Paru dans : Les Cahiers du Bazadais, n° 11, 1966, 34-53.
Il en est de l’église Saint-Martin-d’Insos comme de beaucoup d’autres églises rurales. On les oublie, on a tort. Rares sont en effet les Bazadais qui la connaissent, mais ceux qui voudront la découvrir dans la clairière où elle se dresse encore ne regretteront pas de s’y être laissés conduire.
Le site d’Insos a été certainement occupé depuis fort longtemps et son toponyme en os révèle un habitat datant certainement des environs du VIe siècle a.C. Quant au patron auquel est dédiée la paroisse d’Insos, saint Martin, il la rattache à une période d’évangélisation qui, selon toute vraisemblance, remonte à l’époque mérovingienne. Il s’en faut de beaucoup, bien sûr, que l’édifice que nous admirons aujourd’hui date de cette époque, car ses parties les plus anciennes ne semblent pas antérieures au XIIe siècle. Nous ne disposons d’ailleurs, comme pour la plupart des églises bazadaises, que de bien peu de renseignements sur son histoire. Les témoignages les plus anciens apparaissent dans les actes de la famille d’Albret qui, à partir du milieu du XIIIe siècle au moins, possédait la seigneurie de Cazeneuve dont le château se trouvait précisément sur le territoire de la paroisse d’Insos. Il s’agit de dons à la fabrique qui n’ont d’ailleurs rien d’exceptionnel puisque de nombreuses paroisses de la région en bénéficiaient simultanément à l’occasion de legs testamentaires. C’est ainsi qu’Amanieu (VI) d’Albret laissait par testament en date du 26 juillet 1262 “a la obra de la gleiza d’Unsos L sols”, donation qu’il ne devait d’ailleurs pas confirmer dans son second testament en date du mois de juin 1270.
La disparition presque totale des archives de l’évêché de Bazas nous prive malheureusement de renseignements pour toute la période moderne et ce n’est guère qu’avec le début du XIXe siècle que nous disposons de quelques précisions. Lorsque sous le Consulat le culte catholique fut réorganisé en France, l’ancienne paroisse d’Insos, devenue depuis 1790 un hameau de la commune de Préchac, fut rattachée au spirituel à celle de Lucmau et confiée au curé de cette localité, l’abbé J. B. Latapy. Celui-ci, déjà curé de Lucmau avant 1789, prêtre constitutionnel en 1791, fut en 1803 officiellement réinstallé par Monseigneur d’Aviau dans son poste où il mourut en 1812. Or, en partie à cause de sa disparition en tant que paroisse, en partie à cause de son rattachement à Lucmau au spirituel, Insos vit son église désaffectée et cela faillit avoir pour l’édifice de graves conséquences. Non seulement, nous le verrons, l’église fut dépouillée d’une partie de son mobilier : maître-autel, confessionnal, chaire, au profit de celle de Lucmau, mais on songea même à la démolir. Voici en effet ce qu’on peut lire dans une note de l’abbé Latapy : “l’église Saint-Martin-d’Insos est une très vaste église eu égard à sa modique population et au peu d’étendue du territoire de cette ancienne paroisse. Elle est très solidement construite, bien lambrissée. La charpente en est très belle ; la toiture, le carrelage et les vitraux sont dans le plus grand désordre. Il reste encore les deux autels collatéraux. Cette église ne sert plus que pour les offices des sépultures depuis que Monseigneur l’archevêque l’a ainsy ordonné en faisant transporter le maître-autel dans l’église de Lucmau. Elle est absolument dénuée de vases sacrés, de linges, ornements et autres objets liturgiques. La fabrique n’est pas en état de se charger de l’entretien de cette église, étant assez occupée de celui de l’église de Lucmau. Si l’on regarde l’église d’Insos comme inutile pour le culte on ne scait qu’elle valleur donner à un édifice scitué dans un endroit expars qu’elle valleur donner à des matériaux d’un édifice situé au milieu de carrières, édifice qui a des murailles de 3 ou 4 pieds d’épaisseur sur 7 pieds de longueur, et une largeur de 27 ou 28 pieds sur une élévation de 20 pieds, une masse de clocher de 60 pieds d’élévation, sur une épaisseur de 8 pieds ; il est à présumer que dans un besoin de matériaux on préferoit les extraire des carrières que de se charger d’une pareille démolition… Il y a à Insos un presbitaire adossé à l’église ; si on alienne l’église on doit necessairement allienner le presbitaire. Il a besoin d’urgentes réparations… Dans le cas où le gouvernement persistat dans le plan de changer de place les cimetières qui se trouvent trop raprochés des habitations, celui de Lucmau se trouvant en partie dans cette situation, si on le transportait hors du bourg en lui donnant une assez grande étendue pour servir aux deux paroisses il serait alors inutille de conserver l’église, le presbitaire et le simetière d’Insos, et les matériaux qui proviendraient de ces objets facilles à démolir pourraient servir à la clôture du nouveau cimetière de Lucmau”. L’intérêt de cette description c’est que plus d’un siècle et demi après elle reste encore tout à fait valable. Si on est effectivement frappé par l’ampleur de l’église et l’élévation du clocher, on l’est aussi par l’état de la toiture et celui des vitrages. Comme on le voit d’autre part, l’abbé Latapy était assez hésitant sur le sort à réserver à cette église à demi-déclassée.
