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L’artisanat du/des terrain(s) : regards croisés

par

Affirmer que « nous naviguons sur un terrain qui tangue et qui change à la mesure même de nos efforts pour le traverser » (Burawoy cité dans Paillé, 2010, p. 10-11) n’est pas une métaphore. L’échéance de juin 2020 devait réunir une équipe de six chercheurs et professionnels pour concrétiser la mission « Argentine » du programme « Fabcom, la fabrique du commun. Vers un nous éditorial ? », mais la pandémie en a voulu autrement. Ce programme régional, porté par Annick Monseigne et Alain Bouldoires, questionnait les communs communicationnels à travers l’étude de presses alternatives. Il s’agissait au départ de repenser le rôle de la presse territoriale dans les formes d’expression reliant les citoyens et leurs institutions. Pour cela, nous comptions « exploiter »1 deux terrains distincts : l’un en Argentine et l’autre sur la commune de Cenon (en Nouvelle-Aquitaine). Alors que nous étions sur le départ pour l’Argentine, la pandémie de la COVID-19 nous a forcées2 à reconfigurer les échéances du programme, à réorganiser les objectifs de la recherche et à repenser notre rapport aux deux terrains – l’un ayant été annulé et l’autre profondément remanié. Cet évènement, qui semblait au départ un frein à la recherche, nous a finalement incitées à envisager le travail de terrain sous un nouveau jour et à nous demander comment un terrain « se travaille » dans une période chamboulée. S’agit-il d’un autre terrain ou du même ? Le travail du chercheur poursuit-il tout de même ses objectifs lorsqu’il adapte son approche ? Observe-t-il toujours le « quotidien » d’un terrain ou simplement un évènement qui le parcourt ? Enfin, « le chercheur travaille-t-il “sur”, “avec” ou “pour” son terrain ? » (Da Lage et Vandiedonck, 2002, p. 2).

Notre article vise à expliciter l’importance de la rencontre et de l’imprévu dans la reconfiguration de deux terrains de recherche. Tout en confrontant les terrains argentins et cenonnais, nous montrerons comment les aléas du contemporain ont transformé les regards portés sur eux et dans quelle mesure le « tournant COVID » nous a permis de redéfinir notre approche du terrain. Aborder ce dernier par le prisme du contemporain est pour nous l’occasion de penser ce qui lie le chercheur à un terrain donné. Pour Ruffel, le contemporain « excède (…) largement son “époque”, la “nôtre”, pour concerner toute constitution d’un corps collectif fondé sur le partage d’un espace-temps » (2016, p. 8). En ce sens, le contemporain évoque avant tout une relation plutôt qu’une qualité propre à une époque. Est contemporain ce qui est le partage d’un ici et maintenant. Comment le chercheur, qui lui-même appartient à une époque donnée, se fait-il le contemporain de son terrain ? Quel regard porte-t-il sur ce dernier ? Comment évite-t-il l’écueil d’une lecture trop influencée par son propre vécu vis-à-vis du terrain ? En somme, comment prend-il garde – ou tient-il compte – de sa propre contemporanéité lorsqu’il choisit de fouler un terrain donné ?

C’est particulièrement la pratique du chercheur qui nous intéressera dans cet article. Pour ce faire, nous ferons appel au concept d’artisanat tel que l’a développé Richard Sennett (2010). Nous verrons, en effet, que le chercheur ne conçoit pas son terrain de manière linéaire, mais à travers un ensemble d’allers-retours avec celui-ci : le terrain est en perpétuelle construction, « en chantier ». Bien que le chercheur soit pétri à l’initiale par certaines intentions et qu’il pose quelques jalons pour organiser son action, un ajustement est nécessaire pour qu’il « fasse corps avec » ou « prenne corps sur » son terrain. En somme, la réflexivité et l’implication sensible du chercheur semblent faire de sa pratique un travail d’artisanat plutôt qu’une ingénierie de terrain. Pour argumenter cette proposition, nous interrogerons parallèlement et successivement nos expériences vis-à-vis des terrains argentins et cenonnais. Nous les appréhenderons notamment à travers quelques représentations graphiques, des prises de notes préparatoires, ou encore des photos qui ont accompagné notre travail. Considérées comme des traces, ces images sélectionnées, annotées, voire produites au détour des terrains, permettront une « reconstruction de la réalité » (Quinton, 2002, p. 4), elle-même « calibrée par des enjeux auctoriaux, éditoriaux et scientifiques propres à la communauté dans laquelle l’écrit est amené à circuler » (ibid., p. 4).

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Notes

  1. Nous reviendrons sur ce point de vue dans l’article.
  2. Ne souhaitant pas nous exprimer au nom de l’ensemble de l’équipe Fabcom, et cette réflexion émanant seulement de l’expérience des autrices de l’article, nous préférons accorder au féminin.
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Pessac
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EAN html : 9791030010787
ISBN html : 979-10-300-1078-7
ISBN pdf : 979-10-300-1077-0
Volume : 25
ISSN : 2741-1818
Code CLIL : 3385
licence CC by SA

Comment citer

Maria Gabriela Dascalakis-Labreze, Camille Forthoffer, « L’artisanat du/des terrain(s) : regards croisés », dans Maria Gabriela Dascalakis-Labreze, Camille Forthoffer, (dir.), Contemporanéité et hybridations des pratiques de la recherche, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, collection PrimaLun@ 25, 2024, [en ligne] https://una-editions.fr/lartisanat-du-des-terrains-regards-croises/ [consulté le 16/09/2024].
doi.org/10.46608/primaluna25.9791030010787.4
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