Au début de l’été 216 a.C., en Apulie, Hannibal écrase à Cannes une armée romaine dont les effectifs étaient pourtant deux fois supérieurs aux siens ; à la fin de la même année ou au printemps de l’année suivante1, les Romains veulent créer une diversion parmi ceux des peuples gaulois d’Italie du Nord qui avaient fourni de la cavalerie et des troupes au Carthaginois. Mais leurs légions tombent dans une embuscade meurtrière, dont Tite-Live2 nous a laissé le récit dramatique3 :
Cum eae res maxime agerentur, nova clades nuntiata, aliam super aliam cumulante in eum annum fortuna : L. Postumium, consulem designatum, in Gallia ipsum atque exercitum deletos. Silva erat vasta – Litanam Galli vocabant – qua exercitum traducturus erat. Eius silvae dextra laevaque circa viam Galli arbores ita inciderunt ut immotae starent, momento levi impulsae occiderent. Legiones duas Romanas habebat Postumius, sociumque a supero mari tantum conscripserat, ut viginti quinque milia armatorum in agros hostium induxerit. Galli oram extremae silvae cum circumsedissent, ubi intravit agmen saltum, tum extremas arborum succisarum impellunt. Quae, alia in aliam instabilem per se ac male haerentem incidentes, ancipiti strage arma, viros, equos obruerunt, ut vix decem homines effugerent. Nam cum exanimati plerique essent arborum truncis fragmentisque ramorum, ceteram multitudinem, inopinato malo trepidam, Galli saltum omnem armati circumsedentes interfecerunt, paucis e tanto numero captis, qui pontem fluminis petentes, obsesso ante ab hostibus ponte, interclusi sunt. Ibi Postumius, omni vi ne caperetur dimicans, occubuit. Spolia corporis caputque praecisum ducis Boi ovantes templo, quod sanctissimum est apud eos, intulere. Purgato inde capite, ut mos iis est, calvam auro caelavere, idque sacrum vas iis erat, quo sollemnibus libarent, poculumque idem sacerdotibus ac templi antistitibus. Praeda quoque haud minor Gallis quam victoria fuit : nam, etsi magna pars animalium strage silvae oppressa erat, tamen ceterae res, quia nihil dissipatum fuga est, stratae per omnem iacentis agminis ordinem inventae sunt.
C’est alors justement qu’on annonça un nouveau désastre, la Fortune les accumulant cette année-là les uns sur les autres : Lucius Postumius, consul désigné, avait lui-même péri en Gaule avec son armée. Il y avait une vaste forêt – les Gaulois la nommaient Litana – qu’il allait faire traverser par son armée. À droite et à gauche autour de la route, les Gaulois entaillèrent les arbres de cette forêt de telle manière qu’ils restaient debout si on ne les touchait pas, mais tombaient sous une légère poussée. Postumius avait deux légions romaines et il avait enrôlé, dans les territoires de la Mer supérieure4, assez d’alliés pour emmener en pays ennemi vingt-cinq mille hommes en armes. Les Gaulois avaient entouré la lisière au bout de la forêt : quand la colonne fut entrée dans le passage, ils poussent les derniers des arbres entaillés au bas du tronc, qui tenaient à peine et qui, en tombant les uns contre les autres des deux côtés à la fois, écrasèrent armes, soldats et chevaux, si bien que dix hommes à peine en réchappèrent. En effet, quand la plupart eurent été tués par les troncs des arbres et les éclats de leurs branches, les Gaulois, entourant en armes tout le passage, massacrèrent tout le reste de la multitude, terrifiée par ce désastre inattendu. Peu d’hommes sur un si grand nombre furent capturés, ceux qui, en essayant de gagner un pont sur le fleuve que les ennemis avaient occupé avant eux, trouvèrent la route coupée. C’est là que Postumius fut tué, en combattant de toutes ses forces pour ne pas être pris. Les Boïens, avec des chants de triomphe, apportèrent dans leur temple le plus sacré les dépouilles enlevées au corps de celui qui commandait, ainsi que sa tête coupée. Ensuite, après avoir nettoyé la tête selon leur coutume, ils appliquèrent une ciselure d’or sur le crâne, et c’était pour eux un vase sacré pour leurs libations aux dates solennelles, ainsi qu’une coupe pour les prêtres et les desservants du temple. Le butin lui aussi ne fut pas moindre que la victoire pour les Gaulois : en effet, si une grande partie des animaux avait été écrasée par la masse de la forêt, tout le reste, dont rien n’avait été dispersé par la fuite, fut trouvé sur le sol dans chaque rang de la colonne anéantie.
De toute l’histoire des Gaulois cisalpins, retracée par Polybe5 et par Tite-Live6, je n’évoquerai que certains épisodes, et je renvoie seulement à quelques titres de sa bibliographie luxuriante7. Mais je reprendrai l’examen du récit de l’embuscade pour ajouter quelques remarques aux commentaires qu’il a déjà suscités.