Les raisons en sont faciles à comprendre car toute aliénation de l’église entraînait celle du presbytère qui y est encore adossé. Or, ce presbytère était alors loué et rapportait quelques revenus à la fabrique de Lucmau et d’Insos. D’autre part, la vente de ces édifices en vue d’une démolition risquait d’être difficile, la pierre abondant et à meilleur compte dans les carrières voisines. Voilà une remarque bien pertinente dont les démolisseurs de Montclaris auraient, s’ils l’avaient connue, pu faire leur profit à tous les sens du mot ! Dans ces conditions, le curé de Lucmau n’envisageait finalement une démolition de l’ensemble que pour un usage communautaire, l’aménagement du nouveau cimetière de Lucmau. Heureusement cette dernière suggestion ne fut-elle pas écoutée, le temps passa et l’église d’Insos fut sauvée. Elle le dut sans doute aussi au fait que, dès 1831, les habitants d’Insos réclamèrent le rétablissement du culte dans leur église. C’est ce qui apparaît dans une lettre adressée à l’archevêché par l’abbé Moussol, successeur de l’abbé Latapy ; mais il fallut presque dix ans avant que la chose ne fût menée à bonne fin. Dès 1835 cependant, les paroissiens d’Insos disposaient de 766 francs, provenant de la location du presbytère depuis dix ans et d’une souscription, somme qu’ils désiraient affecter à la réparation de l’église qui se trouvait alors “dans un grand état de dégradation”. Dès cette époque aussi, et pendant plusieurs années, ils réclamèrent, sans résultat d’ailleurs, la restitution du maître-autel, de la chaire et du confessionnal transportés à Lucmau. Finalement en 1839, ils se résolurent à aller chercher un autel désaffecté à Sauviac et c’est très certainement à la Saint-Martin de cette année que le culte fut rétabli. On dut faire alors les réparations urgentes à la toiture, au sol, au vitrage et par la suite, en plusieurs temps, procéder à l’aménagement intérieur. Depuis cette époque peu de changements sont venus modifier l’état de l’édifice que nous allons décrire.
Plan
Le plan de l’église Saint-Martin-d’Insos est d’une grande simplicité puisque l’édifice ne comprend qu’une nef terminée par un chœur précédant une abside semi-circulaire (fig. 1).
