Introduction
Le site archéologique d’Isle-Saint-Georges est situé dans la vallée de la Garonne, sur la rive gauche du fleuve, à une vingtaine de kilomètres au sud de Bordeaux (Fig. 1), dans une zone de confluence entre les terrasses alluviales anciennes et récentes de la Garonne, à l’ouest, et le plateau calcaire de l’Entre-Deux-Mers, à l’est1. Le village actuel étant situé sur une ancienne île de la Garonne, ses occupations antérieures ont été relativement bien protégées et conservées, ce qui a motivé la réalisation de sondages et de fouilles. En effet, l’existence d’un établissement humain ancien à Isle-Saint-Georges est connue depuis le XIXe siècle2 et plusieurs campagnes de fouilles, menées par Richard Boudet dans les années 80, puis dirigées par Anne Colin entre 2009 et 2014, ont confirmé la présence d’un site d’habitat ayant connu des occupations successives entre l’âge du Bronze et le début de l’Antiquité3. Les opérations les plus récentes ont consisté d’une part en une campagne de reconnaissance du potentiel archéologique entre 2009 et 2012, et ayant conduit à l’ouverture de six sondages (zones 1 à 6), et d’autre part, en un programme de fouille triennal de 2012 à 2014 (correspondant aux zones 7 et 8) (Fig. 2). Les résultats obtenus ont permis d’attester une première occupation à l’extrême fin de l’âge du Bronze, et d’identifier deux grandes séquences d’occupations successives entre le VIIIe siècle a.C et le Ier siècle p.C.
La première de ces deux grandes séquences d’occupation se développe pendant le Premier âge du Fer et le début du Second (soit entre le VIIIe siècle a.C. et le milieu du IVe siècle a.C.). Le site semble correspondre alors à un habitat groupé de plaine aux activités principalement vivrières. Il se caractérise par des vestiges de sols accompagnés de foyers, des bâtiments sur poteaux et sablières de fondations, et des couches d’épandage de mobilier.
Entre le IIIe et le IIe siècle a.C., les indices archéologiques se raréfient, ce qui évoque une modification des conditions d’occupation du site, peut-être en raison d’un déclin de l’agglomération ou du fait du déplacement de certaines activités sur un autre secteur (inconnu à l’heure actuelle).
À la fin de l’âge du Fer et au début du Haut-Empire (à partir du deuxième quart ou du milieu du Ier siècle a.C. jusqu’au Ier siècle p.C.) l’habitat d’Isle-Saint-Georges reprend de son importance. Il s’agit de la seconde séquence d’occupation notable du site et cela se traduit par la mise au jour de nombreux vestiges archéologiques. Des constructions sur solins de petites dalles et sur moellons de pierres sans mortier font leur apparition et les activités métallurgiques se développent de manière importante. Il s’agit alors d’un petit vicus dynamique qui décline néanmoins assez rapidement après le milieu du Ier siècle p.C, sans doute en lien avec les changements socio-économiques induits par l’intégration dans l’Empire4.
L’agglomération protohistorique et antique d’Isle-Saint-Georges a donc connu une occupation continue sur un temps long, comportant des périodes de transitions et des variations de dynamisme économique. Indissociablement, les activités humaines qui se développent au sein du site permettent de traduire son dynamisme et, parmi elles, l’élevage est une ressource économique importante puisqu’il fournit à la fois une ressource carnée mais également de nombreuses sources de productions secondaires (lait, laine, cuir, corne etc.). Parmi ces fluctuations, l’impact de la romanisation joue probablement un rôle qui se traduit dans le registre archéologique par des modifications de l’activité artisanale mais également par des changements dans les habitudes de consommations alimentaires des habitants. Ces nouveaux goûts sont perceptibles à Isle-Saint-Georges avec l’apparition d’une consommation de poissons marins, alors que les espèces favorisées auparavant étaient exclusivement d’origine fluviale5. Ce phénomène d’influence romaine est bien documenté dans le cas de l’élevage et de l’alimentation carnée en Gaule6 et la chronologie du site d’Isle-Saint-Georges a permis d’orienter l’étude sur laquelle se fonde cet article autour de cette problématique.