Polybe avait lui aussi rappelé, mais brièvement, la mission de diversion impartie à Postumius8 et l’issue fatale qui l’attendait9 : en introduction du récit de Tite-Live on retrouve, presque mot pour mot, la formule initiale du second de ces passages concernant l’acharnement de la Fortune, qui accumulait alors les désastres sur le peuple romain. La Gaule, c’est bien entendu la Gaule cisalpine, le nord de la Péninsule italienne entre les Alpes et les Apennins10. Au sud du Pô, les Boïens en étaient le peuple le plus puissant11 : Pline12, en se réclamant de Caton13, rappelle qu’ils comptaient 112 tribus14 ; quant au territoire qu’ils occupaient, dans les vallées et en plaine, il s’étendait probablement de l’actuelle région de Parme jusqu’à celle de Forlimpopoli15. En 225, ils forment une coalition avec les Insubres de la région de Milan et des Gésates venus de la vallée du Rhône. Leurs troupes passent en Étrurie tyrrhénienne et menacent Rome elle-même. Mais sur la rive gauche de l’Ombrone, au cap Télamon, elles subissent une écrasante défaite, après laquelle les légions vont pénétrer au cœur de la Cisalpine gauloise et, dans les trois ans qui suivent (224-222 a.C.), soumettre d’abord les Boïens, puis les Insubres. Polybe16 nous a laissé le récit détaillé de ces quatre ans d’une guerre impitoyable.
Quand Hannibal franchit le Rhône et s’approche des Alpes, en 218 a.C., les Boïens et les Insubres lui envoient une ambassade pour lui promettre l’appui des Gaulois cisalpins. Et la même année, la fondation des colonies latines de Plaisance et de Crémone ouvre une nouvelle période de guerre avec Rome, qui culmine et s’achève avec l’embuscade de la silva Litana. Ces deux colonies – Plaisance chez les Anares et Crémone chez les Cénomans – étaient en lisière du territoire boïen, et elles commandaient les gués du Pô : elles avaient ainsi une importance stratégique considérable en coupant la voie qui avait uni les Insubres aux Boïens. Polybe17 et Tite-Live18 ont accordé une attention particulière à l’enchaînement des circonstances qui accompagnent la reprise des hostilités.
Les Boïens et les Insubres envahissent le territoire des nouvelles fondations coloniales, encore hors d’état de résister elles-mêmes. Ils obligent les colons et les tresviri agris adsignandis à se réfugier dans Modène, que Polybe qualifie de colonie romaine mais qui ne devait être alors qu’un point d’appui fortifié destiné à garantir la paix imposée aux Boïens en 222. Les tresviri demandent à négocier et les Boïens acceptent : mais ils s’emparent des trois hommes et proposent de les rendre en échange des otages qu’ils ont eux-mêmes remis aux Romains19. Le préteur Lucius Manlius, qui avait le commandement provincial de la région, marche alors sur Modène avec les troupes dont il disposait. Son intervention a été préparée en urgence et la progression de la colonne romaine se fait en désordre, “effusum agmen” écrit Tite-Live, dont voici la suite du récit20 :
Il y avait des forêts autour de sa route, la plupart d’entre elles impénétrables. Il s’y engage sans faire de reconnaissance et tombe dans une embuscade. En perdant beaucoup des siens, il finit par sortir en terrain découvert. Il y fortifie son camp, et comme les Gaulois désespéraient de s’en emparer, ses soldats reprirent courage, bien que près de cinq-cents d’entre eux aient péri. Puis, se remettant en marche, il ne voit aucun ennemi aussi longtemps qu’il avance en terrain découvert ; quand il a de nouveau pénétré en forêt, son arrière-garde est attaquée : en semant partout le désordre et la terreur, les Boïens tuent sept-cents soldats et s’emparent de six enseignes.
Sortie de la forêt, la colonne romaine se remet en garde et gagne Tannetum21, une bourgade qui devait être un autre point d’appui romain au cœur du territoire boïen22. Après la conquête romaine, du fait des déboisements et des bonifications, le paysage de la plaine du Pô n’avait plus rien de commun avec celui qu’il faut restituer à la lecture du récit de Tite-Live : le nombre et l’étendue des forêts, mais également de nombreuses zones marécageuses23, y offraient des refuges naturels aux Boïens et favorisaient leur tactique de combat : l’embuscade. La silva Litana était peut-être une de ces forêts de la plaine. Tite-Live la mentionne deux autres fois24 quand il fait état d’un combat victorieux remporté par Scipion Nasica sur les Boïens en 195 a.C. “dans ses alentours” (propter silvam Litanam et in Gallia dans le premier passage, circa silvam Litanam dans le second) ; les légions avaient ensuite passé le reste de l’été de part et d’autre du Pô, à Crémone et à Plaisance, pour réparer les destructions que ces colonies avaient précédemment subies de la part des Boïens. Le contexte semble impliquer qu’elles n’aient pas eu de longue marche à faire, et on pourrait alors en déduire que la forêt s’étendait peut-être dans l’actuelle région de Parme et de Reggio. Mais sa localisation, discutée depuis la tradition humaniste de la Renaissance, demeure incertaine25.