Intérieur : la nef

On y pénètre par un portail ouvert sous le clocher-mur de la façade ouest, épais à la base de 2 m. Le seuil, large de 2,04 m, surmonté à l’intérieur de l’édifice par un arc en plein cintre, ouvre sur une nef de 17,10 m de long sur 9,30 m de large, mais dont le plan n’est pas un rectangle parfait. L’angle nord-ouest, à gauche de l’entrée, est en effet abattu par un pan coupé de 3,10 m correspondant à un des côtés de la tourelle qui permet d’accéder au clocher. Le carrelage est formé de carreaux en terre, de fabrication locale, alternativement clairs et foncés de 0,32 m de côté, disposés en diagonale par rapport à l’axe de l’édifice. À 3,22 m de l’entrée du chœur, le sol de la partie est de la nef est surélevé de 0,08 m par une petite marche en pierre surmontée d’une sainte table en bois, bien modeste. Contre la plus grande partie des murs de la nef, à droite de l’entrée contre le mur ouest, le long du mur sud jusqu’à la marche de la sainte table, dans la partie centrale du mur nord on aperçoit un banc de pierre de 0,25 m de haut et de 0,45 m de large. Bien que le fait ne soit pas exceptionnel, il est assez rare en Bazadais pour devoir être signalé. Deux portes secondaires donnent sur cette partie de l’édifice : l’une, située dans le pan coupé du nord-ouest ouvre sur un escalier à vis en pierre par lequel on accède au clocher, l’autre, percée dans le mur méridional, à un mètre de l’encoignure sud-ouest, large de 1,06 m est encore munie d’un remarquable vantail clouté, malheureusement en fort mauvais état, et qui mériterait un meilleur sort (fig. 2). L’éclairement, assez parcimonieux, est fourni par deux ouvertures en plein cintre percées elles aussi dans le mur sud et fermées par un simple vitrage. Ces deux baies sont, nous le verrons, modernes et dans ces conditions il est probable qu’à l’origine la nef était fort obscure ; elle y gagnait par contre en sûreté, ce qui aux XIVe et XVe siècles était certainement plus appréciable. Quant au plafond, il est constitué par un lambris en anse de panier, moderne lui aussi et en fort mauvais état. Il est probable cependant qu’une telle couverture ait été utilisée à une époque assez ancienne comme en témoignent les corbeaux en pierre que l’on aperçoit au sommet de la nef. Le mobilier est d’un intérêt très inégal, les autels et les statues de la Vierge et de saint Martin sont ainsi du plus mauvais goût, mais deux pièces méritent une mention particulière. Il s’agit tout d’abord du bénitier placé à droite de la porte sud, au-dessus du banc en pierre : haut de 0,75 m, large de 0,54 m, il est composé d’une cuve octogonale au dehors, circulaire au dedans, reposant sur un socle à base carrée (fig. 2). L’ensemble taillé dans le calcaire du pays est un témoignage de cet art populaire, bien difficile à dater mais beaucoup trop négligé jusqu’à ce jour dans nos régions. Issue d’une même inspiration est la cuve baptismale : monolithe, haute de 0,92 m, large au plus de 0,95 m, elle est de la même façon, circulaire à l’intérieur et octogonale au dehors. Le pied octogonal étant particulièrement mince (faces de 0,14 m de côté), l’ensemble a l’allure d’un calice (fig. 4). Le seul décor, fort simple d’ailleurs, est constitué par quatre croix latines aux branches triangulaires inscrites en relief dans un cercle et sculptées sur l’épaisseur de la cuve, ébréchée malheureusement en plusieurs endroits. Or, ces croix ressemblent fort à celle qui est sculptée à mi-hauteur de la face ouest du clocher, dont nous ignorons la signification. Ne pourrait-on pas, dans ces conditions, attribuer ces sculptures à la même main et dater ainsi ces fonts baptismaux du XIVe siècle, époque où, nous le verrons, fut certainement édifié le clocher ? C’est une hypothèse que nous soumettons à l’avis de spécialistes. Notons enfin qu’au mois d’octobre 1810 l’abbé Latapy, curé de Lucmau, avait songé à transporter cette cuve à Lucmau, trouvant celle de cette église trop petite, mais il semble bien qu’il n’en fut rien. Il avait par contre réussi dès cette époque à transporter la chaire “en bois de noyer” et le confessionnal “en bois de biulle” de l’église d’Insos à celle de Lucmau, ce qui devait, entre 1835 et 1840, provoquer, nous l’avons vu, des dissensions entre les paroissiens de ces deux localités.
