Les versants des collines situées notamment au sud de la ville d’Autun (fig. 1), sur le bord nord du massif granitique, sont connus depuis plusieurs années pour leur fort potentiel minier. En effet, ce secteur est riche en dépôts alluvionnaires montrant une forte concentration de cassitérite. Ainsi, depuis 2004, les recherches menées par Béatrice Cauuet et Călin Gabriel Tămaş ont permis de mettre en évidence dans ce secteur de nombreux travaux miniers à ciel ouvert1. En 2005, la fouille de deux canaux d’alimentation d’un chantier ravin a livré des céramiques romaines, mais la période de mise en place et de fonctionnement reste indéfinie. Seuls la fin et l’abandon de ce chantier peuvent être envisagés comme “gallo-romains précoces”2.
Depuis 2013, des travaux d’inventaire des vestiges3 sont menés grâce à l’analyse du modèle numérique de terrain issu d’un relevé Lidar centré sur Autun réalisé en 20104. Plus récemment, entre 2013 et 2018, dans le cadre de ses missions d’archéologie préventive, le service archéologique de la ville d’Autun a été amené à réaliser deux diagnostics dans l’emprise du secteur minier, qui permettent de préciser un peu la chronologie et les modes d’exploitation du minerai d’étain à Autun (fig. 2). L’objet de cet article est de présenter ces résultats récents, contribuant ainsi à la caractérisation de l’exploitation ancienne de l’étain, un sujet encore peu abordé par la recherche archéologique.
Lieu-dit En Fleury, diagnostic 2013
Ce premier diagnostic5 prend place dans une parcelle située au lieu-dit En Fleury, en contrebas du versant, à la limite du replat marquant le passage avec le bassin permien sur lequel s’installe la ville antique d’Augustodunum, qui deviendra Autun. C’est dans ce secteur que doivent déboucher les canaux utilisés pour les travaux dans la pente. On s’attendait donc à pouvoir y rencontrer des vestiges de l’exploitation : canaux, sluices ou zones d’épandages.
À l’issue de ce diagnostic archéologique, on note la présence d’une grande structure fossoyée pouvant être en lien avec l’exploitation des alluvions, qui correspondrait à une tranchée d’exploitation minière. Ce chantier mesure plus de 150 mètres de long pour une largeur comprise entre 15 et 20 mètres. La profondeur n’est pas connue, mais elle est supérieure à 3 mètres. Cet aménagement marquait encore le paysage dans les années 1970, avant d’être utilisé comme décharge et comblé. Aucun élément en lien avec un système hydraulique ou autre infrastructure n’a pu être mis en évidence dans les sondages ouverts sur ce chantier. Cette tranchée peut néanmoins être datée puisqu’elle recoupe un drain antique dont le comblement a livré du mobilier céramique attribuable à la fin du Ier et au IIe siècle p.C. Cette tranchée est donc nécessairement postérieure au IIe siècle p.C.
Lieu-dit La Chicolle, diagnostic 2017
Plus récemment, une nouvelle prescription de diagnostic archéologique sur une parcelle boisée, donc peu impactée jusqu’à présent par les aménagements, nous a permis de récolter des données supplémentaires sur ces zones d’exploitation de minerai6. Cette prescription portait sur les travaux de terrassement liés à la création d’une piste de débardage, dans une parcelle connue pour abriter des vestiges d’exploitation minière au lieu-dit La Chicolle. Ces infrastructures sont connues depuis longtemps et ont été identifiées comme vestiges miniers depuis 2004 par C. Tămaş7. Cette identification se basant sur une prospection de surface, il était important de pouvoir avoir accès aux informations enfouies.
Les premières observations menées sur cette zone ont confirmé la présence d’une exploitation minière en alluvions. Il s’agit ici d’un ensemble dense de chantiers en cirque ou en ravin auxquels s’ajoutent des canaux d’alimentation en eau ainsi qu’un nombre important de chenaux venant entailler les dépôts stannifères. Ces derniers ont laissé un terrain très accidenté, avec la présence de nombreuses buttes résiduelles. Dans le cadre de cette opération d’archéologie préventive, cinq sondages ont été ouverts à des endroits qui nous semblaient pertinents dans l’objectif de mieux caractériser cette exploitation, voire de dater les phases de travail (fig. 3).