Quel crédit faut-il accorder au récit de Tite-Live ? Anselmo Calvetti26, qui a proposé de situer l’embuscade dans une vallée des Apennins, celle du Lamone ou du Montone, pense qu’il est possible de voir, dans sa mise en scène au cœur d’une forêt, un épisode inspiré par une tradition celtique encore attestée par des épopées médiévales galloises, dans lesquelles tantôt les arbres d’une forêt magiquement transformés en combattants, tantôt des combattants transformés en arbres redoutables, interviennent sur le champ de bataille et décident de la victoire27.
On peut en effet envisager l’hypothèse qu’une tradition de ce genre soit demeurée vivante après la conquête romaine de la Cisalpine, et que Tite-Live ait eu connaissance très tôt des récits fabuleux qu’elle transmettait. Il était originaire de Padoue, la métropole des Vénètes cisalpins, qui avaient conservé le contrôle de leur territoire en résistant à l’invasion celtique, et qui, selon Polybe28, avaient contribué à la délivrance du Capitole assiégé par les Gaulois au début du IVe s. a.C., en attaquant ceux-ci dans les possessions cisalpines qu’ils venaient de conquérir. Des récits légendaires pouvaient alors s’être greffés sur cet antagonisme historique, et parmi eux ceux qui évoquaient l’épopée des combats en forêt. Or Tite-Live, avant de gagner Rome, avait fait à Padoue ses études de “rhétorique”, entendons l’apprentissage de son métier d’écrivain. Les maîtres qu’il avait eus, les “rhéteurs”, avaient coutume de faire travailler leurs élèves sur des sujets qui sollicitaient l’imagination, soit pour des discours politiques ou judiciaires, soit pour des narrations, et le thème de l’embuscade avait pu lui être proposé, sous la forme d’un récit épique mettant en scène une complicité de la silva Litana et de ses arbres combattants avec les Boïens. L’hypothèse ne manque pas d’intérêt, car elle suggère l’éventualité que l’historien, avant même qu’il n’aborde dans son œuvre la longue série des désastres subis par Rome dans la deuxième guerre punique, ait déjà développé une narration de l’épisode et qu’il l’ait reprise ensuite pour la mettre en valeur dans son cadre historique réel.
Mais le scénario de l’embuscade n’y est plus alors celui d’une page d’épopée. Il n’implique aucune métamorphose magique des arbres : c’est un épisode guerrier, certes exceptionnel mais rationnellement présenté, dans un cadre géographique précis et dans des circonstances bien attestées. Il faut donc seulement examiner s’il est crédible tel qu’il nous est raconté.
Il faut d’abord admettre une condition préalable, qui n’avait pas besoin d’être formulée et qu’on peut supposer remplie : celle qu’il fallait connaître avec certitude l’itinéraire que l’armée romaine allait emprunter pour passer en pays boïen. Les déplacements romains avaient dû être surveillés dès le versant tyrrhénien des Apennins, et avec l’obstacle qu’opposaient les forêts de la Cisalpine – dans une vallée comme en plaine – il n’y avait certainement qu’un seul itinéraire possible pour les légions : les Boïens le connaissaient donc, et ils pouvaient piéger à coup sûr la route qu’allait suivre Postumius.
Les légions, en s’engageant dans la forêt, ne pouvaient pas prendre la formation en agmen quadratum, qui était, dans l’armée romaine en campagne, celle d’une troupe marchant en pays ennemi à la merci d’une attaque imprévue. Les vingt-cinq mille hommes ne pouvaient progresser qu’en colonne. Les fantassins, auxquels il faut ajouter des cavaliers et tous les bagages – ces impedimenta qui accompagnaient toujours les légions – s’étiraient alors sur une longueur de plusieurs miles (disons sur au moins cinq kilomètres). Il est donc évident que la mise en œuvre du piège des arbres sur l’ensemble de la colonne engagée en forêt n’était pas réalisable, et le récit de Tite-Live conserve une ambiguïté sur ce point précis.
Pour reconstituer un scénario crédible de l’épisode, on supposera que les arbres entaillés à la base ne s’abattirent que sur les détachements de tête, pour stopper leur marche, désorganiser leurs rangs et créer une soudaine panique : ce fut le “butoir” de l’embuscade29. Or c’est sur ce point que le récit reste ambigu : on peut se demander en effet si plerique s’applique à l’ensemble de la colonne (les arbres s’abattant alors sur toute sa longueur), ou seulement à ses éléments de tête, comme je le comprends. Et il s’y ajoute une difficulté d’interprétation : la lisière de la forêt sur laquelle les Gaulois s’étaient embusqués était, selon moi, celle vers laquelle se dirigeait la colonne. Cela en raison du sens habituel d’extremus, “dernier” ou “à l’extrémité” selon une direction donnée. Mais si on retient qu’il s’agit de l’extrémité d’un ensemble, c’est alors de tout le pourtour de la forêt qu’il s’agit, et le récit n’est plus crédible en raison de l’immensité du périmètre à entourer30.
