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Gabriel de Mortillet, attaché à la conservation du Musée impérial de Saint-Germain, ou comment gérer les collections archéologiques d’un musée d’envergure nationale

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“Ce musée devint le rendez-vous des amis de la Préhistoire et des amis de Gabriel de Mortillet qui se confondaient bien souvent ; là se rendirent (sic) une foule de célébrités, afin d’y étudier cette admirable collection dont notre ami demeura le savant cicerone et l’ouvrier avisé, après en avoir été le principal organisateur1”.

C’est en ces termes élogieux, mais brefs, que Paul Nicole célèbre l’action de Gabriel de Mortillet au Musée gallo-romain, devenu en 1879 musée des Antiquités nationales, puis musée d’Archéologie nationale (MAN) en 2005.

Si le passage de Gabriel de Mortillet au MAN n’est pas sa première expérience en musée, il semble bien que ses missions au Musée de Saint-Germain aient été les premières tournées vers la conservation de collections archéologiques. Son temps au musée académique de Genève entre 1851 et 1853, au service duquel il dirige le Comptoir d’histoire naturelle2, puis sa nomination comme conservateur au musée d’Annecy en 1854 pour lequel il développe la section de géologie et inventorie les collections d’histoire naturelle jusqu’en 18573, confortent ses qualités de géologue, de conchyliologue et de paléontologue, ainsi que son goût pour l’étude sur le terrain.

Cet homme de conviction au caractère trempé, radical et anticlérical, adepte du matérialisme scientifique, intègre la petite équipe scientifique du Musée gallo-romain à la fin de 18664. Il peut paraître curieux que ce libre penseur indépendant, qui a connu l’exil politique pendant près de quinze ans, rejoigne pour une fonction subalterne un musée impérial sous tutelle de la Maison de l’empereur et soumis à une administration lourde et autoritaire. Pourtant, de 1866 à 1885, Gabriel de Mortillet devient la cheville ouvrière indispensable au bon fonctionnement du musée ; par-là, il participe à l’instauration des règles de gestion des collections publiques muséales, dressées avant tout pour les collections de Beaux-Arts, tout en contribuant à introduire la Préhistoire dans les salles d’un musée d’envergure nationale. Cette situation ne peut qu’être sources de tensions.

La commémoration du bicentenaire de la naissance de Gabriel de Mortillet par l’exposition-focus “Le Préhistorique. Classer, dater, exposer au XIXsiècle” a été l’occasion pour le MAN de se pencher sur l’activité au musée de ce pionnier de la Préhistoire. À la lecture de sa correspondance, à la consultation des registres et à l‘étude de son dossier de carrière5, force est de constater qu’il a fait preuve d’une ardeur au travail hors norme qui a touché tant à l’enrichissement des collections qu’à leur gestion et à leur valorisation. Et ceci, sans pour autant abandonner son engagement politique6, son enseignement à l’École d‘anthropologie de Paris, ses responsabilités auprès des Congrès internationaux d’anthropologie et d’archéologie préhistoriques (CIAAP) ainsi que ses multiples travaux de publication.

Des séances de classement au poste
d’attaché à la conservation : une carrière en demi-teinte

Ses relations avec le musée de Saint-Germain débutent peu après son retour en France, alors que le musée, créé par décret impérial le 8 mars 1862, est en pleine conception de ses espaces, de sa muséographie et de ses collections7. L’arrivée de Mortillet au musée résulte très probablement de plusieurs facteurs. La notoriété de sa revue Matériaux pour l’histoire positive et philosophique de l’Homme, largement diffusée par ses soins et qui dès 1865 fait état du Musée gallo-romain8, et le Congrès paléoethnologique international9 dont il est l’un des initiateurs, ont attiré l’attention sur son activité personnelle, ses connaissances et son réseau savant. Plus encore, sa participation à la rédaction du Dictionnaire archéologique de la Gaule10, et à l’organisation de la Galerie de l’histoire du travail pour l’Exposition universelle de 1867, ont certainement joué un rôle majeur. Ses relations avec Édouard Lartet (1801-1871), Jules Desnoyers (1800-1887), Paul Broca (1824-1880), Alexandre Bertrand (1820-1902), ou Auguste Verchère de Reffye (1821-1880), membres ou correspondants de la Commission de Topographie des Gaules (CTG)11, associés à l’Exposition universelle et au CIAAP de 1867, tous membres de la commission consultative pour l’organisation du musée depuis 186512, ont vraisemblablement favorisé son implication au musée de Saint-Germain. Enfin, le don en 1863 de la collection de Jacques Boucher de Perthes (1788-1868), dont les travaux sont suivis avec une grande attention par Mortillet dans Matériaux13, et l’arrivée en 1865 des 21 caisses au musée14 sont très probablement l’évènement déclencheur. Malgré l’engagement du donateur à classer sa collection, son âge avancé et sa santé fragile l’en empêchent. L’analyse des objets et leur exposition en vitrines exigent un spécialiste que ne peut être l’attaché à la conservation de l’époque, Philibert Beaune (1805-1867), plus intéressé par les fouilles impériales d’Alise-Sainte-Reine. Pour Alexandre Bertrand qui est à la tête du musée depuis août 1866 et qui sait devoir inaugurer le Musée gallo-romain au printemps 1867 à l’occasion de l’Exposition universelle, Gabriel de Mortillet est l’homme providentiel. C’est ainsi que Mortillet effectue 18 séances de classement des collections en novembre et décembre 186615, séances qu’il renouvelle en 1867 et pour lesquelles il est rétribué. Fin 1867, son activité au Musée gallo-romain s’intensifie du fait de la santé déclinante de l’attaché. C’est donc tout naturellement, qu’à la suite du décès de Philibert Beaune intervenu le 30 décembre 1867, Mortillet est nommé “Attaché à la conservation du Musée Gallo-Romain de St Germain à dater du 1er janvier 1868” par arrêté du surintendant des Beaux-arts (fig. 1), et à ce titre, reçoit un traitement annuel de 2 200 francs16.

Arrêté de nomination de Gabriel de Mortillet comme attaché à la conservation du Musée gallo-romain de Saint-Germain, 3 janvier 1868. Archives nationales, 20150497/121.
Fig. 1. Arrêté de nomination de Gabriel de Mortillet comme attaché à la conservation du Musée gallo-romain de Saint-Germain, 3 janvier 1868.
Archives nationales, 20150497/121.

Ses appointements sont faibles au regard de ses responsabilités et de ses besoins17. S’il gagne bien moins que le directeur, il gagne également moins que l’inspecteur des moulages et restaurations, Abel Maître (1830-1899), placé à la tête des ateliers du musée depuis avril 186618 (fig. 2). Conscient de cette situation, Alexandre Bertrand n’aura de cesse dans les années qui suivent sa nomination de demander des primes compensatoires pour son attaché afin d’atteindre 3 000 francs19 et ceci jusqu’à sa promotion comme attaché de 1re classe en 187920.