Un chantier transformé en canal
Dans la partie haute de la piste, un bourrelet semblait construit dans l’axe d’un grand chantier-ravin. Une coupe a été pratiquée dans ce bourrelet ainsi que dans le remplissage compris entre celui-ci et la paroi est du chantier (fig. 3, sondage 2). Les coupes montrent un remplissage assez homogène et un recouvrement naturel très faible (environ 10 cm).
Ce bourrelet se compose d’un mélange de terre et de blocs d’une cinquantaine de centimètres de côté. Cet ensemble repose sur une âme constituée d’un mur en pierres sèches, bien construit et profondément ancré. Les blocs de fondation sont très importants (environ un mètre de long). Cet ensemble se prolonge sur une dizaine de mètres, jusqu’à ce qu’il vienne rejoindre le fond du chantier-cirque qu’il coupe.
Ainsi, cette digue vient transformer un vaste chantier-cirque dont l’exploitation était terminée en canal. Ce dernier permet d’amener de l’eau aux chantiers situés plus bas, sans que le courant se perde dans le vaste espace libre laissé par la fin du chantier. Cet ensemble nous permet d’envisager le fonctionnement sur le long terme de ce type d’exploitation minière. Le sédiment est travaillé du haut vers le bas de la pente. Les chantiers dont l’exploitation est terminée sont transformés en structures annexes ou abandonnés. C’est cette succession qui permet d’établir une chronologie relative des travaux.
Deux canaux aménagés
Le quatrième sondage (fig. 3, sondage 4) a été ouvert au débouché d’un canal dont la forme était encore visible dans le paysage. La coupe pratiquée dans cette structure montre qu’elle est scellée par quelques centimètres de sédiments (fig. 4). Cela suggère un faible taux de recouvrement des travaux miniers. Les bourrelets situés de part et d’autre du canal ne sont pas composés, comme on aurait pu le croire, de déblais stériles rejetés sur les bords du canal. Il s’agit plutôt de témoins du niveau du sol avant que les travaux miniers ne viennent marquer le paysage.
Le socle a été mis à nu et même entamé jusqu’au niveau d’apparition de la roche encaissante. Nous avons ainsi pu voir que le centre du canal avait été surcreusé. En effet, les derniers centimètres du creusement ne sont pas dus à l’exploitation des niveaux d’alluvions. Il s’agit d’un aménagement volontaire sans doute destiné à récupérer les particules métalliques. Ce sluice présente une succession de ruptures de pente brutales. Ceci permettait de laisser les particules les plus denses se déposer avant d’accélérer de nouveau le courant et ceci plusieurs fois d’affilée. Ce type d’aménagement est bien connu dans le cadre d’activités minières. Le minerai est ainsi traité par gravimétrie. Cette technique a été décrite par G. Agricola dans l’ouvrage de référence sur les techniques minières, le De Re Metallica8. Il y présente un sluice construit en élévation, mais le principe de fonctionnement reste le même dans des canaux creusés dans le socle rocheux. Ce canal est ensuite recoupé par l’actuel chemin forestier.
Un dernier sondage a été ouvert en bas de parcelle (fig. 3, sondage 5). À cet endroit, le tracé du chantier évolue et passe d’une orientation nord-sud à ouest-est. À la suite d’un décapage de surface, deux bandes ont été fouillées intégralement. Ces deux secteurs ont permis d’observer un aménagement du fond du canal. Comme dans le sondage précédent, il semble s’agir de structures de type sluice.
Dans ce sondage, plusieurs prélèvements de charbons de bois ont été effectués, trois ont été analysés. Ils sont situés à différents endroits sur le sondage et dans les couches les plus basses. Les résultats de ces trois analyses sont cohérents. Les trois dates nous permettent de placer la fin de l’exploitation de ce secteur au IXe ou Xe siècle p.C. Comme cette structure fait partie des plus récentes de l’ensemble qui se développe sur ce secteur, ces analyses nous permettent de dater la dernière phase de l’exploitation de l’étain au sud d’Autun.