Je comprends donc que les dix hommes qui réchappèrent se trouvaient dans les unités de tête écrasées sous les troncs d’arbres et les branchages, de même que la majeure partie de la cavalerie et des animaux de bât, comme on peut le déduire de la fin du passage, magna pars animalium strage silvae oppressa erat. Dans un second temps, en quittant au moins pour la plupart d’entre eux leur position initiale sur la lisière et en entourant alors tout le passage, saltum omnem circumsedentes, les Gaulois massacrèrent tout le gros de l’armée, ceteram multitudinem qui répond à plerique, lui-même en antithèse à vix decem homines. En somme, cum circumsedissent et circumsedentes se font écho, avec un décalage chronologique, pour fixer le déroulement de l’action, de même que se répondent oram extremae silvae et saltum omnem pour bien mettre en place, dans la topographie de l’embuscade, les deux phases de son exécution.
Toute l’action est donc présentée de manière logique. La seule difficulté, disons d’ordre tactique, qu’on doive envisager concerne la manœuvre d’encerclement de toute la colonne romaine en cours d’embuscade et à travers la forêt, celle-ci pouvant ralentir le mouvement des Gaulois, le rendre plus difficile et, le cas échéant, moins redoutable. Mais on peut aussi, et à l’inverse, imaginer qu’elle l’a favorisé, en le dissimulant aux légions immobilisées dans le passage jusqu’à l’assaut final.
Le pont qui aurait permis d’échapper à l’encerclement ne peut pas être situé avec précision par rapport à la longueur de la colonne ; mais le chemin qui menait à lui se détachait certainement de l’itinéraire qu’elle suivait en forêt, et peut-être en direction de la même lisière que celle où les Gaulois avaient pris position, puisqu’ils avaient aussi occupé ce pont et sans doute dès la mise en place de l’embuscade31.
Je voudrais ajouter que le lecteur romain avait déjà eu l’attention attirée, et dans une œuvre historique majeure, la Guerre des Gaules, sur le piège que peut constituer un arbre encore debout, mais prêt à s’abattre sous la moindre poussée. Les arbres entaillés à la base des troncs par les Boïens pouvaient en effet lui rappeler ceux qui étaient préparés de cette manière pour la chasse à l’élan, telle que l’auraient pratiquée les Germains selon César32 :
“Il y a aussi les animaux qu’on appelle élans…ils ont des jambes sans articulations : ils ne se couchent pas pour dormir et, s’ils tombent accidentellement, ils ne peuvent se remettre debout ni même se soulever. Les arbres leur servent de couches : ils s’y appuient et c’est ainsi, simplement un peu penchés, qu’ils dorment. Quand, en suivant leurs traces, les chasseurs ont découvert leur retraite habituelle, ils déracinent ou coupent les arbres du lieu en ne leur laissant que l’apparence de ceux qui tiennent debout. Lorsque les élans viennent s’y accoter, les arbres s’abattent sous leur poids et ils tombent avec eux”.
Or l’idée que les Boïens auraient, en montant leur embuscade, emprunté une pratique de chasse attribuée aux Germains, pouvait être confirmée par ce que les Romains savaient des migrations celtiques vers la plaine du Pô. La tradition, certainement connue de Tite-Live, rapportait en effet qu’ils avaient autrefois vécu en Bohême (le Boihemum ou Boiohaemum), au contact des Germains et en lisière de la forêt Hercynienne : “entre la forêt Hercynienne, le Rhin et le Main, les Helvètes et plus loin les Boïens, deux nations gauloises, ont occupé le pays. Le nom de Bohême subsiste encore et témoigne de l’antique histoire des lieux, quoique leurs habitants aient changé”33. Les Boïens de Cisalpine, confrontés à la pression de la conquête romaine, auraient alors utilisé contre leurs envahisseurs, en l’amplifiant pour en faire une tactique de combat, un savoir-faire cynégétique venu d’une époque ancienne de leur passé. Le piège de l’embuscade, avec l’appui du témoignage de César, pouvait ainsi bénéficier auprès du lecteur romain de Tite-Live d’une garantie d’authenticité que l’historien n’a pas formellement revendiquée, mais qui n’était pas inutile pour accréditer la version d’un épisode aussi exceptionnel, dans lequel toute une armée romaine avait péri comme un simple gibier.