Traitement du personnel du Musée de Saint-Germain pour le mois d’avril 1871. MAN, centre des archives, fonds Organisation générale, 2019008/3.
Fig. 2. Traitement du personnel du Musée de Saint-Germain pour le mois
d’avril 1871. MAN, centre des archives, fonds Organisation générale, 2019008/3.

Ses congés lui sont octroyés, non par le directeur du musée, mais par le surintendant des Beaux-arts Émilien de Nieuwerkerke (1811-1892), puis par le directeur des musées nationaux après la chute du Second Empire. L’accord ne va pas de soi, car l’équipe du musée est réduite et les tâches dans ce musée en pleine expansion sont immenses. Si Mortillet est ainsi autorisé à prendre des congés pour se rendre au CIAAP de Bologne en 1871, il lui est interdit de prendre un congé en août 187421 pour se rendre au Congrès de Stockholm22 et sa participation à celui de Lisbonne en 1880 n’est acquise que sur l’insistance du gouvernement portugais23. Directeur et attaché ne peuvent être absents en même temps. Le congrès de Bologne a été l’exception.

L’engagement de Gabriel de Mortillet pour le musée semble, malgré tout, total. Son attitude lors de la guerre franco-prussienne en est la preuve. Le 19 septembre 1870, les troupes prussiennes envahissent Saint-Germain-en-Laye ; en l’absence d’Alexandre Bertrand, c’est à Mortillet d’ouvrir les portes du château aux occupants qui font aussitôt sortir les blessés français, et occupent à leur tour l’hôpital de campagne abrité dans le musée. En décembre 1870, alors que le personnel du musée n’est plus payé depuis deux mois, Mortillet se tourne vers la commission municipale et obtient une avance et de l’aide24.

Pour autant, jamais Gabriel de Mortillet ne sera nommé conservateur-adjoint malgré ses demandes réitérées et celles d’Alexandre Bertrand. Ceci est dû au statut du Musée gallo-romain qui, à la différence du Louvre, est un musée rattaché à la 2e classe ce qui impose une équipe scientifique réduite, comme l’explique le directeur des Musée nationaux25. La situation est à ce point amère pour Mortillet, qu’il n’hésite pas à se déclarer “conservateur adjoint du Musée de St-Germain-en-Laye26” dans les publications des CIAAP.

Gabriel de Mortillet est logé au château de Saint-Germain avec toute sa famille dès le début de 186827, ce qui n’a rien d’une sinécure : depuis 1862, le bâtiment, difficile à chauffer, est engagé dans une restauration de très grande envergure sous la direction de l’architecte Eugène Millet (1819-1879), restauration qui se révèle bien plus complexe qu’escomptée et qui ne s’achève vraiment qu’en 1910. Du temps de Mortillet, plusieurs départs de feu sont à déplorer du fait de la vétusté des conduits de cheminées28 ou de l’installation des forges situées non loin des appartements de fonction.

Être attaché à la conservation dans un “musée spécial”

Les missions et fonctions attribuées à Gabriel de Mortillet en tant qu’attaché sont lourdes et nombreuses. Il suffit pour cela de se plonger dans la lecture du projet de “Règlement du Musée archéologique” rédigé par Auguste Verchère de Reffye et Alexandre Bertrand29 en 1870. Ce musée “spécial”, “scientifique” et “historique” – entendre par là une présentation chronologique des collections – est un musée spécialisé dédié à la science archéologique, ses résultats et ses méthodes, et donc très différent du fonctionnement d’une institution dédiée aux beaux-arts, comme le Louvre.

L’étude du texte préparatoire au règlement qui détermine la composition de l’équipe et le mode de fonctionnement du musée est d’un grand intérêt dans la mesure où il reflète l’organisation déjà officieusement adoptée par le musée et qui perdure bien après l’avènement de la IIIe République. Le rôle de l’attaché est clairement décrit : 

“Le Conservateur-adjoint ou l’attaché sera spécialement chargé des registres d’inscriptions. Il devra seconder le Directeur dans tous ses travaux de service ou de comptabilité. Le personnel des gardiens est subordonné au Conservateur-adjoint ou à l’attaché qui toutefois ne devra donner aucun ordre sans avoir pris à l’avance les ordres du Directeur30.

Jusqu’en 1893, date de la création du poste de conservateur-adjoint, c’est donc à l’attaché de seconder le directeur et d’assurer l’intérim en cas d’absence de celui-ci. Or, du temps de Mortillet, les absences d’Alexandre Bertrand sont fréquentes. Depuis la prise de fonction de ce dernier en août 1866, puis de sa nomination officielle en janvier 1867, Bertrand qui cumule les fonctions de secrétaire de la CTG et celles de directeur d’un musée à l’envergure nationale, parcourt la France et l’Europe en quête de collections ou de découvertes archéologiques, assiste aux congrès, multiplie les rencontres avec ses homologues étrangers et prend ses congés. En l’absence du directeur, Gabriel de Mortillet adresse à Alexandre Bertrand des rapports hebdomadaires détaillés sur la vie du musée31. Sont ainsi décrits l’état de santé du personnel, l’avancée des travaux de restauration du château et d’aménagement des salles, l’état comptable, les dépenses en charbon, la livraison des fournitures, l’arrivée des caisses d’objets nouvellement acquis et celle des ouvrages, le nombre des visiteurs, la distribution des gratifications… Les textes sont vivants, plein de verve :

“Reçu les caisses du camp de Chalons. C’est un atroce fouillis, au milieu duquel il y a quelques bonnes choses32 ; M. Bulliot a envoyé une caisse contenant un grand vase [?] cassé en plus de cent cinquante morceaux. Je ne sais pas ce qu’on pourra en faire mais cela a coûté 7 francs de port33.”

Chaque thème est détaillé avec précision et quelques croquis viennent à l’appui des propos.

Les voyages professionnels de Gabriel de Mortillet pour les besoins du musée, qui semblent presque aussi nombreux que ceux de son directeur, s’enchaînent à grande vitesse. Ils s’accompagnent d’une correspondance descriptive destinée à Alexandre Bertrand et de notes de frais pour le directeur des musées impériaux. Il se montre un voyageur infatigable qui ne refuse aucun détour pour une nouvelle acquisition, une nouvelle découverte ou une étude comparative. L’année 1869 est exemplaire : du 3 au 14 mai 1869, dans une même mission vouée à l’observation des musées archéologiques, à l’examen de leurs collections et aux conditions de conservation de celles-ci, il visite successivement les musées de Rouen, Amiens, Boulogne, Saint-Omer, Arras, Douai, Namur, Mayence et le musée d’histoire naturelle de Bruxelles34. Du 11 au 14 août 1869, il est de nouveau sur les routes pour explorer les cimetières gaulois et gallo-romains des environs du Camp de Châlons dans la Marne et envisager l’acquisition des collections Le Laurain et Machot35. Du 9 au 26 octobre 1869, il part pour le centre et le sud de la France, s’arrête à Clermont-Ferrand, à Aurillac, puis dans l’Aveyron pour rencontrer l’abbé Cérès (1814-1887)36. Au cours de ce voyage, il acquiert la collection Millet constituée d’objets lithiques préhistoriques, des vases appartenant à Alphonse Le Touzé de Longuemar (1803-1881) et prospecte la grotte de l’Hermitage à Lussac afin de compléter la carte des Cavernes produite par la CTG pour son Dictionnaire.

