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Partie II.
Le spectateur récepteur des œuvres produites
Des testimonia hétérogènes en quête de définition

Reconnaître et catégoriser des œuvres hétérogènes qui empruntent à d’autres ne va pas de soi. Il s’agit d’un exercice malaisé puisqu’il suppose de prendre en considération les visées des artistes qui les ont façonnées, mais aussi le ressenti du spectateur lorsqu’il a posé les yeux sur elles, sans quoi elles sont simplement (et de manière hasardeuse) définies comme étant des « citations », des « parodies », des « appropriations » des « détournements » ou bien encore des « hommages ». Et force est de reconnaître que la critique d’art s’accommode bien de ces termes « passe-partout » et interchangeables. La richesse de notre corpus et la diversité des œuvres présentées dans cet ouvrage nécessitent une réflexion sur la terminologie qui peut servir à caractériser une œuvre, mais aussi à l’analyser.

Dans le champ des études littéraires, il est encore pertinent aujourd’hui de convoquer les mots d’Antoine Compagnon et de Gérard Genette lorsqu’il s’agit de questionner le recours à la citation, au détournement et, de manière plus générale, à l’intertextualité. Dans leurs ouvrages fondamentaux respectifs La seconde main ou le travail de la citation1 et Palimpsestes. La Littérature au second degré2, les auteurs questionnent les phénomènes de reprise. Or, ce qui est propre à l’histoire de la littérature contemporaine ne l’est pas forcément de l’histoire de l’art et des arts plastiques. Certes, Antoine Compagnon utilise la métaphore des découpages et des collages pour rendre compte de manière imagée de l’art et de la technique que suppose le travail de citation : « Découpage et collage sont les expériences fondamentales du papier, dont lecture et écriture ne sont que des formes dérivées, transitoires, éphémères3 ». Et de poursuivre quelques pages plus loin en affirmant que la citation est « un jeu d’enfant4 ». Pour autant, les identifications de ces opérations chirurgicales « enfantines » (« lorsque je cite, j’excise, je mutile, je prélève5 »), se sont révélées jusqu’à ce jour peu précises et peu concluantes, car difficilement transposables dans le champ des études consacrées aux pratiques artistiques. Il faut attendre 2004 pour voir paraître l’ouvrage coordonné par Pierre Beylot Emprunts et citations dans le champ artistique, dans lequel la citation est envisagée comme un « espace de problématisation6 ».

Si les contributions s’intéressent aux diverses modalités de reprise dans l’art du XIXe et du XXe siècle, en revanche aucune ne les identifie précisément, et aucune terminologie n’est véritablement fixée. Des précisions sont apportées en 2013 dans l’article « Recyclage : terminologie et opérations » de Georges Roque paru dans les actes du colloque L’image recyclée. Usages de l’appropriation dans les arts figuratifs, de l’allusion au plagiat (EHESS, 2010) : y est proposée une première terminologie dans laquelle sont distinguées les « images-source » transformées de celles qui ne le sont pas. Pour autant, les distinctions que l’auteur fait, d’une part, entre la reprise, la citation, l’insertion et l’assemblage et, d’autre part, la transposition stylistique et de la transposition iconique ne sont pas pleinement satisfaisantes : il s’agit une nouvelle fois de termes interchangeables. Dans l’introduction à son article, Georges Roque rappelle qu’en ce qui concerne les images, et « à la différence du champ littéraire, beaucoup reste encore à faire pour inventorier les diverses formes que prend le recyclage7 ». Parmi les éléments qui n’ont pas été abordés dans les actes du colloque, il y a la relation qui unit la visée de l’artiste à la réception du spectateur. Il nous semble pourtant qu’il est possible de proposer une terminologie qui puisse en rendre compte. Il s’agit aussi, dans notre cas, de prendre en considération des œuvres ayant un objet d’étude commun : faire référence à l’Antiquité grecque et romaine.