Le prélèvement de la tête de l’ennemi tué au combat était un rite habituel de la victoire celtique. Il est attesté par l’archéologie pour des armées entières. Les fouilles de Ribemont-sur-Ancre, un sanctuaire des Belges daté du IIIe s. a.C., ont mis au jour un ossuaire humain dans lequel, note Jean-Louis Brunaux, “sur près d’un millier de cadavres provenant des champs de bataille, un seul crâne a été découvert”34. Diodore de Sicile35 en a décrit la pratique dès la fin du combat : “aux ennemis tombés ils coupent les crânes et les attachent au cou de leurs chevaux. Les dépouilles ensanglantées de ces ennemis tués sont emportées comme du butin par leurs servants d’armes auxquels ils les ont confiées, au son du péan et des hymnes de victoire”. La terminologie de Diodore est en partie hellénisée (le “péan”), mais l’ensemble du témoignage est bien un constat ethnographique, auquel répond celui de Tite-Live36 sur des cavaliers gaulois, des Sénons du Picenum, qui après avoir anéanti une légion, en 295 a.C.37, regagnent leurs lignes en caracolant et en portant des têtes romaines coupées attachées au poitrail de leurs montures ou fichées à la pointe de leurs lances, tout en célébrant leur triomphe “avec l’hymne que voulait leur coutume” (“ovantes moris sui carmine”, formule qu’on peut considérer comme une glose du simple “ovantes” de notre passage). Et Tite-Live maintient que ces cavaliers étaient bien des Gaulois, contre une autre version qui voyait en eux des Ombriens.
Diodore, dans le passage précédemment cité, poursuit à propos des têtes coupées : “ils clouent ces prémices du butin à leurs maisons, comme s’ils avaient capturé des bêtes fauves en quelque chasse. Les têtes des ennemis les plus illustres, après les avoir enduites d’huile de cèdre, ils les gardent avec soin dans un coffre et ils les montrent aux étrangers”38. Mais si le cortège triomphal qui emporte les dépouilles de Postumius est bien comparable à celui que décrivent Diodore, en termes généraux, et Tite-Live, pour les cavaliers sénons victorieux, le traitement réservé à la tête du consul et à ses dépouilles est quant à lui tout à fait exceptionnel39.
Il est comparable, mais avec un rituel celtique, à celui des spolia opima à Rome40, ces dépouilles du chef ennemi qui était déposées dans le temple de Jupiter Férétrien sur le Capitole, le premier fondé de tous les temples de Rome et par Romulus lui-même, pour recevoir les armes des rois que les Romains auraient vaincus41. Jupiter était le grand dieu protecteur de Rome depuis cette fondation, et le temple boïen où furent déposées les dépouilles de Postumius, étant le plus sacré de la nation, devait être aussi celui de son plus grand dieu, auquel était sans doute reconnue une fonction protectrice toute puissante qui garantissait la victoire dans les combats. En raison du rôle décisif que la forêt avait eu dans le succès de l’embuscade, j’avais déjà supposé42 que ce dieu pouvait être Esus, que deux monuments figurés, l’un de Paris, l’autre de Trêves, représentent sous les traits d’un dieu bûcheron, d’un maître de la forêt43. Je reprends volontiers la même hypothèse : les témoignages sur l’étendue des forêts cisalpines que j’ai réunis ci-dessus me paraissent de nature à lui conférer un surcroît d’intérêt.
Il faut ajouter qu’Esus était un dieu sanguinaire. On lui sacrifiait des victimes humaines en les suspendant à un arbre, puis en déchiquetant leurs membres44 et il pouvait alors se repaître de leur sang. Le massacre de Postumius et de ses hommes n’avait rien de commun avec un tel rituel, mais l’abondance du sang répandu avait pu permettre au dieu de s’en gorger, sans commune mesure avec ce qu’on lui aurait offert par une seule, ni même plusieurs victimes. Tite-Live ne dit pas si les Boïens avaient imploré son secours contre Rome avant de monter leur embuscade, mais on peut supposer qu’ils l’avaient fait, et qu’ils avaient aussi pris l’engagement de consacrer au culte qui lui était rendu dans son temple la tête de celui qui commandait les légions.