L’homme des registres et de l’analyse documentaire

La première mission de l’attaché à la conservation est de tenir les registres du musée, ce pour quoi Gabriel de Mortillet montre une appétence étonnante.

Depuis la création de la liste civile en 1790, le souverain reçoit, sur le modèle de l’Angleterre, une dotation annuelle destinée à couvrir les dépenses de sa maison, ainsi qu’une dotation immobilière et mobilière, inaliénable et imprescriptible, composée de biens – pour l’essentiel des résidences – du domaine de l’État. Depuis Napoléon Ier, les musées sont intégrés à la dotation, et depuis le règne de Louis-Philippe, les œuvres acquises pendant le règne et placées dans les bâtiments de la dotation deviennent propriété de l’État. Le sénatus-consulte du 12 décembre 1852, qui définit la liste civile de Napoléon III, décrit avec précision la dotation mobilière gérée par la Maison de l’empereur : diamants, perles, statues, tableaux, pierres gravées, musées, bibliothèques et autres monuments des arts37. Les inventaires qui dressent l’état des œuvres des musées, associées à leur espace de conservation (salles, vitrines et magasins) et les livres d’entrée qui enregistrent chaque nouvelle acquisition sont au cœur de la gestion de la liste civile. Le décret impérial du 15 février 1855 qui vaut règlement pour les musées impériaux rappelle l’obligation de la tenue des registres et exige la rédaction de catalogues scientifiques. Les registres donnent lieu à de multiples discussions, contradictions et bras de fer entre les conservateurs et leur hiérarchie, comme l’attestent les procès-verbaux du conservatoire38. Les conservateurs des musées trouvent plus attrayante la rédaction des catalogues décrivant leurs collections et pour lesquels il n’est pas indispensable d’indiquer la provenance, information qui leur manque très régulièrement39.

Au Musée de Saint-Germain, c’est à l’attaché à la conservation de tenir les registres d’inventaire et d’entrée, comme il est écrit dans le projet de règlement. Le Musée gallo-romain, compte tenu de la formation rapide de ses collections et probablement faute d’un personnel en nombre suffisant, confond registre d’entrée et inventaire pendant ses premières années et additionne dans les colonnes, les informations liées à l’entrée de l’objet à celles de sa localisation dans les salles. Qui plus est, le registre est très souvent tenu de manière rétrospective car les objets parviennent au musée en masse. Le personnel souffre d’un manque d’espace de stockage dans un château en restauration et des lots d’objets sont mis de côté pour être échangés.

Gabriel de Mortillet, qui se trouve pris dans le maelström administratif des musées impériaux et au milieu de collections qui ne cessent de croître, a pour lui de maîtriser cet exercice après avoir rédigé le “Livre d’entrée et de sortie” du musée d’Annecy entre 1854 et 1856 (fig. 3). Il tient régulièrement le registre d’entrée/inventaire à partir de 1867, avant même sa prise de fonction, puis de manière systématique à compter de 1868. Sous sa plume, les informations se précisent et les entrées sont parfois agrémentées de dessins (fig. 4). Le mode d’acquisition de l’objet (achat, don, échange), son statut (double pour échange, moulage) et son origine sont notifiés le plus souvent possible.

Livre des entrées et des sorties du musée d’Annecy, rédigé par Gabriel de Mortillet en 1854. MAN, centre des archives, fonds des registres, 2019008/3.
Fig. 3. Livre des entrées et des sorties du musée d’Annecy, rédigé par Gabriel de Mortillet
en 1854. MAN, centre des archives, fonds des registres, 2019008/3.
Registre des entrées des collections du musée, tome 2, 1867. MAN, centre des archives.
Fig. 4. Registre des entrées des collections du musée, tome 2, 1867. MAN, centre des archives.

Son attirance pour l’enregistrement des informations et leur classement ne s’arrête pas à ce seul registre. Nous retrouvons son écriture facilement identifiable dans le registre des échanges et dans celui des donateurs, ainsi que dans les Albums noirs créés en 187240. Plus encore, il annote la correspondance reçue par le musée en indiquant le nom du scripteur, et au besoin le nom du destinataire, ainsi que les thèmes abordés dans le courrier et crée des dossiers liés aux acquisitions. Enfin, il apprend à Alexandre Bertrand dans un courrier du 1er décembre 1868 qu’il tient une sorte de livre de bord et qu’il encourage le chef des gardiens à en faire de même : 

“Si je puis vous donner tous les détails qui concernent le Musée sans en oublier, c’est que depuis votre départ, j’ai tenu un cahier de notes journalières. Je m’en trouve si bien que j’ai dit au brigadier d’en faire autant. Dans toute espèce d’entreprise et de société, les surveillants tiennent des carnets analogues. J’ai recommandé à [Willacy] d’indiquer sur son carnet jour par jour toutes les dépenses faites, toutes les fournitures reçues, tous les travaux exécutés, tous les objets arrivés, tous les ouvriers entrés dans le musée. Ce sera un excellent moyen de contrôle pour les factures à venir, et si malheureusement un jour il venait à y avoir un accident, un délit ou un vol on saurait de quel côté diriger les recherches, vers qui porter les soupçons41.”

Un constat s’impose : l’arrivée de Gabriel de Mortillet au Musée gallo-romain s’accompagne d’une nette amélioration de la gestion de l’information administrative et scientifique.

Enrichir le musée : une priorité

L’enrichissement des collections du musée lui tient très à cœur. Avant même qu’il ne rejoigne officiellement l’équipe du musée, Gabriel de Mortillet se montre déjà très actif, comme le prouve le registre d’entrée en décembre 1866 avec l’acquisition de silex provenant de Saint-Acheul42, ou le courrier que Mortillet adresse à Alexandre Bertrand au sujet de la vente par Laurent Rabut (1825-1890) des objets découverts près du lac du Bourget, en novembre 1867 :

“Vous devez compléter votre salle du bronze. Justement je reçois à l’instant une lettre de M. Laurent Rabut qui m’a dit qu’il voudrait vendre toute sa collection […] Avec la collection Rabut, vous aurez la plus belle série lacustre française qui existe43.”