Afin de parfaire notre connaissance de ce site d’habitat, un travail sur les restes fauniques a été entrepris. Les modalités d’exploitations des animaux ont donc fait l’objet d’un travail de master7 dans le cadre du projet Labex TeHoTeCa via une collaboration pluridisciplinaire entre les laboratoires Ausonius et PACEA. Ce travail a permis d’avoir une première image de l’évolution des pratiques d’élevage à Isle-Saint-Georges entre le début du Premier âge du Fer et le Haut-Empire. Il a ensuite été complété par une étude portant notamment sur les ensembles les plus anciens et les moins bien documentés.
L’objectif de ce travail était de documenter les pratiques d’élevage et de consommation carnée d’un site d’habitat du Sud-Ouest de la France occupé sur des périodes différentes et de manière continue. L’intérêt était notamment de collecter des données sur une thématique jusqu’à présent peu développée pour cette aire géographique, au vu du très faible nombre de publications, et de l’absence de synthèse concernant l’élevage à ces périodes pour la région. En effet, des régions comme la Picardie, pionnière sur les thématiques liées à l’histoire de l’élevage et de la chasse8, le nord, le nord-est et le sud de la France9, sont parmi les seules à posséder des synthèses régionales portant sur ce sujet. D’autres, comme la Bretagne10 ou le Centre11 possèdent néanmoins des études approfondies de sites. Dans le cas de l’Aquitaine la documentation disponible sur le sujet provient essentiellement de rapports de fouilles. Une thèse portant sur l’étude de la faune dans la région doit néanmoins être mentionnée mais elle concerne uniquement la période gallo-romaine et s’intéresse exclusivement au contexte des milieux clos12 (puits). Étudier l’assemblage osseux d’Isle-Saint-Georges offre donc l’opportunité d’apporter de nouvelles données sur l’histoire de l’élevage dans la région entre la fin de l’âge du Fer et le début de l’Antiquité.
Les résultats obtenus ont permis d’enrichir les connaissances sur la nature de l’occupation d’Isle-Saint-Georges et de contextualiser la place du chien au sein de l’habitat. En effet, l’animal est présent durant de toutes les phases d’occupation du site et il est apparu particulièrement intéressant de documenter son origine, son statut, son apparence au cours du temps.
Les caractéristiques de l’élevage et de l’exploitation des animaux entre le Premier âge du Fer (725-450 a.C.) et le Haut-Empire (20 a.C.-70/80 p.C.)
Composition du corpus et méthodes d’analyses
L’ensemble des études réalisées dans le cadre de ce travail ont été menées sur des restes osseux provenant de structures bien identifiées chronologiquement, et réparties sur la quasi-totalité du site (zones 3, 4, 5, 6, et 7).
La sélection du corpus s’est effectuée selon deux critères principaux : la datation des structures et le nombre de pièces osseuses présentes dans celles-ci.
Dans le cadre de cette étude, les données utilisées proviennent de quatorze unités stratigraphiques réparties dans les zones 3, 4, 6, et 7. La zone 5 ne présentant pas suffisamment de restes fauniques pour être documentée véritablement, elle n’a donc pas été intégrée au corpus.
La liste des espèces qui constituent cet assemblage est relativement restreinte et se compose quasi-exclusivement d’animaux domestiques, à l’exception du lièvre, du sanglier et d’oiseaux dont l’espèce n’a pu être déterminée (Tab. 1). Les proportions de restes estimées pour chaque taxon sont des indicateurs de la présence des animaux sur le site et de l’importance qu’ils y occupent. L’étude de ces restes osseux a permis de montrer que le spectre faunique se développait aux cours des différentes phases d’occupation du site, passant de quatre espèces représentées au premier âge du Fer, à huit durant le Haut-Empire (Fig. 3). Toutefois, on observe que les espèces les plus représentées sont toujours les mêmes : la triade bœuf-porc-caprinés, bien que leur part relative évolue au cours du temps.
On constate ainsi que l’élevage du porc reste globalement stable, tandis que celui des bovinés et caprinés se modifie au vu de la fréquence des restes (Fig. 4). Les caprinés, minoritaires au premier âge du Fer, sont les animaux les plus représentés au Haut-Empire, contrairement à l’élevage bovin qui perd graduellement de son importance.
Par ailleurs, la présence du chien a pu être attestée durant toutes les phases d’occupation du site. Il s’agit de la quatrième espèce la plus représentée sur l’ensemble du corpus, ce qui suggère qu’il occupe une place pérenne au sein de l’agglomération d’Isle-Saint-Georges.