Comment imaginer la garniture d’or sertie autour du crâne de Postumius ? On en a retrouvé une dans l’une des deux tombes princières de Schwarzenbach, dans l’Hunsrück, où elle avait enveloppé non un crâne, mais une coupe45. Une autre garniture d’or, présentant un motif comparable mais en bande, entourait une corne à boire retrouvée elle aussi dans une tombe princière, à Eigenbilzen dans le Limbourg belge46. Ces deux œuvres de l’orfèvrerie celtique sont datées en fin Ve– début IVe s. a.C. ; leurs motifs sont directement calqués sur les frises gréco-étrusques de palmettes et de feuilles de lotus, ce qui est habituel dans l’ornementation celtique de cette époque47. Dans les dernières décennies du IIIe s. a.C., ceux de la garniture fabriquée par les orfèvres boïens pouvaient soit présenter une stylisation évoluée et différente, soit être encore très proches du modèle grec initial, ce qui est envisageable en raison du conservatisme qui s’attachait aux traditions artisanales et plus encore cultuelles.48
Le crâne, préalablement scié à la hauteur des sourcils (Tite-Live en épargne l’évocation à son lecteur) et ainsi conservé dans sa précieuse sertissure, allait servir de coupe selon une coutume qu’Hérodote49, corroboré par Strabon50, attribue également aux Scythes51. Silius Italicus, qui dans ses Punica reprend en vers la troisième Décade de Tite-Live, dit lui aussi des Celtes52 : “ils prennent plaisir à entourer d’or le crâne vide, ils le conservent, ô sacrilège, comme une coupe sur leurs tables”. Le crâne de Postumius, tout en devenant lui aussi une coupe, fut cependant destiné à un usage exclusivement religieux (“sacrum vas iis erat”), qui le sacralisait de deux manières : d’une part en commémorant la victoire qui avait permis de s’emparer de lui, d’autre part en captant au profit de tous ses vainqueurs les pouvoirs magiques qu’il conservait, parce qu’il avait été celui du chef des légions romaines53. C’est sans doute là le caractère le plus significatif de ces spolia opima celtiques.
Après le désastre de la silva Litana, les intrusions romaines en territoire boïen cessèrent pendant quinze ans. Mais en 201 a.C., les Boïens lancèrent des raids contre des territoires que Tite-Live dit appartenir à des alliés de Rome54, et deux légions, envoyées pour faire cesser ces attaques, furent à leur tour surprises et massacrées avec leur chef, alors qu’elles pillaient en désordre les moissons en pays boïen. Un nouvel épisode sanglant, mais ses circonstances banales n’ont pas inspiré à Tite-Live une seconde narration développée. En 200 a.C., les Boïens coalisés avec les Insubres et certaines peuplades ligures incendient la colonie romaine de Plaisance et massacrent 4000 de ses colons55. Franchissant le Pô, les coalisés marchent sur Crémone, cet autre symbole de la domination romaine. Mais leur tentative tourne court : après une bataille acharnée contre une armée de secours commandée par le consul Lucius Valerius, ils sont écrasés sous les murs de la colonie56. Les Romains, qui ont désormais les mains libres du côté de Carthage, vont regagner le terrain perdu depuis l’embuscade de la silva Litana. Mais les Boïens résisteront pied à pied avec un acharnement désespéré. À partir de 19757 chaque année voit une nouvelle révolte, généralement des Boïens et des Insubres, mais quelquefois aussi des Cénomans de la région de Brescia et des Ligures58. Dans cette guerre d’usure, la victoire romaine ne faisait plus de doute. Les Boïens, appuyés par les Ligures, combattront encore jusqu’en 191, année où ils doivent enfin se soumettre, donner des otages et livrer à Rome la moitié de leur territoire pour qu’y soient établies des fondations coloniales59, la première desquelles sera la colonie latine de Bononia60, l’actuelle Bologne, sur l’emplacement de l’antique Felsina étrusque et au cœur du territoire boïen.
Dès sa Préface (10), Tite-Live avertissait son lecteur des bénéfices qu’il pouvait tirer de la lecture de l’histoire : “ce qui est surtout salutaire et profitable dans l’histoire, c’est que son enseignement met sous le regard, en pleine lumière, les leçons de n’importe quel événement”61. L’épisode de la silva Litana était exemplaire. Une leçon immédiate avait été tirée devant le sénat romain par Tiberius Sempronius Gracchus, qui avait été élu consul en même temps que Postumius : la victoire gauloise avait été obtenue par la ruse, les dieux et le peuple romain sauraient en tirer vengeance le moment venu61, ce qui advint avec la conquête de la Gaule cisalpine. Quant à l’usage réservé au crâne de Postumius, sans doute pouvait-il paraître sacrilège, ainsi que l’écrit Silius Italicus, et barbare. Mais les guerres civiles que Rome avait connues avant l’établissement de l’empire, avaient donné l’exemple de décapitations encore plus barbares : en décembre 43 a.C., Cicéron est poignardé par les sbires d’Antoine, et celui-ci fait exposer sa tête sur les Rostres, la tribune aux harangues du
Forum, se vengeant ainsi de la série des Philippiques dans lesquelles Cicéron l’avait violemment attaqué ; et en 42 a.C., après la victoire d’Antoine et d’Octave sur Brutus et Cassius à Philippes, en Macédoine, Octave fait prélever et porter à Rome la tête de Brutus, pour qu’elle soit déposée aux pieds de la statue de César, dont Brutus avait ourdi l’assassinat. C’est un autre chapitre de l’histoire de Rome62, auquel le lecteur de Tite-Live devait probablement penser quand il lisait le récit de l’embuscade boïenne63.