Son réseau savant déjà bien pourvu fait merveille ; ses voyages et missions en France et à l’étranger sont autant d’occasions d’achats, de dons ou d’échanges. Dès 1866, Mortillet n’hésite pas à acquérir pour le compte du musée et à avancer les frais. Ce système, qu’il adopte durant tout son temps au MAN, lui cause parfois du souci compte tenu du temps mis par l’administration des musées nationaux à le rembourser. C’est ainsi que l’achat des vases de Golasecca, en octobre 1871, pour 850 francs, l’oblige à payer comptant, puis à avancer les frais de transport. Il conclut sa lettre à Alexandre Bertrand en ces termes :

“J’ai peur que Mme de Mortillet se trouve à court d’argent à cause du retard apporté à mon retour. Si elle n’a pas touché mes appointements de septembre, serez-vous assez bon de lui avancer ce dont elle aura besoin ?44

La nomination de Gabriel de Mortillet au Musée de Saint-Germain introduit un autre mode d’enrichissement, celui des échanges. Mortillet, très tôt impliqué dans l’activité des échanges, adopte cette technique dès son poste au Comptoir d’histoire naturelle du musée académique de Genève entre 1851 et 1853. Il en promeut la pratique à plusieurs reprises et tout particulièrement dans sa revue les Matériaux45. Dès l’automne 1867, il développe au Musée de Saint-Germain une vaste politique d’échanges comme l’indique le registre qu’il tient46 – un de plus –, dans lequel publications, moulages et objets originaux donnent lieu à des contreparties (fig. 5). Le premier échange enregistré a lieu avec l’égyptologue amateur Arthur Rhoné : le musée lui remet deux pointes de trait d’arbalète contre le catalogue du musée de Copenhague.

Registre des échanges. MAN, centre des archives, fonds des registres, 2018005/10.
Fig. 5. Registre des échanges. MAN, centre des archives, fonds des registres, 2018005/10.

Les destinataires peuvent être des musées en province, comme le musée de Rodez ou de Vannes, des musées étrangers, comme le musée de Parme, de Lausanne ou de Bruxelles et même des particuliers, comme Napoléon Lepic, Carl Vogt ou M. Le Bœuf, commissaire de police de Beaupréau. Il n’hésite pas à démarcher les musées, comme il l’écrit à Alexandre Bertrand en 1869 :

“Je me suis aussi beaucoup occupé de la question des échanges. La plupart des musées sont tout disposés à entrer dans ce rapport en relation avec le Musée de St Germain, soit pour des originaux, soit pour des moulages47”.

Si cette politique des échanges est bien connue des collectionneurs privés, la direction du musée adhère également sans conteste à ce mode mis en place par Mortillet, au point d’écrire en 1870 dans son projet de règlement pour le musée :

“Les objets provenant d’achats ou de fouilles seront partagés en 2 catégories. La 1ere comprendra les pièces les plus importantes qui resteront acquises au musée et inscrites à l’inventaire. La 2eme renfermera celle dont le musée possède des spécimens en nombre suffisant et que l’on peut échanger sans inconvénient48.”

Cependant, ces biens échangés font partie de la dotation attachée à la liste civile et à ce titre sont imprescriptibles et inaliénables sous le Second Empire. La Troisième République, reprenant à son compte cette règle, tient à l’appliquer à l’ensemble des collections nationales49.

Les quelques chiffres que nous possédons sur l’accroissement des collections d’objets, originaux ou moulages, témoignent de la forte croissance du temps de Mortillet au MAN : en 1868 le musée conserve 11 500 objets50, en 1869, 13 00051. Fin 1885, alors que Mortillet s’apprête à quitter le musée, 29 625 numéros sont inscrits au registre d’entrée.

Gabriel de Mortillet ne s’arrête pas à l’enrichissement des collections d’objets, il s’engage également à développer la toute jeune bibliothèque créée en 1864 par Philibert Beaune. Dans son ouvrage Promenades au Musée de Saint-Germain, il lance un appel vibrant aux dons :

“C’est avec une grande reconnaissance qu’on recevra les dons de volumes, de brochures, de dessins et même de simples notes ou articles de journaux. Toute spéciale, la bibliothèque du Musée de Saint-Germain doit être aussi complète que possible52.”

Il ajoute :

“C’est le complément indispensable des collections, qui comme nous l’avons déjà dit, doivent devenir les archives archéologiques de la France.”

Si la bibliothèque compte 727 ouvrages en 1868 et 1 854 en 1869,l’affluence des livres et manuscrits ne cesse de croître au point qu’en 1885, le registre d’entrée de la bibliothèque compte 6 578 numéros, dont beaucoup résultent de dons de Gabriel de Mortillet, principalement ses écrits publiés, et beaucoup d’autres de ventes de livres de sa propre bibliothèque53.

Valoriser les collections : Suivez le guide !

La salle 1 du Musée gallo-romain, consacrée à l’époque la pierre taillée, à laquelle s’est particulièrement dévoué Gabriel de Mortillet illustre le talent de ce grand promoteur d’une muséographie didactique. En mêlant objets archéologiques, restes fauniques, moulages de restes humains, panneaux explicatifs et cartes, il accompagne les visiteurs dans la découverte bouleversante des vestiges de l’industrie humaine, en adoptant une démarche anthropologique (fig. 6). Cependant la muséographie seule ne peut tout révéler, Mortillet l’accompagne rapidement de publications aux portées internationales, dans lesquelles se perçoivent sa forte personnalité et son esprit indépendant. L’analyse des Promenades au Musée de Saint-Germain, publié en 1869, est en ce sens révélatrice. Dans une langue simple et avec force explication, Gabriel de Mortillet accompagne le visiteur pas à pas, salle après salle, dans cette découverte des temps les plus anciens. Ce n’est pas le catalogue exigé en 1855 par le comte de Nieuwerkerke aux conservateurs des musées impériaux. Plus qu’un catalogue du musée, nous avons là une initiation à l’histoire de l’outil illustrée par les collections offertes au regard du visiteur. En l’absence de dessins, les descriptions sont suffisamment claires pour qu’il nous soit possible cent cinquante ans plus tard de reconnaître la majorité des objets mentionnés. Comme l’écrit Mortillet :

“Il n’y a rien d’officiel dans cette publication. Ce sont purement et simplement des explications, aussi exactes que possible, données, par un cicérone qui garde pour lui toute la responsabilité de ses appréciations. Ce sont des causeries familières d’un guide désireux de faire bien connaître et bien apprécier, l’œuvre importante qui naît et se développe dans le vieux château de François Ier54”.

Musée gallo-romain. Salle de la pierre taillée. Gravure de Jules-Antoine Peulot d’après un dessin d’Auguste Deroy, tirée de la revue Le Monde illustré du 11 janvier 1868. MAN, centre des archives.
Fig. 6. Musée gallo-romain. Salle de la pierre taillée. Gravure de Jules-Antoine Peulot d’après un dessin d’Auguste Deroy,
tirée de la revue Le Monde illustré du 11 janvier 1868. MAN, centre des archives.