Stature des animaux
Les objectifs de rendement recherchés par l’élevage induisent des sélections d’ordre morphologique parmi les animaux d’une même espèce13.
À Isle-Saint-Georges, ce phénomène n’est pas clairement perceptible en raison de la fragmentation du matériel qui restreint les possibilités d’estimation des hauteurs au garrot des animaux. Cependant, grâce à la présence de quelques os entiers, il a été possible de récolter des données pouvant témoigner de ces variations chez le porc et le bœuf, seules espèces pour lesquelles plusieurs estimations de taille ont pu être réalisées pour des périodes d’occupation différentes. Les dimensions des os ont donc été relevées selon des procédés normalisés établis par Von Den Driesch14 qui permettent de cerner en trois dimensions les différents éléments osseux composant le squelette. L’utilisation de coefficients d’estimation de stature des animaux15 permet ensuite d’estimer la hauteur au garrot des espèces considérées : coefficients définis par Matolcsi pour les bovinés, par Teichert pour les suidés et les caprinés, et enfin par Koudelka pour les canidés.
Dans le cas des porcs, la présence de deux talus a permis la restitution de la hauteur au garrot de deux animaux du Premier âge du Fer (environ 69,8 cm et 67,1 cm) et un métacarpien a permis d’estimer la dimension d’un individu du Haut-Empire (environ 77,2 cm). Si la dimension de l’animal gallo-romain correspond à la moyenne des tailles des suidés au Ier siècle a.C (77,2 cm pour une moyenne située aux alentours de 77 cm16), la hauteur au garrot des individus du premier âge du Fer semble un peu plus petite que celle habituellement rencontrée sur les sites archéologiques (68,5 cm en moyenne obtenus pour les animaux d’Isle-Saint-Georges pour une moyenne située autour de 73 cm selon Lepetz). Au vu de ces estimations, une différence de gabarit semble donc apparaître à la fin de l’âge du Fer ou au Haut-Empire puisqu’une différence de taille de 10 cm a pu être relevée entre les animaux du Premier âge du Fer et celui du Haut-Empire. Dans le cas des bovinés, il a été possible d’estimer la hauteur au garrot de trois individus présents dans les ensembles du Haut-Empire à partir de mesures réalisées sur des métacarpiens et métatarsiens. Ces mesures ont révélé la présence d’un animal de petit gabarit (environ 114 cm au garrot), correspondant aux dimensions connues pour les bovinés de l’âge du Fer (mesurant en moyenne 110 cm au garrot17), et de deux individus de taille nettement supérieure (estimée à 122,6 et 126,6 cm au garrot). Ces observations ayant été réalisées sur un très faible nombre d’individus, elles peuvent soit résulter d’une forte variabilité, pouvant notamment être liée au dimorphisme sexuel au sein d’une même race de bovins, soit indiquer la cohabitation de deux types de bovins, probablement de races différentes18. En effet, avec la romanisation se développe l’importation de grands animaux dans le cas des bœufs et des chevaux. Ces bovins peuvent alors atteindre des tailles supérieures de 30 cm aux animaux protohistoriques de Gaule septentrionale19. Les deux individus de grande dimension identifiés dans ces ensembles peuvent correspondre, de par leur taille, à des animaux d’importation. Un nombre plus significatif de données pour les différentes phases permettrait de corroborer l’élevage de deux races bovines distinctes à Isle-Saint-Georges au cours du Haut-Empire.
Concernant le chien, le sexe n’a pas pu être déterminé pour les individus recensés dans l’assemblage ; néanmoins, une variation de la taille de ces animaux a pu être observée visuellement. Cette différence de gabarit a pu être relevée sur des individus identifiés pour le deuxième âge du Fer et l’époque romaine : au moins un animal de plus grande dimension a pu être répertorié pour la période du Haut-Empire. En raison de la nature très fragmentaire des éléments osseux, seule la taille de cet individu a pu être établie grâce à la présence d’un calcanéum entier sur lequel ont pu être réalisées les mesures afin d’utiliser le coefficient de Koudelka20. Elle avoisine les 45 cm de hauteur au garrot.