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Notes
- Calvetti 1977, 160-161 ; Calvetti 1991, 44.
- Résumé par Frontin, Liv. Strat., 1.6.
- Liv. 23.24.6-13.
- Il s’agit de la mer Adriatique, et les territoires qui la bordent sont ceux de l’Ombrie et du Picenum.
- Pol. 2.17-35.
- 5.34-35.
- Calvetti 1991 ; collectif 1987 ; Frey 1996 ; Frey 2000 ; Kruta 1980 ; Kruta & Manfreddi 1999 ; Peyre 2007 ; Servadei 2003 ; Vitali 1988.
- Pol. 3.116.6.
- Pol. 3.118.6.
- Dans un contexte tout autre, César doit évidemment distinguer cisalpina Gallia et Gallia (Gal., 6.1.2-3).
- Vitali 1987.
- Plin., Nat., 3.116.
- Heurgon 1974.
- Les tribus de Pline sont en fait une autre manière de désigner les pagi. César en attribue 100 aux Suèves, le plus grand et le plus belliqueux des peuples germains (G., 4.1.3-4), ce qui permet de juger de l’importance du peuple boïen en Cisalpine. Le pagus était aussi l’unité fondamentale de son organisation politique. Felsina, l’ancienne métropole de l’Étrurie padane, en partie sur le site de l’actuelle Bologne, avait bien conservé un peuplement celtique, attesté par ses nécropoles, mais n’avait plus ni une activité économique, ni un rôle politique prédominants (Peyre 1987 ; Vitali 1992).
- La limite nord-ouest de ce territoire se déduit du passage de Tite-Live (39.55.6) concernant la fondation des colonies romaines de Parme et de Modène “in agro qui proxime Boiorum, ante Tuscorum fuerat”, mais il y subsistait des enclaves ligures (Kruta Poppi 1981). La limite sud-est coïncide avec le changement d’orientation des vestiges des centuriations romaines. Les plus anciennes se sont échelonnées dans les années qui suivent la fondation de la colonie latine d’Ariminum (Rimini), en 268 a.C., et sont antérieures à la deuxième guerre punique : leur quadrillage est orienté au nord. On les trouve jusqu’au lotissement de la vallée du Savio, au nord de Cesena et aux abords de Forlimpopoli. Les autres, postérieures aux années 190 a.C., sont un des vestiges de l’occupation romaine du pays boïen : elles sont perpendiculaires à la Via Aemilia, qui longeait les Apennins jusqu’au Pô (Peyre 1979, 34 ; Bonora 2000 ; Giorgetti 2000).
- Pol. 2.23-35.
- Pol. 3.40.3-14.
- Liv. 21.25.
- Tite-Live (21.25.3-4) remarque qu’il existe une variante sur les noms des tres viri et sur les circonstances exactes de leur capture : les Boïens se seraient emparés d’eux alors qu’ils procédaient à l’arpentage des terres à lotir. Polybe avait lui aussi développé cet épisode, qui mit fin à la paix imposée par Rome (3.40.3-14).
- Liv. 21.25.8-13.
- Au nord-est de S. Ilario d’Enza, à quelques centaines de mètres de la bourgade, un hameau porte aujourd’hui encore le nom de Taneto (Carta automobilistica d’Italia, feuille 8, pli 10 et Aemilia 2000, 18). Un préteur, Caius Atilius, avec une légion et 5000 alliés, sera envoyé au secours de Manlius et le dégagera sans avoir à combattre, les Boïens s’étant retirés (Liv. 21.26.2). Le consul Caius Atilius, tué par les Gaulois avant leur défaite de Télamon en 225 a.C. (voir ci-dessous à la note 39), est évidemment un autre personnage de la même gens.
- Lippolis 2000.
- À propos des opérations de conquête menées par Scipion Nasica en 194 a.C., Tite-Live (34.48.1) écrit qu’il les avait conduites “aussi loin que les forêts et les marécages le lui permettaient”. Polybe (2.15.2) témoigne lui aussi indirectement de l’étendue des forêts : “de la quantité de glands produite par les forêts de chênes de place en place dans la plaine on aura une idée par ce fait : sur la masse des porcins abattus en Italie pour la consommation domestique et l’approvisionnement des troupes, la contribution la plus considérable provient de cette plaine.”
- Liv. 34.22.1-3 ; Liv. 42.2-3.
- Le mot de saltus, désignant ici l’itinéraire suivi par la colonne romaine en marche, et plus précisément son parcours en forêt, s’applique le plus souvent à des fonds de vallée. Mais Tite-Live a pu aussi l’employer pour un chemin étroit dans une forêt en plaine. Quant à l’adjectif Litana, avec le sens que lui attribue en gaulois Tite-Live, il se retrouve en composition dans un anthroponyme gaulois, Amarcolitanos (CIL, XIII, 2600) “Au regard large” (amarc signifiant en vieil irlandais “regard, vue”, Lambert 1995, 32 et Schmidt 1957, 122) et il s’est fixé, en France, dans des noms de villes (en composition avec –briga) ou de rivières (comme la Lidane, dans les Hautes-Alpes) : Cuadrado 2004, s.v. Litania.