Mortillet souhaite satisfaire l’impatience du public privé jusqu’alors d’un catalogue des collections. Comme pour l’Indicateur descriptif du musée d’histoire naturelle de Genève qu’il publie en 1852, il est le seul initiateur des Promenades au Musée de Saint-Germain. À la différence des catalogues des collections des musées impériaux publiés par l’éditeur Charles de Mourgues Frères, le choix de Mortillet se porte sur la maison d’édition Reinwald, ce qui est significatif. D’origine germanique et installé à Paris depuis 1849, le libraire Carl Reinwald est reconnu pour distribuer en France les travaux scientifiques allemands, suisses ou anglais représentatifs du matérialisme scientifique, et pour diffuser ceux des savants français en France et à l’étranger55. La maison d’édition C. Reinwald et Cie se spécialise dans le domaine de la botanique, géologie, zoologie, anthropologie et archéologie, et publie ainsi les travaux de Charles Darwin, Carl Vogt ou d’Édouard Desor, ces deux derniers étant proches de Gabriel de Mortillet. En 1869, Reinwald a déjà publié plusieurs ouvrages de Gabriel de Mortillet : Le signe de la croix avant le christianisme en 1866, puis Promenades préhistoriques à l’Exposition universelle en 1867 et Origine de la navigation et de la pêche la même année.

Par la suite, Reinwald publiera les deux œuvres phares de Gabriel de Mortillet que sont le Musée préhistorique en 1881, et Le préhistorique, origine et antiquité de l’Homme en 1883.

Cette approche didactique qui repose sur les collections du Musée de Saint-Germain se retrouve en 1875 avec la publication du premier tome du Dictionnaire archéologique de la Gaule. Époque celtique (lettre A à G) à laquelle participe pleinement Gabriel de Mortillet. Correspondant en 1865, puis nommé membre de la Commission de Topographie des Gaules (CTG)56 en janvier 1869 par son président Félicien de Saulcy57, Mortillet contribue à l’analyse des envois des érudits et rédige de nombreux articles du Dictionnaire58. Dès 1869, Alexandre Bertrand, qui en plus de diriger le Musée gallo-romain, assure le secrétariat de la CTG, propose d’illustrer le Dictionnaire de dessins afin de donner de l’unité aux descriptions. Anatole de Barthélémy et A. Bertrand en chargent Mortillet aussitôt59. Si la rédaction des notices qui référencent les sources écrites, les vestiges archéologiques et les références bibliographiques, est ardue et s’essouffle peu à peu, l’élaboration des illustrations va bon train60. Celles-ci doivent être fidèles aux objets reproduits et précises dans le rendu des volumes. Gabriel de Mortillet fait appel à des artistes reconnus dont le peintre Édouard Jules Naudin61 qui produit, entre 1871 et 1874, soixante-huit planches dessinées à la mine de plomb et rehaussées de blanc62 (fig. 7). Mortillet choisit les objets à représenter, conçoit la composition des planches, en suit l’exécution, exige fréquemment des reproductions grandeur nature ou de demi-grandeur63. Puis, il surveille attentivement la gravure sur cuivre par Jules Jacquet, prix de Rome en 1866. Il donne des titres aux planches (fig. 8) et fournit de courtes légendes permettant d’identifier chaque objet représenté. Dans leur grande majorité, les objets reproduits, originaux ou moulages, sont conservés dans les collections du Musée gallo-romain et présentés dans les salles, ce qui offre aux collections une aura scientifique jusqu’alors absente. Les séries ainsi construites sont complétées par quelques pièces appartenant à d’autres musées ou à des collections privées. Les planches sont présentées dans un ordre chronologique : l’âge de la pierre taillée (alluvions quaternaires et cavernes), l’âge de la pierre polie (dolmens et allées couvertes), l’âge du Bronze (épées, haches, bracelets, matériel de Vaudrevange) et l’époque gauloise (artefacts des cimetières de la Marne). On retrouve, dans ces séries, l’ordonnancement de la classification industrielle de Mortillet, ainsi que celui de l’aménagement du musée. De planche en planche, nous voyons se déployer sous la forme d’un musée de papier, le musée préhistorique et protohistorique, idéal et didactique, voulu par Mortillet pour démontrer l’existence d’un progrès linéaire et continu de l’homme. L’édition en 1875 du premier tome du Dictionnaire est également accompagnée de deux cartes élaborées par l’équipe du Dépôt de la Guerre et par les membres de la CTG : celle d’Alexandre Bertrand sur les dolmens et tumuli-dolmen de 1867, et celle de Gabriel de Mortillet sur les gisements quaternaires et cavernes revue (fig. 9), ces mêmes cartes complètent la muséographie des salles du Musée de Saint-Germain. La diffusion du Dictionnaire, tout particulièrement ses illustrations, auprès des grands organismes, des universités et des sociétés savantes64, est un extraordinaire vecteur de sa typo-chronologie.

Édouard Naudin, Type de l’âge du Bronze. Haches [dessiné entre 1871 et 1873]. Dessin à la mine de plomb rehaussé de craie blanche. Saint-Germain-en-Laye, MAN, centre des archives, fonds CTG, Dictionnaire archéologique de la Gaule, deuxième album. Classification des haches à douille. MAN, centre 
des archives, fonds de la CTG, © MAN / Valorie Gô.
Fig. 7. Édouard Naudin, Type de l’âge du Bronze. Haches [dessiné entre 1871 et 1873]. Dessin à la mine de plomb rehaussé de craie blanche. Saint-Germain-en-Laye, MAN, centre des archives, fonds CTG, Dictionnaire archéologique de la Gaule, deuxième album. Classification des haches
à douille. MAN, centre des archives, fonds de la CTG, © MAN / Valorie Gô.
Types de l’âge du Bronze. Haches. Planche préparatoire gravée par J. Jacquet à partir d’un dessin de E. Naudin pour l’album illustré accompagnant le Dictionnaire archéologique de la Gaule. Le document est annoté par G. de Mortillet. MAN, centre des archives, fonds de la CTG, © MAN / Valorie Gô.
Fig. 8. Types de l’âge du Bronze. Haches. Planche préparatoire gravée par J. Jacquet à partir d’un dessin de
E. Naudin pour l’album illustré accompagnant le Dictionnaire archéologique de la Gaule. Le document est annoté par G. de Mortillet. MAN, centre des archives, fonds de la CTG, © MAN / Valorie Gô.
Carte de la Gaule. Époque des cavernes. Carte dressée par Gabriel de Mortillet en 1869 ; annotée par lui pour la publication du premier tome du Dictionnaire en 1875. MAN, centre des archives, fonds de la CTG, inv. BIB 551, © MAN / Valôrie Gô.
Fig. 9. Carte de la Gaule. Époque des cavernes. Carte dressée par Gabriel de Mortillet en 1869 ;
annotée par lui pour la publication du premier tome du Dictionnaire en 1875. MAN, centre des archives,
fonds de la CTG, inv. BIB 551, © MAN / Valôrie Gô.