Une coupe dans une “butte témoin”
Une coupe a été pratiquée dans une levée de terre clairement visible au bord du chemin forestier (fig. 3, sondage 3). Cette ouverture devait permettre de répondre à la question de la gestion des déblais et du fonctionnement de l’exploitation. Nous voyons clairement dans cette coupe que le paysage actuel est le reflet des volumes d’alluvions exploités et donc déplacés vers le bas de la pente et la plaine au sud de la ville d’Autun. La butte visible actuellement est composée d’alluvions qui n’ont pas été exploitées. Il ne s’agit donc pas, comme on aurait pu le penser, d’un empilement de déblais stériles rejetés sur les bords de l’exploitation.
Bassin de stockage ou carrière de proximité ?
Le sondage 1 a été ouvert dans une levée de terre en bord de piste située en haut d’une tranchée. Le socle en place, affleurant en partie est, est recouvert de plus d’un mètre de sédiment à l’ouest. À la suite du décapage, un espace quadrangulaire se dessine, comblé de nombreux blocs dans une matrice sableuse. Une limite est visible sur trois côtés. La limite ouest est située en dehors de la fenêtre ouverte à cet emplacement.
Cette structure est creusée dans un affleurement de roche. À cet endroit, la roche encaissante n’est pas altérée et des blocs ont été prélevés, laissant un espace creux. L’emplacement de cet espace, dans l’axe d’un des chantiers-ravins, permet d’envisager qu’il ait pu avoir une fonction de bassin de rétention d’eau. En effet, dans le cadre d’une activité minière en alluvions, il est nécessaire de pouvoir contrôler le débit de l’eau afin de pouvoir stopper le courant, le temps de nettoyer le fond du canal des blocs roulés et surtout de pouvoir prélever les particules métalliques piégées au fond des sluices.
Pour pouvoir mettre en évidence la fonction de bassin de cette structure, il faudrait démontrer l’existence d’une arrivée et d’une sortie d’eau. Aucune des deux n’a pu être mise en évidence. Seule une partie de cette structure a été fouillée. Il n’est donc pas impossible que ces éléments restent à mettre au jour.
Le fond de cette structure a été atteint sur l’intégralité du sondage effectué dans le remplissage de ce creusement. La roche encaissante est taillée de façon très irrégulière, laissant des arrêtes saillantes. À l’inverse, la paroi sud est très verticale. La forme que semble prendre le fond de ce creusement ne semble pas optimale pour un bassin.
À l’heure actuelle, cet ensemble peut aussi bien être le témoin d’une exploitation de la roche. Ce matériau a pu être utilisé à proximité immédiate, dans les divers aménagements nécessaires à l’exploitation minière (barrage, digues, etc.). De plus, la règle qui prévaut dans ce type d’exploitation est la recherche de l’efficacité. Ainsi, le fait que le creusement ne soit pas complètement plan n’empêche pas qu’il ait pu servir de retenue d’eau.
La fouille partielle, dans le cadre de cette opération, n’a pas permis de répondre à cette question. Il pourrait être intéressant de mettre au jour cette structure sur toute sa surface afin de déterminer si on a affaire véritablement à un bassin dont la présence est capitale pour ce type d’exploitation.
Conclusion
La première information issue de ces opérations porte sur le bon état de conservation des vestiges et leur faible enfouissement, que ce soit à En Fleury, où la dépression n’a été comblée que très récemment, ou à La Chicolle, où le couvert forestier a protégé les vestiges.