- Calvetti 1977 ; Calvetti 1991, 48.
- Avec référence à Markale 1970, 362-372.
- Pol. 2.18.3.
- Deyber 2009, 369.
- A. Calvetti, dans son étude du passage, appuie son commentaire sur cette traduction, que je ne crois pas satisfaisante (1991, 44-45) : “i Galli avevano accerchiato la foresta su i suoi margini esterni”, les Gaulois avaient encerclé la forêt sur son pourtour, littéralement “sur ses limites extérieures”.
- A. Calvetti retient l’hypothèse que l’existence du pont confirmerait une localisation de l’embuscade dans une vallée des Apennins. En plaine, en effet, les torrents de Romagne étaient franchis à gué ou en radeau, selon la saison. Dans une vallée au contraire, où leur cours était étroit, encaissé et profond, il fallait utiliser un pont pour passer d’une rive à l’autre (1991, 48).
- Caes., Gal., 6.27.
- Tac, Ger., 28.2.
- Brunaux 1996, 154 ; Brunaux 2000, 238-241 ; Brunaux 2006, 95-115.
- D.S. 5.29.
- Liv. 10.26.11.
- L’épisode fut un succès sans lendemain pour les Sénons, qui furent peu après lourdement vaincus à Sentinum, dans l’arrière-pays d’Ancône, puis chassés de leur territoire lui-même.
- De Vries 1963, 229 ; Calvetti 1991, 50.
- En 225 a.C. déjà, avant la bataille de Télamon et au cours d’un combat de cavalerie engagé «avec témérité» par les Romains selon Polybe (2.28.10), un consul, Caius Atilius, avait été tué par les Boïens et les Insubres coalisés, qui avaient apporté sa tête à leurs rois. Mais la lourde défaite qu’ils avaient subie aussitôt après avait probablement effacé toute la gloire que pouvait engendrer un aussi prestigieux trophée. Quant à la tête d’Indutiomaros, le chef trévire révolté contre Rome, que des cavaliers gaulois avaient rapportée à Labiénus assiégé dans son camp, en 54 a.C., c’était la preuve d’une mission accomplie, le lieutenant de César ayant promis de grandes récompenses à ceux qui le débarrasseraient du rebelle insaisissable (Gal., 5.58.4-6).
- Je reprends ici l’hypothèse que Jean-Louis Brunaux avait déjà proposée (Brunaux 1996, 154).
- Liv. 1.10.5-6.
- Peyre 1979, 110.
- Duval 1976, 34.
- De Vries 1963, 105.
- Duval 1977, 57, fig. 39 ; Jacobsthal 1944-1969, 167, fiche 18, pl. 18-19.
- Duval 1977, 45 et 244.
- Frey 1980, 82 ; Frey 2007, 23.
- Une autre garniture de vase, celle-là en bronze, datée du IIIe s. a.C. et provenant de Brno-Malomerice, en Moravie, présente une résille de rameaux qui s’entrelacent avec des portions de visages à gros traits ou des masques humains (Duval 1977, 130, fig. 127 ; Frey 2007, 28, fig. 35). Mais une telle stylisation, qui a été restituée en applique sur une oenochoé, est-elle envisageable sur un crâne humain ?
- Hdt. 4.65.
- Str. 7.3.6.
- Hartog 1980, 174 ; Krenn 1929 ; Parzinger et al. 1995.
- Liv. 13, 482-483.
- James 1961, 57-61 ; Calvetti 1991, 50.
- Liv. 31.2.5.
- Liv. 31.10.
- Liv. 31.21.
- Liv. 32.
- Liv. 32.29.7-8 ; 30.1-4.
- Liv. 36.39.3.
- Liv. 37.57.7-8.
- Hoc illud est praecipue in cognitione rerum salubre et frugiferum, omnis te exempli documenta in inlustri posita monumento intueri.
- Voisin 1984.
- Je suis heureux de remercier bien amicalement Marie-Bernadette Chardenoux et Jean-Louis Brunaux pour toute l’aide qu’ils m’ont apportée : la première en dépouillant la bibliographie régionale italienne, foisonnante sur la question de la silva Litana ; le second en m’ouvrant le dossier et la bibliographie des têtes coupées chez les Celtes, un sujet auquel il a beaucoup réfléchi, notamment en raison de ses fouilles, et sur lequel il a présenté une communication à la Table Ronde des Eyzies des 13-16 octobre 2010, “Du prix et des usages de la tête. Les données historiques sur la prise du crâne en Gaule”, à paraître dans les Actes en cours de préparation. Je crains seulement de n’avoir pas exploité au mieux possible toute la documentation dont j’ai ainsi disposé.