Chœur et abside
Cette partie, entièrement romane, est la plus ancienne de l’édifice. L’axe de l’ensemble est légèrement dévié vers le nord, comme on le trouve à Aillas ou à Brannens en Bazadais, mais il est bien difficile de vouloir y attacher une signification religieuse. Il faut plutôt y voir la manifestation de deux périodes de construction différentes pour la nef et le chevet, ce qui est d’ailleurs confirmé, nous le verrons, par l’appareil extérieur. Le chœur est séparé de la nef par un arc triomphal en plein cintre, large seulement de 4,86 m et reposant sur deux piliers absolument plats, larges de 0,97 m. A. Brutails avait noté un étranglement identique par rapport à la nef à Sauviac, Mazerac ou Brannens. Cela permet d’aménager de part et d’autre de l’arc, dans la nef, des autels secondaires et d’assurer plus de solidité au clocher qui surmonte parfois l’arc triomphal comme à Monclaris. Dans le cas d’Insos, le projet ne fut jamais mené à bonne fin et, comme à Préchac, il n’existe qu’un petit clocheton, fort élégant d’ailleurs. Il n’est pas inutile enfin de noter la sobriété des supports carrés et lisses dont on ne trouve que d’assez rares exemples à l’époque romane dans notre région, sauf peut-être à Masseilles ou à Aubiac. L’arc est par contre doublé par un autre arc concentrique mais moins large retombant sur des consoles. Le chœur voûté en plein cintre s’élargit ensuite sur 5,25 m pour une profondeur de 3,45 m. Le sol surélevé est carrelé de la même façon que celui de la nef dont il est séparé par deux marches en pierre, hautes chacune de 0,155 m. Quant à l’éclairement, il est fourni par une fenêtre en plein cintre, sensiblement contemporaine de celles de la nef, ouverte dans le mur sud (fig. 3).

L’abside semi-circulaire, profonde de 2,25 m seulement, est séparée du chœur par un arc doubleau en plein cintre qui mérite une attention particulière. En plan, on note tout d’abord deux décrochements successifs de 0,20 m et 0,10 m qui réduisent ainsi de 0,60 m, au niveau du sol, l’ouverture de l’abside par rapport à la largeur du chœur. Ce double décrochement a d’autre part permis au constructeur d’aménager, comme à l’arc triomphal, deux arcs concentriques d’inégale largeur. Mais, ici, la retombée de l’arc intérieur se fait non plus sur deux consoles mais sur une imposte qui se continue au départ de la voûte en cul-de-four de l’abside. Chose curieuse enfin, les pilastres, qui au-dessous de l’arc intérieur soutiennent cette imposte, s’arrêtent brusquement à 1,94 m du sol “reposant” sur de simples supports en forme d’étagère qui ne servent apparemment à rien (fig. 3). Il n’est pas pensable qu’un constructeur ait pu laisser des pilastres dans un tel état d’inachèvement ou que, du moins, on n’ait pas songé à les achever ; aussi, pensons-nous que c’est ultérieurement que l’on a abattu la base des pilastres les laissant en porte-à-faux et réduisant ainsi la solidité de l’arc. Peut-être cette transformation a-t-elle eu lieu lors de l’établissement du retable qui à la fin du XVIIIe siècle décorait encore le chœur, et qui dans la première décade du XIXe siècle fut transporté, par les soins de l’abbé Latapy, dans l’église de Lucmau. Fort beau, au dire de cet abbé, l’ensemble comprenait un tabernacle “en bois doré”, un retable “en bois doré et peint, avec deux statues d’évêques dorées” et un tableau sur lequel étaient représentés “une vierge et deux évêques”. Comme ce tableau représentait une scène de la vie de saint Martin il était assez mal placé sur un autel dédié à saint André. Cela et peut-être aussi le changement du goût expliquent son remplacement, au XIXe siècle, par l’autel qui orne actuellement le chœur de l’église de Lucmau. Le vieil autel d’Insos fut-il alors détruit ou vendu ? Nous ne le saurons peut-être jamais. Il est certain d’autre part que l’autel actuel d’Insos n’a été mis en place qu’à une époque relativement récente car lors de la réouverture de l’église au culte, en 1839, les paroissiens allèrent, nous l’avons vu, chercher un autel à Sauviac où l’on avait certainement procédé alors à des transformations dans l’église de cette paroisse. L’abside, éclairée par trois baies en arc plein cintre très étroites et très ébrasées, d’époque romane, possède au sud une petite crédence d’une grande sobriété mais certainement fort ancienne. Elle est composée d’une niche rectangulaire et d’un petit évier en encorbellement, muni d’une feuillure destinée à recevoir un couvercle (fig. 5). Si, comme nous l’espérons, une restauration a lieu un jour, l’enlèvement des enduits qui recouvrent actuellement les murs et les voûtes de ce chevet fera certainement apparaître un des plus beaux appareils romans de la région du moins si, comme nous le supposons, le parement intérieur est semblable à celui que l’on aperçoit au dehors.