L’étude des sources liées à l’activité de Gabriel de Mortillet au MAN devient plus difficile à partir de 1875, compte tenu de l’appauvrissement de sa correspondance avec Alexandre Bertrand. Mortillet s’éloigne du Musée de Saint-Germain. Son activité, toujours aussi exubérante, et qui sort de plus en plus du musée, assortie d’une liberté de jugement à l’expression radicale pourraient l’expliquer. Son investissement au sein de la Société d’anthropologie qui le conduit à occuper à partir de 1876 la chaire d’anthropologie préhistorique de l’École d’anthropologie de Paris, son implication dans l’organisation de la galerie de l’anthropologie préhistorique lors de l’Exposition universelle de 187865 et sa nomination à la sous-commission des monuments mégalithiques en 1879 lui accordent une reconnaissance du monde savant et politique bien supérieure à celle qu’il a pu connaître auparavant. L’homme s’affirme au point de produire un papier à en-tête qui lui est propre : “G. de Mortillet. Attaché au Musée des Antiquités nationales. Professeur à l’École d’Anthropologie de Paris” (fig. 10). À ceci s’ajoute la publication en 1883 de son traité Le préhistorique. Origine et antiquité de l’Homme, sa publication la plus célèbre, dans laquelle il développe et illustre la chronologie industrielle des débuts de l’homme jusqu’à “l’homme actuel”. Cette fois-ci, il n’indique que son titre de professeur et tait celui d’attaché au Musée de Saint-Germain. L’opposition entre le directeur et son attaché devient tangible. Si Mortillet ne semble jamais avoir ressenti un attachement amical pour Alexandre Bertrand – les courriers sont introduits par “Monsieur” ou “Cher Monsieur”, jamais plus – sa prise de position sur la chronologie de la Préhistoire et de la Protohistoire se heurte bien vite à celle de Bertrand et donne lieu à des propos de plus en plus critiques à l’égard de son supérieur hiérarchique66. Il semblerait même que la situation ait rapidement dégénéré si l’on en croit Salomon Reinach :

“Il y eut surtout depuis 1878 des articles de journaux, des dénonciations à des hommes politiques […]. Mortillet et ses amis firent successivement passer Bertrand pour un bonapartiste, pour un clérical, pour un ‘classique encroûté’ ; peut-être l’auraient-ils réduit à demander un changement de poste sans l’influence d’hommes équitable67.”

Lettre de Gabriel de Mortillet datée du 7 novembre 1879 sur un papier à en-tête produit par Mortillet. MAN, centre des archives, Correspondance ancienne, dossier Mortillet, Gabriel de.
Fig. 10. Lettre de Gabriel de Mortillet datée du 7 novembre 1879 sur un papier à en-tête produit par Mortillet. MAN, centre des archives,
Correspondance ancienne, dossier Mortillet, Gabriel de.

L’opposition scientifique s’aggrave d’un conflit personnel entre les deux hommes provoqué par l’utilisation de dessins d’Adrien de Mortillet, le fils de Gabriel, pour une publication d’Alexandre Bertrand, sans l’autorisation de celui-ci68.

Il est certain que ces dix-sept années passées sous la férule de l’administration des musées ont offert à Mortillet des occasions uniques et l’entrée de collections multiples un formidable laboratoire d’étude. Gabriel de Mortillet peut ainsi observer, manipuler et dessiner des objets de qualité, à l’origine contrôlée et venus du monde entier. Il peut affiner sa typo-chronologie et nourrir ses multiples publications. Par la proximité du musée avec la Commission de Topographie des Gaules, Mortillet enrichit son réseau savant, participe à la première carte archéologique de la France et diffuse ses théories auprès des académies, des universités et autres institutions scientifiques par la publication du Dictionnaire. Sa stature d’homme de science y gagne beaucoup. Moins de dix ans après sa prise de fonction, son poste d’attaché à la conservation ne lui suffit plus tant sur le plan intellectuel que sur le plan financier. Si un traitement fixe, bien que faible, et un appartement de fonction pour loger sa grande famille ont pu exercer un attrait pendant un temps, on constate qu’une fois ses revenus assurés par ses cours à l’École d’Anthropologie de Paris et ses indemnités de député de Seine-et-Oise69, Gabriel de Mortillet présente sa démission au ministre de l’Instruction publique, des Beaux-arts et des Cultes en novembre 188570. Il va jusqu’à refuser à Alexandre Bertrand d’accueillir son successeur Salomon Reinach le samedi 16 janvier 1886 pour la remise de ses fonctions. Il ne revient au Musée de Saint-Germain que dans le cadre du CIAAP de 1889 ou pour accompagner ses cours de visites des collections.


Bibliographie

  • Bertinet, A. (2015) : Les musées de Napoléon III. Une institution pour les arts (1849-1872), Paris.
  • Congrès international d’anthropologie et d’archéologie préhistoriques. Compte rendu de la 4e session, Copenhague, 1869 (1875), Copenhague.
  • Cuzel, P. et Jouys Barbelin, C. (2017) : “Une archéologie nationale dans le cadre de la commission de Topographie des Gaules : des approches traditionnelles et une institution structurante pour des objectifs inédits”, Organon, 79, 183-210.
  • Granger, C. (2005) : L’Empereur et les arts. La liste civile de Napoléon III, Mémoires et documents de l›École des chartes 79, Paris.
  • Jeanblanc, H. (1987) : “La libraire Carl Reinwald et la diffusion du matérialisme scientifique en France dans la seconde moitié du 19e”, Cahiers d’Études Germaniques, 13, 119-141.
  • Jouys Barbelin, C. (2021) : “Le musée de papier de Gabriel de Mortillet”, Archéologia, 602, octobre, 22-23.
  • Mortillet, G. de (1852) : Indicateur descriptif du musée d’histoire naturelle et du musée des antiques de la ville de Genève, Genève.
  • Mortillet, G. de (1865) : Matériaux pour l’histoire positive et philosophique de l’Homme, 2.
  • Mortillet, G. de (1868) : Matériaux pour l’histoire positive et philosophique de l’Homme, 4.
  • Mortillet, G. de (1869) : Promenades au Musée de Saint-Germain, Paris.
  • Mortillet, G. de et Mortillet, A. de (1881) : Musée préhistorique, Paris.
  • Mortillet, G. de (1883) : Le Préhistorique. Antiquité de l’Homme, Paris.
  • Nicole, P. (1901) : “Éloge de Gabriel de Mortillet”, Bulletins de la Société d’anthropologie de Paris, Ve série, t. 2, 559-572.
  • Nieuwerkerke, E. de (1868) : Rapport de M. Le comte de Nieuwerkerke sur la situation des musées impériaux pendant le règne de Napoléon III (1853-1868), Paris.
  • Nieuwerkerke, E. de (1869) : Rapport de M. Le comte de Nieuwerkerke sur la situation des musées impériaux pendant le règne de Napoléon III (1853-1869), Paris.
  • Rafowicz, E. (2017) : “La Commission de Topographie des Gaules (1858-1879) : structurer, encourager et contrôler le développement de l’archéologie nationale”, Organon, 49, 155-182.
  • Reinach, S. (1903) : “Notice sur Alexandre Bertrand”, Annuaire de l’Association des anciens élèves de l’École Normale supérieure, 3-11.
  • Schwab, C. et Jouys Barbelin, C. (2020-2021) : “Jacques Boucher de Perthes (1788-1868) et le Musée gallo-romain de Saint-Germain”, Antiquités nationales, 50-51, 168-179.