La seconde donnée importante concerne la datation de ces travaux. Les indices les plus anciens remontent à la période antique. En effet, les éléments de mobilier céramique mis au jour dans les sondages effectués en 2013 à En Fleury imposent un terminus post quem au IIe siècle p.C. pour la mise en place de ce chantier. Pour la deuxième opération, nous avons décidé d’implanter un sondage sur un chantier qui recoupait tous les autres et fonctionnait donc en dernier. Celui-ci a livré plusieurs charbons de bois dans les couches de comblement. Trois datations ont été effectuées et ont toutes livré des dates centrées autour du Xe siècle. Cela met en évidence une phase tardive de l’exploitation aux environs du Xe siècle. Il n’y a donc, pour l’instant, aucun élément pouvant indiquer une exploitation protohistorique de ce gisement, malgré la présence d’habitats enclos à proximité pouvant se rapporter à cette période.
Ces diagnostics nous permettent de mieux appréhender le fonctionnement de l’exploitation du minerai sur ce type de secteur et de documenter une activité méconnue.
Le diagnostic de 2017 a permis de documenter deux canaux d’exploitation dont le fond était aménagé pour piéger le minerai ainsi qu’un bassin potentiel. Enfin, un sondage a mis en évidence la succession des fonctions sur un même espace selon l’avancée de l’exploitation. Ainsi, un grand chantier d’exploitation a été transformé en canal d’adduction grâce à une digue bien construite. Nous voyons donc bien ici l’importance de la gestion de l’eau pour ce type d’activité ainsi que l’impact très important qu’elle a eu sur le paysage actuel.
En effet, le secteur d’Autun en particulier, et le Morvan en général, possède un important patrimoine minier ancien. Cette dernière opération a permis de montrer la bonne conservation des vestiges liés aux activités d’extraction de minerai, dans des parcelles boisées. Même si des vestiges semblent subsister dans les parcelles plus proches de la ville, il est probable que, à l’instar de la tranchée mise au jour en 2013, ceux-ci aient été plus fortement impactés par les aménagements récents.
Si le caractère minier des vestiges visibles autour de la ville ne fait plus de doute, on sait encore peu de choses du système d’exploitation concret, des aires de traitement du minerai ou de la datation de ces ensembles.
Ces opérations sont donc une nouvelle étape dans la connaissance de l’exploitation de la cassitérite alluvionnaire dans le secteur d’Autun et doivent pouvoir servir de point de départ à une étude plus complète des vestiges liés à l’extraction et au traitement du minerai sur ce territoire.
Bibliographie
- Agricola, G. [1556] (1987) : De Re Metallica, trad. fr. A. France-Lanord [1ère éd. Bâle], Thionville.
- Cauuet, B., Boussicault, M. (2005) : Recherches sur les exploitations minières anciennes du Morvan : La Montagne (Autun). Zone stannifère : opération de sondages, septembre 2005, in : Rapport annuel d’activité 2005, Bibracte.
- Cauuet, B., Tămaş, C., Boussicault, M. (2006) : Le district stannifère d’Autun. Les dossiers d’archéologie, 316, 26-27.
- Cauuet, B., Boussicault, M. (2015) : Apport du Lidar à l’étude des mines d’étain antiques en dépôts secondaires autour d’Autun (Saône-et-Loire). Bulletin archéologique d’Autun, 2015, 31-33.
- Dessolin, T. (2018) : Des vestiges de l’exploitation de la cassitérite en alluvions. Rapport de diagnostic archéologique. Autun.
- Labaune, Y. (2014) : Adductions d’eau potable et structure de drainage en périphérie d’un site antique et vestiges d’un chantier minier stannifère en alluvions. Rapport de diagnostic archéologique. Autun.
- Tămaş, C. G. (2004) : Caractérisation minéralogique des mines anciennes du Morvan (2003 – 2004). Compte-rendu de Bourse postdoctorale – Région Bourgogne, Dijon.
Notes
- Cauuet et al. 2006.
- Cauuet & Boussicault 2005.
- Cauuet & Boussicault 2015.
- Lidar réalisé en partenariat avec la Maison des Sciences de l’Homme de Dijon et avec la participation de la DRAC de Bourgogne Franche-Comté, de la Région Bourgogne Franche-Comté et de la Ville d’Autun.
- Labaune 2014.
- Dessolin 2018.
- Tămaş 2004.
- Agricola 1556.