Extérieur : le clocher
C’est sans doute un des plus beaux clochers-murs du Bazadais en même temps qu’un spécimen remarquable de l’art local au XIVe siècle. Large à sa base de 2,66 m, il est renforcé sur la paroi ouest par deux contreforts qui s’élèvent presque jusqu’à la base du pignon, alors qu’à Lucmau ils atteignent seulement le niveau du toit de la nef. Comme à Lucmau, par contre, une tourelle accolée sur le flanc nord abrite un escalier à vis qui permet d’accéder actuellement au niveau inférieur des baies des cloches. Un épais contrefort terminé en biseau (fig. 6), qui n’est que le prolongement en hauteur du mur ouest de la nef, lui fait pendant sur le côté sud. Le portail, très simple mais assez original, s’ouvre entre les deux contreforts de l’ouest. Il est assez peu ébrasé puisque, large de 2,37 m sur la face externe du mur il l’est encore de 1,90 m sur le seuil, pour une profondeur de 0,78 m. Il est encadré par trois voussures en arc brisé et une archivolte d’extrados dont le profil est un tore en amande. Les pieds-droits sont constitués par une sorte de banquette haute de 0,68 m sur laquelle reposent trois paires de colonnes supportant elles-mêmes une imposte sur laquelle retombent les voussures. Il est intéressant de noter l’absence de chapiteaux, le profil des bases des colonnes constitué de deux tores encadrant une gorge très peu accusée, et surtout le profil en amande des colonnes semblable à celui des voussures. L’ensemble très bien équilibré avec un jeu de lignes tout à fait harmonieux peut être daté du XIVe siècle (fig. 7).
Cette face ouest a malheureusement beaucoup perdu de son originalité à la suite de la construction de deux bâtiments annexes, un porche et un presbytère. Ils masquent en effet le départ des deux contreforts dont l’épaisseur se rétrécit par un biseau en larmier au tiers de leur hauteur et qui se terminent de la même façon à la base du pignon. Au niveau inférieur des baies des cloches, ils sont d’ailleurs pris, ainsi que l’ensemble du clocher, par un larmier dont l’existence s’explique par le rétrécissement du clocher à cette hauteur, sur tous ses côtés (fig. 6). Ainsi que nous l’avons déjà signalé nous avons relevé, sculptée en relief sur le contrefort sud de la face ouest, entre les deux premiers larmiers, une croix latine aux branches en forme de triangle aux côtés incurvés inscrite dans un cercle, et qui présente certaines ressemblances avec celles gravées sur l’épaisseur de la cuve baptismale (fig. 8). Nous en ignorons la signification. La partie supérieure du clocher est masquée par un auvent au niveau des baies des cloches et seule apparaît dans le gable du pignon une troisième baie en arc brisé. Signalons enfin deux orifices rectangulaires traversant de part en part le mur, légèrement au-dessous de l’auvent, et dont nous verrons bientôt l’usage (fig. 6).