Notes

  1. Nicole 1901, 562. Paul Nicole est professeur à l’École d’anthropologie de Paris.
  2. Le Comptoir d’histoire naturelle, situé en face du musée et rattaché à lui, est un comptoir de vente proposant des ouvrages et des échantillons des différentes branches de l’histoire naturelle (voir Mortillet 1852, 31).
  3. Je remercie Monsieur Dominik Remondino, conservateur en chef au musée d’Histoire naturelle de Genève et Madame Mélanie Auvray, régisseure des œuvres aux musées d’Annecy, de m’avoir donné accès aux archives de leurs institutions pour apprécier l’activité de Gabriel de Mortillet dans leurs établissements.
  4. Fin 1866, le musée comprend alors un conservateur par intérim, Alexandre Bertrand qui a remplacé Claude Rossignol le 19 août 1866, et un attaché à la conservation, Philibert Beaune. Quatre à six gardiens assurent la sûreté des lieux. En avril 1866, un atelier des moulages et restaurations dirigé par le sculpteur Abel Maître est créé au musée.
  5. Archives nationales, 20150497/121.
  6. Gabriel de Mortillet est conseiller municipal à Saint-Germain-en-Laye à compter de 1880, puis maire de 1882 à 1888. Il est élu député de Seine-et-Oise en 1885 ce qui le conduit à démissionner de son poste d’attaché au Musée de Saint-Germain.
  7. Voir Auguste Verchère de Reffye, “Note sur l’organisation du musée historique”, composée à l’attention de l’empereur, 5 octobre 1864, Archives nationales, 20144782/3.
  8. Mortillet 1865, 394.
  9. Le Congrès paléoethnologique international devient Congrès international d’anthropologie et d’archéologie préhistoriques en 1867.
  10. Dans une lettre du 1er décembre 1865 à Émile Cartailhac, Gabriel de Mortillet l’informe qu’il est “chargé de rédiger la partie archéologique du Dictionnaire qui doit accompagner la carte d’avant la conquête” ; accessible à l’adresse : https://tolosana.univ-toulouse.fr/fr/archives/92z-5523 [consulté le 20/11/2022].
  11. Cuzel & Jouys Barbelin 2017, 199-201.
  12. Archives nationales, 20144782/1.
  13. Mortillet 1865, 12, 29-33, 279, 352-355, 392, 495.
  14. Schwab & Jouys Barbelin 2020-2021, 168-179.
  15. Lettres d’A. Bertrand au comte de Nieuwerkerke, 10 décembre 1866 et 31 janvier 1867. Archives nationales, 20150497/121.
  16. Arrêté du 3 janvier 1868. Archives nationales, 20150497/121.
  17. Lettre de G. de Mortillet au comte de Nieuwerkerke du 30 novembre 1869. Archives nationales, 20150497/121.
  18. En 1871, Alexandre Bertrand perçoit un traitement de 435,40 francs par mois, Mortillet 190,40 francs et Abel Maître 400 francs.
  19. Lettre à A. Bertrand du 18 décembre 1868 : “Je vous remercie beaucoup pour la gratification de 400 francs que vous avez demandée pour moi […]. Je vous avouerai franchement qu’avec 174 fr 15 centimes par mois, il m’est de toute impossibilité de toucher les deux bouts”, MAN, centre des archives, Correspondance ancienne, dossier Mortillet, Gabriel de. Lettre d’A. Bertrand du 25 février 1872. Archives nationales, 20150497/121.
  20. Arrêté du ministre de l’Instruction publique et des Beaux-arts du 19 août 1879. Archives nationales, 20150497/121.
  21. Lettre de G. Mortillet à A. Maître du 21 juillet 1874. MAN, centre des archives, Correspondance ancienne, dossier Mortillet, Gabriel de.
  22. Il en est de même pour le congrès de Copenhague en 1869 ou celui de Pesth en 1876.
  23. Lettre du bureau des Musées à l’administrateur des musées nationaux du 16 septembre 1880. Archives nationales, 20150497/121.
  24. Brouillon de la lettre écrite par G. de Mortillet à la Ville de Saint-Germain-en-Laye. MAN, centre des archives, Fonds Administration générale, 2019008/3.
  25. Lettre du directeur des Musées nationaux à Alexandre Bertrand (?) du 4 septembre 1874. Archives nationales, 20150497/121.
  26. “Liste des membres souscripteurs”, Congrès international d’anthropologie et d’archéologie préhistoriques. Compte rendu de la 4e session, Copenhague, 1869, XVI.
  27. Mortillet 1868, 1.
  28. Lettre à A. Bertrand du 21 décembre 1868. MAN, centre des archives, Correspondance ancienne, dossier Mortillet, Gabriel de.
  29. Rapport et projet de règlement spécial pour le musée par Auguste Verchère de Reffye et Alexandre Bertrand, 25 avril 1870. Archives nationales, 20144782/1. Le décret promulguant le règlement ne sera jamais signé : l’empereur est enfermé à Sedan alors que le texte du décret est bloqué à Strasbourg. Ce texte avec quelques rares modifications est de nouveau présenté à l’administration des musées attachée au ministère de l’Instruction publique en 1879, alors que le musée est devenu musée des Antiquités nationales ; celle-ci le refuse. Une troisième tentative a lieu en 1896, après qu’a été instituée la Réunion des Musées nationaux, mais sans plus de succès. Le Musée de Saint-Germain est donc régi de la même manière que les autres musées nationaux, c’est-à-dire les musées des beaux-arts.
  30. Projet de règlement du musée, 1879. MAN, centre des archives, Fonds Organisation générale, 2019008/2. Le projet de 1879 espère une équipe scientifique renforcée : un conservateur au rang de directeur, un conservateur-adjoint et un attaché à la conservation. Pourtant, il faut attendre 1893 pour que le poste de conservateur-adjoint soit créé. Salomon Reinach, qui a succédé à Mortillet comme attaché à la conservation en 1886, en est le premier bénéficiaire.
  31. Le premier courrier de ce type est daté du 25 novembre 1868. MAN, centre des archives, Correspondance ancienne, dossier Mortillet, Gabriel de.
  32. Lettre de G. de Mortillet à A. Bertrand du 25 novembre 1868. MAN, centre des archives, Correspondance ancienne, dossier Mortillet, Gabriel de.
  33. Lettre de G. de Mortillet à A. Bertrand du 14 décembre 1868. MAN, centre des archives, Correspondance ancienne, dossier Mortillet, Gabriel de.
  34. Lettre de G. de Mortillet à A. Bertrand, 17 mai 1869. MAN, centre des archives, Correspondance ancienne, dossier Mortillet, Gabriel de.
