte le souhaite.” Cf. aussi Forster 2018, 291.
- Pour l’agora comme le cœur civil de la cité même, pour la rénovation du lieu et le réarrangement des statues à la basse époque hellénistique – probablement vers le milieu de IIe siècle a.C. – : cf. Raeck 2003, 343-349 ; 2009, 311f. ; Bielfeldt 2012, 98-108 ; Ma 2013, 142-148 ; Biard 2017, 163 ; Forster 2018, 283f.
- Pour la mise en place même, pour les dates et la chronologie relative des décrets honorifiques, qui étaient inscrits sur les murs de la Stoa Nord : cf. aussi les commentaires sur l’inscription par Hiller von Gaertringen 1906, Blümel & Merkelbach 2014. Les premiers décrets honorifiques furent inscrits par la cité sur le mur ouest. Quand, après quelques décennies, il n’y eut plus assez de place sur le mur ouest, on inscrivit les décrets sur le mur est. Fröhlich 2005, 225f. ; Grandinetti 2007, 15 ; Bielfeldt 2012, 101 ; Kah 2015, 388 ; Forster 2018, 283f.
- Forster 2018, 303.
- I. Priene 113 = I. Priene B – M 69, 14-15.
- Pour les liens entre les statues et les décrets honorifiques cf. en général Ma 2013, 55-62 ; pour les valeurs représentées par des statues cf. aussi Zanker 1995.
- I. Priene 113 = I. Priene B – M 69, 120-122 ; I. Priene 114 = I. Priene B – M 70, 40-41.
- Plu., Moralia, 852 A-E (Lykourgos) ; 850 F-851 C (Demosthenes) ; IG II/III3 1, 4, 911 (Kallias ; cf. aussi Shear 1978) ; IG II/III2682 = II/III3 1, 4, 985 (Phaidros) ; cf. aussi IG II/III2 649 = II/III3 1, 4, 857 (Philippides de Paiania) ; IG II/III2 657 = II/III3 1, 4, 877 (Philippides de Kephale) ; Plu., Moralia, 851 D-F (Demochares) ; II/III3 1, 5, 1292 (Kephisodoros ; cf. aussi Meritt 1936 n° 15) ; pour les décrets honorifiques d’Athènes cf. aussi Gauthier 1985, 77-128 ; Kralli 1999/2000 ; Luraghi 2010 ; Forster 2018, 51-95 ; Luraghi 2018 ; pour l’histoire d’Athènes à la haute époque hellénistique cf. Habicht 1979 ; 1982 ; 1995 ; Dreyer 1999.
- IG II/III2 448. Pour la première partie (1-34) cf. aussi IG II/III3 1, 2, 378.
- Habicht 1995, 47-53. Rhodes & Lewis 1997, 39-40. Culasso Gastaldi 2003, 66-68. 77 ; Biard 2017, 147.
- Forster 2018, 56.
- Habicht 1995, 51-59 ; Dreyer 1999, 184-186 ; Culasso Gastaldi 2003, 68 ; Biard 2017, 147.
- Rosen 1987, 289 ; Bayliss 2011, 100f. ; Biard 2017, 147 ; Forster 2018, 57-59.
- Pour la valeur symbolique des décrets cf. Rosen 1987, 287 ; 289 ; Culasso Gastaldi 2003, 67 ; 81f. ; 90 ; Grieb 2008, 55 ; Luraghi 2010, 256 ; Bayliss 2011, 94f. ; 98-101 ; Biard 2017, 147 ; Forster 2018, 58f.
- Pour le culte d’Athena Itonia Wörrle & Wurster 1997, 419-421 ; Lagos 2009 ; pour l’île d’Amorgos et les trois cités d’Arkesine, Minoa et Aigiale Ruschenbusch 1984 ; cf. Kah 2014, 150 Anm. 15 ; Forster 2018, 144f.
- Pour les activités des ἄρχοντες cf. Lagos 2009, 82.
- IG XII 7, 229, 12-14.
- IG XII 7, 23, 3-9.
- Forster 2018, 150.