Appuyée sur la face nord du clocher et empiétant sur la nef s’élève, nous avons vu, une tourelle abritant un escalier à vis en pierre, couverte au dehors par un pan incliné mais voûtée, à l’intérieur, en coupole. Comme à Lucmau, on accède ainsi, à l’est, à un balcon en pierre situé légèrement en dessous de l’étage des cloches et constitué en partie par un rétrécissement de l’épaisseur du mur du clocher et en partie par un dallage en pierre reposant sur des consoles à double moulure en quart-de-rond. C’est au niveau de ce balcon que se situent les deux orifices rectangulaires que nous avons relevés sur la face ouest. Il n’est pas douteux qu’à l’origine et comme à Lucmau, des poutres y étaient engagées et servaient de support sur la face ouest à des hourds en bois situés légèrement en dessous de l’étage des cloches. Il y a existé d’ailleurs sinon en même temps, du moins à plusieurs époques, trois autres étages de hourds, comme en témoignent les trois niveaux d’orifices que l’on aperçoit au-dessus de ceux du balcon : le premier légèrement au-dessus du plancher actuel de l’auvent des cloches, le second au-dessous de la retombée des archivoltes d’extrados des baies des cloches, le troisième sensiblement au niveau inférieur de la baie du gable du pignon. Comme à Lucmau, comme au clocher ouest de Monclaris, nous nous trouvons en présence de clochers dont la fonction militaire l’emportait certainement sur le symbole religieux, ce qui est d’ailleurs le cas de nombreux clochers du Bazadais et qui n’a pas été suffisamment souligné jusqu’à ce jour (fig. 9). Si les aménagements défensifs dont on a pu doter ce clocher présentent un réel intérêt, celui-ci est cependant éclipsé par la décoration des baies qui constitue un ensemble unique en Bazadais. Les deux baies inférieures en arc brisé, larges de 1,10 m, hautes de 3 m, sont en effet ornées d’un décor sculpté qu’on ne s’attendrait pas à trouver dans un édifice aussi modeste et surtout à une telle hauteur. Sur chacune des faces de ces deux baies, le sculpteur a en effet dégagé dans l’arête des arcs et des pieds-droits un tore retombant sur une paire de colonnes. Celles-ci parfaitement cylindriques reposent sur des bases dont le profil est un tore très aplati, et sont surmontées, sauf une, d’élégants chapiteaux constitués d’un astragale en biseau, d’une corbeille circulaire à décor végétal et de tailloirs eux aussi circulaires. Tous les chapiteaux ont leur corbeille décorée de feuilles souvent stylisées mais toujours différentes. Les arcs sont d’autre part couronnés sur chacune de leurs faces par une archivolte d’extrados constituée par un tore évidé, où sont sculptées seize roses à cinq pétales et retombant sur des têtes d’hommes, de femmes ou de monstres. En voici la disposition :
Face ouest
- retombée nord : tête très mutilée.
- retombée centrale : tête à gros yeux, aux pommettes saillantes, au nez épaté (fig. 10).
- retombée sud : tête cornue dont la bouche est écartée par des pattes d’animal (fig. 11).
Face est
- retombée nord : cette tête, que nous avons baptisée “Le diable d’Insos”, est certainement la plus belle de toutes. Très bien conservée, elle représente un diable cornu tirant la langue (fig. 12).
- retombée centrale : tête grimaçante avec de gros yeux, les pommettes saillantes, et montrant ses dents (fig. 13).
- retombée sud : faisant pendant au diable une tête de femme assez mutilée, le visage encadré par une guimpe (fig. 14).
Malgré le profil en tore des voussures, si l’on tient compte de l’existence d’une colonne sans chapiteau se prolongeant dans la voussure et surtout des caractères du portail, on peut dater cet ensemble de la première moitié du XIVe siècle. Voici d’autre part, le texte de l’inscription gravée sur la cloche qui fut refondue en 1821 :
“CETTE CLOCHE APPARTIENT A SAINT-MARTIN-D’INSOS. FONDUE L’AN 1821 PAR DECHARME. PARRAIN Adide Rlie ELIE FREDERIC MARQUIS DE PONS MARRAINE Mde Je Me JOSEPHINE DUCAU COMTESSE DE SEGUR MONTAIGNE”.
La nef
Face nord : une partie de cette façade n’est pas visible puisque le presbytère, construit au XVIIIe siècle sans doute, y est adossé dans sa partie occidentale. La partie apparente est bâtie en moellons assez bien appareillés, au moins dans la partie supérieure, mais plus petits que ceux du clocher. Dans la partie occidentale, on aperçoit une fenêtre en arc plein cintre large de 0,45 m, haute de 2 m environ, qui a été obstruée à une époque indéterminée : soit au XIVe siècle, soit plus tard lorsqu’on adossa à ce mur des dépendances dont on aperçoit encore les orifices aménagés pour l’appui des poutres.