Depuis une vingtaine d’années, des chercheurs en littérature classique tentent eux aussi de définir les divers types de citations chez les Anciens. Pensons, par exemple, aux ouvrages publiés sur ce sujet par Catherine Darbo- Peschanski (La citation dans l’Antiquité) et par Christian Nicolas (Hôs ephat’, dixerit quispiam, comme disait l’autre… Mécanisme de la citation et de la mention dans les langues de l’antiquité)8. Mais nous constatons que les auteurs rencontrent des difficultés semblables aux nôtres. En effet, dans une thèse de doctorat consacrée à la réception de Solon, Catherine Psilakis rappelle la difficulté de recourir à un vocabulaire qui n’a pas été fixé, et suggère de revenir au « témoignage des Anciens » :

Étant donné que les études classiques ne s’accordent pas sur une définition opératoire de la citation ni sur le vocabulaire à utiliser dans l’étude de ce procédé discursif, il semble indiqué de revenir au témoignage des Anciens pour déterminer leur utilisation de la citation9.

Le retour au « témoignage des Anciens10 », s’il semble tout à fait pertinent pour l’étude de « leur utilisation de la citation11 », ne peut ici totalement nous satisfaire. Transposer ce procédé dans notre champ d’étude supposerait d’obtenir des artistes qu’ils questionnent l’usage de vocables auxquels ils ne recourent pas. En effet, dans la plupart des cas, les artistes contemporains expliquent leurs démarches, sans questionner la terminologie. En revanche, c’est le spectateur, l’historien de l’art et le critique qui s’efforceront d’identifier les diverses pratiques hyperartistiques.

C’est pourquoi afin de tenter de caractériser au mieux les œuvres produites, il nous semble intéressant de « croiser » les réceptions en prenant en considération les visées des artistes et les réceptions des spectateurs.

Notes

  1. Antoine Compagnon, La seconde main ou le travail de la citation, op. cit.
  2. Gérard Genette, Palimpsestes. La Littérature au second degré, op. cit.
  3. Antoine Compagnon, op. cit., p. 19.
  4. Ibid., p. 32.
  5. Ibid., p. 20.
  6. Pierre Beylot, « Avant-propos. La citation, un espace de problématisation des pratiques artistiques », dans Pierre Beylot (dir.), Emprunts et citations dans le champ artistique, op. cit., p. 10.
  7. Georges Roque, « Recyclage : terminologie et opérations », op. cit., p. 37.
  8. Voir Catherine Darbo-Peschanski (dir.), La citation dans l’Antiquité, Actes du colloque PARSA Lyon, ENS LSH, 6-8 novembre 2002, Grenoble, Millon, 2004 ; Christian Nicolas (dir.), Hôs ephat’, dixerit quispiam, comme disait l’autre… Mécanismes de la citation et de la mention dans les langues de l’antiquité, Grenoble, Ellug-Université Stendhal, 2006.
  9. Catherine Psilakis, Dynamiques et mutations d’une figure d’autorité : recherches sur la réception de Solon aux Ve et IVe siècles. Thèse de doctorat en Langue et littérature grecque, Université de Lille 3 Charles de Gaulle, 2014, p. 33.
  10. Id.
  11. Id.
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Pessac
Chapitre de livre
EAN html : 9782353111725
ISBN html : 978-2-35311-166-4
ISBN pdf : 978-2-35311-173-4
Volume : 19
ISSN : 2741-1818
Posté le 20/05/2024
3 p.
Code CLIL : 3385; 3667;
licence CC by SA
Licence ouverte Etalab

Comment citer

Besnard, Tiphaine Annabelle, “Partie II. Le spectateur récepteur des œuvres produites. Des testimonia hétérogènes en quête de définition”, in : Besnard, Tiphaine Annabelle, L’odyssée de l’art néo-néo. Quand l’Antiquité grecque et romaine inspire l’art contemporain, Pessac, Presses universitaires de Pau et des pays de l’Adour, collection PrimaLun@ 19, 2024, 141-144, [en ligne] https://una-editions.fr/le-spectateur-recepteur-des-oeuvres-produites [consulté le 20/05/2024].
10.46608/primaluna19.9782353111725.10
Illustration de couverture • Idée et montage : Tiphaine Annabelle Besnard.
De la tête aux pieds de la Vénus de Milo reconstituée
- Léo Caillard
- Daniel Arsham
- Fabio Viale
- Pascal Lièvre
- Hui Cao
- Yinka Shonibare
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