- IG XII 3, 169 (Damoteles) ; 170 (Arkesilas).
- Pour les activités résumées dans les décrets cf. Quaß 1993, 249 ; Jakab 1997, 71 ; Migeotte 2005, 296 ; 298.
- Forster 2018, 497.
- Robert 1960, 298 n. 3 ; cf. aussi Quaß 1993, 286 ; Gauthier 1995, 1 ; Gehrke 2003, 242-244 ; Ameling 2004, 130-132 ; Scholz 2004, 13-16 ; Hamon 2012, 65 ; Ma 2013, 85 ; Curty 2015, 1-5 ; Forster 2018, 189.
- Wörrle 1995, 248-250 ; Gehrke 2003, 232-233 ; Scholz 2008, 94-95.
- Pour les décrets en l’honneur de gymnasiarques cf. la collection actuelle des décrets par Curty 2015, – malheureusement sans mention de Pergame.
- Pergame : Hepding 1907 n° 10-11 ; Jacobsthal 1908 n° 1-3 ; Hepding 1910 n° 1 ; Eretria : IG XII 9, 234-235 ; S 554 ; Thémisonion : Cousin/Diehl 1889 n° 4 ; cf. aussi Fröhlich 2009, 92-94 ; Curty 2015, 204-211 (n° 35) ; les décrets pour Zosimos de Priene (I. Priene 112-114 = I. Priene B – M 68-70) ne parlent pas seulement de la gymnasiarchie, mais contiennent tout de même des informations de ses efforts comme gymnasiarque.
- Cf. IG XII S 122 (Eresos) ; 250 (Andros) ; Jacobsthal 1908 n° 1 (Pergame) ; n° 2 (Pergame) ; pour les cultes des rois situés dans les gymnases cf. en général Ameling 2004, 133-135.
- Hepding 1907 n° 10-11 ; Jacobsthal 1908 n° 3 ; Hepding 1910 n° 1 ; pour les gymnasiarques à Pergame après l’année 133 a.C. Wörrle 2007 ; cf. Wörrle 2000, 555 ; 563-573 ; Ameling 2004, 141-145 ; Forster 2018, 213-221 ; les décrets pour Diodoros Pasparos des années env. 80-60 a.C. parlent aussi des efforts comme gymnasiarque, mais – grâce à la position exceptionnelle de ce citoyen extraordinaire – ne sont pas représentatifs de la vie quotidienne de l’institution. lorsque Diodoros Pasparos, après ses efforts diplomatiques, avait reçu des honneurs héroïques, il n’avait pas le statut d’un citoyen ordinaire et apparaissait même, en tant que gymnasiarque, plus comme un héros ou un roi que comme un citoyen. Pour les décrets de Diodoros Pasparos Kienast 1970 ; Jones 1974 ; Chankowski 1998 ; Jones 2000 ; Forster 233-243 ; pour le statut exceptionnel de Diodoros Pasparos cf. aussi Ferrary 1997, 203 ; Von den Hoff 2004, 390 ; Zimmermann 2011, 58.
- Hepding 1907 n° 10 ; cf. Wörrle 2007, 512-514 ; Hamon 2012, 62-64 ; Forster 2018, 217.
- Straton : Hepding 1907 n° 11 ; cf. Quaß 1993, 287-288 ; Wörrle 2000, 555 ; Ameling 2004, 142 ; Wörrle 2007, 510-512 ; Forster 2018, 215-217 ; Athenaios : Hepding 1910 n° 1 ; cf. Quaß 1993, 281 ; 287-288 ; 290 ; Wörrle 2000, 555 ; 2007, 510-511 ; Forster 2018, 220-221.
- I. Iasos 98 ; pour les honneurs de Melanion cf. Haake 2007, 233 ; Forster 2018, 208.
- Wörrle 1995, 249-250 ; Haake 2007, 233-234 ; Gray 2013, 238 ; 241-249 ; Forster 2018, 208-209.
- Cf. aussi Chaniotis 2014, 143-144 : “Der epiphanestatos topos ist der Ort der größten Sichtbarkeit und Wirksamkeit.”