Face sud : elle est infiniment plus intéressante. L’ensemble est constitué de deux parties très distinctes : le secteur oriental, le plus important, construit en pierres assez mal appareillées, le secteur occidental bâti en pierres plus grandes mieux appareillées, semblables à celles du clocher. La coupure entre les deux se situe à l’est de la porte latérale et se voit parfaitement car elle a une forme sinueuse et de bas en haut gagne vers l’est (fig. 15). Il est bien évident que la partie ouest date de l’époque de la construction du clocher, c’est-à-dire vraisemblablement du XIVe siècle. Les maçons, comme cela se rencontre fréquemment, et afin de donner plus de solidité au clocher, ont repris la partie occidentale des murs de la nef. Il est probable, en effet, que celle-ci soit plus ancienne que le clocher, sans que l’on puisse pour autant lui assigner une date précise. Quant aux trois contreforts à larmiers et soubassement en relief, dont un étaie le mur de l’arc triomphal, ils sont très probablement de la fin du XVe siècle ou du début du XVIe siècle ; leur appareil diffère en effet de celui du clocher et de celui de la nef et leur profil est tout à fait caractéristique de cette époque. Il n’est pas impossible, d’autre part, que la petite porte, surmontée d’un arc en accolade dégagé dans l’épaisseur du linteau, soit contemporaine de ces contreforts, bien qu’à première vue elle ne paraisse pas ouverte après coup dans le mur du XIVe siècle. On comprendrait mal d’ailleurs comment, à cette époque, on aurait ainsi aménagé une porte latérale qui aurait réduit la sécurité de l’édifice (fig. 15). Le cadran solaire engagé à un angle du contrefort occidental, ne semble pas, enfin, avoir été construit en même temps que lui et vraisemblablement est-il postérieur. De toute façon, si l’on tient compte des caractères arabes qu’on y aperçoit gravés, on ne peut guère lui assigner une date antérieure à 1550 car, jusqu’à cette époque, on n’a pas fait usage de tels caractères dans les inscriptions lapidaires de notre région (fig. 16). Signalons, pour terminer, l’existence de plusieurs petits orifices rectangulaires situés en deux rangées, au-dessus des fenêtres et légèrement au-dessus du sol.
L’abside (fig. 1)
Nettement séparé du reste de l’édifice se dresse le chevet roman constitué, nous l’avons vu, d’un chœur et d’une abside semi-circulaire. Le rétrécissement par rapport à la nef est marqué par un décrochement plat sur la face sud, mais renforcé par un contrefort sur la face nord ; l’appareil est très beau, parfaitement équarri, et sans doute le mur est-il constitué d’un double parement avec blocage intérieur de moellons. L’abside est étayée par quatre contreforts plats et surmontée, ainsi que le chœur, par une corniche constituée par deux cavets et un bandeau lisse reposant sur dix-neuf modillons dont la plupart sont constitués par un cavet ou un quart-de-rond. Cinq d’entre eux, sur la face méridionale, sont très grossièrement sculptés et représentent en partant de l’ouest : deux têtes de moutons (3) (4), une tête de vache (?) (6), quatre pignes de pin disposées en croix (?) (9), deux pignes de pin pendantes (10) (fig. 17). Trois baies en plein cintre très étroites (largeur : 0,15 m) sont, nous l’avons vu, ouvertes dans l’abside mais elles ne possèdent aucun décor. Il semble, d’autre part, que ce chevet n’ait pas été élevé en une seule fois car les deux derniers étages de moellons, les modillons et la corniche sont en calcaire plus friable. Il n’existe aussi aucun raccord entre le sommet des contreforts et la corniche, et cette partie de l’édifice laisse une impression d’inachèvement. On aperçoit enfin, à trois niveaux différents, des orifices de forme rectangulaire dont nous ne sommes pas parvenus encore à préciser la destination.
Bâtiments annexes
Comme nous l’avons déjà signalé, l’église possède un vaste presbytère adossé au flanc nord de la nef et qui doit dater du XVIIIe siècle, et un porche certainement aussi ancien, comme le révèle le carrelage, en petits carreaux de terre, de fabrication locale. Par contre, l’église ne semble avoir jamais possédé de sacristie.