  35. Note de frais de G. de Mortillet au comte de Nieuwerkerke et lettre d’A. Bertrand au comte de Nieuwerkerke du 23 août 1869. Archives nationales, 20150497/121.
  36. Lettre de G. de Mortillet à A. Bertrand, 20 octobre 1869. MAN, centre des archives, Correspondance ancienne, dossier Mortillet, Gabriel de.
  37. Granger 2005, 38-40.
  38. Instance créée en 1848 par Philippe-Auguste Jeanron qui rassemble les conservateurs des musées nationaux puis impériaux et fonctionne comme une sorte de conseil d’administration des musées. Les conservateurs échangent sur les acquisitions, l’administration, l’organisation et les aménagements des musées. Le conservatoire devient comité consultatif en 1880.
  39. Bertinet 2015, 34-48.
  40. Les Albums noirs forment une série d’albums topographiques organisés par départements, par villes et par sites. Des documents ayant trait aux collections archéologiques, aux sites et aux fouilles sont collés sur des planches et très souvent annotés par Mortillet jusqu’en 1885.
  41. Lettre de G. de Mortillet à A. Bertrand, 1er décembre 1868. MAN, centre des archives, Correspondance ancienne, dossier Mortillet, Gabriel de. Nous n’avons malheureusement retrouvé aucune trace de ces registres à ce jour.
  42. Registre d’entrée, vol. 2, p. 3. MAN, centre des archives.
  43. Lettre de G. de Mortillet à A. Bertrand, 10 novembre 1867. MAN, centre des archives, Correspondance ancienne, dossier Mortillet, Gabriel de.
  44. Lettre de G. de Mortillet à A. Bertrand, 12 octobre 1871. MAN, centre des archives, Correspondance ancienne, dossier Mortillet, Gabriel de.
  45. Mortillet 1865, 6-8.
  46. MAN, centre des archives, Archives institutionnelles –Registres, 2018005/10.
  47. Lettre de G. de Mortillet à A. Bertrand, 17 mai 1869. MAN, centre des archives, Correspondance ancienne, dossier Mortillet, Gabriel de.
  48. Alexandre Bertrand, “Projet de règlement”, 1870. Archives nationales, 20144782/1.
  49. Le dernier échange est inscrit sur le registre le 15 janvier 1914 ; cependant, les échanges concernant les objets précédemment entrés dans les collections du MAN ont cessé depuis 1894, et encore ces derniers échanges sont avec des musées français et prennent plutôt la forme de nos dépôts croisés modernes.
  50. Nieuwerkerke 1868, 129.
  51. Nieuwerkerke 1869, 131.
  52. Mortillet 1869, 159-160.
  53. À compter de juillet 1869, G. de Mortillet vend très régulièrement des ouvrages de sa bibliothèque personnelle pour compléter la bibliothèque en Salle d’étude du musée. Le premier achat d’envergure a lieu le 6 août 1869 (inv. BIB 1375 à BIB 1437).
  54. Mortillet 1869, 5.
  55. Jeanblanc 1987, 119-141.
  56. Pour en savoir plus sur la CTG, voir Rafowicz 2017, 155-182.
  57. Lettre de G. de Mortillet à A. Bertrand, 8 janvier 1869. MAN, centre des archives, Correspondance ancienne, dossier Mortillet, Gabriel de.
  58. Archives nationales, F/17/2907-2908.
  59. Lettres de G. de Mortillet à Alexandre Bertrand, 19 et 23 janvier 1869. MAN, centre des archives, Correspondance ancienne, dossier Mortillet, Gabriel de.
  60. Jouys Barbelin 2021, 22-23.
  61. Lettres de G. de Mortillet à A. Bertrand, 14 et 29 juin 1873. MAN, centre des archives, Correspondance ancienne, dossier Mortillet, Gabriel de.
  62. Les planches reliées sont conservées au centre des archives du MAN.
  63. Les archives du musée d’Archéologie nationale conservent l’ensemble des planches gravées reliées et de nombreux exemplaires des planches préparatoires annotées par Gabriel de Mortillet avant qu’elles ne soient publiées par l’Imprimerie nationale.
  64. Nous retrouvons ces exemplaires du Dictionnaire conservés dans les bibliothèques universitaires de Nancy, Besançon, Caen, Lille, Paris-Sorbonne ; ceux des sociétés savantes ou de leurs membres se retrouvent souvent dans les bibliothèques municipales, comme celles de Clermont-Ferrand, Grenoble, Lons-le-Saunier, Troyes, Amiens, Rouen ou Toulouse.
  65. Gabriel de Mortillet est nommé chevalier de la Légion d’honneur le 20 octobre 1878, pour son action à l’Exposition universelle de 1878.
  66. Voir Matériaux, 2e série, T. VI, 1875, p. 166, et Matériaux, 2e série, T. VII, 1876, p. 176.
  67. Reinach 1903, 8. Le tiré-à-part se trouve dans le dossier de carrière d’Alexandre Bertrand. Archives nationales, 20150497/121/1.
  68. Lettres de l’éditeur Ernest Leroux des 21 et 23 février 1884. MAN, centre des archives, Correspondance ancienne, dossier Mortillet, Gabriel de.
  69. G. de Mortillet exerce son mandat dans le groupe Gauche radicale du 4 octobre 1885 au 14 octobre 1889 (https://www2.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche/(num_dept)/8013). En 1885, un député perçoit une indemnité de 9 000 francs par an.
  70. Arrêté du 25 novembre 1885. Archives nationales, 20150497/121/1.
ISBN html : 978-2-35613-552-0
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Article de colloque
EAN html : 9782356135520
ISBN html : 978-2-35613-552-0
ISBN pdf : 978-2-35613-554-4
ISSN : 2741-1508
20 p.
Code CLIL : 4117; 3494;
licence CC by SA

Comment citer

Jouys Barbelin, Corinne, “Gabriel de Mortillet, attaché à la conservation du Musée impérial de Saint-Germain, ou comment gérer les collections archéologiques d’un musée d’envergure nationale”, in : Cicolani, Veronica, Lorre, Christine, Hurel, Arnaud, dir., Le printemps de l’archéologie préhistorique. Autour de Gabriel de Mortillet, Pessac, Ausonius Éditions, collection DAN@ 11, 2024, 287-306 [en ligne] https://una-editions.fr/gabriel-de-mortillet-attache-a-la-conservation-du-musee-imperial-de-saint-germain [consulté le 17/07/2024]
doi.org/10.46608/DANA11.9782356135520.20
Illustration de couverture • • Gabriel de Mortillet, excursion aux carrières de Chelles (Seine-et-Marne) en 1884 (Fonds photographique ancien, fondation Institut de paléontologie humaine, Paris)
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