Productions secondaires et alimentation carnée
L’estimation de l’âge d’abattage des animaux nous renseigne sur les types de productions privilégiées par l’homme. Ces estimations ont été réalisées à partir des données dentaires et ostéologiques fournies par les restes animaux. Dans le cas des données dentaires, les stades d’éruption des dents ont été évalués grâce à la table construite par Schmid21, elle-même complétée par celles conçues par Habermehl22 ou encore Grigson23 en raison de leur précision concernant les porcs et les bovins. Concernant les animaux adultes, la méthode a consisté à évaluer l’usure de la dentition. Le travail de Grant24, couplé aux travaux de Greenfield et Arnold25, a servi à estimer l’âge à partir des mandibules des caprinés. Les tables de Grant précédemment évoquées, associées à la classification établie par Horard-Herbin26, ont permis d’attribuer un âge d’usure dentaire aux suidés. Dans le cas des bovins, l’étude rédigée par Ducos27, basée sur l’estimation d’un indice d’usure (défini par le rapport entre la hauteur du fût de la dent et son diamètre au collet) associé à une classification élaborée en fonction des âges, a permis d’évaluer l’âge des animaux.
À Isle-Saint-Georges, le porc est exploité pour son fort rendement en viande durant l’âge du Fer alors que durant le Haut-Empire, ce sont les jeunes animaux, n’ayant donc pas atteint leur masse pondérale optimale, qui sont les plus consommés (Fig. 5). Les autres espèces, bœufs et caprinés, sont globalement utilisés de la même manière quelle que soit l’époque considérée. Les bœufs (Fig. 6) le sont principalement pour la viande (abattage de jeunes animaux de moins de 2 ans) mais également pour le travail et le lait (animaux de plus de 7 ans)28. Quant aux caprinés (Fig. 7), ils sont exploités pour leur lait et leur poil avant d’être réformés pour la viande29. L’exploitation de la laine est d’ailleurs corrélée par la présence de pesons employés pour le tissage et qui ont été mis au jour dans différentes zones du site30.
L’objectif de l’exploitation bouchère des animaux peut se résumer selon deux types d’utilisation de la viande : la consommation immédiate et/ou locale et l’exportation de certaines parties dans un but commercial31. Dans le second cas, les éléments anatomiques que l’on retrouvera en majorité dans les ensembles archéologiques seront les parties non consommées. Ce n’est pas ce qui a été observé sur le site d’Isle-Saint-Georges (Fig. 8). La transformation des animaux et de leurs produits secondaires a vraisemblablement eu lieu au sein même de l’agglomération. Cela est conforté par les traces de découpe relevées sur les os (abattage, découpe de quartiers et découpe fine), et présentes sur environ 16 % du corpus étudié (soit près de 19 % du nombre de restes déterminés). De plus, certains éléments évoquant la possible réalisation de salaisons (fragments d’augets à sel et d’amphores) suggèrent également une transformation de la viande dans le but de l’exporter ou de constituer des réserves32.
La place du chien à Isle-Saint-Georges
Animal domestique ou opportuniste ?
La présence du chien a pu être attestée durant toutes les phases d’occupation du site. Il s’agit d’ailleurs de la quatrième espèce la plus représentée sur l’ensemble du corpus. Jusqu’à présent, quatre restes de canidés ont été recensés dans les ensembles datés du début de l’âge du Fer, neuf dans ceux associés à la fin de l’âge du Fer et, enfin vingt-huit restes ont été dénombrés pour le début du Haut-Empire. L’étude de ces restes soulève évidemment la question du statut que l’homme attribue au chien à ces différentes périodes (animal de bouche, compagnon, gardien de troupeau, accessoire de chasse ou de combat). Cette interrogation naît de la grande diversité morphologique de ces animaux, qui laisse suggérer une sélection des individus en fonction de l’usage que l’homme leur attribue, et, également, d’une modification majeure dans le comportement humain à l’égard du chien, à savoir l’arrêt de sa consommation33. Les études s’intéressant aux relations unissant l’homme au canidé montrent une intensification de ces phénomènes au cours de la romanisation en Gaule34. Par ailleurs, une sélection différente des animaux en fonction de leur gabarit semble s’opérer selon le mode d’habitat (urbain ou rural), induisant une utilisation différente des chiens35 dans ces contextes.