Cimetière
“Le cimetière d’Insos, écrivait vers 1810 l’abbé Latapy, est d’une grande étendue, clos d’une muraille qui en beaucoup d’endroits a besoin d’être réparée. La maison, le jardin, l’église sont dans un enclos en muraille qui peut avoir 112 m de longueur du nord au midy et sur 40 de largeur du levant au couchant”. Si le mur d’enceinte a été réparé depuis, le cimetière d’Insos laisse, aujourd’hui encore, cette impression d’étendue jointe à celle de solitude, car le cimetière lui aussi se meurt. Du moins les rares tombes qui s’y trouvent, par leur simplicité, ne détruisent-elles pas, au contraire, l’harmonie du paysage. S’il fallait une image pour l’évoquer ici, on ne pourrait mieux choisir que celle de la croix en pierre élevée en 1760 au midi du “Segrat”, perdue en été au milieu des foins, et que nous avons dû relever car elle n’avait pas résisté aux tempêtes du dernier hiver (fig. 18).
Si ce n’est par la décoration de son clocher, l’église d’Insos n’est certes pas un édifice exceptionnel, et nous aurons l’occasion d’évoquer, dans cette série d’articles, d’autres édifices qui ne lui cèdent en rien en intérêt. Elle constitue cependant, par sa chronologie, un exemple typique d’église bazadaise : un chevet roman, une nef vraisemblablement plus récente, du moins en partie, un clocher à caractères militaires marqués du XIVe siècle, des transformations secondaires datant du XVIe siècle, comme les contreforts, ou du XVIIIe siècle comme les ouvertures, la croix du cimetière ou le presbytère. La chronologie de Saint-Martin-d’Insos ressemble malheureusement aussi, à partir de cette époque, à celle de beaucoup d’autres églises bazadaises : désaffection en 1790, qui ne fut pas heureusement suivie de destruction, reprise du culte vers 1840 qui eut pour résultat le maintien de l’édifice dans un état décent durant un siècle, et puis, comme presque toujours et pour des raisons que nous ne comprendrons jamais en pareil cas, après un classement à l’inventaire supplémentaire par arrêté en date du 24 décembre 1925, l’église d’Insos est tombée dans l’état lamentable que nous connaissons aujourd’hui. Car il faut bien le dire la toiture est en bien piteux état, les lambris menacent ruine, les vitrages ont souvent disparu, des appentis fort peu esthétiques s’appuient au côté nord. Voilà l’image trop fréquente et bientôt devenue classique d’un monument français ! S’il est donc un vœu que nous voudrions formuler c’est qu’un jour, que nous souhaitons aussi proche que possible, la municipalité de Préchac veuille bien se pencher sur le cas de l’église d’Insos. Puissent ces quelques lignes, ou du moins les images qui les accompagnent, être entendues.
Bibliographie
Peu d’auteurs se sont intéressés à l’église d’Insos. Voici une liste des ouvrages où l’on peut rencontrer soit des notices brèves, soit des allusions :
- A. Brutails : Les vieilles églises de la Gironde, 1912, p. 141, 148, 183, 212, 214, 216. À la page 214 se trouve un dessin du clocher exécuté par A. Brutails dont le zinc est conservé aux Archives Départementales de la Gironde (VII Z 251 [B]).
- Carnets : Arch. dép. de la Gironde, N° 25 (3 Z 131), p. 44 r°, 44 v°, 45 r°, 45 v°, N° 36 (3 Z 131), p. 31 r°, 31 v°, 32 r°, 32 v°, 33 r°, 33 v°.
Il existe aussi aux Archives Départementales de la Gironde, sans doute de la main de A. Brutails, deux photographies : l’une du clocher (3 Z 5), l’autre représentant une vue générale (3 Z 2 ).
- A. Rebsomen : La Garonne et ses affluents…, 1913, p. 192, fig. 175 et p. 205.
- Dom R. Biron : Guide archéologique illustré…, 1928, p. 89.
Un bref article a été consacré à l’abbé J. B. Latapy :
- Abbé A. Gaillard, “Les Messieurs Latapy ; histoire de trois prêtres constitutionnels”, dans Revue Historique de Bordeaux, 1912, t. V., p. 181-191 et 269-276.
Les renseignements concernant l’état de l’église au début du XIXe siècle se trouvent aux Archives Départementales de la Gironde, T II V 125.