Comme en témoignent les traces de manducation (Fig. 9) relevées sur des restes de bœufs, porcs et caprinés, représentant environ 8 % du corpus (à proportions quasi-équivalentes pour chacune des trois espèces citées), un des rôles du chien au sein de l’habitat était probablement celui de nettoyeur. Cela indique que ces animaux avaient vraisemblablement libre accès aux rejets alimentaires des habitants et qu’ils évoluaient en semi-liberté. En revanche, cela ne nous permet pas de percevoir le statut qu’occupaient ces animaux auprès de l’homme. En effet, il peut aussi bien s’agir d’animaux opportunistes évoluant à proximité des occupations humaines pour se sustenter, que d’animaux élevés par l’homme et vivant au sein même de l’agglomération.
Différentes classes d’âge ont par ailleurs pu être mises en évidence dans les restes de chien (à travers la présence d’os de fœtus, de jeunes animaux et d’adultes), ce qui tend à confirmer leur implantation au sein même de l’agglomération et n’exclut pas, de fait, la possibilité d’un élevage canin.
Cynophagie et pelleterie
Au vu du nombre de restes, le canidé semble de plus en plus présent à Isle-Saint-Georges au cours du temps. Son utilisation semble au moins en partie tournée sur le prélèvement de la peau et de la viande. La présence de stigmates sur des côtes, un os coxal, ou encore un humérus ainsi que des traces de désarticulation au niveau de la surface articulaire d’une ulna, suggèrent une action de prélèvement de la viande (Fig. 10, 11-A et 11-B). Ces observations ont pu être réalisées sur des restes datés de la fin du Second âge du Fer et du Haut-Empire, périodes pour lesquelles la consommation de la viande de chien est un phénomène courant et bien attesté par le registre archéologique36, ce qui signifie que le chien était considéré comme un animal de bouche durant ces périodes.
Le prélèvement de la peau, quant à lui, n’est pas toujours évident à démontrer, notamment lorsqu’il s’accompagne de la consommation de la viande de l’animal. Toutefois, dans le cas présent, la présence de traces de découpe sur le bord inférieur de la branche horizontale des mandibules, ou encore les traces relevées sur plusieurs métapodiens et situées perpendiculairement à l’axe d’allongement des os, peuvent être considérées comme des indices d’une pratique de la pelleterie (Fig. 11-C et 11-D).
Aucun des os de chien identifiés dans les ensembles datés du début de l’âge du Fer ne présente de traces anthropiques mais leur nombre est pour le moment insuffisant pour en déduire que les animaux ne faisaient pas l’objet de pratiques bouchères.
Par ailleurs, si l’on s’intéresse à la morphologie des chiens, au moins deux gabarits différents ont pu être mis en évidence parmi les individus recensés dans les assemblages de la fin de l’âge du Fer et du Haut-Empire (Fig. 12). Cela pose, là encore, la question du statut de ces animaux : on peut considérer qu’un animal de petite dimension n’aura probablement pas le même intérêt pour l’homme qu’un individu de grande taille. En effet, un chien de petite taille sera généralement considéré comme un animal de compagnie37, tandis qu’un chien de grand gabarit sera davantage associé à des fonctions de gardiens, d’animal de combat, ou encore d’animal de bouche. Comme précisé précédemment, il a été possible, à partir des mesures effectuées sur un calcanéus d’Isle-Saint-Georges, d’estimer à 45 cm la hauteur au garrot d’un individu de “grande taille” daté du Haut-Empire. Il s’agit d’un gabarit par ailleurs documenté aussi bien durant la période de La Tène qu’au cours de l’Antiquité et qui représente, du point de vue du rendement boucher, une masse non négligeable de 6 à 9 kg de viande38. On peut donc se demander si les chiens de grande taille pouvaient être sélectionnés spécifiquement pour la boucherie ; cependant des traces de découpe ont été relevées sur les os d’un individu plus petit, ce qui tend à infirmer cette hypothèse. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une ressource carnée aisément accessible, surtout si l’on considère les chiens comme des animaux pouvant évoluer de manière autarcique au sein de l’habitat (reproduction, nourriture).
Identité génétique des chiens d’Isle-Saint-Georges
La gestion de ces populations de canidés par l’Homme peut également être abordée sous l’angle de la génétique : celle-ci peut donner un éclairage sur la provenance de ces animaux et, éventuellement, mettre en lumière des sélections et/ou croisements d’individus d’origine différente.
Une analyse paléogénétique classique a donc été menée sur quatorze vestiges de chiens (Tab. 2) afin de caractériser la diversité génétique des chiens présents, consommés ou non, sur le site d’Isle Saint Georges.
Les analyses ont visé la détermination des haplotypes mitochondriaux via l’étude de la région HVR1 (Hyper Variable Region 1) du génome mitochondrial.
Parmi les vestiges ayant fait l’objet d’analyse, huit ont livré des résultats exploitables : un pour la fin de l’âge du Fer, un pour la période de transition de La Tène finale et le début du Haut-Empire, et six pour la période du Haut-Empire.
Au sein de cet ensemble, les données obtenues indiquent la présence sur le site de chiens appartenant à trois lignées distinctes : les haplogroupes A, C et D.
Ces résultats indiquent donc une diversité maternelle notable et pérenne des chiens d’Isle-Saint-Georges, de l’âge du Fer à la période du Haut Empire.
Cette diversité peut résulter de groupes constitués de chiens d’origines diverses et/ou de pratiques d’élevage impliquant des croisements récurrents entre lignées diverses. On peut par ailleurs constater qu’il ne semble pas y avoir de sélection selon ces groupes quant à la consommation de la viande des animaux puisque des traces de découpe ont été relevées sur les ossements d’individus appartenant à chacune des lignées identifiées.
Enfin, il est intéressant de noter que cette diversité d’haplogroupes mitochondriaux a déjà été démontrée pour les chiens européens datant des périodes du Paléolithique à l’âge du Bronze39. Cette diversité a cependant été largement perdue, se traduisant aujourd’hui en une fréquence majoritaire de l’haplogroupe A chez les races de chiens actuelles40.
Les données acquises à Isle-Saint-Georges semblent par conséquent indiquer que cette importante diversité mitochondriale a perduré au moins jusqu’à la période du Haut-Empire, avant le turn-over génétique majeur des lignées de chiens en Europe, lié à l’établissement des races actuelles.
L’obtention de données paléogénétiques est donc indispensable si l’on veut reconstituer l’évolution passée des chiens européens.
Conclusion
Le site d’Isle-Saint-Georges possède une série d’ossements animaux relativement riche, permettant d’appréhender différents aspects de l’élevage et leurs variations au sein de cette occupation protohistorique et antique. En effet, entre la fin de l’âge du Fer et le début de l’Antiquité, des modifications semblent notamment s’opérer dans la gestion des animaux. Au début de l’âge du Fer, l’élevage paraît orienté préférentiellement sur le bœuf (environ 27 % du nombre de restes), le porc (25 %) et les caprinés (16 %), ce qui ne s’accorde pas avec les études menées dans la vallée de l’Aisne41 et dans la moyenne vallée de l’Oise42, qui indiquent une prédominance du porc mais se rapproche d’observations effectuées sur le site d’ Aigueperse43 dans le Puy-de-Dôme. À la fin de La Tène, la composition du cheptel se porte progressivement davantage sur le porc (environ 31 % du nombre de restes), tandis que le bœuf et les caprinés y semblent en proportion quasi-équivalentes (respectivement environ 22 % et 21 %). Cette représentation des caprinés coïncide avec la position qu’ils occupent dans les bourgs et villages de La Tène finale (comme on peut le voir dans le nord de la France44. Enfin, durant le Haut-Empire, l’élevage semble favoriser les caprinés (environ 24 % du nombre de restes), suivis des porcs (environ 21 %), et des bœufs (environ 17 %) ; un mode de gestion des troupeaux qui peut s’apparenter à celui observé dans les vici (agglomération secondaire), qui présentent un taux élevé de caprinés45.
Les restes de chiens, malgré leur nombre restreint, livrent une quantité importante d’informations, d’une part sur la place que ces animaux occupent au sein de l’habitat (quatrième espèce la plus représentée après la triade domestique) et sur les fonctions que l’homme attribue aux canidés (nettoyeur, consommation carnée et récupération des peaux) et, d’autre part, sur l’origine génétique diversifiée de ces animaux.
À Isle-Saint-Georges, les périodes de la fin de l’âge du Fer et du Haut-Empire semblent faire l’objet d’un dynamisme particulier, porté notamment par les activités artisanales et commerciales identifiées dans le mobilier livré par les fouilles46 (activités de métallurgie, pêche…). Parallèlement, les données fournies par les restes fauniques semblent indiquer une intensification de l’exploitation des animaux faite par l’homme ce qui peut traduire un essor économique de l’agglomération. En effet, une augmentation de la production laitière et/ou lainière suggère l’augmentation d’une demande de ces produits. De la même manière, l’orientation de la production carnée vers l’élevage porcin suggère une volonté de rentabilité à la fois importante et rapide tandis que la spécialisation d’une partie de l’abattage pour les jeunes animaux au cours du Haut-Empire évoque une demande spécifique pouvant éventuellement être attribuée à une élite romanisée. Cette intensification de l’exploitation animale semble également se retrouver dans la population de canidés : le nombre de restes identifiés dans les assemblages augmente au cours des périodes d’occupation du site et les traces anthropiques témoignant du prélèvement de la peau et de la viande des animaux perdurent, ce qui indique la persistance du phénomène de cynophagie.
Enfin, l’identification des différentes lignées génétiques canines présentes à Isle-Saint-Georges a permis de mettre en évidence une importante diversité maternelle (haplogroupes mitochondriaux A, C et D). Grâce aux restes identifiés pour chacune des périodes d’occupation du site, il est possible d’affirmer que cette diversité a été maintenue jusqu’au début du Haut-Empire.
Les caractéristiques des relations homme-animal étant peu documentées jusqu’à présent dans le sud-ouest de la France, ces résultats peuvent être considérés comme de premiers éléments en attendant de possibles comparaisons avec d’autres sites de contexte et/ou de chronologie similaire.
Remerciements
Cette recherche a bénéficié du soutien financier du projet Labex TeHoTeCa (ANR-10-LABX-52) et n’aurait pas été possible sans la collaboration des laboratoires Ausonius-UMR 5607 (matériel d’étude) et PACEA-UMR 5199 (accès à la salle d’anatomie comparée) que nous remercions.
Merci à Sophie Krausz pour l’apport de ses connaissances et conseils ainsi qu’à Marie-Hélène Pemonge pour son travail sur les analyses génétiques.
Enfin, nous remercions les relecteurs pour leurs remarques avisées dans la construction de cet article.
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- Schmid, E. (1972) : Atlas of animal bones: For prehistorians, archaeologists and Quaternary geologists. Knochenatlas. Für Prähistoriker, Archäologen und Quartärgeologen, New York.
Notes
- Camus & Mathé 2011.
- Colin 2011.
- Colin et al. 2015.
- Colin et al. 2015.
- Ephrem 2018.
- Méniel 1996a ; Lepetz 1996a.
- Ballon 2016.
- Auxiette & Méniel 2005a ; Auxiette & Méniel 2005b.
- Horard-Herbin 1997 ; Columeau 2013.
- Baudry 2005.
- Horard-Herbin 1997 ; Foucras 2011.
- Caillat 1994.
- Lepetz 1996c ; Duval et al. 2012 ; Duval & Clavel 2018.
- Driesch 1976.
- Chaix & Méniel 1996.
- Lepetz 1996a, 52.
- Duval et al. 2012, 86.
- Lepetz 1996c.
- Méniel 1987 ; Reynaud Savioz 2013.
- Harcourt 1974.
- Schmid 1972 ; Chaix & Méniel 1996.
- Habermehl 1975 ; Chaix & Méniel 1996.
- Grigson 1982 ; Hillson 2005, 233.
- Wilson et al. 1982.
- Greenfield & Arnold 2008.
- Horard-Herbin 1997, 140.
- Ducos 1965.
- Méniel 1987.
- Helmer 1992 ; Leguilloux 2003.
- Colin 2011 ; Colin 2012.
- Lepetz 1996b.
- Lepetz 1996b, 142.
- Gardeisen et al. 2011.
- Lepetz 1996b.
- Boutin & Rivière 2014.
- Horard-Herbin 2014.
- Horard-Herbin 2014.
- Horard-Herbin 2014, 80.
- Frantz et al. 2016.
- Frantz et al. 2016.
- Auxiette & Méniel 2005a.
- Méniel 1990.
- Foucras 2017.
- Méniel 1996b.
- Lepetz 1996a.
- Colin et al. 2015 ; Ephrem 2018.